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Darwin Le Chat
15 janvier 2019

Qui sème le vent ?

Qui sème le vent ?

J’en reviens à cette journée vouée dans un premier temps aux boites aux lettres récalcitrante. Donc dans un second temps le vent se leva. La discussion porta rapidement sur cette constatation incontestable que le vent souffle de plus en plus souvent à Lyon. La théorie d’Aïcha sur ce sujet fit prendre à la discussion une tournure inattendue.

– C’est normal qu’il y ait de plus en plus de vent car les arbres sont très en colère.

– Les arbres sont très en colère ?

– Oui ! Et c’est normal puisque l’humain ne respecte pas la nature ! Alors les arbres, qui sont une partie de la nature, manifestent leur mécontentement. Et si ça continue ils seront tellement en colère qu’ils feront se lever un vent apte à détruire tout ce que l’humain a créé.

– Allons bon ! Voilà autre chose ! Après les égarements des boîtes aux lettres, nous voilà soumis au caprice des arbres !

– Il ne s’agit pas d’un caprice mais d’une juste révolte !

– Voyez-vous cha ? Sauf qu’aux dernières nouvelles le vent ne vient pas des arbres mais… disons des interactions entre la mer, la terre et le ciel. Les arbres ont une influence sur la météorologie mais ils ne créent pas le vent par caprice !

– Ils créent le vent mais pas par caprice ! Le vent est signe que les arbres ne sont pas satisfaits de la manière dont vont les choses. Comme ils n’ont pas l’usage de la parole, ils s’expriment corporellement, de cette expression corporelle né le vent quand elle est concertée et synchronisée.

– Synchronisée ? Explique-nous cela, histoire qu’on rigole un peu !

– Il n’y a absolument rien de drôle à cela ! C’est une question d’essence !

– Ah non ! On ne va pas se remettre à parler de voitures !

– Quand je dis « essence » c’est dans le sens de « essentiel » ! Voyez-vous ? Les hommes se sont inventé quelque chose qu’ils appellent dieu et qui est surtout une réduction à leur échelle de quelque chose de beaucoup plus grand. Puisqu’ils se prennent pour la merveille de l’univers, dans leur imaginaire, dieu étant leur créateur et leur berger, il est tout. C’est doublement une erreur puisque dieu n’existe pas et qu’il n’est en aucun cas un berger.

– Nécessairement… s’il n’existe pas, il n’est pas un berger.

– Il n’est pas un berger car il est un semeur !

– C’est donc qu’il existe.

– Non ! Il n’existe pas en tant que dieu mais en tant qu’être essentiel.

– Un être essentiel ? Et c’est quoi donc cette chose-là ?

– C’est un semeur !

– Mais encore ?

– Eh bien il sème !

– Il sème quoi ?

– Je l’ignore !

– On est bien avancés alors !

– Tout ce qu’il faut comprendre c’est qu’il sème puis il attend de voir ce qui pousse.

– Et qu’est-ce qui pousse ?

– Cha dépend. Assez souvent il ne pousse rien. Presque tout le temps en fait.

– C’est pas hyper excitant comme boulot alors !

– Ce n’est en rien un boulot.

– Oui mais au final… que récolte-t-il ce semeur ?

– Eh bien la vie ! La vie des chats et des pigeons par exemple.

– Ah ?… En fait ce que tu veux dire c’est que ce semeur sème des molécules élémentaires sur des planètes pour voir ce que cela donne.

– Je l’ignore.

– Ou peut-être même qu’il sème des planètes entières.

– C’est possible mais je l’ignore.

– Si cha se trouve il sème carrément des galaxies entières !

– C’est possible mais je l’ignore.

– Si cha se trouve il sème carrément des univers tout entiers ! Ce qui expliquerait ces histoires d’univers parallèles.

– C’est possible mais je l’ignore.

– Tu ignores tout en fait !

– Ce que je chais c’est qu’il n’y a pas de dieu qui aurait créé ex-nihilo les êtres humains à son image.

– Ah oui euh… je le chavais aussi, foi de Darwin !

– Ce que tu ne chavais sûrement pas, c’est qu’au hasard de ses semences, l’être essentiel voit parfois pousser des êtres qui, eux, sont vraiment à son image.

– Ah ! Voilà qui devient intéressant. J’espère que tu ne vas pas nous dire que tu ignores quels sont ces êtres !

– Non je ne l’ignore pas ! Il s’agit des végétaux et les arbres étant les plus majestueux des végétaux, ils sont encore plus à l’image de l’être essentiel.

– Plus que qui ? Que les herbes à chat ?

– Plus que les herbes à chat et surtout plus que les chats !

– Me voilà fort marri de ce que tu nous dis.

– Moi aussi. Mais dis-nous Aïcha ! Maintenant qu’on sait que les chats valent moins qu’un idiot d’arbre incapable de prendre la poudre d’escampette quand un type à chemise à carreaux débarque avec une hache… est-ce que ce monde-là est à l’envers au point de considérer que les pigeons valent moins que les chats ?

– Dans ce monde-là, et il n’y en a pas d’autre que celui-là auquel nous puissions avoir accès, les chats et les pigeons sont strictement à égalité. Ce qui les différencie des végétaux par contre, c’est qu’ils ne sont pas à l’image de l’être essentiel !

– En fait, si je te suis bien, la vertu essentielle de ton être essentiel c’est l’immobilisme. Ce qui me semble assez contraignant pour un genre de super dieu !

– Ce n’est pas un dieu ! Tu ne comprends rien !

– Ce que je comprends c’est qu’il ne doit pas avoir beaucoup de pouvoir pour un super dieu.

– Mais heureusement parce que sinon il risquerait de toujours tout recommencer à zéro ! Or justement, il est comme un arbre qui ne peut pas grand-chose hormis laisser s’envoler ses graines au gré du vent qu’il crée.

– Je croyais que le vent était créé par mécontentement, faut savoir ce que tu veux !

– Le vent sert à beaucoup de choses pour les êtres immobiles. Il est porteur des stratégies distantes qu’il ne faut pas confondre avec les stratégies de proximité.

– Les stratégies de proximité ?

– Oui. Par exemple c’est quand un arbre se sert d’un écureuil pour transmettre quelque chose à un autre arbre alors que l’écureuil, totalement obnubilé par son estomac, pense œuvrer dans son seul intérêt. Ou encore c’est quand des arbres de différentes sortes s’arrangent pour pousser les uns à côtés des autres pour profiter des qualités de chacun.

– C’est possible ça ?

– Mais bien sûr ! Mais comme chez les êtres mobiles il y en a qui se croient trop forts et qui préfèrent vivre entre individus de la même espèce.

– Euh Aïcha… sans vouloir te contredire… si tu vois des centaines d’arbres d’une même espèce alignés en rangs d’oignons, ce n’est pas parce qu’ils préfèrent vivre entre eux mais parce que des humains spécialisés dans l’exploitation forestière préfèrent qu’il en soit ainsi par souci de rentabilité. D’ailleurs c’est bien simple, il n’y a pratiquement pas un arbre dans ce pays qui ne soit issu d’une volonté humaine plus ou moins lointaine. Or la volonté humaine se ramène absolument et exclusivement à un terme de rentabilité !

– Ah ouais c’est comme les races de chats en fait !

– Un peu oui, mais vois-tu Riton ? A ce qu’on dit, moi je suis tout à fait proche de l’état dans lequel on a trouvé mes aïeux à l’état naturel !

– Certainement… à ce qu’on dit.

– Oui ! A ce qu’on dit !

– Il n’empêche que cela se retourne contre l’humain car les alignements forcés d’arbres leur permettent d’avoir une meilleure synchronisation quand ils veulent créer le vent !

– Ah bon ? Eh bien j’aimerais bien savoir comment ils font !

– Oh mais c’est que tu n’es pas très observateur Darwin. Si tu étais observateur tu saurais comment font les arbres pour créer le vent. Ils se penchent d’abord d’un côté puis de l’autre, et puis ils recommencent de l’autre côté et ainsi de suite. Et alors, s’ils sont des centaines ou des milliers à faire cela en même temps, ils peuvent créer un vent apte à décorner les bœufs comme on dit.

– Fort bien Aïcha. Il y a néanmoins un petit problème à ta théorie. Je n’ai pas souvent vu des arbres se pencher d’un côté puis de l’autre. En général ils se penchent tous d’un même côté, signe qu’ils sont soumis à un vent qui préexistait à leur propre penchée ! Et je dois dire que je suis désolé d’en arriver à cette conclusion puisque j’aimais beaucoup cette idée d’arbre à vent !

– Oh mais ne conclus pas trop hâtivement Darwin ! Il est possible qu’à Lyon les arbres soient tous penchés dans le même sens, mais penses-tu qu’ils soient très nombreux ces arbres lyonnais ?

– Certes non, ce n’est pas une forêt !

– Eh bien justement, ils sont soumis à un vent qui préexiste parce qu’il a été créé par des arbres beaucoup plus nombreux.

– Il est à craindre que dans les forêts la constatation soit la même.

– Comment tu peux le savoir puisque tu n’as jamais vu de forêt de près ?

– Je peux le savoir de nombreuses façons. Et par exemple par le témoignage de certains individus qui ont des ailes et peuvent facilement rejoindre la forêt la plus proche. N’est-ce pas les pigeons ?

– N’est-ce pas quoi ?

– N’est-ce pas vrai que les arbres ne se penchent pas d’un côté puis de l’autre dans les forêts ?

– Quelle forêt ?

– Mais n’importe laquelle ? Il y a bien des forêts pas bien loin ! J’en vois d’ici !

– Ben si tu les vois d’ici ! Pourquoi tu demandes ?

– Mais parce que je ne les vois pas assez bien pour savoir si les arbres se penchent tous dans le même sens ou alternativement d’un côté puis de l’autre comme le suggère Aïcha.

– Ben ça mon vieux… j’en sais pas plus que toi ! Biscotte ? T’es déjà allée jusqu’à la forêt ?

– Je ne vois pas vraiment ce que j’aurais à y faire.

– Et toi Biscuit ?

– Moi j’ai voulu aller à Fourvière une fois quand Darwin y était et tu m’as déconseillé d’y aller à cause des faucons et des corbeaux !

– A Fourvière y a pas de forêt ! Juste un petit bois !

– Et pourquoi y a des faucons et des corbeaux alors ?

– T’as qu’à y aller leur demander !

– C’est tout de même incroyable que des prétentieux dans votre genre, qui se vantent sans cesse d’être des voleurs hors-pair, n’aient jamais quitté la ville ! A quoi elles vous servent vos ailes ?

– T’as qu’à sauter du toit ! T’auras une meilleure idée !

– Hin hin !… Mais j’ai une meilleure idée justement ! Je vais attendre le retour de George et je lui demanderai. Lui au moins on est sûr qu’il a vu du pays ! Enfin ! c’est tout de même étrange de devoir passer par un oiseau marin pour avoir un témoignage sur les forêts !

– Et oui mon vieux, mais que veux-tu ? Les invasions barbares passent toujours par les fleuves et les forêts !

– Maintenant que j’y pense, il ne sera peut-être pas utile d’en passer par George. Car vois-tu Aïcha ? Même s’il est vrai que je ne connais pas plus l’océan que la forêt, s’il y a bien quelque chose qui est de notoriété publique, c’est que nulle-part ailleurs sur la terre les vents ne soufflent plus fort que sur l’océan, là-même où naissent les ouragans ! Or il est également de notoriété publique qu’il n’y a pas beaucoup d’arbres dans l’océan ! Conclusion ?

– Conclusion ? La flore marine se balance de droite à gauche et de gauche à droite et ainsi crée les vagues et les courants océaniques qui à leur tour créent le vent.

– Ah… Et elle est en colère aussi la flore marine ?

– Visiblement puisque les ouragans sont de plus en plus violents.

– Et pourquoi elle est en colère ?

– A cause du changement climatique !

– Hum… cha se tient. C’est tout en rotondité, j’aime bien.

– La rotondité c’est ma position préférentielle.

– Moi aussi. Surtout l’hiver.

– Y a plus de saisons Darwin !

 

Un peu après, Grabel et moi nous retrouvâmes seuls. Nous en profitâmes pour dormir un peu au soleil afin de profiter de ce début d’automne si chaleureux. Puis Grabel suggéra de profiter de ce début d’automne si chaleureux pour faire un concours de manger de mouches tant qu’il y en avait. Je gagnai assez facilement sous le regard sceptique de Riton.

– Au final si tu t’entends si peu avec les hirondelles c’est qu’elles empiètent ton terrain de chasse.

– Pas du tout ! Les hirondelles sont des pestes et profitent des règles éditées par Odette pour s’empester encore un peu plus. Au demeurant j’aime beaucoup les mouches... mais je préfère quand même les pigeons.

– Et oui… mais y a des règles.

– C’est pas dit qu’elles aient cours encore très longtemps…

Ce disant je m’approchai nonchalamment de Riton.

– …des fois que la fée Odette ne revienne jamais ! Si tu vois ce que je veux dire !

Riton s’envola prudemment vers la cheminée la plus proche.

– Dis donc !… Au cas où… Comme on est nombreux, tu pourrais peut-être éviter de t’en prendre à un ami.

– Effectivement je ne m’en prendrai ni à Biscuit ni à Biscotte.

– Hem… Et sinon, euh… la petite Aïcha… elle est toujours autant frappadingue non ?

– Personnellement j’ai décidé d’en retenir une chose. Je ne sais pas à qui elle a volé cette idée d’être essentiel mais je veux bien la considérer comme une hypothèse intéressante.

– Ah bon ? a dit Grabel. Mais alors, du coup il n’y a plus de dieu ?

– Plus de dieu à l’image des humains !

– Oui mais alors, dans tout cela, que deviennent Pristi et Luya ?

– On les oublie aussi, ce qui n’est pas plus mal car le cas échéant nous pourrons boire tout le lait qu’on veut !

– Oui mais si c’est le prêtre qui amène le lait ? Nous n’allons tout de même pas voler un prêtre.

– Non, tout de même pas. Eh bien tant pis, nous mangerons des mouches puisque la semence de l’être essentiel a fini par donner des mouches en veux-tu en voilà !

– Mais alors du coup ? S’il y a un être essentiel, alors c’est donc bien des arbres que naît le vent ?

– Non point Grabel ! Ou alors il faudrait considérer que les arbres sont soit suicidaires soit des assassins avec circonstances aggravantes. Je n’avais pas l’intention de contredire Aïcha outre mesure mais… laisse-moi te raconter une histoire !

– Je t’écoute.

– Non attends ! Comme je ne vais pas la raconter deux fois, je crois qu’il conviendrait de convier Philémon et les autres pigeons.

 

Nous nous rassemblâmes assez nombreux dans la sous-pente et je leur contai une longue histoire, juste à des fins éducatives. Je vous la conterai sûrement un jour.

 

Darwin.

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