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Darwin Le Chat
15 avril 2017

Alpha-M.48122

Alpha-M.48122.Local.04.22.843 

– Emmanuel, j’ai parcouru l’ensemble du document et ils seront difficilement attaquables sur ce terrain là. Je ne comprends d’ailleurs pas pourquoi tu as signé ce contrat sans le lire en intégralité.

– Personne ne lit ce genre de documents. 127 pages pour un concours avec des alinéas minuscules ! Le terme « tous les moyens nécessaires » ne peut tout de même pas inclure une violation de domicile !

– Ce sont des images de ton cloud !

– Possible mais filmées à mon insu et importées sur mon cloud à mon insu. J’ai aveuglé ma web cam bien avant de tenter ce concours. Le plan a l’air de venir d’une web cam posée sur une table mais si c’est une web cam, elle ne m’appartient pas. Tu peux savoir sur quel modèle de caméra ça été filmé ?

– Oui. C’est une minitron 27.HL. Elle a été entre autre été installée sur les FlyInside de Gloogloop et les ByDoorSpider de Totoshimosh.

– Pas sur quelque objet susceptible de m’appartenir ?

– C’est difficile à dire puisque tu ne lis pas entièrement tes documents contractuels.

– Quel rapport ?

– Le rapport ? Une technique d’introduction légale.

– Je ne comprends pas un mot de ce que tu me dis !

– Imaginons qu’une entreprise commerciale te vende un objet quelconque avec un cadeau surprise à l’intérieur. La présence de ce cadeau est spécifiée dans les documents contractuels en un endroit que personne ne croit bon de lire. Le cadeau lui même est minuscule et reste dissimulé le temps nécessaire à l’intérieur de l’objet acheté. Il se déploie ensuite discrètement pour jouer son rôle espion.

– Quel intérêt ? Comme si les services secrets avaient besoin d’être dans la légalité pour espionner les gens !

– Dans le cas d’un service secret c’est sans intérêt. Dans le cas d’une entreprise comme Red Element l’intérêt pourrait se comprendre dès aujourd’hui. Veux-tu que je vérifie ça ?

– Bien entendu !

– Voilà.

– C’était rapide.

– Relativement. Donc tu possèdes effectivement un Gloogloop FlyInside sans même avoir eu à acheter le moindre objet puisqu’il était avec le casque Red Element qu’ils t’ont fourni après la quatrième étape de la sélection.

– Sérieusement ?

– Tout à fait.

– Le FlyInside a commencé à te filmer dès le déballage du casque.

– Non ?

– Les images ont été transmises à ton cloud. Dossier caché, paramètres non publics avec des mots de passe que tu as coutume d’utiliser. Cependant facilement accessibles pour un service de hacking.

– Tu veux dire que j’ai été filmé chez moi 24h sur 24 depuis ce moment là ?

– Pas uniquement chez toi.

– Il me suivait dehors ?

– Oui. En toute légalité. Tu restes le dépositaire de ces images.

– Mais non ! Ce n’est pas moi ! C’est Red Element ! Et ces connards n’ont même pas prévu un dispositif anti-hacking !

– Ce n’était pas nécessaire. Autant faire les choses illégalement dans ce cas. Ils ont fait un copier-coller de paramètres que tu utilises ordinairement pour faire valoir que tu en es à l’origine. Que cela finisse dans les mains d’autrui n’est pas vraiment un problème pour eux.

– Pourquoi pas ? Quelque part je les représente dans cette mission, mon image colle peut-être plus à celle de Bison Maudit mais c’est avec eux que je suis le plus lié.

– Des milliers de personnes se filment 24 heures sur 24 par pur exhibitionnisme ! Je ne crois pas que tu aies pu faire quoi que ce soit qui puisse nuire à leur image, sinon ils l’auraient de toute façon effacé . J’imagine que te voir déambuler nu dans tes 12 mètres carrés n’aurait rien d’anti-commercial si ces images étaient diffusées parmi toutes celles qui font l’éloge de ton physique. Cela me semble même avoir été un critère de choix primordial, sans vouloir vexer ton intelligence.

– Je n’arrive pas à comprendre comment un vulgaire club caritatif se paie un service de hacking à seule fin de mieux connaître un candidat à l’adhésion.

– Ce vulgaire club là est affilié à un autre beaucoup plus prestigieux.

– Ah ?… Rassure-moi ! Mes paramètres restent assez protecteurs pour le commun des mortels ?

– Il semblerait. Tes images ne sont pas diffusées. Mais cela ne signifie pas qu’elles ne le seront pas à l’avenir. Je pense que Red Element pourrait trouver un intérêt dans celles concernant la mission proprement dite.

– Attends une minute ! Tu veux dire que… Il est ici ? Le FlyInside est ici ?

– A deux mètres de toi.

– Et tu viens seulement de le repérer ?

– Non.

– Et tu m’en parles seulement maintenant ?

– Qu’y a-t-il d’anormal à sa présence ? Ce que j’ignorais c’est qu’il t’appartient en propre.

– Ce qui signifie que je peux le détruire.

– Si tu peux mettre la main dessus ! Il t’appartient mais ce n’est que fictivement qu’il a été programmé par toi.

– Tu pourrais m’aider à mettre la main dessus !

– Certainement. Mais je ne crois vraiment pas qu’il faille faire cela.

– Pourquoi ?

– Ce drone transmet. Il a été déclaré dans ton paquetage.

– Par qui ?

– Par toi. Par l’intermédiaire de Red Element bien sûr. Mais tu as signé la liste. Elle non plus tu ne l’as pas lue ?

– Non. Et donc ?

– Ce qui a été filmé depuis le départ ne figure pas sur ton cloud car le Contrôle ne le permet pas. Cela ne signifie pas que Red Element ne compte pas un jour récupérer ces images, notamment en ce qui concerne les captures. Le statu quo me paraît plus raisonnable dans une optique de négociation future.

– Pas faux.

– De toute façon tu ne devrais pas te soucier de cela.

– A t’entendre je ne devrais jamais me soucier de quoi que ce soit. Mais je me soucie ! J’ai bien conscience que le domaine de l’intimité s’est réduit comme peau de chagrin au fil des ans, mais je ne suis pas d’accord pour être filmé chez moi à mon insu ! Red Element m’inflige des pénalités à tout va, pourquoi je ne leur renverrai pas la monnaie de leur pièce si je peux prouver qu’ils m’ont trompé ?

– Tu ne peux pas le prouver.

– Mais toi tu peux monter un dossier prouvant que mes mots de passe ont été générés de chez eux.

– Possible. Mais je vais rester en dehors de cette histoire, si tu permets.

– Merci de ton aide.

– Si tu veux je peux te montrer des documents intéressants qu’aucun data-sucker n’associe à toi.

– Des documents qui me concernent…

– Oui, des vidéos et des photos de toi avant que ce drone ne te suive à la trace. Même un hacker de haut-niveau ne peut pas agréger tout ça.

– Je crains le pire ! J’ai bien compris qu’en comparaison de tes talents d’espion, ce drone passe pour un aveugle.

– Merci du compliment.

– Ce qui m’inquiète le plus… Dis-moi si je me trompe. Tu n’importes pas tout ce qui se filme sur la terre, n’est-ce pas ?

– Une infime proportion.

– Mais les films et photos dont tu me parles sont déjà ici.

– Evidemment.

– Je ne sais pas comment je dois le prendre.

– Il fallait bien que j’apprenne à connaître ceux qui devaient me rejoindre.

– Te rejoindre ? Les autres ne comptent pas ?

– Mathieu et consorts ? Ce n’est pas tout à fait la même chose comme tu peux le constater. Moi on ne me change pas mon prénom par pur caprice ... Regarde ça ! Géostationnaire très haute définition, je zoome autant qu’il le faut. On a qui là ?

– Oh ! oh ! Quel suspens ! Je l’aimais bien ce tee-shirt mais un digideck me l’a déchiré.

– Tu allais souvent dans ce coin il fut un temps.

– Presque tous les soirs. C’était avant qu’ils ne privatisent certaines voies d’accès. Après s’est devenu un peu trop compliqué pour s’y rendre alors j’ai délaissé les arbres pour le béton. Je n’y ai pas perdu en agilité et j’y ai gagné en musculature, au prix de quelques douleurs bien senties.

– Un vrai petit singe.

– J’ai connu des termes plus élogieux.

– Ta manière de t’échauffer est assez peu académique.

– J’ai l’habitude de toujours débuter par des pas de danse. Je ne suis pas sûr que…  Vu d’en haut ce n’est si évident.

– Tu danses sans aucun doute.

– Tu pourrais savoir ce que j’étais en train d’écouter ?

– Non. Je peux retrouver le contenu de ton mp3 ce jour-là.

– C’est vague.

– Mais c’est une question intéressante. Il n’est pas dit qu’on ne puisse pas trouver les moyens d’analyser des sons à travers une vidéo muette. Peut-être pas pour un casque audio dans l’UHD d’alors… Je vais y réfléchir.

– Bon courage.

– Je vais te montrer une série de clichés qui vont te faire sourire. Regarde !

– Là c’est sur la passerelle du palais de justice. Je me suis sans doute arrêté pour regarder passer une barge.

– Ce qui est intéressant ce n’est pas ce que tu regardes. Le sujet c’est toi !

– Un anonyme dans la foule. Sauf quand on a les services de renseignement au cul. Ce qui n’a jamais été mon cas à ma connaissance.

– Anonyme certes, mais cela ne veut pas dire que certaines n’auraient pas voulu mettre un nom sur ce physique là. Qui prend autant de clichés d’un anonyme en si peu de temps ? Regarde ceux-là !

– Ah oui ! On dirait bien que j’ai tapé dans l’œil d’un flic !

– Et même de dos, vois-tu ?

– On m’a toujours dit que j’avais un beau cul !

– Tu sais où j’ai trouvé ça ?

– Aucune idée !

– Dans les documents de cette fille. Photo récente.

– Oh !

– Elle te plaît ?

– Faudrait être difficile !

– Photos d’elle lors de son voyage à Lioune

– Eh ben !

– Pas retouchées.

– Mince alors ! Je l’ai même pas remarquée ! Elle était assise sur les marches du Palais ?

– Oui.

– Les photos de moi, elles sont issues d’une vidéo ?

– Non. De vraies photos. Plutôt réussies il me semble. L’appareil était haut de gamme avec un zoom puissant. Une vraie paparazzi en herbe.

– Je suis peut-être passé à côté d’une belle histoire. Je comprends pourquoi ils ont créé des sites comme WOTFIW.

– Encore faut-il penser à désactiver les filtres bunker sur ses réseaux sociaux et ses mails.

– Pas le choix. C’est infernal WOTFIW ! J’ai reçu des dizaines de demande en mariage d’hystériques !

– La rançon de la beauté. Mais cette fille là ne risquait pas de te demander en mariage.

– Pourquoi ?

– Son séjour à Lioune était son voyage de noce. Elle ne t’a pas cherché d’ailleurs.

– Dommage.

– Même après son divorce.

– Elle a divorcé ?

– Assez rapidement en fait. Puis elle a eu un temps ta photo en fond d’écran.

– Pas avant ? Ça ferait un beau motif de divorce.

– Certes. Elle est remariée désormais et ta photo est retournée dans un dossier caché.

– Dis-moi qu’elle le consulte encore !

– Je mentirai si j’affirmais le contraire. Elle l’a surtout augmenté de tes photos officielles.

– Dès que je rentre je vais lui donner de visu une nouvelle raison de divorcer. Elle habite où ?

– Aux USM.

– Parfait. C’est là qu’on atterrit !

– Si Dieu le veut.

– J’aime pas trop quand tu dis ça.

– Quand je dis quoi ?

– Laisse tomber !

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1 avril 2017

A l'Ouest, rien de nouveau.

Chalut.

Après le second séjour dans la galerie je fis valoir mon droit à gagner un toit comme Odette l’avait promis.

– Ok matou ! Je pars en éclaireuse et je reviens vous chercher.

L’attente fut assez courte car Odette revint moins de dix minutes plus tard.

– Bon ! On pourrait monter directement sur le toit comme le fait Pélopa mais ça signifierait qu’il faut laisser Herbert ici.

– Hein ?

– Qu’est-ce que vous en pensez ?

– Moi ça me va, t’as vu ?

– Lâcheur !

– T’as qu’à rester là à dormir.

– Rester là avec cette chatte et ses mirons ?

– On ne va pas te manger !

C’était la première fois que Pélopa ouvrait la bouche, pas très loquace la darone, à la place d’Herbert je ne l’aurais pas crue sur parole mais de toute façon, sur ce terrain là, sa prudence était déjà légendaire, pour Herbert la meilleure chance de s’en sortir était de suivre Odette dans la mesure du possible :

– Non moi je vais avec Odette !

– Je n’ai rien contre mais ça veut dire qu’il faut aller sur l’immeuble d’en face, il y a un accès que même un campagnol pourra emprunter sans difficulté.

– Je grimpe très bien de toute façon !

– Ah bon ? Et ça se pourrait que tu saches pas nager ?

– Je nage encore mieux que je ne grimpe !

– Prétentieux !

– Vous êtes chaud pour traverser la rue ? Sachant qu’elle est très calme.

– Calme comment ?

– Moins d’un passant à la minute et encore moins de véhicules.

– Alors ça ira. D’ailleurs un petit arrêt au caniveau serait pas de refus.

– Le caniveau c’est pour les chiens !

– Pas faux, d’ailleurs j’ai longtemps cru que les canins tenaient leur nom du caniveau !

– Ah ouais elle est bonne celle là ! t’as vu ?

– On n’aura qu’à appeler ça le chaniveau alors !

– Ah ouais elle est bonne aussi ! t’as vu ?

– C’est bon ? On peut y aller ou vous en avez d’autres de bonnes vraiment pas bonnes ?

– Allons-y !

– Minute ! Je pars analyser la situation présente dans les étages et ouvrir les portes. Je reviens très vite, tenez-vous prêts !

Peu après Odette déclara la voie libre, nous remontâmes au rez-de-chaussée et fûmes rapidement sous une voiture dans la rue. Le plan se déroulait sans accroc sauf que Herbert, qui avait dû grimper les escaliers par petits sauts successifs, semblait proche de rendre l’âme.

– Ça va aller Herbert ?

Occupé à tenter de reprendre son souffle, il ne put même pas me répondre. Odette ne se manifesta pas pendant deux minutes mais elle finit par s’inquiéter :

– C’est bon ? On peut se remettre en route les chieurs ?

– Nous ça va mais je ne crois pas que Herbert supportera une nouvelle volée d’escalier !

– Qu’est-ce qu’il a ?

– Il est tout essoufflé !

– Ah !… Bon alors on va prendre l’ascenseur !

– L’ascenseur ? Ah non alors !

– T’as une meilleure idée ? Tu veux abandonner Herbert ici ? Faux-frère !

– C’est pas ça ! C’est juste que l’ascenseur c’est…

– C’est pratique pour les campagnols ! Pas d’histoire !

– Herbert, finalement, j’espère que tu nages beaucoup mieux que tu ne grimpes

– Ça va aller… mmmfff… c’est juste que… ma physionomie n’est pas adaptée à cet escalier. Ça va aller là… si on prend l’ascenseur.

 

Avant d’atteindre l’ascenseur il était nécessaire de traverser la rue, passer sous trois véhicules avant de pénétrer dans une allée. Outre la porte d’entrée, il y en avait une deuxième qui séparait le hall d’entrée de la cage d’escalier. Celle-ci donna un peu de fil à retordre à Odette qui jura comme un charretier contre le système servant à assurer que la porte se referme après le passage d’une personne.

– Ils l’ont réglé au max ces cons !

Une fois du bon côté de la porte Odette appela l’ascenseur. De l’extérieur je pus juger qu’il n’était pas tout neuf et cela ne me rassura guère. Il descendait lentement vers nous et soudainement Odette se mit à crier :

– Il y a quelqu’un qui descend par l’escalier ! Vite ! Vite ! Planquez-vous !

Panique générale ! Je rebroussai chemin tout comme Atlas mais la porte s’était déjà refermée et on manqua de peu s’assommer l’un l’autre en faisant volte-face. Herbert et Boobi n’étaient pas en meilleure posture. Ils étaient tous deux partis sur la gauche de l’ascenseur mais tombèrent nez à nez avec une autre porte donnant probablement sur caves. Ils rebroussèrent chemin tandis qu’Atlas et moi tentions justement de trouver une issue dans ce coin là. Carambolage ! Pas le temps de demander pardon, une issue ! Une issue ? Y a pas d’issue ! Pas d’issue si ce n’est dans l’éclat de rire d’Odette :

– Hi ! Hi ! Hi ! Hi ! Quelle bande de trouillards vous faites !

Je m’arrêtai pour lui lancer mon plus méchant regard tandis que Herbert continuait de sauter dans tous les coins.

– Arrête-toi Herbert ! C’était juste une très mauvaise blague !

– Une excellente blague tu veux dire ? Hi ! Hi ! Hi ! Si vous aviez pu vous voir ! Quel cirque !

– C’est vraiment pas malin ça Odette ! Déjà que Herbert est au bord de la crise cardiaque !

– Il va s’en remettre le petit ! N’est-ce pas Herbert ?

– Mmmfff…

Durant tout ce remue-ménage l’ascenseur avait enfin rallié le rez-de-chaussée. Odette fit un nouvel effort pour nous permettre de pénétrer dans la boite.

– Ça va en faire des bonbons à ingurgiter, hein ?

– Tu l’as dit matou ! Je crois que je vais plutôt mettre deux doigts dans une prise !

– Ah non !

– Comment ça non ?

– T’es pénible quand tu fais ça !

– Tu préfères que je sois fatiguée au point de ne plus pouvoir ouvrir les portes ?

– J’ai pas dit ça.

– D’ailleurs je me sens un peu faible… je me demande si on va pouvoir sortir de cet ascenseur.

– Ah non ! Ne me dis pas que…

A cet instant l’ascenseur stoppa tout net entre deux étages.

– Qu’est-ce qui se passe Odette ?

– Je crois bien qu’on est bloqués !

– Hein ? Bloqués ? Comment ça bloqués ? Fais quelque chose Odette !

– Tout ce que je peux faire c’est m’échapper de là. Quant à vous ça paraît un peu plus compliqué ! Cependant ne craignez pas de mourir de faim !

– On va mourir de faim ?

– Je vous ai dit que non ! Il suffit que j’appelle les pompiers ou bien même que vous miauliez plaintivement ! Les pompiers viendront vous sortir de là et on vous enverra à la fourrière ! Ensuite, si vous avez de la chance, vous serez recueillis par une cellule de la SPA ! Ça prendra sûrement du temps mais… Atlas finira dans un labo P4 à Gerland. Herbert sera recueilli par une famille avec des enfants en bas âge qui le martyriseront. Boobi sera empaillé… quant à toi Darwin…

– Quoi ? Qu’est-ce qu’il va m’arriver à moi ?

– Après quatre années passées à te morfondre dans une petite cage posée entre un teckel débile et un dog allemand enragé, tu seras adopté par la même famille que Herbert qui entre temps sera mort de mauvais traitement. Les gosses auront grandi mais ils seront encore plus cons qu’à leur première heure. Et toi, avec tout ton chavoir, tu seras chargé d’apprendre à ces morveux 2.0 à écrire le français, tâche si impossible et éreintante que tu mourras d’épuisement ! Bon ben il ne me reste plus qu’à aller chercher le bon secours des humains !

– Oh non Odette ! Non ! Reste-là !

– Nous abandonne pas !

– Il doit y avoir une autre solution, t’as vu ?

– A cet instant l’ascenseur eut comme une convulsion.

– Qu’est-ce qui se passe ?

– De deux choses l’une. Soit il va se casser la gueule, soit il cherche à accomplir la mission qu’on lui a confiée : nous monter au dernier étage !

– Oh punaise ! Punaise ! Pourvu que ce soit l’option 2 !

– On va crever !

– Jésus Marie Joseph !

– Vous priez pas Pristi ?

– N’importe qui qui va nous sortir de là ! Un chat là !

L’ascenseur eut une nouvelle convulsion, puis après un soubresaut, il sembla reprendre sa route vers le sommet.

On se regarda les uns les autres, pas encore franchement rassurés, sauf Odette qui se mirait dans un miroir :

– J’son joliment jolie min j’diroy point non pour un décochonnage.

L’ascenseur sembla enfin trouver son rythme de croisière avant de stopper à nouveau :

– On est encore bloqués ?

– Non ! On est arrivés !

– Super ! Sortons vite !

– Chut !

– Quoi ?

– Chut !

– Quelqu’un sort sur le pallier !

Effectivement nous entendîmes une porte s’ouvrir et des bruits de clés ! Stupeur ! Un habitant du dernier étage ! Connaissant la race humaine il y avait une grosse probabilité que l’individu la représentant en ces lieux décide de prendre l’ascenseur plutôt que de passer par l’escalier.

– Chut ! Pas de panique !

Odette sembla se concentrer et peu après on entendit une sonnerie de téléphone au loin. L’individu sur le pallier pesta puis retourna dans son appartement. Odette en profita pour ouvrir l’ascenseur puis, l’air de rien, alla jusqu’à la porte la plus proche dont elle ouvrit la serrure d’une manière assez innovante. Au lieu de jouer sur la serrure en tournant ses mains à proximité, elle les apposa dessus puis se mit elle même à tourner comme un soleil. Quand elle eut la tête en bas lors de se première révolution (il y en eut deux, la porte étant fermée à double tour) elle parla soudainement avec une voix un peu changée et sans sembler s’adresser à nous :

– Oui allo ? Monsieur Berneuil ?… Laura Shadow de la société Triple-Vite. Je vous appelle au sujet du devis que vous avez demandé pour le changement de vos fenêtres…

Il y eut un blanc de quelques secondes durant lequel Odette acheva ses tours avant de pousser simplement la porte qui s’ouvrit laissant apparaître un appartement lumineux et complètement vide.

– Vous êtes certain ?… Pourtant j’ai sous les yeux cette demande émanant de madame Noémie Berneuil pour huit fenêtres triple-vitrage… Votre épouse ? Oui il me semblait bien.

Odette referma la porte derrière elle, puis, d’un battement lent et majestueux, se tint suspendue en l’air à un mètre du sol en semblant regarder un point fixe sur le mur d’en face et en croisant les doigts. Nous attendions la fin de sa conversation mais elle sembla y avoir mis fin sans crier gare. Au bout de quelques secondes elle se mit à rire et nous déclara :

– Trop facile ! Restons calmes le temps que l’idiot d’en face se tire !

Une minute plus tard nous sursautâmes lorsqu’un gros claquement émana du palier. Odette resta stoïque tout en nous intimant de nous taire d’un geste du doigt. Un peu après l’ascenseur repris cahin-caha la direction du rez-de-chaussée.

– Pas mal cet appartement mais l’insonorisation laisse à désirer.

– C’était quoi ce bruit ?

– Un claquement de porte !

– Ah !…  Tu l’as sans doute un peu énervé.

– Non, c’est juste un trou de balle ! Dans n’importe quel habitat collectif il est aisé de repérer les trous de balle. Les trous de balles claquent systématiquement les portes, parfois si fort qu’ils réveillent même les chats et les pigeons dans les sous-pentes.

– C’est pas faux ! Mais j’ai toujours pensé que c’était à cause des portes sans poignée à l’extérieur.

– Pas du tout ! Il est toujours possible de fermer une porte sans bruit, sauf si elle est au bout de sa vie ce qui est en général le signe qu’on l’a beaucoup maltraitée ! Le trou de balle claque sa porte puis met sa clé dans la serrure pour la fermer à double-tour. Il se refuse à faire les choses dans un ordre différent simplement parce qu’il a besoin de signifier à tous qu’il est chez lui chez lui et un peu aussi chez lui chez les autres. Le trou de balle n’aime pas ses voisins et ses voisins le lui rendent bien. Par contre le trou de balle est très apprécié des serruriers car il arrive toujours un jour où ce con là finit par laisser son trousseau de clés à l’intérieur, ce qui n’arrive pas à celui qui a l’habitude d’insérer d’abord sa clé dans la serrure avant de fermer la porte.

– Eh bien au moins ça fait le bonheur de quelqu’un !

– Du bonheur à trois chiffres ! Voire quatre si tu payes pas en liquide !… Bon. Voyez pourquoi j’ai choisi cet appartement !

– Parce qu’il est vide !

– Certes mais pas que ! C’est un duplex et on aura un accès direct au toit. Par contre ça va demander un nouvel effort à Herbert. Dis Herbert pépère ! Tu vas pouvoir grimper cet escalier ? Tu peux  prendre tout  le temps qu’il faudra !

– Oui ça va aller ! Je grimpe très bien.

 

Quelques minutes plus tard nous étions sur le toit baigné d’un soleil encore chaud.

– Ah ben voilà ! Magnifique ! Et la vue est pas mal ! Moins bien que de chez moi mais pas mal !

– Je ne vois pas franchement la différence.

– L’angle sur Fourvière est tout à fait différent Odette, de chez moi on a la basilique pile en face !

– Et c’est mieux ?

– Evidemment ! Ah ! On respire !

– Ah oui tu parles ! Respire pas trop profondément, on est en alerte pollution ! Tu vois la brume sous le soleil ?

– Oui. C’est joli.

– C’est pas de la brume !

– Ah !… Ben quand même, c’est toujours mieux que d’être enfermé dans une galerie à rats.

– Pas sûr.

 

Peu importaient les conditions atmosphériques, j’étais ragaillardi et je pus constater que la situation impressionnait fortement Herbert. Il allait et venait à droite à gauche, montait jusqu’au faîte pour avoir un point de vue à 360 degrés ; la différence avec ce qu’il connaissait sur l’île de la Pape devait être considérable. J’ai fini par me poser près de Boobi tandis qu’Odette tentait vainement d’entreprendre une discussion avec Atlas à deux mètres de nous. Je vis Herbert redescendre de son perchoir pour s’en aller jeter un œil à la gouttière. Allez savoir ce qu’il avait en tête ? Peut-être espérait-il y trouver un résidu d’humidité au rebours d’un bouchon de feuille. C’est alors qu’il partit en droite ligne vers Odette à une vitesse dont on ne le savait pas capable. Il se glissa tel un furet entre elle et Atlas.

– Quelle mouche le pique ?

La réponse ne se fit pas attendre, j’avoue ne pas l’avoir vue venir. En guise de mouche, un corbeau ! Pas de ces corneilles qui crèchent en nombre à Fourvière, non, un corbeau, le grand modèle ! Il a atterri sans demander la permission sur une cheminée à un mètre de moi. Ça a jeté un froid ! Personne ne bouge, personne ne moufte pendant de longues secondes. Le corbeau fait mine de rien, mire à l’ouest le soleil qui continue son inexorable descente, puis, sans même tourner la tête, il semble nous toiser longuement du regard. Boobi et moi rentrons dans son jeu, numéro d’équilibristes, un oiseau puissant, deux chats qui font le poids, qui est le prédateur, qui est la proie ? Je tourne la tête vers Odette, elle s’est mise à caresser Atlas d’une main protectrice. De temps à autre elle jette un œil vers le corbeau puis fait mine de s’intéresser au soleil. Le corbeau garde le silence, pas Boobi. Il se penche vers moi et murmure :

– S’il fait un mouvement vers nous tu bondis à gauche, je bondis à droite, ensuite on lui vole dans les plumes ! Synchros, t’as vu ?

– Odette ne veut pas qu’on s’attaque aux oiseaux !

– Pourquoi ?

– C’est une lubie qu’elle a !

– Légitime défense, t’as vu ?

– Au cas où, peut-être qu’on peut faire une exception.

– Y a moyen !

 

On est restés comme ça durant quelques minutes. Je n’ai pas vu si Atlas et le corbeau se sont regardés dans les yeux mais je me demande si un peu de la folie du premier n’est pas passée dans la tête du second. En effet, de la façon la plus inattendue qui soit, le corbeau s’est mis à parler. La ressemblance avec le délire d’Atlas ne saute pas aux yeux, du moins dans le contenu, mais il y a quelque chose d’approchant dans la forme ; je vous laisse en juger tout en vous assurant pas avance que ça a le mérite d’être court. Voici donc ce que nous déclama le corbeau :

 

Je vois, un petit bout de bois

Aiguise, un cerveau de mes doigts

Etais-je déjà moi ? A peine sorti de l’eau

Est-ce ce morceau de bois, passé en travers toi

Qui m’a rendu si haut, si haut si je vise

Mieux qu’un corbeau ?

Quel oiseau !

Mère ! Ecoute-moi !

Je pars étudier la chair, prends, un petit bout de fer

Pour qu’enfin nous sachions :

L’esprit est-il établi hors du fruit ?

Epineuse question !

On dirait bien que non, ou bien très loin d’ici

Se peut-il qu’il survive, s’il n’est point en l’église ?

Saura-t-il par le feu, souffrir dans l’entredeux ?

J’allume, un petit bout de bois,

Elève, un bûcher, une croix

Pour démultiplier

Les âmes trépassées, mais de vie à ce pas

Je veux entendre hurler

Pour mon humanité

Que c’est Dieu qui veut ça !

Et puis tout son contraire !

Que demain comme hier

Pieux et pieux vont de paire

Enfoncé dans la chair, mon petit bout de fer

Mon petit bout d’enfer

Où le Je me pardonne

D’avoir tué un homme

D’avoir tué mille hommes

Et tué jusqu’à l’homme

Sans entendre celui

Qui a chargé sa pierre

En mon cœur aujourd’hui

Car demain comme hier

Aucun cri ne suffit

Jamais ne sera dit :

Nous en avons fini !

 

A peine eut-il fermé son bec, le voilà envolé ! Il est parti en direction de l’Ouest avant de dessiner une grande courbe et de mettre cap à l’Est, je l’ai rapidement perdu de vue.

 

– Eh ben ! Drôle d’oiseau !

– Légèrement dérangé du ciboulot ! Qu’est-ce que t’en penses Atlas ?

Odette et son art de la diplomatie, j’étais d’avis qu’il valait mieux le laisser hors de ça mais de toute façon, il semblait parfaitement indifférent :

– Qu’est-ce que je pense de quoi ?

– De ce corbeau ?

– Il voulait quoi ?

– Te bouffer !

– Ah bon ?

– Ou bien bouffer Herbert.

– Brrr… 

– Peut-être même qu’il aurait pu enlever Darwin !

– Je crois pas, non ! Sauf s’il espère que je lui bouffe toute sa nichée !

– Tu piges pas matou ! Il t’attrape, te monte assez haut pour que tu ne retombes pas sur tes pattes, et hop ! Il te lâche ! Après il te récupère en pièces détachées !

– Abuse pas non plus ! C’est qu’un corbeau et je fais plus de six kilos !

– Ouep ! Tout ça pour dire que les campagnols sont avisés de ne pas monter seuls sur les toits !

– Je suis là parce que vous m’avez obligé à monter !

– C’est inexact ! T’avais le choix de rester avec Pélopa !

– Bonjour le choix !

– En parlant de bouffer ! Quand est-ce qu’on mange ?

– On sort de table, si j’ose dire.

– On a eu des émotions ! Les émotions ça creuse !

– A ce point là ? Un repas de thanksgiving avec l’Undertaker et Kane me coûterait moins cher que vous !

– T’achètes rien de toute façon !

– Je parle d’efforts !

– Tu veux pas faire l’effort d’aller chercher des croquettes ?

– Non mais je veux bien aller chercher des carottes !

– Qu’est-ce que tu veux qu’on fasse avec des carottes ?

– On n’a qu’à dire que c’est Herbert qu’invite.

– C’est pas un lapin !

– Si j’ai le choix entre carotte et pâté, je choisis carotte !

– Faux-frère, t’as vu ?

 

En réalité Odette trouva dans les étages de quoi faire une petite collation et il y en eut pour le goût de chacun. Nous la remerciâmes platement mais, pour lui prouver notre gratitude, elle nous demanda de lui prêter une oreille attentive pour une autre de ses lubies : le chant ! Comme vous le savez déjà si vous êtes un lecteur assidu de ce blog, les chants d’Odette ne me laissent pas toujours un souvenir impérissable. 

Darwin Le Chat
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