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Darwin Le Chat
3 octobre 2015

L'envol des mouettes.

Chalut.

Il est grand temps que je vous parle un peu plus en détail de George le Mouet. Voici comment je vins à le rencontrer. Comme je vous le contais dernièrement, il se trouve un endroit sur les quais qui nous est relativement accessible quoique je ne m’y risquerais pas seul. Je dois dire qu’une fois admiré le pont moche, je ne pensais pas y avoir grand-chose à faire. Mais un beau soir Burbulle vint me trouver dans un état d’excitation avancé et arguant qu’il me fallait le suivre car je ne pouvais pas « rater cha. » Il ne daigna pas m’en dire plus et je le suivis non sans rechigner un peu. Comme lors de l’expédition à la place du Pont nous empruntâmes tout d’abord la rue Emile Zola avant de traverser une partie de la place Bellecour dans sa diagonale et passer devant la grande poste. Il était plus de trois heures, une nuit de semaine, nous étions assez tranquilles. Chemin faisant, et voyant la direction que Burbulle prenait, je me disais que le pont moche s’était peut-être abousé à son tour dans le fleuve et qu’effectivement le spectacle se pouvait être saisissant. En passant sur la trémie je compris qu’il ne s’agissait pas de cela ; un brouhaha de conciliabules vint à mes tympans juste avant que je ne découvre cet alignement inouï d’oiseaux blancs aux ailes grises sur le muret du quai. Il y en avait des centaines, sans mentir, et d’où j’étais ma vue de chat ne suffisait pas à en embrasser la fin ni le début. Cela allait peut-être de Perrache à la Croix Rousse, qu’en savais-je ? Une armée de mouettes venues du sud et bavardes comme des pies. Elles jacassaient les unes avec les autres, les unes à propos des autres, avec leur accent chantant de Marseille. Au milieu de tout cela j’en vis quelques-unes en grande discussion avec Passe-passe et P’tit Gris. Burbulle et moi nous approchâmes et Passe-passe m’accueillit en ces termes :
– Alors gone ! C’est t’y pas des beaux zoiseaux ?
Certes, de très beaux oiseaux, mais j’en avais le tournis rien que de les entendre. Quelques-uns de ces oiseaux me regardaient tout en se parlant entre eux ou en m’interrogeant. Je distinguai des morceaux de phrases par-ci par-là : « …autre chat. », «…tu t’appelles ? », « … complet ! » Je m’assis face au muret pour entamer une discussion avec deux de ces énergumènes :
– Que faites-vous là oiseaux ?
– On attend !
– Vous attendez quoi ?
– De redescendre vers la méditerranée.
– Et vous redescendez quand ?
– Dès que le vent du nord arrive.
– Et s’il n’arrive pas ?
– On peut faire sans lui mais crois-moi, il arrive ! Ce n’est plus qu’une question de minutes.
A cet instant une mouette venant du sud en rase-mottes passa par-dessus nos têtes en criant :
– Fada en approche ! Fada en approche !
Il y eut dès lors un drôle de manège. En aval des dizaines de mouettes prenaient leur envol tandis qu’un humain venait vers nous en promenant sa main sur le muret. Sitôt l’humain passé, les mouettes envolées revenaient se poser à la place qu’elles occupaient auparavant (pour autant que je pouvais en juger). J’étais quelque peu sidéré par ce spectacle et l’humain s’approchait nonchalamment mais inexorablement. Voyant que je ne bougeais pas, Burbulle finit par passer à mes côtés en prenant bien soin de me bousculer : « Barre-toi de là Darwin ! » Je retrouvai mes esprits et partis me cacher avec lui et P’tit Gris derrière le muret surplombant la trémie. L’humain passa son chemin, nous retournâmes à nos mouettes, admirant au passage l’agilité de Passe-passe descendant du platane dans lequel il était monté. Je demandai à mes interlocutrices… notez que selon ma logique orthographique, le féminin doit l’emporter dans ce cas-là car l’on dit « des mouettes », sauf s’il est acquis que l’ensemble n’est constitué que de mâles et je dois vous avouer que je n’étais pas en mesure d’affirmer quoi que ce soit concernant leur genre. Je demandai donc à mes interlocutrices pourquoi un si imposant groupe se laissait déranger par un seul humain.
– Eh bien, si la première sur sa route ne faisait pas place nette, elle aurait toutes les chances de prendre un vilain coup. L’effet domino fait le reste.
– Moi je crois plutôt que cet homme se garderait bien de balader son bras ainsi si la première des mouettes ne s’ôtait pas de sa route. Et s’il le faisait, vous auriez tôt fait de lui en passer l’envie, une seule d’entre vous étant assez armée pour le faire fuir et l’ensemble apte à le mettre en charpie sans coup férir.
– Certes… Mais qui voudrait se mettre à dos la race des hommes ?
C’était juste et cependant je ne pouvais m’empêcher de penser qu’il y avait une anomalie à cet état de fait. Juste un peu après une autre mouette venant en rase-mottes, mais cette fois en provenance du pont de la Guillotière hurla son information :
– Vent du nord ! Vent du nord !

Un majestueux envol s’ensuivit, l’une après l’autre les mouettes sautèrent du muret pour s’en aller former un nuage gris-blanc par-dessus le lit du fleuve. Nous admirâmes le spectacle le plus longtemps possible. Ce n’était que cris de joie et excitation. Quand le calme fut venu nous nous rendîmes compte que Passe-passe avait tracé sa route et qu’une mouette était restée sur le muret, une seule, à une cinquantaine de mètres de nous. Nous marchâmes jusqu’à elle et Burbulle engagea la discussion :
– Pourquoi ne t’envoles-tu pas ? Tu es blessée ?
– Well ! I’ m as healty as I could possibly be, I guess.
– Plait-il ?
Alors en français mais avec un méchant accent d’outre-manche :
– Je dis je suis en parfait santé ! Et vous même Sir ?
– Chat va chat vient. English ?
– Yes Sir ! Racist ?
– Pas plus que ça.
– Perfect ! Je suis George ! Sans s à la fin.
– George ? Très bien George. Moi c’est Burbulle et les deux frangins là, c’est P’tit Gris et Darwin.
– Enchanté.
– Pareillement. Alors comme ça tu joues les solitaires.
– No, je suis en poste ici.
– En poste ?
– En poste pour la Gull International. Je suis agent de négociation et de transmission pour les vols intérieurs.
– Et cha consiste en quoi ?
– A s’assurer que nos nuées peuvent passer et se ravitailler sans trop de souci. Je fournis même parfois des droits d’établissement, mais pour l’heure au compte-goutte et surtout à celles trop fatiguées pour voyager.
– Et c’est intéressant ?
– C’est le business. Et vous-même ? Vous faites quoi ?
– Nous ? Rien de spécial, comme tout chat qui se respecte. Darwin se prétend chavant mais on ne voit pas trop à quoi ça lui sert.
George le Mouet me fixa un instant avant de répondre en gentleman :
– Vrai qu’il a l’air assez chavant.

George nous fit la discussion cinq minutes, avant de prétendre avoir un rapport à transmettre. Il nous laissa en plan mais l’histoire ne s’arrête pas là car j’eus l’occasion de le retrouver peu après. Vous voudriez sûrement savoir comment mais je vous le conterai dans un prochain épisode.

Darwin.

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