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– Emmanuel, j’ai parcouru l’ensemble du document et ils seront difficilement attaquables sur ce terrain là. Je ne comprends d’ailleurs pas pourquoi tu as signé ce contrat sans le lire en intégralité.
– Personne ne lit ce genre de documents. 127 pages pour un concours avec des alinéas minuscules ! Le terme « tous les moyens nécessaires » ne peut tout de même pas inclure une violation de domicile !
– Ce sont des images de ton cloud !
– Possible mais filmées à mon insu et importées sur mon cloud à mon insu. J’ai aveuglé ma web cam bien avant de tenter ce concours. Le plan a l’air de venir d’une web cam posée sur une table mais si c’est une web cam, elle ne m’appartient pas. Tu peux savoir sur quel modèle de caméra ça été filmé ?
– Oui. C’est une minitron 27.HL. Elle a été entre autre été installée sur les FlyInside de Gloogloop et les ByDoorSpider de Totoshimosh.
– Pas sur quelque objet susceptible de m’appartenir ?
– C’est difficile à dire puisque tu ne lis pas entièrement tes documents contractuels.
– Quel rapport ?
– Le rapport ? Une technique d’introduction légale.
– Je ne comprends pas un mot de ce que tu me dis !
– Imaginons qu’une entreprise commerciale te vende un objet quelconque avec un cadeau surprise à l’intérieur. La présence de ce cadeau est spécifiée dans les documents contractuels en un endroit que personne ne croit bon de lire. Le cadeau lui même est minuscule et reste dissimulé le temps nécessaire à l’intérieur de l’objet acheté. Il se déploie ensuite discrètement pour jouer son rôle espion.
– Quel intérêt ? Comme si les services secrets avaient besoin d’être dans la légalité pour espionner les gens !
– Dans le cas d’un service secret c’est sans intérêt. Dans le cas d’une entreprise comme Red Element l’intérêt pourrait se comprendre dès aujourd’hui. Veux-tu que je vérifie ça ?
– Bien entendu !
– Voilà.
– C’était rapide.
– Relativement. Donc tu possèdes effectivement un Gloogloop FlyInside sans même avoir eu à acheter le moindre objet puisqu’il était avec le casque Red Element qu’ils t’ont fourni après la quatrième étape de la sélection.
– Sérieusement ?
– Tout à fait.
– Le FlyInside a commencé à te filmer dès le déballage du casque.
– Non ?
– Les images ont été transmises à ton cloud. Dossier caché, paramètres non publics avec des mots de passe que tu as coutume d’utiliser. Cependant facilement accessibles pour un service de hacking.
– Tu veux dire que j’ai été filmé chez moi 24h sur 24 depuis ce moment là ?
– Pas uniquement chez toi.
– Il me suivait dehors ?
– Oui. En toute légalité. Tu restes le dépositaire de ces images.
– Mais non ! Ce n’est pas moi ! C’est Red Element ! Et ces connards n’ont même pas prévu un dispositif anti-hacking !
– Ce n’était pas nécessaire. Autant faire les choses illégalement dans ce cas. Ils ont fait un copier-coller de paramètres que tu utilises ordinairement pour faire valoir que tu en es à l’origine. Que cela finisse dans les mains d’autrui n’est pas vraiment un problème pour eux.
– Pourquoi pas ? Quelque part je les représente dans cette mission, mon image colle peut-être plus à celle de Bison Maudit mais c’est avec eux que je suis le plus lié.
– Des milliers de personnes se filment 24 heures sur 24 par pur exhibitionnisme ! Je ne crois pas que tu aies pu faire quoi que ce soit qui puisse nuire à leur image, sinon ils l’auraient de toute façon effacé . J’imagine que te voir déambuler nu dans tes 12 mètres carrés n’aurait rien d’anti-commercial si ces images étaient diffusées parmi toutes celles qui font l’éloge de ton physique. Cela me semble même avoir été un critère de choix primordial, sans vouloir vexer ton intelligence.
– Je n’arrive pas à comprendre comment un vulgaire club caritatif se paie un service de hacking à seule fin de mieux connaître un candidat à l’adhésion.
– Ce vulgaire club là est affilié à un autre beaucoup plus prestigieux.
– Ah ?… Rassure-moi ! Mes paramètres restent assez protecteurs pour le commun des mortels ?
– Il semblerait. Tes images ne sont pas diffusées. Mais cela ne signifie pas qu’elles ne le seront pas à l’avenir. Je pense que Red Element pourrait trouver un intérêt dans celles concernant la mission proprement dite.
– Attends une minute ! Tu veux dire que… Il est ici ? Le FlyInside est ici ?
– A deux mètres de toi.
– Et tu viens seulement de le repérer ?
– Non.
– Et tu m’en parles seulement maintenant ?
– Qu’y a-t-il d’anormal à sa présence ? Ce que j’ignorais c’est qu’il t’appartient en propre.
– Ce qui signifie que je peux le détruire.
– Si tu peux mettre la main dessus ! Il t’appartient mais ce n’est que fictivement qu’il a été programmé par toi.
– Tu pourrais m’aider à mettre la main dessus !
– Certainement. Mais je ne crois vraiment pas qu’il faille faire cela.
– Pourquoi ?
– Ce drone transmet. Il a été déclaré dans ton paquetage.
– Par qui ?
– Par toi. Par l’intermédiaire de Red Element bien sûr. Mais tu as signé la liste. Elle non plus tu ne l’as pas lue ?
– Non. Et donc ?
– Ce qui a été filmé depuis le départ ne figure pas sur ton cloud car le Contrôle ne le permet pas. Cela ne signifie pas que Red Element ne compte pas un jour récupérer ces images, notamment en ce qui concerne les captures. Le statu quo me paraît plus raisonnable dans une optique de négociation future.
– Pas faux.
– De toute façon tu ne devrais pas te soucier de cela.
– A t’entendre je ne devrais jamais me soucier de quoi que ce soit. Mais je me soucie ! J’ai bien conscience que le domaine de l’intimité s’est réduit comme peau de chagrin au fil des ans, mais je ne suis pas d’accord pour être filmé chez moi à mon insu ! Red Element m’inflige des pénalités à tout va, pourquoi je ne leur renverrai pas la monnaie de leur pièce si je peux prouver qu’ils m’ont trompé ?
– Tu ne peux pas le prouver.
– Mais toi tu peux monter un dossier prouvant que mes mots de passe ont été générés de chez eux.
– Possible. Mais je vais rester en dehors de cette histoire, si tu permets.
– Merci de ton aide.
– Si tu veux je peux te montrer des documents intéressants qu’aucun data-sucker n’associe à toi.
– Des documents qui me concernent…
– Oui, des vidéos et des photos de toi avant que ce drone ne te suive à la trace. Même un hacker de haut-niveau ne peut pas agréger tout ça.
– Je crains le pire ! J’ai bien compris qu’en comparaison de tes talents d’espion, ce drone passe pour un aveugle.
– Merci du compliment.
– Ce qui m’inquiète le plus… Dis-moi si je me trompe. Tu n’importes pas tout ce qui se filme sur la terre, n’est-ce pas ?
– Une infime proportion.
– Mais les films et photos dont tu me parles sont déjà ici.
– Evidemment.
– Je ne sais pas comment je dois le prendre.
– Il fallait bien que j’apprenne à connaître ceux qui devaient me rejoindre.
– Te rejoindre ? Les autres ne comptent pas ?
– Mathieu et consorts ? Ce n’est pas tout à fait la même chose comme tu peux le constater. Moi on ne me change pas mon prénom par pur caprice ... Regarde ça ! Géostationnaire très haute définition, je zoome autant qu’il le faut. On a qui là ?
– Oh ! oh ! Quel suspens ! Je l’aimais bien ce tee-shirt mais un digideck me l’a déchiré.
– Tu allais souvent dans ce coin il fut un temps.
– Presque tous les soirs. C’était avant qu’ils ne privatisent certaines voies d’accès. Après s’est devenu un peu trop compliqué pour s’y rendre alors j’ai délaissé les arbres pour le béton. Je n’y ai pas perdu en agilité et j’y ai gagné en musculature, au prix de quelques douleurs bien senties.
– Un vrai petit singe.
– J’ai connu des termes plus élogieux.
– Ta manière de t’échauffer est assez peu académique.
– J’ai l’habitude de toujours débuter par des pas de danse. Je ne suis pas sûr que… Vu d’en haut ce n’est si évident.
– Tu danses sans aucun doute.
– Tu pourrais savoir ce que j’étais en train d’écouter ?
– Non. Je peux retrouver le contenu de ton mp3 ce jour-là.
– C’est vague.
– Mais c’est une question intéressante. Il n’est pas dit qu’on ne puisse pas trouver les moyens d’analyser des sons à travers une vidéo muette. Peut-être pas pour un casque audio dans l’UHD d’alors… Je vais y réfléchir.
– Bon courage.
– Je vais te montrer une série de clichés qui vont te faire sourire. Regarde !
– Là c’est sur la passerelle du palais de justice. Je me suis sans doute arrêté pour regarder passer une barge.
– Ce qui est intéressant ce n’est pas ce que tu regardes. Le sujet c’est toi !
– Un anonyme dans la foule. Sauf quand on a les services de renseignement au cul. Ce qui n’a jamais été mon cas à ma connaissance.
– Anonyme certes, mais cela ne veut pas dire que certaines n’auraient pas voulu mettre un nom sur ce physique là. Qui prend autant de clichés d’un anonyme en si peu de temps ? Regarde ceux-là !
– Ah oui ! On dirait bien que j’ai tapé dans l’œil d’un flic !
– Et même de dos, vois-tu ?
– On m’a toujours dit que j’avais un beau cul !
– Tu sais où j’ai trouvé ça ?
– Aucune idée !
– Dans les documents de cette fille. Photo récente.
– Oh !
– Elle te plaît ?
– Faudrait être difficile !
– Photos d’elle lors de son voyage à Lioune
– Eh ben !
– Pas retouchées.
– Mince alors ! Je l’ai même pas remarquée ! Elle était assise sur les marches du Palais ?
– Oui.
– Les photos de moi, elles sont issues d’une vidéo ?
– Non. De vraies photos. Plutôt réussies il me semble. L’appareil était haut de gamme avec un zoom puissant. Une vraie paparazzi en herbe.
– Je suis peut-être passé à côté d’une belle histoire. Je comprends pourquoi ils ont créé des sites comme WOTFIW.
– Encore faut-il penser à désactiver les filtres bunker sur ses réseaux sociaux et ses mails.
– Pas le choix. C’est infernal WOTFIW ! J’ai reçu des dizaines de demande en mariage d’hystériques !
– La rançon de la beauté. Mais cette fille là ne risquait pas de te demander en mariage.
– Pourquoi ?
– Son séjour à Lioune était son voyage de noce. Elle ne t’a pas cherché d’ailleurs.
– Dommage.
– Même après son divorce.
– Elle a divorcé ?
– Assez rapidement en fait. Puis elle a eu un temps ta photo en fond d’écran.
– Pas avant ? Ça ferait un beau motif de divorce.
– Certes. Elle est remariée désormais et ta photo est retournée dans un dossier caché.
– Dis-moi qu’elle le consulte encore !
– Je mentirai si j’affirmais le contraire. Elle l’a surtout augmenté de tes photos officielles.
– Dès que je rentre je vais lui donner de visu une nouvelle raison de divorcer. Elle habite où ?
– Aux USM.
– Parfait. C’est là qu’on atterrit !
– Si Dieu le veut.
– J’aime pas trop quand tu dis ça.
– Quand je dis quoi ?
– Laisse tomber !