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Darwin Le Chat
3 octobre 2015

L'Aurore

Chalut.

 

Nous étions donc Odette et moi en route vers l’autre duo de chèvres. La route fut courte bien que ponctuée d’un arrêt casse-croûte dans une poubelle qui n’attendait qu’à être visitée. Nous nous rendîmes dans une propriété plantée d’arbres et sise de l’autre côté de la montée. Les chèvres en question sont plutôt petites, ont la tête assez noire et le corps globalement marron. Elles somnolaient paisiblement et Odette les réveilla en touchant délicatement le bout de leur museau.

– Bonjour Harmonie, bonjour Amalthée.

– Oh ! bonjour Odette. Tu es bien matinale.

– Hé ! bien c’est que je suis accompagnée du chat Darwin et il n’aime pas trop s’aventurer dans des endroits inconnus de plein jour.

Harmonie et Amalthée me contemplèrent quelques instants.

– Ainsi voici ce fameux Darwin.

– C’est bien moi et je suis venu vous voir pour en savoir un peu plus sur les chèvres.

– Combien sont elles ?

– C’est à dire ?

– Les chèvres qui t’intéressent. Vivent-elles en troupeau ?

– C’est possible.

– Sont elles gardées par un berger ou une bergère ?

– Une bergère ! a dit Odette.

– Comment s’appelle-t-elle ?

– L’Aurore !

– Hum… joli. Et où vivent l’Aurore et ses chèvres ?

– Eh ! bien… Dans la montage de Savoie j’imagine.

– Parfait. dit Harmonie. L’Aurore est sœur de Lune et d’Hélios. Fille du titan Hypérion elle fut enfantée d’Euryphaessa. Elle s’éprit de Thiton qui fut changé en cigale. Elle s’éprit également du géant Orion qui était d’une grande beauté et qui fut piqué par un scorpion envoyé par Artémis. Orion et le scorpion furent métamorphosés en constellations mais d’ici il n’est pas très évident de les apercevoir.

– Alors l’Aurore doit souvent les apercevoir puisqu’elle vit dans la montagne de Savoie !

– Certes Darwin, reprit Amalthée, c’est bien là l’un des avantages à vivre à la montagne. Dans quelle montagne de Savoie au juste ?

– Non loin de l’endroit où le géant Gargantua projeta une pierre avec le pied et qu’on appelle la Pierra Menta.

– Ne serait-ce pas plutôt la Pietra Menalda, l’une des pierres du Pinacle ? Un titan l’aurait bien pu envoyer de Lipari en Savoie.

– Oh ! non ! Cette pierre là doit être encore à sa place car la Pierra Menta vient du massif des Aravis.

– Sans doute. Mais dis-moi Darwin, l’Aurore est-elle l’Aurore aux doigts de rose ou bien l’Aurore aux belles boucles ?

– Oh ! très certainement elle est l’Aurore aux doigts de rose car elle n’a pas beaucoup de boucles bien qu’elle ait de beaux cheveux.

– Darwin tu es tombé dans le piège que je t’avais tendu. L’Aurore est à la fois l’Aurore aux belles boucles et l’Aurore aux doigts de rose. Sans doute peut-elle se parer de belles boucles car de beaux cheveux se parent de tout ce qu’ils veulent. Mais sûrement elle préfère mettre en avant ses doigts de rose.

– Oh ! oui ! Surtout qu’elle a des chèvres laitières ! Et n’est-ce pas indispensable d’avoir des doigts de rose pour pratiquer la traite ? Les chèvres laitières du monde entier devraient exiger d’être traites par l’Aurore aux doigts de rose !

– Bien vrai et il faudrait le leur suggérer ! Alors ainsi l’Aurore aux doigts de rose vit dans la montagne de Savoie avec ses chèvres.

– Et son amoureux.

– Certainement. Elle a un amoureux car l’Aurore aux doigts de rose est une grande séductrice.

– Cependant l’Aurore aux doigts de rose ne doit guère s’en laisser compter et s’il lui plaît de rester seule avec ses chèvres, personne ne peut l’en empêcher ! Elle croise parfois le chemin de son frère qui commande à ses chevaux et surveille ses troupeaux de moutons et de vaches.

– Mais si l’Aurore a un troupeau de chèvres et son frère un troupeau de vache et de moutons, intervint Odette… quel genre de troupeau a la lune ? Peut-être un troupeau de hiboux ?

– Je crains qu’ils ne soient guère grégaires.

– Alors de pipistrelles !

– Plus probablement, mais à ma connaissance, ce ne fut pas légendé. Cependant il m’est permis d’affirmer que l’Aurore aux doigts de rose, cette toute divine, trouve la voie d’un bonheur à nul autre pareil. Je le sais car nombreux sont nos aïeux qui foulèrent la montagne de Savoie. N’est-ce pas Harmonie ?

– Certes et je me damnerais pour y finir ma vie ! Et s’il est quelque bosquet dans les champs de l’Aurore, c’est à ses côtés que je voudrais être, cette toute divine. Je ne crois pas devoir beaucoup apprécier les alpages par habitude de l’ombrage. Mais sûrement un chat vivant sur les toits penserait autrement. As-tu une belle vue de là où tu vis ?

– Très belle d’un côté, moins de l’autre à cause du crayon qu’ils ont planté là et qui me bouche un peu la vue sur les Alpes. Et ça ne va pas en s’arrangeant, y a un truc encore plus moche qui s’élève !

– L’Aurore aux doigts de rose, elle, grimpe jusqu’au sommet de sa montagne. Aucun crayon ne gêne sa vue, elle voit loin au nord, au-delà de Lyon à l’ouest, au sud ce n’est que succession de monts et sommets. Ce sont des titans qui ont chacun leur nom, ils ne peuvent plus se mouvoir car ainsi en ont décidé les dieux. Alors ils se tiennent là, serrés comme des sardines. L’Aurore les caresses du bout de ses doigts de rose, cette toute divine est pleine de piété. Les titans la remercient et du souffle de leur bouche naît le vent. Les titans n’ont pas l’élocution des dieux, ils postillonnent. Le vent soulève les cheveux de l’Aurore aux doigts de rose qui s’humidifient dans ce crachin quasi-divin ; ainsi naissent ses belles boucles. Jamais elles ne sont si belles que lorsqu’elle se tourne vers l’Est, comme pour contempler tout le chemin parcouru, car c’est de l’Est qu’elle est venue. Elle a passé par-delà les épaules du plus grand des titans d’Occident, celui qu’on appelle Blanc à cause de sa longue barbe blanche ; il est mont et derrière lui est sise la belle Italie à la langue chantante. Celle de l’Aurore aux belles boucles est d’une grande douceur et elle ne parle jamais en méchanceté. Quand elle est en colère, elle pleure ; elle pleure aussi quand elle est triste, c’est pourquoi sa montagne est assez humide.

– Mais pourquoi est-elle triste ? Je ne veux pas qu’elle soit triste moi !

– Peut-être parce qu’elle a croisé un chat noir. Mais rassure-toi ! Le plus souvent elle ne pleure pas, elle préfère cueillir des marguerites. Elle aime jouer au jeu de « je t’aime » en ôtant un à un les pétales des marguerites de ses doigts de rose. Elle se demande si elle aime les chats noirs un peu, beaucoup, à la folie ou pas du tout… et toujours elle constate qu’elle ne les aiment pas du tout.

– Ce n’est pas très gentil ce que tu me dis là.

– Je plaisantais Darwin. En réalité l’Aurore aux doigts de rose préfère souffler sur les aigrettes des Dent-de-lion. Elle les souffle de son souffle divin et ce blanc coton s’envole jusqu’à Lune, cette toute divine, cette sœur. Lune le renvoie de son souffle divin et cristallin, il retombe sur nous en froids flocons.

– Aime-t-elle les autres fleurs ?

– Mais oui ! Bien sûr ! L’Aurore aux doigts de roses adore les fleurs ! Tout d’abord elle adore les roses, cela se conçoit. Et elle connaît leur langage.

– Comme le petit prince ?

– Parfaitement. Mais l’Aurore aux doigts de rose connaît le langage de bien d’autres fleurs.

– Et que lui disent-elles ?

– Hé ! bien les fleurs souvent sont craintives car presque sans défense. Elles tentent de plaider leur cause afin de ne pas être cueillies.

– Ni mangées si l’Aurore emmène paître son troupeau.

– Ah ! mais si une chèvre vient à manger une fleur c’est sûrement qu’elle l’a mérité ! Certaines fleurs sont un peu sèches dans leurs propos… mais l’Aurore aux doigts de rose ne s’en formalise pas. L’une lui dit : « Ne t’assieds pas sur moi ! » Alors l’Aurore s’assied ailleurs.

– Quelle fleur lui dit cela ?

– Le Tabouret à feuilles rondes bien sûr ; et quand l’Androsace lui dit : « Ne me mets pas dans ta besace ! » Elle y met des cailloux à la place. Alors vois-tu Darwin ?… toutes les fleurs n’étant pas de très bonne compagnie, l’Aurore aux doigts de rose préfère celle des fleurs qui lui ressemblent.

– Il y a des fleurs aux belles boucles ?

– Hé ! bien il y a un Rhododendron hirsute et une Campanule barbue, mais leur poil n’est-il pas trop court pour boucler ?

– Trouvons une fleur chevelue alors !

– Mauvaise Raiponce car à ma connaissance, elle ne pousse pas dans la montagne de Savoie. Mais à n’en point douter, sa fleur préférée, hormis la rose, est sûrement la Spirée sylvestre qui porte barbe de bouc en épithète.

– N’est-ce pas plutôt l’Edelweiss ?

– Non car elle lui préfère la Biscutelle à lunettes. Et comme toutes les bergères et chevrières, elle aime aussi beaucoup l’Aconit étrangle-loup mais pas du tout la Polygale des Alpes.

– C’est compréhensible.

– Mais sais-tu que de ses doigts de roses l’Aurore cueille le fruit du Raisin d’ours ?

– Il est comestible ?

– Elle ne le mange pas.

– Pourquoi le cueille-t-elle alors ?

– Mais au cas où elle croiserait un ours en redescendant de la montagne bien sûr.

– En croise-t-elle souvent ?

– Non car ils ont disparu depuis longtemps de la montagne de Savoie.

– Et que fait-elle une fois redescendue de la montagne ? Elle trait ses chèvres ?

– Elle le voudrait bien mais elle ne peut pas atteindre sa maison parce que son frère a empilé tous ses moutons dans le fond de la vallée. Il en a tellement que cela dépasse le toit de sa maison, on dirait une mer toute blanche qui renvoie l’éclat de son visage. C’est très beau mais très gênant. Alors l’Aurore aux doigts de rose supplie son frère : « Oh ! C’est assez comme ça mon frère ! Va-t-en ranger tes moutons ailleurs ! » Tout d’abord Hélios en rit. Alors elle pleure, et lui, commandant à ses chevaux, il s’en va ranger ses moutons de l’autre côté de la terre, mais il y en a toujours qui lui échappent et s’en vont boire au ruisseau des larmes de l’Aurore aux doigts de rose. Alors ils se sentent légers, légers, et ils s’envolent dans le ciel.

– Et l’Aurore dans tout cela, peut-elle enfin traire ses chèvres ?

– Oui mais pas avant d’être allée voir les arbres près de sa maison. D’abord elle s’en va voir le tilleul au goût de miel…

– N’est-ce pas plutôt le miel qui a le goût du tilleul ?

– Possiblement. Donc elle s’en va voir le miel au goût de tilleul… non… voilà que tu m’as fait perdre le fil de mon récit… Bon ! Elle s’en va voir le tilleul qui donne son goût au miel et lui dit : « Tilleul ! J’aimerais abaisser tes basses branches et en donner les feuilles à manger à mes chèvres ? Y consens-tu ? » Ce à quoi le tilleul répond : « Si tu fais cela elles mangeront mes fleurs et tu n’auras pas de tisane cet hiver. » « C’est juste ! » répond l’Aurore aux doigts de rose avant de s’en aller voir le bouleau pour lui dire : « Bouleau ! J’aimerais abaisser tes basses branches et en donner les feuilles à manger à mes chèvres ? Y consens-tu ? » Ce à quoi le bouleau répond : « Je n’ai pas de basses branches ! » « C’est juste. » répond l’Aurore aux doigts de rose avant de s’en aller voir l’Erable pour lui dire : « Erable ! J’aimerais abaisser tes basses branches et en donner les feuilles à manger à mes chèvres ? Y consens-tu ? » Ce à quoi l’Erable ne répond rien. « Il doit dormir, nous reviendrons lui poser la question demain. » dit l’Aurore aux doigts de rose avant de s’en aller voir l’Orme pour lui dire : « Orme ! J’aimerais abaisser tes basses branches et en donner les feuilles à manger à mes chèvres ? Y consens-tu ? » Ce à quoi l’Orme répond : « Je ne suis pas un Orme, je suis un Tilleul ! » « Oh ! le pauvre !… » dit l’Aurore aux doigts de rose à ses chèvres « …il se prend pour un tilleul. Ne l’accablons pas plus qu’il ne l’est et allons voir s’il reste quelques feuilles aux basses branches du frêne. »

 

– Et maintenant l’Aurore peut enfin les traire !

– Parfaitement, et je ne m’étendrai pas sur le sujet. Mais puisque tu es si pressé de les voir traites, sache que le chat n’a pas le droit de goûter au lait de chèvre.

– Pourquoi ?

– Parce que ce serait comme donner de la confiture aux cochons.

– Ce n’est pas juste !

– C’est ainsi. Maintenant la journée de l’Aurore aux doigts de rose s’achève et ses cheveux ont perdu leurs belles boucles, elle s’en va s’asseoir dans le champ qui jouxte sa maison et elle contemple la vallée en souriant. Son chien vient à ses côtés et pose sa tête sur ses genoux. Elle lui caresse tendrement la tête de ses doigts de rose.

– A son chien ? Tu veux dire son chat, n’est-ce pas ?

– Oh ! non Darwin ! Sans aucun doute c’est de son chien dont il s’agit. Et puis ses chèvres viennent aussi à ses côtés. Elles lui mordillent les cheveux pour leur redonner leurs belles boucles. Ainsi la boucle est bouclée et l’Aurore aux doigts de rose s’endort dans son berceau de brume. Ainsi comme dans les épopées, une nouvelle journée pourra commencer quand l’Aurore aux doigts de rose se sera levée de son berceau de brume.

 

Ainsi fut ma première entrevue avec les chèvres marron.

 

Darwin.

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