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Darwin Le Chat
3 octobre 2015

Sulunc le veement a Darwin, il fust secle sezisme fantosme

Chalut

 

Après un rapide trajet sur une piste large et tranquille (durant lequel Odette m’expliqua qu’elle aurait bien pu abréger la discussion avec Grumpy si tel avait été mon bon désir) nous sommes parvenus au cimetière de Loyasse. Bien avant d’en admirer les monuments nos regards se portèrent naturellement sur les fantômes. Par fantômes j’entends bien sûr des fantômes d’humains. Il m’arrive occasionnellement de voir des fantômes d’autres espèces, notamment un qui m’attriste beaucoup, mais c’est une peuplade avant tout humaine et je vous expliquerai peut-être pourquoi si j’expose un jour ma théorie à ce sujet. Il est également notoire que seuls les humains ne voient pas les fantômes, quoique certains prétendent abusivement le contraire ; par contre beaucoup ont semble-t-il la capacité de ressentir leur présence. J’ignore la raison de ce phénomène, tout comme j’ignore pourquoi certains fantômes errent sur le lieu de leur inhumation ou crémation et d’autres sur le lieu de leur mort corporelle. Je n’avais jamais visité aucun cimetière, mais comme je vis près de la place des Jacobins, dont une partie fut jadis occupée par un cimetière attenant à l’ancienne église et ancien couvent Notre-Dame de Confort, les âmes en peine me sont assez familières. Connaissant le cimetière de Loyasse de par mes lectures, je m’attendais à plus d’agitation. Comme vous ne le savez peut-être pas, le cimetière de Loyasse est à Lyon ce que le Père Lachaise est à Paris. A l’instar de ce dernier il date du début du 19ème siècle et contient d’imposants tombeaux, quoiqu’en moyenne moins monumentaux et dans un cadre moins extraordinaire. Il faut dire que Lyon contient moins de mégalomaniaques que Paris, non pas en proportion mais en quantité, par force, et que les grandes fortunes y sont généralement moins grandes que dans la Capitale. Alors si Lyon c’est comme Paris en moins moins moins, tout de même, cela donne une carte postale saisissante. Nuit sans lune et ciel chargé de nuages, la visibilité restait bonne et les lumières de la ville me suffisaient pour embrasser le cimetière autant que le relief me le permettait. Il y avait là une poignée de fantômes, deux assis sur des sépultures et les autres se baladant, apparemment sans but, sauf un. Je ne sais pas trop comment vous représenter la vision d’un fantôme mais je puis au moins vous assurer que ce n’est pas un drap flottant avec deux trous pour les yeux. D’ailleurs si vous pouviez apercevoir le fantôme d’un personnage célèbre disparu, vous le reconnaîtriez immédiatement. Il en était donc un qui semblait parfaitement occupé. Il était vêtu d’une cape à col plat, d’un pourpoint col officier, de trousses et de souliers à pied d’ours. Nous le vîmes tout d’abord à quelques mètres de nous, arrêté devant une tombe et semblant parler doucement. Ensuite il a remonté l’allée latérale pour s’en aller longeant le carré des prêtres. Je sautai du mur pour lui emboîter le pas et le suivis jusqu’au centre du cimetière où il s’arrêta devant un gros tombeau. Là il a brandi un bras rageur et paru vociférer des insanités. Il a recommencé plusieurs fois à proximité d’autres tombeaux avant de disparaître soudainement. Tandis qu’Odette, George et moi restions interrogatifs, une voix s’est élevée sur ma gauche :

– Etonnant n’est-ce pas ?

C’était un gros vieux chat aux oreilles abîmées, paisiblement installé entre deux monuments.

– Certes oui. Que faisait-il ?

– Eh bien à vrai dire, quoique je vive ici depuis longtemps, je ne connais pas précisément son histoire. Il y a pourtant un moyen de le savoir.

– Lequel ?

– Il faudrait pouvoir accéder aux archives.

– Quelles archives ?

– Mais les archives fantômes, voyons !

– Et où se trouvent-elles ?

– Où elles sont précisément je n’en sais rien, c’est un tel dédale. Mais vous trouverez un archiviste à son poste si les gardiens veulent bien vous laisser passer. Moi je pourrais vous conduire jusqu’aux gardiens mais ça vous desservirait.

– Pourquoi ?

– Parce que je suis gatto non grato chez les archivistes. Raison pour laquelle je n’en sais pas plus sur ce fantôme là. Ce n’est pas faute d’avoir essayé.

– Et où se trouvent-t-ils ces gardiens ?

– Dans le fort. Retournez en arrière, à la sortie de la rotonde c’est tout droit à gauche. Vous trouverez.

 

Reste des fortifications lyonnaises, le fort de Loyasse a laissé quelques beaux vestiges qui font le bonheur des jeunes explorateurs en mal de sensations. Dans l’enceinte même du cimetière subsiste un bâtiment abandonné par les humains à qui en avait l’usage : les chats archivistes. Ils en font un usage réduit d’ailleurs, ne figure là qu’un poste avancé occupé par une tripotée de félins aux aguets. Nous nous sommes dirigés vers l’un d’eux qui nous a questionnés a distance :

– C’est pour une consultation ?

– Oui.

– La mouette… je doute que cet endroit soit fait pour toi. La fée… si tu peux marcher et te faire petite, à la rigueur.

– Well. De toute façon je n’escomptais jouer les chauves-souris. Je vais pêcher en attendant.

 

Odette et moi avons suivi ce chat gardien jusqu’à un trou surveillé par un autre chat en faction et qui ressemblait à l’entrée d’un terrier de lapin (le trou, pas le chat.) Avant de nous y laisser pénétrer le gardien a dit :

– Au début c’est assez étroit mais ça s’agrandit par la suite. A l’embranchement ce n’est pas à droite. D’ordinaire ça se fait à tâtons… j’en voudrais bien un éclairage comme ça !

 

Odette s’avança bille en tête. M’arrivant à peu près au garrot, elle avait la juste taille pour marcher dans le boyau mais ses ailes raclaient les parois en se courbant selon les aspérités rencontrées. Au bout d’une vingtaine de mètres le boyau passa de terreux à pierreux et la pente s’adoucit. Nous allâmes encore quelques dizaines de mètres avant de déboucher sur un tunnel d’un bon mètre de large et de haut. Je regardai les pierres des parois, parfaitement agencées mais semblant ne pas avoir été posées de la veille. Prenant d’emblée sur la gauche Odette ne me laissa pas le loisir de voir ce qu’il y avait à droite. Je la suivais tout en observant le sol sur lequel s’était déposée une légère couche de terre sèche maculée de traces de pattes de chats. Soudainement Odette s’arrêta et fit remarquer qu’elle n’en voyait pas le bout :

– Si j’avais un ami il me porterait.

– Hé ! oui. Si tu avais un ami.

Elle s’est parée d’une moue boudeuse.

– Si tu ne veux pas marcher, vole ! L’espace est suffisant il me semble.

– Oui mais moi j’ai envie qu’on me porte !

– Ok ! ok ! Grimpe !

Elle fut sur mon dos d’un geste révélant une cavalière aguerrie et d’emblée « m’éperonna » en criant :

– Hue chacha !

– Si tu commences comme ça tu vas redescendre tout de suite ! Tiens-toi tranquille !

– Daccodac matou ! Je me demande où nous sommes.

– Je crois que nous sommes dans un ancien aqueduc romain. Et d’après mes connaissances, qui sont vastes, ce tronçon n’a pas été référencé par les historiens et archéologues.

– Nous montons, non ?

– Tout doucement.

Nous sommes allés sur une bonne longueur, peut-être cinq cents mètres, pratiquement en ligne droite. Enfin nous sommes parvenus à une petite salle dans laquelle débouchaient plusieurs autres tunnels. Les parois de l’un d’eux reflétaient une légère lueur bleutée :

– Je crois que nous touchons au but.

Dans ce tunnel nous avons trouvé un chat roux endormi à côté d’une petite vasque enflammée et d’un collier muni de petites clochettes. J’ai bougé le collier, le chat à ouvert un œil.

– Mmmm… Quelle agitation ! Pas moyen de passer trois jours tranquilles. Votre requête ?

– Eh bien nous ne savons pas précisément.

– Je ne peux pas le savoir à votre place.

– Il s’agirait d’un cas datant d’avant l’ouverture du cimetière.

– Quel cimetière ?

– Celui de Loyasse bien sûr.

– Bien sûr, bien sûr. Nous archivons ici tous les fantômes de la ville depuis des lustres. Vous avez l’année du décès ?

– Non.

– La décennie ? Le siècle ?

– 16ème je crois. Mais la mort serait localisée à Loyasse.

– Bon. Ça réduit déjà l’éventail. Laissez-moi réfléchir une minute !

Ce qu’il fit.

– Je crois que j’ai ce que vous recherchez. Le début du document est endommagé mais l’essentiel y est. Ecoutez : « …enstre vigne et vigne, le cors dum omne, mortes a tou mais, d’environ trente annels, vesti seul chainse, ne cappel, ne casure, ne braie, ne chausse, ne sollers, ne borse, ne desniers, ne espee, ne braquet. Le Gentis Omne dist : « Chapitles sarons qe faire », « Quil conduira ? Sire. », « Vos. A chanoines contors irez. » Volrent veoir soe Saintee et l’oir, point ne vehu. Le moinen a Saint Just, ne reciurent audience. Le moinen a Saint Irenee, memement. A Saint Jean, ne pooir avant. A Saint Paul, memement A saint Nicet, furunt venut burgeis et marcheands volontifs de voier le cors. Sulunc le veement a cez humaines gents il fust mors de celle bleceure al cuer. Volrent saveir se fust omne lyonnois, unques ne connu. Fust queste a savoir se estoit truant, vague, meiteir, soudar, burgei, marcheand, clerge o chevalier. Le gardirent la boche, avoit joliettes dents qui fuirent nombrez a trente et deus. Le gardirent les pieds, estoit pieds a sollers. A cez humaines gents paruit que estoit Gentis Omne. Tou ce pendant, vinvet rumors a eglise porture. L’un dist : « Il estoient treis peestres en aproismement de Lyon. Sodain icelui, oiant cloches, volut estraindre a ses compaings. Cist pensunt : « A diavle ou cors. Il est desvet e pesme peoir qe pestilance. » Il le corrent sus mainnemain et de juste empeinte le estroerent. Por ce que li diavle se retorne ent le feu il fierent, maintenant le desviestirent. Por ce que devant Dieu ne fust tot nu, ne prinrent le chainse. » Oiant ceci burgeis et marcheands le bruslerent le cors maintenant. Unques ne vist ses compaings, oncques fust connu lui non cest Gentis Omne. »

 

Odette en est restée béate.

– Tu connais tout ça par cœur matou ?

– Evidemment !

J’étais moi-même impressionné mais pas satisfait.

– Désolé mais ce n’est pas ce que nous cherchons. Un document du 16ème ne serait certes pas écrit en ancien français mais en moyen français.

Le roux m’a fixé furieusement.

– Peut-être n’est-il pas du 16ème siècle !

– Quel fantôme du 13ème porte la mode du 16ème ?

– Mmmm… Laissez-moi réfléchir.

Il a fermé les yeux et une minute après j’ai compris qu’il retombait dans son sommeil. J’ai secoué le collier et le chat a réouvert un œil.

– Désolé mais c’est l’heure de dormir.

– Comment sais-tu l’heure qu’il est ?

– Je ne le sais pas.

– Alors comment sais-tu que c’est l’heure de dormir ?

– Parce que j’ai sommeil ! Revenez plus tard ! Si vous ressortez à l’air libre sachez que vous ne pourrez pas revenir avant un mois.

– Pourquoi ?

– C’est la règle.

– Alors nous attendrons là la fin de ton somme.

– Non car la lumière de la fée me dérange.

– Pff !

Nous nous sommes éloignés dans un autre tunnel pour nous reposer à notre tour. Je me suis mis en boule et Odette a posé sa tête sur mon ventre. Je lui ai fait part de mon sentiment sur le texte déclamé par le chat archiviste :

– Vois-tu Odette ? Je crois que l’homme dont il nous a parlé n’était pas un vagabond.

– Personnellement je n’ai pas compris grand chose

– Ah !… Eh bien je fais une hypothèse. A mon avis il s’agissait d’un homme pris dans les conflits entre l’archevêché et les chapitres. Peut-être envoyé par le Vatican auprès de Pierre de Tarentaise pour briser l’autorité du chapitre cathédral, ce qui n’aurait pas manqué de susciter l’animosité de chanoines jaloux de leurs prérogatives. L’histoire du diable n’aurait été que pure invention…

 

Pendant que je parlais la luminosité d’Odette s’est affaiblie peu à peu au point de s’éteindre totalement et bizarrement ses ailes sont devenues toutes molles. Elle dormait et je décidai d’en faire autant. Je vous dirai bientôt ce que nous apprîmes par la suite sur notre fantôme.

Chalut

 

 

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