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Darwin Le Chat
6 novembre 2017

Konko Kalekatan ou l'attaque du rat géant, film américain.

Voici ce qui se passa sur le toit de Perrache où nous étions montés avec Odette, Atlas, Boobi et Herbert. Après la lecture faite par Odette du message insensé de Mr Grabelot, nous gardâmes quelques temps le silence puis Odette lança :

– On n’est pas bien là ?

Certainement on était bien, il faisait beau et la température était agréable. De plus nous avions un appartement vide à proximité en cas de besoin. Odette suggéra de passer la nuit là entre amis. Nous restâmes longtemps sur le toit avant de rentrer dans l’appartement vide quand la nuit fut venue. Nous parlâmes de tout et de rien, finîmes par aborder le sujet du cinéma. C’est alors que je me souvins des ailes d’Odette et de leur prétendue capacité à recevoir la TNT :

– Dis donc Odette ! On a quitté les caves ! Ici tu ne peux pas dire que tu ne reçois pas la TNT ! Alors on pourrait regarder un film !

– Qui ça on ?

– Ben nous !

– Vous ? Parce que moi ne je verrai rien, vu qu’il n’y a pas de glace.

– Mais c’est juste pour voir si tu dis la vérité.

– Tu me traites de menteuse matou ?

– Je n’ai pas dis ça !

– Je préfère !

 

Un ange passa.

 

– Allez Odette ! Sois sympa quoi !

Odette soupira, porta ses yeux au plafond, ferma l’œil gauche, le rouvrit, ferma l’œil droit. Elle semblait hésiter entre accéder à ma demande et changer totalement de sujet. Comme elle était assise, elle se leva soudainement et fit quelques pas dans la pièce en ayant l’air de réfléchir encore. Nous la regardions très intrigués. Soudainement ses ailes changèrent peu à peu de teinte et Odette demanda le silence alors que nous n’avions rien dit depuis près de deux minutes. Alors nous distinguâmes quelques images symétriques sur chacune de ses ailes tandis que des sons saccadés et guère compréhensibles emplissaient la pièce par intermittence. L’image venait et disparaissait en même temps que les sons avant que Odette ne trouve une position plus favorable à la réception. L’image resta partielle mais parfaite. C’était donc vrai !

Pas le temps de m’excuser auprès d’Odette pour avoir douté d’elle ; Atlas fut pris d’un nouvel accès de folie mais d’un genre différent du premier. Il se mit à courir autour de la pièce en criant : « Non ! Non ! Pitié ! Pas TF1 ! Pitié ! Pas TF1 ! Pas TF1 ! Pas TF1 ! Pitié ! Pitié ! »

Nous sommes restés bouche-bée un instant, Odette comprise, avant qu’elle ne décide d’en rire à belles dents ! Atlas continuait de courir en criant « Pitié ! Pas TF1 » puis Odette suspendit la réception et Atlas se figea sur place. Il sortit de sa torpeur deux secondes plus tard mais, tandis qu’il revenait vers moi comme si rien ne s’était passé, Odette diffusa une nouvelle chaîne et Atlas se remit aussitôt à courir en criant : « Non ! Non ! Pitié ! Pas BMF TV ! Pitié ! Pas BFM TV ! Pas BFM TV ! Pas BFM TV ! Pitié ! Pitié ! » Cela dura encore quelques dizaines de secondes durant lesquelles Odette ne cessa pas de rire. Mais comme les blagues les plus courtes ont le mérite de laisser le temps pour autre chose, elle y mit un terme et sonna la fin de la diffusion TV :

– Assez rit !

– C’était pas très drôle. Surtout pour Atlas.

– Il n’a pas l’air d’être traumatisé. Ça va Atlas ?

Lui, redevenu normal autant qu’il peut l’être.

– Oui. Merci. Je mangerais bien quelque chose néanmoins.

– Sans doute il est tout là ! Cependant je comprends sa réaction. Vous connaissez le slogan de BFM TV ?

– Ils ont un slogan ?

– Parfaitement ! « BFM TV, la télé qui nuit gravement à la santé ! »

– N’importe quoi !

– Tu me crois pas matou ?

– Personne n’aurait l’idée d’un tel slogan !

– Pourquoi pas ?

– Qui voudrait regarder une télé qui nuit gravement à la santé ?

– Qui voudrait fumer des cigarettes con de chat ? Les humains adorent nuirent à leur santé !

– C’est insensé ! Pourquoi le voudraient-ils ?

– Dans ce cas précis c’est de santé mentale dont il s’agit. Et nuire à sa propre santé mentale est tout à fait cohérent.

– Mais non ! Bien sûr que non ! Sauf si on est complètement maso !

– Pas seulement. Car l’addiction à des programmes TV merdiques permet d’en nourrir d’autres.

– Laquelle par exemple ?

– L’addiction aux antidépresseurs par exemple.

– Minute papillon ! Si je te suis bien, la télé déprimante permet de justifier la prise d’antidépresseurs si on a une addiction aux antidépresseurs. C’est idiot comme raisonnement. Une addiction se suffit à elle-même !

– Je te parle d’un cercle vicieux !

– Justement, en terme de raisonnement le cercle vicieux sanctionne l’impossibilité de raisonner logiquement. Donc tu as faux.

– Tais-toi donc con de chat ! En termes biologiques la poule fait l’œuf et l’œuf fait la poule ! Sauf qu’au début il n’y avait ni œuf ni poule mais quelque chose qui a évolué en une poule qui fait un œuf et un œuf qui devient une poule. Les gens sous antidépresseurs regardent des programmes déprimants qui les dépriment malgré les antidépresseurs qui leur masquent le fait qu’ils sont déprimés et que les programmes qu’ils regardent participent à leur déprime.

– Soit. Donc, imaginons qu’ils cessent de prendre des antidépresseurs…

– Mais ils ne peuvent pas cesser d’en prendre sinon ils tombent dans la déprime !

– Tu as dit qu’ils étaient déjà déprimés ! Faudrait savoir !

– Ils le sont mais les antidépresseurs leur servent à ne plus s’apercevoir qu’ils le sont. Cela fait tout sauf faire cesser la déprime et c’est heureux sinon ça nuirait gravement au business. Ils te l’ont pas dit sur BFM TV ?

– Je ne regarde pas cette chaîne !

– Sage initiative. Cela dit c’est la télé en général qu’il faut éviter.

– Moi j’aimerais quand même que tu nous mettes Arte pour voir si Atlas réagit de la même façon.

– Non mais dis donc ! Tu veux vraiment plomber la soirée toi ! Pas de télé !

– C’est dommage mais en même temps l’image est pas terrible.

– Pas terrible ? Tu te fous de moi ? C’est bien au-delà de la Full HD ! Ce sont tes yeux qui sont pas terribles ! J’arrête pas de te le dire !

– Je parle de la forme ! On ne voit qu’une partie de l’image !

– Excuse-moi de ne pas avoir les ailes d’un 747 !

– Certes. Pas de télé alors ?

– Non.

– Pourtant y a sûrement un bon film sur Arte.

– Un bon film bien déprimant sans doute. Inventons-en un plutôt !

– Un quoi ?

– Un film.

– Comment veux-tu qu’on fasse un film ?

– On ne va pas faire un film. Mais on peut imaginer un scénario !

 

Cette idée déchaîna l’assemblée. Mes camarades, qui ne s’étaient pas immiscés dans cette courte conversation entre Odette et moi, se mirent tous à parler en même temps. Pour faire cessez le brouhaha Odette dû imposer de nouveau le silence en haussant le ton. Le calme revenu elle reprit :

– Donc on imagine un scénario de film. Puisqu’on veut qu’il ait du succès c’est un film A… ? un film A… ?

– Abrutissant ?

– Oui mais pas que ! Un film A… ?

– Je vois pas, t’as vu ?

– Américain, crétins !

– Ah oui ! Logique !

– Bon. Trouvons un lieu pour démarrer l’action !

– New York ! a dit Boobi. Il y aurait un rat qui devient géant, t’as vu. Il s’appelle Ratong et il menace de détruire la ville.

– C’est une idée. Pourquoi Ratong ?

– Parce que c’est un rat de Chinatown.

– Substrat raciste ? Pas mal pour un film américain. On pourrait dire qu’il a bouffé dans les poubelles d’un resto qui a cuisiné un chien enragé. Il faut bien expliquer la mutation du rat en rat géant.

– Si c’est pour expliquer l’effet grossissant et faire peser une menace étrangère sur la ville alors j’ai une meilleure idée. Le rat s’appelle Konko Kalekatan et il a grandi dans un champ du Burkina Faso où pousse du coton Mosanto.

– Excellent. Ainsi le mal s’incarne à la fois dans l’étranger et le semblable. A cause de la famine au Burkina Faso, suite à la chute des cours du coton due aux spéculations de mafieux russes et de fonds de pensions occidentaux, Konko Kalekatan a embarqué sur un porte-conteneur chinois dont certains marins sont des islamistes pakistanais qui se font passer pour des hindous et projettent de faire un attentat à New York. Impossible de faire un bon film américain sans référence au terrorisme islamique !

– C’est juste.

– Konko Kalekatan arrive à New York…

– Il cherche à gagner les égouts mais Cat Niwest veut pas, t’as vu ?

– Cat Niwest ? C’est qui celui-là ?

– C’est le meilleur chat chatteur de chip-chop de la ville, t’as vu ?

– Yep. Sûrement que Cat Niwest se méfie de Konko Kalekatan car en bon chat américain il a choppé toute son inspiration musicale chez des rats du Burkina Faso mais il a oublié de les citer sur la pochette de son album.

– Quoi ?

– Laisse tomber ! Donc admettons que Cat Niwest empêche Konko Kalekatan de descendre dans les égouts. Que fait Konko Kalekatan ?

– Il monte au sommet de l’Empire State Building.

– Par où il passe ? Par l’escalier ?

– Non ! Il prend un ascenseur rapide. C’est à cause de ça qu’il devient soudainement géant. Le coton inhalé le transforme sous l’effet de l’ascension. Il devient d’abord gros comme l’ascenseur, il est tout comprimé mais il grossit encore. L’ascenseur explose au 92éme étage ! La porte éjectée, traverse la ville à vitesse grand V et s’en va couper en deux le Charles de Gaule au mouillage dans un port New Yorkais.

– Qu’est-ce que le Charles de Gaule fout à New York ?

– Il a été envoyé par Macron au large de la Guyane française pour que ses chasseurs dégomment les migrants tentés de passer en France pour bénéficier du RSA. Mais son hélice est tombée en panne dans les Caraïbes et Trump a convoqué une assemblée de milliardaires qui ont chacun mis leur Yacht à disposition pour remorquer le Charles de Gaule parce que la marine américaine manque de budget depuis que les démocrates ont dépensé tout le fric de l’Etat dans l’Obama-care.

– Comment on va expliquer ça au cœur de notre récit ?

– Au tout début du film ! Le film commence par un plan où une journaliste de Fox News explique la situation et on voit une vue d’hélicoptère des Yachts remorquant le Charles de Gaule près de la statue de la liberté. Pavillon français passant derrière la statue… petit clin d’œil à l’histoire. C’est bien aussi parce que ça permet d’avoir un point de vue de la ville. On prendra exactement le même plan quand Konko Kalekatan se dressera au sommet de l’Empire State Building en s’apprêtant à détruire la ville.

– Pour l’heure il est coincé dans l’ascenseur.

– Pas du tout. Il grossit encore et rien ne lui résiste. Les dix derniers étages du building volent en éclat éradiquant au passage le gang de terroristes pakistanais qui avaient au préalable investi les lieux en se faisant passer pour des femmes de ménages bengalaises et ce à seule fin de dynamiter l’immeuble entier.

– Oui mais non ! Y a quelque chose qui cloche dans ce récit ! Si Konko Kalekatan tue les méchants, il devient en quelque sorte un héros !

– Non parce que dans le film les habitants de la ville ne le savent pas. Ce qui compte c’est que le spectateur, lui, a vu les méchants projeter leur sinistre méfait de musulmans terroristes. Alors il est content de les voir mourir dans d’affreuses souffrances parce que leur ascenseur a été bloqué au même niveau que celui de Konko Kalekatan et ils sont peu à peu écrasés comme des crêpes. On nourrit l’esprit de vengeance du spectateur. Pour amplifier l’effet on fait un plan sur le commanditaire du commando, un cheik saoudien allongé dans un lit king-size en or massif et qui est en contact téléphonique avec le chef du commando à qui il explique que son sacrifice à venir ne sera pas vain et qu’il rajoute une vierge paradisiaque au stock qu’il lui a promis si en plus de réduire l’Empire State Building en poussière il se fait exploser au beau milieu de Time Square en criant « Non aux gaz de schistes ! »

– Oula ! Pas politiquement correcte ton truc ! Ce n’est pas un cheik saoudien mais un horrible barbu iranien crasseux qui lui explique que son sacrifice ne sera pas vain mais qu’il enlève une vierge paradisiaque au stock qu’il lui a promis si, en plus de réduire l’Empire State Building en poussière, il ne lui dit pas où il a garé la Peugeot 405 avant de quitter Islamabad.

– Si tu veux. L’important c’est que le spectateur puisse voir toute la frustration du type quand il comprend que son plan part à vau-l’eau avant que la communication ne soit coupée. 

– Well. Je crois que nous sommes un peu vite besogneux. Venons un peu en arrière. Il faut, je crois, le suspens. De la manière suivante :  on fait plusieurs plans arrières du container-ship lors de sa traversée de l’Atlantique. C’est ainsi manière de dire que quelqu’un suit le bateau.

– Qui donc ?

– Eh bien je pensais à Jeff the Gull. C’est une mouette qui comprend dès le début que ce Konko Kalekatan a quelque chose anormal. Jeff the Gull suit donc le bateau jusqu’à New York.

– Mais oui ! Et arrivée à New York elle confie immédiatement son secret à Brownie et Cookie, les deux pigeons qui surveillent la ville du sommet de la Chrysler Tower.

– Au lieu que ce serait une mouette on pourrait dire que c’est un campagnol amphibie qui suit le bateau !

– Arrête ton char Herbert ! C’est pas la traversée du Rhône à la nage là ! T’as une idée de ce que c’est qu’un océan ?

– Nous sommes de très bon nageurs !

– On n’en doute pas mais faut rester réalistes ! On lui trouvera un rôle plus tard au campagnol.

– C’est bien vrai ?

– Promis. Bon ! Voilà notre rat géant prêt à détruire la ville ! Comment va-t-on l’arrêter ?

– Brownie et Cookie rassemblent tous les pigeons de la ville et, n’écoutant que leur courage, ils se ruent tous sur la bête au péril de leur vie.

– Trop direct ! D’abord c’est à la police New Yorkaise de tenter d’intervenir. Dans un bon film américain ont tente d’abord de sauver le monde par les structures collectives en place avant de se rendre compte que les structures collectives sont déficientes et qu’il faut s’en remettre à l’homme providentiel.

–  Ou le campagnol providentiel !

–  On verra !… Là, comme les démocrates ont dépensé tout le pognon pour financer les programmes sociaux, les F16 sont cloués au sol par défaut de carburant. Le Pentagone ne peut rien faire pour sauver New York et laisse la ville à son destin, destin que Dieu a voulu pour cette cité impie et corrompue qui se réfugie dans le vote démocrate tandis que les vrais croyants se doivent d’être conservateurs. La ville est quant à elle à court de munitions car elle délaisse sa police au profit des services d’hygiène qui combattent les punaises de lit qui ont envahi la cité. Rien d’étonnant quand on ne prend pas le soin de lutter contre l’immigration sauvage et qu’on laisse entrer impunément des individus aussi peu recommandables que Konko Kalekatan. Il reste néanmoins des unités combattantes, notamment la brigade canine. Les chiens sont lâchés et se ruent sur Konko mais celui-ci n’en fait qu’une bouchée. La situation semble désespérée. Que faire ?

– C’est là que les pigeons entrent en jeu !

– Mais que peuvent-ils faire contre un rat qui décime les chiens et qui est réputé pouvoir s’attaquer au pigeon même en taille normale ? La brigade volante est anéantie en quelques minutes !

– Oh !

– Il faudrait plutôt faire appel à l’ennemi juré du rat : le chat ! Un gros chat !

– Garfield ?

– Je pensais plutôt à un gros chat noir.

– Tu penses mal Darwin ! Comment ton chat va devenir aussi gros que Konko Kalekatan ?

– Une fée pourrait le transformer d’un coup de baguette magique.

– On ne va pas tout mélanger ! On n’écrit pas de la série Z mais un blockbuster. Envoyons plutôt Naomi Watts pour tenter de séduire Konko. D’ailleurs ça manque cruellement de personnages féminins.

– Mais non ! Il y a Cookie !

– Cookie ça sonne pas très féminin !

– Si tu vas par-là alors ça manque aussi de minorités. Or un gros chat noir pourrait représenter la communauté noire.

– Et les gros par la même occasion. T’as vu ?

– Quand je dis gros ça veut dire grand et athlétique ! Pas obèse !

– Y a déjà un gros rat noir !

– Mais il n’est pas noir le rat ! Il est blanc ! J’ai pris modèle sur Atlas !

– Ah bon ? C’est moi le héros ?

– Non t’es le zéro ! T’as vu ?

– Le rat est Blanc ? Il vient du Burkina Faso et il est blanc ? C’est un albinos ?

– Et pourquoi un rat du Burkina Faso ne serait pas blanc ?

– Bien ! Admettons qu’il puisse être blanc au Burkina Faso. Mais comment on va faire des entrées dans l’Amérique de Trump si tu nous fous un blanc comme destructeur de New York ?

– Justement Odette ! Justement ! Dans l’Amérique de Trump !

– Hum… Bon d’accord. Va pour le rat blanc. On ne sait toujours pas comment le combattre.

– Les mouettes de New York pourraient le recouvrir d’algues larguées du ciel !

– Des algues ? Comment veux-tu le recouvrir entièrement d’algues ? A moins d’en lâcher des centaines de tonnes d’un seul coup… Non, c’est pas crédible. Notre héros doit être un humain ! C’est possible que ce soit un flic qui possède un chat, un militaire qu’a des pigeons voyageurs ou un marin ami d’une mouette mais il faut que ce soit un humain !

– Et si c’était un humain ami d’un campagnol amphibie ?

– Ah oui je vois le genre ! Un mexicain avec des faux papiers qu’arrive à Cuidad Jarez en compagnie d’un campagnol amphibie nommé Roberto qui va l’aider à traverser le Rio Grande. Les deux compères parviennent à El Paso et tombent sur une patrouille de police. Comme le bonhomme est le portrait craché d’Antonio Banderas les flics finissent par lui demander un autographe mais c’est le moment que choisit Roberto pour sortir de la poche dans laquelle il s’est planqué. Mais cet idiot a oublié d’enlever son sombrero, les voilà démasqués et remis à l’eau direction le Mexique ! Ils ne pourront pas sauver New York ! Quel dommage !

– Oui dommage ! Un héros latino eut été pas mal !

– Pas dans l’Amérique de Trump Darwin ! Pas dans l’Amérique de Trump ! Ce qu’il nous faut c’est un pur WASP aux épaules et à la mâchoire carrés ! Il s’appelle Robbie Greenfield mais tout le monde l’appelle Rob. Rob est un ancien quaterback de College à Texas Tech, le meilleur de tout le pays mais qui n’a pas pu faire carrière en NFL à cause d’un rival qui lui a brisé les deux genoux à coups de batte de base-ball. Après des années de convalescence il s’est engagé dans les Marines pour faire la guerre en Irak. Mais de retour d’une mission il surprend sa femme dans les bras de son meilleur ami. Il demande le divorce mais ignore qu’elle le trompe aussi avec son propre avocat et il se retrouve à devoir lui verser une pension alimentaire presque équivalente à sa solde sans même avoir la garde des gosses puisqu’il passe le plus clair de son temps hors du territoire national. D’ailleurs son ex-femme finit par lui avouer que ce ne sont pas ses gosses mais ceux de son frère avec qui elle a été forcé de passer du bon temps lorsqu’il était cloué sur son lit d’hôpital à attendre que ses deux genoux reprennent forme de genoux ! Là c’en est trop ! Il sombre dans la déprime et l’alcool, ne se rase plus, ne se lave plus et regarde Fox News en boucle. Il est renvoyé des Marines ! Après avoir erré un temps dans les rues de New York l’impie, la corrompue, il se décide à rentrer au Texas, loue un mobile-home et trouve un emploi dans un fast-food où il tombe sur son premier amour, Cindy, une fille rencontrée en High School qui n’a pas eu la réussite sociale escomptée mais est toujours aussi belle. Tous deux se demandent comment ils ont fait pour se perdre de vue. C’est alors que Trump se présente à l’investiture du parti républicain et son discours fait mouche ! Trop de mexicains et de campagnols amphibie entrent dans le pays et le dénaturent ! Rob reprend du poil de la bête et s’engage dans les garde-frontière en attendant qu’on construise un bon gros mur de 4000 kilomètres de long, ce pour quoi il n’hésitera pas à se faire maçon ! Ses états de service dans la garde sont excellents, chaque jour il fait un trait noir sur sa GM blanche pour chaque campagnol amphibie tué ou renvoyé au Mexique et le noir domine désormais le blanc.

– C’est impossible ! Nous ne sommes même pas assez nombreux pour ça ! Je suis très rare !

– Chut ! C’est de la fiction !… Un jour un type frappe à la porte et vient leur révéler un secret qu’il dit ne plus pouvoir porter plus longtemps. Il avoue qu’il était facteur dans la rue des parents de Cindy et que l’ex-femme de Rob a couché avec lui en échange d’un service : ne pas délivrer une certaine lettre destinée à Cindy. Cette lettre il l’a encore et il consent à la leur donner ! C’est une lettre émanant de Texas Tech annonçant que Cindy est acceptée dans cette université ! N’ayant pas reçu cette lettre Cindy a été contrainte de se rabattre sur son second choix, le M.I.T, qu’elle abandonna au bout de deux semaines après une convocation dans le bureau du doyen de la faculté, bureau qu’elle quitta dix minutes plus tard en courant et à moitié nue ! 

– Très bien mais quel est le rapport avec Konko ?

– J’y viens ! Lorsque Konko attaque New York, Rob comprend qu’il est l’homme de la situation ! Lui ! Un ancien Marine qui connaît New York et qui est spécialiste de la lutte contre les rongeurs immigrés illégalement ! Il annonce à Cindy qu’il va partir combattre Konko ! Elle lui dit : « D’accord mais je viens avec toi ! » Lui refuse, évidemment. Les risques sont trop grands ! Alors elle lui répond qu’il doit se rappeler une chose : si lui a été choisi par Texas Tech c’est avant tout pour ses qualités sportives, tandis que pour elle, c’est parce qu’elle était la meilleure en sciences et ce depuis toute petite. Elle lui avoue qu’à ses heures perdues elle fabrique des explosifs dans son garage. Justement ! Elle vient de mettre au point une bombe ultra-légère et hyper-puissante camouflée dans un ballon de football ! L’arme parfaite pour combattre Konko ! Elle finit par le convaincre et ils partent pour New York tandis que tous ces lâches de démocrates fuient la ville pour sauver leur peau !

– Un ballon de football ? Ce serait pas mieux si on trouvait la kryptonite anti-Konko plutôt que de tenter de lui exploser la tronche à l’aide d’un ballon de football.

– J’imagine que tu penses à la kryptonite X !

– Pas forcément. Je pensais en inventer une.

– Hum… On verra. En attendant, ce que tu ne sais pas c’est que ce ballon de football n’aura aucune efficacité s’il n’est pas envoyé à l’intérieur du rat ! La question est : comment obliger Konko à ouvrir la gueule en grand ?

– Il suffit d’attendre qu’il baille !

– Excellente idée mais comment savoir si un rat géant va être fatigué aussi rapidement qu’un rat normal. Si ce n’est pas le cas il pourrait avoir le temps de dévaster une grande partie de New York avant que Rob n’ait l’occasion de tenter sa chance.

– Il faudrait qu’il avale un truc soporifique.

– Si on savait comment lui faire avaler un truc soporifique on n’aurait pas à chercher une manière de lui faire avaler un ballon.

– Attendez ! J’ai une idée ! On n’a qu’à diffuser « Le patient anglais » sur un écran de Time Square !

– Mais oui ! Voilà ! Après avoir dévasté Newark, puis le Bronx et le Queen, Konko revient vers Manhattan et tombe sur une diffusion du Patient anglais, il est comme hypnotisé et s’arrête brutalement. Il regarde le film et au moment de l’administration de la dose ultime de morphine, il baille ! Monté sur le toit d’un building proche Rob se rappelle ses exploits de quaterback. Flash-back sur son plus beau touchdown. Puis retour à la réalité ! Trêve de rêverie Rob ! C’est le moment ou jamais. Mais non ! Le rat est trop loin ! Il faudrait qu’il aille sur le toit du building d’à-côté ! Mais comment faire ? Pas le temps de descendre de 50 étages et d’en remonter autant ! Comment faire ?

– J’ai une idée. Il y a un autre building en construction entre les deux ! Charlton Heston peint en rouge est un policier New Yorkais qui cherche aussi un moyen de sauver sa ville.

– Charlton Heston peint en rouge ?

– Mais oui ! Parce qu’il joue le rôle d’un policier d’origine indienne. Il faut qu’il soit indien parce qu’on n’a pas encore fait référence à cette communauté et parce qu’il va devoir monter sur la grue de l’immeuble pour faire passer Rob d’un immeuble à l’autre. Les indiens sont les meilleurs humains pour escalader les grues !

– Pourquoi ne pas prendre un acteur indien alors ?

– Parce que les indiens ne savent pas jouer la comédie ! C’est pour ça qu’on peint Charlton Heston en rouge.

– Il est mort Charlton Heston.

– Oh ! T’es sûre ?

– Certaine. Et même avant que tu naisses !

– Comment ? Une balle perdue ?

– Non. De vieillesse.

– Ah !… Paix à son âme. Qui pourrait-on peindre en rouge à sa place ?

– Un acteur d’origine indienne pas trop diluée fera très bien l’affaire, crois-moi !

– Bon. Si tu le dis… Donc grâce au policier indien, Rob parvient à atteindre le bon building, il vise la gueule de Konko et hop, dans le gosier ! Konko avale la bombe !

– Pas si vite Darwin ! C’est trop court ! N’oublie pas que Rob est un être qui a ses vieux démons. Quand il arrive sur le second building la gueule de Konko est à environ 80 yards de lui ! Sauf que quand il était à Texas Tech Rob a eu une fois l’occasion de gagner un match sur une passe Ave Maria de 80 yards à la dernière seconde. Tout d’un coup le doute ! Il se souvient de l’action comme si c’était hier. Ligne offensive minimale, cinq receveurs près à foncer, coup de sifflet… Rob doit garder la balle le temps que les receveurs s’approchent de l’embut. Mais l’équipe adverse blitze ! Rob esquive un assaillant, puis deux, qui finissent le nez dans le gazon. Deux pas d’un côté, deux de l’autre, un pas en avant, il lance ! La balle s’élève ! Gros plan sur le cuir, spirale parfaite, LIKE A BULLET, redescente. Gros plan sur les pieds d’un receveur, il entre dans la end-zone, s’arrête juste derrière la ligne, collé de près par un corner-back. Gros plan sur les yeux du receveur, il mire la balle qui vient vers lui. Gros plan sur la balle qui redescend vers le receveur. Elle va dans la end-zone, elle y va ! Le receveur a l’avantage de la taille sur le corner, si la balle va dans la end-zone il l’aura ! Elle va dans la end-zone, elle y va !…  NON ! Interception ! Le receveur a fait tout ce qui était en son pouvoir, il a tendu les bras en dehors de la end-zone mais c’était impossible ! FALLEN TOO SHORT ! TOO SHORT ! Quelques pouces seulement mais quelques pouces tout de même ! Match perdu ! Juste un match mais Rob a failli ! Comment ne pas faillir quand toute une ville met son destin entre vos mains ? Gros plan sur la bouche ouverte de Konko. Gros plan sur la main qui tient le ballon-bombe, elle tremble. Quoi de plus fort que la peur ? La rage ! Retour dans la tête de Rob. Un campagnol amphibie nage dans la Rio Grande… non ! Pas UN campagnol ! Il y en a deux ! Non ! Il y en a trois ! Attendez… quatre, cinq, six, dix, vingt, cent… Ils sont des milliers ! Ils traversent le Rio Grande pour envahir les USA ! Il faut réagir Rob ! Regard noir ! Dents serrées ! Le bras part en arrière, il lance ! Le geste est magnifique ! Le ballon part à une vitesse hors-normes tandis que la bouche de Konko commence à se refermer. Au ralenti, alternance de plans sur la bouche qui se referme et le ballon qui va vers elle. Le ballon ne va pas passer ! Il ne va pas passer ! Si ! Bruit du cuir frottant les incisives de Konko. Bruit d’un objet comme tombant au fond d’un siphon. Konko tente de recracher ce qu’il a avalé à son insu. Tic tac, tic tac. Boum ! Adieu Konko ! Ses tripes sont répandues dans toute la ville.

– Et la kryptonite alors ?

– T’es chiant Darwin !

– Non mais c’est parce que j’ai une idée de kryptonite grise.

– Dis toujours.

– On dit que les éléphants, qui sont gros, ont peur des souris, qui sont petites.

– C’est possible.

– Donc, puisqu’on a un rat géant, beaucoup plus gros qu’un éléphant, on n’a qu’à dire que la kryptonite anti-Konko c’est sa peur des éléphants. C’est cohérent avec le fait qu’il vient d’Afrique. Et on n’a qu’à dire que c’est Cindy qui trouve cette faille puisqu’elle est super intelligent. En plus sa présence à New York n’est pas encore totalement justifiée. Rob aurait très bien pu quitter le Texas sans elle vu que dans notre scénario le ballon-bombe existe déjà avant leur départ.

– Pas con !

– Super même !

– Alors quand ils arrivent à New York, Cindy et Rob vont voir Rahul Sharma, un ami de Rob. C’est un indien…

– Encore ?

– Non mais un indien d’Inde ! Il tient un restaurant indien et c’est le seul qui a bien voulu donner à manger à Rob lorsqu’il errait dans New York comme une âme en peine. Comme on a un peu égratigné la région avec nos musulmans pakistanais déguisés en hindous, on rassure le public d’américains d’origine indienne en mettant un des leurs dans le camp des héros.

– Ok. Si tu veux.

– En plus j’ai besoin des talents de Rahul Sharma parce qu’il sait monter des éléphants !

– C’est pas un peu cliché ?

– Et alors ?

– Hum…  Continue !

– Donc Rob présente Cindy à Rahul ! Il lui dit qu’ils doivent aller au zoo récupérer un éléphant tandis que de son côté il va essayer de mettre la bombe dans l’estomac de Konko. Ensuite c’est comme t’as raconté sauf que Konko n’explose pas immédiatement parce que la bombe est à retardement. Rahul et Cindy arrivent à Time Square juchés sur un éléphant. Quand Konko le voit il est pris de panique ! Il prend la poudre d’escampette en direction de Boston. Il galope à perdre haleine et comme c’est un géant il a tôt fait d’enfiler les miles. A un moment il traverse le campus du M.I.T et c’est là que la bombe explose. Le M.I.T est réduit en poussière, une perte beaucoup plus importante pour la revue Nature que pour la NCAA.

– C’est pas très vendeur d’éliminer ainsi la fine fleur de l’Amérique quand on cible surtout un public de WASP !

– On n’a qu’à dire que c’est Thanksgiving et que le campus est presque vide.

– Ok. Mais ça peut pas se finir comme ça. Il faut finir sur la rédemption sociale de nos héros qui jusqu’ici n’ont pas eu la vie qu’ils méritaient.

– En fait Trump veut récompenser Rob et Cindy en leur donnant 100 millions de dollars pris sur sa fortune personnelle. Mais Rob et Cindy veulent rester de simples citoyens engagés dans le défense des valeurs de l’Amérique. Ils ne gardent que 10 millions de dollars pour leurs dépenses du quotidien et avec le reste il ouvrent une fondation pour aider les campagnols amphibie nés sur le territoire américains à retrouver leur parents qui ont été renvoyés au Mexique. Cependant Rob a une requête à faire à Trump… il la lui dit à l’oreille et le spectateur ne l’entend pas. Ensuite on voit Rob dans sa salle de bain. Il est super beau et on comprend qu’il se prépare pour une cérémonie. Il rejoint Cindy dans le hall de leur nouvelle maison et ensuite ils montent dans leur nouvelle voiture qui n’est pas de marque étrangère.

– Sauf si Toyota met 10 millions sur la table pour apparaître dans le film !

– Mais non ! Tu remets en cause mon scénario là !

– Nécessité fait loi ! Bon... ensuite.

– Il vont rejoindre Trump et l’on comprend dans le plan final la requête que Rob a faite lors de sa précédente entrevue avec le président.

– Qui est ?

– Poser avec lui la première pierre du mur de 4000 kilomètres de long anti-campagnols amphibie. Un genre de muraille de Chine tout en béton en moins long mais en plus large et plus haut !

– Je valide !

– Pas moi ! Pourquoi qu’ils sont ostracisés les campagnols amphibie ?

– Tu voulais un rôle t’en a mille ! De quoi te plains-tu ?

– Pourquoi on joue les mauvais rôles ?

– Fallait bien trouver des coupables !

– Et pourquoi pas les chats ?

– Parce que nous on ne traverse pas le Rio Grande à la nage ! Tu piges ?

– Pfff…

– Je crois qu’on a fait un sacré bon film américain !

– La seule chose que je regrette c’est qu’on n’ait pas trouvé une place pour une guess-star jouant son propre rôle.

– Sauf si Trump trouve le scénario super-cool !

– Je pensais pas à lui.

– A qui alors ? Danica Patrick ?

– Je sais pas… Pourquoi pas Bill Gates plutôt ?

– Bill Gates ? Attends matou ! J’ai pas l’impression qu’on a élaboré une fiction autour du tour du monde à la voile en solitaire !

– Quel rapport ?

– Si on veut raconter l’histoire d’un skipper qui subit toutes les avaries possibles et finit le Vendée Globe bon dernier trois ans après tout le monde, skipper qui mériterait sans contexte le titre de navigateur le plus lent du monde, alors on fera appel à Bill Gates !

– Je vois.

– Au demeurant la voile est une excellente idée pour faire du placement produit. Je vois déjà l’affiche. Après « AI », Steven Spielberg présente « IE » ! Un film avec Bill Gates dédicacé à Gary Kildall et Tim Paterson.

– C’est qui ceux-là ?

– T’occupes ! En attendant y a plus qu’à envoyer notre scénario à un producteur d’Hollywood.

– Ok. Comment on va l’appeler ?

– Je propose : « Konko Kalekatan ou l’attaque du rat géant. »

– Alors George le tape et on l’envoie à Harvey Weinstein ?

– Hin hin ! Vous croyez qu’il choisirait qui pour incarner Cindy ?

– No idea.

– La prochaine fois on pourra écrire un film français ?

– Un film français ? T’es sérieux ? Hi hi…  Un film français…  Hi hi.

 

Croyez-moi si vous voulez mais elle est partie dans un fou-rire très communicatif qui nous a occupé un bon quart d’heure. Mais je n’ai toujours pas compris ce que j’avais dit de drôle.

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6 novembre 2017

Kazelof et les théories alimentaires.

Chalut !

 

Il vous faut savoir que suis depuis quelques temps en contact avec un chien arrivé récemment dans le quartier. J’ai le loisir de discuter régulièrement avec lui car il habite au dernier étage d’un immeuble de mon bloc dans un appartement avec balcon. Il y passe pas mal de temps et comme son immeuble est un peu haut que celui sur lequel je passe le plus clair de mon temps, nous sommes à la même hauteur. Il s’appelle Kazelof et question gabarit il n’a rien à envier à Grumpy, c’est un American Staffordshire Terrier ; cependant il est franchement plus sympathique que Grumpy et fait quasiment l’unanimité chez les habitués du toit. Disons qu’il a encore un peu de travail pour dérider Odette qui le trouve un peu balourd. Je pense qu’il s’agit surtout d’une posture pour une fée assez régulièrement prise en flagrant délit d’enfantillage. Ainsi je me demande bien pourquoi elle n’apprécia pas à sa juste valeur la scène que je vais vous décrire ci-après.

 

J’étais avec Philémon, Biscuit et Biscotte et nous étions penchés par-dessus la gouttière, ce afin d’observer le petit duel à distance entre Riton et Kazelof. Odette arriva sur ces entrefaites et prit peut-être ombrage du peu de cas que nous fîmes de sa présence.

– Qu’est-ce que vous faîtes ?

– Chut ! Attends !

– Attendre quoi ?

– Regarde et tu verras !

 

Dans la rue Riton commençait son numéro, simple en apparence mais non sans risque. Il faisait mine de picorer sur le fin trottoir de la rue Emile Zola et était décidé à ne pas en descendre quoiqu’il advienne. Dans le même temps Kazelof s’amène sur le trottoir d’en face en compagnie de son humain. Il s’arrête pour regarder Riton, son humain fait de même. Vient une passante du côté de Riton, lui fait mine de ne pas la voir et reste au beau milieu du trottoir, la femme descend du trottoir, passe devant Riton, remonte deux mètres plus loin. Pas impressionné Kazelof se met en position de délestage, fait son affaire sans se presser, gratte instinctivement le bitume et reprend sa contemplation de Riton désormais dans le chemin d’un bonhomme à l’air pas commode et au pas pressé. On se dit qu’il va y avoir du grabuge !…  Mais non ! Le bonhomme descend lui aussi du trottoir par déférence envers les pigeons ! Piqué au vif Kazelof a l’intestin vide mais sa vessie contient encore de quoi riposter. Hop ! Il trottine vers la vitrine du magasin le plus proche et y laisse la trace de son passage sous le regard peu concerné de son humain qui visiblement gère les solides mais pas les liquides. De nouveau il pointe vers Riton qui voit venir vers lui un troisième passant. Que croyez-vous qu’il arriva ? Je vous le donne en mille : le passant en question descend du trottoir ! C’en est trop pour Kazelof ! Il traverse la rue en trois bonds et en hurlant : « Si je t’attrape j ’te mords ! » Courageux mais pas téméraire Riton met les voiles, des fois que ce ne soit pas que des paroles en l’air, tandis que l’humain crie sans entrain : « Kazelof ! Laisse les pigeons tranquilles ! » Cette petite séquence ne rendit pas à Odette sa bonne humeur :

– Sérieusement ? Sacré spectacle ! Vous êtes de plus en plus cons ma parole.

– C’est une expérience Odette !

– Une expérience ? Ben voyons !

– Nous cherchons à savoir qui des chats, des chiens ou des pigeons mènent le mieux à la baguette les humains !

Revenu de la rue Riton crut pouvoir répondre à la question :

– Je crois que le doute n’est plus permis ! Z’avez vu ça ?

– Trois passants ne sont pas représentatifs ! protesta Philémon.

– Je peux y retourner si tu veux. Combien t’en veux pour t’avouer vaincu ?

– Mon vieux, je squatte la meilleure place du canapé depuis deux ans ! Je crois que ça vaut quelques centaines de passants !

– Non, je crois pas ! Sauf si y a quelques centaines d’humains qui utilisent ton canapé !

 

Il fallut attendre quelques minutes supplémentaires pour voir revenir Kazelof sur son balcon :

– Alors Riton ? T’avais pas dit : « Quoiqu’il advienne » ? J’allais pas vraiment te mordre !

– Excuse-moi de te préférer quand t’es derrière ta grille ! On t’autorise à sortir sans laisse ? Que fait la police ?

– Pas besoin de laisse quand on a prouvé sa sagesse ! De toute façon avec ou sans laisse, je l’emportais ! Vous avez vu comment j’ai bien chié au beau milieu du trottoir ? Un sacré gros paquet, sans me vanter ! Et il a tout ramassé !

– Et s’il ramasse pas ?

– S’il ramasse pas c’est encore mieux ! Y en a toujours un qui finira par mettre le pied dedans.

– Ouais ben à ce propos Kazelof… je voulais te dire… tu pues vraiment du cul !

– Non ça m’étonnerait ! C’est même impossible car j’ai un excellent transit, je suis expert en nutrition moi ! Je ne me nourris pas de croquettes moi !

– Expert en nutrition ? Voyez donc !

– Parfaitement ! Et je peux vous dire que vous bouffez sûrement n’importe quoi ! Par exemple Riton. Tu trouves ça approprié de te gaver de graines et de pains ?

– Je suis pas du genre difficile et par ailleurs, pour un pigeon je dois concéder que j’adore le pain !

– Mais le pain ne t’adore sûrement pas ! C’est quoi ton groupe sanguin ?

– Mon groupe sanguin ? Mais de quoi tu me parles ?

– Bien sûr tu ne le connais pas mais de toute évidence tu es du groupe O !

– Ah bon ?

– Tu es du genre primitif qui prend des risques inconsidérés. Et ton tempérament te commande de manger de la viande et des légumes ! Tu peux manger des graines de courge si tu veux. C’est excellent pour toi la graine de courge ! Mais arrête le pain, vraiment, je le dis pour ton bien !

– C’est hors de question !

– Tout à fait le genre de réaction attendue d’un individu du groupe O ! C’est idiot puisqu’il y a plein d’autres bonnes choses que tu pourrais manger !

– Quoi par exemple ?

– Des prunes ! T’aimes les prunes ?

– Je mange majoritairement des graines et des légumes !

– Remplace les graines par de la viande !

– Alors nous aussi on est du groupe O ? a dit Biscotte.

– Pas forcément car il est récessif. De plus vous êtes un peu plus posés que votre père alors je dirais que vous êtes comme Philémon, du groupe A.

– Je suis du groupe A ?

– Oui. Les individus du groupe A sont sociables mais passablement nerveux !

– On peut manger du pain ?

– Parfaitement mais pas trop, sauf s’il n’est pas à base de blé ! Il faut éviter le blé. Préférez l’avoine, le riz et le seigle.

– C’est d’un pratique.

– Mais surtout pas de viande ni de laitages ! Quelques poissons mais pas de viande ! Par contre des légumes et des fruits autant que vous voulez.

– Pas de viandes ? Mais y a de la viande dans mes croquettes ! Comment veux-tu que je fasse ?

– Refuse de les manger jusqu’à ce que ton humain achète des croquettes de fruits ou de légumes !

– Des croquettes de fruits ? Mais c’est dégueulasse les fruits !

– Faut savoir ce que tu veux ! Manger des choses à ton goût ou être en bonne santé ?

– Les deux si possible.

– Et moi ? Je dois manger quoi ?

– Toi Darwin, tu es manifestement du groupe B.

– Comment le sais-tu ?

– C’est évident ! Tu es comme moi ! Fort et souple à la fois ! Aussi physique qu’intellectuel. En équilibre et en harmonie. Créatif. C’est une chance d’être du groupe B !

– Donne-moi le menu avant de me dire que c’est une chance !

– Aucun souci car nous sommes gâtés ! Il faut simplement éviter les lentilles, le poulet, le porc et le blé.

– Rien que ça ?

– Le poulet ? Et le pigeon non ?

– Oh ça va ! Comme si vous aviez quelque chose à craindre !…  Pff.. si je dois délaisser les restes de poulet et de porc, je vais crever la dalle !

– Mais tu peux manger autant de fromage que tu le souhaites.

– C’est moins une question de souhait que d’opportunité, vois-tu ?

– Mais sans doute l’un de tes amis ailés pourrait t’apporter opportunément de quoi te sustenter utilement.

– Compte là-dessus ! a répondu Odette sèchement.

– Voici une réponse qui laisse peu de doute quant à ton groupe sanguin.

– Voyez donc !

– J’aurais pensé qu’une fée était plutôt du groupe AB voire d’un groupe qui nous est inconnu. Mais visiblement toi tu es comme Riton, du groupe O.

– Ou pas.

– T’inquiète pas Odette, j’ te filerai ma ration de viande !

– M’en fous, je mange que des fraises Tagada et des glaces !

– C’est pas terrible mais au moins ça t’évite des problèmes d’association alimentaire.

– Qu’est-ce que c’est encore que cette merde ?

– Evidemment vous ne connaissez pas les associations alimentaires. Un savoir pourtant indispensable à des mangeurs de croquettes ! Ça ne vous dérange pas plus que ça de vous empoisonner ?

– On s’empoisonne ?

– Mais évidemment ! Dans une croquette vous avez un odieux mélange de lipides, protides et glucides. Qui plus est de qualité si déplorable qu’ils y rajoutent toutes sortes de minéraux et vitamines de synthèse ! Est-ce qu’ils en bouffent des croquettes les humains, hein ?

– Peut-être ben qu’oui !

– Bien sûr que non ! Sont pas fous ! Enfin… pas à ce point là !

– Sauf erreur de ma part Kazelof, l’association de lipides, protides et glucides et justement faite exprès. C’est ainsi qu’on obtient un repas complet !

– Olala Darwin ! Malheureux ! Malheureux ! Ça c’est ce que pensent les mauvais médecins ! C’est une grossière erreur ! Il faut dissocier ; DI-SSO-CIER ! .

– Comment cela ?

– Vous les pigeons, vous aimez les pains aux raisins ?

– T’as de ces questions ! Le genre de truc si facile à trouver…

– Tant mieux si vous n’en trouvez pas car c’est une horreur diététique ! Personne ne peut digérer ça !

– En quel honneur ?

– Ça n’a rien à voir avec l’honneur ! On ne met pas des fruits dans un mélange de blé et de graisse !

– Pourquoi se gêner, si c’est bon ?

– Tu vas me dire que le sandwich jambon-beurre c’est bon aussi ?

– C’est assez rare qu’un passant abandonne le sien dans le caniveau. Mais je pense que c’est mangeable.

– Et la ptyaline, la pepsine, qu’est-ce que t’en fais ?

– Si ça se mange, c’est possible que je les mange !

– Ça ne se mange pas ! Ce sont deux des enzymes qui permettent de digérer ! La ptyaline est sécrétée dans la salive, elle permet de transformer l’amidon en maltose. Mais si tu manges des fruits ou de la viande en même temps que l’amidon, la ptyaline sera détruite car elle ne supportera pas ce trop plein d’acidité. Quant à la pepsine, qui, comme chacun le sait, est une enzyme présente dans le suc stomacal, elle est censée agir sur les protéines. Mais si vous manger des glucides en même temps, vous ralentissez considérablement son action car leur amidon va l’absorber. Quant à manger des fruits à la fin d’un repas de protéines, c’est d’une absurdité sans borne !

– Pourquoi ?

– Pour deux raisons évidentes ! D’abord ils acidifient immédiatement l’estomac. Les glandes qui fabriquent le suc gastrique reçoivent un mauvais message, elles pensent que l’estomac est suffisamment acide et sécrètent moins de pepsine. Ensuite les fruits vont stagner avec le reste du bol alimentaire dans l’estomac alors qu’ils devraient passer rapidement dans l’intestin pour y être digérés. Et que se passe-t-il quand les fruits stagnent dans l’estomac ?

– J’imagine que tu vas nous le dire !

– Mais ils pourrissent évidemment ! Et je ne vous parle même pas du melon en particulier !

– J’aurais bien aimé que tu nous en parles parce qu’on en trouve assez souvent à la fin des marchés en ce moment. Si je dois manger des fruits, autant commencer maintenant !

– Je veux bien te croire qu’il soit facile à trouver car le melon pourrit très facilement, donc il est souvent gaspillé. Mais par ailleurs c’est très facile à digérer si on le mange seul à distance des repas. Dans le cas contraire il pourrit aussi vite dans votre ventre que sur la table.

– C’est bon à savoir.

– N’est-ce pas ?

– Donc, si je te suis bien, comme c’est bientôt la fin du marché et que j’ai déjà la dalle, signe que j’ai bien digéré mon dernier repas, je vais voir s’il y a du melon avant le passage de ces connards de cantonniers. S’il y en a et que je peux m’en gaver le bide, tu me garantis que je vais digérer ça sans coup férir ?

– Olala Riton ! Malheureux ! Malheureux ! Jamais de la vie ! Pas de melon pour les individus du groupe O ! Jamais ! Jamais ! Jamais ! Pour toi le melon c’est poison !

– Putain ! ça devient lourd ton truc !

– Papa. On pourra y aller voir quand même s’il y a du melon ? Vu qu’on est du groupe A nous ?

– Faites comme vous voulez, je m’en bats les ailes ! Mais j’aimerais bien savoir ce que je vais bouffer moi avec mon nouveau régime alimentaire… Si y avait moyen de chourave un sauciflard, j’aurais ma ration de protéines pour un bail !

– Olala Riton ! Malheureux ! Malheureux ! Jamais de la vie ! Pas de saucisson pour les individus du groupe O ! Jamais ! Jamais ! Jamais ! Pour toi le saucisson c’est poison !

–  Quoi ? Mais non ! Mais c’est pas possible puisque je suis fait pour manger de la viande !

– De la viande certes… mais pas de la viande de porc !

– Attends, attends ! C’est une question philosophique, là ?

– Pas du tout ! Tout ce qu’il y a de plus gastrique !

– Fait chier !

– Oui mais bien et sans putréfaction.

– Tu dis que je suis chanceux d’être du groupe B mais cette histoire de dissociation relativise beaucoup ma chance. Au cas où je croiserais par hasard un plat de raviolis…

– Tu l’ignores !

– Impossible puisque j’en salive rien que d’y penser ! Et moi je crois que le fait de saliver est bien le meilleur indicateur de la digestibilité !

– Tu crois mal !

– Odette ! Si Kazelof dit vrai, je crois que je vais devoir me remettre à manger des oiseaux ! Je vais même manger exclusivement des oiseaux !

 

A peine avais-je dis cela, les trois pigeons s’envolèrent d’un même élan pour aller se poser sur le toit d’en face. Odette les rappela aussi sec :

– Revenez espèce d’idiots ! Toi Darwin, si tu fais ça t’as intérêt à ne pas manger les ailes et à te les greffer ! Parce que moi je vais te pousser du toit !

– Bon, d’accord. Pas d’oiseaux ; mais en échange tu dois me donner de ton concentré vitaminique !

– Est-ce que j’ai l’air de négocier ?

– De toute façon Darwin, il ne serait pas raisonnable de ne manger que des oiseaux !

– Pourquoi pas puisque je suis du groupe B ? Je peux manger ce que je veux !

– Et l’équilibre acido-basique ? T’en fais quoi ?

– …

– Mais enfin Darwin ! Un chat chavant ne peut pas ignorer cela ! Comment veux-tu être en forme si ton corps est  trop alcalin ou trop acide ?

– Je suis en pleine forme !

– Mais non ! Mais non ! Tu crois l’être mais tu ne l’es pas ! Comment le serais-tu si tu n’es pas en équilibre acido-basique ?

– Eh bien sans doute je suis en équilibre acido-basique sans même avoir cherché à l’être.

– Les copains, je crois que là je vais vous laisser avant que Kazelof ne nous embrouille avec son nouveau concept. Je m’en vais aller me renseigner sur la filière d’approvisionnement en graines de courges.

– Olala Riton ! Malheureux ! Malheureux ! Fais bien attention avec les graines de courges ! C’est l’aliment acidifiant par excellence ! Molo, molo sur les graines de courges !

– Mais tu m’as dit que c’était excellent pour ma santé !

– Oui parce que tu es du groupe O ! Mais en même temps c’est très mauvais pour ton équilibre acido-basique.

– Plus contradictoire tu meurs.

– Si vous vous gavez d’aliments acidifiants vous allez souffrir d’acidose.

– Je me sens pas concerné. Je ne mange pas d’oranges, pas de citrons, pas de vinaigre.

– Ça n’a rien à voir Darwin ! Je ne te parle pas d’aliments acides mais d’aliments acidifiants ! Il s’agit principalement de la viande et du fromage… et des graines de courges. Si tu souffres d’acidose ton corps cherche à se rééquilibrer et il pioche dans tes réserves de calcium ! Tes dents et tes os se fragilisent ! Et ce n’est là qu’un mal parmi une multitude ! Alors attention ! Molo sur la viande et le fromage !

– Mais tu m’as dit que je pouvais en manger puisque je suis du groupe B !

– Justement ! Philémon, Biscuit et Biscotte doivent faire encore plus attention puisqu’ils sont du groupe A ! Ils seraient même avisés de devenir végétariens !

– Ça tombe bien, on est quasiment végétariens.

– Parlez pour vous !

– Olala ! Attention ! Attention ! Pas n’importe quels végétaux ! Les céréales raffinées c’est de la nourriture morte ! Si vous mangez du pain, assurez-vous que ce soit du pain complet !

– T’en as de bonnes toi ! Tu crois qu’on peut suivre les passants partageurs jusque dans la boulangerie pour voir s’ils achètent du pain complet ?

– De toute façon Riton, toi tu ne dois pas manger de céréales et encore moins si elles sont complètes. Tu ne peux pas digérer les céréales complètes car tu es du groupe O ! D’ailleurs de manière générale il faut éviter les céréales complètes.

– Tu viens de dire le contraire !

– Oui mais je pensais à des céréales complètes bio ! Or majoritairement les gens achètent des céréales et du pain non bio ! L’avantage du raffinement c’est qu’il permet d’éliminer la partie la plus riche en pesticides et engrais chimiques. Par la même occasion il élimine aussi les vitamines et les minéraux. C’est pour ça qu’on enrichit les céréales des enfants et les croquettes en vitamines et minéraux ! Cela évite de dramatiques carences !

– Alors pourquoi as-tu critiqué tout à l’heure l’enrichissement en vitamines de synthèse ?

– Parce que c’est une aberration ! Il est bien mieux de trouver ces vitamines et minéraux dans les légumes et les fruits frais !

– Justement ! Abrège, car la fin du marché approche !

– Olala Riton ! Malheureux ! Malheureux ! Si tu crois trouver des vitamines et des minéraux dans de la salade verte tu risques d’être déçu ! Il y en a, certes, mais la majeure partie s’est évaporée entre la cueillette et l’arrivée sur l’étale. Dans l’idéal il faudrait aller les picorer directement sur pied !

– Tu m’as pris pour un corbeau ou quoi ? J’ai pas envie de me prendre une volée plomb !

– Dans ce cas, faites au moins attention à éviter les légumes à feuilles qui ont été lavés longuement dans l’eau. Les vitamines B et C sont hydrosolubles ! Mangez plutôt de la viande et des abats ! C’est riche en anti-oxydants !

– Tu viens de nous dire d’être végétariens !

– Oui car vous êtes du groupe A ! Mais alors vous devez compenser tous les manques dus à l’absence de viande. Surtout que seule la viande contient tous les acides aminés essentiels ! Si vous n’y prêtez pas attention vous risquez une fonte musculaire rapide !

 

Tout cela était passablement embrouillé :

– C’est passablement embrouillé cette affaire ! Une chienne n’y retrouverait pas ses petits !

– Pas du tout, c’est très simple.

– Nous on n’y pige rien et possiblement, tu n’y comprends rien toi-même. Raison pour laquelle tu pues autant du cul !

Kazelof n’eut pas le temps de répondre, interrompu par l’irruption soudaine d’un inconnu sur le balcon. Inconnu de nous mais visiblement pas de Kazelof. L’individu en question était un humain d’une quarantaine d’années, assez corpulent, couleur pivoine et suant à grosses gouttes quoiqu’en tenue légère. Il s’accroupit pour embrasser Kazelof avec une affection non dissimulée tandis que nous faisions machine arrière pour nous cacher derrière le mur :

– Ah mon bon Kazelof ! Oh le bon gros chien-chien ! Oh qu’il est beau le gros chien-chien ! Mais c’est qui ce bon gros chien-chien ! Mais c’est Kazelof ! Mais c’est mon Kazelof à moi ! Oh le bon chien-chien !

Pas difficile d’imaginer la scène. Il lui tapote la tête, le caresse de partout, lui secoue les babines. Le cabot se prête au jeu, comme tous les cabots. Ça dure deux minutes comme ça puis on entend en provenance de l’appartement :

– Apéro !

Le gros a dû retourner aussitôt dans l’appartement car Kazelof a rapidement passé sa gueule à travers le garde-corps après cet appel :

– Voyez ce gars là ! Un ami de mes humains. C’est un cas d’école ! S’il revient cet hiver vous verrez qu’il sera sûrement en bras de chemise comme maintenant. Il ne craint absolument pas le froid ! Et vous savez quel est son secret ?

– Comment veux-tu qu’on le sache ?

– Eh bien il ne mange jamais aucun fruit ! D’après lui les fruits affaiblissent le corps, rendent frêle et frileux. Et de fait il pourrait se balader à poil par une température de dix degrés sans broncher.

– Ah bon ? Et c’est un signe de bonne santé ? a dit Odette.

– C’est pour le moins un signe de résistance.

– Mais alors explique-moi pourquoi il est tout rouge et en sueur alors qu’il fait précisément 24 degrés à la minute où je te parle ? Visiblement il n’a pas l’air de résister beaucoup à la chaleur pour un type résistant.

– Peut-être… Oui, sans doute, en fait.

– Et à propos de doute Kazelof. Et de tous ceux que tu viens de filer à cette assemblée crédule…  De quel groupe sanguin sont tes humains ?

– Mon humain est du groupe A et mon humaine est comme moi du groupe B. J’ai tellement de points communs avec elle.

– Bien. Imagine que tu te trouves seul avec elle sur une île déserte.

– Comment cela ?

– Je te demande d’imaginer ! Toi, ton humaine, une île déserte ! Tu piges ?

– Je ne vois pas où tu veux en venir mais si ça peux te faire plaisir.

– Bien. Maintenant rajoute une valise. Cette valise contient un litre de ton sang.

– De mon sang ?

– Oui, de ton sang ! Et voilà que ton humaine se coupe gravement sur un caillou, perd un litre de sang, parvient à stopper l’hémorragie, a encore la force pour attraper sa valise dans laquelle, oh miracle, il y a aussi tout le matériel nécessaire à une transfusion. Imagines-tu un seul instant ton humaine se saisir de ta poche de sang pour se l’envoyer en intraveineuse ?

– Ben… Faudrait d’abord s’assurer que je suis bien du groupe B.

– Mais non ! Non non ! C’est pas la question ! Tu n’es pas du groupe B ! Tu n’es qu’un chien qui écoute d’un peu trop près les conversations des humains ! Un vrai con de chien ! Et vous bande de tarés ! Vous n’êtes pas du groupe A, B ou O !

– Ah bon ? Mais on est de quel groupe alors ?

– On s’en fout ! La question est sans objet !

– Ah bon ? Ah ben tant mieux alors parce que c’était passablement embrouillé cette affaire.

– Décidément vous êtes trop cons !

 

Voilà Odette partie fâchée une fois de plus tandis que Kazelof, impassible, en remet une couche :

– Cette irascibilité est clairement le signe qu’elle est pleine de radicaux libres ! Normal avec tout le sucre qu’elle s’enfile ! Dites les amis ? Est-ce que je vous ai parlé des apports en calcium ?

 

Là, sans nous concerter, on a filé à l’anglaise chacun de notre côté en prétextant avoir à faire. J’entendis Kazelof  tenter de nous retenir :

–  Attendez ! Attendez ! Il faut que je vous parle de la pyramide alimentaire ! C’est essentiel la pyramide alimentaire !

 

Sympa mais fatigant ce Kazelof !

 

Darwin.

Darwin Le Chat
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