Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Darwin Le Chat
3 octobre 2015

Macadam, quel bazar !

Chalut.

 

Aujourd’hui je vais vous conter une soirée de la fête nationale qui fut tout à fait mémorable. D’ordinaire je me contente de regarder le feu d’artifice de mon toit mais il advint un petit événement vers le 10 juillet 2013 : mon frère me rendit une visite inattendue alors qu’en général c’est plutôt moi qui les retrouve, lui et son inséparable Burbulle, sur le très grand bloc. Il ne fit pas le déplacement sans raison mais pour m’annoncer une grande nouvelle :

– Darwin ! Mon frère ! J’ai une grande nouvelle à t’annoncer !

– Dis-moi P’tit Gris ?

– Devine qui vient à Lyon le 14 juillet ?

– Je ne sais pas ? Le président de la République ?

– Et qu’est-ce que j’en aurais à foutre de cette rose en plastique fanée ? Non ! Cherche un truc qui nous intéresse vraiment !

– Dis-moi ! Ce sera plus rapide !

– Ok ! Si tu veux. Eh  bien sache que le Macadam Bazar vient jouer dans notre quartier !

– Non ! C’est bien vrai ? Mais où ? Où mon frère ?

– Juste à côté. Sur les quais, en face des hospices civils.

– C’est bien vrai ?

– Mais oui ! C’est dans le programme !

– Oh ! mais en voilà une grande nouvelle ! On ne peut pas rater ça ! Il nous faut les voir !… Oui mais… comment ferons-nous ? Il n’y aura peut-être pas de voitures sous lesquelles se cacher à proximité et les toits sont difficiles d’accès.

– Hé ! bien je pensais que tu pourrais venir sur notre bloc, on entendra assez bien de l’extrémité nord-ouest.

– Mais avec les arbres on ne verra pas du tout la scène ! Oh ! ce serait trop dommage ! Il nous faut monter sur le toit des hospices.

– On n’est jamais allés là Darwin. Ce bloc est un casse-tête pour les De Gouttière.

– Pas si Odette nous trouve un accès au toit et nous ouvre les portes.

– Hé ! bien, si Odette est d’accord, je te suivrai volontiers.

 

Je ne sais pas si vous connaissez le Macadam Bazar très cher lecteur, très chère lectrice, ce n’est certes pas un groupe qu’on entend souvent à la radio mais si les humains avaient les mêmes goûts que moi et mon frère, il serait en tête des ventes. Notre passion pour leur musique notre prime jeunesse, après avoir été recueillis par Burbulle. Nous l’entendîmes pour la première fois en provenance d’un petit appartement du dernier étage du très grand bloc qui était alors occupé par un jeune homme sympathique. Dès les premières notes captées nous nous sommes arrêtés pour écouter, nous sommes regardés d’un air entendu, c’était du son pour nous ! Et puisque le jeune homme en question semblait aussi fan que nous, nous eûmes le loisir d’écouter souvent les morceaux et aussi de créer nos propres danses sur certains d’entre eux. Dès lors vous comprendrez aisément pourquoi je ne pouvais pas manquer cette occasion unique de voir en chair et en os des artistes humains dignes de notre intérêt. J’en parlai à la fée Odette dès que je le pus et elle ne me fit qu’un chantage de courte durée histoire de me faire enrager. Après quelques supplications elle fut d’accord pour exécuter mon plan et partit en éclaireuse avant de revenir une heure plus tard :

– C’est bon matou ! Je crois que j’ai un accès par le cœur du bloc. Porte électrique en bas, ce qui facilite les choses. Mais par contre, puisque je ne vous imagine guère vous promener dans les rues un soir de 14 juillet, cela suppose de passer toute la journée sur le toit.

– Oh ! ce n’est pas un problème. Une sieste de six ou sept heures fera passer le temps.

 

Voilà comment nous nous sommes retrouvés à grimper sur le bloc des hospices civils dans la nuit du 13 au 14 juillet. Nous sommes montés le plus naturellement du monde par un escalier et nous avons sauté d’une fenêtre sur un toit. La plaie des chats de gouttières lyonnais est la succession fréquente d’immeubles de tailles très différentes. C’est aussi le cas sur ce bloc mais, comme souvent sur les gros blocs, il y a des passages et nous n’eûmes même pas besoin de faire valoir nos qualités athlétiques. D’ailleurs nous n’étions pas que deux car je vis arriver P’tit Gris à notre lieu de rendez-vous accompagné de Burbulle, Passe-passe et d’une petite minette qui m’était inconnue et répondant au nom de Aïcha. Elle est marante celle-là, toute menue et bariolée, et surtout avec une toute petite voix fluette. Odette nous a menés vers un toit en terrasse où elle nous assura qu’on serait tranquilles, sans personne pour nous observer et avec potentiellement de l’ombre toute la journée. Alors, pour le coup, on n’a pas fait grand chose d’autre que pioncer jusqu’à l’heure H. Peu avant l’entrée des artistes Passe-passe tenta de grimper sur une cheminée démesurément grande afin d’avoir le meilleur point de vue. Il fut à deux doigts de réussir lors de son troisième essai et j’avoue qu’il m’impressionne par sa détente, surtout sachant qu’il n’est plus tout jeune. Odette, Riton et George, qui nous avaient rejoints, l’encouragèrent à réessayer mais c’était peine perdue. Heureusement il y avait une petite plate-forme bien située et sur laquelle P’tit Gris et moi allions pouvoir montrer nos danses, surtout notre danse du Hibou sur la chanson Ounichlibou mais qui ressemble d’avantage sans doute à une danse de kangourou.

 

Passons sur le feu d’artifice qui fut pas mal mais qualitativement un poil en dessous de l’année précédente. Au fond cela importait peu car le véritable feu d’artifice fut la prestation de haut vol du Macadam Bazar. Mazette ! Quel Bazar ! Exactement le genre de groupe qui donne sa pleine mesure en concert ! Et il faut savoir qu’ils chantent tous, sauf Julian le batteur mais qui est par ailleurs un excellent musicien. Il fit un solo tonitruant qui marqua les esprits. J’ai bien cru comprendre que certaines chansons étaient en langue tsigane, quoique j’ignore tout de la langue tsigane, mais pour ce qui est du français, vous entendrez aisément pourquoi nous avons des félinités particulières avec ce groupe. Quand vint le moment d’Ounichlibou, mon frère et moi fûmes le clou du spectacle, du moins du côté du toit vers lequel bien sûr aucun humain ne regardait : « Si j’avais su, j’aurais pas venu, maintenant qu ‘t’es là, mangeons avec les doigts ! … » Nous étions très excités et l’effet contagieux gagna Odette qui passa la plupart des chansons à danser sur les gens dans la foule, allant d’une tête à l’autre, légère comme une mouche, ou bien s’envolant soudainement telle une hirondelle. Entre les morceaux elle revenait s’asseoir entre George et Riton, passait ses bras par-dessus leur cou, eux impassibles, tout en intériorité. De tout le concert George se contenta de ce commentaire à la fin de notre chanson préférée qui n’est certes pas la plus dansante mais dont la métaphore nous passe par tous les pores : « Avez-vous entendu ? C’est une réussite à mettre pigeons voyageurs et chats de gouttière dans même phrase. » Ah quel concert ! Lors d’une chanson un peu calme, j’avoue qu’une folie me traversa l’esprit. Je pensai soudain à la vie du Macadam Bazar sur la route, à l’esprit de la liberté qu’il souffle. Je me suis dit : « Et si j’en étais ? » Sûrement que si je me présentais à eux à la fin du concert, ils se diraient : « Oh ! le superbe chat ! » Et moi, insistant un peu à tourner autour de leur camion, je saurais bien leur faire comprendre mon envie de partir. Alors j’aurais la vie bohème ! Oui mais il faudrait dire adieu aux toits de Lyon, qui sont presque tout pour moi, et aussi à mon frère, mes amis, et à la fée Odette sûrement car elle ne pourrait pas trop s’éloigner d’Andrea qui peut encore avoir besoin d’elle. Et puis aussi mettre fin à mes désirs d’écrire. Ainsi je sortais rapidement de ce rêve éveillé. Aussi les meilleures choses ont une fin. Minuit vingt, l’heure du couvre-feu municipal approchait même si le groupe en avait encore sous le coude. Tout d’un coup je m’exclamai : « Odette ! Il me faut le disque ! »

– Pourquoi faire ?

– Mais pour l’écouter bien sûr !

– T’as pas de mange-disque !

– Moi non mais je vais souvent chez des gens qui en ont. Si j’utilise leur Terre-Nette je peux bien utiliser leur mange-disque.

– Certes. Mais alors tu me demandes de voler ton groupe fétiche. Ce n’est pas très correct, surtout qu’ils n’ont pas l’air de rouler sur l’or.

– Ce n’est pas comme si j’avais le choix ! Ou alors… J’ai une idée !

– Dis toujours !

– Tu piques un billet dans le portefeuille d’un type qu’est pas sans le sous… ou alors dans la caisse de la buvette. Et tu le laisses en échange du disque.

– Bon… si ça peut te faire plaisir.

 

Voilà la fée partie direct à la buvette. Nous la perdîmes de vue mais elle réapparut dix minutes plus tard en semblant faire rouler deux lunes argentées dans le creux de ses mains, très satisfaite de son petit effet.

– Ils ont deux albums, vois-tu matou ?

– Ah ! Tant mieux. Mais les pochettes ?

– C’est plus léger comme ça ! Tu crois que je peux faire voler indéfiniment des poids sans me fatiguer ?

– Tu ne peux pas ?

– Pas sans recharger mes batteries, si je puis dire… Et puis comme on n’en a pas besoin, j’ai jeté les pochettes dans la Saône !

– Oh !

– Bon d’ailleurs je vais aller mettre les disques dans ta sous-pente.

 

Odette partit tandis que le Macadam Bazar remballait ses instruments. Riton et George s’envolèrent d’un même élan en direction de la Croix Rousse, preuve s’il en faut que ses deux là ont des affaires en commun. De notre félin côté nous n’étions pas tout à fait calmés et, hilares, on chantait à tue-tête la fin de « Ça serait bien – C’est vrai qu’au fond ch’uis qu’un salaud, si j’étais un chat monsieur… si j’étais un chat… j’ boufferais des oiseaux ! » Sur ces entrefaites la fée fait retour, nous entend et pique une colère magnifique :

– Non ! Non ! J’ai dit non ! On ne bouffe pas des oiseaux ! C’est compris ? Toi Passe-passe ! T’en bouffes des oiseaux ?

– Pas trop.

– Non ! Non ! C’est pas pas trop ! C’est jamais ! Jamais on bouffe des oiseaux ! C’est compris ? Toi Aïcha ! T’en bouffes des oiseaux ?

– Non madame, répondit Aïcha de sa petite voix fluette et en baissant la tête.

– Je ne veux pas qu’on bouffe des oiseaux ! Jamais ! Jamais ! Jamais !

– Mais enfin Odette ! Calme-toi ! Tu sais bien que nous on est surtout des glaneurs. Les oiseaux c’est vraiment exceptionnel. Et que des qu’on connaît pas !

– J ’m’en fous ! Je ne veux pas d’exception ! Sinon je vous laisse sur ce toit et c’est la fourrière qui viendra vous récupérer !

– Tu ferais pas ça Odette. Dis Odette ?

– Je vais m ‘gêner !

La voilà qui nous tourne le dos, suspendue dans sa position préférentielle pour bouder.

– Oh ! aller Odette ! Fais pas la tête ! Dis-nous Ounichlibou ? Ounichlibou Odette ? Ounichlibou ?

– Dans ton cul !

– Rôôôôôô… Allez Odette ! Ounichlibou quoi ?

 

Odette a parfois mauvais caractère mais toujours bon fond. Elle sembla oublier l’affaire du chant d’oiseaux quelques minutes plus tard. Puis la France laissa derrière elle sa fête nationale, assez rapidement car les gens rechignent à se coucher tard le dimanche, ce qui nous arrangea bien. A deux heures du matin la voie était sûre, autant dans les immeubles que sur le macadam. Nous redescendîmes de ce toit et nous nous séparâmes dans la rue Emile Zola. En quittant Passe-passe et Aïcha, j’entendis cette dernière murmurer de sa petite voix fluette : « Et des chauves-souris ? On a le droit d’en manger des chauves-souris ? »

 

Retrouvant Odette le jour suivant je voulus savoir si nous avions récompensé les artistes à leur juste valeur :

– Au fait Odette ? Combien as-tu payé les disques ?

– Payé les disques ? Ne m’avais-tu pas dit de les voler ?

– Non, nous avions convenu que tu prendrais des sous dans la caisse de la buvette.

– Ah ! oui ? Et bien justement… une fois arrivée à la buvette je me suis retrouvée à proximité d’un bac de glace à la fraise de chez Nardone. Alors je crois bien que j’ai oublié pourquoi j’étais allée à la buvette. Mais la glace étant délicieuse, vraiment, je n’ai pas fait le déplacement pour rien.

 

Bon vous voyez, nous devons quelques euros au Macadam Bazar mais j’ignore si nous pourrons un jour payer notre dette.

 

Darwin.

Publicité
Publicité
Commentaires
Darwin Le Chat
Publicité
Archives
Publicité