La plus chatte des javas
Chalut !
J’ai rapidement trouvé une certaine utilité à la présence envahissante de la fée Odette. Elle m’est très utile car elle est une ouvreuse de boites aux lettres et de portes hors-pair. Il faut la voir apposer ses mains sur une serrure et avoir le plus souvent raison d’elle d’un mouvement à peine perceptible. Encore faut-il pouvoir les tirer ou les pousser, si c’est aisé pour une boite aux lettres ça l’est moins pour les portes cochères. Elle prétend que ce genre d’efforts la fatigue et je lui connais trois façons de « recharger les batteries » comme elle dit. Elle peut les recharger en se faisant dorer la pilule au soleil, ou bien en mangeant des bonbons, ou, choix le plus discutable, en se mettant directement à proximité d’un champ électrique puissant quand ce n’est pas en mettant les doigts directement dans la prise. Cette dernière option a l’heur de la rendre particulièrement surexcitée et pénible !
Bien, revenons à nos chattons puisque j’ai quelques minutes de tranquillité devant moi, un ordinateur qui marche et mon fidèle dactylo à mes côtés. J’étais donc avec cette belle chatte, bien leste et agile, traçant sa route aussi bien que moi, de nouveau en direction du cimetière. Chemin faisant elle me lança :
– Au fait. Je m’appelle Leina. Tu aimes ?
– Pas plus que ça. Où va-t-on ? Pas chez les archivistes j’espère.
– Non mais pas loin. Dans une autre partie du fort.
Effectivement nous allâmes jusqu’au cimetière avant de repartir en direction de la Saône. Quelques obstacles furent facilement franchis, nous arrivâmes devant une entrée de l’ancien fort et nous y pénétrâmes. Il faisait bien sombre mais je me fiai à la connaissance du terrain de Leina. Il ne fut pas longtemps avant que nous arrivassions dans une salle bien éclairée par la simple présence de la fée. Elle se tenait en l’air au-dessus d’un amas de papier et de petits morceaux de bois. Autour de cet amas se trouvaient trois chattes et quatre chats dont l’un m’était déjà bien connu : Passe-passe. Il me chalua assez chaleureusement. « Voilà Darwin ! », « Ah le fameux Darwin ! » Les commentaires allèrent bon train, ma réputation m’avait précédé. Odette, toute à son affaire, me regarda à peine : « Reculez-vous un peu les amis ! » Le cercle fut agrandi. Odette frotta deux petites aiguilles l’une contre l’autre et une gerbe d’étincelles jaillit. « Pff ! ça n’a pas suffi ! » Elle s’approcha un peu plus d’un morceau de papier et renouvela l’opération. Cette fois-ci une flammèche apparut. « Souffle ! souffle ! Nom d’un chien ! Non écarte-toi plutôt ! » Il faut dire que nous les chats, sommes de piètres souffleurs. Odette trouva meilleur parti dans l’utilisation de son ventilo dorsal, le feu prit bien. « Rends-toi utile Darwin ! Aide-moi ! » L’ordre venait de Passe-passe qui plongea tête la première dans un grand sac en papier contenant du charbon de bois et que de petits humains aventuriers avaient dû laisser là. Je servis de relais entre les pattes arrière de Passe-passe et le feu, prouvant ainsi que malgré mon caractère intellectuel et solitaire je ne suis pas revêche aux efforts collectifs. D’ailleurs, qui aurait osé demander ce service à Leina dont la blancheur en eut été ternie tandis que moi, si magnifiquement noir, j’ai moins à craindre des effets colorants du charbon ? Ainsi nous eûmes un feu facile d’entretien quoique mes coussinets en furent un poil échauffés. L’ambiance devint alors très festive, chacun ayant une bonne histoire à raconter avec Odette en maîtresse de cérémonie. Elle voulut la soirée plus musicale : « Voudriez-vous que j’aille chercher mon accordéon ? » Un oui quasi-unanime retentit. Odette s’éclipsa et fut de retour moins de cinq minutes plus tard avec un accordéon gros comme un paquet de cigarettes mais sonnant bien aussi fort que celui d’un humain taille nature. « Par quoi commence-t-on ? » « Une java ! Une java ! Une java ! Une java ! » « La plus chatte des javas ? » « Oui ! Oui ! En plus tout le monde la connaît par cœur ! » « Non pas moi ! » « Correction… excepté Darwin. Mais s’il est si chavant, il l’apprendra vite ! » « Voilà donc la plus chatte des javas. Adaptation très personnelle d’un vieux classique. C’est parti ! »
Je vais vous raconter
Une histoire arrivée
A Nana et Julot Chat Racé
Pour vous raconter ça
Il fallait une java
J´en ai fait une chouette écoutez-la
Mais j´ vous préviens surtout
J´ suis pas poète du tout
Mes couplets n´ riment pas bien
Mais j´ men fous!
L´ grand Julot et Nana
Sur un air de java
S´ connurent à la sauvette
A l’arrière d’une charrette
Elle lui dit : J´ai l´ béguin
Sur un air de chat bien
Il répondit : Tant mieux
Sur un air de chat vieux
Ah! Ah! Ah! Ah!
Écoutez chats si c´est chouette !
Ah! Ah! Ah! Ah!
C´est la plus chatte des javas
Ils vécurent tous les deux
Comme des amoureux
Dans un coin poussiéreux et miteux
Chaque jour, le grand Julot
Disait : J´ t´ai dans la peau
Et il lui griffait le bas du dos
Elle lui dit : J´ai compris
Mais moi j’ai faim, chéri
Et comment nourrirai-je nos petits ?
Alors il s´en alla
Sur un air de « Cha va ! »
Pour gonfler ses mamelles
A manière de chamelle
Il s´offrit en décor
Et joua les chats morts
Pour gagner sa pitance
Sur un air de carence
Ah! Ah! Ah! Ah!
Écoutez chats si c´est chouette!
Ah! Ah! Ah! Ah!
C´est la plus chatte des javas
Sa dame pendant ce temps
Ayant besoin urgent
De se mettre quelque chose sous la dent
Il chipa… lui, Julot
A une femme un morceau
Au beau milieu d’un plat d’osso bucco
Le coup était bien fait
Mais juste quand il partait
Il entendit qu’on l’appelait minet.
Alors il laissa là
Ses manières de sherpa
Et partit ventre à terre
A travers la chatière
Cependant la vielle bique
Lui passa tous ses tics
Car elle était bravache
Dans ses coups de cravache
Ah! Ah! Ah! Ah!
Écoutez chats si c´est chouette!
Ah! Ah! Ah! Ah!
C´est la plus chatte des javas
Nana, ne sachant rien
Continuait d’avoir faim
Six heures se sont passées… Rien ne vient
Elle ressent des frissons
Et elle a des visions
Une arrête ne fait pas le poisson
Les chats faux n’ se dressent pas
Au boulot n’ s’en font pas
Son Julot a les pattes Angora
Julot vient à p´tits pas
Sur un air de « Cha va ? »
Mais elle n’est pas séduite
Par son air de chattemite
Il n’a rien dans le gosier
Même pas l’air de chat C
Et rentre encore bredouille
Sur un air de chatouilles
Ah! Ah! Ah! Ah!
Écoutez chats si c´est chouette!
Ah! Ah! Ah! Ah!
C´est la plus chatte des javas
Ah ! madame ! Je n’avais jamais vécu une telle soirée ! Heureux comme un poisson dans l’eau ! Nous avons chanté et dansé jusqu’à en tomber de sommeil. Je dormis un peu, blotti contre mes camarades autour du feu qui se mourrait petit à petit. Puis Odette me réveilla pour me dire que George m’attendait dehors pour me raccompagner jusqu’à chez moi. Brave George, ce fut fait sans frayeur. Ainsi s’acheva ma grande aventure à Loyasse sur la colline de Fourvière.
Darwin.