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Darwin Le Chat
3 octobre 2015

George Le Mouet

Chalut.

Quand George vint me voir j'étais en train de prendre un petit bain de soleil sur le toit. George se posa de manière à ce que son ombre couvre mon visage, ce qui naturellement me poussa à ouvrir l'œil. Notez que l'expression me convient assez bien car, hormis lorsqu'un danger manifeste se manifeste et étant d'avis que tout effort superflu est superflu, j'ouvre rarement les deux yeux en même temps au sortir d'une somnolence. J'ouvris l'œil donc, le gauche, et je vis George le Mouet, l'air rieur :

– Il paraît que tu veux me parler Darwin. C'est bien Darwin, isn't it ?

Je refermai l'œil gauche tout en lui répondant :

– Rien ne presse.

Je me rendormais presque aussitôt. J'ignore s'il s'écoula une minute, ou dix, ou bien même vingt secondes, la mesure de la patience de George m'échappant totalement sur le coup. Quoi qu'il en fut, je sentis une pression au niveau de ma colonne vertébrale tandis que George faisait valoir son droit à audience :
– Hey ! Wake up !

Je me redressai lentement sur mes pattes, m'étirai de tout mon long, bâillai à m'en décrocher la mâchoire, j'avais enfin les yeux en face des trous.

– Vilaine entrée en matière George.
– Chat ! Mon temps n'est pas si précieux que le tien mais ce n'est peut-être qu'une question d'unité de mesure.
– Remballe tes pouces et tes yards George ! Et ne viens surtout pas me dire que les chats ont plus d'une vie !
– Autant ne pas la passer à dormir.
– Autant la passer à faire ce qu'on aime.
– Certes. Que veux-tu ?
– Rien de spécial. Je crois simplement que nous sommes faits pour nous entendre.
– Hum... Possible. Si tu es aussi chavant que tu le prétends, il se pourrait que nous saurons être utile l'un pour l'autre.
– Il se pourrait que je te sois plus utile que Riton.
– Rien n'est moins sûr. En tout cas pas par le même registre.
– Je me demande bien à quoi il peut t'être utile.
– Là je suis déçu de toi Darwin. C'est un pigeon et je suis ici en poste pour la Gull International. L'as-tu déjà oublié ?
– Absolument pas. Cependant je ne vois pas le rapport.
– C'est un pigeon. Un pigeon de patte longue. De toi à moi, le meilleur intermédiaire jamais eu. Si tu crois que la mouette peut facilement sortir des voyageurs du giron des humains...
– Ah je vois ! Oublie les voyageurs ! J'ai tous les mots de passe de petit bonhomme, et bien d'autres encore, pour accéder à l'1-Terre-nette.
– Qui est petit bonhomme ?
– Peu t'importe. Grâce à lui il te suffit de trouver d'autres chats comme moi à proximité de tes correspondants. Ainsi tu pourras supprimer tous tes pigeons intermédiaires.
– Pourquoi voudrais-je faire cela ?
– Par souci d'efficacité.
– Nous sommes bien assez efficaces. Au profit de qui faudrait-il être plus efficace ?
– Au profit du temps libre.
– Et les pigeons ? Que deviennent-ils dans cela ?
– Ils auront du temps libre aussi.
– Darwin, tu es peut-être chavant mais pas très psychologue. Ce qu'aime le pigeon voyageur c'est être voyageur. Et pigeon voyageur ne voyage pas sans but.
– Oh si tu savais comme les pigeons sont ingrats, tu y réfléchirais à deux fois.
– Ah je vois... Ils sont ingrats... Mais pas les chats... Donc, admettons que nous sommes en affaire ; admettons que je trouve d'autres chats comme toi aux quatre coins du monde et ainsi, n'ayant plus recours aux pigeons voyageurs, la Gull International perd tout contact avec ce réseau-là. Que se passera-t-il le jour où les chats diront qu'ils ne veulent plus transmettre nos messages ?
– Pourquoi les chats feraient cela ?
– Parce que les pigeons disent que les chats sont ingrats. Et d'ailleurs pas que les pigeons disent cela, les chiens aussi.
– Les chiens ? Ben voyons.
– Bon, disons que les chiens comptent pas. Mais que dis-tu de cela ? Les humains pensent que les chats sont ingrats.
– Les humains pensent cela ?
– C'est notoriété publique.
– Tu dis peut-être vrai mais tu oublies une chose, c'est qu'il y a plusieurs sortes de chats ; les chats d'appartement, les chats de maison, les chats de ferme, les chats sauvages, les chats de gouttière... Si les chats d'appartements sont ingrats alors les chats de gouttière, qui sont tout leur inverse, ne le sont pas ! Et toc !
– Hum... ça se tient. Cependant je n'entends pas oublier mes pigeons voyageurs. Je n'ai guère besoin de toi pour mon travail mais... c'est grand comment dans ta sous-pente ? J'aimerais rassembler mes affaires dans un coin sec et sûr.
– Pour sûr c'est sec et sûr. Et ça doit bien faire six yards de long pour douze pieds de large.

Je me demandais tout de même ce qu'il entendait par « mes affaires ». En réalité un fatras de bout de crayons et de morceaux de papiers qu'il ramena de je ne sais où en plusieurs voyages. Ainsi commença notre cohabitation et bien que les allers et venues de George perturbent parfois mon sommeil, je dois admettre que j'y ai trouvé mon compte. Il m'est très utile pour l'écriture. J'ai moi-même une incapacité chronique à utiliser un stylo bien que je puisse tracer des semblants de lettres en tenant un petit crayon en bouche. Je m'en sors mieux avec les ordinateurs, surtout avec celui du maître d'un chat domestique avec lequel je suis en affaire et dont je vous parlerai peut-être un jour. Toujours est-il que j'ai un accès par une chatière à un appartement et ses outils bureautiques. Vous voudriez sûrement savoir comment on appelle un texte imprimé par un chat. Ce n'est donc point un manuscrit, serait-ce un tapuscrit ? Que nenni, c'est un pattuscrit ! Cependant, depuis que George a réussi à me rejoindre dans l'appartement en passant par une fenêtre ouverte, je me suis rendu compte que j'étais d'une lenteur affligeante par rapport à lui. Je chavais que certains oiseaux avaient une certaine dextérité dans l'usage de leur tête, mais croyez-moi, ce Mouet-là dépasse l'entendement.

Darwin.

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