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Darwin Le Chat
10 février 2020

Darwin et l'écriture inclusive

Lyon, 10 février 2020

Chalut

 

Aujourd’hui nous allons aborder le côté féministe de la fée Odette qui a tendance à déborder un peu trop à mon goût. Je crois lui avoir déjà prouvé maintes fois que je n’étais pas un matou macho qu’on envoie se faire voir au Machu Pichu, comme elle dit. Mais avec elle cela ne semble jamais suffisant, il faudrait avoir sa carte au mouvement de libération des femelles.

 

– Dis donc Darwin le chat ! Depuis que tu as des correspondants, j’ai l’impression que tu as pattuscripté quelques dizaines des pages.

– Ben, en réalité cela se compte plutôt en centaines. Mais c’est plus souvent becuscripté que pattuscripté.

– Ah ouais ? Comme si moi j’en avais jamais tapuscripté, des pages pour toi ! Si j’étais un lutin plutôt qu’une fée, tu aurais un peu plus de considération pour mon travail !

– Non mais qu’est-ce qui t’arrive Odette ? Si tu me poses des questions dans le seul but de ramener la discussion sur toi… laisse-moi te dire que la manœuvre est un peu grossière !

– C’est toi qui a ramené la discussion à moi en omettant de me remercier pour mon travail ! Moi je voulais simplement te faire remarquer que dans les dizaines de pages que tu as noircies ou fait noircir…

– Des centaines de pages !

– Tu fais bien de le rappeler ! Cela ne fait qu’aggraver ton cas !

– Allons bon ! Qu’est-ce que tu vas encore me reprocher !

– Ce que j’ai à te reprocher ? Tu veux savoir ce que j’ai à te reprocher ?

– Ben oui ! Je sais parfaitement reconnaître quand tu viens pour faire des reproches !

– Eh bien parfaitement j’ai à te faire des reproches ! Tu écris comme un matou macho et nous les matous machos on les envoie se faire voir au…

– Machu Pichu. On va finir par le savoir !

– Des centaines de pages comme tu dis ! Oui ! Des centaines de pages ! Et pas une seule où les femelles sont traitées à égalité avec les mâles ! Tu n’es qu’un matou macho !

– Hum… A mon avis il me semble à l’inverse qu’aucun de mes écrits ne traite les femelles et les mâles de manière différenciée. Après, je concède que quand j’écris à la première personne, il m’apparaît assez normal de mettre plus souvent les adjectifs masculins à l’honneur.

– Parlons-en de cette mise à l’honneur ! Monsieur Darwin le chat s’est vite empressé d’appeler George un mouet, mais quand il s’agit des pigeons, je n’ai pas le souvenir d’avoir entendu parler de pigeonnes !

– C’est parce que je n’ai pas eu l’occasion de le faire.

– Ah bon ? Pourtant tu parles souvent de Biscotte !

– Je l’appelle Biscotte, voilà tout ! Et quand je parle des mouettes en général, je ne parle pas de mouets mais bien de mouettes.

– Soit ! Mais j’ai autre chose à te reprocher !

– Quoi ?

– Tu ne feras jamais croire que tu n’as jamais entendu parler de l’écriture inclusive !

– Ah ! Ça...

– Comment ça, ça ? N’aggrave pas ton cas !

– Si tu veux tout savoir, j’en ai entendu parler. Et comme cela fait déjà quelques temps, je me dis que cela ne doit pas être si important.

– Comment cela pas important ? C’est tout à fait essentiel !

– Si c’était essentiel, pourquoi ne m’as-tu jamais fait de remarques quand je t’ai dicté certaines de mes aventures ? Tu avais même tout le loisir de la pratiquer toi-même.

– J’attendais de voir combien de temps cela allait te prendre pour réagir. Et si j’avais écrit tes aventures à l’aide de l’écriture inclusive, j’ose à peine imaginer ta tête de matou macho.

– Je n’ai rien contre l’écriture inclusive.

– Menteur !

– Non, je t’assure. Du moins je n’ai rien contre un traitement égal des mâles et des femelles.

– Donc la prochaine fois que tu écris une de tes aventures, tu ne demanderas pas à George de t’aider.

– Tu sais, quand tu es d’accord pour le faire, je passe toujours par toi. Tu fais moins de fautes d’orthographe.

– J’en fais pas !

– D’après mes correspondants, il y a toujours plus ou moins de fautes.

– J’en laisse toujours un peu pour voir si tu les vois ! Mais ne change pas de sujet ! Ta prochaine aventure c’est moi qui la retranscris, d’accord ?

– Oui… enfin… Bien sûr, comme d’habitude, je relirai avant d’envoyer les lettres à mes correspondants.

– Non matou ! Tu ne changeras pas une virgule cette fois-ci !

– Comment cela ? Il est normal que je fasse des retouches, je le fais tout le temps.

– Et comme par hasard, tout ce qui ressemble à de l’écriture inclusive, tu vas te débrouiller pour l’éliminer.

– Non. Sans doute pas. Sauf bien sûr si c’est moche à regarder.

– Moche à regarder ?

– C’est que… Bon ! Pour être tout à fait franc je trouve l’écriture inclusive vraiment désagréable à lire. Raison pour laquelle je ne l’utilise pas.

– Hin hin… Mais bien sûr ! La fameuse excuse de tous les machos réfractaires au changement !

– Non ! Je t’assure que non ! C’est juste intrinsèquement moche ! Mais pour te prouver que je ne suis pas réfractaire au changement, je suis parfaitement disposé à répondre à tes exigences. Ma prochaine aventure sera retranscrite en traitant vraiment le genre féminin à l’égal du genre masculin.

– Parfait ! J’attends cela avec impatience ! Je sens qu’on va bien rigoler tellement tu n’es qu’un matou macho qu’on envoie se faire voir au Machu Pichu. Comme c’est difficile de forcer sa nature, on en aura définitivement la preuve !

– Verrons-nous !

– C’est tout vu !

 

Après cette discussion je décidai de ne pas faire exactement ce que la fée Odette m’avait demandé. Je préférai choisir un texte que je remodelai à ma façon pour ensuite en faire une lecture aux habitants du toit en faisant comme s’il avait été écrit à l’aide de l’écriture inclusive. Après tout l’écriture inclusive doit se traduire dans la lecture et à fortiori dans la récitation. Bien sûr on peut toujours, en lisant, faire comme si les signes de l’écriture inclusive n’étaient pas présents. Mais alors cela nous oblige assez souvent à retomber dans les travers que la fée Odette condamne. Je vais donc vous faire lire le texte que j’ai lu moi-même à quelques chats, pigeons et mouettes, texte qui n’est pas de moi mais que j’ai aménagé dans les règles de l’écriture inclusive avant d’en faire la lecture. Somme toute l’écriture inclusive ne bouleverse pas fondamentalement un texte, du moins pas à chaque phrase, comme vous allez le constater. Il est possible que je n’aie pas choisi le texte le plus représentatif pour cela, je l’ai plutôt choisi pour son thème qui va bien avec le sujet du jour. Pour que vous ayez une idée de la manière dont cela a sonné aux oreilles de mes amis, je me sens dans l’obligation d’écrire certaines syllabes comme je les ai prononcées. D’autres fois je peux me contenter de vous transcrire le texte en écriture inclusive car la prononciation n’est pas changée. Par exemple, sans l’écriture inclusive nous écririons : « Les hommes et les femmes sont pareils ». Avec l’écriture inclusive nous écririons : « Les hommes et les femmes sont pareil(le)s ». Mais comme les adjectifs « pareils » et « pareilles » se prononcent pareil, c’est à dire « pareil », on ne fait pas de distinction de prononciation entre le féminin et le masculin, ni même entre le singulier et le pluriel. Dans un tel cas j’écrirai ci-après « pareil(le)s ». Vous allez pouvoir constater que souvent l’écriture inclusive ne change pas la prononciation, mais quand c’est le cas, cela rend le récit encore plus pénible que la lecture.

 

« Alors voilà qu’on serait tous-teu égo-ales ! Alors voilà qu’il faudrait faire fi des évidences ! Mais si les hommes et les femmes étaient égo-ales, si Dieu les avait voulu(e)s pareil(le)s, il les aurait fai-teu pareil(le)s. Dieu étant du genre masculin, il a naturellement voulu les hommes à son image, forts, et les femmes à l’opposé, faibles. Aussi, partout dans la nature les choses ont été disposées selon cette dichotomie, le masculin domine, le féminin est dominé. Quand, en de rares occasions, les choses semblent comme renversées, les espèces concernées sont toujours vilaines et viles. Chez l’homme la femme est d’autant plus belle qu’elle est faible. Durant des siècles, hommes et femmes, respectueu-seu de cet ordre divin, vécurent en harmonie. Chacun-une savait sa place, il n’y avait pas de jalou-seu devenu(e)s jalou-seu par le genre. A l’homme la force, le courage, l’ouvrage, la créativité, à la femme la gestation. Grâce à son cerveau plus volumineux, l’homme pense plus, plus vite et mieux que la femme, de plus, n’étant pas soumis à ses humeurs comme la femme, il ne change pas d’idées à chaque jour que Dieu fait. De leurs humeurs, certaines femmes ont fait un programme ; un programme de changement, contre l’établissement de Dieu. Pour établir leur programme, ces femmes usent et abusent de ruses, s’arment de leurs charmes pour convaincre les plus faibles d’entre les hommes qu’elles et eux sont égo-ale. Si demain ces femmes persuadent suffisamment d’hommes de changer les lois et que nous changeons les lois pour qu’en loi femmes et hommes deviennent égo-ale, l’ordre naturel sera sens dessus-dessous. Les lois naturelles seront bafouées quand les lois citoyennes iront à leur encontre. L’ordre deviendra désordre, d’abord dans les foyers, si l’homme et la femme tiennent tous deux le balais, objet pour lequel les doigts de femmes sont faits, quels enseignements tireront les enfants, d’un couple qui soumet la raison aux errements de femelles passions ? Dans la rue le désordre sera total, les femmes à l’égal des hommes iront en nombre dans les rues mais n’en auront point le même usage que les hommes. Pour l’homme la rue est un chemin, pour la femme c’est une allée entre deux rangs de magasins ; quoique le baron Haussmann semble avoir plus pêché (malgré lui) par excès de féminisme que de sentiment démocratique, les rues restent le plus souvent trop étroites pour que les femmes se croient autorisées à y stationner durant les heures où l’activité bat son plein. Quand les foyers et les rues seront soumi-seu au diktat féministe, les françaises voudront voter, puis quand elles auront obtenu le droit de vote, elles demanderont celui d’être élues. Si la nation se donne des représentan-teu des deux sexes, la politique n’aura plus aucune direction fiable, soumise à l’humeur des femmes elle oscillera en permanence entre deux indécisions. Si l’Angleterre finit par donner raison à l’hystérie des suffragettes, il n’est guère douteux que cette nation s’en trouvera fortement handicapée dans sa marche, et par suite, dans sa faculté, en ces temps de tension, à faire barrage aux ambitions démesurées de la nation allemande. Il est essentiel que la France ait la sagesse de garder les femmes à l’écart des choses où la pensée est plus importante que le ventre. Certes, quelques femmes bien nées peuvent bien réussir au certificat d’études et même au baccalauréat, cependant les hommes et les femmes sont suffisamment intellectuellement différent-teu pour que jamais les femmes n’atteignent le degré d’excellence des hommes. Aussi, peu importe au fond que nous cédions ou pas aux pressions des féministes. L’avenir nous ramènera à l’ordre naturel des choses. Si toute une classe d’âge venait un jour à passer le baccalauréat, les résultats, sans aucune forme de manipulation, prouveront nécessairement que le devoir de réfléchir, d’œuvrer à la marche du monde et aux avancées scientifiques incombe au genre masculin. Je n’ai en cela, pas le moindre doute. »

 

Après avoir fait la lecture de ce texte j’ai pensé que mes amis n’avaient pas réellement compris ce que j’entendais prouver. En effet, aucun ne fit de remarque à propos de la façon dont j’avais lu le texte, par contre les commentaires allèrent bon train concernant le contenu du texte :

– Ils sont bizarres quand même les humains. C’est quoi ces histoires de différences intellectuelles ?

– Euh… c’est un vieux texte vous savez, il a plus de 100 ans ! Depuis les choses ont beaucoup changé.

– Pourquoi tu nous l’as lu alors ?

– C’était pour voir si ça vous choquait.

– Que les femelles et mâles humains ne se sentent pas égaux ?

– Attention Biscuit ! Tu risques de fâcher la fée Odette !

– Pourquoi ?

– Tu aurais dû dire : « Que les femelles et mâles humain-neu ne se sentent pas égo-ales ! »

– Pourquoi ?

– Justement pour les traiter à égalité dans ton discours !

– J’ai fait un discours ?

– Non. Enfin oui, en quelque sorte. Pour traiter les femelles à l’égal des mâles, il faut toujours faire attention à ce qu’on dit.

– C’est à dire ?

– Les femmes ne sont pas des humains mais des humaines. Donc si tu dis « les femelles et les mâles humains », tu donnes l’impression d’accorder plus d’importance aux mâles qu’aux femelles, et ça c’est considéré comme machiste.

– Nous les pigeons on n’est pas des machistes ! C’est vous les chats les machistes !

– Nous les chats on n’est pas des machistes !

– Vous n’avez pas conscience de l’être parce que vous avez été domestiqués et les humains vous empêchent de l’être.

– Je ne suis pas domestiqué !

– Ne prends pas ton cas pour une généralité ! Dans la nature il y a de très gros chats qui ont la réputation d’être très machistes !

– Voyez-vous ça ?

– Parfaitement ! Les lions se battent entre eux, le vainqueur évince tous les autres mâles adultes et puis alors il passe sa vie à glander pendant que les femelles font tout le boulot !

– Ah ben alors au moins les lionnes ont des responsabilités ! Tout ce que les machistes humains refusent aux femelles humaines. Toujours est-il qu’il faut dire « les femelles et les mâles humain-neu ».

– Non. Dans ce cas je pense qu’il faudrait dire « les mâles et les femelles humain-maineu » ou bien « les femelles et les mâles humaineu-main ».

– Cela devient un peu compliqué là, Biscotte.

– Peut-être mais si tu dis « les femelles et les mâles humain-neu » tu es encore dans le déni de l’égalité entre mâles et femelles.

– Pourquoi ?

– Pour deux raisons. D’abord tu es d’accord que séparément nous dirions « les femelles humaines » et « les mâles humains » ?

– Parfaitement.

– Donc pour se référer aux femelles il faut prononcer « humaines » et pour se référer aux mâles on dit « humains ». Mais en disant « humain-neu » on ne prononce pas « humaine » et les femelles sont déconsidérées, si on dit « humai-neu » on ne prononce pas « humain » et alors ce sont les mâles qui sont déconsidérés. Donc il vaudrait mieux dire humain-maineu. Sauf que si on dit les femelles et les mâles humain-maineu, on a encore l’impression qu’on donne l’avantage au mâle puisque l’adjectif est d’abord entendu au masculin alors que le premier nom cité est le nom féminin.

– Oui certes. Mais là tu deviens plus féerique que la fée ! Il faut tout de même opter pour ce qui est le plus facile à prononcer !

– Ben non ! Sinon ce sera presque toujours en faveur des mâles.

– Moi tout ce que je voulais prouver, c’est que l’écriture inclusive est très déplaisante à lire et aussi à entendre. Et aussi je crois qu’il y a toujours un moyen de faire sans l’écriture inclusive et sans néanmoins donner la primauté aux mâles. C’est cela qu’il me faut faire comprendre à la fée Odette.

– Ce ne sera pas simple.

– Je te l’accorde.

 

Après cela je décidai de prendre une décision quant au style à adopter dans mes écrits en évitant l’écriture inclusive et en contentant Odette. C’est alors que j’ai lu sur Terre-nette une solution qui m’a semblé acceptable et qui, était-il dit, a été employée en des temps éloignés. Cette solution consiste à accorder l’adjectif ou le participe passé en fonction des emplacements des noms ou des sujets dans la phrase. Dans cette logique on écrit « les mâles et les femelles humaines » ou bien « les femelles et les mâles humains ». L’adjectif s’accorde avec le dernier nom rencontré. Quand la fée Odette vint me voir je lui fis part de ma volonté d’utiliser cette solution et donc de ne pas utiliser l’écriture inclusive. Autant vous dire qu’elle n’a pas du tout été convaincue :

– Oh le vilain matou macho ! Oh le macho ! J’en ai connu des chats malhonnêtes, mais là c’est le bouquet !

– Pourquoi ?

– Pourquoi ? Mais parce que tu fais tout pour éviter d’avoir à traiter les mâles et les femelles à égalité !

– Mais pas du tout !

–  C’est trop facile ta proposition ! C’est évident que tu n’écriras jamais « ce chat et cette chatte étaient très belles » ! Avoue que tu écriras « cette chatte et ce chat étaient très beaux » !

– Hum… Si je le fais c’est parce qu’il est d’usage de citer les femelles en premier.

– Et à ton avis ? Pourquoi on les cite en premier ?

– Pour leur rendre hommage ?

– Non ! C’est justement pour se donner une bonne raison d’accorder l’adjectif avec le genre mâle ! C’est du pur machisme ta méthode !

– Bon ben dans ce cas j’écrirai : « Ce chat était très beau, et cette chatte était très belle aussi ! »

– Menteur ! Je suis sûre qu’à la première occasion tu vas oublier tes engagements !

– On verra.

– Oui oui, on verra ! Et n’oublie pas que je te surveille ! Fais bien gaffe matou !

 

Bon. Je dois dire que si j’aime bien la langue française, elle a tendance à rendre les choses inutilement compliquées lorsqu’il s’agit de traiter les mâles et les femelles à égalité. C’est peut-être le signe qu’elle a été codifiée par des gens qui ne croyaient pas que les mâles et les femelles étaient égaux. Aux dernières nouvelles il semble que les résultats des femelles humaines au baccalauréat ont quelque peu déjoué les pronostiques des machos qu’on envoie se faire voir au Machu Pichu.

 

Ah ben chalut !

Darwin.

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