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Darwin Le Chat
20 août 2023

Carbonus, AI des points malus.

Lyon, 16 août 2023

Chalut !

Il y a quelques temps, après avoir fait mon allocution sur le très grand bloc concernant « Le Manifeste des animés non-humains sur la robotique », je suis allé auprès de mon « tuyau » préféré. Ce conduit d’aération permet d’entendre tout ce qui se dit dans une pièce du cabinet de conseils Toucons, cabinet dont je vous ai déjà parlé il y a une trentaine de mois. Cette fois je suis arrivé vraisemblablement au début d’une conversation mais pas au tout début. Peut-être cela vous intéressera-t-il. Voici exactement ce que j’entendis ce jour-là :

« 

– Est-ce que vous avez signé un engagement à limiter votre kilométrage annuel ?

– C’est à dire ?

– Qu’est-ce que vous ne comprenez pas dans la question ?

– C’est quoi ces histoires d’engagement ?

– Je dois rentrer dans l’ordinateur un nombre moyen de kilomètres que vous ne dépasserez pas dans l’année. C’est comme pour les assurances, si vous ne roulez pas beaucoup vous pouvez avoir un contrat avec un bonus. Vous ne regardez pas les pubs ?

– Je vois…  Mais c’est à dire que maintenant que j’ai une voiture A++++, je vais quand même en profiter un peu ! En plus ça me fait penser qu’il y a plein de coins que je ne connais pas ! J’habite dans le Rhône, ce n’est quand même pas bien grand. Eh bien il y a plein de villages de mon département que je ne connais pas. Quand on y pense… les pollueurs veulent tous aller au bout du monde dans des avions à réaction alors qu’ils ont plein d’endroits à découvrir à deux pas de chez eux et désormais sans polluer grâce à la voiture électrique ! Vraiment les gens…

– Pour les vacances vous allez aussi prendre votre voiture ?

– Bien sûr. Mais vous avez compris que je ne suis pas du genre à aller au bout du monde, hein ? Moi je me contente de voyages accessibles ! Enfin… je dois concéder que par le passé j’ai pas mal pris l’avion mais j’ai une excuse, je n’avais pas connaissance des rapports du GIEC. Mais maintenant que j’ai une voiture écolo, j’irai peut-être un peu plus loin en voiture, à Vienne, à Berlin, à Madrid… Vous savez, j’ai fait beaucoup de choses en transports en commun dernièrement, justement parce que j’étais soucieux de mon bilan carbone.

– Ce n’est pas si compliqué d’aller en train à Madrid.

– Non c’est chiant ! Je vous assure.

– Ok. Il me faut un kilométrage néanmoins. Vous comptez faire combien de kilomètres par an ?

– C’est à dire que depuis que j’ai acheté ma maison à Saint-Cyr-au-Mont-d’Or, je ne peux pas faire moins de 50 kilomètres par jour de travail. Et encore, seulement si je prends par le tunnel sous Fourvière.

– Vous travaillez où ?

– A Feyzin.

– Dans l’industrie pétrolière ?

– Pas exactement. Du moins pas dans celle qui émet du CO2 à tout va.

– Vous ne pouvez pas faire du télétravail ?

– Malheureusement non. Je suis le genre de cadre qui doit être présent pour encadrer.

– Donc on va dire, pour être large, 300 kilomètres par semaine pour le travail, multiplié par 47 ça nous fait environ 14000 kilomètres. Si en moyenne vous ne dépassez pas les 100 kilomètres par semaine pour vos loisirs, on peut rentrer moins de 20000 kilomètres.

–  Je tablerais plutôt sur 25000. Pour être honnête.

– 25000 kilomètres par an. Je rentre ça dans la machine…  Voilà ! En première approximation vous passez en classe D pour ce qui est du bilan carbone.

– Comment ça en classe D ? Mais j’ai acheté une e-Lustre modèle Biz ! C’est annoncé en A++++ !

– D ce n’est pas si mal vous savez. Le plus souvent c’est l’une de mes collègues qui reçoit le public pour ce logiciel d’intelligence artificielle, mais à chaque fois que je l’ai remplacée, je suis rarement tombé sur des véhicules mieux classés. Sauf une fois quand un type est venu faire le bilan de sa Renault Twizzy.

 – Mais ce n’est pas une voiture la Renault Twizzy ! C’est à peine un vélo amélioré. J’espère bien que c’est classé en A++++ !

– Ah non, non. L’intelligence artificielle l’a classée en C+.

– Comment ça en C+ ? Si la mienne est en D...

– Elle est en D en première approximation. On doit renseigner plus de choses pour voir si on monte ou si on baisse dans le classement.

– Allons-y ! Qu’est-ce que vous voulez savoir ?

– Avant cela vous ne voulez pas savoir la note de votre e-Lustre en ce qui concerne le classement écologique ?

– Quel classement écologique ? Le bilan carbone ce n’est pas un bilan écologique ?

– Ben non. Vous vous imaginez bien que non.

– Je ne m’imagine rien du tout. Je sais parfaitement que le grand combat c’est celui du carbone.

– C’est possible. Mais si nous avons payé une licence de plusieurs dizaines de milliers d’euros pour un logiciel d’intelligence artificielle, ce n’est pas pour qu’il stagne au niveau d’analyse du premier pseudo-écolo ayant ses entrées à Davos. Pour autant qu’on lui fournisse quelques informations qu’il ne connaît pas déjà, Carbonus vous donne le bilan carbone, le bilan écologique et le bilan terrien de n’importe quelle chose que vous possédez ou utilisez.

– Le bilan terrien ? Qu’est-ce que c’est que ça encore ?

– Le bilan carbone c’est le bilan des émissions carbone liées à la fabrication, au transport, à l’usage et à la fin de vie d’un objet. Le bilan écologique va plus loin. Il prend en compte un impact plus global. Je vous donne un exemple. Si vous abattez un arbre pour faire du bois de chauffage, vous pouvez calculer grossièrement l’émission de carbone liée à la combustion de cet arbre. Le bilan écologique prendra en compte d’autres impacts moins directement mesurables. Si vous habitez à proximité d’un bois qui a été planté en rangées bien alignées par un exploitant qui vous en laisse l’accès tant que les arbres ne sont pas arrivés à maturité, vous aurez beau savoir qu’il en est le propriétaire, le jour où le bois est rasé, vous perdez immédiatement et pour un temps la possibilité d’aller vous balader avec votre chien au milieu des arbres, aussi nulle cette forêt soit-elle. De votre point de vue vous pouvez estimer que vous subissez ce qu’on peut appeler une externalité négative. Je vous ai donné un exemple où vous êtes supposé être en pleine conscience des droits du propriétaire, en somme vous savez que vous ne pouvez pas lui en vouloir vraiment puisqu’il a lui-même planté ces arbres. Supposez que la terre soit intégralement découpée en parcelles de propriétés privées sur lesquelles chaque propriétaire peut légitimement planter ou arracher ce qu’il veut, faire des trous aussi profonds qu’il le veut, ériger des bâtiments de la taille qui lui sied ; vous qui vous souciez d’écologie, vous pensez que la planète serait en meilleur état qu’elle ne l’est avec les règles actuelles des nations à travers le monde ?

– Je n’en sais rien. J’imagine que non.

– Fort heureusement il y a certains garde-fous contre les lubies des propriétaires. A Feyzin les industriels ne sont pas supposés déverser tous leurs résidus chimiques dans le Rhône, n’est-ce pas ?

– Vous vous imaginez bien que c’est hyper réglementé.

– C’est vrai mais tant qu’il reste quelques hectares de forêt amazonienne non investis par le monde industriel, on a moins de chance qu’en bord de Saône d’y trouver des écriteaux marqués « il est interdit de manger le poisson pêché ».

– Où voulez-vous en venir ?

– Là.

– C’est à dire ?

– Vous avez une voiture thermique...

– Plus maintenant.

– Supposons. Vous avez une voiture thermique. Sans le savoir vous êtes amené à y mettre 40 litres d’essence qui provient de pétrole issu d’un puits Nigérian. Vous roulez jusqu’à vider votre réservoir. Un écologisme de bas étage consiste à faire un calcul qui n’est pas autre chose que la simple arithmétique de ce que donne en carbone la combustion de 40 litres d’essence. C’est grâce à ce genre de calcul qu’on classe votre e-Lustre en A++++. Pour ce qui est du carbone, notre logiciel intelligent est réputé prendre en compte tout le carbone émis pour les besoins de la construction, l’entretien, la mise au rebut de votre voiture thermique. A cela s’ajoute, certes la combustion du carburant, mais également toutes les émissions afférentes à l’extraction, au transport, à la transformation du pétrole. A cet ajout s’ajoutent les émissions afférentes à la construction et l’entretien des infrastructures routières…

– Mais non ! Vous ne pouvez pas compter ça !

– Mais moi je ne compte rien du tout. C’est le logiciel qui le fait.

– Oui je comprends bien. Mais enfin quoi ? Les routes, tout le monde les utilise !

– Là n’est pas la question.

– Ben si.

– Non et en plus c’est faux ce que vous dites. Y a des gens qui utilisent plus les routes que les autres. Y a des gens qui habitent à Lille et qui n’ont jamais vu la mer. A priori ils utilisent quand même beaucoup moins les infrastructures qu’un type qui aurait l’idée d’aller visiter Vienne, Berlin et Madrid en voiture.

– A vous écouter on croirait que si on y allait en train, on n’utiliserait pas d’infrastructures.

– Personne n’a dit ça. Carbonus est tout à fait apte à imputer le bilan carbone des voies ferrées autant que des trains qui circulent dessus. Il est super intelligent, raison pour laquelle cette licence nous a coûté un bras. Il ne part pas du principe que l’avion émet plus de carbone que votre voiture, il prend tout en compte et établit des classements sur ces bases !

– Y a pas intérêt qu’il me dise que ma voiture m’amènera à Vienne avec plus de carbone à la clé qu’un Boeing. Sinon je refuse de vous payer la consultation !

– Vous ne la payez pas puisque le patron vous l’offre.

– Oui, enfin… il l’offre à ma femme. Allez savoir pourquoi. Mais ça ne change rien. Si j’ai acheté une telle automobile, c’est parce que tout le monde sait que l’avion à réaction ne peut pas émettre moins de carbone qu’elle !

– Attendez-vous à tout, ce n’est pas du domaine de l’impossible. C’est même assez probable.

– J’aimerais bien voir ça. Mais non qu’est-ce que je raconte ? Ça ne peut pas arriver ! Continuons. Je n’ai toujours pas compris la différence entre le bilan carbone et le bilan écologique.

– Retournons au Nigeria. On a supposé que l’essence de votre voiture venait de là-bas. Pour des raisons quelconques, des zones proches des puits de pétrole subissent une pollution massive au point de devenir inhabitables ou bien habitées par des habitants qui développerons des maladies en lien avec cette pollution et verrons leur espérance de vie fortement diminuée. Le bilan écologique prend en compte cet état de fait.

– Je ne vois pas en quoi un automobiliste européen serait responsable du fait que certains industriels indélicats ne respectent pas les réglementations environnementales.

– Toute personne qui achète ou utilise un bien sans s’assurer que sa production répond bien à certaines normes est un peu responsable de tels manquements.

– Mais non ! S’assurer de cela c’est juste impossible et impraticable !

– Peut-être mais dans ce cas il n’est pas injustifié de vous imputer un malus écologique quand vous consommez. La prochaine fois que vous nous rendrez visite, tentez de venir avec un exemple d’industriel ayant instauré, de lui-même, des normes environnementales ou sociales susceptibles de rogner ses bénéfices. Si vous en trouvez il s’agira sans doute de normes mises en place par des industriels qui savent que leurs concurrents ne seront pas en capacité d’appliquer ces normes. C’est une manière efficace et parfois politiquement féconde de mener ses affaires. Mais vous et moi savons bien que la plupart des politiques ayant vraiment la capacité de protéger l’environnement et les populations viennent de la pression de ces populations elles-mêmes. D’ailleurs, si vous êtes ici pour faire le bilan carbone de votre e-Lustre, c’est parce que vous avez le souci de votre impact sur la planète.

– Je ne veux pas que mes petits-enfants m’accusent un jour de n’avoir fait aucun effort.

– Mais quand vous aviez une voiture thermique, vous ne vous êtes pas soucié de la pollution en marge des forages pétroliers dans diverses parties du monde.

– Non car je ne vois pas pourquoi je devrais en porter la responsabilité. Vous vous en êtes soucié vous ?

– Pas du tout. Mais si je l’avais fait, ce logiciel intelligent pourrait sans doute m’accorder un bonus concernant le bilan écologique de mes déplacements.

– Vous n’avez qu’à passer à l’électrique.

– Qu’est-ce que ça changerait ?

– Qui dit plus d’essence dit plus de puits de pétrole et conséquemment plus de pollution aux hydrocarbures.

– Étant donné le nombre de trous qu’il faut faire dans la terre rien que pour construire des téléphones portables, essayez d’imaginer ce qu’il en est pour des voitures, qu’elles soient thermiques ou électriques. Mais avant de vous donner cette peine vous voudrez sans doute savoir quel est le bilan écologique de votre e-Lustre ?

– Dites toujours.

– F.

– Hein ? F ? Comment ça F ?

– Ce n’est pas si mal. Le bilan terrien est au niveau G.

–  Le bilan terrien… je l’avais oublié celui-là. Qu’est-ce que c’est que cette connerie ?

– Le bilan terrien ça prend en compte le bilan écologique ainsi qu’une foultitude de critères relatifs au ressenti des espèces vivantes à la surface de la terre.

– C’est une blague ?

– Pas du tout.

– Redonnez-moi un exemple parce que là, je ne vous suis plus.

– Eh bien par exemple, si pour fabriquer des batteries vous utilisez des ressources extraites de mines où travaillent des enfants dans des conditions déplorables, l’intelligence artificielles impute un malus aux batteries.

– Comment elle sait que les ressources utiles à ma e-Lustre ne sont pas extraites de mines parfaitement mécanisées et n’employant pas des enfants ?

– Elle ne le sait pas mais la mécanisation n’est en rien une garantie de bonheur pour les populations autochtones. C’est même régulièrement l’inverse puisque ça va de paire avec l’accaparement des ressources par des firmes transnationales. En outre les matières premières s’échangeant sur des marchés mondialisés, le logiciel impute un malus moyen à l’ensemble de la filière. Sauf si vous lui indiquez que vous avez expressément acheté une batterie qui garantit réellement une forme de justice terrienne, auquel cas vous l’aurez nécessairement payée bien plus chère que la moyenne.

– Justice terrienne ? Mais qu’est-ce que c’est que ce concept encore ?

– Il faut partir du principe qu’il y a un sentiment de justice partagé universellement… ou du moins, terrestrement, si je puis dire.

– C’est délirant. Est-ce que vous vous considérez qu’avoir des droits différents selon sa couleur de peau est injuste.

– Bien sûr. Pas vous ?

– Évidemment. Et pourtant il y a des millions de personnes à travers le monde qui sont ouvertement racistes. C’est totalement injuste d’entasser des humains dans des wagons à bestiaux et pourtant certains humains ont pensé que cela pouvait leur apporter un bénéfice réel et n’ont pas hésité à le faire. Je pourrais multiplier les exemples à l’infini.

– Vous réfléchissez avec votre intelligence humaine. L’intelligence artificielle réfléchit différemment. Je ne sais pas comment exactement. On a été à une conférence avant l’achat de la licence de ce logiciel et on ne nous a pas donné d’exemples ouverts au débat. Il s’agit plutôt d’un modèle probabiliste à ce que j’en ai compris. On a eu droit à une longue liste d’assertions du style : « Il y a un lac. Au bord du lac il y a une bouée. Un humain est en train de se noyer dans le lac. Un autre humain qui ne connaît pas le premier arrive au bord du lac. Il y a une probabilité infime que le second humain ne tente pas de jeter la bouée en direction du premier humain. »

– S’il était si intelligent votre logiciel aurait donné la probabilité exacte.

– Ce n’est pas une expérience si facile à reproduire. Et c’est justement cela qui m’a intéressé. J’aurais comme vous pensé que l’intelligence artificielle se baserait sur des calculs très précis. Mais à la réflexion cela ne lui conférerait pas un statut d’intelligence, seulement celle d’un hyper-calculateur. Je pense qu’à propos de l’exemple que vous avez donné sur la déportation dans des wagons à bestiaux, le logiciel ne considère pas le bénéfice des humains qui entassent d’autres humains dans des wagons mais seulement le sentiment d’injustice que ces mêmes humains ressentiraient si les rôles étaient soudainement inversés.

– Votre logiciel semble quand même avoir une intelligence de gauchiste à la sauce Jésus Christ ! Si vous le voulez bien on va se contenter de cibler le bilan carbone de ma e-Lustre Biz et oublier cette histoire de bilans écologique et terrien, ça me semble beaucoup trop subjectif.

–  Comme vous voulez. Vous allez sans doute pouvoir remonter dans le classement. Ça dépend de plusieurs critères que nous devons renseigner. L’un des critères c’est le rechargement de votre batterie. Comment entendez-vous recharger votre e-Lustre ?

– Ben comment vous voulez que je fasse ? Je vais la brancher sur le secteur pardi !

–  Oui ça je m’en doute ! Mais comment ? Vous-même avez-vous votre propre borne de recharge ?

– J’en avais même déjà une quand j’habitais en copro. Je la louais à un voisin vu que j’avais une voiture thermique.

– Ben pourquoi vous aviez une borne ?

– J’avais senti le filon. Comme j’avais deux places de parking et que ma femme ne conduit pas…

– Intéressant. Mais comment ça se passe dans une copro ? Sur quel compteur elles sont branchées les bornes ?

– ça dépend de ce que décide le syndic. En ce qui me concerne j’ai justement profité du fait que c’était facile pour moi d’amener de l’électricité de mes places à mon compteur et difficile pour d’autres habitants vivant à des étages supérieurs. Enfin, c’est de l’histoire ancienne. Maintenant j’ai ma maison, et mon garage perso. C’est tout de même beaucoup plus simple.

– Donc quand vous arrivez chez vous, si votre batterie doit être rechargée vous la branchez.

– C’est aussi simple que ça. En principe, même si je reviens de vacances, dès lors que je brancherai ma voiture en soirée, la batterie sera largement assez rechargée pour aller au travail le lendemain matin même si je me lève tôt.

– Et le tarif est toujours le même ?

– Oui. J’ai un contrat EDF tout ce qu’il y a de plus classique. Je n’allais pas en changer comme le premier gogo venu après avoir vu une pub.

– Votre borne n’est donc pas équipée d’un système qui module la charge selon la météo ?

– Comment cela ?

– Eh bien imaginez que vous ayez une borne de ce type. Votre empreinte carbone dépend justement de la capacité de votre borne à ne pas se charger quand l’électricité n’est pas d’origine renouvelable ! Si vous aviez une borne vraiment intelligente, vous pourriez avoir un abonnement qui vous permet de ne charger votre voiture que quand les éoliennes tournent fort en Europe ou quand le soleil fait chauffer massivement les panneaux solaires. Non seulement vous auriez ainsi l’assurance d’avoir une électricité largement renouvelable, mais en plus vous pourriez peut-être ne pas payer du tout la recharge de votre voiture… enfin… durant quelques années.

–  Quelques années ? Pourquoi quelques années ?

– Eh bien en attendant que le parc de voitures électriques se développe ! La nuit, la consommation d’électricité reste basse par rapport à celle qu’on peut avoir la journée et en soirée. Donc chez certains opérateurs vous pouvez peut-être trouver une forme de contrat de style heures creuses, heures pleines, où les heures creuses ne vous coûtent rien du tout. Tous les contrats possibles sont imaginables mais si vous faites un contrat dans le but d’être écologique ou bien de faire des économies, il y aura forcément des contraintes.

– Mais qu’est-ce que vous racontez ! Les projections ont été faites et tout le monde s’accorde pour dire qu’il n’y aura pas de problème pour recharger les batteries même quand tout le parc des véhicules thermiques aura disparu ! Justement c’est grâce au fait que les batteries se rechargent doucement. Si vous considérez qu’il y a au moins 8h de faible consommation d’électricité la nuit, ça laisse largement le temps pour recharger les batteries.

– Je ne vois pas ce que la vitesse de recharge à avoir là-dedans. Que vous ayez peu de batteries en charge mais qui se chargent très vite ou bien plein de batteries qui se chargent en même temps mais doucement, la consommation à un instant T sera la même.

– Ben non. Réfléchissez ! Si les batteries se chargent vite, il y a un risque que beaucoup de monde branche la sienne à la même heure. Comme chacune d’entre-elles tirera plus de courant en charge rapide, c’est là que les problèmes surviendront.

– Avec de telles batteries il n’y aurait pas plus de problèmes puisque les gens ne décideront pas quand recharger leur voiture au milieu de la nuit, ce sont les compteurs intelligents qui le feront, justement en fonction de la production énergétique du moment. Et c’est là que vous pouvez avoir des doutes sur les projections. Posez-vous des questions ! Est-ce que ceux qui font ces calculs projettent la production nocturne future par rapport à ce qu’elle est actuellement ou par rapport à ce qu’elle sera si on décide de n’utiliser que de l’énergie dite verte ? Il paraît difficile de savoir combien ces énergies produiront à minima, à moins de surdimensionner le système en ayant suffisamment d’éoliennes pour produire suffisamment même quand il y a peu de vent en Europe. Plus vous surdimensionnez un système, moins il peut se targuer d’être écologique. La masse de matériaux qu’il faut pour faire l’une des éoliennes géantes qu’on voit fleurir un peu partout, c’est tout sauf négligeable. Vous ne pouvez pas faire l’impasse là-dessus. Or je ne vois pas quelle énergie verte vous allez utiliser la nuit pour charger des batteries en dehors de celle produite par les éoliennes et par les barrages hydroélectriques.

– Et le nucléaire, vous en faites quoi ?

– Eh ben voilà ! C’est justement là le problème. Si vous comptez sur les capacités nucléaires, vous avez plus de facilité à prétendre que le remplacement des hydrocarbures par des éoliennes se fera sans difficulté. Et encore, il faudrait se renseigner pour savoir si les projections ne prennent pas en compte les capacités actuelles des centrales thermiques. Si vous êtes pro-éolienne et prétendez qu’elles vont tout résoudre, chaque nuit vous vous contentez de ce que le dieu Eole veut bien vous donner.

– Je ne suis pas antinucléaire.

– J’avais compris. Toujours est-il que si on ne veut pas d’émission de CO2, en moyenne, on produira généralement plus le jour que la nuit, puisque le jour se rajoute la production de l’énergie solaire. En ne gardant comme énergie fossile que le nucléaire, si vous considérez que c’est une énergie du futur, vous n’avez plus les centrales à gaz, pétrole ou charbon pour ajuster l’offre sur la demande en appuyant sur de simples boutons. Partons donc, comme semble le faire Carbonus, d’une situation où les automobilistes faisant le choix de l’électrique ne peuvent compter que sur les énergies renouvelables. Imaginez que vous rentriez chez vous en soirée avec une batterie presque vide. Par malchance il y a peu de vent en Europe et les éoliennes ne produisent qu’une faible part du mix énergétique. Pour fournir leurs clients les fournisseurs font appel à de l’électricité produite par les centrales nucléaires, par les centrales à charbons ou à gaz… bref, par des énergies fossiles. Dans ce cas le prix de l’électricité augmente fortement, dans toute l’Europe la soirée se fait en heures pleines et ceux qui ont des contrats heures creuses, heures pleines seront obligés de couper le chauffage s’ils ne veulent pas se ruiner. Et les gens comme vous, qui ne veulent consommer que de l’énergie renouvelable pour leur voiture, seront dans l’obligation de différer la recharge de leur véhicule.

– Pas forcément ! Pour éviter cela je pourrais tout aussi bien prendre un contrat qui certifie que mon électricité est d’origine renouvelable !

– Ces contrats-là n’existent pas.

– Bien sûr que si !

– Ils existent mais pour un logiciel tel Carbonus ça ne compte pas car c’est du marketing. Faites-moi confiance pour ce qui est de comprendre les stratégies marketing ! Vous connaissez le slogan d’Enedis, « L’électricité en réseau ? »

– Oui, et alors ?

– Slogan vraiment nul au demeurant pour une entité qui n’a aucune raison de faire sa pub hormis pour faire oublier qu’on a mis à poil EDF. S’ils aiment jeter l’argent par les fenêtres, ça fait le bonheur des publicistes, donc le nôtre par ruissellement. En tout cas, à chaque heure du jour et de la nuit, quel que soit votre contrat, pour savoir combien d’énergie fossile vous êtes en train de consommer, Carbonus prend la part de la production d’électricité européenne faite à partir d’énergie fossile. Donc si vous ne voulez consommer que de l’énergie verte, alors vous ne devez soutirer de l’électricité du réseau que quand 100% de la production d’électricité européenne est d’origine renouvelable.

– Non ! Je ne suis pas d’accord ! Puisque 75% de l’électricité française est nucléaire.

– Vous ne pouvez pas avoir recours à l’énergie nucléaire française. Surtout si vous avez voté oui lors du référendum sur le traité européen.

– Bien sûr que j’ai voté oui ! Quel rapport ?

– J’ai fait pareil. C’était d’ailleurs la première fois que je votais… Je rentre votre réponse dans le logiciel intelligent.

– Le logiciel veut savoir si j’ai voté oui au référendum ?

– C’est une information subsidiaire. Si on veut vraiment connaître son bilan carbone, autant le faire. J’actualise et on va voir comment a évolué la note de votre e-Lustre… Voyons voir… Vous êtes dégradé en F-.

– Pourquoi en F- ? Quel rapport avec le traité européen ?

– Le traité européen aurait pu mettre un frein à la libéralisation du marché de l’électricité mais au contraire il n’a fait que la confirmer et l’accélérer. C’était même son but avoué, suffisait de le lire.

– Eh alors ? C’est bien ce qui devrait donner un bonus à ceux qui ont voté pour ! Grâce au marché de l’électricité on trouve chaque jour le mix énergétique optimum.

– Visiblement ce n’est pas ce que pense l’intelligence artificielle.

– C’est pas possible ! Y a un bug ! Votre intelligence artificielle elle a choppé une maladie mentale. Si les choses sont optimisées, comment voulez-vous qu’il y ait du gaspillage énergétique ou je ne sais quoi qui va dégrader le bilan carbone de ma e-Lustre.

– C’est parce que l’intelligence artificielle prend en compte toutes les conséquences de la spéculation qu’a entraîné la libéralisation.

–  Je ne vois toujours pas le rapport.

– Ben oui mais vous êtes un humain. Là on a recours aux services d’un logiciel intelligent. Qu’est-ce que vous voulez que je vous dise ? Écoutons ce que lui a à nous dire… Je passe à la suite. Pensez-vous que vous serez amené à utiliser des bornes dans des parkings collectifs ?

– J’imagine que ça pourrait m’arriver. Quand je partirai en vacances.

– Dans ce cas, si votre véhicule est rechargé au bout de plusieurs heures, est-ce que vous recevez un message sur votre portable pour aller déplacer votre véhicule ?

– Pourquoi voulez-vous que je le déplace ?

– Pour libérer la borne.

– J’espère bien qu’à terme, toutes les places de parking publiques auront des bornes de recharge.

– Si c’est le cas, la note carbone moyenne des véhicules électriques va se dégrader.

– Pourquoi ?

– Vous imaginez bien que cela n’est pas sans conséquences sur la nature. C’est comme si, au lieu qu’il y ait des stations-service où l’on va acheter notre essence, nous étions tous propriétaires d’une cuve et d’une pompe. Naturellement cela demanderait une masse de matériaux et des emprises au sol bien plus importantes. C’est l’avantage de ce logiciel intelligent, il sait prendre tout ça en compte.

– Oui mais bon, installer quelques millions de bornes de recharge, écologiquement ça ne va pas avoir un impact bien important.

– C’est vous qui le dites. La borne en elle-même sera nécessairement un outil assez technologique, d’autant plus si elle sert à plusieurs véhicules. Ce n’est pas comme une borne dans votre garage qui, au fond, peut se contenter de compter les watts qui sont transférés dans votre batterie, voire même ne rien compter s’il s’agit d’une simple prise qui ne considère pas différemment votre voiture et votre grille-pain. Par les temps qui courent je doute d’ailleurs que beaucoup d’entreprises se proposent à l’avenir d’installer un système aussi simple même dans votre garage. Désormais tout devra baigner dans un maximum d’informations, et l’information ça a un coût, autant financier qu’écologique. Si vous espérez un jour pouvoir brancher votre voiture sur une borne en accès libre dans la rue et que vous voulez la recharger avec de l’électricité 100% renouvelable, il y aura des paramètres qui devront être connus par la borne, elle devra à minima servir d’interface entre votre véhicule, le réseau électrique et votre compte en banque.

– Je ne vois pas ce que ça a de compliqué.

– Cela pourrait bien l’être. Cela dépend du ou des modèles qui vont s’imposer. Si vous imaginez que vous aurez des bornes à disposition même sur les places de parking dans la rue, à qui vont appartenir ces bornes ? Seront-elles la propriété des villes ? Les municipalités vont-elles passer des contrats de concessions avec des entreprises privées ? Est-ce que vous allez systématiquement payer l’électricité que vous soutirez du réseau à votre propre fournisseur d’énergie ou bien chaque borne sera-t-elle attachée à un seul fournisseur ? Fournisseur qui aura d’autant moins de chance d’être le vôtre que de plus en plus d’entreprises se portent volontaires pour gagner de l’argent sur ce juteux marché. Dans tous les cas il faudra bien que tout ou parte de votre paiement soit transmis à celui qui fournit l’électricité, et il y aura peu de chance que ce soit également celui qui la produit. En outre, si vous voulez rouler sans émission de carbone, à quoi êtes-vous prêts à consentir ? Imaginez que vous gariez votre voiture pour la nuit, si les vents sont favorables toute la nuit sur les champs d’éoliennes reliés au réseau, votre véhicule pourrait rester en charge durant tout ce temps. Mais si ce n’est pas le cas, si les éoliennes ne tournent pas assez fort, est-ce que vous serez d’accord pour arriver le matin et constater que votre véhicule n’est pas complètement rechargé, voire pas du tout ?

– Ben… pas du tout, évidemment non. Si ma batterie est vide, il faut bien que je la recharge.

– Je suis d’accord mais si tout le monde part de ce principe et qu’il n’y a pas assez d’électricité renouvelable produite ou stockée, vous concevez bien qu’il y a un problème.

– Eh bien j’imagine que dans un tel cas de figure, l’électricité sera partagée équitablement et que chacun pourra recharger sa batterie partiellement.

– Vous imaginez mal ! Ce n’est pas du tout dans l’air du temps ! S’il y a peu d’électricité renouvelable disponible celle-ci est censée coûter plus chère, donc ceux qui ont les moyens pourront faire monter les enchères et être les premiers servis. Et je vous annonce même que quand la technologie sera vraiment mûre, il pourra y avoir un commerce qui impliquera des millions de possesseurs de batteries. Dès lors qu’il est possible de vider une batterie pour en recharger une autre, certains rechargeront leur batterie quand l’électricité est abondante et bon marché, et la renverront sur le réseau quand elle sera rare et chère.

– Mais non, c’est absurde. Vous savez bien que l’un des problèmes des batteries c’est justement de s’user à mesure qu’on les recharge. Dans ces conditions il faudrait être idiot pour décharger une batterie de voiture autrement qu’en roulant.

– Vous avez raison mais vous considérez cela avec l’œil de celui qui veut rouler sans émission de carbone. Sauf que nous sommes sur un marché qu’on a libéralisé justement pour que le prix qu’on paie corresponde à la rareté ou l’abondance de l’électricité. Le but prétendu est d’inciter les investisseurs à mieux allouer les ressources. Dans ces conditions, vous ne pouvez pas empêcher que certains cherchent à profiter des écarts de prix. Si un fournisseur d’électricité propose à ses clients de leur racheter l’électricité qu’ils ont stockée dans leur batterie à un prix supérieur auquel il la leur a vendue, il y en a nécessairement certains qui le feront. Moi-même je me laisserais facilement tenter si, par exemple, j’avais une voiture que je n’utilise que le week-end. Je profiterais des fluctuations des prix de la semaine pour tenter de rouler gratuitement le week-end. Bien sûr je ne perdrais pas mon temps à surveiller moi-même les cours, je prendrais un fournisseur qui me propose une borne de recharge/décharge intelligente. Elle recevra des informations sur les cours de l’électricité qui dépendront surtout des régimes de vent ou d’ensoleillement et la consommation du moment, et elle décidera d’elle-même quand se mettre en charge ou quand elle peut renvoyer l’électricité sur le réseau à la demande de fournisseurs.

– Mais bien sûr. Et au bout de quelques mois votre batterie sera morte et vous vous rendrez compte que votre calcul était absolument foireux.

– Justement non puisque le calcul fait par la borne prendra en compte cette usure. Si l’écart de prix entre l’achat et la revente d’électricité est suffisant, cela peut compenser largement cette usure. Supposez qu’on en vienne à interdire réellement l’utilisation des énergies fossiles. On pourrait parfaitement avoir assez d’éoliennes et de panneaux solaires pour couvrir, en moyenne, la demande d’électricité européenne. Mais si cette production reste très aléatoire, avec de grandes différences entre les pics et les creux, les capacités de stockage auront un rôle fondamental pour compenser ces écarts. Ceux qui ont plus de besoins que de capacités de stockage et ont les moyens de payer cher pour acheter la capacité de stockage de ceux qui sont prêts à faire l’effort de ne pas l’utiliser pour eux-mêmes, ceux-là feront monter les enchères. Les cours fluctueront suffisamment pour qu’il vaille parfois le coup d’user les batteries de voitures sans rouler.

– Vous nagez en pleine science-fiction. Au pire je peux imaginez qu’en cas de rareté on puisse piocher un peu dans la batterie de notre propre voiture pour éclairer notre propre maison mais personne ne va renvoyer sur le réseau l’électricité de sa batterie. D’ailleurs il suffira que les pouvoirs publics l’interdisent pour que cela ne se fasse pas. Aucun homme politique digne de ce nom n’acceptera qu’on use des batteries prématurément de cette manière.

– Alors cela dépendra du nombre de politiques indignes de ce nom qu’on élira. S’ils ne sont pas déjà majoritaires.

– Oui, ça je veux bien vous accorder que le niveau moyen régresse. Mais je crois quand même qu’on ne videra les batteries de voitures sans rouler que le jour où ces batteries seront réputées inusables. Et quand ce sera le cas, tous les problèmes d’émission de carbone seront réglés.

– Peut-être. En attendant, d’après ce que j’ai compris, ce qui est formidable avec notre logiciel intelligent, c’est qu’il ne permet à personne de se cacher derrière son petit doigt. Vous pourriez avoir les moyens de payer l’électricité au prix le plus fort en clamant que c’est parce que vous ne consommer que de l’énergie renouvelable même quand celle-ci est peu abondante, le logiciel est assez intelligent pour considérer que c’est une posture hypocrite. En aucun cas votre capacité financière n’entre en jeu puisque les études ont prouvé qu’en moyenne, plus on est riche, plus on émet de carbone…

– Ah non ! Je ne suis pas d’accord ! Il y a des riches qui s’en foutent royalement du climat et d’autres qui s’en soucient beaucoup ! Faudrait quand même veiller à ne pas tout confondre en se référant à des moyennes !

– Mais justement. C’est bien pour cela que vous êtes ici, pour qu’on étudie votre cas personnel afin de voir comment vos propres choix participent à sauver la planète. Il y a malheureusement des choses qui sont nécessairement des pondérations. Si vous espérez, comme vous l’avez dit, qu’à terme vous puissiez recharger votre voiture n’importe où, alors vous prenez votre quote-part du coût écologique induit par l’installation et l’usage de millions de bornes de recharges. Vous comprenez bien que pour cela il va falloir faire des tranchées dans les rues pour passer les câbles électriques et le réseau de télécommunication.

– Oui mais enfin bon… il suffit d’attendre un peu et le faire quand la chaussée a besoin d’être rénovée, ça mutualise les coûts.

– Dans une autre civilisation c’est peut-être ce qui se ferait mais dans la nôtre, ce n'est pas comme ça que ça marche. Tenez. Il y a quelques années ils ont refait toute la place en haut de la rue. Côté sud-ouest il y a un genre de « HUB », un endroit où il semble qu’il y ait une conjonction de divers réseaux. A peine avaient-ils enfin fini de mettre les nouveaux pavés qu’ils ont tout réenlevé pour installer la fibre ou je ne sais quoi. Après quoi ils ont rebouché un temps avec de l’enrobé avant de réinstaller les pavés. Depuis ils les ont déjà réenlevés une fois pour une nouvelle intervention. A ce rythme on pourrait penser qu’il serait plus économique de créer une salle souterraine avec une trappe d’accès. Non, croyez-moi, le jour où il faudra des bornes de recharge un peu partout, il y a peu de chance qu’on mutualise les coûts.

– Oui mais si c’est le cas, je ne vois pas comment votre logiciel intelligent pourrait en tenir compte. Ou alors c’est madame Soleil !

– Il ne peut pas tout prévoir. Comme tout un chacun, il fait des projections avec les informations qui sont en sa possession. Et c’est pour cela que j’ai besoin de savoir comment vous allez utiliser votre batterie. Question : « Si, lorsque votre véhicule est branché à une borne de recharge, le mix énergétique s’avère en intermittence ou en permanence inclure des sources d’énergies fossiles, avez-vous souscrit à un contrat entraînant l’arrêt complet du transfert d’énergie vers votre véhicule durant tout le temps où le mix énergétique inclus ces énergies fossiles ? »

– Je vous ai déjà dit que j’avais un contrat basique.

– Oui mais vous pourriez justement en changer pour améliorer votre bilan carbone. Est-ce qu’à terme vous n’allez recharger votre voiture que durant les périodes où la production est intégralement issue des énergies renouvelables ?

– Ben… non. D’ailleurs vous me parlez d’un truc qui n’existe peut-être même pas. En tout cas moi je n’ai jamais entendu parler d’un tel contrat.

– Dommage parce qu’apparemment ça suffit à vous faire monter de deux lettres dans le classement des émissions carbone.

– Oui mais attendez. Moi je veux bien me renseigner à propos d’un tel contrat. Mais quand ils disent « sources d’énergies fossiles », vous ne m’avez toujours pas dit clairement si ça comprend le nucléaire ?

– D’après Carbonus, oui.

– Parce que le truc c’est que… Est-ce qu’il arrive vraiment qu’on puisse se passer intégralement des énergies fossiles ?

– D’après ce que j’en sais ça arrive parfois. La nuit, du fait qu’on consomme moins. Mais comme je vous l’ai dit, plus il va y avoir de voitures électriques qui se rechargent la nuit, plus on va consommer d’électricité la nuit. Mais en même temps y aura sans doute aussi de plus en plus d’éoliennes donc, l’un dans l’autre… Il faudrait de plus près comment ils ont fait les projections qui prétendent que tout cela va se faire sans difficultés.

– Oui mais moi, au jour d’aujourd’hui, je ne peux pas signer un contrat qui va faire que ma voiture ne sera pas du tout rechargée si j’ai besoin de la recharger et qu’il n’y a pas du tout de vent ! Comment je vais aller au travail ?

– Elle a combien d’autonomie votre batterie ?

– Ils annoncent plus de 550 kilomètres.

– Ben alors faut vraiment pas vous inquiéter, avec un truc pareil vous pourriez devenir chauffeur de taxi. A part le jour où vous allez partir en voyage de noces à Vienne, je vois difficilement comment vous pourriez vous retrouver en panne sèche. Vous avez toutes les chances de pouvoir la recharger plusieurs fois par semaine, ça va très largement suffire à l’usage que vous en faites au quotidien.

– Je ne sais pas. Vous croyez que ça arrive souvent des semaines entières sans soleil et avec des régimes de vents faibles ?

– Aucune idée.

– Et votre logiciel, il ne le sait pas ?

– Sans doute mais je ne sais pas comment lui demander. Ne vous tracassez pas plus que ça, même si vous n’en venez pas à signer ce contrat qui vous donne deux lettres de bonus carbone, la question suivante va permettre au logiciel d’avoir une idée de votre implication dans la lutte contre le réchauffement climatique : « Si vous avez répondu non à la question précédente, sur une échelle de 1 à 10, notez le niveau de contrainte auquel vous êtes prêt à consentir dans l’usage de votre voiture électrique. »

– C’est à dire ?

– Vous voulez des exemples ?

– C’est pas de refus.

– « Lorsque le mix énergétique est carboné à plus de 50%, je mets ma batterie hors-tension. L’action correspondante est notée 5 sur l’échelle de la contrainte ».

– Mais comment vous voulez que je le sache ? Je n’ai aucune idée du nombre de fois où le mix énergétique est carboné à plus de 50% ni comment recevoir l’information !

– Vous la recevrez grâce à votre compteur communiquant pardi. Autre exemple : « Je reçois une alerte rouge de réseau en tension de la part de mon fournisseur. Je switche automatiquement vers les transports en commun tout le temps de l’alerte. L’action correspondante est notée 8 sur l’échelle de la contrainte. »

– Mais non, je n’peux pas. Je n’peux pas aller de Saint-Cyr à Feyzin en transports en commun. Comment voulez-vous ?

– Bon. Mais par exemple, vous êtes prêt à vous passer de votre voiture le week-end si le réseau est en tension, n’est-ce pas ? 

– Mais non ! Je ne vais quand même pas annuler mon week-end ! Sinon à quoi bon avoir une voiture ? De toute façon le réseau ne peut pas être en tension le week-end !

– En somme, ce que vous aimeriez, c’est que votre voiture ait à peu près la fonctionnalité d’une voiture à essence. Dans l’idéal il faudrait avoir des batteries qui se rechargent en une minute. Va falloir patienter encore un peu.

– Dans l’idéal il faudrait des station-essence à batteries ! On vient, on pose la batterie vide et on repart avec une batterie pleine. C’est ça qu’il faudrait. Que toutes les batteries soient compatibles et qu’on puisse les enlever et les remettre en quelques minutes.

– Le truc c’est que c’est lourd comme un cheval mort une batterie de voiture. C’est un peu comme s’il fallait changer le moteur à chaque fois qu’on fait le plein. Des milliers de gens se sont cassés le dos avec des lave-linge lestés de béton et aucun n’a jugé utile d’en fabriquer un avec un socle en béton amovible

– C’est juste une question de volonté. Suffit d’avoir un système conçu correctement. On défait les accroches de la batterie, on soulève la voiture, la batterie reste au sol sur un chariot, on la pousse, on pousse la batterie pleine à sa place, on redescend la voiture et on remet les accroches. Simple comme un jeu d’enfant. Je ne suis pas communiste mais pour le coup, s’il y avait une propriété collective de toutes les batteries et qu’on n’en payait que l’usage, tout cela serait très facile à mettre en place.

– Ce n’est pas près d’arriver puisque la course à l’innovation sur les batteries est à la base du modèle économique de certains constructeurs. Je ne vois pas pourquoi ils voudraient harmoniser leur conception et mutualiser leur usage. Votre e-Lustre est justement réputée pour la qualité de ses batteries non ?

– Oui c’est vrai. C’est même pour cela que je l’ai achetée. Mais quand on y pense, on se dit que les constructeurs qui ont pris du retard à ce sujet pourraient s’allier à un industriel qui développe uniquement des batteries. Cette synergie leur permettrait d’offrir un service qui compenserait leur retard relatif sur ceux qui ont de meilleures batteries.

– Vous pouvez toujours le leur proposer. En attendant, quelle note je mets à propos des contraintes, 3 sur 10 ?

– Si je choisis 3 sur 10. Quel impact ça a sur mon évaluation carbone ?

– Attendez… Vous passez à F+.

– F+ ? Et si on met 5 sur 10 ?

– … Vous seriez au niveau E. Mais il faut être honnête, d’après ce que vous me dites je doute que vous soyez en mesure d’accepter les contraintes associées à la note de 5.

– Mais si. Mais si. Je vais bien trouver un moyen.

– A quoi ça sert de faire ce test si vous essayez de tricher ?

– Si je ne voulais pas avoir de contrainte j’aurais gardé ma voiture à essence. Je me demande bien combien il la noterait votre logiciel d’ailleurs, Z- ?

– Chez nous la pire note qu’il a donné pour un véhicule c’est Q+.

–  C’était quoi ?

–  Un char soviétique T34-76 de 1942.

– Quelqu’un est venu calculer la note carbone d’un char ?

– Les gens collectionnent n’importe quoi, je vous assure. Bon. Passons à l’étape suivante qui est moins sujette à interprétation. Vous pouvez me donner le numéro de votre plaque d’immatriculation ?

– Pourquoi vous voulez le numéro de ma plaque ?

– Vous ne le connaissez pas ?

– Si mais… Pourquoi je le donnerais à votre logiciel. C’est un peu intrusif quand même.

– Oh mais ne vous en faites pas. Soit, Carbonus le connaît déjà, auquel cas ça ne change rien pour vous. Soit, il ne le connaît pas, auquel cas cela rendra les choses un peu moins précises.

– Ah ?... Ben essayez FU-666-CK.

– FU-666-CK…  Voyons cela. Est-ce que c’est bien votre voiture ?

– Faites voir ? ça m’en a tout l’air. Comment elle a atterri dans votre logiciel ? Et qui a pris cette photo ? C’est chez moi mais on dirait que la prise de vue vient de chez mon voisin.

– C’est probablement une captation de sa web cam. Peu importe, ce qui compte c’est que ça va nous épargner de renseigner des données. Donc vous avez une e-Lustre Biz 3 moteurs à transmission intégrale de 1080 chevaux, vitesse maximale 276 km/heure, 0 à 100 en 2,2 secondes. Félicitations, c’est vraiment une très belle voiture.

– Merci.

– Vous l’avez payée combien ? Sans indiscrétion.

– 139 990 euros. Mais j’ai pris plusieurs options.

– Je vois ça. Cela risque de vous faire descendre un peu dans le classement carbone.

– Sûrement pas ! J’ai justement pris la conduite hyper-intelligente qui optimise la consommation.

– D’après mon expérience, Carbonus ne valorise pas vraiment ce genre d’options. Sans doute parce que leur mise en œuvre a des impacts négatifs invisibles pour vous mais calculables par lui.

– Ah ben si c’est « logiciel intelligent contre logiciel intelligent » c’est un peu comme « parole contre parole ». Comment vous savez que votre logiciel intelligent est plus intelligent que le logiciel de ma conduite hyper-intelligente.

– Carbonus est entièrement dédié à cette intelligence précise qui vise à calculer l’impact écologique des objets, il n’essaye pas de compenser vos errances de conduites, chacun son boulot ! Cependant, d’après mon expérience, le malus d’une telle option sera faible. De quoi vous faire passer de F+ à G+, ce n’est rien par rapport au malus global lié à votre e-Lustre.

– Il y a un malus global ?

– Une fois tout pris en compte, votre bilan carbone est au niveau H-.

– Hein ? Mais c’est pas possible ! C’est une voiture électrique bon sang !

– Oui j’avoue que ça paraît étonnant. D’autant plus que les moteurs électriques sont très performants et d’une très grande fiabilité. Vous savez qu’il y a des locomotives électriques BB 15000 qui circulent depuis 50 piges et ont dépassé les 11 millions de kilomètres parcourus ? C’est fou non ?

– Justement. Ça devrait rentrer en ligne de compte.

– Le truc c’est que les trains, on les prévoit pour durer. Et puis y a les caténaires, ça enlève le problème de la recharge. Dans votre voiture, à supposer que le moteur puisse parcourir 11 millions de kilomètres, chose improbable, il y a plein de choses qui seront jugées caduques ou irréparables quand bien même elles pourraient l’être. En plus elle mesure 5m34 de long et 2m13 de large.

– Et alors ?

– Ben déjà, plus elle est grande et large, plus elle démarre bas dans le classement avant même que vous ayez roulé le moindre kilomètre. Je veux dire, en moyenne par rapport à des modèles comparables, plus c’est grand et long, plus cela demande de la matière première. Ensuite il faut tenir compte de tout ce que cela implique en termes d’usage et d’infrastructures.

– Je ne vois pas pourquoi ? Personne ne construit des voitures qui ne peuvent pas circuler sur les axes déjà existants. Quand je me gare, j’utilise une seule place de parking figurez-vous.

– Carbonus ne semble pas voir les choses de cette façon.

– Ben il devrait.

– Oui et non. Tant qu’il y a des camions et des bus, les rues dans lesquelles ils circulent doivent être conçues pour cela, donc vous vous avez l’impression que votre voiture a une taille relativement modeste au regard des camions et des bus.

– Ce n’est pas qu’une impression, c’est simplement la réalité.

– Certes mais enlevez les bus et les camions. Imaginez deux villes où il n’y aurait que des vélos, des motos et des autos. Dans l’une des deux villes, toutes les voitures ont à peu près le gabarit d’une Porsche Cayenne, ce qui reste tout de même inférieur à votre e-Lustre Biz. Dans une autre ville toutes les voitures ont à peu près le gabarit d’une Twingo 1ère génération. Faites un sondage dans chacune des deux villes auprès des cyclistes et des motards pour savoir dans laquelle il est le plus facile et le plus sûr de circuler. Je pense qu’il n’y aura pas d’ambiguïté.

– D’abord mélanger les cyclistes et les automobilistes c’est insensé, c’est bien la raison pour laquelle on crée des pistes cyclables.

– On en crée d’autant moins facilement qu’il faut laisser de la place à des véhicules larges.

–  Oui bon, si vous voulez. Mais les motards, jusqu’à preuve du contraire ils sont tenus au même code de la route que les automobilistes. Donc qu’ils aient moins la faculté de slalomer entre deux SUV qu’entre deux Twingo, je ne vois pas en quoi ce serait dérangeant, ça leur apprend à respecter les règles.

– Vous ne pouvez pas vous en sortir avec un tel argument. Vous comprenez bien que les infrastructures sont à l’image des besoins mais les besoins ne sont pas une donnée ex nihilo. Si dans une ville tout le monde a un SUV, les rénovations et nouveaux aménagements décidés par la municipalité prendront en compte les besoins spécifiques à ces SUV. Vous dites que vous n’utilisez qu’une seule place de parking mais je prends le pari que si on met côte-à-côte 10 e-lustres Biz, même si aucune n’empiète sur une ligne blanche, il y aura plusieurs conducteurs qui vont devoir se contorsionner pour sortir de leur voiture. Alors à la longue ces conducteurs feront pression pour qu’on fasse des places de parkings plus larges, pour qu’elles s’adaptent à leurs besoins. Des places plus larges c’est un moindre nombre de places ou plus d’espace dédié aux parkings. Ce n’est pas neutre.

– Vous vous êtes le genre d’individu qui ferait payer deux places à un obèse dans un avion. C’est totalement discriminatoire. Même les communistes le disent : « A chacun selon ses besoins. »

– Je ne suis pas sûr que la comparaison soit très pertinente. Mais puisque vous nous emmenez sur le terrain du poids, votre e-Luste Biz est annoncée à 2500 kilos à vide, c’est plus de 2.5 fois le poids d’une Twingo.

– Oui ben ça va, ça reste raisonnable, justement par rapport à un camion ou un bus.

–  Oui mais vous vous comptez faire 100 kilomètres par jour seul dans une voiture de 2.5 tonnes. Nécessairement Carbonus dégrade votre note.

–  Je ne vois pas pourquoi si j’arrive à me débrouiller pour ne charger la batterie qu’avec de l’énergie renouvelable.

– Si vous le faites c’est mieux mais ça ne veut pas dire que vous êtes neutre en carbone. Une voiture de 2.5 tonnes ça use plus les routes qu’une voiture d’une tonne. Or l’usage d’une voiture d’une tonne à seule fin de déplacer un humain qui pèse beaucoup moins, c’est déjà largement suffisant pour s’offrir un malus écologique.

– Je ne vois pas pourquoi. C’est à peine le poids d’un cheval !

– Un gros cheval alors. Du genre qui tire des rondins. Et s’il fait 2500 kilos c’est qu’il a une trompe !

– Oui ben… est-ce qu’on a emmerdé les bûcherons thaïlandais pour leur bilan carbone ?

–  On aurait peut-être dû car il est légitime que Carbonus calcule votre quote-part dans l’usure des routes. Tout comme il est légitime que Carbonus dégrade la note écologique des voitures selon la taille de leurs pneus ! Des pneus plus larges c’est autant de plastique en plus qui finit dans les champs ou les rivières. Carbonus calcule votre quote-part dans tout, dans la fabrication des éoliennes et des panneaux solaires, dans tout ce qui sert à la fabrication et l’usage de votre voiture, c’est ça qu’il faut comprendre.

– Ce que vous vous ne comprenez pas, c’est que si tout devient électrique, alors il n’y aura plus de problème d’émission de carbone même si je roule dans une voiture de 10 tonnes. Il suffit que tout ce qui sert à la fabrication de ma voiture soit extrait du sol et assemblé avec des engins qui marchent à l’électricité. Il suffit que toutes les usines fonctionnent uniquement avec de l’électricité. Il suffit que tout ce qui sert à la fabrication et l’entretien des routes ne nécessite que de l’électricité.

– Vous voulez parler d’électricité d’origine non fossile j’imagine.

– Encore une fois cela dépend si vous comptez l’uranium dans le lot.

– Ok. A ce point de notre enquête sur votre achat… Est-ce que vous l’avez fait dans l’idée de répondre à une forme d’urgence écologique ou est-ce surtout pour avoir le sentiment d’être en avance sur votre temps ?

– L’urgence c’est de réduire notre empreinte carbone et il me semble que la seule solution c’est le progrès technique. Alors il m’a semblé logique d’acheter ce qui se fait de plus avancé en matière de voiture.

– Mais Carbonus est aussi ce qui fait de mieux dans son domaine et quand il évalue une Peugeot e-208, il donne au pire une note de E-. Pourquoi n’avez-vous pas acheté une voiture moins lourde ?

­– Mais enfin ! Vous n’allez quand même pas me faire croire que le poids est un critère déterminant ! Oui j’ai une voiture de 2 tonnes 5 mais sérieusement, vous avez déjà regardé un train ? Sérieusement ? Si ma voiture pèse plus de 2 tonnes, combien ça pèse un TGV ? 500 ? 1000 tonnes ?

– Excellente fourchette. Etant un peu informé sur le sujet, je peux vous dire que pour un TGV Duplex c’est environ 750 kilos par place assise.

– Ah ! Vous voyez ! Suffit que le TGV soit à moitié vide et qu’on soit deux dans ma e-Lustre et alors le poids par personne devient largement à mon avantage !

– C’est une façon de voir les choses. Évidemment, plus les gens voyagent en voiture individuelle et moins les trains sont pleins. Pour faire tomber définitivement la balance de votre côté, mettez-vous au covoiturage.

– Ah non ! Je veux bien faire des gestes pour la planète mais y a des limites. Le covoiturage c’est trop chiant !

– Je vous ferai remarquer que si dans les TGV on remplace la voiture-bar et les premières classes par des voitures de seconde classe, le poids par place assise tombe à 620 kilos. C’est bien la preuve que le goût d’avoir pour soi des places plus grandes, que ce soit pour poser ses fesses ou garer sa voiture, cela ne peut pas être neutre.

– Peut-être mais moi je ne roule pas à 300 km/h.

– C’est bien là tout l’intérêt d’avoir un logiciel intelligent tel Carbonus. Comment voulez-vous qu’on s’y retrouve dans un tel imbroglio ? Les TGV sont pleins mais roulent trop vite. Les TER roulent moins vite mais manquent de clients. Les voitures à essence crachent directement du CO2, ce qui d’après certains est anecdotique et d’après d’autres catastrophique. Les voitures électriques sont trop lourdes. De toute façon l’électricité est très loin d’être décarbonée. La recherche avance mais plus les véhicules ont des moteurs efficaces au niveau énergétique et plus leur construction et leur usage sont gourmands en autres ressources. Plus il y a de gens qui s’inquiètent de l’état de la planète, moins il y en qui supportent la présence des SUV et plus il y en a qui ont des SUV, même parmi ceux qui s’inquiètent de l’état de la planète et qui ne supportent pas la présence des SUV des autres. En toute logique, plus il y aura de véhicules électriques, plus il faut s’attendre à voir les distances parcourues s’allonger. Et aussi s’attendre à ce que tous ceux qui viennent faire leur bilan carbone auprès d’un logiciel intelligent en contestent les résultats.

– Bien sûr que je conteste les résultats ! Je m’achète une voiture officiellement A++++ et votre Carbonus me la dégrade en H ! Vous parlez d’une arnaque ! Je ne comprends pas pourquoi il s’appelle Carbonus s’il dégrade les notes de toutes les voitures. On serait plus avisé de l’appeler Carmalus.

– C’est pas faux mais il ne faut pas non plus prendre le A++++ comme une valeur de référence. Aucun objet ne peut être noté A++++ et encore moins un objet qui sert au transport. D’abord cette note n’existe pas pour Carbonus. Il commence à A+ car il a justement la capacité de connaître quel est le moyen de transport qui dégage le moins de CO2. A partir de ce point de référence, il étalonne tous les autres moyens de transport.

– Et c’est quoi le moyen de transport le plus écologique ?

– Dans le référentiel de Carbonus, la seule manière d’aller d’un point à un autre avec un bilan carbone à A+, c’est de se balader à poil en marchant doucement pour ne pas respirer trop fort. Donc H ce n’est pas si catastrophique. Si vous aviez une voiture à essence aussi grosse, lourde et technique, vous seriez sans doute à I.

– Ah ben vous parlez d’un progrès ! Une lettre d’écart. C’est nul !

– Qu’est-ce que vous voulez que je vous dise ? On a juste renseigné les informations dont Carbonus avait besoin pour analyser votre e-Lustre.

– Et son bilan carbone à lui. Il l’évalue à combien ?

– C’est marqué là, regardez ! « Le bilan écologique d’une session moyenne Carbonus équivaut à 12373 pets de vaches ! » En roulant 10 km/h moins vite durant quelques temps, vous devriez pouvoir compenser cela rapidement.

– Telle n’est pas mon intention. J’ai même une très grosse envie d’activer le mode sport.

– La e-Lustre Biz a un mode sport ?

– Bien sûr.

– Cela me paraît franchement superflu.

– Pourquoi ?

– Ben c’est un peu comme si on compare la Formule 1 à la Formule E. Désolé mais il manquera toujours un truc.

– Question de goût. Les goûts et les couleurs… Je tenterai de passer dans la rue en partant, je parie que vous allez m’entendre, tout électrique que soit mon moteur.

– Vous êtes garé où ?

– Rue de Savoie.

– Vous auriez dû vous poser au parking quai Romain Roland, non seulement y a des bornes de recharge mais la charge est gratuite.

– Comment ça gratuite ? Pourquoi ce serait gratuit ?

– C’est comme ça. Je ne sais pas combien de temps ça durera mais pour l’heure c’est gratuit.

– Je n’aime pas trop ça. Comme on dit : « Si c’est gratuit c’est toi le produit ! »

– Dans le cas présent, il semblerait que les dindons de la farce soient ceux pour qui ce n’est pas gratuit.

– Y en a pour qui ce n’est pas gratuit ?

– Je veux dire… c’est gratuit pour les voitures électriques mais il n’y pas de pompe à essence gratuite pour les voitures à essence dans ce parking.

– Oui ça je m’en doute… Je trouve quand même ça bizarre.

– Ce n’est pas si bizarre que ça. Il suffit de regarder la société telle qu’elle est et non pas telle qu’on vous dit qu’elle est.

– C’est à dire ?

– Eh bien beaucoup de gens pensent qu’on est dans une économie totalement dirigée par le jeu de l’offre et de la demande. Alors qu’on est très largement dans une économie où les prix sont administrés de manière plus ou moins détournée. Si ce n’était pas le cas il n’y aurait pratiquement pas un panneau solaire sur les toits et encore moins de voitures électriques.

–  Si c’est pour une bonne cause, je ne suis pas contre une certaine forme d’incitation.

–  S’il s’agit d’une bonne cause, en générale la bonne cause du départ est rapidement pervertie. Il y a bien des gens qui doivent leur fortune à ce que la société considère naturellement comme une bonne cause. La lutte contre le changement climatique ne risque pas d’échapper à cet aléa.

– Elle risque surtout d’échouer si des logiciels idiots dégoûtent les gens de faire des efforts en leur donnant de mauvaises notes de manière injustifiée.

– Je vous ai dit que H ce n’était pas une si mauvaise note. En tout cas c’est moins pire que vos bilans écologiques et terriens calculés.

– Non mais ça je m’en fous.

– C’est dommage, cela me semble être tout de même plus intéressant que le bilan carbone.

– Non puisque c’est totalement subjectif.

– Laissez-moi deviner. Vous avez une propriété secondaire au niveau de la mer, vous avez peur d’avoir les pieds dans l’eau ?

– Absolument pas, j’ai un chalet à la montagne.

– Ah oui. Vous craignez de manquer de neige pour le ski.

– Je ne suis pas aussi autocentré sur ma personne que vous ne l’imaginez, voyez-vous ? Je n’ai juste pas envie que mes descendants héritent d’une planète invivable.

 – Dans ce cas, en me mettant à votre place, je suggère que vous léguiez une partie de votre fortune à des scientifiques qui ont carrément la prétention de contrôler le climat.

– Pourquoi ?

– Pour éviter de vous retrouver avec le grenier à blé dans la cave.

– Je ne vous suis pas.

– Quand les historiens cherchent les raisons du déclin d’une civilisation, ils ne manquent pas de vérifier si des causes géologiques ou climatiques sont entrées en jeu dans ce déclin. Or il semblerait que certaines n’ont effectivement pas eu de bol avec la météo.

– Ah oui ? Moi je crois surtout qu’on cherche à voir le passé avec nos lunettes d’aujourd’hui. A tous les coups le climat n’y était pour rien puisque l’humain n’avait pas les moyens de le changer.

– Je suis assez d’accord sur la tendance que vous évoquez mais ce n’est quand même pas qu’une question de lunettes. Si les stalagmites vous indiquent clairement qu’à la fin de l’âge de bronze le pourtour méditerranéen a été en stress hydrique durant des dizaines d’années, la seule manière de le contester c’est d’aller étudier soi-même les stalagmites.

– Eh bien peut-être que contre toute attente, les hommes de l’époque ont fait des conneries suffisamment grandes pour parvenir à changer le climat.

– Ou bien ils ont détourné l’eau destinée à tomber sur les stalagmites pendant qu’on y est.

– Et pourquoi pas ?

– Moi, si on me dit qu’il y a 8000 ans le Sahara était bien plus vert, et c’est ce qu’on me dit, si on me dit qu’il y a 20000 ans toute une partie de l’Europe était recouverte de glace, et c’est ce qu’on me dit, tant que personne de sérieux ne vient contester cela, je le prends pour une information sérieuse.

– Et donc ?

– Et donc, si j’avais un chalet avec vue sur un glacier et que je voudrais bien que ça dure pour mes enfants et les enfants de mes enfants, j’aurais déjà dépassé le moment de la lutte contre les méfaits de l’anthropocène pour m’attaquer à l’inéluctable fâcheuse tendance du climat à jouer les yoyos. Donc je filerais du fric à ceux qui pensent un jour faire la pluie et le beau temps. Pour l’heure il est vrai que c’est un peu un serpent de mer mais avec du pognon certains soulèvent des montagnes, pourquoi pas apprendre à les arroser à notre guise ? Si un jour on arrive à contrôler le climat, j’espère qu’il n’y aura pas trop de monde pour se plaindre qu’on fait tomber de la pluie sur le Sahara au risque de faire disparaître un si splendide désert de sable.

– Vous êtes un plaisantin mais vous ne comprenez pas l’enjeu. Le truc c’est que là le climat change à trop grande vitesse pour qu’on puisse s’adapter et que le responsable de ce changement c’est clairement le CO2. Ce n’est pas parce que certains ont été décimés par des évènements sur lesquels ils n’avaient peut-être pas de prise, qu’on doit se laisser décimer par des événements pour lesquels nous connaissons notre responsabilité.

– Vous pensez vraiment qu’on peut la mesurer cette responsabilité ?

– Ben oui. Il y a des modèles très sophistiqués. Lisez les rapports, vous verrez. S’il était si intelligent, votre Carbonus devrait être en mesure de dire à chacun quel impact son inaction aura sur le changement climatique.

– Au niveau auquel il se situe actuellement, Carbonus ne peut pas modéliser le climat à venir. Peut-être dans une version future améliorée. Concevez tout de même que mesurer la responsabilité de l’homme dans le taux actuel de CO2 est une chose, savoir ce que cet apport de CO2 va changer dans le climat en est une autre.

– Si vous suiviez cette actualité comme je la suis, vous sauriez que les modèles établis dans le passé sont très pertinents pour décrire ce qui se passe actuellement.

– Il se passe quoi ?

– Il fait plus chaud et les glaciers fondent. Inexorablement l’eau va monter. Le cycle de l’eau va se modifier en raison du réchauffement des océans et de la plus grande évaporation. Cela sera nécessairement favorable aux évènements climatiques extrêmes tels les cyclones. Paradoxalement certaines régions du monde, comme l’Europe, pourraient devenir plus froides à certaines saisons en raison de la perturbation du Gulf Stream.

– Et alors ?

– Et alors c’est catastrophique ! Vous voyez bien ce qui se passe non ? Vous voyez bien le nombre de records de températures battus chaque année !

– Pas des records de froid apparemment. Et vous venez de dire que ça pourrait arriver. J’avoue qu’un climat plus froid ça m’emmerderait ! C’est chiant le froid ! On choppe la grippe, y a plein de vieux qui meurent et les routes sont dangereuses. L’hiver c’est nul !

– Et la canicule ? Elle ne fait pas des morts peut-être ?

– Cela dépend de votre portefeuille. Pour le froid aussi vous me direz, mais moins.

 – Comment ça, ça dépend de mon portefeuille ?

– Pas le vôtre ! De manière générale, si on est riche on a quand même moins de chance de mourir de la canicule. Je veux bien que les villes du grand nord soient une destination prometteuse à l’avenir mais depuis qu’on parle de réchauffement climatique, c’est plutôt des villes chaudes qui ont tendance à pousser comme des champignons. Si vous avez plein de fric, vous pouvez construire Dubaï et en faire une destination touristique prisée. Si vous pouviez mobiliser la même débauche de moyens à l’échelle du continent africain, changement climatique ou non, y aurait beaucoup moins de noyés dans la Méditerranée.

– Oula ! Oula ! Vous vous avancer beaucoup là ! Mais mon pauvre ami ! Vous n’avez encore rien vu ! Si la température monte de 4° durant ce siècle, on verra bien qui ira encore à Dubaï !

– Peut-être que d’ici là ils sauront dessaler et pomper massivement l’eau de mer et que la péninsule arabique sera bien plus verte et d’une chaleur moins accablante. A défaut, quand on a du fric, il suffit de pousser la clim !

– Si vous pensez qu’il y aura assez d’énergie pour que 10 milliards d’humains et leurs animaux poussent la clim !

– Ah mais moi je n’en sais rien. J’en suis visiblement moins sûr que vous puisque ce n’est pas moi qui ai l’idée de recharger des batteries avec de l’énergie solaire.

– Solaire ou éolienne, tout ce qui est renouvelable, peu importe.

– On ne peut pas flipper parce qu’on ne voit pas passer un nuage durant des semaines entières et croire en l’énergie solaire. Si c’est une énergie si prometteuse, on aura au moins le loisir de fabriquer du froid grâce à elle pour rester au frais.

– Ah oui ? Encore faut-il que le soleil ne soit pas totalement voilé par un smog de pollution.

– C’est un vrai problème, bien au-delà de l’impact sur les performances des panneaux d’ailleurs. Je doute qu’il puisse être résolu par l’achat de véhicules électriques de haute technologie.

– Et pourquoi pas ?

– Allez vivre en Chine, vous le saurez. Vous ne trouvez pas qu’il y a quelque chose qui cloche dans la promotion d’un mode de transport électrique bien avant qu’on soit en mesure de produire de l’électricité sans se passer de l’apport du pétrole, la source d’énergie qui sert justement aux véhicules qu’on entend remplacer ?

– Eh bien c’est cela un système incitatif vertueux ! Bien sûr pour l’instant on n’a pas les capacités à produire toute notre électricité sans recours au pétrole, au charbon ou au gaz. Mais en obligeant les gens à acheter des voitures électriques, on incite tout un secteur d’activité à investir et développer les énergies renouvelables.

– A ce propos, dès lors qu’on oblige de manière plus ou moins indirecte les gens à ne plus rouler en voiture thermique, ce qui revient à les mettre au rebut prématurément, le mode de transport électrique prend sa quote-part dans le gaspillage de ressources subséquent. C’est logique.

– Mais non ! Je conteste ! A vous entendre ce sont les acheteurs de voitures électriques qui feraient les lois ! Moi je n’ai pas demandé à ce qu’on mette des vignettes autos.

– Vous êtes sûr ? Même pas un petit peu ? Même pas en rêve ? Moi tout ça me laisse perplexe. Ne vous m’éprenez pas sur mon état d’esprit. Je ne fais pas l’apologie des voitures thermiques et je suis tout à fait favorable à ce qu’on laisse un maximum d’hydrocarbures dans le sous-sol. Ils génèrent des pollutions sur les sites de leur extraction, une pollution atmosphérique lors de leur combustion, leurs sous-produits rejettent des déchets toxiques dans les rivières et les campagnes. Ils servent aussi à la fabrication des plastiques dont on fait un usage croissant, y compris pour construire des voitures. Or d’après Carbonus la pollution plastique est l’un des grands fléaux de notre époque. A toujours se focaliser sur le CO2 qu’ils dégagent on en oublierait presque tout cela. A mon avis c’est voulu.

– C’est sans doute parce que vous n’avez pas conscience que la concentration en CO2 à partir de laquelle l’homme ne peut simplement plus respirer n’est pas si haute que ça.

– Ah bon ? On en est à ce point-là ? Effectivement je l’ignorais. Je n’aime pas trop jouer à me faire peur.

 – Toujours est-il que le pétrole produit des gaz à effet de serre. Si vous ne voulez pas comprendre que le réchauffement climatique est l’enjeu majeur, c’est juste le signe que vous êtes en retard d’une bataille.

– Comme je viens de vous le dire, d’après Carbonus, l’enjeu majeur c’est la pollution et l’épuisement des ressources. Vous allez me dire qu’on n’a de toute façon pas le choix d’arrêter de rouler à l’essence puisque l’épuisement des ressources en pétrole arrivera forcément un jour. Mais l’épuisement des ressources ça concerne plein d’autres choses, notamment la quasi-totalité des métaux.

–Mais les métaux c’est tout de même bien moins problématique que l’eau ! Comment vous croyez qu’on va s’en sortir quand on n’aura plus assez d’eau pour nos besoins à cause du réchauffement climatique.

– Vous parlez de l’eau de manière intrinsèque ou de l’eau potable ?

– Mais ça va de pair ! Comment vous croyez qu’on va pouvoir continuer à se nourrir s’il ne pleut plus assez et qu’on n’a pas assez d’eau pour irriguer les champs ?

– Le cas échéant ?

– On n’en est plus à se demander si ça va arriver ou non ! ça va arriver ! C’est même déjà en train d’arriver !

– Si vous le dites… Alors le cas échéant, je dirais qu’on va s’en sortir. Soit en produisant autrement. Soit en mangeant autrement. Soit en émigrant dans des pays qui auront bénéficié du changement climatique.

– Quels pays ?

– Je ne sais pas. Les modèles du GIEC ne disent pas où le réchauffement climatique va permettre d’augmenter les rendements agricoles ?

– Mais non ! Mais bien sûr que non ! Parce qu’il n’y en a pas ! Il n’y aura que des évènements climatiques extrêmes qui ravageront les cultures !

–  Même au Groenland, en Sibérie, au Canada ?

– Mais dans ces régions ce sera encore plus catastrophique ! A cause du dégel des sols, plein de virus vont se propager ! L’humanité devra fuir ces endroits-là !

– Merde alors ! Vous voulez dire que quand la glace s’est retirée du nord de l’Europe et des massifs, toutes ces zones-là sont restées longtemps inhabitables ?

– Ce n’est pas ce que je dis. Seulement la problématique était sans doute très différente quand les humains vivaient en petites communauté éparses. Et c’est peut-être bien en raison de virus en réveil que ces communautés ont mis autant de temps à former une multitude croissant et multipliant. Ne sous-estimez pas le danger ! Vous allez déchanter !

– Je me doute bien que personne n’aurait dans l’idée de le surestimer. Quel intérêt ?

– Décidément, si vous achetez un logiciel capable de mesurer la dose de cynisme dans chaque individu, vous risquez d’obtenir haut la main un A++++. A vous écouter il n’y aurait rien à faire ! Allons-y ! Continuons à envoyer du CO2 dans l’atmosphère et demain des millions de gens auront les pieds dans l’eau à cause de la fonte des glaces.

– De quelle glace parlez-vous ?

– De la glace en général. Si comme moi vous aviez un chalet avec vue sur un glacier, vous auriez clairement vu son évolution en trente ans.

– Oui je me doute que c’est assez susceptible de changer. Vous savez qu’il y a 50 millions d’années, le niveau de l’eau était environ 150 mètres plus haut qu’aujourd’hui ?

– Mais de quoi parlez-vous ? 50 millions d’années ? Là il est question de quelques décennies !

– Oui mais à contrario, il y a 25 000 ans, le niveau des mers était environ 130 mètres plus bas ! Quoique, d’après ce que j’ai compris, ce n’est pas si facile à appréhender car quand la glace se forme sur les continents, certes elle enlève de l’eau aux océans mais en même temps, elle pèse un tel poids sur certaines plaques que celles-ci s’enfoncent dans la croûte terrestre. C’est épatant non ?

– Vous êtes un cynique ! C’est vraiment le terme ! Vous avez des enfants ?

– Non. Et je n’ai pas l’intention d’en avoir.

– Cela ne m’étonne pas.

– En tout cas j’ai des ancêtres et je me dis que 20000 ans ce n’est pas une époque très reculée. 130 mètres plus bas ! Est-ce que c’est mieux que 150 mètres plus haut ? ça fait un gap total de 280 mètres ! C’est une autre paire de manche que se soucier d’une hausse d’un mètre dans le siècle à venir !

– 130 mètres pour des humains qui vivent autour d’un feu de bois et ont des milliers d’années pour déménager le campement, c’est sans doute moins catastrophique qu’un mètre quand des millions de personnes vivent au niveau de la mer.

– Y aura toujours un niveau de la mer, à moins qu’elle ne disparaisse complètement. A part la banqueroute, je ne vois pas ce qui pourrait vous empêcher de troquer votre chalet à la montagne contre une villa avec accès direct à la plage. Seulement faudra prévoir dans l’héritage un pécule pour déménager la baraque si jamais l’eau vient lui ronger les fondations.

–  Contrairement à vous je ne suis pas à me soucier de ma vue sur mer ou sur une mer de glace. Si des villes de la taille de New-York ont les pieds dans l’eau, cela pourrait provoquer des crises économiques majeures. 

– A quelque chose malheur est bon. Pour que l’eau soit un jour 150 mètres plus haut, il a fallu que l’Antarctique, qui n’était pas si éloignée de sa place actuelle, baigne dans un océan à 17°C. Y avait sans doute moyen de planter des patates malgré un hiver noir de près de six mois par an !

– De toute évidence personne n’y a jamais planté quoi que ce soit.

– Ce que je veux dire c’est que si la mer est plus haute, c’est signe d’un climat plus chaud. Il y a moins de terres émergées mais peut-être plus de terres propices à la végétation. A l’inverse si le climat est plus froid, il a des zones prises en glace mais des océans plus bas donc des zones où l’humain peut s’installer. Quelqu’un est capable de dire que l’une de ces conditions était moins propice à l’épanouissement de la vie sur terre que l’autre ? Ou bien doit-on affirmer avec la certitude du GIEC que l’entre-deux dans lequel nous nous situons aujourd’hui est le seul viable ?

– C’est cet entre-deux qui a permis à 8 milliards d’humains de vivre en même temps sur cette planète. Donc oui, sans aucun doute cet entre-deux est des plus profitables à la vie humaine !

– Sans doute mais si rien ne prouve qu’on aurait moins de terres cultivables avec des océans plus hauts et moins de glaces qu’avec des océans plus bas et plus de glaces, est-ce réellement une question de climat ?

– Mais bon sang ! Vous ne voulez pas entendre raison ! Vous voyez bien que plus de chaleur c’est plus d’évènements climatiques qui dévasteront des régions entières et y rendront les cultures et les habitations non viables.

– Je ne sais pas, je n’ai pas regardé le dernier bulletin météo. Ah non ! Que dis-je ? Je n’ai pas regardé le dernier bulletin météo-info-climat ! Vous savez, ici on est payés pour élaborer des narratifs en tous genres, donc, quand on voit un narratif construit, on le reconnaît. Dès lors que personne n’est en mesure de construire une théorie scientifique vraiment solide sur le changement climatique, la solution pour amener un maximum de monde dans la lutte, c’est cela : une piqûre de rappel tous les jours. Et si c’est plusieurs fois par jour, c’est encore mieux. S’il vient une année qui ne bat pas des records de chaleur, ces mêmes personnes vous disent qu’il ne faut pas confondre météo et climat, que ça n’a rien à voir. Mais ils font cet amalgame tous les jours et ils le disent ouvertement en appelant les bulletins météo « Météo-info-climat. » S’il fait chaud en Europe, ce qui, je vous l’accorde, est de plus en plus souvent le cas, on braque les projecteurs sur l’Europe. Si la température passe en-dessous de la moyenne, on dézoome pour trouver les écarts positifs ailleurs ! Et on peint tout en rouge vif pour bien marquer les esprits !

– Mais quel cynique ! Vous voyez une malice qui est peut-être réelle mais elle est nécessaire et à mon sens insuffisante !

– Je ne suis pas cynique. Je refuse juste de ne voir que la face sombre du processus en cours contrairement à ceux qui ne sont jamais contents. Si en dehors de tout impact de l’activité humaine vous vous trouvez dans une période de réchauffement global, alors peu à peu, les glaces fondent et l’eau monte. Mais durant le processus de fonte il y a des fleuves qui charrient des tonnes de choses année après année. Nécessairement certains glaciers finissent par disparaître complètement et dans les vallées en aval, le bouleversement a toutes les chances d’être radical puisque les cours d’eau ne seront plus approvisionnés que par les pluies annuelles. Pluies qui pourront être plus ou moins abondantes en fonction du changement climatique induit par le réchauffement. Une civilisation sans nos connaissances et confrontée à un tel changement pourrait en prendre son parti, donc déménager ou adapter sur place son mode de vie. Ou alors elle pourrait s’en plaindre auprès des Dieux, ce qui peut induire un changement de mode de vie tout aussi radical que le simple fait de vouloir s’adapter techniquement aux nouvelles conditions. Quand on a accumulé la masse de connaissances qui est la nôtre, on ne devrait pas faire comme si la terre avait l’inertie d’une bille de marbre. Personne n’a obligé l'humanité à bâtir telle ville de plusieurs millions d’habitants à un mètre au-dessus du niveau de la mer, telle autre sur une faille sismique géante, telle autre à proximité immédiate d’un volcan en activité.

– Oui mais si on refuse absolument le risque, il ne va pas rester beaucoup d’espace où habiter. En outre le génie de l’homme c’est aussi sa capacité à dominer des espaces incongrus.

– Ce que je veux dire c’est que si on regroupe des centaines de millions de personnes dans des zones qui seraient submergées avec un océan à peine plus haut, au lieu d’imaginer l’impossible pour empêcher l’eau d’envahir ces zones, une civilisation sensée réfléchirait à des solutions de repli. Si vous êtes convaincu qu’un bord de mer est l’endroit le plus agréable pour vivre, que l’eau soit plus haute ou plus basse, il y aura toujours des bords de mer… et toujours potentiellement des tsunamis pour les dévaster. Avec la mentalité qui caractérise notre époque, on ne voit vraiment pas quel climat pourrait nous empêcher de passer notre temps à commenter le temps qu’il fait. En Europe on est inquiet du fait que le changement climatique puisse prolonger la remontée des ouragans jusque sur notre littoral. Mais que font ceux qui les subissent régulièrement depuis des lustres ? Est-ce que les américains du sud-est des USA, humains parmi les plus riches du monde, vous donnent l’impression d’être particulièrement occupés à bâtir des maisons dont la forme et les matériaux les rendent susceptibles d’affronter des vents violents et des pluies diluviennes ? Pas vraiment à ce que j’en sais, les plus à l’abri semblant curieusement ceux qui habitent des immeubles dans des villes souvent directement exposées aux intempéries. Les autres ont des maisons avec souvent peu de construction en dur. Pour la plupart ils sont portés par des habitudes et des possibilités techniques ou financières qui reviennent à faire le pari que, si tornade il y a, il est plus probable qu’elle passe à quelques kilomètres de là qu’au milieu de leur salon. Et c’est statistiquement vrai. Mais si les ouragans venaient à s’y multiplier sous l’effet du réchauffement climatique, peut-être songeront-ils collectivement à considérer une autre façon d’habiter leur territoire. L’humain peut avoir sa responsabilité dans le changement climatique actuel s’il y a une corrélation claire et prévisible entre CO2 et climat…

– Ce dont vous semblez doutez malgré les évidences.

– Peu importe si j’en doute ou si j’ai tort ou raison d’en douter. Ce que je sais c’est que l’ascension de l’Empire romain semble avoir coïncidé avec un climat chaud et humide, puis que celui-ci a été plus froid en Europe avant de redevenir plus chaud du 10 ème au mitant du 14ème siècle, puis qu’il est redevenu plus froid pendant 4 siècles. Si c’est vrai alors cela veut dire qu’il y a eu régulièrement des transitions nettes et marquées en quelques décennies en Europe. Et si le climat européen actuel est plus chaud qu’en 1800, certes cela coïncide avec l’ère industrielle, mais l’ère industrielle aurait tout aussi bien pu naître durant des siècles de climat plutôt froid et d’une certaine façon, si le CO2 joue ce rôle de réchauffement prévisible, il aurait pu compenser le refroidissement au point d’être vu comme une bénédiction plus qu’une calamité.

 – Vous partez dans des raisonnements totalement alambiqués. En plus vous êtes totalement focalisé sur l’occident, comme si le climat n’était pas une affaire globale. 

– Ce n’est pas moi qui suis focalisé sur l’occident. Laissez-moi vous dire que si personne n’avait la moindre crainte sur le Gulf Stream et que le risque le plus probable concernait uniquement des pays bordant l’équateur, peu de monde en Europe se soucierait d’avoir une voiture électrique.

– Ben si. Personne ne souhaite réellement se retrouver envahi par des millions d’africains ou d’asiatiques chassés de chez eux par des bouleversements climatiques. D’une façon ou d’une autre on est tous dans le même bateau.

– Sauf que certains voyagent en première classe et d’autres à fond de cale. Ce qui nous préoccupe avant tout c’est notre économie. Et même à l’échelle d’une entité comme l’Union européenne, il est tout à fait clair que s’il se trouve un pays postulant pour lui un gain économique important grâce au réchauffement climatique, il signerait certains engagements avec moins d’empressement que ne pourrait le faire la France, nation apparemment plus inquiète que la moyenne pour ses réserves hydriques et son potentiel agricole. D’ailleurs, pour vous prouver qu’aucun climat n’est jamais réellement satisfaisant, il suffit d’imaginer les Alpes sans son économie touristique. Si notre seul souci vis-à-vis de ce massif était son potentiel agricole et ses barrages hydrauliques…

– Comparé à la Beauce, le potentiel agricole alpin c’est peanuts. Ses rendements sont des plus médiocres.

– Peu importe. Dès lors que le monde feint de s’inquiéter de pénuries alimentaires mondiales en cas de réchauffement climatique, tout territoire sur lequel il est possible de faire des cultures ou d’élever des animaux devrait avoir son importance. Vous ne pouvez pas prétendre qu’on risque de mourir de faim et en même temps affirmer que des territoires sur lesquels l’activité principale a été longtemps l’agriculture ne comptent pas dans la balance.

– Oui, oui, bon. Et alors ?

– Alors voilà. Vous prenez l’état des glaciers alpins à un instant T, disons à une époque où le sentiment de changement climatique était faible. En raison de l’alternance de siècles plus chauds et de siècles plus froids comme je viens de l’évoquer, vous n’allez trouver personne pour vous parler de la fonte irrémédiable des glaciers. Il y a quelques décennies, dans la mémoire des peuples alpins, les glaciers pouvaient paraître avoir toujours occupé plus ou moins les mêmes ères puisqu’il n’y a pas eu dans les deux derniers millénaires un mouvement irrémédiable de recul ou d’avancée des glaciers. Et pourtant, ceux qui ont vécu à la fin du 13ème siècle, après 400 ans d’un climat estimé plutôt chaud, avait peut-être dans l’idée que les glaciers étaient en voie de disparition si leur aïeux les avaient connus plus vastes. Mais 400 ans plus tard c’était peut-être l’inverse. Certains pouvant estimer que les glaciers devenaient de plus en plus menaçants. Si depuis la fin du dernier petit âge glaciaire, donc depuis 17 000 ans environ, les glaciers n’avaient jamais cessé de reculer, sans jamais regagner le moindre mètre, alors il paraît assez clair que ce phénomène serait connu et intégré mentalement dans la mémoire collective depuis des générations. Dans un tel cas les glaciers ne pourraient cesser de fondre qu’à partir du moment où la terre basculerait vers un nouvel intermédiaire glaciaire. Et puisque que depuis 17 000 ans les glaciers alpins sont passés de l’état d’un énorme bloc de plusieurs centaines de mètres d’épaisseur à des glaciers résiduels épars, tant que la terre se réchauffe et qu’on ne bascule pas vers un nouvel intermédiaire glaciaire, la tendance doit être à la disparition totale de ces glaciers. Plaçons-nous au moment où cette disparition est sur le point d’advenir pour de nombreux glaciers résiduels. A quelque chose près ce moment pourrait bien être celui que nous vivons actuellement, n’est-ce pas ?

– De ce que je peux observer de mon chalet, je ne dénierais pas.

 – Donc… si vous aviez la capacité de dévier la plupart des cours d’eau pour alimenter des barrages hydrauliques, vous auriez divers cas de figure. Une année où les glaciers sont stables, l’eau accumulable dans les barrages représente à peu près le niveau de pluviométrie de l’année, nonobstant l’eau qui s’infiltre en profondeur. Une année où les glaciers reculent, l’eau accumulable représente la fonte des glaciers plus la pluviométrie de l’année ; si les glaciers avancent, alors une part des précipitations de l’année n’arrive pas dans les barrages, la pluie a été transformée en glace. Mais dans une ère chaude qui conduit à la disparition inexorable de nombreux glaciers, il est évident que les barrages reçoivent en moyenne plus d’eau qu’il n’en tombe annuellement. A supposer que la pluviométrie moyenne ne soit pas trop modifiée d’une décennie à l’autre, on comprend bien le problème d’un système humain visant à exploiter les ressources hydriques pour faire de l’électricité ou contrôler l’irrigation des cultures : il va nécessairement perdre de son potentiel à mesure que les glaciers perdent en surface. La fonte des glaciers permet de compenser les années peu pluvieuses, s’il n’y a plus de glaciers, peu importe que le climat continue à se réchauffer ou non, vous allez vous trouver confrontés aux caprices du temps. La variabilité de la pluviométrie d’une année sur l’autre pourra toujours être grande même quand le climat ne semble pas beaucoup se modifier à travers les décennies.

– Où voulez-vous en venir ?

– Ce que je veux dire c’est que l’homme met en place des systèmes qui sont intrinsèquement voués à lui donner de l’insatisfaction. Dans mon exemple on pourrait supposer qu’une fois les glaciers disparus, la pluviométrie moyenne puisse compenser le manque d’eau, ou au contraire qu’une plus faible pluviométrie aggrave la situation, selon la manière dont le climat change. Mais dans une ère de climat chaud durant des millénaires, des glaciers peuvent bien disparaître même s’il n’y a pas de changement climatique notable d’un siècle à l’autre. Dans ce cas, si vous faites des barrages pour contrôler une production électrique, votre ambition est d’utiliser un maximum d’eau mais en modulant cet usage aux moments où vous avez le plus besoin de produire de l’électricité. Globalement vous n’allez pas vous satisfaire d’une époque où l’eau devient moins abondante s’il n’y a plus de glaciers pour remplir vos barrages. Certaines années où la sécheresse sévit, votre production d’électricité va devenir très faible. Ce manque de contrôle est très insatisfaisant pour une économie industrielle. Mais si vous aviez conçu des barrages, non pas pour faire de l’électricité mais dans l’idée d’accumuler de l’eau durant les années pluvieuses pour compenser le manque d’eau des années de sécheresse, vous jugeriez peut-être votre système tout à fait pertinent face à ce que vous percevez comme un changement climatique. Or les barrages ont souvent été conçus pour s’intégrer dans un système hydroélectrique. A mesure que les glaciers deviennent moins étendus et libèrent moins d’eau, leur efficacité dépend de plus en plus de la pluviométrie annuelle. Mais supposons que l’activité humaine ait provoqué un refroidissement climatique suffisant pour que les glaciers se remettent à grossir, ne serait-ce que temporairement et ce, sans qu’il y ait eu plus de chutes de neige sur les massifs ! Que dirait-on ? Eh bien on râlerait ! On dirait : « Ces fichus glaciers retiennent l’eau dont on a besoin pour alimenter nos barrages hydroélectriques ! » On ne peut pas être durablement contents dès lors qu’on construit des systèmes qui sont optimaux dans un environnement dont on sait qu’il ne peut pas être stable. L’humain a acquis une somme de connaissances totalement inouïe et à peine imaginables il y a un siècle en arrière, et pourtant il faut se rendre à l’évidence, il habite le monde de manière souvent absurde, comme si cette somme de connaissances ne servait qu’à surélever son égo.

– Et comment voudriez-vous qu’on vive ?

– Je n’en sais rien mais le mouvement de panique actuel me paraît peu efficace en axant tout sur le changement climatique sans comprendre que s’il est réellement avéré…

– Mais bien sûr qu’il l’est ! Arrêtez avec ça ! Le climato-scepticisme ça devient pénible à la longue !

– Admettons. Est-ce qu’on a le droit de ne pas être climato-sceptique tout en pensant que les prévisions de climat futur ne sont que des modèles ?

– Jusqu’à présent les modèles semblent réellement coller avec la réalité. Vous auriez tort de vous laisser enfumer par les climato-sceptiques, ce n’est vraiment pas la peine. Le travail de confrontation a déjà été fait par une foultitude de scientifiques indépendant et plus calés que vous et moi sur le sujet. Il y a 30 ans il y avait peut-être 95% de climato-sceptiques et 5% de lanceurs d’alertes, maintenant il reste peut-être 5% d’indécrottables climato-sceptiques enfermés dans leur donjon mais je suppose qu’on peut oublier l’existence de ce donjon sans risquer d’offenser la science. Sur ce sujet précis du climat je pense que la messe est dite.

– Longtemps, en entendant « GIEC », je pensais « Groupement indépendant ». J’ignore pourquoi. Mais le I est bien le I de « intergouvernemental ». Donc c’est une affaire 100% liée à la politique du monde néolibéral. Moi ça ne me dérange pas que ce monde-là s’inquiète de ce qu’il perçoit comme une menace, je suis totalement immergé dedans et j’espère qu’il perdurera. Mais il n’y a aucune chance qu’il produise des solutions qui représenteraient une autre forme de menace pour lui, c’est à dire le changement de nature du système. En outre je pense que personne n’est en mesure de dire ce que le changement climatique induira en termes de capacité de la terre à produire des vivres, chose la plus critique pour l’humanité. Si on se concentre sur notre environnement le plus immédiat, la seule chose dont on peut être certain, c’est que si un jour les glaciers alpins ont totalement disparu, alors on devra se contenter de vivre avec la pluie qui tombe. Il apparaît assez clair que dans ce cas, ce qui nous semblr problématique, c’est l’éventualité d’une grande baisse des précipitations moyennes plutôt que l’inverse. On craint surtout de manquer d’eau.

– Ce qu’on craint, et ce qui ne manquera pas d’arriver, ce sont des épisodes de pluie moins nombreux et plus violents, tout ce qui est nuisible à l’agriculture. C’est ça le futur si on ne fait rien : un climat erratique et destructeur. Peu importe que le climat soit en mouvement constant. Dès lors qu’on sait que notre activité accélère le changement de telle sorte qu’on n’aura jamais le temps de s’adapter, on n’a pas le droit de rester les bras croisés. Nous sommes entrés dans l’ère de l’anthropocène, ce changement provoqué par l’homme n’a aucune comparaison possible avec le temps passé. Évidemment c’est sans doute moins pire que d’avoir une météorite géante qui s’écrase au milieu d’un troupeau de dinosaures mais c’est débile de penser qu’il faudrait laisser aller les choses sous prétexte qu’il existe aussi des cataclysmes d’origines naturelle !    

– Peut-être mais d’après Carbonus, vous êtes loin du compte concernant votre bilan carbone. Alors vous allez faire quoi ?

– Je conteste ce que dit votre logiciel ! En tout cas moi j’agis ! Si on parlait de votre bilan carbone plutôt que du mien, pour changer !

– Non mais moi je m’en fous de mon bilan carbone.

– Vous m’en direz tant ! Il doit être beau à voir !

– Faut comparer ce qui est comparable. Si vous voulez me comparer à un orphelin errant dans un bidonville du tiers-monde, c’est sûr que j’ai un sale bilan carbone.

– Je vous compare aux français qui se soucient du bilan carbone et qui font en sorte qu’on sorte de l’ère carbonée ! On n’y arrivera jamais avec des gens comme vous qui voulez rester avec vos voitures à essence !

– Je n’ai pas de voiture. En fait, j’ai probablement un bon bilan carbone même si je m’en fous. J’ai la phobie des transports. Je fais presque tout à vélo sauf quand on m’oblige. Autant dire que je ne vais généralement pas très loin. D’ailleurs j’ai rarement le besoin d’aller loin, j’habite place Bellecour. Un très bel appartement, je ne me plains pas.

– Et votre bilan terrien, il l’évalue comment votre Carbonus ?

– Pas terrible j’imagine. Mais si je cherchais à l’améliorer, j’ai peur de devoir devenir anticapitaliste. Je préfère me dire que tout va continuer à aller bien.

– Comment ça aller bien ? Mais ça ne va pas bien du tout ! Si on n’arrête pas d’émettre du carbone, on risque l’effondrement ! Il faut agir ! Vous n’avez pas le droit de baisser les bras ! Si vous ne le faites pas pour les enfants que vous n’avez pas, faites-le pour les enfants des autres !

– Moi je trouve que ça va plutôt pas mal. J’ai une vie très agréable. Certes je travaille beaucoup mais j’adore mon travail.

– Mais on s’en fout de vous ! C’est de la planète dont il s’agit ! En plus d’être cynique, vous êtes nihiliste !

– Pas du tout, je suis réaliste. Si j’en crois cette intelligence artificielle, pour avoir un bon bilan terrien il faudrait que je change radicalement de mode de vie. Je n’en ai aucunement l’intention !

– Mais pas du tout ! Pas du tout ! Il faut croire en la science ! Le progrès est là pour solutionner plein de problèmes. Mais il faut lui donner sa chance au progrès ! Il faut mettre en place les bonnes incitations financières ! Il faut y aller bon sang ! Il faut subventionner massivement les éoliennes, les panneaux solaires ! Il faut couper l’herbe sous le pied des producteurs de pétrole sauf pour la production de plastique puisqu’on ne va tout de même pas vivre sans plastique.

– Surtout que risqueriez de vous retrouver au chômage.

– Possiblement mais ce n’est pas de mon avenir dont il s’agit. Je suis assez bien placé pour savoir que les producteurs de pétrole financent ces sites climato-sceptiques pour continuer à laisser croire que le réchauffement n’est pas le fait de l’homme !

– Ils financent tout !

– Quoi ?

– Je dis que les producteurs de pétrole financent tout ! Le futur leur appartient puisque de toute façon, que vous ayez une voiture à essence ou électrique, le pétrole va continuer à sortir massivement de terre dans les années à venir. Si le CO2 est déclaré plus grand danger, ça les arrangent aussi, ils financent les projets visant à capter le CO2 dans l’atmosphère. Enfin… quand je dis « ils financent », ça ne veut pas dire qu’ils vont se priver pour capter les subventions avant de capter le CO2. Vous savez, nous on a Carbonus, mais c’est assez anecdotique dans notre activité. Il nous assure de ne pas être ringardisés par la concurrence. Notre boulot c’est de donner des conseils en tout. Actuellement il y a une très forte demande en matière d’écologie. Vous comprenez que si je me réfère à Carbonus, même si je ne suis pas tenu de croire personnellement aux conseils que je donne, c’est un peu gênant d’avoir une intelligence artificielle qui vous rappelle sans cesse que c’est réellement du green-washing. Un conseil en écologie prend différentes formes selon la position de départ de la personne ou l’entreprise qui cherche conseil. On a des entreprises qui ont conscience que leur activité est désastreuse pour l’environnement mais ont besoin d’arguments marketing pour laisser croire au grand public qu’elles agissent. Leur volonté est d’abord de sauvegarder leur modèle économique et leurs bénéfices à court-terme. A contrario il y a des entreprises qui pensent réellement agir plus en faveur de l’environnement, en général elles ont un passif écologique moins désastreux que les premières, donc elles ont une idée de la vertu un poil différent. Vous qui pensez que je suis cynique, je vous laisse imaginer à quel genre d’individus je dois donner des conseils de green-washing. Avant de m’être frotté à Carbonus, lorsque je programmais des rendez-vous avec des entreprises aillant vraiment dans l’idée de devenir plus vertueuses, je me levais de bonne humeur puisque de manière générale j’épousais leur point de vue. Depuis que Carbonus m’a vraiment fait prendre conscience que le gros de mes conseils en matière d’écologie étaient du green-washing, je préfère mes rendez-vous avec de vrais cyniques. Ils sont détestables mais c’est beaucoup plus simple.

– Je ne sais pas comment vous faites.

– J’essaye de me motiver par le bénéfice que j’en tire. J’ai un collègue très brillant qu’on a coutume d’appeler « Petit Génie ». Dans son dos le patron l’appelle plutôt « Petit-génie-l’écolo-bobo-chiant » mais il est surtout devenu chiant dans le travail par son refus de donner des conseils à certaines personnes ou entreprises. C’est arrivé il y a deux ans quand le député Loulou Léonard est venu chercher conseil pour sa réélection. Même si la réciproque est vraie, contre toute attente Léonard semble avoir eu une certaine influence sur Petit Génie. C’est limite s’il ne se prend pas pour son attaché parlementaire. C’est tout bénéfice pour moi car j’ai récupéré la plupart des dossiers de green-washing que Petit Génie refuse désormais. Je vous assure que quand c’est du vert fluo badigeonné sur du noir profond, les commissions sont des plus intéressantes. C’est simple, j’ai doublé mon salaire déjà très confortable avant cela.

– A votre place je n’en serais pas fier ! Vous me dites ça, c’est facile, mais allez le dire devant une assemblée de jeunes à qui vous compromettez l’avenir en portant conseil à des pourris qui préfèrent, tout comme vous, gagner de l’argent plutôt que sauver la planète !

– Je ne risque pas grand-chose, les jeunes dont vous parlez ont tous une main collée au bitume quand ils ne l’ont pas carrément coulée dans le béton pour attirer l’attention sur le fait qu’à cause de moi, ils n’ont pas d’avenir. Quant aux autres, s’ils ne sont pas complètement idiots et qu’ils continuent à mener la vie qu’ils mènent, alors ils sont aussi responsables que moi de l’assombrissement de leur avenir. Quand on fait du green-washing, on tire quand même de sacrées grosses ficelles, comme par exemple faire des pubs pour des bagnoles qui affichent des A++++ ! J’avoue qu’il va devenir assez difficile de vendre des parts de cerveaux disponibles si les gens n’ont plus du tout de cerveau. Si tout d’un coup vous pensez que les océans suffoquent, que les continents brûlent, que l’eau monte, que tout cela s’aggrave en suivant à peu près les mêmes courbes que ce qu’on appelle le progrès scientifique, lui-même célébré comme l’œuvre magnifiée du néolibéralisme triomphant, alors la seule conclusion que vous devriez en tirer c’est qu’il faut changer de système ! En réalité, toute personne qui croit en un tel bilan alarmiste devrait faire l’apologie de la décroissance ! L’extraction pétrolière est assez désastreuse mais que dire des autres ? C’est bien souvent pire ! On ne peut pas toujours se contenter d’injecter de l’eau pour faire remonter une nappe d’hydrocarbures ! On fait des trous de partout et on brasse des tonnes et des tonnes de matériaux terrestres, toujours plus que l’année d’avant. Et pour quel résultat ? Certes on retire toujours plus de ressources du sous-sol que l’année d’avant mais toujours moins par mètre cube de terre ou de roche défoncé à la pelle mécanique ou à la foreuse géante. Si vous vous intéressez à ces courbes-là vous allez vous rendre compte qu’elles sont autrement plus parlantes que celles du réchauffement climatique. Je ne sais pas comment vous faire comprendre ça mais à mon sens le vrai combat il est là ! Les rendements vont s’amenuisant pour la plupart des métaux dont on a besoin et la demande mondiale explose. Et vous, face à ce constat déplorable, la première chose que vous pensez faire pour sauver la planète c’est fourguer votre vieille bagnole au rebut au lieu de la réparer pour la remplacer par un modèle de technologie high tech, donc un truc qui demande de brasser en amont des tonnes de matériau terrestre. Si j’avais l’intention de devenir écolo comme vous, je ferais l’apologie de la décroissance !

– Sérieusement ? Vous croyez à cette idiotie vous ?

– C’est pire que ça ! Je me force à oublier que j’y crois ! Comment voulez-vous que je vive si je n’oublie pas que j’y crois ? Autant à mon avis, en ce qui concerne le réchauffement climatique, la situation est moins pire que ce que le narratif médiatique veut laisser croire, autant sur d’autres points, comme la pollution en général et la pollution issue de la pétrochimie en particulier, comme la pression exercée sur les écosystèmes par le secteur minier, c ’est l’inverse. Mais cela n’a guère d’importance car je suis comme le gros de la population, jeunesse comprise. J’aimerais bien me persuader que la planète est encore pleine de ressources mais, à défaut, je préfère que les efforts à faire pour éviter que les choses n’arrivent à un point dramatique soient portés par d’autres. Si les choses empirent réellement pour un nombre important de personnes dans le monde, j’aurai encore l’espoir que rien ne changera pour moi, ou même que j’en tirerai profit. Et la jeunesse elle est comme moi, d’ailleurs je suis encore très jeune. Si je n’avais pas peur de prendre l’avion, je rêverais comme les autres, de voler d’un festival de musique à l’autre, d’aller voir une finale de Champions League à l’autre bout de l’Europe. Combien, parmi ceux qui ont la possibilité de le faire, se l’interdisent au nom de leur bilan carbone ? Combien de jeunes s’interdisent certains achats par pure considérations écologiques ? Pas des masses à mon avis. Rendez-vous à l’évidence, à l’exception de rares pays restés confrontés à l’extrême pauvreté, sur tous les continents de la terre ceux qui ont vingt ans en 2023 ont, à cet âge, des bilans écologiques et terriens bien pires que toutes les générations précédentes. C’est beaucoup moins de leur faute que celle de leurs parents et beaucoup moins la faute de leurs parents que celle de ce qu’on appelle le progrès économique et technique. Ce progrès nous a donné de grandes facilités matérielles. Même ceux pour qui ces facilités matérielles s’accompagnent de toutes sortes de difficultés, autant physiques que psychologiques, ne sont guère disposés à renoncer à ces facilités matérielles. Bien au contraire, ils se plaignent d’être en difficultés matérielles, gênés qu’ils sont d’avoir une voiture moins chiadée que le voisin, de ne pas pouvoir acheter à leur enfant la même paire de baskets que l’enfant du voisin, la même console de jeu, le même téléphone portable, le même PC de gamer. Il est vrai que de plus en plus, c’est l’Etat lui-même qui vous interdit de vivre sans certaines choses matérielles, sans quoi vous n’êtes plus réellement un citoyen à part entière.

– Mais qui parle de renoncer aux choses matérielles ? La décroissance est une théorie fumeuse germée dans la tête de bobos qui vivent très confortablement et ne veulent pas donner une chance aux autres d’accéder à leur niveau de confort. L’avenir c’est la recherche qui va permettre de porter le recyclage des matériaux à un point encore inimaginable aujourd’hui. Je pourrais vous faire tout un exposé à ce sujet puisque c’est mon domaine ! C’est très très prometteur vous savez ?

– J’imagine que votre e-Lustre est déjà à la pointe en ce domaine et que c’est pour cela que vous l’avez achetée. Ou bien elle finira concassée en un cube composé de centaines de composés différents. Le jour venu il sera intéressant de plonger un tel cube dans une piscine olympique où l’on empêcherait l’eau de s’évaporer, juste histoire de voir qui ose encore en boire un verre après quelques années d’infusion.

– Ah cynisme quand tu nous tiens ! Arrêtez un peu ! Sans vouloir m’avancer, je ne crois pas qu’on concassera jamais une e-Lustre. Je ne dis pas qu’elles ont été conçues dans le but d’un recyclage intégral mais elles seront largement recyclées. Et la génération d’après le sera encore plus ! Grâce au progrès, dans quelques décennies, l’impact de l’industrie sur la planète sera presque neutre !

– Vous y croyez vraiment ?

– Parfaitement ! A condition que des gens cyniques, rétrogrades et égoïstes ne mettent pas des bâtons dans les roues de ceux qui veulent faire avancer les choses.

– Pourvu que vous ayez raison ! Vraisemblablement non mais pourvu que vous ayez raison ! Je ne trahirai pas un secret professionnel en vous parlant de Darty puisque cette entreprise travaille avec un autre cabinet de conseil. Je ne sais pas si vous avez pu voir la campagne publicitaire qui vise à faire passer Darty pour une entreprise vertueuse et à la pointe de la lutte pour la réparation des objets plutôt que leur remplacement. Bien sûr la plupart des gens qui ont vu cette pub ne savent pas que Darty a été particulièrement engagé dans un autre combat, celui qui vise à empêcher l’extension automatique des garanties à cinq ans. Avec une garantie automatique de cinq ans plutôt que deux ans, vous allez empêcher la mise sur le marché de millions d’objets conçus pour tomber en panne rapidement. Bien sûr cela aurait un coût, notamment pour les gens qui ont peu de moyens mais veulent avoir tout, tout de suite. Ils seront obligés d’acheter des objets de meilleure qualité, donc plus chers.  De son côté Darty veut bien que vos objets cassés soient réparés, mais à condition que vous payez cher pour l’extension de la garantie. Tout ceux qui pensent qu’avec un peu de chance, ils tomberont sur un objet qui tient quelques années au-delà de la garantie de deux ans, se contentent de cette garantie. Comme une bonne partie de ces objets ne tiennent pas cinq ans, ceux qui n’ont plus de garantie préfèrent presque toujours racheter du neuf puisque le neuf coûte généralement moins cher que la tentative de trouver l’origine de la panne et un dépanneur apte à se procurer les pièces à changer. En plus, s’il s’est écoulé trois ou quatre ans, les gens se disent qu’en rachetant du neuf, ils auront un objet remis au goût du jour et profiteront de toutes les dernières innovations, aussi futiles soient-elles. La quête du profit combinée à l’appétence des humains pour la nouveauté, ça nous mène au monde tel qu’il est.

– Oui mais c’était dans le monde de l’opulence ! Les choses vont radicalement changer dans les années à venir car la jeunesse d’aujourd’hui a très bien compris les enjeux pour garder une planète vivable ! Soyez sûr que ceux qui ont 15 ans aujourd’hui n’envisageront jamais d’acheter une voiture thermique, ça leur paraîtra totalement égoïste. Ils achèteront une voiture électrique dont toutes les pièces seront faciles à changer.

– Permettez-moi d’en douter. Cela va même au-delà du doute. En tout cas, si j’avais 15 ans aujourd’hui et qu’on ne m’avait pas déjà totalement convaincu qu’il faut rouler en voiture électrique pour sauver la planète, je pense que j’envisagerais de m’investir dans d’autres combats.

– Lesquels par exemple ?

– Par exemple… Bon. Si le mouvement pour la décroissance est trop contraignant pour attirer grand-monde, essayons de chercher une menace en mesure de provoquer une crise existentielle chez la jeunesse d’aujourd’hui. Il faut trouver quelque chose qui fasse aussi flipper que du rouge vif sur une carte météo ou un incendie de forêt dans les Ardennes. Je ne sais pas ce qui peut effrayer la jeunesse à ce point-là. Peut-être, par compassion envers la jeunesse ukrainienne, la perspective de voir un missile dégringoler du ciel. Oui voilà ! Si j’avais 15 ans aujourd’hui je m’investirais dans le mouvement pour la paix à travers le monde.

– De quel mouvement parlez-vous ?

– Du mouvement pour la paix à travers le monde. Je ne connais pas son nom exact mais j’imagine qu’il doit attirer beaucoup de jeunes. Peut-être que tout cela n’est pas sans lien avec le changement climatique d’ailleurs. On entend beaucoup dire qu’à cause du changement climatique des populations africaines sont poussées à se déplacer, ce qui participe à alimenter des conflits armés. Alors peut-être que le désastre centrafricain est lié au changement climatique, s’il n’est pas du ressort de la politique, de l’économie et du religieux. Peut-être que la guerre en Syrie est liée au changement climatique, si elle n'est pas du ressort de la politique et de l’économie et du religieux. Peut-être que le drame des Palestiniens est lié au changement climatique, s’il. n'est pas du ressort de la politique et de l’économie et du religieux. Peut-être que les conflits au Congo sont liés au changement climatique, s’ils ne sont pas du ressort de la politique, de l’économie et de l’extraction minière. Peut-être que sans le changement climatique la Russie n'aurait pas attaqué l’Ukraine. Peut-être que sans le changement climatique les budgets militaires des américains et des chinois, sans même parler des européens, ne grimperaient pas en flèche. Peut-être que sans le changement climatique à Taïwan on n’envisageait pas cette île comme épicentre de la troisième guerre mondiale. Peut-être que sans le changement climatique les saoudiens et les émiratis ne croiraient pas utile d’avoir plus de blindés par habitant que bien des pays n’ont de médecins par tête de pipe. Peut-être que sans le changement climatique on ne verrait pas fleurir les salons de l’armement. Et donc, sans le changement climatique, on ne verrait pas à quel point l’imagination des ingénieurs est encore bien plus extraordinaire lorsqu’il est question de trouver les moyens d’anéantir des humains réfractaires à certaines volontés de puissance que de construire des voitures soi-disant écologiques. J’en viens à me demander si sans le changement climatique on ne serait pas beaucoup moins en avance d’un point de vue technologique, vu toutes les guerres qu’il provoque et vu à quel point ça force l’humanité à réfléchir aux moyens de les gagner. Finalement, sans le changement climatique on n’aurait pas besoin de voir la jeunesse s’engager dans le mouvement pour la paix. C’est peut-être pour ça qu’aussi peu de jeunes ne semblent effrayés par la perspective de la guerre alors qu’il est si facile de les angoisser en leur donnant des records de températures. C’est parce qu’il n’y aura pas de guerres si on parvient à garder un climat vivable en roulant électrique.

– Si vous étiez autre chose qu’un cynique vous auriez pris l’exemple de pays proches du désert plutôt que des pays tropicaux ! Peut-être bien qu’au Niger ou au Soudan, le changement climatique est à la source des conflits.

– Possible. PIB trop faibles pour que ça intéresse quelqu’un.

– Ah mais vous n’êtes pas payable vous ! En attendant la France est de plus en plus pleine d’africains ! Et n’allez pas le nier en me sortant des statistiques foireuses produites par des gauchistes ! Il suffit de lever les yeux pour voir que la France n’est plus vraiment la France ! C’est bien la preuve que ça nous impacte aussi ! Remarquez que je ne suis pas raciste, on ne peut pas leur en vouloir de chercher refuge chez nous si le changement climatique les chasse de chez eux. Mais ça pose énormément de problèmes de société. Ça ne pose que des problèmes d’ailleurs ! C’est insupportable !

– C’est juste. Sans le changement climatique il n’y aurait pas de candidats africains à l’émigration. Sachant que toute notre jeunesse ambitionne de tenir les postes de plongeurs payés à coup de lance-pierre dans les restaurants, les africains fraîchement débarqués brisent vraiment leur rêve en faisant du dumping social.

 – Vous êtes fatigant, vraiment ! Et j’ai beau me dire que votre machine finira par vous remplacer, elle m’a encore plus fatigué que vous, c’est dire !

– Ma machine ? Vous parlez de Carbonus ? Ola ! Faut pas vous inquiéter pour moi ! Le monde se divise en trois catégories : les gagnants, les perdants, et ceux qui hésitent encore. A priori cette machine et ses semblables vont aider ceux qui hésitent encore à comprendre ce que ça coûte ne pas être sûr de soi. C’est une machine à creuser les inégalités sociales, il suffit de se trouver du bon côté du trou. Tant que le système tient debout, vous et moi, on devrait s’en sortir.

– En ce qui me concerne j’ai moins de doutes que pour vous.

– Verrons-nous. Pour revenir au sujet du jour, vous avez déjà des panneaux solaires ?

– Non. Avec ma femme on y a déjà réfléchi mais il y avait des travaux prioritaires. Et la piscine à creuser.

– Très bien. Le jour venu vous devriez revenir nous voir. Nous sommes en mesure de vous obtenir des subventions supérieures à tout ce que vous pourrez espérer si vous agissez seul.

– Même une fois déduite votre commission ?

– Même une fois déduite notre commission.

– Ce n’est pas tombé dans l’oreille d’un sourd.

– A la bonne heure ! 

»

Je vous passe les politesses d’usage qui mirent fin à cet entretien pour mieux vous chaluer à mon tour.

Ah ben chalut !

Darwin.

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