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Darwin Le Chat
3 novembre 2019

Riton, Pigeon Spatial

Riton, Pigeon spatial !

Vous vous souvenez du jour de l’automne 2018 où Aïcha a théorisé sur les arbres. Ce jour-là, après avoir battu Grabel au concours de manger de mouches, je fis battre le rappel et tous ceux qui avaient écouté l’histoire de Aïcha (y compris elle-même) furent de retour. Philémon se joignit également à nous.
– Les amis, comprenez bien que l’hypothèse de Aïcha à propos des arbres est très intéressante mais elle a le défaut de ne pas avoir été validée scientifiquement par les humains.
– Et alors ? protesta Aïcha. Les humains ignorent plein de choses !
– Certes mais ce que j’aimerais signaler c’est que certaines choses qu’ils ont découvertes sont tout à fait extraordinaires et feraient presque passer tes théories comme parfaitement rationnelles en comparaison.
– Qui a dit qu’elles n’étaient pas rationnelles ?
– Ben, disons qu’ici même pas grand monde y croit n’est-ce pas ?
– C’est parce que vous n’avez pas la sensibilité qui permet de comprendre les choses invisibles à l’œil.
– Peut-être mais c’est justement là où je veux en venir. Chez les humains c’est un peu pareil, ils croient ce qu’ils voient ou ce qui a été ancré dans leur esprit collectif génération après génération. C’est si vrai que parfois les scientifiques qui font les plus grandes découvertes en doutent eux-mêmes. Souvent ils commencent par se dire : « Mais non ! Cela ne peut pas être ainsi ! » Alors ils refont leurs calculs et s’ils retrouvent à chaque fois le même résultat, ils finissent par se dire : « Mais si ! C’est bien ainsi que les choses se passent ! C’est fou !» Eh bien figurez-vous qu’à l’heure de Terre-nette ces choses qui ont fini par être admises par la majorité des scientifiques peuvent être facilement connues de tous et toutes. Avant, quand un type voyait tomber une pomme et en déduisait toute une théorie sur la chute des corps, cela révolutionnait la science mais la plupart de ses contemporains l’ignoraient. Désormais tous ceux qui ont Terre-nette peuvent, s’ils le veulent, essayer de comprendre les connaissances accumulées par les plus illustres des scientifiques à travers l’histoire. Et devinez quoi ?
– Quoi ?
– Tout le monde s’en fout !
– Comment cela tout le monde s’en fout ?
– Ce que je veux dire c’est que les scientifiques ont appris des choses s’y invraisemblables que pour le commun des mortels cela dépasse l’entendement. Les choses les plus rationnelles deviennent pratiquement les plus magiques, on pourrait dire divines et insaisissables. Et donc on pourrait aussi penser que tous ceux qui croient qu’il y a un dieu, quel qu’il soit, qu’il ait Pristi ou Luya assis à sa droite, s’intéressent de très près à toutes ces découvertes scientifiques qui, peut-être, nous rapprochent peu à peu du grand mystère de la vie et de l’univers. Eh bien ils s’en foutent !
– Comment cela ils s’en foutent ?
– Bon, j’exagère, ils ne s’en foutent pas tous. Certains s’y intéressent de près, d’autres d’un peu plus loin, d’autres ne veulent rien en savoir. Certains y entendent quelque chose, pour d’autres c’est plus difficile à comprendre même quand ils pensent que c’est digne d’intérêt. Tout cela mélangé nous permet d’arriver à la conclusion qu’en moyenne les humains passent plus de temps à se demander de quelle couleur il convient de choisir une Nissan Juke pour qu’elle passe la moins inaperçue qu’aux conséquences d’un voyage à la vitesse de la lumière !
– Pour ta gouverne Darwin ! On ne peut pas aller à la vitesse de la lumière !
– Très bien Biscuit. Explique-nous cela car c’est tout à fait mon propos !
– Je ne vais pas t’expliquer cela mais je le sais. Les chats et les chiens croient qu’ils sont les seuls à partager les connaissances des humains parce qu’ils passent le gros de leur temps à buller devant des télévisions toujours allumées. Mais on t’a déjà dit que chez nous l’information circule aussi très bien !
Tous les pigeons présents approuvèrent.
– Cela ne nous dit pas pourquoi l’on ne peut pas aller à la vitesse de la lumière.
– Pas besoin de savoir pourquoi, c’est juste un fait !
– Pour ta gouverne Biscuit, d’après ce que j’ai compris, une particule ayant une masse non nulle dans l’espace-temps ne peut pas atteindre la vitesse de la lumière dans ce même espace-temps car cela lui demanderait une énergie infinie. C’est ce que j’ai compris de la théorie.
– Peu importe, j’ai raison.
– Oui mais imaginons qu’on puisse aller à 10 % de la vitesse de la lumière en apportant suffisamment d’énergie à un vaisseau spatial.
– 10 %, pourquoi pas ? Mais 10 % ce n’est pas 100 % !
– Oui mais c’est déjà très rapide car la lumière va à la vitesse de…
– 300.000 kilomètres par seconde ! Tous les pigeons le savent !
– Plus précisément 299.792 kilomètres, 458 mètres et des poussières.
– Tu chipotes pour faire ton intéressant Darwin, ton égocentrisme te perdra !
– Je ne chipote pas car il est bien d’être précis. Au bout de mon raisonnement vous en saurez d’avantage sur la longévité des fées !
– Quel est le rapport avec la longévité des fées ?
– Patience. Sachez que mon intérêt pour ceci a commencé quand Odette a prétendu devoir me jeter dans un trou traversant la lune de part en part. Je lui ai assuré que c’était chose impossible car à l’évidence c’est impossible. Cependant je voulais compléter ma réflexion et formuler formellement la raison de cette impossibilité. Je suis allé regarder les livres sur les étagères de Grabelot et grâce à ma très bonne détente j’ai réussi à faire tomber un petit livre jaune qui m’a semblé traiter du sujet. Finalement sa lecture ne m’a rien appris des trous sur la lune quoiqu’il y soit beaucoup question de trous.
– Je me souviens très bien de ce livre ! a dit Grabel. Je l’ai pris sur la tête.
– Oui c’est vrai mais comme il était petit… Bref, si Mr Grabelot n’était guère un humain qu’un chat gagne à posséder, il avait au moins le mérite de posséder de bons livres. Grâce au petit livre jaune j’ai appris que les humains ne font pas trop les malins quand il s’agit de s’attaquer à des choses tout à fait minuscules, pas plus que quand il s’agit de s’attaquer à l’immensité de l’espace dans lequel ils se sentent, à juste titre, tout petits.
– Tout petits comment ? Comme des fourmis ?
– Encore beaucoup plus petits que ça. Notamment quand il s’agit de comparer la vitesse de leurs meilleures fusées par rapport à la vitesse de la lumière. A l’heure actuelle ils ont difficilement atteint les 14 kilomètres par seconde mais comme on dit qu’on est dans une aire de progrès formidablement rapide…
– Ah ça c’est sûr qu’ils progressent formidablement vite dans la destruction de la planète !
– Aussi, mais c’est une très bonne raison pour chercher une nouvelle planète habitable dans un autre système.
– N’importe quoi ! Le système le plus proche est à près de 5 années-lumière, tous les pigeons savent ça !
– Et alors ?
– Alors même s’ils avaient un vaisseau qui va à 10 % de la vitesse de la lumière, il leur faudrait un temps fou pour l’atteindre.
– Fort bien. Alors supposons qu’ils arrivent à construire un vaisseau qui va à 99,99 % de la vitesse de la lumière. Rien en théorie n’interdit de construire un tel vaisseau puisque 99,99 % ce n’est pas 100 %, n’est-ce pas ?
– Chipoteur !
– Chat chipoteur !
– A l’école des chorchiers !
– Vous ne m’aidez pas beaucoup à établir mon raisonnement, bande de rigolos !
– Parce qu’en plus il faut t’aider ?
– Oui ! Ou au moins ne pas m’empêcher de raisonner !
– Personne ne t’empêche de raisonner, on te signale juste quand tu déraisonnes !
– Est-ce que c’est déraisonner de dire qu’en théorie, s’ils apportent toujours plus d’énergie au moteur d’un vaisseau, alors les humains pourraient très bien atteindre 99,99 % de la vitesse de la lumière.
– Soit ! Mais à supposer que le système le plus proche possède une planète dont ils supposeraient qu’on peut y respirer, hypothèse douteuse, quels humains voudraient quitter la terre pour s’enfermer 5 ans dans un vaisseau ?
– Non pas 5 ans justement.
– Ben si !
– Ben non. Et puis au pire ils pourraient les passer à dormir, comme dans les films.
– Les mauvais films tu veux dire.
– Peu importe puisqu’ils n’auraient pas à dormir 5 ans.
– Ben si. C’est mathématique.
– Ni mathématique ni physique ! Je vous explique pourquoi si vous voulez bien imaginer que les humains trouveront dans l’année à venir un moyen révolutionnaire de construire un vaisseau spatial capable d’aller à 99,99 % de la vitesse de la lumière. Simple hypothèse. Vous voulez bien l’imaginer ?
– Si ça permet d’en finir plus vite. Et donc ?
– Ils ont un vaisseau mais comme ils ne sont pas toujours très courageux, peut-être qu’aucun humain n’osera faire le premier voyage à cette vitesse. Alors ils chercheront un désigné volontaire chez une espèce animale réputée pour son courage ; par exemple…
– Les pigeons ! Qui d’autre ?
– Oui possiblement les pigeons. Mais parmi les pigeons il faut encore en choisir un qui se distingue particulièrement par son courage.
– Comme moi !
– Non moi !
– Moi par exemple ! Qui d’autre ?
– Je précise que c’est possiblement un voyage sans retour !
– Ils n’ont pas prévu de retour ?
– Si bien sûr. Mais la conquête spatiale ne se passe pas toujours aussi bien qu’ils le souhaitent. Alors ? Un volontaire ?
– …
– …
– Tout le monde se dégonfle ?
– T’as qu’à y aller toi dans le vaisseau spatial !
– A l’aise que j’y vais ! D’ailleurs les chats sont sûrement plus courageux que les pigeons !
– Non je ne crois pas ! Avec ou sans retour, moi j’y vais dans le vaisseau !
– Très bien. Donc nous avons Riton comme volontaire pour voyager quasiment à la vitesse de la lumière.
– Qu’est-ce qu’il faudra que je fasse ?
– Quasiment rien. Les humains te mettront derrière un hublot pour que tu puisses admirer le paysage et ce sera parti ! La seule chose que tu devras faire c’est surveiller l’horloge !
– L’horloge ?
– Oui. Tiens-toi en forme car ce sera dans un an ! 29 septembre 2019, le vaisseau spatial décolle à zéro heure tout pile ! Le voyage doit durer 24h ! Quand l’horloge de bord te dira qu’il est midi pile le 29 septembre 2019, tu appuieras avec ton bec sur le bouton rouge qui sert à enclencher le voyage de retour.
– Très bien. Mais alors si je comprends bien dès que le voyage commence, direct je suis quasiment à la vitesse de la lumière ?
– Oui. Comme dans les mauvais films de science-fiction.
– Cela ne risque pas de secouer un peu ?
– Un peu beaucoup je pense mais pour faciliter les calculs on va dire que non. Hop ! A peine parti déjà à pleine vitesse. Un genre de vaisseau-catapulte !
– Très bien. Alors je vais où ?
– Peu importe, c’est juste un essai du vaisseau !
– Je peux quand même aller voir Jupiter de près ?
– Ah mais tu peux aller beaucoup plus loin que ça ! Tu verras toutes les planètes que tu veux. Tu pourras faire plusieurs fois le tour du système solaire d’ailleurs !
– C’est déjà pas mal.
– Oui ! Alors te voilà parti ! Après Rhésus le macaque, premier mammifère ayant expérimenté l’apesanteur, après Laïka la chienne, première terrienne dans l’espace, morte pour la cause…
– Elle est morte ? a demandé Aïcha.
– C’était prévu comme ça !
– Ah mais attends ! Mon vaisseau lumière il est prévu pour que je revienne intact ?
– Oui comme je te l’ai dit ! 24h après ton départ t’es de retour !
– Je préfère ça !
– Je reprends… Après Ficelette, première française en apesanteur, sacrifiée sur l’autel du progrès…
– Elle aussi ?
– C’était prévu comme ça !
– C’était une chienne ou une macaque ?
– Une chatte !
– Ah ben alors c’est moins grave !
– Mais non c’est dégueulasse au contraire ! Qu’est-ce qu’elle a eu ?
– Ils l’ont euthanasiée pour l’autopsier !
– Ah les salauds !
– Ah mais attends ! Moi ils ne vont pas m’euthanasier à mon retour, hein ?
– Depuis le temps les humains ont fait des progrès figure-toi ! Au pire ils te mettront dans un IRM, ça ne prendra que quelques minutes.
– Je préfère ça !
– Donc après Rhésus, Laïka, Ficelette et bien d’autres, Riton le Pigeon s’apprête à rentrer dans l’histoire en étant le premier terrien à s’affranchir réellement de l’attraction terrestre, à dépasser Mars et toutes les autres planètes, à voyager quasiment à la vitesse de la lumière, une pluie de records ! Riton le Pigeon, à jamais le premier !
– Dit comme ça, ça en jette !
– Un peu que ça en jette ! Donc te voilà parti et comme convenu tu enclenches le voyage retour quand l’horloge de bord te dit qu’il est midi ; d’accord ?
– Oui ben c’est bon ! Si y a que ça à faire c’est pas la peine de le répéter dix fois !
– Parfait ! Alors tout se passe comme prévu. Le 29 septembre 2019 à minuit, sous une nuit si claire qu’il te semble faire encore jour, tu atterris au beau milieu du stade de Gerland !
– Plutôt au stade des Lumières ! Cela me semble beaucoup plus à propos !
– Le stade des Lumières est devenu le Groupama stadium !
– Je sais mais beurk ! Quelle chiée ! Les humains n’ont vraiment honte de rien !
– Surtout pour des joueurs qui n’apportent aucune assurance.
– Cela dit ce ne sont pas des lumières non plus. Mais de toute façon mieux vaut atterrir à Gerland car tu seras plus près du pôle technologique où tu vas faire des analyses en rentrant. Et puis si ton vaisseau ravage la pelouse mieux vaut que ce soit sur un terrain de rugby.
– Pas faux.
– Donc après une petite séance d’IRM les humains te disent : « Riton le pigeon, mission accomplie ! Vous êtes en excellente santé et pouvez rentrer chez vous ! »
– C’est tout ? Je ne pars pas à New-York parader sur la 5ème avenue juché sur le pare-brise d’une Cadillac ?
– Non ! Ils réservent ça au premier humain qui fera le voyage maintenant qu’on sait que c’est sans danger pour un terrien !
– Ou pas.
– Bravo la gratitude !
– Mais pour te féliciter la fée Odette t’offre un an de farcie rien que pour toi ! Donc la première chose que tu dis en rentrant au bercail tandis que tous les habitants du toit t’assaillent de questions c’est : « Si quelqu’un a picoré ma farcie ça va chier ! »
– Un peu que ça va chier !
– Et voilà ! La preuve qu’on aura retrouvé notre Riton exactement comme il sera parti. Comme quoi les voyages dans l’espace sont totalement inoffensifs.
– Ou pas.
– Et ainsi la vie reprendra son cours !
– Et c’est tout ? Fin de l’histoire ?
– Apparemment !
– C’est nul !
– Attendez ! En apparence ce sera fini mais il y a une astuce. Car après s’être soucié de sa farcie, que croyez-vous qu’il dira Riton ?
– Eh bien peut-être qu’il daignera nous dire qu’est-ce que ça fait de voir Jupiter de près ?
– Je ne suis pas sûr que voyager à plus de 299.000 kilomètres par seconde soit la meilleure façon d’admirer Jupiter ; ou alors en prenant du recul.
– Alors ce serait pas mieux d’aller moins vite et de faire une seule fois le tour du système solaire ?
– Sans doute mais ce n’est pas cela qu’on veut ! Voilà ce que dira Riton après avoir pris sa ration de farcie. Il dira : « Bon sang ce que ça caille ! »
– Le 30 septembre 2019 ça va cailler ?
– Statistiquement guère plus que le 29. Mais il y a de très grandes chances que Riton ait froid peu après son retour.
– Pourquoi ? Ça rend frileux les voyages dans l’espace ?
– Pas nécessairement !
– Alors pourquoi il aura froid Riton ?
– Parce qu’il se croira le 30 septembre 2019 mais qu’on sera le 7 décembre ! Revenu pile à temps pour la fête des lumières !
– Tu viens de dire qu’il rentrait le 29 septembre à minuit !
– Quand le vaisseau s’arrêtera, Riton regardera son horloge de bord ; elle lui indiquera qu’on est le 29 septembre à minuit, la preuve qu’il aura bien voyagé durant 24h. Il reviendra dans la sous-pente sans plus se soucier de l’heure qu’il sera, mangera sa ration de farcie, puis il trouvera le fond de l’air vraiment frais. Simplement parce que durant son voyage de 24h nous aurons vu le soleil se lever et se coucher 70 fois et comme on sera le 7 décembre, il est fort probable qu’il fera froid même s’il est vrai qu’il n’y a plus de saisons !

Là il y a eu un petit instant de silence durant lequel oiseaux et chats se regardèrent en se demandant sans doute lequel allait le premier exprimer son point de vue. Ce fut Riton :
– Dis Darwin ! T’en as pas marre de raconter des conneries plus grosses que toi ?
– Ce n’est pas moi qui le dis mais les humains ! Et pas n’importe lesquels, ceux qui écrivent des petits livres jaunes, qui ont la tête dans les étoiles ou dans les particules, ce qui est souvent la même chose !
– La tête dans les particules ? Cela me fait vraiment penser où toi t’as la tête plus souvent qu’à ton tour !
– Figure-toi que la science des particules, donc de l’infiniment petit, rend aussi compte de l’infiniment grand ! Et ce depuis plus d’un siècle.
– Un siècle de 100 ans ou de 7.000 ans ? Gros malin !
– Gros malin toi-même ! Je te parle de 100 ans pour nous ici, posés sur le toit d’un immeuble posé sur la terre ! Un an c’est le temps qu’il faut à la terre pour faire le tour du soleil. Donc si tu t’en vas très loin de la terre tu n’auras plus aucune raison de te référer à la manière dont la terre tourne autour du soleil !
– Alors pourquoi ils vont me mettre une horloge dans mon vaisseau ?
– Mais cette horloge ne te servira pas à calculer l’heure qu’il sera à Lyon pendant que toi tu te tapes un énième tour de l’univers. Elle te servira à compter les secondes écoulées depuis ton départ. Avant les astronomes regardaient des objets célestes et ils savaient quand il s’était écoulé une journée entière ou une année entière. En se disant : « Ceci est une journée entière » je suppose qu’ils ont ensuite décidé de découper cette journée en 24, ce qui a donné les heures, puis ces heures ils les ont découpées en 60 parties, ce qui a donné les minutes, puis ces minutes ils les ont découpées en 60, ce qui a donné les secondes.
– Et pourquoi pas 30 ou 1.000 ?
– Ils ont fait des choix sans doute en fonction de très anciennes manières de faire de la géométrie, de calculer des distances, peu importe. Quand le soleil est au plus haut dans le ciel, on peut convenir qu’il est midi. En réalité les humains ont depuis longtemps cessé de regarder les ombres solaires pour savoir quand il est midi. Ils regardent les horloges et ils se disent ; « Tiens, il est midi ! » C’est pour cela qu’ils peuvent convenir d’avoir un midi d’horloge qui n’est même pas un midi du soleil, ce qui est important pour eux c’est de pouvoir se dire : « Il est midi d’horloge, je vais manger et je reviens dans deux heures pour voir si mes sous ont fait des petits durant mon repas ! » Mais même ainsi les choses ne sont pas si simples, car ce n’est pas facile de construire des horloges. Si par exemple on est capable de dire très précisément quand il est midi au soleil en regardant une ombre et qu’on met en route une horloge à cet instant précis et que cette horloge décompte chaque seconde les unes après les autres, si on ne change pas de place, quand elle aura décompté 24 fois 3.600 secondes, donc fait 43.200 fois Tic et 43.200 fois Tac, alors normalement on saura qu’il est de nouveau midi au soleil. Et partout sur la terre où l’on répétera l’opération, on aimerait qu’il en aille ainsi. Mais même si on était capable de construire des horloges qui soient toutes les mêmes et toutes de très bonne qualité, on se rendrait compte que parfois elles disent qu’il est midi alors que l’ombre dit qu’il n’est pas midi, que certaines sont en avance et d’autres en retard. Cela est normal car en plus des infimes défauts de fabrication des meilleures horloges, la rotation de la terre est loin d’être uniforme, elle dépend des tremblements de terre, des marées solaires et lunaires et de pleins de choses plus ou moins calculables. Donc les humains ont tenté et appris à remettre régulièrement les choses à plat de façon coordonnée ou individuelle. Ils font de leur mieux pour synchroniser les horloges. Il est évident que si l’horloge de quelqu’un finit par lui dire qu’il est midi alors que manifestement il fait nuit, il est temps pour lui de la remettre à l’heure en se référant à une autre horloge réputée être à l’heure ou d’en changer. Mais pour la communauté des humains c’est devenu de plus en plus important de pouvoir calculer le temps qui passe de manière réellement universelle et précise, surtout quand ils ont commencé à se déplacer avec des trains et des avions, puis à envoyer des satellites dans le ciel. Alors ils ont décidé de décompter le temps en secondes et de définir plus précisément ce qu’est une seconde grâce à leur connaissance des atomes. Bien sûr on peut encore dire que, globalement, une seconde est la 86.400ème partie d’une journée qui passe sur la terre, mais désormais les scientifiques la définissent à partir de la physique d’un atome de Césium 133.
– Un atome de quoi ?
– Peu importe, c’est un atome qui irradie ! Un truc tout à fait minuscule avec un noyau encore plus minuscule et des électrons minuscules qui tournent autour. Toujours est-il qu’avec des horloges atomiques les humains peuvent calculer un temps universel qui est d’une très grande précision, les horloges atomiques réparties sur la terre sont très très bien synchronisées entre elles. Et c’est grâce à elles qu’on peut en revenir à notre sujet. Car dans ton vaisseau, Riton, les humains vont mettre une de ces horloges atomiques. Le noyau d’un atome de Césium 133 est si instable qu’il envoie des milliards de radiations à chaque seconde qui passe. Or, si Riton se fie à son horloge atomique de bord, il voyagera durant 86.400 secondes et les atomes de Césium 133 qui sont à bord auront envoyé près de 800.000 milliards de radiations chacun !
– Nom d’un chat ! Je vais être contaminé !
– Mais pas du tout ! Ce que j’essaye de vous faire comprendre c’est que durant ce temps-là les atomes de Césium 133 des horloges atomiques restées sur terre auront envoyé plus de 56 millions de milliards de radiations chacun, près de 71 fois plus ! Donc sur la terre il se sera écoulé près de 71 jours ; plus précisément 70 jours 17 heures 5 minutes et 16 secondes. Pour le dire autrement Riton aura vieilli moins que nous.

De nouveau il y eut un instant de silence, le temps de quelques milliers de milliards de radiations de Césium 133. George s’exprima enfin :
– Well ! Ceci est difficilement croyable ! Quel rapport entre le Césium et Riton qui est un être vivant ?
– Constitué de particules ! Si le temps s’écoule moins vite pour les particules qui composent Riton, il doit aussi s’écouler moins vite pour Riton !
– Mais alors ! a dit Aïcha. Riton peut aller dans le futur ?
– Un peu que je vais aller dans le futur ! Ah ben merde alors ! En voilà un truc fameux ! Et encore plus loin dans le futur non ? C’est possible d’aller plus loin dans le futur Darwin ?
– Théoriquement tout est possible, il suffit de se rapprocher encore un peu plus de la vitesse de la lumière. Par exemple si tu voyages à 99,999 % de la vitesse de la lumière, à chaque seconde passée dans ton vaisseau il s’écoulera plus de 223 secondes sur la terre. Donc si tu voyages durant, disons un mois à cette vitesse, il s’écoulera 223 mois sur la terre, ce qui veut dire que tous autant que nous sommes, nous seront morts quand tu reviendras ! Sauf peut-être les plus jeunes chats d’entre nous !
– Non je ne crois pas ! a protesté Biscuit. Parce qu’avec sa farcie, Odette m’a promis que je battrai des records de longévité ! J’ai bien l’intention de voir la fin du monde !
– Au rythme où vont les choses, si Riton voyage un an à cette vitesse-là, soit il revient au milieu d’une ville en ruine peuplée de chats encore plus dégénérés qu’aujourd’hui, soit au milieu d’un vaste désert radioactif.
– Ou au milieu d’un champ de bataille de robots !
– Ou au milieu d’une civilisation dominée par les pigeons qui m’attendront comme le messie !
– Ou par des rats qui t’attendront de pied ferme !
– Ou peut-être que rien n’aura beaucoup changé sauf qu’on aura de nouveau ravalé la façade et que la rue sera envahie de trottinettes sans roulettes et de Nissan Juke électriques 7ème version qui auront la particularité d’être encore plus moches que les versions précédentes.
– Vu comme ça, mieux vaut ne pas s’éloigner plus d’un jour ou deux !
– Non mais vous vous entendez ? a dit Philémon. Darwin vous raconte une histoire à dormir debout et vous vous le croyez sur parole ! Tout ceci c’est n’importe quoi ! J’ai des humains figurez-vous ! Et ils sont très cultivés ! Si un truc comme ça était possible ils en auraient déjà parlé ! Ce serait même nécessairement un sujet assez commun de discussion. Darwin affabule par jeu ou par ignorance !
– J’ai lu cela dans un livre écrit par un grand scientifique et en outre je me suis renseigné sur Terre-nette. Donc tu ne peux pas dire que j’affabule.
– Soit tu as mal compris, soit ce livre était une farce. On ne peut pas voyager plus vite que la lumière de toute façon, donc ton histoire ne tient pas debout.
– On ne peut pas voyager plus vite que la lumière dans l’espace-temps c’est vrai. Mais je n’ai dit nulle-part que Riton allait voyager plus vite que la lumière.
– Mais tu as dit des choses totalement contradictoires ! Parce que selon toi Riton va voyager durant 24h à près de 300.000 kilomètres par seconde. Or son vaisseau sera construit ici sur la terre par des humains. S’ils arrivent à construire un vaisseau qui va presque à la vitesse de la lumière il dépassera l’orbite lunaire en moins de deux secondes…
– Oui ! Et celle de mars en un peu plus de 4 minutes ! Du moins si le vaisseau se dirige dans le plan orbital, rien ne l’interdit de partir tout droit vers le nord.
– Très bien. Donc il voyage comme ça, non pas durant 24h mais plus de 70 jours selon notre point de vue de terriens. Donc à la fin il aura parcouru non pas 86.400 fois 300.000 kilomètres, mais plus de 70 fois 86.400 fois 300.000 kilomètres.
– Précisément 1.831 milliards 352 millions et 101.002 kilomètres ! Soit plusieurs fois le tour du système solaire.
– Sauf que tu as dit que pour lui il s’écoulerait seulement 24h ! Ce qui veut dire que de son point de vue, il aura été 70 fois plus vite que la vitesse de la lumière ! Et voilà qui t’en mouche un groin !
– Euh… Laisse-moi réfléchir à cela deux minutes !
Ce que je fis sous le regard narquois de Philémon et interrogatif de tous les autres. Je ne sais pas s’il a bien réussi son coup mais durant quelques secondes je me sentis incapable de remettre les choses en place dans ma tête. Je ne voulais pas non plus laisser une occasion inattendue à cette bande toujours prompte à se moquer. Donc je rompis le silence avant d’avoir su quoi répondre :
– Je conviens que je n’avais pas pensé à cela mais il doit y avoir une explication rationnelle.
– Oh l’autre hé ! De toute évidence tu n’as rien compris à ce que tu as lu, voilà tout ! Ah ben il est beau le chat chavant ! Et en plus tu veux jouer les enseignants ! Abstiens-toi la prochaine fois !
– Je n’ai pas encore dit mon dernier mot. En fait… si on y réfléchit, Philémon, ce que tu dis semble plein de bon sens mais tu oublies une chose : pour que Riton aille plus vite que la lumière il faudrait qu’il aille effectivement plus vite que la lumière !
– C’est ta réponse ?
– Parfaitement !
– C’est nul ! Je crois que cela mérite une huée générale !
Plutôt qu’une huée, par ses paroles Philémon déclencha des rires moqueurs. Je ne me démontai pas :
– Et pourtant cette réponse est juste ! Car s’il est question de la distance parcourue en une seconde du point de vue de Riton, il convient de la comparer au point de vue de la lumière elle-même !
Il y eut à nouveau un petit silence que Riton brisa rapidement :
– Ah parce que maintenant la lumière à un point de vue ! De mieux en mieux Darwin !
– Certes elle n’en a pas mais supposons qu’elle en ait un. Ou bien si cela vous permet de mieux visualiser la chose, supposons que la lumière puisse transporter les esprits des êtres défunts, par exemple entre la terre et la planète Polgveaqolo qui est nécessairement dans un autre système puisqu’on ne l’a jamais détectée dans le système solaire.
– Voilà quelque chose que je peux supposer. a dit Aïcha. C’est même assez vraisemblable !
– Eh bien si Riton mettait le cap vers Polgveaqolo en même temps qu’une âme qui vient de quitter le corps qui l’abritait et qui voyage à la vitesse de la lumière, alors Riton n’arriverait pas sur cette planète avant l’âme. On peut donc en conclure que Riton ne peut pas aller plus vite que la lumière !
– C’est ta démonstration ?
– Oui.
– C’est nul ! A aucun moment tu n’as donné de solution au problème ! Dans son vaisseau Riton a quand même parcouru 70 fois 86.400 fois 300.000 kilomètres en 24h et ton histoire de course avec les âmes est simplement insensée !
– Et pourquoi donc ?
– Parce que si George attrape un poisson et qu’il le soulève dans les airs, que par manque de bol ou par distraction George relâche le poisson...
– Je lâche pas les poissons !
– Exceptionnellement George lâche le poisson qui tombe dans l’eau ; il se forme un rond qui va se diffuser dans toutes les directions. Imaginons que George a si bien serré sa proie que celle-ci rend l’âme étouffée au moment même où elle retrouve son élément préféré. Alors cette âme, au lieu d’être emportée par une onde lumineuse, la voilà emportée par l’onde qui se développe à la surface de l’eau. Et toi Aïcha, si tu as observé la scène du bord du toit du très grand bloc où tu sembles passer beaucoup de temps…
– Il est beaucoup mieux que ce bloc-là !
– Si tu le dis ! Ce qui ne change rien au fait que l’âme du poisson s’en va sur cette onde, qui est une vague puisqu’elle est à la surface de l’eau. En observant cela Aïcha se rend compte que la première vague, celle qui a probablement emporté l’âme du poisson, semble perdre de sa puissance au fur et à mesure qu’elle se diffuse dans toutes les directions. Mais quand même, au bout d’un instant la vague a touché la rive gauche et la rive droite tandis qu’en amont et en aval on finit par ne plus la distinguer. Donc la question est : « Où est l’âme du poisson maintenant si elle a été emportée par la vague ? » J’imagine que Darwin a la réponse !
– Ben bizarrement… non !
– Il ne l’a pas parce que l’évidence va à l’encontre de ses suppositions sur le transport des âmes par la lumière. En effet il y a toutes les raisons de supposer qu’en étant emportée par une onde qui se crée à l’endroit de la mort physique d’un être, une âme serait totalement dispersée dans l’espace au fur et à mesure que l’onde se développe et pour finir par être indétectable.
– Eh bien c’est peut-être exactement ce qui se passe !
– Alors dans ce cas pas de planète Polgveaqolo et la lumière ne transporte rien et surtout pas quelque chose qui pourrait lui donner un point de vue ! Le seul point de vue qui compte c’est celui de Riton et il est légitime de son point de vue d’affirmer qu’il va beaucoup plus vite que la lumière.
– Non je ne crois pas. Je suis même sûr d’avoir raison parce que je l’ai lu dans le livre. C’est juste que j’ai sûrement oublié un passage important et qu’on n’a pas bien abordé le problème.
– Parle pour toi !
– Reprenons à la base !
– Elle est où la base ?
– Bon! Disons pas vraiment à la base mais à l’époque de l’homme à la pomme. Mettons-nous à sa place. Comme à l’époque il n’y avait ni automobiles ni autobus, quand cet homme regardait passer au loin l’un de ses contemporains ce dernier allait assez souvent à pied ou à cheval. Eh bien imaginons qu’il regarde un autre humain aller à cheval et que soudainement, en passant sous un pommier, il cueille une pomme à la volée.
– Qui ? Le cheval ?
– Non! L’humain sur le cheval. Cet humain a bien l’intention de croquer la pomme mais avant cela il décide de s’amuser un peu avec. Il la jette en l’air et la rattrape plusieurs fois de suite. Observant cela de loin, l’homme à la pomme…
– Comment il peut être à la fois loin du cheval et sur le cheval ?
– Non mais l’homme à la pomme c’est le surnom de l’autre ! Celui qui observe !
– Tu nous embrouilles là, Darwin !
– Bon d’accord ! Alors appelons-le par son prénom : Isaac ! Donc Isaac est celui qui observe l’homme sur le cheval et il a remarqué une chose qui l’intrigue. Le cheval galope assez vite mais quand l’homme jette la pomme en l’air il remarque que la pomme retombe toujours dans sa main.
– C’est juste parce que l’humain sur le cheval vise toujours très bien !
– Certainement mais ce que sait faire l’humain sur le cheval c’est lancer toujours la pomme tout droit en l’air. Bien sûr s’il la lançait en arrière ou loin devant lui elle ne retomberait pas dans sa main. Mais l’humain sur le cheval lance sa pomme bien droit en l’air et comme il est joueur il veut savoir s’il pourra la lancer de plus en plus fort bien droit en l’air. Il la lance ainsi jusqu’à plusieurs mètres en l’air et elle retombe encore dans sa main. Au loin Isaac a bien observé cela et il se dit : « C’est étrange, entre le moment où l’homme sur le cheval a lancé la pomme et celui où il l’a rattrapée, le cheval a parcouru plus de dix mètres, donc la pomme aussi a parcouru plus de dix mètres. Cependant, si j’étais l’homme sur le cheval je penserais que la pomme est partie de ma main et est revenue dans ma main, c’est donc qu’elle n’a pas avancé d’un poil ! »
– C’est idiot ce que tu dis Darwin ! N’importe quel humain comprendrait que sa main aussi a parcouru dix mètres ! La main et la pomme ont parcouru dix mètres toutes les deux en même temps !
– Sans doute mais maintenant mets-lui un bandeau sur les yeux ! L’exercice devient beaucoup plus difficile mais si l’homme en question est un saltimbanque et qu’il a appris à lancer sa pomme toujours très droit, elle retombera dans sa main sous les applaudissements ! Le cheval peut galoper plus vite ou moins vite, se mettre à marcher doucement ou même s’arrêter. La seule chose qui compte c’est qu’entre le moment où l’homme lance la pomme et celui où il la rattrape, le cheval ne change ni de rythme ni de direction. Sous cette condition, si la pomme est lancée parfaitement droit, elle retombera dans sa main. Si le cheval s’arrête d’un coup juste après le lancer de la pomme, la pomme tombera devant le cheval mais il est possible qu’elle tombe tout de même dans la main de l’homme si l’homme ne s’accroche pas bien au cheval. Maintenant si l’homme voyage dans le futur et peut enfin quitter le cheval au profit du train, il monte dans un TGV postal sans fenêtre de sorte à ne rien savoir de la distance que le train parcourt pendant le temps où il lance sa pomme en l’air. Alors la seule chose qu’il sait c’est que s’il lance bien la pomme tout droit en l’air, elle retombe dans sa main. Comme il n’a aucune idée de la vitesse à laquelle va le train ni même si le train roule ou est à l’arrêt, il ne dira jamais que la pomme et sa main ont parcouru la même distance que le train, il dira : « J’ai lancé ma pomme bien droit sans bouger et elle est retombée dans ma main, ni elle ni moi n’avons avancé ! » Il peut faire tout un voyage assis sur un fauteuil à lancer sa pomme ou à la manger et à la fin, quand quelqu’un lui demandera combien de kilomètres il a fait, il aura bien le droit de dire : « Je n’ai pas fait un seul mètre car je n’ai pas bougé de mon siège ! » Et l’autre lui dira : « Mon vieux tu viens de faire près de 450 kilomètres en deux heures car ton train est allé de Paris à Lyon » Lui dira :« Si tu le dis… tout ce que je sais de mon point de vue c’est que je n’ai pas fait un mètre et ma pomme non plus ! » Puis un troisième larron qui a le sens de l’embrouille comme Philémon dira : « Ce n’est pas le train qui a roulé de Paris à Lyon ! C’est la terre qui s’est déplacée sous le train ! Le train lui n’a pas bougé d’un mètre ! » Lequel des trois aura raison ?
– Je ne suis pas un embrouilleur figure-toi mais un désembrouilleur ! Et je désembrouille direct ton embrouille de troisième larron car la terre ne peut certainement pas se déplacer sous le train !
– Les physiciens prétendraient pourtant que les trois hommes auraient raison. Le premier aurait bien le droit de dire que de son point de vue il n’a pas bougé d’un pouce. Le second aurait raison de lui dire qu’il a fait 450 kilomètres et le troisième de dire que c’est la terre qui a fait 450 kilomètres sous le train !
– Faux faux faux et archi-faux ! Si la terre se déplace sous un train qui va de Paris à Lyon alors il faudrait qu’elle se déplace en même temps dans l’autre sens et dans tous les sens puisqu’il y aussi des trains qui vont de Lyon à Paris, et d’autres de Paris à Brest ou à Bordeaux ! Donc c’est absurde et la terre ne se déplace pas sous les trains même si ton train va tout droit vers l’Est ou l’Ouest ! C’est comme si je me mettais à tourner sur moi-même en criant : « Regardez ça ! L’univers tout entier s’est mis à tourner autour de moi ! Je suis le centre du monde ! »
– Hum… Bon d’accord. C’est une position philosophiquement acceptable mais il reste que les deux premiers points de vue sont eux parfaitement aussi valables l’un que l’autre. Là tu ne peux pas dire le contraire. L’humain dans le TGV n’a pas bougé d’un pouce de son point de vue et a fait 450 kilomètres du point de vue de celui qui a regardé rouler le train.
– Oui si tu veux ! J’ai bien compris que cette histoire de point de vue était ton leitmotiv du jour ! Et donc ?
– Donc Isaac n’a même pas eu à attendre l’invention du train postal pour comprendre cela. Il a compris avant les autres qu’il n’y avait pas de localisation absolue ! Dire cela c’est dire que tout le monde ne peut pas être d’accord pour dire que la pomme a parcouru une distance précise entre le moment où elle a quitté la main et celui où elle y est retombée. Comme cette distance dépend du point de vue d’où on voit bouger la pomme, il s’ensuit qu’on devient incapable de dire à quelle vitesse se déplace la pomme puisque la vitesse ce n’est jamais que la distance parcourue divisée par le temps du parcours. Dans le petit livre jaune il est dit qu’Isaac était très chagriné par cette constatation car avant cela il croyait qu’il y avait bien une localisation absolue. Désormais il est clair que la localisation ou l’espace absolu, ce qui est la même chose, n’ont pas de sens car on ne saura jamais dire à quelle vitesse se déplace une pomme jetée en l’air par un humain. Cela dépend de quelle vitesse l’on parle. Est-ce la vitesse du point de vue de celui qui jette la pomme ? Est-ce la vitesse par rapport à la terre ? La vitesse par rapport au soleil ? Par rapport à la galaxie ? Toutes ces vitesses sont nécessairement différentes. Cependant, longtemps après la mort de Isaac les humains ont continué à avoir l’espoir de retrouver un espace absolu en se référant à une notion qu’ils ont imaginée il y a bien longtemps, cette notion s’appelle l’éther !
– Tu parles de ce liquide transparent qui pue et que mes humains utilisent trop souvent à mon goût ?
– Non ! L’éther c’est une substance que les humains imaginaient partout autour de nous et dans tout l’univers ! Un truc invisible aux propriétés bizarres ! Il fallait que ce soit une substance parfaitement élastique mais rigide et n’opposant aucune résistance pour qu’on puisse passer à travers elle sans même nous en rendre compte.
– Comme du vide quoi ?
– En quelque sorte.
– Ben à quoi à ça sert alors ?
– Eh bien les humains imaginaient que l’éther était aussi parfaitement immobile. Cela leur permettait d’imaginer que tout se déplaçait par rapport à cet éther et que même la lumière se déplaçait dans l’éther et grâce à lui !
– Ah ben on y vient ! C’est pas trop tôt !
– Conceptuellement cela aurait rassuré même les plus grands scientifiques de constater qu’il existait bien quelque chose comme l’éther dans lequel se mouvaient tous les vivants, les choses, les astres, les galaxies.
– Je ne vois pas bien ce que cela aurait changé au juste. Si c’est totalement invisible et qu’on ne le sent pas, qu’est-ce qu’on peut bien en faire ?
– Même sans cela on aurait pu faire des calculs indirectement ! Imaginons si cet éther avait existé. D’après leurs observations des planètes les humains pensaient que la lumière devait se déplacer toujours à la même vitesse dans cette substance invisible. Donc à partir de l’observation du déplacement de la lumière, ils pensaient qu’il était possible de calculer la vitesse de déplacement de la terre dans l’éther !
– Mais non puisque l’éther est invisible !
– Eh bien pour mieux comprendre imaginons que quelqu’un ait trouvé le moyen de peindre cet éther avec une substance magique…
– La fée Odette par exemple ?
– Oui par exemple. Elle pourrait peindre des boules de couleurs en différents endroits de l’éther. Bien sûr, comme les étoiles et les galaxies se déplacent aussi dans l’univers, et même assez rapidement, si l’éther était perlé de boules de couleurs on n’aurait même pas le temps de les voir passer ; ou plutôt on aurait sûrement l’impression de voir des traits dans le ciel. Mais pour mieux comprendre on ne va tenir compte que de la rotation de la terre autour du soleil et sur elle-même. A cause de cette rotation de la terre sur elle-même les habitants de l’équateur se déplacent en permanence à plus de 460 mètres par seconde. A Lyon on est plus proche de 300 mètres par seconde et aux pôles on n’avance presque pas. Si on tient compte du déplacement de la terre autour du soleil, tous les êtres vivants de la terre avancent à près de 30 kilomètres par seconde, même les habitants du pôle nord et du pôle sud qui sont, il est vrai, moins nombreux. Donc avec un éther perlé de points de couleurs, tout le monde verrait passer ces points dans le ciel. Les humains ne pensaient pas pouvoir peindre l’éther, par nature invisible, mais ils croyaient que son existence devait avoir certaines conséquences et certains d’entre eux se sont mis en tête de mesurer la vitesse à laquelle se déplaçait la terre dans l’éther par des expériences très différentes de celle de la fée Odette qui elle a le mérite d’être plus simple à comprendre. Imaginez que la fée Odette peigne une succession de très grosses boules dans l’éther. En fait ce serait comme de gros ballons de couleur mais l’éther est quelque chose de si particulier qu’on peut passer à travers sans rien sentir même quand il est peint. Alors disons qu’Odette peint trois alignements de ballons géants dans l’éther. Elle espace les centres de ces ballons les uns des autres de près de 300.000 kilomètres et elle peint un alignement de ballons en plein sur la trajectoire de la terre mais aussi sur une orbite située à 300.000 kilomètres plus près du soleil et sur une orbite à 300.000 kilomètres plus loin. Comme la terre avance à 30 kilomètres par seconde, elle passe à travers un nouveau ballon toutes les 10.000 secondes, il arrive donc régulièrement, un peu plus d’une fois toutes les trois heures et durant une fraction de seconde, qu’un ballon de couleur se trouve précisément au centre de la terre. À cet instant précis il y a aussi un ballon de couleur dont le centre se trouve à 300.000 kilomètres à gauche de la terre et un autre à la même distance à droite de la terre. Donc vous comprenez qu’il y a une différence entre les trois alignements de ballons peints. Les ballons peints dans la trajectoire de la terre peuvent toucher la terre et même être au centre de la terre, le centre des ballons peints sur les deux autres trajectoires ne peut jamais s’approcher à moins de 300.000 kilomètres de la terre. Imaginons que la fée Odette, non contente de seulement peindre des ballons dans l’éther, parvienne à l’aide de ses secrets de fée, à les faire clignoter. Elle le fait de manière très subtile car tous les ballons clignotent exactement en même temps et ils le font à l’instant même où l’un d’entre eux se trouve pile poil au centre de la terre. Imaginez quelles belles guirlandes cela ferait vu d’un vaisseau extraterrestre qui se balade dans le système solaire ! Si Odette a peint des ballons pour toute une année du parcours de la terre autour du soleil, cela ferait plus de 3.000 ballons clignotants par guirlande !
– Rien d’impressionnant ! J’ai déjà vu à la TV de simples maisons américaines avec des guirlandes bien plus dingues que ça !
– Oui mais pas visibles par des extraterrestres !
– C’est pas dit !
– Si tu veux mais ce qui nous intéresse c’est surtout de savoir ce qu’on voit depuis la terre. Même du côté du soleil le clignotement est assez puissant pour être distingué en plein jour, alors la question est : « Vu de la terre, de quel ballon verra-t-on en premier la lumière ? »
– C’est une question ?
– Ben oui !
– Il faut chercher une réponse ou tu nous la donnes ?
– Cherchez un peu, ça peut pas faire de mal.
– C’est évident. a dit Philémon, c’est le clignotement qui vient du ballon qui est au centre de la terre puisqu’il est beaucoup plus près de nous que n’importe quel autre !
– Euh… oui mais j’ai oublié de préciser qu’on ne peut pas voir le clignotement du ballon qui est au centre de la terre.
– Ah ben oui mais si t’es pas précis aussi… comment veux-tu avoir des réponses justes !
– Bon ben maintenant que tu le sais, trouve une autre réponse, on va dire que la première ne comptait pas.
– Alors c’est toujours aussi évident ! Il faut prendre en compte le rayon de la terre. Seulement comme tu n’es pas précis tu n’as pas dit comment les ballons étaient alignés ! Les ballons sont-ils alignés par rapport à l’équateur du soleil ou par rapport à l’équateur de la terre.
– Choisissons l’axe de l’équateur de la terre, ce sera plus simple !
– Alors c’est évident ! Les premiers lieux sur terre où l’on pourra apercevoir les clignotements seront situés sur l’équateur car c’est là qu’on peut trouver les distances avec les ballons les plus courtes. Le rayon de la terre étant d’environ 6.000 kilomètres, il y aura précisément quatre lieux sur l’équateur qui seront à l’instant du clignotement situés à 294.000 kilomètres du cœur d’un ballon puisqu’il y a un ballon à cette distance sur la droite, un sur la gauche, un devant, mais aussi vraisemblablement un derrière. Moins d’une seconde après le clignotement la lumière de ces ballons arrivera d’abord en ces points-là tandis qu’il faudra une seconde toute entière pour qu’elle arrive aux pôles.
– Ne serait-ce pas plutôt très près de ces points-là puisque durant cette portion de seconde tu oublies que sur la terre chaque endroit de l’équateur s’est déplacé de plusieurs centaines de mètres à cause de sa rotation sur elle-même.
– Oui mais là tu chipotes de nouveau ! Quelques centaines de mètres c’est négligeable par rapport à 300.000 kilomètres !
– Chat chipoteur !
– Si vous voulez. Mais est-ce que 30 kilomètres c’est toujours autant négligeable ?
– Oui car ce n’est jamais qu’un dix-millième ! Négligeable donc !
– Mais quand les humains cherchaient à mesurer le déplacement de la terre dans l’éther, c’est bien de ce genre de déplacement que vous trouvez négligeable dont il était question, même s’ils n’avaient pas une idée précise de la valeur qui en résulterait, et pour cause, l’éther n’existe pas ! Sauf que pour le savoir il a bien fallu qu’ils cherchent ces petites différences de mesure que vous trouvez négligeables. Oubliez que la terre est une grosse boule de plus de 6.000 kilomètres de rayon et imaginez à sa place une toute petite planète.
– Comme celle du petit prince ?
– Cela ressort plus de l’astéroïde mais pourquoi pas ? À la place d’un habitant de la terre vous êtes le petit prince sur son astéroïde, pour le reste rien n’est changé, il orbite à la place de la terre autour du soleil à la vitesse de 30 kilomètres par seconde et il y a toujours les ballons clignotants, devant, au centre, derrière, sur les côtés. L’astéroïde est si petit que pour le coup on peut réellement négliger certaines différences mais sans aller jusqu’à négliger un écart de 30 kilomètres. Au moment du clignotement il y a effectivement 4 ballons situés à 300.000 kilomètres du petit prince. Mais une seconde plus tard le ballon de devant sera à 299.970 kilomètres du petit prince, tandis que celui de derrière sera a 300.030 kilomètres, le ballon qui était au centre de l’astéroïde sera 30 kilomètres derrière et les ballons sur les côtés se seront éloignés d’un ou deux mètres seulement, ce qui est bien négligeable cette fois-ci. La seule chose qui compte c’est que la lumière du ballon provenant du ballon de derrière devrait être aperçue par le petit prince un peu après celle des ballons situés sur les côtés qui elle-même devrait être aperçue un peu après celle provenant du ballon de devant puisque la terre s’est approchée du ballon de devant durant le temps où la lumière a voyagé. Vous comprenez ?
– …
– Moi je comprends mais quel est le rapport avec l’éther ? Enlevons l’éther ! La terre se déplace quand même et si Odette a autant de pouvoirs qu’on le dit elle pourrait bien illuminer le vide, et alors, qu’est-ce que cela changerait si on part du principe que le vide est aussi immobile que l’éther ?
– Juste remarque Biscotte ! Le vide et l’éther sont un peu la même chose. Nommons cela le vide-éther si vous voulez bien. Ce qui nous importe c’est d’avoir des points de repères immuables ! Imaginons que la fée Odette aidée de toute la confrérie des fées…
– Ne serait-ce pas plutôt une sœurerie ?
– Ce mot-là n’existe pas !
– Maintenant il existe !
– Bon d’accord. Donc la sœurerie des fées toute entière se met au travail. Elle va créer ce qui ressemblera à une sorte de cage. Imaginez des émetteurs de rayons laser qui sont tous situés à la même distance les uns des autres et cela sur trois dimensions. Chaque émetteur envoie un rayon laser vers les 6 émetteurs les plus proches. De loin tous ces rayons qui se rejoignent forment comme un quadrillage fait de milliards de milliards de milliards de cubes imbriqués. Comme ces émetteurs sont parfaitement immobiles on peut parfaitement bien distinguer le vrai mouvement de tous les objets de l’univers. Au lieu de dire que durant un certain laps de temps la lune a tourné autour de la terre qui a tourné autour du soleil qui lui s’est déplacé dans la galaxie qui s’est déplacée dans le groupe local de galaxie… de sorte qu’on ne sait absolument pas quelle distance a parcourue la lune ; on regardera où était la lune au début et où elle est à la fin par rapport à notre quadrillage laser. Nous aurons donc des points de repère absolus et des distances parcourues absolues et tout sera plus simple à calculer !
– Fort bien! Quand est-ce qu’elles vont se mettre au boulot les fées ?
– Je l’ignore mais les humains n’ont pas eu la patience d’attendre. Ils ont dit : « Les fées sont en vacances et en attendant d’avoir un quadrillage lumineux tentons de savoir à quelle vitesse se déplace la terre dans l’éther ! » Deux américains très célèbres ont construit une machine à cette seule fin à la fin du 19ème siècle. À l’époque, rien qu’en observant les planètes et leurs satellites les humains avaient déjà une bonne idée de la vitesse de la lumière. Ils se disaient que la vitesse de la terre dans l’éther était sans doute assez faible par rapport à la vitesse de la lumière dans ce même éther, faible mais peut-être mesurable tout de même. Je vous explique succinctement l’idée qu’ils ont eue ! Il faut savoir que la lumière peut se décomposer parce qu’elle est faite de plein de longueurs d’ondes dont beaucoup sont invisibles aux yeux de tous les êtres de cette terre. Mais par exemple la pluie peut suffire à décomposer la lumière visible pour créer les arc-en-ciel. Les humains savent décomposer la lumière en la faisant passer par les matériaux appropriés. Et ils savent aussi créer des interférences d’ondes lumineuses même sur des trajets très courts. Au lieu de créer des arc-en-ciel ils peuvent par exemple dessiner des raies lumineuses sur un mur rien qu’en créant une interférence de deux rayons de lumière. En étudiant la forme de ces raies ils apprennent des choses sur ces rayons, par exemple celui qui a parcouru la plus grande distance même si cette distance n’est pas très grande et donc parcourue en un temps beaucoup trop court par la lumière pour être mesuré précisément à l’époque. C’est ainsi que ces deux américains célèbres prénommés Albert et Edward n’ont eu besoin que d’une machine assez petite pour être construite dans une cave et assez maniable pour être tournée dans tous les sens, ce qui était nécessaire pour leur expérience. Comme ils pensaient que l’éther était partout, donc même dans la cave et dans la machine, ils se disaient qu’ils arriveraient à voir une différence de vitesse de la lumière selon les côtés de la cave vers lesquels ils dirigeraient leurs rayons. Exactement comme on s’attendait à voir arriver plus vite la lumière du ballon lumineux d’Odette situé devant la terre puisque la terre avance vers ce ballon. Eux n’ayant pas les possibilités qu’ont les fées, ils ont utilisé des miroirs. Ils n’avaient aucune idée de la manière dont se déplaçait la terre dans l’éther. Mais ils supposaient que s’ils envoyaient une partie d’un rayon lumineux vers un miroir situé dans le sens de la marche de la terre dans l’éther, cette partie du rayon ne reviendrait pas en même temps qu’une autre partie du rayon envoyée vers un miroir situé perpendiculairement à la marche de la terre dans l’éther. Donc en tournant leur machine dans tous les sens, ils étaient à peu près sûrs de tomber à un moment ou un autre dans le sens de la marche de la terre dans l’éther. À partir de là ils pensaient pouvoir étudier les modifications dans les interférences créées et être capables de calculer la vitesse de la terre dans l’éther.
– Faux ! Faux ! Absolument faux ! Tu dis que c’est pareil que de regarder la lumière qui vient des ballons d’Odette mais c’est complètement faux ! Si à la place des ballons lumineux Odette disposait des miroirs géants et que le petit prince envoyait des rayons laser vers ces miroirs ce serait sûrement une expérience valable ; à condition que ces miroirs ne bougent pas en même temps que l’astéroïde du petit prince ! Sinon la distance est toujours la même entre n’importe quel miroir et la terre et donc le temps de parcours de la lumière sera toujours le même ! Or de ce que tu nous dis de cette expérience il est évident que les miroirs se déplacent en même temps que tout le reste de la machine ! Comment ont-ils pu observer une différence de vitesse dans ces conditions ?
– À vrai dire ils n’en ont jamais mesuré aucune quel que fut le sens dans lequel ils ont orienté la machine et quel que fut le moment de l’expérience !
– Fatalement !
– Non pas fatalement car la raison ne vient pas d’une erreur d’expérimentation. À priori j’aurais pensé comme toi Philémon mais j’ai trouvé une explication détaillée de cette expérience sur Terre-nette et celle-ci prouve que tu as tort. Cela me rappelle la seule fois où je me suis rendu sur les bas-port des quais de Saône en compagnie d’Odette. Je n’étais pas très chaud pour y aller mais c’était au retour d’une aventure, un jour et à une heure où les humains étaient particulièrement peu nombreux à traîner dans les rues. La lune, quasiment pleine, brillait sans nuage ; c’était l’occasion rêvée d’observer son reflet dans l’eau avec en prime la vue magnifique sur Fourvière dans ces conditions. Nous avons descendu la pente près de la passerelle du palais de justice, les quais étaient déserts et la vue effectivement fameuse. Odette s’est assise sur le rebord du quai et elle m’a enjoint de la rejoindre mais je n’osai pas trop m’approcher de l’eau.
– Trouillard !
– J’aurais voulu vous y voir… Donc je restai un peu en retrait tentant de profiter de l’instant même si j’étais assez disposé à l’abréger. Puis soudain j’entendis une petite voix semblant sortir de l’eau : « Bonsoir ! » « Bonsoir » répondit Odette. Je fis deux pas en avant pour voir qui parlait dans l’eau. C’est alors que j’aperçus dans le clair de lune une petite tortue qui me regarda fixement d’un air un peu contrarié. Le courant était faible est elle n’avait que peu d’efforts à faire pour se maintenir en place. Elle soutint mon regard quelques secondes puis préféra s’adresser de nouveau à Odette : « Je suis un peu perdue là ! Est-ce que tu pourrais m’indiquer le chemin des Galapagos ? » « Heu… c’est à dire que c’est pas la porte à côté. Le mieux c’est que tu descendes le Rhône jusqu’à la Méditerranée et puis là-bas tu demanderas à quelqu’un d’autre pour la suite du voyage.» « D’accord ! C’est par où le Rhône ? » Là Odette s’est contentée de pointer son bras gauche le long de la rivière en direction du sud-ouest. « D’accord ! Merci ! À la prochaine ! » a simplement dit la tortue. Et alors elle est partie vers l’ouest probablement pour rejoindre le milieu de la rivière et se laisser porter par les flots. Après un instant de silence je fis remarquer à Odette qu’elle s’était un peu contentée du service minimum : « Elle ne va jamais y arriver ! Tu ne lui as même pas dit qu’il y avait tout un tas de canaux et d’écluses ! On n’aurait jamais dû la laisser partir ! C’est criminel ! » « Que voulais-tu qu’on fasse ? La ramener chez Grabelot ? » « Pourquoi pas ? » « Parce que je n’ai jamais eu l’intention de créer une arche de Noé dans un appartement miteux d’un immeuble qui va s’écrouler au premier séisme d’envergure ! Cela te va comme réponse ou faut que je développe ? » « Non mais... » « Matou ! Cette tortue m’a demandé le chemin des Galapagos et j’ai fait ma part du boulot ! Pas la peine d’en faire tout un plat ! Allez viens ! Je te ramène au bercail ! » Voilà pour l’histoire de la tortue !
– Qu’est-ce que cette histoire de tortue vient faire dans le sujet du jour ?
– C’est juste que l’explication de l’expérience d’Albert et Edward m’a fait penser à cette tortue.
– Darwin ! Sans vouloir critiquer... t’as une fâcheuse tendance à la digression alors ne te plains pas si personne ne comprend ce que tu racontes !
– Oui je sais ! On me le dit souvent ! Cependant c’est grâce à cela que je peux envoyer à mes correspondants et correspondantes des courriers qui ont besoin de deux timbres !
– Et pourquoi tiens-tu à avoir des courriers à deux timbres ?
– Mais pour que Biscotte puisse continuer à accoler deux timbres sur les enveloppes de façon impeccable !
– C’est vrai que je suis la reine du collage de timbres bord à bord ! Et en un tour de bec !
– Digression ! Digression ! Revenons-en à tes chatons !
– A ma tortue plutôt car j’ai besoin d’elle pour une expérience dans la rivière !
– Oui ben elle est partie ta tortue ! Pas de bol ! Choisis quelqu’un d’autre !
– Un poisson ?
– Un canard plutôt ! Tu trouveras toujours de quoi étayer tes propos en choisissant parmi les oiseaux car à nous tous nous formons un ensemble des plus complets !
– Un canard fera parfaitement l’affaire pour la petite leçon de physique que je vais vous donner ! Imaginez un canard qui se balade sur la Saône en avançant toujours à la vitesse de 2 km/h. Si à ce canard part d’un quai en direction d’un autre à un endroit où la Saône fait exactement 200 mètres de large, nous calculons facilement que ces 200 mètres font 10 fois moins que 2 kilomètres. S’il fait 2 kilomètres en une heure, soit 60 minutes, il mettra 6 minutes pour traverser la Saône en cet endroit. Vous êtes d’accord ?
– Jusqu’ici c’est logique.
– Bien. Maintenant imaginez que la rivière a un courant de 1 km/h. Cela signifie que si Canard reste tranquillement sur l’eau sans rien faire, le courant de la rivière va l’emporter. Si au début de l’expérience il se situe sous la passerelle du palais de justice, une heure après, même s’il s’est endormi sur les flots, il sera en vue de Perrache.
– Ou haché menu par une péniche !
– Une éventualité à ne pas négliger !
– Qui digresse maintenant ? Bon ! On enlève les péniches et tout le toutim ! La rivière est disponible pour Canard !
– On pourrait l’appeler Coin-coin plutôt que Canard ?
– Si tu veux. Réveillons Coin-coin et demandons-lui de revenir vers le quai pour recommencer l’expérience de la traversée mais cette fois avec le courant de 1 km/h. Imaginons que la Saône est plus grosse qu’elle ne l’est en vrai et qu’elle fait exactement 200 mètres de large dans toute sa traversée de Lyon. L’objectif de Coin-coin est de partir de la rive gauche juste au sud de la passerelle et d’aller toucher le quai juste en face.
– Tu veux dire le parking ? Juste en face c’est le parking !
– Oui si tu veux. Coin-coin doit aller toucher le mur du parking puis revenir jusqu’au quai de la rive gauche. L’aller-retour fait en tout 400 m de long mais n’oubliez pas que Coin-coin doit se débrouiller pour contrebalancer l’effet du courant qui l’emporte en aval à la vitesse de 1 km/h. Une solution pour lui consisterait à avancer en biais. S’il va tout droit, c’est-à-dire perpendiculairement au courant, il n’aura pas à avancer plus de 400 mètres pour faire l’aller-retour, donc son parcours durera 12 minutes en tout mais quand il touchera le quai de la rive il aura dérivé constamment en aval à la vitesse de 1 km/h, soit 200 mètres durant ce laps de temps de 12 minutes. Ce qui fait qu’il sera pratiquement au niveau du pont Bonaparte et plus du tout au niveau de la passerelle.
– Ben qu’est-ce qui l’empêche ensuite de nager à contre-courant pour revenir vers la passerelle ?
– Il le peut mais cela va lui prendre du temps. Combien de temps exactement ? Quelqu’un peut faire le calcul ?
– Fastoche ! S’il avance à 2 km/h face à un courant de 1 km/h c’est exactement comme s’il avance à 1 km/h ! Donc s’il fait cela sur 200 mètres cela va lui prendre 12 minutes supplémentaires.
– J’ai une idée ! a dit Aïcha. Il n’a qu’à remonter sur le quai et revenir au point de départ en courant !
– Si on va par là il peut aussi le faire en volant. Mais ce qui nous intéresse c’est de voir ce qui se passe quand Coin-coin avance toujours à la même vitesse sur l’eau. Étudions la réponse de Philémon qui est sur la bonne voie pour comprendre l’expérience d’Albert et Edward. Si à chaque fois que vous avancez de 2 mètres le courant vous ramène 1 mètre en arrière, vous doublez effectivement la distance à parcourir. Nous constatons qu’en allant au plus simple, donc perpendiculairement au courant, Coin-coin revient au point de départ en 24 minutes alors que s’il n’y a pas de courant il fait l’aller-retour en 12 minutes seulement. Ce choix d’avancer perpendiculairement au sens de la rivière est juste le meilleur pour la traverser si on se moque de l’endroit où l’on arrive sur la rive. Mais dans notre exemple, où l’objectif était de lutter contre le courant en restant constamment juste au sud de la passerelle pour toucher le mur en face, Coin-coin a totalement échoué. Certes il est revenu au point de départ comme on le lui avait demandé mais il a en réalité doublé la distance à parcourir. Il est bien mieux pour lui de compenser en permanence le courant en avançant de travers. C’est naturellement ce que ferait n’importe quel être capable de nager ou d’avancer sur l’eau, il regarderait en permanence l’endroit qu’il doit toucher sur la rive et cela le conduirait à nager en biais par rapport au courant. Plus il nage vite par rapport au courant moins il a besoin d’aller de biais. S’il nage moins vite que le courant, il peut encore traverser la rivière mais il lui devient impossible de ne pas dériver en aval. C’est grâce au fameux théorème de Pythagore qu’on peut calculer le temps que mettra Coin-coin pour faire l’aller-retour en avançant de biais par rapport au courant et de la manière la plus efficace qui soit, c’est-à-dire en parcourant le moins de distance possible. En effet il faut bien comprendre qu’aller de biais pour compenser la dérive due au courant, cela revient à allonger la distance. On pourrait aider Coin-coin en tendant une ficelle entre les deux côtés de la rivière qu’il doit rejoindre, s’il essaye de toujours rester en contact avec la ficelle il avancera naturellement en faisant le moins de distance possible. Grâce à la tablette infernale je sais que Coin-coin peut réaliser l’aller-retour en rallongeant la distance de moins de 48 mètres. C’est beaucoup moins que les 200 mètres qu’il a dû faire en plus à la fin de la première expérience et qui équivalaient en réalité à 400 mètres puisqu’il a mis 12 minutes pour les parcourir. Grâce à la fin de la première expérience nous savons donc que remonter le courant fait perdre beaucoup de temps. Ainsi, si au lieu de demander à Coin-coin de traverser la rivière, on lui disait de remonter la rivière de 200 mètres puis de revenir au niveau de la passerelle, il devrait se rendre au niveau du vilain pont Alphonse Juin, ce qui lui prendrait donc 12 minutes rien que pour l’aller. Mais au retour il gagnera du temps car au lieu de lutter contre le courant il sera porté par celui-ci. À l’aller le courant de 1 km/h est contraire au sens du déplacement de Coin-coin qui va à 2 km/h. La vraie vitesse par rapport au quai de Coin-coin est donc de 2 - 1 = 1 km/h. Mais au retour il faut additionner les deux vitesses. Coin-coin bat des palmes toujours de la même manière mais vu du quai il semble aller beaucoup plus vite qu’à l’aller car il va à 2 + 1 = 3 km/h. Est-ce qu’à votre avis le gain de temps du retour permet de compenser la perte de temps de l’aller ?
– Ben oui ! Il a perdu 1km/h à l’aller et a gagné 1km/h au retour !
– C’est à cause de cela que tu crois que l’expérience d’Albert et Edward ne pouvait pas donner le moindre résultat. N’oublie pas que sans courant Coin-coin parcourt 200 mètres en 6 minutes que ce soit dans le sens de la rivière, ou perpendiculairement à la rivière, ou de biais. Avec un courant de 1 km/h il mettra 12 minutes pour faire 200 mètres à contre-courant, donc pour compenser cette perte de temps il faudrait qu’il puisse faire les 200 mètres en sens inverse en zéro seconde. Tu comprends bien que cela va être difficile ?
– Euh… Euh… Attends ! Tu m’embrouilles là !… Normalement le retour compense l’aller… c’est obligé… tu as dû te tromper…
– Philémon ! Cela ne compense pas pour une simple raison : le temps au retour n’est pas assez long pour compenser ! Au retour coin-coin va effectivement aller à 3 km/h par rapport au quai. Donc il parcourra les 200 mètres entre le pont et la passerelle en 4 minutes. Mais à l’aller il est allé à 1 km/h durant 12 minutes donc pour compenser il faudrait qu’il aille à 3 km/h durant 12 minutes aussi ! Alors on ne verra même plus Coin-coin car il aura parcouru 400 mètres de plus et sera derrière le pont Bonaparte ! Or nous on s’intéresse à comparer l’aller-retour vers le parking et celui vers le pont Alphonse Juin ! Notre expérience nous prouve qu’il est plus rapide d’avancer en biais en visant le point directement opposé sur l’autre rive que d’essayer d’avancer réellement à contre-courant. Dans le premier cas l’aller-retour est réalisable en moins de 13 minutes et 30 secondes, dans le second cas il faut 16 minutes. Or tout ce qu’on vient d’imaginer sur la rivière est très similaire à ce qui ce serait passé dans l’expérience d’Albert et Edward si l’éther avait existé !
– Je crois surtout que tu nous embrouilles de plus belle ! Moi tout ce que je vois c’est que Coin-coin bat des palmes toujours à la même vitesse et donc intrinsèquement, s’il y avait un éther, on verrait Coin-coin avoir une vitesse constante dans l’éther tout comme la lumière aurait une vitesse constante dans l’éther et probablement la terre aussi. Tout le reste n’est qu’apparence et Albert et Edward n’étaient pas en mesure de mesurer quoi que ce soit en utilisant des miroirs toujours situés à la même distance les uns des autres !
– Je viens de te prouver le contraire !
– Tu n’as rien prouvé du tout !
– C’est parce que tu refuses de comprendre que ce que cherchaient à voir Edward et Albert c’était justement des différences d’apparences dans les raies lumineuses ! Peut-être que l’exemple de la rivière n’est pas le plus parlant car si Philémon n’a toujours pas compris j’imagine que vous autres non plus.
– Euh… ben… si si. Enfin…
– Moi je crois que j’ai compris… Peut-être…
– Moi je comprends tout mais tu expliques mal ! C’est vrai que la rivière et cette soi-disant machine dans une cave… on voit pas bien le rapport !
– Le rapport c’est que si on remplace Coin-coin par la lumière et l’eau de la rivière par l’éther, on voit bien que même en se déplaçant toujours à la même vitesse entre deux points qui sont toujours espacés de la même distance, la lumière revient moins vite quand on l’envoie dans le sens du déplacement dans l’éther ! Comme on suppose que la lumière va toujours à la même vitesse dans l’éther, un temps plus long équivaut à une distance plus longue ! Or c’est bien à cela qu’Albert et Edward s’attendaient ! À voir s’allonger la distance quand ils enverraient une partie d’un rayon lumineux dans la direction du déplacement de la terre dans l’éther. Cette partie du rayon devait nécessairement revenir moins vite que la partie du rayon envoyée dans la direction perpendiculaire, ce qui aurait montré la direction du déplacement de la terre dans l’éther !
– Mais justement, tout à l’heure avec les ballons d’Odette, tu as dit que c’était la lumière de celui situé devant la terre qui arriverait en premier. Alors maintenant si ce ballon se déplace en même temps et à la même vitesse que la terre dans l’éther, c’est de celui qui est en face d’elle si on considère son déplacement dans l’éther que la lumière arrive en dernier ? Dis-moi si je me trompe ?
– Si tu parles bien d’un aller-retour tu as juste.
– Mais alors dans ce cas je ne comprends pas ce renversement total de situation.
– C’est tout simple Biscotte ! C’est parce que cette fois il est question d’un aller-retour, donc c’est comme si, au lieu d’un ballon lumineux, il y avait à la place un immense miroir vers lequel on enverrait un rayon laser ! Celui-ci serait renvoyé vers la terre et lors du voyage retour, grâce au déplacement de la terre dans l’éther, il irait en apparence plus vite grâce à l’addition de la vitesse de la lumière et de celui de la terre dans l’éther. Mais à l’aller il aurait fallu soustraire la vitesse de la terre à celle de la lumière dans l’éther. Or le temps du voyage aller étant supérieur à celui du retour, l’un ne compense pas l’autre et le rayon lumineux revient moins vite vers la terre que ceux qu’on envoie vers des miroirs situés perpendiculairement au déplacement dans l’éther.
– Ah !… Ah oui ?… D’accord… Oui je vois !
– Évidemment avec de tels miroirs cela aurait été plus facile de faire des mesures mais sur de très courtes distances comme celles dont on peut disposer dans une simple cave, il restait possible d’étudier les interférences, ou plutôt les changements dans les interférences. Alors quand ils ont découvert que ces interférences n’étaient jamais modifiées de manière probante quel que fut le sens dans lequel ils orientaient leur machine, ils ont dû admettre que l’éther n’existait pas et donc que non seulement la lumière avait la particularité surprenante de se déplacer dans le vide, mais qu’en plus elle le faisait toujours à la même vitesse, quelle que fut la vitesse à laquelle se déplaçait l’objet qui l’avait émise ! Ce qui prouve que le vide n’a pas les mêmes propriétés que l’éther et que la notion qu’on vient de créer de vide-éther peut être mise à la poubelle. La constatation de l’absence d’éther était largement incroyable et potentiellement révolutionnaire pour les physiciens de l’époque ! La révolution ne tarda pas à venir d’ailleurs et elle se prénommait Albert elle aussi !
– Très bien Darwin ! On tourne en rond là ! La lumière va toujours à la même vitesse ? En quoi est-ce un problème pour les humains ?
– Le problème c’est que Isaac avait déjà constaté bien auparavant que l’espace ne semblait pas absolu et qu’il était impossible pour un terrien de dire si la pomme avait parcouru zéro centimètre durant son saut droit dans les airs en allant de la main à la main de l’homme à cheval ou bien plusieurs mètres si l’on considérait le déplacement induit par le déplacement du cheval ! Avec la disparition de l’éther tout espoir d’un espace absolu disparaissait aussi.
– Mais non ! Il suffit d’attendre que les fées disposent leur quadrillage lumineux !
– Sans doute Aïcha, sans doute !
– Bon OK Darwin ! La lumière va toujours à la même vitesse ! Ce qu’on savait déjà ! À quel moment as-tu répondu au problème de la distance parcourue par un vaisseau qui a à son bord une horloge au ralenti ? Soit cette chose est juste impossible, ce que je crois, soit Riton va beaucoup plus vite que la lumière de son point de vue ? Choisis ton poison !
– Moi je choisirais bien mon poisson ! J’ai un creux !
– Moi aussi !
– Attendez ! Laissez-moi finir ma démonstration !
– Combien de temps ça va durer encore ?
– Je ne sais pas… sans doute moins d’une heure !… Ou deux.
– Une heure ?! Ah non ! C’est beaucoup trop long ! Abrège !
– Bon ben… Sinon… on a qu’à dire qu’on fait une pause casse-croûte et on se retrouve plus tard pour la suite. D’accord ?
Tout le monde acquiesça.
– N’en profite pas pour aller chercher sur Terre-nette de quoi nous embrouiller Darwin !

Comme de bien entendu le repas des pigeons dura plus longtemps que celui des chats malgré qu’on eut quelques difficultés à partager les maigres quantités trouvées chez mes pourvoyeurs habituels qui comptent pour moi et Grabel depuis qu’ils le voient traîner avec moi, mais pas pour Burbulle et Aïcha qui se nourrissent d’ordinaire sur le très grand bloc. Philémon eut comme à l’ordinaire une facilité déconcertante à se faire ouvrir le Velux de chez lui dans un sens puis dans l’autre, on ne devait pas compter sur lui pour nous ramener quelque chose. Du coup nous nous trouvâmes un long moment dans l’attente du retour de George, qui revint en premier, des quelques moineaux présents, revenus gavés de frites, puis enfin de ce troupeau de pigeons bienheureux et repus :
– Ah vraiment ! J’adore cette bonne femme !
– Parce qu’elle te le rend bien ?
– C’est donnant donnant !
– Ah bon ? Elle te donne des graines, et toi, tu lui donnes quoi ?
– De la beauté, très cher. Au-delà de tout ce qu’elle aurait pu espérer.
– Excellente réponse ! Mais dès lors que dire de MA beauté ?
– Qu’elle ne vaut pas la mienne ! J’ai gagné le concours du quartier figure-toi !
– C’était il y a deux ans P’pa ! Place aux jeunes !
– Vous faites pas d’illusions tas d’emplumés ! Elle ne fait pas cela pour récompenser votre beauté mais pour emmerder les habitants du quartier !
– Toujours le mot sympa Philémon !
– En tout cas moi je me sens d’attaque pour une bonne leçon de physique ! On en était où ?
– Au début de la fin ! Enfin… j’espère.
– Si vous voulez bien accepter les théories des humains au lieu de tout contester, normalement ça devrait aller vite.
– Oh mais nous on veut bien ! Mais visiblement tu ne les comprends pas toi-même ces théories !
– Et à la fin on connaîtra le secret d’Odette ?
– Oui ! Enfin ce n’est qu’une théorie hein ?
– Ah parce qu’en plus t’en es même pas sûr ?
– Non mais là n’est pas la question. Bon. Reprenons ! Est-ce que tout le monde a bien assimilé l’idée d’Isaac qui veut qu’il n’y ait pas de localisation absolue ?
Tout le monde acquiesça, sauf Aïcha :
– C’était quoi déjà ?
– La pomme Aïcha ! Qui semble ne pas avancer d’un pouce ou faire 450 kilomètres selon l’endroit d’où on la voit.
– Ah oui. Je me souviens maintenant. Mais c’est possible ça en vrai ?
– Mais oui Aïcha ! Oui !
– D’accord.
– Bon. Maintenant pensons au temps qui passe. Vous avez l’air tous très étonnés à l’idée que Riton pourrait, entre guillemets, voyager dans le futur. En réalité il est juste en voyage et le temps dans son vaisseau passe moins vite que sur terre. Donc si vous ne croyez pas à cela c’est que vous pensez que le temps s’écoule toujours à la même vitesse pour tout le monde, n’est-ce pas ?
Personne n’affirma le contraire.
– Donc si une pomme a fait plein de bonds dans la main d’un homme assis dans un train qui va de Paris à Lyon en deux heures, celui qui a regardé le train de l’extérieur et l’a vu faire 450 kilomètres dit que la pomme a fait 450 kilomètres en deux heures, c’est donc qu’elle a voyagé à 225 km/h. Pour celui qui a fait bondir la pomme dans sa main sans jamais se lever de son siège la pomme n’a pas bougé et a donc fait 0 km/h. Vous êtes d’accord avec ça ?
– Moi tout ce que je vois c’est que la pomme a fait du 225 km/h par rapport à la terre et du 0 km/h par rapport au train. Donc vu qu’on ne parle pas de la même chose, je ne vois pas quel est le problème ! En fait les deux bonhommes seront parfaitement d’accord que la pomme a fait du 225 km/h ou du 0 km/h quand on leur posera la question car les deux demanderont par rapport à quoi ? Si on leur dit « Par rapport à la terre. » les deux sauront que la pomme est allée de Paris à Lyon puisque l’un a vraisemblablement suivi le train tandis que l’autre est monté dedans à Paris et en est sorti avec sa pomme à Lyon. Si on leur dit « Par rapport au train »…
– Eh ben là ça ne marche pas Philémon !
– Ben si ! Celui qui était assis dans le train sait bien que la pomme n’a pas voyagé dans le train puisqu’il n’a pas quitté son siège, tandis que celui qui a vu le train de l’extérieur il a bien… il a… Bon ben on a qu’à dire que ton train il a des fenêtres et qu’on peut voir ce qui se passe dedans ! De quel droit tu as décidé qu’il n’avait pas de fenêtres ?
– Je n’ai rien décidé du tout ! J’ai juste choisi un cas de figure plausible qui prouve que parfois on ne dispose d’aucune information pour savoir de quelle manière un objet se déplace et donc on ne peut décider qu’à partir de ce qu’on a vu ou pu calculer par déduction. Si l’homme à la pomme a fait des allers-retours en marchant ou en courant dans le train durant tout le voyage, la pomme a pu faire plusieurs kilomètres et aucune personne qui ne peut pas voir ce qui se passe dans le train ne saura calculer sa vitesse réelle !
– Il y a une question que je me pose Darwin .
– Laquelle ?
– Est-ce qu’en l’absence de fenêtre on pourrait quand même faire un trou gros comme la pomme ?
– Dans quel but Biscotte ?
– Ben je me demande depuis tout à l’heure qu’est-ce qui se passe si l’homme dans le train fait passer la pomme par un trou pour la jeter hors du train.
– Eh bien c’est simple ! Dans le train la pomme est tenue par la main du bonhomme. S’il la lâche dans le train elle tombe à ses pieds. S’il en a marre de l’avoir dans le train et qu’il dispose d’un trou pour la mettre dehors, la pomme va tomber vers le sol puisqu’on est sur la terre et que tous les objets sont attirés vers le bas par la gravité. Donc la pomme tombe par-terre mais sur le bord de la voie.
– Oui ça j’avais bien compris qu’elle n’allait pas rester suspendue en l’air ! Mais où va-t-elle tomber sur le bord de la voie ?
– Là Biscotte le calcul risque d’être un peu compliqué. Ce serait beaucoup plus simple si on prenait une pomme que Riton aurait emmenée dans son vaisseau jusqu’au moment où il appuie sur un bouton qui fait sortir la pomme du vaisseau. Imaginez par exemple une pince mécanique qui tient la pomme pour la faire sortir du vaisseau puis qui se contente de desserrer son étreinte. Dans ce cas la pomme va simplement rester à côté du vaisseau. Vu du vaisseau Riton ne la verra pas tomber puisqu’elle est comme le vaisseau dans le vide loin des étoiles et des planètes. Elle continuera à aller à la même vitesse que le vaisseau est dans la même direction que lui tant que Riton n’appuiera pas sur un bouton qui fait accélérer le vaisseau ou lui fait changer de direction. Si sur la terre il n’y avait pas de gravité ce serait un peu le même principe, la pomme resterait à la hauteur du trou et irait à la même vitesse que le train. Sauf que comme il y a de l’air la pomme est ralentie par cet air. Le train aussi est ralenti par l’air mais lui il a un moteur qui tourne en permanence pour lui permettre de garder sa vitesse ; la pomme seule n’a pas de moteur et même sans gravité elle finirait pas être dépassée par le train. Rajoutons la gravité ! La pomme et le train sont tous les deux attirés vers le sol, les physiciens disent que toutes les choses et les êtres qui sont laissés à eux-mêmes aux environs de la terre sont en permanence en train de chuter, sauf que quand ils touchent le sol on ne s’aperçoit plus qu’ils chutent. Le train lui touche déjà le sol mais pas la pomme, donc elle va chuter jusqu’à ce qu’elle touche le sol. Il est presque impossible de savoir où elle va tomber car il faut prendre en compte toutes les résistances qui s’opposent à elle sitôt sortie du train. L’air est plus ou moins dense selon la météo et il peut aussi y avoir du vent qui va freiner ou augmenter sa vitesse. Mais si maintenant on imaginait que la terre est entourée de vide et non pas d’air alors le calcul serait beaucoup plus simple, dans ce cas-là, si on se contente de faire passer la pomme par le trou sans lui donner d’élan particulier, à la sortie du train la pomme aura la même vitesse que le train et elle gardera cette vitesse tant qu’elle n’aura pas touché le sol. Donc quand elle touchera le sol elle se situera toujours à l’aplomb du trou par lequel on l’aura fait sortir du train.
– Hum… c’est intéressant. J’aurais cru qu’elle serait tombée bien derrière le trou si c’est un TGV.
– On pourrait facilement observer cela du toit en étant patient. Il suffit d’attendre qu’un jeune filant à vive allure sur une planche à roulettes finisse de manger son Mc Do. Quand il aura fini son sandwich il va jeter le papier gras par-terre et vous verrez que le papier tombera à côté de la planche à roulettes et non pas derrière. S’il décide de lancer le papier vers l’avant, celui-ci tombera devant la planche à roulettes car les deux vitesses s’additionnent, celle de la planche à roulettes et celle générée par la force du bras du jeune.
– Si on allait au bord du toit pour bien vérifier la théorie ?
– On n’aura sûrement pas longtemps à attendre !
– Surtout si ça marche aussi avec les trottinettes !
– Pour sûr que ça marche avec les trottinettes ! La grande découverte d’Albert…
– Lequel ?
– Le second ! Sa grande découverte c’est que les lois de la physique doivent être les mêmes pour tous, que l’on se déplace à vol d’oiseau, en planche à roulettes ou en trottinette !
– Si ça marche à vol d’oiseau, si vous voulez je peux vous faire une démonstration des lois de la physique sur la tête de Kazelof quand il fera sa promenade demain matin !
– Pas bête mais n’allons pas trop vite en besogne. Imaginons deux humains que les physiciens appellent des observateurs et qui ont observé chacun des vitesses très différentes pour un même objet, à savoir, une pomme. Tout cela marche parfaitement avec n’importe quel objet, du plus petit qu’on puisse trouver à des trucs gros comme des éléphants, voire des paquebots, ou même franchement maousses comme des planètes, des étoiles, des galaxies ou des amas de galaxie ! Tout cela bouge tout le temps mais leur vitesse dépend du point de vue de l’observateur qui lui a tendance à penser que tout bouge sauf lui. Et puis un jour Albert et Edward constatent que la vitesse de la lumière est toujours la même quel que soit le point de vue de l’observateur alors que l’exemple de Coin-coin prouve que cela n’est pas possible !
– Excuse-moi Darwin mais il y a une chose que je ne comprends pas.
– Laquelle Biscotte ?
– Avec l’exemple de Coin-coin nous avons appris que si l’eau ne bouge pas on mesure toujours la même vitesse pour Coin-coin parce qu’il bat toujours des palmes au même rythme. Par contre, si l’eau se déplace, on mesurera une vitesse différente pour Coin-coin selon qu’il va dans le sens de l’eau, ou à contre-sens, ou perpendiculairement au déplacement de l’eau. C’est bien cela ?
– Parfaitement.
– Donc si l’on remplace l’eau par l’éther le raisonnement est le même.
– Oui.
– Mais s’il n’y a pas d’éther. Il n’y a plus de raison de penser qu’on devrait mesurer des vitesses différentes. Si un canard de l’espace se déplace toujours au même rythme entre deux endroits de l’espace qui sont, par exemple, distants de 200 mètres, pourquoi deux observateurs différents devraient mesurer deux vitesses différentes ?
– Euh… Laisse-moi réfléchir à cela...
– Non mais Darwin comprends-moi bien ! Imaginons qu’on a une ficelle longue de 200 mètres et qu’on la tend dans l’espace. Si on va d’un bout à l’autre de la ficelle en prenant toujours le même élan au départ, on peut bien tendre la ficelle dans tous les sens, que ce soit à un endroit situé entre la terre et la lune, ou entre Vénus et le soleil, peu importe l’endroit et la direction par rapport à tous les objets qu’on voit bouger au loin, 200 mètres c’est 200 mètres dans le vide et si le canard de l’espace peut décompter dans sa tête les secondes aussi bien qu’un chronomètre humain il tombera toujours sur le même nombre. Et nous si on regarde le canard de l’espace aller d’un bout à l’autre de la ficelle on tombera aussi sur le même nombre ! Puisqu’il n’y a pas d’éther l’anomalie ce serait plutôt de mesurer un temps de parcours différent. Alors je ne comprends pas pourquoi cela a autant étonné Albert et Edward ?
– Parce qu’ils croyaient fortement à l’existence de l’éther.
– Mais si leur expérience a prouvé que celui-ci n’existait pas ? Pourquoi n’en déduit-on pas qu’il est normal que la lumière mette toujours le même temps pour aller entre deux points qui sont toujours séparés de la même distance ? Or dans leur cave les miroirs étaient bien toujours à la même distance n’est-ce pas ?
– Oui. Il me semble que oui.
– Donc sans éther aucune raison de mesurer des vitesses différentes.
– Oui mais… C’est que… Tu oublies la pomme !
– Quel rapport avec la pomme ?
– Avec la pomme on a eu la preuve que deux observateurs différents devaient mesurer deux vitesses différentes pour un même objet selon le point de vue.
– Oui mais quel rapport avec Albert et Edward qui eux étaient dans leur cave à regarder leur machine ? Tu ne vas pas nous dire que l’un des deux a voyagé dans la machine au côté des rayons de lumière tout de même !
– Non. Bien sûr que non ! Peut-être qu’en fait Albert et Edward ont juste prouvé que l’éther n’existait pas et qu’ensuite d’autres expériences dont je n’ai pas entendu parler ont mis en évidence les incohérences des croyances que les physiciens de l’époque avaient. Dans l’expérience de la pomme dans le train on apprend qu’un objet peut sembler avoir plusieurs vitesses différentes selon le point de vue. Donc les gens pensaient que cela devait être la même chose avec la lumière.
– Pourquoi ?
– Parce qu’il n’y a à priori pas de raison de penser que la lumière n’obéit pas aux même lois que les objets.
– Pourquoi devrait-on penser que la lumière obéit aux même lois que les objets. Cela n’a rien à voir.
– Ben si ! Le son ce n’est pas un objet et pourtant cela obéit aux mêmes lois que les objets !
– T’es sûr ?
– Oui !… Enfin… je crois.
– Tu crois donc tu n’es pas sûr !
– Enfin non. C’est un mauvais exemple !
– Au contraire c’est donc sûrement un très bon exemple. a dit Biscuit. S’il prouve que tu as tort !
– Non mais c’est juste qu’on ne peut pas comparer avec la pomme ! La pomme qui monte dans le train à Paris arrive à Lyon avec le train mais si le bonhomme à la pomme se met à crier à Paris, personne à Lyon n’entendra ce qu’il a dit.
– Eh bien il suffit d’imaginer qu’il puisse crier très très fort ! Le son va sortir de sa bouche et il ira dans l’air jusqu’à Lyon. Arrivera-t-il avant le train ?
– Oui très probablement. Mais la vitesse du son, même si on ne considère son déplacement que dans l’air, c’est très variable selon la météo.
– D’accord mais si on fait abstraction de la météo ; imaginons un silence absolu sur la terre de sorte que sur toute la terre tout le monde finisse par entendre la très grosse voix de l’homme à la pomme quand il parle. Imaginons que je suis avec lui dans le train. Le train est à quai à la gare de Paris. Il fait 300 mètres de long, je suis à l’avant du train et le bonhomme à la pomme à l’arrière. S’il dit quelque chose je vais l’entendre une seconde plus tard n’est-ce pas ?
– Un peu moins. La valeur normale pour le son à une température normale et au niveau de la mer est admise à 340 mètres par seconde. Mais on a coutume de dire que le son fait 1.000 mètres toutes les 3 secondes.
– D’accord. Alors disons que le train fait 333 mètres de long et qu’il faut une seconde au son pour aller du bonhomme à la pomme jusqu’à moi. Dans ce cas si vous êtes restés à Lyon vous entendrez la voix du bonhomme à la pomme bien après moi puisque vous êtes à 450 kilomètres du train.
– Oui. Laisse-moi calculer cha !… À peu près 1.350 secondes après que le bonhomme à la pomme aura parlé. Un peu plus de vingt-deux minutes.
– Bien. Maintenant admettons que le train va à 300 km/h. Est-ce que quand le bonhomme à la pomme parle je l’entends toujours une seconde après ?
– Bonne question. Ben… J’imagine que oui.
– Et tu crois que ça change quelque chose si c’est moi qui suis à l’arrière du train et lui à l’avant ?
– Euh… J’imagine que non. Quelqu’un a déjà pris le train ?
– Oui moi ! a dit Philémon. Et c’était assez pénible !
– Parce qu’on entendait le son différemment ?
– Non ! Parce que j’étais dans une minuscule boite en plastique ! Mais je peux vous assurer qu’on entend les voix des humains tout pareil que dans un appartement !
– Mais est-ce que vous à Lyon vous entendrez la voix du bonhomme à la pomme différemment ?
– Oui ! Cela s’appelle l’effet Doppler Biscotte ! On expérimente cela tous les jours ! Il suffit d’écouter les sirènes des voitures de police ! On ne les entend pas pareil quand elles s’approchent et quand elles s’éloignent ! Le son est une onde, donc c’est comme une vague avec des sommets et des creux. Si celui qui émet le son se rapproche de nous, il y a plus de sommets et de creux qui arrivent jusqu’à nous en une seconde et cela modifie le son. Cela ne signifie pas qu’on ne comprendra pas ce que dit le bonhomme à la pomme s’il parle vraiment très fort. D’après l’expérience de Philémon dans le train, le son n’y est pas modifié, ce à quoi je m’attendais puisque les êtres qui émettent des sons dans le train ne s’éloignent pas les uns des autres ou alors très peu et doucement. Tout cela prouve que selon l’endroit d’où on entend un son, il y a des différences liées au mouvement relatif de celui qui émet le son par rapport à celui qui le reçoit. Donc le son se comporte comme un objet normal.
– Je ne crois pas que cela soit tout à fait comparable avec la pomme. Il est sûrement vrai que ceux qui sont restés à Lyon entendront le son différemment, mais commenceront-ils à l’entendre plus tôt ?
– C’est-à-dire ?
– Faut-il ajouter la vitesse du train à celle du son ?
– Ah ! Bonne question… Eh bien j’imagine que s’il y a un effet Doppler c’est justement parce qu’il ne faut pas ajouter la vitesse du train à celle du son… Ou bien est-ce le contraire ? Réfléchissons !
– Rien à voir mon pauvre Darwin ! L’effet Doppler c’est juste parce que le son est émis d’un endroit qui est de plus en plus près ou de plus en plus loin. Cela ne dit rien de la vitesse à laquelle il se déplace dans l’air.
– Hum… C’est juste Philémon. Prenons plutôt l’exemple des avions de chasse qui arrivent, je crois, à rattraper puis dépasser leur propre son. C’est donc que le son ne va pas plus vite quand l’avion va plus vite.
– Ce n’est pas une preuve mon pauvre Darwin ! Peut-être que le son qu’ils rattrapent c’est le son qu’ils ont émis avant d’aller vite. Peut-être que le son qu’ils émettent quand ils dépassent la vitesse du son, ils ne le rattrapent jamais !
– Hum… Dans ce cas je ne crois pas qu’il y aurait jamais eu un problème de mur du son, qui à une époque apparaissait presque infranchissable. S’il y a un mur c’est que l’avion rattrape tout un tas d’ondes en même temps et non pas les unes après les autres comme ce serait le cas si ce que tu dis était vrai. Alors j’en conclus que non, le son ne va pas plus vite quand il est émis par un objet ou un être en mouvement !
– Well. Je crois que je peux aider. J’ai déjà croisé ces avions très très rapides lors de mes voyages. Cela fait beaucoup peur. Et je peux vous assurer que l’avion arrive bien avant le son de l’avion, tellement qu’il est difficile de savoir où est l’avion dans le ciel.
– C’est bien la preuve que le son n’est pas comme une pomme ou un bout de papier. Sa vitesse ne dépend pas de la vitesse de l’objet ou de l’être qui émet le son. Et la lumière c’est donc pareil Darwin ! Quoi d’anormal à cela ?
– Vu sous cet angle. Hum… Laissez-moi réfléchir !
– Pendant que tu y es dis-nous si les humains avaient déjà été dans l’espace au temps d’Albert et Edward ?
– Non, c’était bien après.
– Alors à l’époque ils croyaient que l’espace était plein d’éther ?
– Oui.
– Mais pourquoi pensaient-ils que l’éther était partout ? Comment l’éther aurait pu être aussi à la surface de la terre là où il y a déjà de l’air et de l’eau ?
– Ben… En fait je ne sais pas s’ils pensaient vraiment cela.
– Mais si puisque l’expérience d’Albert et Edward consistait à faire une mesure du déplacement de la lumière dans l’éther ! Donc pas dans l’eau ni dans l’air. Et donc comment pouvaient-ils savoir que dans l’espace la lumière aurait la même vitesse que dans l’air ou dans l’eau s’ils n’étaient jamais allés dans l’espace ? L’éther aurait bien pu exister dans l’espace mais pas à la surface de la terre. Et puis une fois qu’ils sont allés dans l’espace ils ont vu qu’il y avait du vide n’est-ce pas ?
– C’est beaucoup de questions à la fois Biscotte. Mais effectivement je crois qu’ils estiment que l’espace est globalement fait de vide, c’est-à-dire qu’on y trouve très peu de matière faite de particules, d’atomes, de molécules.
– Mais c’est sûr ça ?
– Écoute… Je ne sais pas.
– Mais dans ce cas cela veut dire que les planètes et les étoiles se déplacent dans le vide. Alors pourquoi ça les a étonnés de voir que la lumière se déplaçait dans le vide ?
– Parce que la lumière est faite d’ondes et que les autres ondes qu’ils connaissaient avaient besoin de matière pour se déplacer. Comme les vagues ont besoin d’eau ou comme le son a besoin de faire vibrer l’air, ou l’eau, ou de la terre, du métal… le son a plein de possibilités !
– Pour ta gouverne Darwin, la terre aussi peut faire des vagues !
– Je sais Philémon. Il n’empêche que les ondes semblaient avoir besoin de matière et il n’y avait pas de raison qu’il en alla autrement pour la lumière.
– Résumons-nous Darwin ! Si Coin-coin se déplace sur l’eau immobile, tout le monde voit qu’il fait toujours un aller-retour de 400m à la même vitesse, quelle que soit la direction. Si l’eau se déplace sous Coin-coin, on ne mesure pas la même durée de parcours selon la direction de l’aller-retour, pourtant on peut croire que c’est toujours la même distance. C’est comme si dans l’espace il y avait une matière comme l’éther et qu’on envoyait un rayon lumineux qui se déplace dans l’éther vers un miroir puis revient vers nous. Si la lumière, la terre et le miroir se déplacent tous dans le même sens par rapport à l’éther, c’est comme si la distance entre la terre et le miroir s’agrandissait alors qu’il n’en est rien, tout comme le pont Alphonse Juin est toujours à la même distance de la passerelle. S’il n’y a pas d’éther on ne peut plus mesurer le déplacement par rapport à lui, donc c’est comme si l’eau ne bougeait pas sous Coin-coin, son déplacement semble toujours se faire à la même vitesse. Il n’y a donc pas de raison de croire qu’il puisse en aller autrement avec la lumière, elle doit faire l’aller-retour vers le miroir toujours à la même vitesse, que le miroir soit sur les côtés, derrière ou devant la terre si on considère sa marche autour du soleil, car le déplacement de la terre n’a rien à voir là-dedans tant que le miroir se déplace dans le même mouvement. Arrête-moi si je me trompe !
– Euh… Laisse-moi réfléchir !
– Par contre, si on envoie une fusée de la terre vers le miroir, elle aura la vitesse que ses moteurs lui permettent d’atteindre, plus la vitesse de la terre dans l’espace. Mais comme l’espace est vide, la terre n’a pas vraiment de vitesse absolue dans l’espace, elle a juste des déplacements relatifs par rapport aux autres planètes, au soleil ou aux autres étoiles. J’ai juste ?
– Oui, il me semble.
– Alors si on ne tient pas compte de la gravité, la fusée qui va toujours à la même vitesse par rapport à la terre devrait se comporter comme la lumière, si elle doit faire un aller-retour entre la terre et le miroir elle fera le retour à la même vitesse que l’aller !
– Euh… Ce n’est peut-être pas aussi simple.
– Alors imaginons qu’on tend une immense corde n’importe où dans l’espace. Tant que cette corde est tendue on sait que les deux bouts sont à la même distance n’est-ce pas ?
– Oui, ça je pense que c’est vraiment le cas.
– Alors dans ce cas, si c’est la lumière qui se déplace le long de la corde, elle va à la même vitesse quel que soit le bout de la corde duquel elle part et elle fait le trajet dans le même laps de temps ?
– Oui. J’imagine que oui.
– Et si c’est un canard de l’espace qui fait le trajet le long de la corde c’est exactement pareil ! Il n’y a pas de raison de croire qu’il ira plus vite dans un sens que dans l’autre quelle que soit l’orientation de la corde par rapport à la terre, au soleil ou aux galaxies tant que les effets de la gravité peuvent être négligés.
– Euh… Laisse-moi réfléchir !
– Vas-y Biscotte ! Il est dans les cordes !
– Donc si j’ai raison, pas d’éther égal pas de problème ! On peut parfaitement calculer des vitesses absolues sur lesquelles tous les observateurs sont d’accord ! La vitesse absolue c’est le temps qu’on met pour aller d’un bout à l’autre de la corde divisée par la longueur de la corde ! Et si la corde fait 300.000 kilomètres de long, la lumière va d’un bout à l’autre en une seconde… et le canard de l’espace en beaucoup plus de temps s’il fait du 2 km/h. Ainsi dans un espace vide il n’y a même pas de différence entre la lumière et les objets !
– Il subsistera toujours une différence Biscotte et elle est fondamentale.
– Laquelle ?
– Si durant son voyage le long de la corde le canard de l’espace recrache un petit poisson de l’espace qu’il a avalé, ce petit poisson de l’espace arrivera avant le canard de l’espace au bout de la corde car il ira à la vitesse du canard de l’espace plus la vitesse qu’il avait en sortant du bec du canard de l’espace. Par contre si le canard de l’espace a avalé une boule de lumière et qu’il ouvre le bec une fraction de seconde, de sorte qu’un éclat lumineux s’en échappe, cet éclat formera une onde qui se déplacera à 300.000 km/s et non pas à 300.000 km/s plus 2 km/h ! C’est cela que l’expérience d’Albert et Edward a mis en évidence : la constance de la vitesse de la lumière qui est donc indépendante de la vitesse de la source de la lumière ; car dans mon exemple le canard de l’espace est bien la source de la lumière et comme il se déplace le long de la corde, il a une vitesse calculable par rapport à la corde. Tout comme le poisson de l’espace à une vitesse calculable par rapport au canard de l’espace. Mais il a aussi une vitesse calculable par rapport à la corde, et cela suffit à dire qu’il s’agit de deux points de vue différents ! Deux distances différentes ou deux vitesses différentes pour un même objet c’est égal à deux points de vue différents ! Or pour la lumière on ne peut pas calculer deux vitesses différentes !
– Peut-être mais l’expérience d’Albert et Edward n’a certainement pas pu mettre en évidence une différence entre les objets et la lumière mon pauvre Darwin ! Elle a juste prouvé qu’il n’y avait pas d’éther sur la terre ! Donc quand ont-ils appris que la lumière avait toujours la même vitesse gros malin ?
– Écoute ! D’après le petit livre jaune quand il est devenu clair que l’éther n’existait pas alors les physiciens se sont dit : « Mince alors ! Toutes nos équations sont fausses ! » Et c’est un peu plus tard que Albert le second est arrivé en disant : « Aucun problème les copains ! Il suffit de considérer que le temps n’est pas absolu pour retrouver des équations qui ont des solutions ! » Et c’est depuis ce temps-là qu’il est possible de voyager dans le futur en allant suffisamment vite pour que le temps s’écoule plus doucement que sur la terre. Et cette donnée est tout simplement incontestable !
– Pourquoi ?
– Parce que c’est Albert le second, un des plus grands physiciens de tous les temps qui l’a dit et que depuis personne n’a pu prouver qu’il avait tort !
– Mais peut-être que sa théorie est moins solide qu’on ne le pense et que demain quelqu’un prouvera qu’il avait tort !
– Écoutez ! C’est une théorie vraiment vraiment vraiment très solide ! Parce qu’elle ne dit pas simplement : « Voici ce que nous avons constaté ! » Elle dit aussi : «  Si nous mettons deux horloges identiques, l’une dans la pièce d’à-côté et l’autre dans un avion qui va à telle vitesse et à telle altitude, au bout de tant de temps le décalage des deux horloges sera de tant de millièmes de seconde ! » Et s’ils font l’expérience à différentes altitudes et différentes vitesses, les humains découvrent que les prévisions qu’ils ont faites grâce à la théorie donnent toujours le bon chiffre concernant le décalage des deux horloges ! Voilà un truc presque imparable quoi que vous en pensiez !
Je pensais avoir mouché toute l’assistance avec cet argument imparable de la théorie imparable mais après un petit silence Biscotte revint à la charge :
– C’est bien beau tout ça Darwin mais moi je crois comme Philémon que c’est encore une confusion entre vitesse de la lumière et calcul de la vitesse de la lumière !
– On vient de dire que la lumière allait toujours à la même vitesse ! Donc l’erreur de calcul est encore moins possible que pour les objets !
– Justement !
– Mais à la fin vous allez admettre l’évidence ? Isaac a prouvé qu’il n’y avait pas d’espace absolu parce que deux observateurs différents ne sont pas d’accord sur la distance qu’a parcouru la pomme. Par contre ils sont d’accord sur le temps de parcours. Donc ils ne sont pas d’accord sur la vitesse de la pomme !
– Oui ben ça on avait compris !
– Bien. Prenez maintenant le cas de la lumière où tous les observateurs calculent qu’elle va toujours à la même vitesse ! Sauf que comme ils ne sont pas d’accord sur la distance qu’elle parcourt, la conclusion s’impose d’elle-même et c’est Albert le second qui l’a mise en évidence : si deux choses qui vont à la même vitesse ne parcourent pas la même distance durant un même laps de temps, c’est que ce laps de temps n’est le même qu’en apparence, en réalité la chose qui a parcouru une plus grande distance qu’une autre qui va à la même vitesse, elle n’a pu le faire que parce que le temps s’est écoulé moins vite pour elle !
– Mais là on ne parle pas de deux choses différentes mais d’une même chose : la lumière ! Comment la lumière pourrait avoir un parcours différent de la lumière ?
– Mais c’est juste une question de point de vue bon sang !
– Mais c’est toi Darwin qui ne comprend pas qu’il ne peut pas y avoir différents points de vue sur la distance que parcourt la lumière !
– Si ! Bien sûr qu’il y a différents points de vue !
– Si on tend une corde de 300.000 km de long, tout le monde voit bien qu’elle va d’un bout à l’autre en une seconde !
– Ah bon ? Et alors si je me mets à un bout de la corde et que j’attends qu’un éclat de lumière sorte du bec du canard de l’espace ! Je reçois l’éclat de lumière une seconde après mais je ne risque pas de le savoir ! Pour moi cela sera comme instantané !
– Oh l’autre hé ! Oh le gros malin ! Dans ce cas-là tu n’as rien calculé alors tu n’aurais pas le toupet de dire que la lumière va à 300.000 kilomètres par seconde ! Donne-nous un exemple de deux observateurs capables de calculer une même vitesse mais une distance différente pour la lumière sur un même laps de temps apparent ! Un truc qui marche, pas une astuce de gros malin !
– Bon d’accord. Imaginons que je me trouve à égale distance des deux bouts de la corde du canard de l’espace, par exemple à 300.000 kilomètres de chaque bout. L’éclat de lumière sort de son bec et il parvient au bout de la corde en une seconde, exactement au même instant il me parvient. Pour moi c’est le signe que l’évènement « voyage de la lumière le long de la corde » a commencé. Si au bout de la corde il y a un miroir qui me renvoie une partie de l’éclat de lumière, je recevrai cette lumière encore une seconde après, ce qui sera pour moi le signe que le voyage de la lumière le long de la corde s’est terminé. De mon point de vue ce voyage a duré en tout une seconde. Maintenant imaginons qu’au lieu d’être à 300.000 kilomètres de chaque bout, je sois à 450.000 kilomètres du début de la corde et à 300.000 kilomètres de la fin de la corde. Il faudra une seconde et demi pour que l’éclat de lumière sorti du bec du canard de l’espace m’atteigne, à cet instant je me dirai que le voyage de la lumière a commencé. Sauf qu’à cet instant l’éclat de lumière aura déjà rebondi sur le miroir du bout de la corde et ne sera plus qu’à 150 000 kilomètres de moi, il m’atteindra seulement une demi-seconde plus tard. Donc en tout j’aurai l’impression que le voyage de la lumière n’a duré qu’une demi-seconde alors que je sais qu’elle a parcouru 300.000 kilomètres si je connais la longueur de la corde !
– C’est ta démonstration ?
– Oui.
– C’est nul !
– Je crois aussi qu’il s’agit d’une nouvelle variante de la même astuce Darwin ! Tout ce que je vois dans ce cas-là c’est que tu mesures une vitesse de 600.000 km/s ! Tout le contraire de ce que tu entends prouver, à savoir qu’on mesure toujours une vitesse de 300.000 km/s. Nous ce qu’on veut c’est un exemple où tu mesures une vitesse de 300.000 km/s mais une distance différente durant un même laps de temps ! Or comment on pourrait mesurer une vitesse si on ne connaît pas la distance ?
– Euh… Laissez-moi réfléchir ! Mais vraiment là, s’il vous plaît !
– A ta guise.


– Rrrrrrrrrrrrrrr
– Burbulle ! Tu ronfles !
– Rrrrr… Hein ?…
– Tu ronfles ! J’ai besoin de me concentrer alors ronfle en silence !
– Excusez-moi !
– À la réflexion… C’est forcément une question de vitesse relative. Comme dans l’expérience d’Albert et Edward on mesure là même vitesse là où on s’attendait à mesurer deux vitesses différentes parce que dans un cas on a une vitesse relative et dans l’autre non !
– Mais nous on ne comprend justement pas pourquoi s’attendre à deux vitesses différentes s’il n’y a pas d’éther ! Au contraire ! S’ils avaient supposé que l’éther existât forcément malgré des mesures tendant à prouver le contraire, ils auraient dû en conclure que c’est le temps lui-même qui faisait des siennes. Non ?
– Je ne sais pas… Je ne sais plus, désolé. J’abdique !
– Tu abdiques ? Vraiment ? Tu nous donnes raison ?
– Si vous voulez.
L’acclamation fut générale.
– Ne vous emballez pas ! J’abdique seulement à essayer de vous faire comprendre mais je sais que vous avez tort. C’est juste qu’on a mal compris quelque chose dans le petit livre jaune.
– Parle pour toi ! On l’a même pas lu !
– Je vous en ferai lecture quand la fée Odette sera revenue et que je pourrais de nouveau aller dans l’appartement de Grabelot. Et alors vous serez forcément obligés d’admettre ces choses écrites noir sur blanc !
– Ou pas.
– Vous ne pouvez pas lutter contre Albert le second !
– Sans doute mais peut-être que ce que dit Albert le second n’a pas grand-chose à voir avec l’expérience d’Albert le premier.
– Il est fait état des deux dans le même chapitre ! C’est forcément lié !
– Alors ça se finit comme ça ? Et ta promesse alors ?
– Quelle promesse ?
– Celle de nous en dire plus sur la longévité des fées ! Moi c’est pour apprendre ça que je suis restée jusqu’à la fin !
– Eh bien si vous ne croyez pas que Riton peut voyager dans le futur, vous n’allez sûrement pas croire ma théorie sur la longévité des fées.
– Dis toujours !
– Eh bien je me suis dit qu’en fait, la fée Odette, elle est souvent loin de notre vue, n’est-ce pas ?
– Je croyais que vous aviez fait plein d’aventures ensemble.
– Oui certes, mais j’ai quand même passé beaucoup plus de temps à dormir dans ma vie qu’à fréquenter Odette.
– Et alors ?
– Alors si ça se trouve, durant tout le temps où on ne la voit pas, Odette est en fait en train de voyager à la vitesse de la lumière dans l’espace. Ce qui fait que tout ce temps est comme instantané pour elle selon la théorie d’Albert le second.
– On était d’accord pour dire qu’on ne pouvait pas voyager à la vitesse de la lumière.
– Sauf si les fées ont une masse nulle.
– Elle a l’air d’avoir une masse nulle ?
– Peut-être qu’elle sait masquer le fait qu’elle a une masse nulle. Du coup si elle passe le plus clair de son temps à voyager, d’une certaine façon, vers le futur, elle peut voir défiler les millénaires comme ça !
– Non je ne crois pas !
– Pourquoi pas ?
– D’abord parce que c’est encore une position très égocentrique de ta part, gros malin ! En supposant cela tu supposes que quand elle n’est pas avec toi, elle ne fait rien qu’un voyage dans l’espace.
– C’est peut-être ce qui lui plaît le plus.
– Alors comment tu expliquerais tous les autres chats, oiseaux, rats ou chiens qu’elle connaît ? Sans compter son humaine avec qui elle passe sans doute plus de temps qu’avec toi. Pour moi si les fées vivent longtemps c’est pour une raison beaucoup plus simple !
– Laquelle ?
– Les fées vivent longtemps parce qu’elles vivent longtemps !
– Euh…
– Cherche pas plus loin Darwin ! D’ailleurs je ne vois pas quel intérêt il y aurait à voyager à fond pour stopper le temps.
– Ben pour aller dans le futur.
– D’accord. Alors supposons qu’au lieu d’aller faire dix fois le tour du système solaire le vaisseau de Riton fasse des tours de la terre. Supposons par exemple qu’il est à une distance qui lui permet de faire un tour de la terre chaque seconde. Et toutes les secondes il passe à l’aplomb de Lyon et la fée Odette lui envoie une photo de nous qui passe sur son écran de contrôle. Alors il nous voit en train de dormir, ou de bavarder, ou de manger sa part de farcie…
– Ah non alors ! Sinon ça va chier !
– Et qu’est-ce que tu vas faire coincé dans ton vaisseau gros malin ? Donc voilà ! Durant des heures Riton voit comme nous on passe du bon temps sur la terre tandis que lui n’a rien d’autre à faire que de regarder nos photos défiler. Et puis un moment son voyage est censé se terminer et lui revenir avec l’air d’être resté jeune ; sauf que cet emplumé se trompe de bouton et crashe son vaisseau !
– Pourquoi veux-tu que je me trompe ?
– Parce que t’es qu’un emplumé ! Et pour la peine te voilà cané, peut-être avant tout le monde, sans même avoir profité de tous ces bons moments que nous on aura passés sans toi !
– J’hérite de sa farcie alors ?
– Non moi ! Qui d’autre ?
– Si c’est comme ça j’y vais pas dans le vaisseau !
– Si Odette ne revient pas, faites une croix sur la farcie !
– Si c’est comme ça j’y vais dans le vaisseau !
– Non moi !
– Moi plutôt ! Qui d’autre ?

Bon. Voilà comment s’est plus ou moins achevée cette histoire inachevée de l’espace. Depuis, comme vous le savez, Odette est revenue et on a tout de même reparlé d’espace et d’étoiles surtout après que j’ai fait une lecture du petit livre jaune à toute cette assemblée de tarés. Le résultat ne fut pas à la hauteur de mes espérances, j’ai l’impression de comprendre de moins en moins de quoi il retourne. Je me console en sachant que c’est pareil pour bien des humains.

Ah ben chalut !

Darwin.

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