Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Darwin Le Chat
3 octobre 2015

Carnets souterrains ou la vie dissolue d’Adamour Bibi de Dardelili.

Chalut

 

Petite digression. Sachez que je suis un chat né avec le printemps, ce dont vous vous doutiez sans doute car les chats de printemps sont plus vigoureux que les autres. Certes mes premiers mois furent un peu difficiles car j’étais glouton mais, volant pourtant souvent la part de lait de P’tit Gris, je n’étais jamais rassasié. Puis notre mère disparue soudainement et nous crûmes mourir de faim, surtout moi. Heureusement Burbulle nous trouva et nous apporta de quoi survivre et s’empressa de nous apprendre à trouver notre pitance et à affronter les épreuves. Je n’étais pas très doué pour ça et ne profitai guère. Je restai chétif jusqu’à mon septième mois, c’était très handicapant pour un chat de gouttière et je manquais d’assurance, notamment lorsque j’eus à traverser la passerelle. Puis l’occasion qui me fit dévorer de la viande plus que de raison agit comme un révélateur. Je pus satisfaire mon côté glouton, et désormais bien au fait des bons coins où trouver de la viande, je ne fis que manger. Entre mon huitième et douzième mois je grandis et grossis bien au-delà des attentes ; je rattrapai P’tit Gris puis le dépassai, une poussée tardive qui paraît inexplicable pour un chat de gouttière car nous sommes réputés grandir plus vite et moins longtemps que les chats d’appartement. En vérité nous ne sommes pas de vrais chats de gouttière, plutôt une génération spontanée, notre mère s’étant réfugiée sur les toits par certitude qu’on se débarrasserait de nous sitôt nés. Cela explique sans doute pourquoi je suis ce que je suis. J’incarne il est vrai une sorte de perfection n’ayant pris que le meilleur de chaque côté. Revenons à nos chatons ! Le besoin de manger sans cesse ne me passa que tardivement, justement lorsque je découvris mes aptitudes intellectuelles, appris prestement à lire et cherchai dès lors la nourriture intellectuelle plutôt que celle du corps (j’avoue aussi que la mise au régime me fut un peu commandée par le fait que je ne passais plus au travers de certains trous qui me sont utiles pour aller d’un bâtiment à l’autre). Je me suis affiné, je me suis musclé à la faveur d’escalades que peu d’autres chats parviennent à effectuer. Si je dépasse encore allègrement les six kilos, ils sont tout en grâce et majesté, et m’évitent bien des tourments par l’effet dissuasif qu’ils ont sur mes congénères. Au prochain printemps, pensez au plus beau chat que vous avez jamais vu, ce sera là une manière honnête de me rendre hommage.

 


J’en reviens à nos fantômes. Odette dormit très bien la tête sur mon ventre, mais sachez qu’elle parle en dormant dans un jargon incompréhensible. Nous fûmes éveillés par le tintement des clochettes du collier du chat roux. Odette et moi nous étirâmes d’un même élan et nous portâmes en baillant vers le coin du rouquin.

 

– Dépêchez-vous ! Je vais bientôt fermer !
– Tu viens à peine d’ouvrir.
– Comment vous pourriez le savoir ? Ronfleurs !
– Pff…
– Bon. J’ai cherché et je crois avoir trouvé ce que vous cherchez sans pouvoir le trouver.
– Voire.
– Vous voulez la lecture des documents ou simplement être désagréables ?
– Il nous serait agréable de l’ouïr très cher archi archiviste.
– Bon. Alors écoutez ! « Adamour Bibi estoit filz de Jean Bibi, marcheand à Lyon, venut riche à sohet, son sohet fust d’estre plus riche il vint plus riche, tant et tant se fist seigneur de Dardelili. Jean passa et Adamour, qui estoit sans frère ni sœur, herita a sa fortune. Adamour estoit très advenent, blond de cheveux, bien peigné et testoné, beau de visage, le nez ionique, les yeux bleus, galland, hault, gaillard, aigu, subtil, hardy, vestut à la mode, bragard, la braguette longue et ample. Estoit bon vivant et aimoit mieux tenir goubelest que plume en main, mais moins goubelest que mentile qui avaist vu plus d’un trou mais poinct celui de sainct Patrice. Beuvant il eust un soir révélation de construire un convent sur sa terre afin d’estre tant bien aulprès des dames que de dieu. Cest convent le voulust interdist aux hommes afin que l’endroit ne fust poinct souillé en pensées inspures avoit ja expérimenté en luy. Vrayement, n’estoit point chattemitte car il fust fest selon son bon voloir et il est duyt que oncque homme n’y vinst. Ce connust il fust estably que femmes non religieuses y estoient repceuz si le vouloient, affin que y prooient le temps que voudroient. Selon les registres, vinrent en cest convent, mesdames : De Lailieu, Magret, Duchaussoir de Filibredin, De Rubins, De Tourte, Le Prist, De Chassemotte, Lamarre, Larançon, Salé, De Longe, Gendre, Depierre, Greffe, Lesargues, Chantier, Beaulapin…
– Excuse-moi mais… elles sont nombreuses comme ça ?
– Une centaine et des brouettes.
– Je suggère qu’on aille directement à la fin de la liste.
– Ah !… Bon. Ben voilà, je ne sais plus où j’en suis. Laissez-moi réfléchir une minute.
Ce qu’il fit.
– Laissez-moi vous donner lecture d’un passage de la lettre que fit madame De Chassemotte à madame De Vuvle Vulpin !
– Qui est madame De Vuvle Vulpin ?
– Si vous m’aviez laissé aller au bout de la liste vous le sauriez. Ecoutez ! « Je m’estois mins en dévotion es soubz terre du convent, en une salle que n’avoit rien sinon une cheminée sans feu. Sobdain la terre et la cheminée s’ovrirent en deux et parust un luciferece qui me manda de le suivre. J’allais un quart de demi lieue jusques davant une grande salle richement meublée et j’y vist dieu feit homme. Vrayement estoit dieu car estoit très advenent, jeune, blond de cheveux, bien peigné et testoné, beau de visage, le nez ionique, les yeux bleus, galland, hault, gaillard, aigu, subtil, hardy, vestut à la mode, bragard, la braguette longue et ample. Estoit bon averlant et m’ofrist deux goubelest de l’eaue béniste de cave. Cependent que je beuvois, il mist bas ses chausses. Avoist de belles griefves et la braguette n’estoit poinct goureuse car sa couille estoit d’un empan et ses triquebilles d’un marc chascune. Il entreprint venir au dessus de moi Maistre Jean Foutre en l’air et mist sa main contre mes cuisses. Me diz : « Cist la vodroit jouer du serrecropierre ! » A quoy mist les mains a ma poictrine au grand interest de ma robbe. Ah ! non ! Ah ! non ! non ! non ! Une robbe tolt satin et veloux ! Je m’airoie de moi mesme sans instance ny hayt. Ce que fut faict, m’abouchast sur la table affin qu’il frottast son lart. Dame ! J’y fust quelque meschante heure cependent que me moulinoit du mouchenez en archidiacre, m’enfonçoyt son berfroi, m’abreuvoit le soliflore, me bouliguoit la gouliche, me braquemardoit le braion, me belinoyt la beloce, me bezinoyt le braizin, me maraudoyt la framboise, me mitainoyt le minoit, me calibroyt le callibistris… Mamye, si je soy femme, par sainct Georges ! dieu n’est pas bougre car a cest ouvrage n’avoit ni fin ni canon ! Je m’escrioie : « Asperge me Domine ! » Tandis que me transcouloyt je fus bien eschauffée du penil et vinst hors d’haleine et toute resudante. Je cuyd avoir tourné on convent sans toucher terre puis, tourné ez Lyon, je vinst grosse. Je voulust l’enfant nommer Jésus. « Voyre, repondist mon mari. Devray je te nommer Marie ? » Mainstenant que mon chier filz a six ans, vrayement estoit très advenenent, blond de cheveux, beau de visage, le nez ionique, les yeux bleus, galland, hault, gaillard, aigu, subtil, hardy… comme bien des enfantz en ceste cité »
– Hum, hum. Tout cela me laisse perplexe.
– Chut ! Ecoutez donc l’extrait de cet autre document ! « Par décret du roi, fust ordonné que seroient destruitz en la seigneurie de Dardelili, le convent, le chasteau et le passaige soubz terre, ceste terre rendust au roi et le nom de Dardelili oblié à tout mai. »
– Cela ne nous dit ce qu’il fait là.
– Je pourrais vous le conter aussi mais, fors le style, ça ferait redondant avec ce que je vous contai hier.
– Vrayement ?
– Oui dea ! Un très bon coin à cadavres pour les siècles des siècles !
– Bien. Si j’ai bien compris, malgré les approximations grammaticales… grosso-modo cet homme fut éliminé pour avoir donné du plaisir aux dames.
– Id quod plerumque accidit.
– Pourquoi ont-ils fait une chose pareille ?
– Malum prohibitum.
– Voilà une singulière injustice.
– Canis canem edit !
– Baisoyt-il les nones ? a dit Odette.
– Nemo igitur vir magnus sine aliquo adflatu divino umquam fuit.

 

Le roux semblant bien décidé à m’énerver et puisqu’on en savait assez , nous prîmes congé de lui. Nous retrouvâmes le tunnel principal et Odette volait de ses propres ailes juste devant moi.

 

– On dirait qu’on a trouvé un chat plus savant que toi matou !
– Non pas du tout Odette ! Car vois-tu ?… son chavoir ne sert aucunement sa réflexion. Tandis que moi je…

 

A cet instant Odette s’est exclamée : « Voyons voir ! » Puis elle a pris la poudre d’escampette. Cher lecteur, chère lectrice, êtes-vous du genre à sauter du coq à l’âne quand la conversation ne vous intéresse pas ? Odette oui. Donc elle a filé à grande vitesse vers le bout du tunnel sa lueur s’est affaiblie avant de disparaître totalement. Noir d’encre, j’en suis resté couillon. J’ai passé deux minutes à me demander si elle allait revenir, ce qu’elle fit.

 

– Ben t’en fais une tête matou !
– Tu trouves ça drôle ? Je n’y voyais plus rien.
– Je croyais que les chats voyaient bien dans le noir.
– N’importe quoi ! Dans le noir total on voit du noir total tandis que dans la pén…
– Sais-tu ce qu’il y a à l’autre au bout de ce tunnel matou ?
– Non.
– Une pierre.
– Une pierre comment ?
– Grosse comme le tunnel.
– C’est bouché, quoi.
– Bouché oui.
– Aucun intérêt donc. Alors sortons !

 

Dehors il faisait jour et les chats gardiens avaient mis les voiles pour la plupart. Ils n’en restaient que deux, en grande discussion avec George. L’ambiance semblait au beau fixe, pas comme le temps, très nuageux avec un mercure passant timidement le zéro en ce début d’après-midi. Sitôt dehors Odette m’a de nouveau laissé en plan.

 

– Hello Darwin ! Alors ? Ce fantôme ?
– Un séducteur ! Pauvre hère ! Il fut bien peu récompensé de ses services. Je te raconterai.
– Well. J’ai pris du poisson et nous t’en avons gardé.

 

J’ai regardé le poisson posé à ses côtés.

 

– Il n’est pas gros dis !
– Il est ce qu’il est. Frais pour le moins. Ça te changera.
– C‘est rien de le dire. Et le journal ?
– Forgot it. Sorry !

 

Ainsi commença cette nouvelle journée. Assez peu rassasié je décidai d’attendre la nuit à explorer un peu plus le cimetière. Les fantômes n’étant pas visibles en plein jour, je croisai de rares humains, agents de la ville, badauds ou familiers des lieux. Dans mes prochains courriers je vous raconterai la fin de mon aventure.

 

 

 

Darwin.

 

Publicité
Publicité
Commentaires
Darwin Le Chat
Publicité
Archives
Publicité