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Darwin Le Chat

17 septembre 2023

Diverses aventures relatives à Kazelof, aux pigeons et aux voitures moches

Lyon 16 septembre 2023

Chalut,

Tout d’abord je voudrais vous parler d’une suite un peu drôle de l’épisode concernant la Manifeste des animés non humains sur la robotique. Comme on s’y attendait, les humains ne semblent pas encore avoir pris en compte nos revendications mais l’affaire ne fut pas totalement sans suite. Disons que l’histoire s’est achevée là où elle avait commencé : chez Kazelof. Ce bon toutou n’ayant même pas pu entendre la lecture du Manifeste a fini par en subir une conséquence inattendue.

Quelques jours après mon allocution, revenus sur notre bloc, Grabel et moi allâmes au bord du toit qui permet de se retrouver à proximité du balcon de Kazelof et de pouvoir bavarder avec lui. Nous le trouvâmes en train de gémir.

− Ben alors Kazelof, cha n’a pas l’air d’aller. Que se passe-t-il ?

− J’ai mal à la mâchoire ! Et en plus je me suis fait engueulé !

− Allons bon ! Que s’est-il passé ?

− J’ai bouffé Robby !

− Comment cha t’as bouffé Robby ? Mais c’est un robot ! Cha se mange pas un robot !

− Je ne l’ai pas vraiment mangé. Je l’ai mis en pièces du mieux que je pouvais. Il était plus coriace que je ne le pensais. N’empêche qu’il a définitivement fermé sa gueule !

− Olala ! Mais qu’est-ce qui t’arrive Kazelof ? Tout le monde pense que tu es le chien le plus pacifique du monde mais là on te sent un peu à cran.

− C’est rien de le dire. Quoique, malgré cette douleur à la mâchoire, je dois dire que je me sens plutôt soulagé.

− Soulagé de quoi ?

− D’avoir mis un terme à ce calvaire !

− C’était si difficile de supporter ce concurrent ?

− C ‘était supportable jusqu’au jour où il a décidé de me faire sortir de mes gonds ! Il a voulu me rendre fou voyez-vous ? Mais ça, y a que moi qui le sais et mes humains pensent que je suis réellement devenu fou. Maintenant, à cause de ce Doggy, quand un enfant demandera s’il peut me caresser, mes humains vont sûrement hésiter à dire oui. C’est dégueulasse parce que moi je ne ferai jamais de mal à un enfant. Mais à un robot insupportable, oui !

− Oui… Enfin… Jusqu’au jour où ils décident de remplacer Robby par un chien-robot qui sait se défendre. Ce Robby-là avait l’air plutôt paisible. T’aurais dû faire un effort.

− Au début, à part le fait qu’il aboyait au moindre bruit de couloir, j’arrivais à le supporter. Mais un jour les choses ont changé. Quand mes humains étaient présents, tout était exactement comme avant. Robby amène le journal, porte et touille le café, faire rire tout le monde en répondant à tout un tas de questions en imitant des voix connues.

− Ah bon ? Il avait un Chien GPT intégré ? Même s’il n’était sûrement pas au niveau d’un chat GPT, c’est sûr que la concurrence n’est pas très loyale.

− Il faisait trop son intéressant mais globalement il me foutait la paix. Et puis lundi, ce lundi, à peine mes humains avaient mis les voiles, voilà que Robby se met à tourner en rond à vitesse maximale au milieu du salon en gueulant : « Je suis un animé non-humain ! Je suis un animé non-humain ! Je suis un animé non-humain ! » Ah mais je vous assure ! Ça n’en finissait pas. Je me suis précipité dans la cuisine pour lui échapper mais ce satané robot m’a suivi ! Après quoi je suis retourné dans le salon où il m’a évidemment suivi. Je l’ai attiré dans un coin éloigné et puis j’ai couru dans la cuisine et j’ai refermé la porte derrière moi. Je continuais à l’entendre mais bien moins fort, alors ça a été.

− Excellente stratégie Kaselof ! Je ne t’en aurais pas cru capable ! Il s’est passé quoi après cha ?

− Quand mes humains sont rentrés, Robby a fait mine de rien et est redevenu normal. Mais le lendemain matin, dès que l’on fut seuls en tête-à-tête, rebelote : « Je suis un animé non-humain ! Je suis un animé non-humain ! Je suis un animé non-humain ! » Quand c’est trop c’est trop ! Je lui ai sauté sur le râble, plus furax qu’un chien de combat !

− A vrai dire, t’as à peu près tous les attributs physiques du chien de combat.

− Sans doute mais je ne savais pas que je pouvais en avoir le tempérament. Ça fait bizarre vous pouvez me croire. Ah je vous assure, il faisait moins le malin ce connard de clébard !

− Ah ben c’est marrant cha ! C’est notre rime préférée !

− C’est pas « Con comme un pigeon. » notre rime préférée ?

− Cha dépend des jours.

− Dis-nous Kazelof ! Est-ce que Robby a été assez intelligent pour crier au secours durant son agonie ?

− J’crois pas, non ! La dernière fois qu’il a ouvert sa sale gueule c’était plutôt un genre de plainte comme « Je suis un annnnnimmmmmméééééééééééééééééééééééééééééé é é é éé schloc. »

− Comment ils l’ont pris tes humains ?

− Comme-ci comme-ça. Je crois que mon humain a été à deux doigts de me flanquer une rouste tellement il a gueulé. Mais mon humaine a dit que c’était la preuve que j’étais encore vaillant.

− Tu ne t’en sors pas si mal du coup.

− Sans doute. A part que j’ai mal à la mâchoire.

Une fois que Grabel et moi fûmes seuls, nous nous demandâmes s’il fallait mettre Kazelof au courant de la farce. De toute évidence la Fée Odette avait pris le contrôle de Robby pour lui faire une blague. Par expérience je peux vous affirmer que selon Odette, les plus courtes ne sont pas toujours les meilleures. Rien d’étonnant donc, à ce qu’elle ait poussé le vice jusqu’à ce que Kazelof en vienne à dévorer Robby. Elle n’a pas avoué avoir été à la source de cette histoire mais je pense qu’elle a bien rigolé.

 

La suite de ce billet prouve d’ailleurs à quel point Odette aime prendre le contrôle de choses à seule fin de nous enquiquiner. Voici le récit d’une petite mésaventure qui nous a bien agacés durant le temps où l’on ne savait pas que la Fée Odette y avait sa part de responsabilité.

J’ai sans doute omis de vous dire que Grabel et moi sommes un peu utilisateurs de Twitter. Il faut vivre avec son temps d’après ce qu’on dit. Vous savez peut-être que par le passé j’ai eu quelques soucis avec la race des castors américains, tout cela parce qu’un jour, dans un article dénommé « Un bon castor » j’ai relaté l’animosité vis-à-vis des castors d’un campagnol amphibie nommé Herbert pour qui un bon castor était un castor mort. Avant cha c’est Herbert qui est mort, depuis belle lurette d’ailleurs mais il n’avait qu’à bouffer de la farcie. Disons que cette histoire a légèrement dérapé. Moi, à la base, je n’avais rien contre les castors, mais certains d’entre eux ont eu vent d’un chat ayant dit qu’un bon castor est un castor mort. Alors que je n’ai jamais dit cela, j’ai juste relaté les propos d’Herbert. Au contraire, Odette, Boobi et moi avons largement défendu les castors face à Herbert qui avait vraiment une dent contre eux mais vous chavez ce que c’est, les propos sont facilement déformés. C’était déjà le cas au temps du courrier et cha l’est encore plus au temps des réseaux sociaux. Après s’être émus de mes supposés propos, des castors ont transmis leur réponse à des chats domestiques américains qui me les ont transmises à leur tour. Disons que de fil en aiguille, tout cha est quelque peu monté en épingle. Depuis il est clair que les castors ont une dent contre moi et vu la taille de leurs dents... J’étais bien décidé à laisser ces idiots se fatiguer mais le problème c’est qu’entre temps, on s’était créé des comptes Twitter avec Grabel. C’est alors que nous sommes entrés dans une forme d’engrenage.

Je n’ai jamais raconté cela dans aucune de mes aventures car cha ne me rend pas super fier, mais je ne peux pas cacher que Grabel et moi sommes devenus twittos pour défendre l’honneur des chats. Cependant, il y a quelques temps, nous nous sommes trouvés dans l’incapacité de nous connecter parce que nos mots de passe n’étaient plus reconnus. Si un mot de passe ne marche plus, qu’on en recrée un autre, que celui-ci ne marche pas non plus, puis que tous les mots de passe donnent des messages d’erreurs, cha peut vite rendre chèvre. Nous on a fini par penser qu’on avait un problème de clavier, ce qui n’aurait pas été étonnant à force d’en laisser l’usage à George le Mouet et la Fée Odette. Grabel et moi, on pattuscrit très lentement, ce qui n’est pas trop dérangeant pour faire des tweets et permet de ménager le clavier. Face à nos difficultés on a fini par dire à Odette qu’il fallait qu’elle nous apporte un nouveau clavier.

− Pourquoi vous voulez changer le clavier ?

− Parce qu’il a des défauts.

− Il marche très bien.

− Ben non puisqu’il ne reconnaît plus les mots de passe.

− Elle est bien bonne celle-là ! Si un clavier reconnaît tous les mots mais pas les mots de passe, vous, vous en déduisez que le clavier ne marche pas ! A l’évidence c’est le mot de passe qui n’est pas bien saisi.

− C’est ce qu’on a pensé au départ mais comment tu expliques que plusieurs mots de passe qui marchaient très bien ne fonctionnent plus du jour au lendemain.

− Sur quel site ça ne marche plus ?

− Sur Twitter.

− Ben c’est très facile à comprendre. Elon Musk vous a banni, donc vous ne pouvez plus vous connecter.

− Pourquoi il nous aurait banni ?

− Vous ne respectez pas la charte, voilà tout.

− La charte ? Quelle charte ? On ne fait vraiment rien de pire que ce qu’on peut lire chez les autres twittos.

− Vous n’êtes pas autorisés à avoir de compte Twitter puisque vous êtes des chats !

− Et alors ? Plein de chats ont des comptes Twitter ! Les humains croient que d’autres humains passent leur temps à twitter au lieu de travailler mais ce sont des chats qui sont connectés pendant que leurs humains sont au travail !

− C’était sans doute le cas jusqu’à cette année mais l’IA a sûrement permis de supprimer les comptes sur lesquels interviennent les chats.

− Je ne vois pas en quoi cha dérangerait Elon Musk.

− Elon Musk est un hyper mégalo qui a même la prétention de décider du déroulement de la guerre entre l’Ukraine et la Russie. Alors peut-être que, dans son infinie bonté de mégalo hors-catégorie, il cherche à arrêter l’escalade de la violence entre les castors et les chats.

− Je ne vois vraiment pas de quoi tu veux parler. On a dépassé depuis longtemps cette histoire de bon castor puisqu’on ne leur répond plus.

− Très bien. La réciproque n’est pas vraie apparemment. Passons ! La seule solution que je vois à votre problème, c’est que vous êtes trop con pour vous souvenir de vos mots de passe.

− Ce n’est pas possible qu’on soit tous les deux devenus amnésiques en même temps.

− Pourquoi pas ? Par exemple Grabel, c’est quoi ton mot de passe ?

− Ben c’est GRaBeLLeCHaT. Les consonnes en majuscules et les voyelles en minuscules. C’est Darwin qui m’a conseillé de faire comme cha.

− Donc toi Darwin, ton mot de passe c’est DaRWiNLeCHaT ? Et ton identifiant c’est pareil j’imagine.

− Non. Mon premier identifiant c’était pas cha parce que c’était déjà pris. J’ai commencé par Darwinlechat69 mais maintenant j’en suis à Darwinlechat93.

− Du coup tout le monde pense que t’es de la Seine-Saint-Denis.

− Peu importe.

− Si je compte bien, t’as créé 25 comptes Twitter ?

− Non car j’ai zappé la Haute-Savoie !

− Pourquoi ?

− Va chavoir.

− Ok. Reste 24 comptes Twitter.

− Plus ou moins… Enfin oui, 24.

− Et c’est pareil pour toi Grabel ?

− Oh non moi… J’ai dû en créer une dizaine. Dans ces eaux-là.

− Laisse-moi te rafraichir la mémoire Grabel ! T’en es à ton 19ème compte Twitter !

− Ah bon ? Tant que cha ? Comment tu le sais ?

− Mais parce que c’est moi qui vous ai changé vos mots de passe, cons de chats !

− Quoi ? Mais pourquoi t’as fait cha ? Tu ne te rends pas compte qu’à chaque heure qui passe on perd des occasions de répliquer.

− Faut pas vous inquiéter pour ça ! J’ai aussi bloqué la plupart de vos contradicteurs. Vous n’avez rien de mieux à foutre ?

− On fait mieux mais on fait cha aussi ! Et je ne vois pas pourquoi tu te permets de décider qui peut intervenir sur Twitter ou pas ! Tu critiques Elon Musk mais lui au moins, il a réhabilité plein de comptes bannis à l’ère du covid parce qu’ils critiquaient la gestion sanitaire.

− Libre à toi de défendre ce genre de psychopathe. De toute façon je ne me mêle pas des comptes Twitter sauf quand ça vous concerne.

− Et pourquoi donc ?

− Parce que sans moi, pas de farcie, pas d’ordinateur, pas de Twitter. Ça te va comme réponse ou faut que je développe ?

− Non c’est bon.

− De toute façon j’ai fait ça pour que vous vous rendiez compte d’une chose.

− Laquelle ?

− Vous avez des dizaines de comptes sur internet mais vous utilisez un seul mot de passe ! Etonnez-vous ensuite de vous faire pirater.

− Et qu’est-ce que cha aurait changé si on avait eu plein de mots de passe ? Cha t’aurais empêché de nous pirater nos comptes.

− Moi non, mais ça m’aurait peut-être ralentie.

− T’imagines si j’avais 19 mots de passe ? Vu comment cha m’a énervé de voir que mon unique mot de passe ne fonctionnait plus, je serais sûrement devenu fou en pensant les avoir tous mélangés dans ma tête.

− Eh quoi ? Si t’y retrouves parmi t’es 19 pseudos différents, pourquoi tu ne t’y retrouverais pas parmi 19 mots de passe ? Ce n’est jamais que deux fois plus de choses à se souvenir !

− Ben non ? C’est 19 fois plus de choses puisqu’il faut se rappeler quel mot de passe va avec quel compte ?

− Mais non ! Si vous preniez le temps de réfléchir vous comprendriez qu’on peut avoir un mot de passe pour chaque compte créé sans risque de se tromper. Réfléchissez un peu !

Ce qu’on fit. Sans résultat. Après deux minutes la fée rompit le silence :

− Vous donnez votre langue au chat ?

− Oui.

− Bien. Réfléchissez à la chose que vous préférez manger.

− Des souris.

− Ce n’est pas plutôt de la farcie ?

− Non, non. D’ailleurs cha manque vraiment de souris à cet étage.

− Bon. On dirait que c’est la farcie quand même ! Donc on va prendre ce truc facile à retenir comme base des mots de passe : « Lafarcie », le L en majuscules et le reste en minuscules.

− Cha commence mal ton truc. Avec toutes les consonnes en majuscules c’est moins facile à pirater.

− Oui mais c’est pénible à taper. Faut pas non plus faire des trucs qui mettent trop facilement le doute. Souvent les sites obligent à créer des mots de passe avec au moins une majuscule, un chiffre et un caractère spécial. Parfois ils demandent un nombre de caractères minimal. Pour avoir un mot de passe différent pour chaque compte mais qui répond au mieux aux critères les plus courants, je suggère de faire un mot de passe de 16 caractères. Vous, vous n’utilisez que Twitter mais vous avez des tonnes de comptes sur ce site. Comme vous les avez numérotés de manière relativement simple et efficace, je suggère de récupérer les numéros que vous avez créés, de rajouter 1000 et de commencer le mot de passe par ça. Donc Darwin, ton mot de passe associé à ton compte Twitter et qui te fait passer pour un chat de la Seine-Saint-Denis, commencera par 1093. Ensuite nous allons insérer un caractère spécial, par exemple le signe %. Puis, parce que c’est un compte Twitter, il faut faire référence à ce site dans le mot de passe.

− Pourquoi ?

− C’est simple ! Imaginez que demain vous décidiez de vous inscrire sur de nouveaux sites, par exemple sur Instagram. Si tu as un compte Darwinlechat93 sur Instagram, tu ne dois pas avoir le même mot de passe que sur Twitter mais tu dois pouvoir le retrouver facilement au cas où tu délaisses ce compte assez longtemps. Pour noyer un peu le poisson, on va se référer indirectement à chaque site. Par exemple, on peut prendre les 3 premières lettres du site et retrancher une lettre de l’alphabet. Quelle est la lettre qui vient avant le T ?

− Ben S !

− Et avant le W ?

− V.

− Exact. Avant le I c’est H. Donc la séquence de lettres que nous allons utiliser sur Twitter sera SVH. Sur Instagram ce sera HMR. Sur Tic-toc, SHB.

− Mais s’il y a un A ?

− Tu utilises le Z. On a donc notre séquence unique pour chaque site puis on rajoute la séquence commune « Lafarcie » pour arriver à 16 caractères.

− J’ai compris. Pour mon compte Twitter numéro 72, j’utilise le mot de passe « 1072%SVHLafarcie » !

− Ben non !

− Ben si !

− Mais non con de chat ! C’est un exemple de création de mot de passe mais tu dois utiliser ta propre méthode pour que je ne la connaisse pas.

− Tu as raison ! Je vais utiliser « 1072%SVHLasouris ».

 − Mais tu ne dois pas me le dire ! Tu dois te créer ta propre méthode. Pour faire référence au site, tu n’es pas obligé d’utiliser les lettres précédant les 3 premières du site. Tu peux faire plein de choses connues uniquement de toi. Par exemple tu peux prendre le rang des deux premières lettres et les additionner. Pour Twitter le T est la 20ème lettre de l’alphabet et W est la 23ème.  Donc tu peux créer des mots de passe pour Twitter qui contiennent le nombre 43. Sur Instagram ce sera 9+14 = 23. Ce qui compte c’est d’avoir toujours la même construction pour tous les sites, il ne faut pas mettre 43 au début du mot de passe sur Twitter et 23 à la fin sur Instagram. J’ai dit de rajouter 1000 à votre numéro de compte Twitter mais n’y a que des tarés comme vous qui créent des dizaines de comptes pour le même site. Vous êtes des trolls mais au moins vous avez prouvé que vous aviez une méthode. Sur la plupart des sites les internautes n’ont qu’un compte, donc ils n’ont pas l’idée de donner des numéros. Mais par défaut, si on n’a qu’un compte sur un site, on peut dire que c’est le compte numéro 1. Pourquoi rajouter 1000 et pas 10 ou 100 ? Eh bien parce que ça permet de rajouter des caractères pour faire des mots de passe un peu longs sans les rendre trop difficiles à retenir. Je ne dis pas que c’est une bonne méthode pour protéger une box Wifi ou un coffre-fort, mais pour troller sur le net, un mot de passe de 16 caractères facile à retrouver de tête si on l’a oublié, c’est suffisant.

− D’accord. Donc quand tu nous auras dit quel mot de passe on doit utiliser pour reprendre la patte sur nos comptes Twitter, on utilisera une méthode mnémotechnique qui nous va bien pour recréer des mots de passe plus robustes. Et alors tu nous garantis que tu ne pourras plus nous pirater nos comptes Twitter ?

− Ah non ! Moi je pourrai toujours vous pirater vos comptes Twitter. D’autant plus facilement que j’ai un mouchard sur cet ordinateur et que je peux voir tout ce que vous pattuscritez.

− Ah ben cha !... Ah ben cha !... Et pourquoi on s’emmerderait à faire des mots de passe robustes si la seule pirate qui s’intéresse à nos comptes c’est toi ?

− Pense plutôt à ce qui se passera si l’un des twittos avec qui tu te chamailles prend le contrôle de tous tes comptes d’un coup !

Son argument était plutôt convaincant. Voilà comment on en est venu à avoir plein de mots de passe différents pour nos comptes Twitter. Evidemment je n’ai pas rajouté 1000 aux numéros qui apparaissent dans mes 24 noms d’utilisateurs parce que ça m’a paru trop simple. Mais je pense que Grabel ne s’est pas trop posé de questions alors je suis assez tenté à l’idée de débusquer la méthode mnémotechnique qu’il s’est choisie. Odette la connaît déjà mais elle n’a aucun mérite.

 

Voici une autre petite aventure des semaines écoulées, cha concerne les pigeons.

On bavardait avec Grabel et quelques pigeons quand tout d’un coup, en une fraction de seconde, les pigeons ont mis les voiles, plongé dans la rue Emile Zola, puis tourné le coin vers la place des Célestins. Moi je ne me suis pas posé de questions puisque ce n’était pas la première fois que cha arrivait. Mais Grabel avait une idée en tête :

− T’as entendu quelque chose ?

− Entendu quoi ?

− Un bruit particulier.

− C’est quoi un bruit particulier ? Y a toujours du bruit ici.

− Je parle d’un bruit qui serait particulier à l’oreille d’un pigeon.

− Comment je pourrais le chavoir ? J’ai des oreilles de chat.

− Moi je pense que si les pigeons étaient alertés par un bruit particulier, on l’entendrait. Tu vois bien qu’à chaque fois qu’il y a un bruit un peu brutal, comme une simple fenêtre qui claque dans les parages, ils s’échappent à tire-d’aile.

− Toi aussi j’te ferais dire.

− Moi je me carapate. Mais pas plus que toi j’te ferais dire.

− Oui bon, on est prudents et les pigeons aussi.

− Nous on est prudents mais eux sont tarés. Ils sont complètement flippés par des actions relativement ordinaires des humains mais passent leur temps à picorer les trottoirs au milieu de ces géants, quand ce n’est pas carrément la route.

− Je sais tout cha Grabel. Où tu veux en venir ?

− Je pense que les pigeons n’ont pas besoin d’entendre le moindre bruit quand il y a un festin à faire dans les parages.

− C’est à dire ?

− D’après moi… C’est une théorie à laquelle je réfléchis depuis longtemps… D’après moi les pigeons communiquent par télépathie !

− Par télépathie. Carrément ?

− Si tu y réfléchis aussi, tu verras que cha explique bien des envolées soudaines.

− Hum… Je suis sceptique. Cha me semblerait incroyable que des cons pareils aient ce genre de dons. Mais ce qui est tout autant incroyable, c’est ta manière de réfléchir. Si tu penses depuis longtemps qu’ils sont télépathes, pourquoi tu ne leur poses pas la question ? On les voit presque tous les jours.

− J’ai peur qu’ils ne se moquent de moi.

− Ah… Ben c’est une éventualité mais je ne vois pas en quoi cha serait un problème. Si tu veux je peux le leur demander.

− Je veux bien. Sauf si tu leur demandes en disant que l’idée vient de moi.

− Je dirai qu’elle vient de nous. Cha te va comme cha ?

− Oui... Ben cool alors. Y a plus qu’à attendre qu’ils reviennent.

Le festin des pigeons fut sûrement meilleur qu’à l’accoutumée car nous avons attendu assez longtemps. En attendant on a regardé passer les voitures dans la rue. Au bout d’un moment une Tesla blanche est passée.

− Tu vois Grabel. Cha c’est la voiture d’Elon Musk.

− C’est Elon Musk dans cette voiture ?

− Bien sûr que non ! Ce que je veux dire c’est que c’est une Tesla, la marque créée par Elon Musk.

− J’aime bien. On voit tout ce qui se passe à l’intérieur.

− C’est vrai mais du fait qu’elle a un succès fou, je prédis un truc à propos de cette bagnole.

− Laisse-moi deviner. Y aura bientôt plus que des Tesla et du coup, cha va nous débarrasser des Nissan Juke.

− Très perspicace Grabel ! T’étais pas loin ! C’est presque cha mais en fait c’est l’inverse.

− Donc ce n’est pas du tout cha.

− Non mais l’idée de la Nissan Juke est bienvenue. Je prédis que la Tesla va devenir un symbole de mocheté et de ringardise bien plus rapidement que ceux qui l’achètent actuellement ne l’imaginent.

− Pourquoi ? Je ne la trouve pas du tout moche.

− Elle va nécessairement devenir ringarde du fait de son succès. Quand un truc se répand trop vite ses possesseurs passent pour des moutons, quand bien même ils ont acheté l’un des premiers exemplaires. Or, j’ignore si c’est dans l’unique but de faire des économies sur les chaines de production, Elon Musk n’a en fait élaboré qu’un seul modèle décliné de plein de façons différentes.

− C’est à dire ?

− Là on vient de voir passer la plus élégante des Tesla. Quand on ne l’a jamais vue on penserait presque à une berline de compétition comme les aime la Fée Odette. Elle a l’air élancée. La première fois que tu vois une telle bagnole, cha fait penser à une vraie réussite de designer. Puis après tu vois passer des modèles que tu reconnais au premier coup d’œil car la ressemblance avec la première est frappante. Mais c’est comme dans une portée de chatons. Des fois ils se ressemblent tous mais y en a un qu’est magnifique, les autres moins, et parfois l’un d’eux est carrément moche tout en ayant un air de famille. C’est pareil pour les Tesla. Ces abrutis ont pondu un modèle racé, puis, par pur intérêt commercial ou par faute de goût, ils se sont dit qu’il fallait proposer la même chose en moche. Si on veut cibler les types qu’ont la faute de goût de choisir une Porsche Cayenne quand ils ont les moyens de s’acheter une Porsche, alors il faut un truc aussi massivement moche qu’une Porsche Cayenne. Eh bien Elon Musk a fait cha ! Il a pondu sa bagnole en version Cayenne. Et le fait qu’il va en vendre beaucoup plus que des Porsche Cayenne, cha va la rendre encore plus vite ringarde. En fait, cha fait que quelques mois qu’elles ont envahi la ville et j’en suis déjà venu à imaginer les Tesla en remplaçante de la Nissan Juke comme symbole de voiture de Rapetou ! T’essayeras de faire pareil à la prochaine qui passe ! Je t’assure que cette voiture est sortie tout droit de Mickey Parade ! Cha m’a pas sauté aux yeux du premier coup mais maintenant j’en suis convaincu ! Ils n’ont rien imaginé chez Tesla ! Ils ont piqué un croquis à Disney ! Non d’un chien, c’est la honte quand même !

− Darwin. Les humains achètent des Tesla pour la planète parce qu’elles ne polluent pas.

− Si tu dis cette phrase en présence de Carbonus, y aura moyen de griller tous ses processeurs d’un coup. Enfin… d’après ce que j’ai compris. Tiens, revoilà nos cons de pigeons !

En effet une poignée de Pigeon dont Riton et Biscuit faisaient leur retour. J’ai embrayé direct sur l’hypothèse de Grabel :

− Dites donc les pigeons ! Est-ce que c’est vrai que vous avez un sixième sens ?

− Un sixième sens ? Laisse-moi compter… J’en sais rien. Ça dépend par rapport à qui.

− Ben non cha dépend pas par rapport à qui.

− Est-ce que voler ça compte comme un sens ?

− Bien sûr que non ! Je parle d’entendre, toucher, voir, goûter et sentir.

− Ah ? Mais est-ce que le fait de voir plus ou moins derrière sa tête ça fait compter double le sens de la vue ?

− Non. On s’en fout de cha ! Grabel et moi on pense que vous avez un sixième sens.

− Nous on vole. Donc on s’en fout si vous ne comptez pas ça dans la liste des sens, le fait est que ça nous rend carrément supérieurs à vous.

− Quoi ? D’avoir des ailes à seule fin de dégringoler les étages pour aller picorer le bitume, cha vous rend supérieurs ? Laissez-nous rire !

− Riez autant que vous voulez, vous riez jaune !

− De toute façon ce n’est pas le sujet. Grabel et moi on pense que votre sixième sens c’est la télépathie. C’est vrai ?

− Non.

− Ah ! Je me disais bien aussi.

− Tu te disais bien quoi ?

− Que vous n’étiez pas télépathes.

− Tu viens de dire le contraire. Et d’ailleurs je n’ai pas dit qu’on n’était pas télépathes.

− Ben si ! Tu viens de le dire !

− J’ai dit qu’on n’avait pas la télépathie en sixième sens. Ça ne peut pas être notre sixième sens puisque chacun sait que c’est notre premier sens. Sauf vous apparemment.

− Quoi ? Tu veux dire que vous vous transmettez des pensées par télépathie ?

− Je n’ai pas dit ça.

− Ben si ! Tu viens de le dire !

− On ne se transmet pas des pensées ! On se les vole !

− Comment cela, vous vous les volez ?

− Si tu préfères… Comment vous expliquer ? Un pigeon normalement constitué peut capter la pensée d’un autre pigeon qui se trouve dans le secteur.

−  Eh ben voilà ! J’avais bien raison ! Darwin ne voulait pas me croire mais j’avais bien raison !

−  Je n’y crois toujours pas ! J’y croirai quand j’en aurai la preuve !

− Je t’en donne une immédiatement si tu veux !

− Carrément ! Allez ! Vas-y ! Qu’on rigole un peu.

− Attention hein ? Ce n’est pas si évident. Je dois me concentrer un peu… Silence vous autres !... Là… Je l’ai ! Biscotte. Elle est dans la rue des Archers sous une voiture. Justement elle est occupée à penser ! Elle pense à Darwin le Chat ! Rien d’étonnant, c’est sa marotte. Elle y pense tout le temps ! Elle pense à la manière dont elle pourrait réussir à voler la ration de farcie de Darwin !

−  Quoi ? T’es pas sérieux là ?

− Je suis tout à fait sérieux ! Laissez-moi vous lire ses pensées ! « Ce vilain chat n’est pas si intelligent mais il est rusé comme un renard. Il serait sans doute plus judicieux de voler la ration de farcie de son acolyte, cet idiot de Grabelot ! »

−  Quoi ? Non mais cha va pas ? Je ne m’appelle pas Grabelot mais Grabel !

− Calme-toi Grabel ! Tu vois bien que ce con de Riton se moque de nous ! Il ne lit rien du tout dans la pensée de Biscotte.

− C’est pourtant exactement ce qu’elle vient de penser ! Pas vrai vous autres ?

Bien évidemment les autres pigeons ne se privèrent pas pour rentrer dans le jeu de Riton et même de pratiquer la surenchère. Après dix minutes passées à subir leurs sarcasmes, je repris la parole :

− C’est très drôle mais tout cha ne ressemble ni de près ni de loin à une preuve. Vous pouvez tous parler des rations de farcie que Biscotte aurait soi-disant l’intention de nous dérober mais c’est facile une fois que Riton a abordé le sujet. Sauf que si on faisait ce test en silence, puis qu’on pouvait vous interroger à tour de rôle sur ce que vient de penser Biscotte, et ce, sans que les autres n’entendent, on aurait autant d’histoires différentes qu’il y a de pigeons ici présents. La seule chose que je veux bien vous concéder c’est que vous avez de la suite dans les idées. Question télépathie, zéro ! Je m’en serais rendu compte depuis longtemps si c’était le cas !

− C’est bien la preuve que tu ne te rends pas compte de grand-chose s’il a fallu que Grabel t’aiguille sur la bonne voie.

− Alors quoi ? Vous êtes télépathes ou bien ?

− On l’est !

− Ils ne le sont pas Grabel ! Si c’était le cas ils s’en vanteraient tous les jours !

− Pourquoi voudrais-tu qu’on s’en vante ? Y a vraiment pas de quoi se vanter. Hein vous autres ? Quelqu’un aurait l’idée de s’en vanter ?

Là les pigeons se sont regardés les uns les autres. Il y a eu un long silence, les pigeons semblaient soudainement moins euphoriques. Un peu après ils se sont envolés dans un même élan pour aller picorer on ne sait quoi, on ne sait où. Dans l’heure suivante nous avons vu arriver Biscotte qui est la plus indépendante des membres du clan de Riton. Elle nous a dit avoir passé un long moment perchée dans un arbre de la place de la République à regarder un spectacle d’humains. Quand nous l’avons interrogée sur le sixième sens des pigeons, elle a accepté de nous expliquer en quoi consiste la télépathie chez cette espèce. La réalité est un peu moins reluisante que ce que Riton a voulu nous faire croire. L’une des capacités que doit acquérir un jeune pigeon, c’est l’aptitude à cacher ses émotions. La télépathie des pigeons ne consiste pas à apprendre à se concentrer pour lire dans les pensées de l’un de leurs congénères. Aucun pigeon n’a besoin de se concentrer, ils ressentent tous en même temps quand l’un d’entre eux se laisse déborder par ses émotions. Il suffit que le pigeon en question soit dans un périmètre restreint. Or les grandes émotions des pigeons sont aisément identifiables et assez communes. La première est tout à fait directe, c’est la peur quand ils entendent un bruit suspect ou voient l’irruption soudaine d’un être jugé dangereux. Dans ce cas, aucun pigeon ne ressent l’émotion de son voisin puisqu’il est lui-même débordé par ses propres émotions. La deuxième grande émotion des pigeons vient du ventre. Rien n’est plus motivant pour un pigeon que de trouver une bonne source de nourriture et rien ne le met plus en émoi que de se trouver seul face à une ration salivante. Si on voit un pigeon picorer à tout-va sans qu’aucun autre pigeon ne vienne le déranger, à coup sûr il s’agit d’un Maître Pigeon Zen. Un Maître Pigeon Zen peut contenir ses émotions face à un festin, mais cela ne lui garantit en rien de manger toujours peinard puisqu’il n’a pas le pouvoir de devenir invisible. Les pigeons se surveillent les uns les autres, soit par le sens de la vue, soit en ressentant les émotions de ceux qui n’arrivent pas à les contenir. Pour autant, la faculté de combler son appétit ne dépend pas que de la capacité à se planquer ou à rester zen devant une miche de pain oubliée au pied d’un arbre, elle dépend aussi de la capacité à prendre plus que sa part. La vie d’un pigeon peut être vraiment difficile pour celui qui ne sait pas trouver de la nourriture dans un coin tranquille, n’est pas très zen, et n’est pas non plus suffisamment fort ou méchant pour empêcher les autres de « manger dans sa gamelle ». D’après ce qu’on a pu observer et entendu, Riton est l’archétype du pigeon qui ne cherche pas à se cacher, n’est pas du tout zen, mais sait parfaitement voler dans les plumes pour empêcher les autres d’accéder à ce qu’il considère être son dû. Il n’y a guère que pour la farcie qu’il ne peut pas faire valoir sa force physique car la Fée Odette veille au grain et ne supporte pas les injustices.

C’est tout pour aujourd’hui.

Ah ben chalut !

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20 août 2023

Carbonus, AI des points malus.

Lyon, 16 août 2023

Chalut !

Il y a quelques temps, après avoir fait mon allocution sur le très grand bloc concernant « Le Manifeste des animés non-humains sur la robotique », je suis allé auprès de mon « tuyau » préféré. Ce conduit d’aération permet d’entendre tout ce qui se dit dans une pièce du cabinet de conseils Toucons, cabinet dont je vous ai déjà parlé il y a une trentaine de mois. Cette fois je suis arrivé vraisemblablement au début d’une conversation mais pas au tout début. Peut-être cela vous intéressera-t-il. Voici exactement ce que j’entendis ce jour-là :

« 

– Est-ce que vous avez signé un engagement à limiter votre kilométrage annuel ?

– C’est à dire ?

– Qu’est-ce que vous ne comprenez pas dans la question ?

– C’est quoi ces histoires d’engagement ?

– Je dois rentrer dans l’ordinateur un nombre moyen de kilomètres que vous ne dépasserez pas dans l’année. C’est comme pour les assurances, si vous ne roulez pas beaucoup vous pouvez avoir un contrat avec un bonus. Vous ne regardez pas les pubs ?

– Je vois…  Mais c’est à dire que maintenant que j’ai une voiture A++++, je vais quand même en profiter un peu ! En plus ça me fait penser qu’il y a plein de coins que je ne connais pas ! J’habite dans le Rhône, ce n’est quand même pas bien grand. Eh bien il y a plein de villages de mon département que je ne connais pas. Quand on y pense… les pollueurs veulent tous aller au bout du monde dans des avions à réaction alors qu’ils ont plein d’endroits à découvrir à deux pas de chez eux et désormais sans polluer grâce à la voiture électrique ! Vraiment les gens…

– Pour les vacances vous allez aussi prendre votre voiture ?

– Bien sûr. Mais vous avez compris que je ne suis pas du genre à aller au bout du monde, hein ? Moi je me contente de voyages accessibles ! Enfin… je dois concéder que par le passé j’ai pas mal pris l’avion mais j’ai une excuse, je n’avais pas connaissance des rapports du GIEC. Mais maintenant que j’ai une voiture écolo, j’irai peut-être un peu plus loin en voiture, à Vienne, à Berlin, à Madrid… Vous savez, j’ai fait beaucoup de choses en transports en commun dernièrement, justement parce que j’étais soucieux de mon bilan carbone.

– Ce n’est pas si compliqué d’aller en train à Madrid.

– Non c’est chiant ! Je vous assure.

– Ok. Il me faut un kilométrage néanmoins. Vous comptez faire combien de kilomètres par an ?

– C’est à dire que depuis que j’ai acheté ma maison à Saint-Cyr-au-Mont-d’Or, je ne peux pas faire moins de 50 kilomètres par jour de travail. Et encore, seulement si je prends par le tunnel sous Fourvière.

– Vous travaillez où ?

– A Feyzin.

– Dans l’industrie pétrolière ?

– Pas exactement. Du moins pas dans celle qui émet du CO2 à tout va.

– Vous ne pouvez pas faire du télétravail ?

– Malheureusement non. Je suis le genre de cadre qui doit être présent pour encadrer.

– Donc on va dire, pour être large, 300 kilomètres par semaine pour le travail, multiplié par 47 ça nous fait environ 14000 kilomètres. Si en moyenne vous ne dépassez pas les 100 kilomètres par semaine pour vos loisirs, on peut rentrer moins de 20000 kilomètres.

–  Je tablerais plutôt sur 25000. Pour être honnête.

– 25000 kilomètres par an. Je rentre ça dans la machine…  Voilà ! En première approximation vous passez en classe D pour ce qui est du bilan carbone.

– Comment ça en classe D ? Mais j’ai acheté une e-Lustre modèle Biz ! C’est annoncé en A++++ !

– D ce n’est pas si mal vous savez. Le plus souvent c’est l’une de mes collègues qui reçoit le public pour ce logiciel d’intelligence artificielle, mais à chaque fois que je l’ai remplacée, je suis rarement tombé sur des véhicules mieux classés. Sauf une fois quand un type est venu faire le bilan de sa Renault Twizzy.

 – Mais ce n’est pas une voiture la Renault Twizzy ! C’est à peine un vélo amélioré. J’espère bien que c’est classé en A++++ !

– Ah non, non. L’intelligence artificielle l’a classée en C+.

– Comment ça en C+ ? Si la mienne est en D...

– Elle est en D en première approximation. On doit renseigner plus de choses pour voir si on monte ou si on baisse dans le classement.

– Allons-y ! Qu’est-ce que vous voulez savoir ?

– Avant cela vous ne voulez pas savoir la note de votre e-Lustre en ce qui concerne le classement écologique ?

– Quel classement écologique ? Le bilan carbone ce n’est pas un bilan écologique ?

– Ben non. Vous vous imaginez bien que non.

– Je ne m’imagine rien du tout. Je sais parfaitement que le grand combat c’est celui du carbone.

– C’est possible. Mais si nous avons payé une licence de plusieurs dizaines de milliers d’euros pour un logiciel d’intelligence artificielle, ce n’est pas pour qu’il stagne au niveau d’analyse du premier pseudo-écolo ayant ses entrées à Davos. Pour autant qu’on lui fournisse quelques informations qu’il ne connaît pas déjà, Carbonus vous donne le bilan carbone, le bilan écologique et le bilan terrien de n’importe quelle chose que vous possédez ou utilisez.

– Le bilan terrien ? Qu’est-ce que c’est que ça encore ?

– Le bilan carbone c’est le bilan des émissions carbone liées à la fabrication, au transport, à l’usage et à la fin de vie d’un objet. Le bilan écologique va plus loin. Il prend en compte un impact plus global. Je vous donne un exemple. Si vous abattez un arbre pour faire du bois de chauffage, vous pouvez calculer grossièrement l’émission de carbone liée à la combustion de cet arbre. Le bilan écologique prendra en compte d’autres impacts moins directement mesurables. Si vous habitez à proximité d’un bois qui a été planté en rangées bien alignées par un exploitant qui vous en laisse l’accès tant que les arbres ne sont pas arrivés à maturité, vous aurez beau savoir qu’il en est le propriétaire, le jour où le bois est rasé, vous perdez immédiatement et pour un temps la possibilité d’aller vous balader avec votre chien au milieu des arbres, aussi nulle cette forêt soit-elle. De votre point de vue vous pouvez estimer que vous subissez ce qu’on peut appeler une externalité négative. Je vous ai donné un exemple où vous êtes supposé être en pleine conscience des droits du propriétaire, en somme vous savez que vous ne pouvez pas lui en vouloir vraiment puisqu’il a lui-même planté ces arbres. Supposez que la terre soit intégralement découpée en parcelles de propriétés privées sur lesquelles chaque propriétaire peut légitimement planter ou arracher ce qu’il veut, faire des trous aussi profonds qu’il le veut, ériger des bâtiments de la taille qui lui sied ; vous qui vous souciez d’écologie, vous pensez que la planète serait en meilleur état qu’elle ne l’est avec les règles actuelles des nations à travers le monde ?

– Je n’en sais rien. J’imagine que non.

– Fort heureusement il y a certains garde-fous contre les lubies des propriétaires. A Feyzin les industriels ne sont pas supposés déverser tous leurs résidus chimiques dans le Rhône, n’est-ce pas ?

– Vous vous imaginez bien que c’est hyper réglementé.

– C’est vrai mais tant qu’il reste quelques hectares de forêt amazonienne non investis par le monde industriel, on a moins de chance qu’en bord de Saône d’y trouver des écriteaux marqués « il est interdit de manger le poisson pêché ».

– Où voulez-vous en venir ?

– Là.

– C’est à dire ?

– Vous avez une voiture thermique...

– Plus maintenant.

– Supposons. Vous avez une voiture thermique. Sans le savoir vous êtes amené à y mettre 40 litres d’essence qui provient de pétrole issu d’un puits Nigérian. Vous roulez jusqu’à vider votre réservoir. Un écologisme de bas étage consiste à faire un calcul qui n’est pas autre chose que la simple arithmétique de ce que donne en carbone la combustion de 40 litres d’essence. C’est grâce à ce genre de calcul qu’on classe votre e-Lustre en A++++. Pour ce qui est du carbone, notre logiciel intelligent est réputé prendre en compte tout le carbone émis pour les besoins de la construction, l’entretien, la mise au rebut de votre voiture thermique. A cela s’ajoute, certes la combustion du carburant, mais également toutes les émissions afférentes à l’extraction, au transport, à la transformation du pétrole. A cet ajout s’ajoutent les émissions afférentes à la construction et l’entretien des infrastructures routières…

– Mais non ! Vous ne pouvez pas compter ça !

– Mais moi je ne compte rien du tout. C’est le logiciel qui le fait.

– Oui je comprends bien. Mais enfin quoi ? Les routes, tout le monde les utilise !

– Là n’est pas la question.

– Ben si.

– Non et en plus c’est faux ce que vous dites. Y a des gens qui utilisent plus les routes que les autres. Y a des gens qui habitent à Lille et qui n’ont jamais vu la mer. A priori ils utilisent quand même beaucoup moins les infrastructures qu’un type qui aurait l’idée d’aller visiter Vienne, Berlin et Madrid en voiture.

– A vous écouter on croirait que si on y allait en train, on n’utiliserait pas d’infrastructures.

– Personne n’a dit ça. Carbonus est tout à fait apte à imputer le bilan carbone des voies ferrées autant que des trains qui circulent dessus. Il est super intelligent, raison pour laquelle cette licence nous a coûté un bras. Il ne part pas du principe que l’avion émet plus de carbone que votre voiture, il prend tout en compte et établit des classements sur ces bases !

– Y a pas intérêt qu’il me dise que ma voiture m’amènera à Vienne avec plus de carbone à la clé qu’un Boeing. Sinon je refuse de vous payer la consultation !

– Vous ne la payez pas puisque le patron vous l’offre.

– Oui, enfin… il l’offre à ma femme. Allez savoir pourquoi. Mais ça ne change rien. Si j’ai acheté une telle automobile, c’est parce que tout le monde sait que l’avion à réaction ne peut pas émettre moins de carbone qu’elle !

– Attendez-vous à tout, ce n’est pas du domaine de l’impossible. C’est même assez probable.

– J’aimerais bien voir ça. Mais non qu’est-ce que je raconte ? Ça ne peut pas arriver ! Continuons. Je n’ai toujours pas compris la différence entre le bilan carbone et le bilan écologique.

– Retournons au Nigeria. On a supposé que l’essence de votre voiture venait de là-bas. Pour des raisons quelconques, des zones proches des puits de pétrole subissent une pollution massive au point de devenir inhabitables ou bien habitées par des habitants qui développerons des maladies en lien avec cette pollution et verrons leur espérance de vie fortement diminuée. Le bilan écologique prend en compte cet état de fait.

– Je ne vois pas en quoi un automobiliste européen serait responsable du fait que certains industriels indélicats ne respectent pas les réglementations environnementales.

– Toute personne qui achète ou utilise un bien sans s’assurer que sa production répond bien à certaines normes est un peu responsable de tels manquements.

– Mais non ! S’assurer de cela c’est juste impossible et impraticable !

– Peut-être mais dans ce cas il n’est pas injustifié de vous imputer un malus écologique quand vous consommez. La prochaine fois que vous nous rendrez visite, tentez de venir avec un exemple d’industriel ayant instauré, de lui-même, des normes environnementales ou sociales susceptibles de rogner ses bénéfices. Si vous en trouvez il s’agira sans doute de normes mises en place par des industriels qui savent que leurs concurrents ne seront pas en capacité d’appliquer ces normes. C’est une manière efficace et parfois politiquement féconde de mener ses affaires. Mais vous et moi savons bien que la plupart des politiques ayant vraiment la capacité de protéger l’environnement et les populations viennent de la pression de ces populations elles-mêmes. D’ailleurs, si vous êtes ici pour faire le bilan carbone de votre e-Lustre, c’est parce que vous avez le souci de votre impact sur la planète.

– Je ne veux pas que mes petits-enfants m’accusent un jour de n’avoir fait aucun effort.

– Mais quand vous aviez une voiture thermique, vous ne vous êtes pas soucié de la pollution en marge des forages pétroliers dans diverses parties du monde.

– Non car je ne vois pas pourquoi je devrais en porter la responsabilité. Vous vous en êtes soucié vous ?

– Pas du tout. Mais si je l’avais fait, ce logiciel intelligent pourrait sans doute m’accorder un bonus concernant le bilan écologique de mes déplacements.

– Vous n’avez qu’à passer à l’électrique.

– Qu’est-ce que ça changerait ?

– Qui dit plus d’essence dit plus de puits de pétrole et conséquemment plus de pollution aux hydrocarbures.

– Étant donné le nombre de trous qu’il faut faire dans la terre rien que pour construire des téléphones portables, essayez d’imaginer ce qu’il en est pour des voitures, qu’elles soient thermiques ou électriques. Mais avant de vous donner cette peine vous voudrez sans doute savoir quel est le bilan écologique de votre e-Lustre ?

– Dites toujours.

– F.

– Hein ? F ? Comment ça F ?

– Ce n’est pas si mal. Le bilan terrien est au niveau G.

–  Le bilan terrien… je l’avais oublié celui-là. Qu’est-ce que c’est que cette connerie ?

– Le bilan terrien ça prend en compte le bilan écologique ainsi qu’une foultitude de critères relatifs au ressenti des espèces vivantes à la surface de la terre.

– C’est une blague ?

– Pas du tout.

– Redonnez-moi un exemple parce que là, je ne vous suis plus.

– Eh bien par exemple, si pour fabriquer des batteries vous utilisez des ressources extraites de mines où travaillent des enfants dans des conditions déplorables, l’intelligence artificielles impute un malus aux batteries.

– Comment elle sait que les ressources utiles à ma e-Lustre ne sont pas extraites de mines parfaitement mécanisées et n’employant pas des enfants ?

– Elle ne le sait pas mais la mécanisation n’est en rien une garantie de bonheur pour les populations autochtones. C’est même régulièrement l’inverse puisque ça va de paire avec l’accaparement des ressources par des firmes transnationales. En outre les matières premières s’échangeant sur des marchés mondialisés, le logiciel impute un malus moyen à l’ensemble de la filière. Sauf si vous lui indiquez que vous avez expressément acheté une batterie qui garantit réellement une forme de justice terrienne, auquel cas vous l’aurez nécessairement payée bien plus chère que la moyenne.

– Justice terrienne ? Mais qu’est-ce que c’est que ce concept encore ?

– Il faut partir du principe qu’il y a un sentiment de justice partagé universellement… ou du moins, terrestrement, si je puis dire.

– C’est délirant. Est-ce que vous vous considérez qu’avoir des droits différents selon sa couleur de peau est injuste.

– Bien sûr. Pas vous ?

– Évidemment. Et pourtant il y a des millions de personnes à travers le monde qui sont ouvertement racistes. C’est totalement injuste d’entasser des humains dans des wagons à bestiaux et pourtant certains humains ont pensé que cela pouvait leur apporter un bénéfice réel et n’ont pas hésité à le faire. Je pourrais multiplier les exemples à l’infini.

– Vous réfléchissez avec votre intelligence humaine. L’intelligence artificielle réfléchit différemment. Je ne sais pas comment exactement. On a été à une conférence avant l’achat de la licence de ce logiciel et on ne nous a pas donné d’exemples ouverts au débat. Il s’agit plutôt d’un modèle probabiliste à ce que j’en ai compris. On a eu droit à une longue liste d’assertions du style : « Il y a un lac. Au bord du lac il y a une bouée. Un humain est en train de se noyer dans le lac. Un autre humain qui ne connaît pas le premier arrive au bord du lac. Il y a une probabilité infime que le second humain ne tente pas de jeter la bouée en direction du premier humain. »

– S’il était si intelligent votre logiciel aurait donné la probabilité exacte.

– Ce n’est pas une expérience si facile à reproduire. Et c’est justement cela qui m’a intéressé. J’aurais comme vous pensé que l’intelligence artificielle se baserait sur des calculs très précis. Mais à la réflexion cela ne lui conférerait pas un statut d’intelligence, seulement celle d’un hyper-calculateur. Je pense qu’à propos de l’exemple que vous avez donné sur la déportation dans des wagons à bestiaux, le logiciel ne considère pas le bénéfice des humains qui entassent d’autres humains dans des wagons mais seulement le sentiment d’injustice que ces mêmes humains ressentiraient si les rôles étaient soudainement inversés.

– Votre logiciel semble quand même avoir une intelligence de gauchiste à la sauce Jésus Christ ! Si vous le voulez bien on va se contenter de cibler le bilan carbone de ma e-Lustre Biz et oublier cette histoire de bilans écologique et terrien, ça me semble beaucoup trop subjectif.

–  Comme vous voulez. Vous allez sans doute pouvoir remonter dans le classement. Ça dépend de plusieurs critères que nous devons renseigner. L’un des critères c’est le rechargement de votre batterie. Comment entendez-vous recharger votre e-Lustre ?

– Ben comment vous voulez que je fasse ? Je vais la brancher sur le secteur pardi !

–  Oui ça je m’en doute ! Mais comment ? Vous-même avez-vous votre propre borne de recharge ?

– J’en avais même déjà une quand j’habitais en copro. Je la louais à un voisin vu que j’avais une voiture thermique.

– Ben pourquoi vous aviez une borne ?

– J’avais senti le filon. Comme j’avais deux places de parking et que ma femme ne conduit pas…

– Intéressant. Mais comment ça se passe dans une copro ? Sur quel compteur elles sont branchées les bornes ?

– ça dépend de ce que décide le syndic. En ce qui me concerne j’ai justement profité du fait que c’était facile pour moi d’amener de l’électricité de mes places à mon compteur et difficile pour d’autres habitants vivant à des étages supérieurs. Enfin, c’est de l’histoire ancienne. Maintenant j’ai ma maison, et mon garage perso. C’est tout de même beaucoup plus simple.

– Donc quand vous arrivez chez vous, si votre batterie doit être rechargée vous la branchez.

– C’est aussi simple que ça. En principe, même si je reviens de vacances, dès lors que je brancherai ma voiture en soirée, la batterie sera largement assez rechargée pour aller au travail le lendemain matin même si je me lève tôt.

– Et le tarif est toujours le même ?

– Oui. J’ai un contrat EDF tout ce qu’il y a de plus classique. Je n’allais pas en changer comme le premier gogo venu après avoir vu une pub.

– Votre borne n’est donc pas équipée d’un système qui module la charge selon la météo ?

– Comment cela ?

– Eh bien imaginez que vous ayez une borne de ce type. Votre empreinte carbone dépend justement de la capacité de votre borne à ne pas se charger quand l’électricité n’est pas d’origine renouvelable ! Si vous aviez une borne vraiment intelligente, vous pourriez avoir un abonnement qui vous permet de ne charger votre voiture que quand les éoliennes tournent fort en Europe ou quand le soleil fait chauffer massivement les panneaux solaires. Non seulement vous auriez ainsi l’assurance d’avoir une électricité largement renouvelable, mais en plus vous pourriez peut-être ne pas payer du tout la recharge de votre voiture… enfin… durant quelques années.

–  Quelques années ? Pourquoi quelques années ?

– Eh bien en attendant que le parc de voitures électriques se développe ! La nuit, la consommation d’électricité reste basse par rapport à celle qu’on peut avoir la journée et en soirée. Donc chez certains opérateurs vous pouvez peut-être trouver une forme de contrat de style heures creuses, heures pleines, où les heures creuses ne vous coûtent rien du tout. Tous les contrats possibles sont imaginables mais si vous faites un contrat dans le but d’être écologique ou bien de faire des économies, il y aura forcément des contraintes.

– Mais qu’est-ce que vous racontez ! Les projections ont été faites et tout le monde s’accorde pour dire qu’il n’y aura pas de problème pour recharger les batteries même quand tout le parc des véhicules thermiques aura disparu ! Justement c’est grâce au fait que les batteries se rechargent doucement. Si vous considérez qu’il y a au moins 8h de faible consommation d’électricité la nuit, ça laisse largement le temps pour recharger les batteries.

– Je ne vois pas ce que la vitesse de recharge à avoir là-dedans. Que vous ayez peu de batteries en charge mais qui se chargent très vite ou bien plein de batteries qui se chargent en même temps mais doucement, la consommation à un instant T sera la même.

– Ben non. Réfléchissez ! Si les batteries se chargent vite, il y a un risque que beaucoup de monde branche la sienne à la même heure. Comme chacune d’entre-elles tirera plus de courant en charge rapide, c’est là que les problèmes surviendront.

– Avec de telles batteries il n’y aurait pas plus de problèmes puisque les gens ne décideront pas quand recharger leur voiture au milieu de la nuit, ce sont les compteurs intelligents qui le feront, justement en fonction de la production énergétique du moment. Et c’est là que vous pouvez avoir des doutes sur les projections. Posez-vous des questions ! Est-ce que ceux qui font ces calculs projettent la production nocturne future par rapport à ce qu’elle est actuellement ou par rapport à ce qu’elle sera si on décide de n’utiliser que de l’énergie dite verte ? Il paraît difficile de savoir combien ces énergies produiront à minima, à moins de surdimensionner le système en ayant suffisamment d’éoliennes pour produire suffisamment même quand il y a peu de vent en Europe. Plus vous surdimensionnez un système, moins il peut se targuer d’être écologique. La masse de matériaux qu’il faut pour faire l’une des éoliennes géantes qu’on voit fleurir un peu partout, c’est tout sauf négligeable. Vous ne pouvez pas faire l’impasse là-dessus. Or je ne vois pas quelle énergie verte vous allez utiliser la nuit pour charger des batteries en dehors de celle produite par les éoliennes et par les barrages hydroélectriques.

– Et le nucléaire, vous en faites quoi ?

– Eh ben voilà ! C’est justement là le problème. Si vous comptez sur les capacités nucléaires, vous avez plus de facilité à prétendre que le remplacement des hydrocarbures par des éoliennes se fera sans difficulté. Et encore, il faudrait se renseigner pour savoir si les projections ne prennent pas en compte les capacités actuelles des centrales thermiques. Si vous êtes pro-éolienne et prétendez qu’elles vont tout résoudre, chaque nuit vous vous contentez de ce que le dieu Eole veut bien vous donner.

– Je ne suis pas antinucléaire.

– J’avais compris. Toujours est-il que si on ne veut pas d’émission de CO2, en moyenne, on produira généralement plus le jour que la nuit, puisque le jour se rajoute la production de l’énergie solaire. En ne gardant comme énergie fossile que le nucléaire, si vous considérez que c’est une énergie du futur, vous n’avez plus les centrales à gaz, pétrole ou charbon pour ajuster l’offre sur la demande en appuyant sur de simples boutons. Partons donc, comme semble le faire Carbonus, d’une situation où les automobilistes faisant le choix de l’électrique ne peuvent compter que sur les énergies renouvelables. Imaginez que vous rentriez chez vous en soirée avec une batterie presque vide. Par malchance il y a peu de vent en Europe et les éoliennes ne produisent qu’une faible part du mix énergétique. Pour fournir leurs clients les fournisseurs font appel à de l’électricité produite par les centrales nucléaires, par les centrales à charbons ou à gaz… bref, par des énergies fossiles. Dans ce cas le prix de l’électricité augmente fortement, dans toute l’Europe la soirée se fait en heures pleines et ceux qui ont des contrats heures creuses, heures pleines seront obligés de couper le chauffage s’ils ne veulent pas se ruiner. Et les gens comme vous, qui ne veulent consommer que de l’énergie renouvelable pour leur voiture, seront dans l’obligation de différer la recharge de leur véhicule.

– Pas forcément ! Pour éviter cela je pourrais tout aussi bien prendre un contrat qui certifie que mon électricité est d’origine renouvelable !

– Ces contrats-là n’existent pas.

– Bien sûr que si !

– Ils existent mais pour un logiciel tel Carbonus ça ne compte pas car c’est du marketing. Faites-moi confiance pour ce qui est de comprendre les stratégies marketing ! Vous connaissez le slogan d’Enedis, « L’électricité en réseau ? »

– Oui, et alors ?

– Slogan vraiment nul au demeurant pour une entité qui n’a aucune raison de faire sa pub hormis pour faire oublier qu’on a mis à poil EDF. S’ils aiment jeter l’argent par les fenêtres, ça fait le bonheur des publicistes, donc le nôtre par ruissellement. En tout cas, à chaque heure du jour et de la nuit, quel que soit votre contrat, pour savoir combien d’énergie fossile vous êtes en train de consommer, Carbonus prend la part de la production d’électricité européenne faite à partir d’énergie fossile. Donc si vous ne voulez consommer que de l’énergie verte, alors vous ne devez soutirer de l’électricité du réseau que quand 100% de la production d’électricité européenne est d’origine renouvelable.

– Non ! Je ne suis pas d’accord ! Puisque 75% de l’électricité française est nucléaire.

– Vous ne pouvez pas avoir recours à l’énergie nucléaire française. Surtout si vous avez voté oui lors du référendum sur le traité européen.

– Bien sûr que j’ai voté oui ! Quel rapport ?

– J’ai fait pareil. C’était d’ailleurs la première fois que je votais… Je rentre votre réponse dans le logiciel intelligent.

– Le logiciel veut savoir si j’ai voté oui au référendum ?

– C’est une information subsidiaire. Si on veut vraiment connaître son bilan carbone, autant le faire. J’actualise et on va voir comment a évolué la note de votre e-Lustre… Voyons voir… Vous êtes dégradé en F-.

– Pourquoi en F- ? Quel rapport avec le traité européen ?

– Le traité européen aurait pu mettre un frein à la libéralisation du marché de l’électricité mais au contraire il n’a fait que la confirmer et l’accélérer. C’était même son but avoué, suffisait de le lire.

– Eh alors ? C’est bien ce qui devrait donner un bonus à ceux qui ont voté pour ! Grâce au marché de l’électricité on trouve chaque jour le mix énergétique optimum.

– Visiblement ce n’est pas ce que pense l’intelligence artificielle.

– C’est pas possible ! Y a un bug ! Votre intelligence artificielle elle a choppé une maladie mentale. Si les choses sont optimisées, comment voulez-vous qu’il y ait du gaspillage énergétique ou je ne sais quoi qui va dégrader le bilan carbone de ma e-Lustre.

– C’est parce que l’intelligence artificielle prend en compte toutes les conséquences de la spéculation qu’a entraîné la libéralisation.

–  Je ne vois toujours pas le rapport.

– Ben oui mais vous êtes un humain. Là on a recours aux services d’un logiciel intelligent. Qu’est-ce que vous voulez que je vous dise ? Écoutons ce que lui a à nous dire… Je passe à la suite. Pensez-vous que vous serez amené à utiliser des bornes dans des parkings collectifs ?

– J’imagine que ça pourrait m’arriver. Quand je partirai en vacances.

– Dans ce cas, si votre véhicule est rechargé au bout de plusieurs heures, est-ce que vous recevez un message sur votre portable pour aller déplacer votre véhicule ?

– Pourquoi voulez-vous que je le déplace ?

– Pour libérer la borne.

– J’espère bien qu’à terme, toutes les places de parking publiques auront des bornes de recharge.

– Si c’est le cas, la note carbone moyenne des véhicules électriques va se dégrader.

– Pourquoi ?

– Vous imaginez bien que cela n’est pas sans conséquences sur la nature. C’est comme si, au lieu qu’il y ait des stations-service où l’on va acheter notre essence, nous étions tous propriétaires d’une cuve et d’une pompe. Naturellement cela demanderait une masse de matériaux et des emprises au sol bien plus importantes. C’est l’avantage de ce logiciel intelligent, il sait prendre tout ça en compte.

– Oui mais bon, installer quelques millions de bornes de recharge, écologiquement ça ne va pas avoir un impact bien important.

– C’est vous qui le dites. La borne en elle-même sera nécessairement un outil assez technologique, d’autant plus si elle sert à plusieurs véhicules. Ce n’est pas comme une borne dans votre garage qui, au fond, peut se contenter de compter les watts qui sont transférés dans votre batterie, voire même ne rien compter s’il s’agit d’une simple prise qui ne considère pas différemment votre voiture et votre grille-pain. Par les temps qui courent je doute d’ailleurs que beaucoup d’entreprises se proposent à l’avenir d’installer un système aussi simple même dans votre garage. Désormais tout devra baigner dans un maximum d’informations, et l’information ça a un coût, autant financier qu’écologique. Si vous espérez un jour pouvoir brancher votre voiture sur une borne en accès libre dans la rue et que vous voulez la recharger avec de l’électricité 100% renouvelable, il y aura des paramètres qui devront être connus par la borne, elle devra à minima servir d’interface entre votre véhicule, le réseau électrique et votre compte en banque.

– Je ne vois pas ce que ça a de compliqué.

– Cela pourrait bien l’être. Cela dépend du ou des modèles qui vont s’imposer. Si vous imaginez que vous aurez des bornes à disposition même sur les places de parking dans la rue, à qui vont appartenir ces bornes ? Seront-elles la propriété des villes ? Les municipalités vont-elles passer des contrats de concessions avec des entreprises privées ? Est-ce que vous allez systématiquement payer l’électricité que vous soutirez du réseau à votre propre fournisseur d’énergie ou bien chaque borne sera-t-elle attachée à un seul fournisseur ? Fournisseur qui aura d’autant moins de chance d’être le vôtre que de plus en plus d’entreprises se portent volontaires pour gagner de l’argent sur ce juteux marché. Dans tous les cas il faudra bien que tout ou parte de votre paiement soit transmis à celui qui fournit l’électricité, et il y aura peu de chance que ce soit également celui qui la produit. En outre, si vous voulez rouler sans émission de carbone, à quoi êtes-vous prêts à consentir ? Imaginez que vous gariez votre voiture pour la nuit, si les vents sont favorables toute la nuit sur les champs d’éoliennes reliés au réseau, votre véhicule pourrait rester en charge durant tout ce temps. Mais si ce n’est pas le cas, si les éoliennes ne tournent pas assez fort, est-ce que vous serez d’accord pour arriver le matin et constater que votre véhicule n’est pas complètement rechargé, voire pas du tout ?

– Ben… pas du tout, évidemment non. Si ma batterie est vide, il faut bien que je la recharge.

– Je suis d’accord mais si tout le monde part de ce principe et qu’il n’y a pas assez d’électricité renouvelable produite ou stockée, vous concevez bien qu’il y a un problème.

– Eh bien j’imagine que dans un tel cas de figure, l’électricité sera partagée équitablement et que chacun pourra recharger sa batterie partiellement.

– Vous imaginez mal ! Ce n’est pas du tout dans l’air du temps ! S’il y a peu d’électricité renouvelable disponible celle-ci est censée coûter plus chère, donc ceux qui ont les moyens pourront faire monter les enchères et être les premiers servis. Et je vous annonce même que quand la technologie sera vraiment mûre, il pourra y avoir un commerce qui impliquera des millions de possesseurs de batteries. Dès lors qu’il est possible de vider une batterie pour en recharger une autre, certains rechargeront leur batterie quand l’électricité est abondante et bon marché, et la renverront sur le réseau quand elle sera rare et chère.

– Mais non, c’est absurde. Vous savez bien que l’un des problèmes des batteries c’est justement de s’user à mesure qu’on les recharge. Dans ces conditions il faudrait être idiot pour décharger une batterie de voiture autrement qu’en roulant.

– Vous avez raison mais vous considérez cela avec l’œil de celui qui veut rouler sans émission de carbone. Sauf que nous sommes sur un marché qu’on a libéralisé justement pour que le prix qu’on paie corresponde à la rareté ou l’abondance de l’électricité. Le but prétendu est d’inciter les investisseurs à mieux allouer les ressources. Dans ces conditions, vous ne pouvez pas empêcher que certains cherchent à profiter des écarts de prix. Si un fournisseur d’électricité propose à ses clients de leur racheter l’électricité qu’ils ont stockée dans leur batterie à un prix supérieur auquel il la leur a vendue, il y en a nécessairement certains qui le feront. Moi-même je me laisserais facilement tenter si, par exemple, j’avais une voiture que je n’utilise que le week-end. Je profiterais des fluctuations des prix de la semaine pour tenter de rouler gratuitement le week-end. Bien sûr je ne perdrais pas mon temps à surveiller moi-même les cours, je prendrais un fournisseur qui me propose une borne de recharge/décharge intelligente. Elle recevra des informations sur les cours de l’électricité qui dépendront surtout des régimes de vent ou d’ensoleillement et la consommation du moment, et elle décidera d’elle-même quand se mettre en charge ou quand elle peut renvoyer l’électricité sur le réseau à la demande de fournisseurs.

– Mais bien sûr. Et au bout de quelques mois votre batterie sera morte et vous vous rendrez compte que votre calcul était absolument foireux.

– Justement non puisque le calcul fait par la borne prendra en compte cette usure. Si l’écart de prix entre l’achat et la revente d’électricité est suffisant, cela peut compenser largement cette usure. Supposez qu’on en vienne à interdire réellement l’utilisation des énergies fossiles. On pourrait parfaitement avoir assez d’éoliennes et de panneaux solaires pour couvrir, en moyenne, la demande d’électricité européenne. Mais si cette production reste très aléatoire, avec de grandes différences entre les pics et les creux, les capacités de stockage auront un rôle fondamental pour compenser ces écarts. Ceux qui ont plus de besoins que de capacités de stockage et ont les moyens de payer cher pour acheter la capacité de stockage de ceux qui sont prêts à faire l’effort de ne pas l’utiliser pour eux-mêmes, ceux-là feront monter les enchères. Les cours fluctueront suffisamment pour qu’il vaille parfois le coup d’user les batteries de voitures sans rouler.

– Vous nagez en pleine science-fiction. Au pire je peux imaginez qu’en cas de rareté on puisse piocher un peu dans la batterie de notre propre voiture pour éclairer notre propre maison mais personne ne va renvoyer sur le réseau l’électricité de sa batterie. D’ailleurs il suffira que les pouvoirs publics l’interdisent pour que cela ne se fasse pas. Aucun homme politique digne de ce nom n’acceptera qu’on use des batteries prématurément de cette manière.

– Alors cela dépendra du nombre de politiques indignes de ce nom qu’on élira. S’ils ne sont pas déjà majoritaires.

– Oui, ça je veux bien vous accorder que le niveau moyen régresse. Mais je crois quand même qu’on ne videra les batteries de voitures sans rouler que le jour où ces batteries seront réputées inusables. Et quand ce sera le cas, tous les problèmes d’émission de carbone seront réglés.

– Peut-être. En attendant, d’après ce que j’ai compris, ce qui est formidable avec notre logiciel intelligent, c’est qu’il ne permet à personne de se cacher derrière son petit doigt. Vous pourriez avoir les moyens de payer l’électricité au prix le plus fort en clamant que c’est parce que vous ne consommer que de l’énergie renouvelable même quand celle-ci est peu abondante, le logiciel est assez intelligent pour considérer que c’est une posture hypocrite. En aucun cas votre capacité financière n’entre en jeu puisque les études ont prouvé qu’en moyenne, plus on est riche, plus on émet de carbone…

– Ah non ! Je ne suis pas d’accord ! Il y a des riches qui s’en foutent royalement du climat et d’autres qui s’en soucient beaucoup ! Faudrait quand même veiller à ne pas tout confondre en se référant à des moyennes !

– Mais justement. C’est bien pour cela que vous êtes ici, pour qu’on étudie votre cas personnel afin de voir comment vos propres choix participent à sauver la planète. Il y a malheureusement des choses qui sont nécessairement des pondérations. Si vous espérez, comme vous l’avez dit, qu’à terme vous puissiez recharger votre voiture n’importe où, alors vous prenez votre quote-part du coût écologique induit par l’installation et l’usage de millions de bornes de recharges. Vous comprenez bien que pour cela il va falloir faire des tranchées dans les rues pour passer les câbles électriques et le réseau de télécommunication.

– Oui mais enfin bon… il suffit d’attendre un peu et le faire quand la chaussée a besoin d’être rénovée, ça mutualise les coûts.

– Dans une autre civilisation c’est peut-être ce qui se ferait mais dans la nôtre, ce n'est pas comme ça que ça marche. Tenez. Il y a quelques années ils ont refait toute la place en haut de la rue. Côté sud-ouest il y a un genre de « HUB », un endroit où il semble qu’il y ait une conjonction de divers réseaux. A peine avaient-ils enfin fini de mettre les nouveaux pavés qu’ils ont tout réenlevé pour installer la fibre ou je ne sais quoi. Après quoi ils ont rebouché un temps avec de l’enrobé avant de réinstaller les pavés. Depuis ils les ont déjà réenlevés une fois pour une nouvelle intervention. A ce rythme on pourrait penser qu’il serait plus économique de créer une salle souterraine avec une trappe d’accès. Non, croyez-moi, le jour où il faudra des bornes de recharge un peu partout, il y a peu de chance qu’on mutualise les coûts.

– Oui mais si c’est le cas, je ne vois pas comment votre logiciel intelligent pourrait en tenir compte. Ou alors c’est madame Soleil !

– Il ne peut pas tout prévoir. Comme tout un chacun, il fait des projections avec les informations qui sont en sa possession. Et c’est pour cela que j’ai besoin de savoir comment vous allez utiliser votre batterie. Question : « Si, lorsque votre véhicule est branché à une borne de recharge, le mix énergétique s’avère en intermittence ou en permanence inclure des sources d’énergies fossiles, avez-vous souscrit à un contrat entraînant l’arrêt complet du transfert d’énergie vers votre véhicule durant tout le temps où le mix énergétique inclus ces énergies fossiles ? »

– Je vous ai déjà dit que j’avais un contrat basique.

– Oui mais vous pourriez justement en changer pour améliorer votre bilan carbone. Est-ce qu’à terme vous n’allez recharger votre voiture que durant les périodes où la production est intégralement issue des énergies renouvelables ?

– Ben… non. D’ailleurs vous me parlez d’un truc qui n’existe peut-être même pas. En tout cas moi je n’ai jamais entendu parler d’un tel contrat.

– Dommage parce qu’apparemment ça suffit à vous faire monter de deux lettres dans le classement des émissions carbone.

– Oui mais attendez. Moi je veux bien me renseigner à propos d’un tel contrat. Mais quand ils disent « sources d’énergies fossiles », vous ne m’avez toujours pas dit clairement si ça comprend le nucléaire ?

– D’après Carbonus, oui.

– Parce que le truc c’est que… Est-ce qu’il arrive vraiment qu’on puisse se passer intégralement des énergies fossiles ?

– D’après ce que j’en sais ça arrive parfois. La nuit, du fait qu’on consomme moins. Mais comme je vous l’ai dit, plus il va y avoir de voitures électriques qui se rechargent la nuit, plus on va consommer d’électricité la nuit. Mais en même temps y aura sans doute aussi de plus en plus d’éoliennes donc, l’un dans l’autre… Il faudrait de plus près comment ils ont fait les projections qui prétendent que tout cela va se faire sans difficultés.

– Oui mais moi, au jour d’aujourd’hui, je ne peux pas signer un contrat qui va faire que ma voiture ne sera pas du tout rechargée si j’ai besoin de la recharger et qu’il n’y a pas du tout de vent ! Comment je vais aller au travail ?

– Elle a combien d’autonomie votre batterie ?

– Ils annoncent plus de 550 kilomètres.

– Ben alors faut vraiment pas vous inquiéter, avec un truc pareil vous pourriez devenir chauffeur de taxi. A part le jour où vous allez partir en voyage de noces à Vienne, je vois difficilement comment vous pourriez vous retrouver en panne sèche. Vous avez toutes les chances de pouvoir la recharger plusieurs fois par semaine, ça va très largement suffire à l’usage que vous en faites au quotidien.

– Je ne sais pas. Vous croyez que ça arrive souvent des semaines entières sans soleil et avec des régimes de vents faibles ?

– Aucune idée.

– Et votre logiciel, il ne le sait pas ?

– Sans doute mais je ne sais pas comment lui demander. Ne vous tracassez pas plus que ça, même si vous n’en venez pas à signer ce contrat qui vous donne deux lettres de bonus carbone, la question suivante va permettre au logiciel d’avoir une idée de votre implication dans la lutte contre le réchauffement climatique : « Si vous avez répondu non à la question précédente, sur une échelle de 1 à 10, notez le niveau de contrainte auquel vous êtes prêt à consentir dans l’usage de votre voiture électrique. »

– C’est à dire ?

– Vous voulez des exemples ?

– C’est pas de refus.

– « Lorsque le mix énergétique est carboné à plus de 50%, je mets ma batterie hors-tension. L’action correspondante est notée 5 sur l’échelle de la contrainte ».

– Mais comment vous voulez que je le sache ? Je n’ai aucune idée du nombre de fois où le mix énergétique est carboné à plus de 50% ni comment recevoir l’information !

– Vous la recevrez grâce à votre compteur communiquant pardi. Autre exemple : « Je reçois une alerte rouge de réseau en tension de la part de mon fournisseur. Je switche automatiquement vers les transports en commun tout le temps de l’alerte. L’action correspondante est notée 8 sur l’échelle de la contrainte. »

– Mais non, je n’peux pas. Je n’peux pas aller de Saint-Cyr à Feyzin en transports en commun. Comment voulez-vous ?

– Bon. Mais par exemple, vous êtes prêt à vous passer de votre voiture le week-end si le réseau est en tension, n’est-ce pas ? 

– Mais non ! Je ne vais quand même pas annuler mon week-end ! Sinon à quoi bon avoir une voiture ? De toute façon le réseau ne peut pas être en tension le week-end !

– En somme, ce que vous aimeriez, c’est que votre voiture ait à peu près la fonctionnalité d’une voiture à essence. Dans l’idéal il faudrait avoir des batteries qui se rechargent en une minute. Va falloir patienter encore un peu.

– Dans l’idéal il faudrait des station-essence à batteries ! On vient, on pose la batterie vide et on repart avec une batterie pleine. C’est ça qu’il faudrait. Que toutes les batteries soient compatibles et qu’on puisse les enlever et les remettre en quelques minutes.

– Le truc c’est que c’est lourd comme un cheval mort une batterie de voiture. C’est un peu comme s’il fallait changer le moteur à chaque fois qu’on fait le plein. Des milliers de gens se sont cassés le dos avec des lave-linge lestés de béton et aucun n’a jugé utile d’en fabriquer un avec un socle en béton amovible

– C’est juste une question de volonté. Suffit d’avoir un système conçu correctement. On défait les accroches de la batterie, on soulève la voiture, la batterie reste au sol sur un chariot, on la pousse, on pousse la batterie pleine à sa place, on redescend la voiture et on remet les accroches. Simple comme un jeu d’enfant. Je ne suis pas communiste mais pour le coup, s’il y avait une propriété collective de toutes les batteries et qu’on n’en payait que l’usage, tout cela serait très facile à mettre en place.

– Ce n’est pas près d’arriver puisque la course à l’innovation sur les batteries est à la base du modèle économique de certains constructeurs. Je ne vois pas pourquoi ils voudraient harmoniser leur conception et mutualiser leur usage. Votre e-Lustre est justement réputée pour la qualité de ses batteries non ?

– Oui c’est vrai. C’est même pour cela que je l’ai achetée. Mais quand on y pense, on se dit que les constructeurs qui ont pris du retard à ce sujet pourraient s’allier à un industriel qui développe uniquement des batteries. Cette synergie leur permettrait d’offrir un service qui compenserait leur retard relatif sur ceux qui ont de meilleures batteries.

– Vous pouvez toujours le leur proposer. En attendant, quelle note je mets à propos des contraintes, 3 sur 10 ?

– Si je choisis 3 sur 10. Quel impact ça a sur mon évaluation carbone ?

– Attendez… Vous passez à F+.

– F+ ? Et si on met 5 sur 10 ?

– … Vous seriez au niveau E. Mais il faut être honnête, d’après ce que vous me dites je doute que vous soyez en mesure d’accepter les contraintes associées à la note de 5.

– Mais si. Mais si. Je vais bien trouver un moyen.

– A quoi ça sert de faire ce test si vous essayez de tricher ?

– Si je ne voulais pas avoir de contrainte j’aurais gardé ma voiture à essence. Je me demande bien combien il la noterait votre logiciel d’ailleurs, Z- ?

– Chez nous la pire note qu’il a donné pour un véhicule c’est Q+.

–  C’était quoi ?

–  Un char soviétique T34-76 de 1942.

– Quelqu’un est venu calculer la note carbone d’un char ?

– Les gens collectionnent n’importe quoi, je vous assure. Bon. Passons à l’étape suivante qui est moins sujette à interprétation. Vous pouvez me donner le numéro de votre plaque d’immatriculation ?

– Pourquoi vous voulez le numéro de ma plaque ?

– Vous ne le connaissez pas ?

– Si mais… Pourquoi je le donnerais à votre logiciel. C’est un peu intrusif quand même.

– Oh mais ne vous en faites pas. Soit, Carbonus le connaît déjà, auquel cas ça ne change rien pour vous. Soit, il ne le connaît pas, auquel cas cela rendra les choses un peu moins précises.

– Ah ?... Ben essayez FU-666-CK.

– FU-666-CK…  Voyons cela. Est-ce que c’est bien votre voiture ?

– Faites voir ? ça m’en a tout l’air. Comment elle a atterri dans votre logiciel ? Et qui a pris cette photo ? C’est chez moi mais on dirait que la prise de vue vient de chez mon voisin.

– C’est probablement une captation de sa web cam. Peu importe, ce qui compte c’est que ça va nous épargner de renseigner des données. Donc vous avez une e-Lustre Biz 3 moteurs à transmission intégrale de 1080 chevaux, vitesse maximale 276 km/heure, 0 à 100 en 2,2 secondes. Félicitations, c’est vraiment une très belle voiture.

– Merci.

– Vous l’avez payée combien ? Sans indiscrétion.

– 139 990 euros. Mais j’ai pris plusieurs options.

– Je vois ça. Cela risque de vous faire descendre un peu dans le classement carbone.

– Sûrement pas ! J’ai justement pris la conduite hyper-intelligente qui optimise la consommation.

– D’après mon expérience, Carbonus ne valorise pas vraiment ce genre d’options. Sans doute parce que leur mise en œuvre a des impacts négatifs invisibles pour vous mais calculables par lui.

– Ah ben si c’est « logiciel intelligent contre logiciel intelligent » c’est un peu comme « parole contre parole ». Comment vous savez que votre logiciel intelligent est plus intelligent que le logiciel de ma conduite hyper-intelligente.

– Carbonus est entièrement dédié à cette intelligence précise qui vise à calculer l’impact écologique des objets, il n’essaye pas de compenser vos errances de conduites, chacun son boulot ! Cependant, d’après mon expérience, le malus d’une telle option sera faible. De quoi vous faire passer de F+ à G+, ce n’est rien par rapport au malus global lié à votre e-Lustre.

– Il y a un malus global ?

– Une fois tout pris en compte, votre bilan carbone est au niveau H-.

– Hein ? Mais c’est pas possible ! C’est une voiture électrique bon sang !

– Oui j’avoue que ça paraît étonnant. D’autant plus que les moteurs électriques sont très performants et d’une très grande fiabilité. Vous savez qu’il y a des locomotives électriques BB 15000 qui circulent depuis 50 piges et ont dépassé les 11 millions de kilomètres parcourus ? C’est fou non ?

– Justement. Ça devrait rentrer en ligne de compte.

– Le truc c’est que les trains, on les prévoit pour durer. Et puis y a les caténaires, ça enlève le problème de la recharge. Dans votre voiture, à supposer que le moteur puisse parcourir 11 millions de kilomètres, chose improbable, il y a plein de choses qui seront jugées caduques ou irréparables quand bien même elles pourraient l’être. En plus elle mesure 5m34 de long et 2m13 de large.

– Et alors ?

– Ben déjà, plus elle est grande et large, plus elle démarre bas dans le classement avant même que vous ayez roulé le moindre kilomètre. Je veux dire, en moyenne par rapport à des modèles comparables, plus c’est grand et long, plus cela demande de la matière première. Ensuite il faut tenir compte de tout ce que cela implique en termes d’usage et d’infrastructures.

– Je ne vois pas pourquoi ? Personne ne construit des voitures qui ne peuvent pas circuler sur les axes déjà existants. Quand je me gare, j’utilise une seule place de parking figurez-vous.

– Carbonus ne semble pas voir les choses de cette façon.

– Ben il devrait.

– Oui et non. Tant qu’il y a des camions et des bus, les rues dans lesquelles ils circulent doivent être conçues pour cela, donc vous vous avez l’impression que votre voiture a une taille relativement modeste au regard des camions et des bus.

– Ce n’est pas qu’une impression, c’est simplement la réalité.

– Certes mais enlevez les bus et les camions. Imaginez deux villes où il n’y aurait que des vélos, des motos et des autos. Dans l’une des deux villes, toutes les voitures ont à peu près le gabarit d’une Porsche Cayenne, ce qui reste tout de même inférieur à votre e-Lustre Biz. Dans une autre ville toutes les voitures ont à peu près le gabarit d’une Twingo 1ère génération. Faites un sondage dans chacune des deux villes auprès des cyclistes et des motards pour savoir dans laquelle il est le plus facile et le plus sûr de circuler. Je pense qu’il n’y aura pas d’ambiguïté.

– D’abord mélanger les cyclistes et les automobilistes c’est insensé, c’est bien la raison pour laquelle on crée des pistes cyclables.

– On en crée d’autant moins facilement qu’il faut laisser de la place à des véhicules larges.

–  Oui bon, si vous voulez. Mais les motards, jusqu’à preuve du contraire ils sont tenus au même code de la route que les automobilistes. Donc qu’ils aient moins la faculté de slalomer entre deux SUV qu’entre deux Twingo, je ne vois pas en quoi ce serait dérangeant, ça leur apprend à respecter les règles.

– Vous ne pouvez pas vous en sortir avec un tel argument. Vous comprenez bien que les infrastructures sont à l’image des besoins mais les besoins ne sont pas une donnée ex nihilo. Si dans une ville tout le monde a un SUV, les rénovations et nouveaux aménagements décidés par la municipalité prendront en compte les besoins spécifiques à ces SUV. Vous dites que vous n’utilisez qu’une seule place de parking mais je prends le pari que si on met côte-à-côte 10 e-lustres Biz, même si aucune n’empiète sur une ligne blanche, il y aura plusieurs conducteurs qui vont devoir se contorsionner pour sortir de leur voiture. Alors à la longue ces conducteurs feront pression pour qu’on fasse des places de parkings plus larges, pour qu’elles s’adaptent à leurs besoins. Des places plus larges c’est un moindre nombre de places ou plus d’espace dédié aux parkings. Ce n’est pas neutre.

– Vous vous êtes le genre d’individu qui ferait payer deux places à un obèse dans un avion. C’est totalement discriminatoire. Même les communistes le disent : « A chacun selon ses besoins. »

– Je ne suis pas sûr que la comparaison soit très pertinente. Mais puisque vous nous emmenez sur le terrain du poids, votre e-Luste Biz est annoncée à 2500 kilos à vide, c’est plus de 2.5 fois le poids d’une Twingo.

– Oui ben ça va, ça reste raisonnable, justement par rapport à un camion ou un bus.

–  Oui mais vous vous comptez faire 100 kilomètres par jour seul dans une voiture de 2.5 tonnes. Nécessairement Carbonus dégrade votre note.

–  Je ne vois pas pourquoi si j’arrive à me débrouiller pour ne charger la batterie qu’avec de l’énergie renouvelable.

– Si vous le faites c’est mieux mais ça ne veut pas dire que vous êtes neutre en carbone. Une voiture de 2.5 tonnes ça use plus les routes qu’une voiture d’une tonne. Or l’usage d’une voiture d’une tonne à seule fin de déplacer un humain qui pèse beaucoup moins, c’est déjà largement suffisant pour s’offrir un malus écologique.

– Je ne vois pas pourquoi. C’est à peine le poids d’un cheval !

– Un gros cheval alors. Du genre qui tire des rondins. Et s’il fait 2500 kilos c’est qu’il a une trompe !

– Oui ben… est-ce qu’on a emmerdé les bûcherons thaïlandais pour leur bilan carbone ?

–  On aurait peut-être dû car il est légitime que Carbonus calcule votre quote-part dans l’usure des routes. Tout comme il est légitime que Carbonus dégrade la note écologique des voitures selon la taille de leurs pneus ! Des pneus plus larges c’est autant de plastique en plus qui finit dans les champs ou les rivières. Carbonus calcule votre quote-part dans tout, dans la fabrication des éoliennes et des panneaux solaires, dans tout ce qui sert à la fabrication et l’usage de votre voiture, c’est ça qu’il faut comprendre.

– Ce que vous vous ne comprenez pas, c’est que si tout devient électrique, alors il n’y aura plus de problème d’émission de carbone même si je roule dans une voiture de 10 tonnes. Il suffit que tout ce qui sert à la fabrication de ma voiture soit extrait du sol et assemblé avec des engins qui marchent à l’électricité. Il suffit que toutes les usines fonctionnent uniquement avec de l’électricité. Il suffit que tout ce qui sert à la fabrication et l’entretien des routes ne nécessite que de l’électricité.

– Vous voulez parler d’électricité d’origine non fossile j’imagine.

– Encore une fois cela dépend si vous comptez l’uranium dans le lot.

– Ok. A ce point de notre enquête sur votre achat… Est-ce que vous l’avez fait dans l’idée de répondre à une forme d’urgence écologique ou est-ce surtout pour avoir le sentiment d’être en avance sur votre temps ?

– L’urgence c’est de réduire notre empreinte carbone et il me semble que la seule solution c’est le progrès technique. Alors il m’a semblé logique d’acheter ce qui se fait de plus avancé en matière de voiture.

– Mais Carbonus est aussi ce qui fait de mieux dans son domaine et quand il évalue une Peugeot e-208, il donne au pire une note de E-. Pourquoi n’avez-vous pas acheté une voiture moins lourde ?

­– Mais enfin ! Vous n’allez quand même pas me faire croire que le poids est un critère déterminant ! Oui j’ai une voiture de 2 tonnes 5 mais sérieusement, vous avez déjà regardé un train ? Sérieusement ? Si ma voiture pèse plus de 2 tonnes, combien ça pèse un TGV ? 500 ? 1000 tonnes ?

– Excellente fourchette. Etant un peu informé sur le sujet, je peux vous dire que pour un TGV Duplex c’est environ 750 kilos par place assise.

– Ah ! Vous voyez ! Suffit que le TGV soit à moitié vide et qu’on soit deux dans ma e-Lustre et alors le poids par personne devient largement à mon avantage !

– C’est une façon de voir les choses. Évidemment, plus les gens voyagent en voiture individuelle et moins les trains sont pleins. Pour faire tomber définitivement la balance de votre côté, mettez-vous au covoiturage.

– Ah non ! Je veux bien faire des gestes pour la planète mais y a des limites. Le covoiturage c’est trop chiant !

– Je vous ferai remarquer que si dans les TGV on remplace la voiture-bar et les premières classes par des voitures de seconde classe, le poids par place assise tombe à 620 kilos. C’est bien la preuve que le goût d’avoir pour soi des places plus grandes, que ce soit pour poser ses fesses ou garer sa voiture, cela ne peut pas être neutre.

– Peut-être mais moi je ne roule pas à 300 km/h.

– C’est bien là tout l’intérêt d’avoir un logiciel intelligent tel Carbonus. Comment voulez-vous qu’on s’y retrouve dans un tel imbroglio ? Les TGV sont pleins mais roulent trop vite. Les TER roulent moins vite mais manquent de clients. Les voitures à essence crachent directement du CO2, ce qui d’après certains est anecdotique et d’après d’autres catastrophique. Les voitures électriques sont trop lourdes. De toute façon l’électricité est très loin d’être décarbonée. La recherche avance mais plus les véhicules ont des moteurs efficaces au niveau énergétique et plus leur construction et leur usage sont gourmands en autres ressources. Plus il y a de gens qui s’inquiètent de l’état de la planète, moins il y en qui supportent la présence des SUV et plus il y en a qui ont des SUV, même parmi ceux qui s’inquiètent de l’état de la planète et qui ne supportent pas la présence des SUV des autres. En toute logique, plus il y aura de véhicules électriques, plus il faut s’attendre à voir les distances parcourues s’allonger. Et aussi s’attendre à ce que tous ceux qui viennent faire leur bilan carbone auprès d’un logiciel intelligent en contestent les résultats.

– Bien sûr que je conteste les résultats ! Je m’achète une voiture officiellement A++++ et votre Carbonus me la dégrade en H ! Vous parlez d’une arnaque ! Je ne comprends pas pourquoi il s’appelle Carbonus s’il dégrade les notes de toutes les voitures. On serait plus avisé de l’appeler Carmalus.

– C’est pas faux mais il ne faut pas non plus prendre le A++++ comme une valeur de référence. Aucun objet ne peut être noté A++++ et encore moins un objet qui sert au transport. D’abord cette note n’existe pas pour Carbonus. Il commence à A+ car il a justement la capacité de connaître quel est le moyen de transport qui dégage le moins de CO2. A partir de ce point de référence, il étalonne tous les autres moyens de transport.

– Et c’est quoi le moyen de transport le plus écologique ?

– Dans le référentiel de Carbonus, la seule manière d’aller d’un point à un autre avec un bilan carbone à A+, c’est de se balader à poil en marchant doucement pour ne pas respirer trop fort. Donc H ce n’est pas si catastrophique. Si vous aviez une voiture à essence aussi grosse, lourde et technique, vous seriez sans doute à I.

– Ah ben vous parlez d’un progrès ! Une lettre d’écart. C’est nul !

– Qu’est-ce que vous voulez que je vous dise ? On a juste renseigné les informations dont Carbonus avait besoin pour analyser votre e-Lustre.

– Et son bilan carbone à lui. Il l’évalue à combien ?

– C’est marqué là, regardez ! « Le bilan écologique d’une session moyenne Carbonus équivaut à 12373 pets de vaches ! » En roulant 10 km/h moins vite durant quelques temps, vous devriez pouvoir compenser cela rapidement.

– Telle n’est pas mon intention. J’ai même une très grosse envie d’activer le mode sport.

– La e-Lustre Biz a un mode sport ?

– Bien sûr.

– Cela me paraît franchement superflu.

– Pourquoi ?

– Ben c’est un peu comme si on compare la Formule 1 à la Formule E. Désolé mais il manquera toujours un truc.

– Question de goût. Les goûts et les couleurs… Je tenterai de passer dans la rue en partant, je parie que vous allez m’entendre, tout électrique que soit mon moteur.

– Vous êtes garé où ?

– Rue de Savoie.

– Vous auriez dû vous poser au parking quai Romain Roland, non seulement y a des bornes de recharge mais la charge est gratuite.

– Comment ça gratuite ? Pourquoi ce serait gratuit ?

– C’est comme ça. Je ne sais pas combien de temps ça durera mais pour l’heure c’est gratuit.

– Je n’aime pas trop ça. Comme on dit : « Si c’est gratuit c’est toi le produit ! »

– Dans le cas présent, il semblerait que les dindons de la farce soient ceux pour qui ce n’est pas gratuit.

– Y en a pour qui ce n’est pas gratuit ?

– Je veux dire… c’est gratuit pour les voitures électriques mais il n’y pas de pompe à essence gratuite pour les voitures à essence dans ce parking.

– Oui ça je m’en doute… Je trouve quand même ça bizarre.

– Ce n’est pas si bizarre que ça. Il suffit de regarder la société telle qu’elle est et non pas telle qu’on vous dit qu’elle est.

– C’est à dire ?

– Eh bien beaucoup de gens pensent qu’on est dans une économie totalement dirigée par le jeu de l’offre et de la demande. Alors qu’on est très largement dans une économie où les prix sont administrés de manière plus ou moins détournée. Si ce n’était pas le cas il n’y aurait pratiquement pas un panneau solaire sur les toits et encore moins de voitures électriques.

–  Si c’est pour une bonne cause, je ne suis pas contre une certaine forme d’incitation.

–  S’il s’agit d’une bonne cause, en générale la bonne cause du départ est rapidement pervertie. Il y a bien des gens qui doivent leur fortune à ce que la société considère naturellement comme une bonne cause. La lutte contre le changement climatique ne risque pas d’échapper à cet aléa.

– Elle risque surtout d’échouer si des logiciels idiots dégoûtent les gens de faire des efforts en leur donnant de mauvaises notes de manière injustifiée.

– Je vous ai dit que H ce n’était pas une si mauvaise note. En tout cas c’est moins pire que vos bilans écologiques et terriens calculés.

– Non mais ça je m’en fous.

– C’est dommage, cela me semble être tout de même plus intéressant que le bilan carbone.

– Non puisque c’est totalement subjectif.

– Laissez-moi deviner. Vous avez une propriété secondaire au niveau de la mer, vous avez peur d’avoir les pieds dans l’eau ?

– Absolument pas, j’ai un chalet à la montagne.

– Ah oui. Vous craignez de manquer de neige pour le ski.

– Je ne suis pas aussi autocentré sur ma personne que vous ne l’imaginez, voyez-vous ? Je n’ai juste pas envie que mes descendants héritent d’une planète invivable.

 – Dans ce cas, en me mettant à votre place, je suggère que vous léguiez une partie de votre fortune à des scientifiques qui ont carrément la prétention de contrôler le climat.

– Pourquoi ?

– Pour éviter de vous retrouver avec le grenier à blé dans la cave.

– Je ne vous suis pas.

– Quand les historiens cherchent les raisons du déclin d’une civilisation, ils ne manquent pas de vérifier si des causes géologiques ou climatiques sont entrées en jeu dans ce déclin. Or il semblerait que certaines n’ont effectivement pas eu de bol avec la météo.

– Ah oui ? Moi je crois surtout qu’on cherche à voir le passé avec nos lunettes d’aujourd’hui. A tous les coups le climat n’y était pour rien puisque l’humain n’avait pas les moyens de le changer.

– Je suis assez d’accord sur la tendance que vous évoquez mais ce n’est quand même pas qu’une question de lunettes. Si les stalagmites vous indiquent clairement qu’à la fin de l’âge de bronze le pourtour méditerranéen a été en stress hydrique durant des dizaines d’années, la seule manière de le contester c’est d’aller étudier soi-même les stalagmites.

– Eh bien peut-être que contre toute attente, les hommes de l’époque ont fait des conneries suffisamment grandes pour parvenir à changer le climat.

– Ou bien ils ont détourné l’eau destinée à tomber sur les stalagmites pendant qu’on y est.

– Et pourquoi pas ?

– Moi, si on me dit qu’il y a 8000 ans le Sahara était bien plus vert, et c’est ce qu’on me dit, si on me dit qu’il y a 20000 ans toute une partie de l’Europe était recouverte de glace, et c’est ce qu’on me dit, tant que personne de sérieux ne vient contester cela, je le prends pour une information sérieuse.

– Et donc ?

– Et donc, si j’avais un chalet avec vue sur un glacier et que je voudrais bien que ça dure pour mes enfants et les enfants de mes enfants, j’aurais déjà dépassé le moment de la lutte contre les méfaits de l’anthropocène pour m’attaquer à l’inéluctable fâcheuse tendance du climat à jouer les yoyos. Donc je filerais du fric à ceux qui pensent un jour faire la pluie et le beau temps. Pour l’heure il est vrai que c’est un peu un serpent de mer mais avec du pognon certains soulèvent des montagnes, pourquoi pas apprendre à les arroser à notre guise ? Si un jour on arrive à contrôler le climat, j’espère qu’il n’y aura pas trop de monde pour se plaindre qu’on fait tomber de la pluie sur le Sahara au risque de faire disparaître un si splendide désert de sable.

– Vous êtes un plaisantin mais vous ne comprenez pas l’enjeu. Le truc c’est que là le climat change à trop grande vitesse pour qu’on puisse s’adapter et que le responsable de ce changement c’est clairement le CO2. Ce n’est pas parce que certains ont été décimés par des évènements sur lesquels ils n’avaient peut-être pas de prise, qu’on doit se laisser décimer par des événements pour lesquels nous connaissons notre responsabilité.

– Vous pensez vraiment qu’on peut la mesurer cette responsabilité ?

– Ben oui. Il y a des modèles très sophistiqués. Lisez les rapports, vous verrez. S’il était si intelligent, votre Carbonus devrait être en mesure de dire à chacun quel impact son inaction aura sur le changement climatique.

– Au niveau auquel il se situe actuellement, Carbonus ne peut pas modéliser le climat à venir. Peut-être dans une version future améliorée. Concevez tout de même que mesurer la responsabilité de l’homme dans le taux actuel de CO2 est une chose, savoir ce que cet apport de CO2 va changer dans le climat en est une autre.

– Si vous suiviez cette actualité comme je la suis, vous sauriez que les modèles établis dans le passé sont très pertinents pour décrire ce qui se passe actuellement.

– Il se passe quoi ?

– Il fait plus chaud et les glaciers fondent. Inexorablement l’eau va monter. Le cycle de l’eau va se modifier en raison du réchauffement des océans et de la plus grande évaporation. Cela sera nécessairement favorable aux évènements climatiques extrêmes tels les cyclones. Paradoxalement certaines régions du monde, comme l’Europe, pourraient devenir plus froides à certaines saisons en raison de la perturbation du Gulf Stream.

– Et alors ?

– Et alors c’est catastrophique ! Vous voyez bien ce qui se passe non ? Vous voyez bien le nombre de records de températures battus chaque année !

– Pas des records de froid apparemment. Et vous venez de dire que ça pourrait arriver. J’avoue qu’un climat plus froid ça m’emmerderait ! C’est chiant le froid ! On choppe la grippe, y a plein de vieux qui meurent et les routes sont dangereuses. L’hiver c’est nul !

– Et la canicule ? Elle ne fait pas des morts peut-être ?

– Cela dépend de votre portefeuille. Pour le froid aussi vous me direz, mais moins.

 – Comment ça, ça dépend de mon portefeuille ?

– Pas le vôtre ! De manière générale, si on est riche on a quand même moins de chance de mourir de la canicule. Je veux bien que les villes du grand nord soient une destination prometteuse à l’avenir mais depuis qu’on parle de réchauffement climatique, c’est plutôt des villes chaudes qui ont tendance à pousser comme des champignons. Si vous avez plein de fric, vous pouvez construire Dubaï et en faire une destination touristique prisée. Si vous pouviez mobiliser la même débauche de moyens à l’échelle du continent africain, changement climatique ou non, y aurait beaucoup moins de noyés dans la Méditerranée.

– Oula ! Oula ! Vous vous avancer beaucoup là ! Mais mon pauvre ami ! Vous n’avez encore rien vu ! Si la température monte de 4° durant ce siècle, on verra bien qui ira encore à Dubaï !

– Peut-être que d’ici là ils sauront dessaler et pomper massivement l’eau de mer et que la péninsule arabique sera bien plus verte et d’une chaleur moins accablante. A défaut, quand on a du fric, il suffit de pousser la clim !

– Si vous pensez qu’il y aura assez d’énergie pour que 10 milliards d’humains et leurs animaux poussent la clim !

– Ah mais moi je n’en sais rien. J’en suis visiblement moins sûr que vous puisque ce n’est pas moi qui ai l’idée de recharger des batteries avec de l’énergie solaire.

– Solaire ou éolienne, tout ce qui est renouvelable, peu importe.

– On ne peut pas flipper parce qu’on ne voit pas passer un nuage durant des semaines entières et croire en l’énergie solaire. Si c’est une énergie si prometteuse, on aura au moins le loisir de fabriquer du froid grâce à elle pour rester au frais.

– Ah oui ? Encore faut-il que le soleil ne soit pas totalement voilé par un smog de pollution.

– C’est un vrai problème, bien au-delà de l’impact sur les performances des panneaux d’ailleurs. Je doute qu’il puisse être résolu par l’achat de véhicules électriques de haute technologie.

– Et pourquoi pas ?

– Allez vivre en Chine, vous le saurez. Vous ne trouvez pas qu’il y a quelque chose qui cloche dans la promotion d’un mode de transport électrique bien avant qu’on soit en mesure de produire de l’électricité sans se passer de l’apport du pétrole, la source d’énergie qui sert justement aux véhicules qu’on entend remplacer ?

– Eh bien c’est cela un système incitatif vertueux ! Bien sûr pour l’instant on n’a pas les capacités à produire toute notre électricité sans recours au pétrole, au charbon ou au gaz. Mais en obligeant les gens à acheter des voitures électriques, on incite tout un secteur d’activité à investir et développer les énergies renouvelables.

– A ce propos, dès lors qu’on oblige de manière plus ou moins indirecte les gens à ne plus rouler en voiture thermique, ce qui revient à les mettre au rebut prématurément, le mode de transport électrique prend sa quote-part dans le gaspillage de ressources subséquent. C’est logique.

– Mais non ! Je conteste ! A vous entendre ce sont les acheteurs de voitures électriques qui feraient les lois ! Moi je n’ai pas demandé à ce qu’on mette des vignettes autos.

– Vous êtes sûr ? Même pas un petit peu ? Même pas en rêve ? Moi tout ça me laisse perplexe. Ne vous m’éprenez pas sur mon état d’esprit. Je ne fais pas l’apologie des voitures thermiques et je suis tout à fait favorable à ce qu’on laisse un maximum d’hydrocarbures dans le sous-sol. Ils génèrent des pollutions sur les sites de leur extraction, une pollution atmosphérique lors de leur combustion, leurs sous-produits rejettent des déchets toxiques dans les rivières et les campagnes. Ils servent aussi à la fabrication des plastiques dont on fait un usage croissant, y compris pour construire des voitures. Or d’après Carbonus la pollution plastique est l’un des grands fléaux de notre époque. A toujours se focaliser sur le CO2 qu’ils dégagent on en oublierait presque tout cela. A mon avis c’est voulu.

– C’est sans doute parce que vous n’avez pas conscience que la concentration en CO2 à partir de laquelle l’homme ne peut simplement plus respirer n’est pas si haute que ça.

– Ah bon ? On en est à ce point-là ? Effectivement je l’ignorais. Je n’aime pas trop jouer à me faire peur.

 – Toujours est-il que le pétrole produit des gaz à effet de serre. Si vous ne voulez pas comprendre que le réchauffement climatique est l’enjeu majeur, c’est juste le signe que vous êtes en retard d’une bataille.

– Comme je viens de vous le dire, d’après Carbonus, l’enjeu majeur c’est la pollution et l’épuisement des ressources. Vous allez me dire qu’on n’a de toute façon pas le choix d’arrêter de rouler à l’essence puisque l’épuisement des ressources en pétrole arrivera forcément un jour. Mais l’épuisement des ressources ça concerne plein d’autres choses, notamment la quasi-totalité des métaux.

–Mais les métaux c’est tout de même bien moins problématique que l’eau ! Comment vous croyez qu’on va s’en sortir quand on n’aura plus assez d’eau pour nos besoins à cause du réchauffement climatique.

– Vous parlez de l’eau de manière intrinsèque ou de l’eau potable ?

– Mais ça va de pair ! Comment vous croyez qu’on va pouvoir continuer à se nourrir s’il ne pleut plus assez et qu’on n’a pas assez d’eau pour irriguer les champs ?

– Le cas échéant ?

– On n’en est plus à se demander si ça va arriver ou non ! ça va arriver ! C’est même déjà en train d’arriver !

– Si vous le dites… Alors le cas échéant, je dirais qu’on va s’en sortir. Soit en produisant autrement. Soit en mangeant autrement. Soit en émigrant dans des pays qui auront bénéficié du changement climatique.

– Quels pays ?

– Je ne sais pas. Les modèles du GIEC ne disent pas où le réchauffement climatique va permettre d’augmenter les rendements agricoles ?

– Mais non ! Mais bien sûr que non ! Parce qu’il n’y en a pas ! Il n’y aura que des évènements climatiques extrêmes qui ravageront les cultures !

–  Même au Groenland, en Sibérie, au Canada ?

– Mais dans ces régions ce sera encore plus catastrophique ! A cause du dégel des sols, plein de virus vont se propager ! L’humanité devra fuir ces endroits-là !

– Merde alors ! Vous voulez dire que quand la glace s’est retirée du nord de l’Europe et des massifs, toutes ces zones-là sont restées longtemps inhabitables ?

– Ce n’est pas ce que je dis. Seulement la problématique était sans doute très différente quand les humains vivaient en petites communauté éparses. Et c’est peut-être bien en raison de virus en réveil que ces communautés ont mis autant de temps à former une multitude croissant et multipliant. Ne sous-estimez pas le danger ! Vous allez déchanter !

– Je me doute bien que personne n’aurait dans l’idée de le surestimer. Quel intérêt ?

– Décidément, si vous achetez un logiciel capable de mesurer la dose de cynisme dans chaque individu, vous risquez d’obtenir haut la main un A++++. A vous écouter il n’y aurait rien à faire ! Allons-y ! Continuons à envoyer du CO2 dans l’atmosphère et demain des millions de gens auront les pieds dans l’eau à cause de la fonte des glaces.

– De quelle glace parlez-vous ?

– De la glace en général. Si comme moi vous aviez un chalet avec vue sur un glacier, vous auriez clairement vu son évolution en trente ans.

– Oui je me doute que c’est assez susceptible de changer. Vous savez qu’il y a 50 millions d’années, le niveau de l’eau était environ 150 mètres plus haut qu’aujourd’hui ?

– Mais de quoi parlez-vous ? 50 millions d’années ? Là il est question de quelques décennies !

– Oui mais à contrario, il y a 25 000 ans, le niveau des mers était environ 130 mètres plus bas ! Quoique, d’après ce que j’ai compris, ce n’est pas si facile à appréhender car quand la glace se forme sur les continents, certes elle enlève de l’eau aux océans mais en même temps, elle pèse un tel poids sur certaines plaques que celles-ci s’enfoncent dans la croûte terrestre. C’est épatant non ?

– Vous êtes un cynique ! C’est vraiment le terme ! Vous avez des enfants ?

– Non. Et je n’ai pas l’intention d’en avoir.

– Cela ne m’étonne pas.

– En tout cas j’ai des ancêtres et je me dis que 20000 ans ce n’est pas une époque très reculée. 130 mètres plus bas ! Est-ce que c’est mieux que 150 mètres plus haut ? ça fait un gap total de 280 mètres ! C’est une autre paire de manche que se soucier d’une hausse d’un mètre dans le siècle à venir !

– 130 mètres pour des humains qui vivent autour d’un feu de bois et ont des milliers d’années pour déménager le campement, c’est sans doute moins catastrophique qu’un mètre quand des millions de personnes vivent au niveau de la mer.

– Y aura toujours un niveau de la mer, à moins qu’elle ne disparaisse complètement. A part la banqueroute, je ne vois pas ce qui pourrait vous empêcher de troquer votre chalet à la montagne contre une villa avec accès direct à la plage. Seulement faudra prévoir dans l’héritage un pécule pour déménager la baraque si jamais l’eau vient lui ronger les fondations.

–  Contrairement à vous je ne suis pas à me soucier de ma vue sur mer ou sur une mer de glace. Si des villes de la taille de New-York ont les pieds dans l’eau, cela pourrait provoquer des crises économiques majeures. 

– A quelque chose malheur est bon. Pour que l’eau soit un jour 150 mètres plus haut, il a fallu que l’Antarctique, qui n’était pas si éloignée de sa place actuelle, baigne dans un océan à 17°C. Y avait sans doute moyen de planter des patates malgré un hiver noir de près de six mois par an !

– De toute évidence personne n’y a jamais planté quoi que ce soit.

– Ce que je veux dire c’est que si la mer est plus haute, c’est signe d’un climat plus chaud. Il y a moins de terres émergées mais peut-être plus de terres propices à la végétation. A l’inverse si le climat est plus froid, il a des zones prises en glace mais des océans plus bas donc des zones où l’humain peut s’installer. Quelqu’un est capable de dire que l’une de ces conditions était moins propice à l’épanouissement de la vie sur terre que l’autre ? Ou bien doit-on affirmer avec la certitude du GIEC que l’entre-deux dans lequel nous nous situons aujourd’hui est le seul viable ?

– C’est cet entre-deux qui a permis à 8 milliards d’humains de vivre en même temps sur cette planète. Donc oui, sans aucun doute cet entre-deux est des plus profitables à la vie humaine !

– Sans doute mais si rien ne prouve qu’on aurait moins de terres cultivables avec des océans plus hauts et moins de glaces qu’avec des océans plus bas et plus de glaces, est-ce réellement une question de climat ?

– Mais bon sang ! Vous ne voulez pas entendre raison ! Vous voyez bien que plus de chaleur c’est plus d’évènements climatiques qui dévasteront des régions entières et y rendront les cultures et les habitations non viables.

– Je ne sais pas, je n’ai pas regardé le dernier bulletin météo. Ah non ! Que dis-je ? Je n’ai pas regardé le dernier bulletin météo-info-climat ! Vous savez, ici on est payés pour élaborer des narratifs en tous genres, donc, quand on voit un narratif construit, on le reconnaît. Dès lors que personne n’est en mesure de construire une théorie scientifique vraiment solide sur le changement climatique, la solution pour amener un maximum de monde dans la lutte, c’est cela : une piqûre de rappel tous les jours. Et si c’est plusieurs fois par jour, c’est encore mieux. S’il vient une année qui ne bat pas des records de chaleur, ces mêmes personnes vous disent qu’il ne faut pas confondre météo et climat, que ça n’a rien à voir. Mais ils font cet amalgame tous les jours et ils le disent ouvertement en appelant les bulletins météo « Météo-info-climat. » S’il fait chaud en Europe, ce qui, je vous l’accorde, est de plus en plus souvent le cas, on braque les projecteurs sur l’Europe. Si la température passe en-dessous de la moyenne, on dézoome pour trouver les écarts positifs ailleurs ! Et on peint tout en rouge vif pour bien marquer les esprits !

– Mais quel cynique ! Vous voyez une malice qui est peut-être réelle mais elle est nécessaire et à mon sens insuffisante !

– Je ne suis pas cynique. Je refuse juste de ne voir que la face sombre du processus en cours contrairement à ceux qui ne sont jamais contents. Si en dehors de tout impact de l’activité humaine vous vous trouvez dans une période de réchauffement global, alors peu à peu, les glaces fondent et l’eau monte. Mais durant le processus de fonte il y a des fleuves qui charrient des tonnes de choses année après année. Nécessairement certains glaciers finissent par disparaître complètement et dans les vallées en aval, le bouleversement a toutes les chances d’être radical puisque les cours d’eau ne seront plus approvisionnés que par les pluies annuelles. Pluies qui pourront être plus ou moins abondantes en fonction du changement climatique induit par le réchauffement. Une civilisation sans nos connaissances et confrontée à un tel changement pourrait en prendre son parti, donc déménager ou adapter sur place son mode de vie. Ou alors elle pourrait s’en plaindre auprès des Dieux, ce qui peut induire un changement de mode de vie tout aussi radical que le simple fait de vouloir s’adapter techniquement aux nouvelles conditions. Quand on a accumulé la masse de connaissances qui est la nôtre, on ne devrait pas faire comme si la terre avait l’inertie d’une bille de marbre. Personne n’a obligé l'humanité à bâtir telle ville de plusieurs millions d’habitants à un mètre au-dessus du niveau de la mer, telle autre sur une faille sismique géante, telle autre à proximité immédiate d’un volcan en activité.

– Oui mais si on refuse absolument le risque, il ne va pas rester beaucoup d’espace où habiter. En outre le génie de l’homme c’est aussi sa capacité à dominer des espaces incongrus.

– Ce que je veux dire c’est que si on regroupe des centaines de millions de personnes dans des zones qui seraient submergées avec un océan à peine plus haut, au lieu d’imaginer l’impossible pour empêcher l’eau d’envahir ces zones, une civilisation sensée réfléchirait à des solutions de repli. Si vous êtes convaincu qu’un bord de mer est l’endroit le plus agréable pour vivre, que l’eau soit plus haute ou plus basse, il y aura toujours des bords de mer… et toujours potentiellement des tsunamis pour les dévaster. Avec la mentalité qui caractérise notre époque, on ne voit vraiment pas quel climat pourrait nous empêcher de passer notre temps à commenter le temps qu’il fait. En Europe on est inquiet du fait que le changement climatique puisse prolonger la remontée des ouragans jusque sur notre littoral. Mais que font ceux qui les subissent régulièrement depuis des lustres ? Est-ce que les américains du sud-est des USA, humains parmi les plus riches du monde, vous donnent l’impression d’être particulièrement occupés à bâtir des maisons dont la forme et les matériaux les rendent susceptibles d’affronter des vents violents et des pluies diluviennes ? Pas vraiment à ce que j’en sais, les plus à l’abri semblant curieusement ceux qui habitent des immeubles dans des villes souvent directement exposées aux intempéries. Les autres ont des maisons avec souvent peu de construction en dur. Pour la plupart ils sont portés par des habitudes et des possibilités techniques ou financières qui reviennent à faire le pari que, si tornade il y a, il est plus probable qu’elle passe à quelques kilomètres de là qu’au milieu de leur salon. Et c’est statistiquement vrai. Mais si les ouragans venaient à s’y multiplier sous l’effet du réchauffement climatique, peut-être songeront-ils collectivement à considérer une autre façon d’habiter leur territoire. L’humain peut avoir sa responsabilité dans le changement climatique actuel s’il y a une corrélation claire et prévisible entre CO2 et climat…

– Ce dont vous semblez doutez malgré les évidences.

– Peu importe si j’en doute ou si j’ai tort ou raison d’en douter. Ce que je sais c’est que l’ascension de l’Empire romain semble avoir coïncidé avec un climat chaud et humide, puis que celui-ci a été plus froid en Europe avant de redevenir plus chaud du 10 ème au mitant du 14ème siècle, puis qu’il est redevenu plus froid pendant 4 siècles. Si c’est vrai alors cela veut dire qu’il y a eu régulièrement des transitions nettes et marquées en quelques décennies en Europe. Et si le climat européen actuel est plus chaud qu’en 1800, certes cela coïncide avec l’ère industrielle, mais l’ère industrielle aurait tout aussi bien pu naître durant des siècles de climat plutôt froid et d’une certaine façon, si le CO2 joue ce rôle de réchauffement prévisible, il aurait pu compenser le refroidissement au point d’être vu comme une bénédiction plus qu’une calamité.

 – Vous partez dans des raisonnements totalement alambiqués. En plus vous êtes totalement focalisé sur l’occident, comme si le climat n’était pas une affaire globale. 

– Ce n’est pas moi qui suis focalisé sur l’occident. Laissez-moi vous dire que si personne n’avait la moindre crainte sur le Gulf Stream et que le risque le plus probable concernait uniquement des pays bordant l’équateur, peu de monde en Europe se soucierait d’avoir une voiture électrique.

– Ben si. Personne ne souhaite réellement se retrouver envahi par des millions d’africains ou d’asiatiques chassés de chez eux par des bouleversements climatiques. D’une façon ou d’une autre on est tous dans le même bateau.

– Sauf que certains voyagent en première classe et d’autres à fond de cale. Ce qui nous préoccupe avant tout c’est notre économie. Et même à l’échelle d’une entité comme l’Union européenne, il est tout à fait clair que s’il se trouve un pays postulant pour lui un gain économique important grâce au réchauffement climatique, il signerait certains engagements avec moins d’empressement que ne pourrait le faire la France, nation apparemment plus inquiète que la moyenne pour ses réserves hydriques et son potentiel agricole. D’ailleurs, pour vous prouver qu’aucun climat n’est jamais réellement satisfaisant, il suffit d’imaginer les Alpes sans son économie touristique. Si notre seul souci vis-à-vis de ce massif était son potentiel agricole et ses barrages hydrauliques…

– Comparé à la Beauce, le potentiel agricole alpin c’est peanuts. Ses rendements sont des plus médiocres.

– Peu importe. Dès lors que le monde feint de s’inquiéter de pénuries alimentaires mondiales en cas de réchauffement climatique, tout territoire sur lequel il est possible de faire des cultures ou d’élever des animaux devrait avoir son importance. Vous ne pouvez pas prétendre qu’on risque de mourir de faim et en même temps affirmer que des territoires sur lesquels l’activité principale a été longtemps l’agriculture ne comptent pas dans la balance.

– Oui, oui, bon. Et alors ?

– Alors voilà. Vous prenez l’état des glaciers alpins à un instant T, disons à une époque où le sentiment de changement climatique était faible. En raison de l’alternance de siècles plus chauds et de siècles plus froids comme je viens de l’évoquer, vous n’allez trouver personne pour vous parler de la fonte irrémédiable des glaciers. Il y a quelques décennies, dans la mémoire des peuples alpins, les glaciers pouvaient paraître avoir toujours occupé plus ou moins les mêmes ères puisqu’il n’y a pas eu dans les deux derniers millénaires un mouvement irrémédiable de recul ou d’avancée des glaciers. Et pourtant, ceux qui ont vécu à la fin du 13ème siècle, après 400 ans d’un climat estimé plutôt chaud, avait peut-être dans l’idée que les glaciers étaient en voie de disparition si leur aïeux les avaient connus plus vastes. Mais 400 ans plus tard c’était peut-être l’inverse. Certains pouvant estimer que les glaciers devenaient de plus en plus menaçants. Si depuis la fin du dernier petit âge glaciaire, donc depuis 17 000 ans environ, les glaciers n’avaient jamais cessé de reculer, sans jamais regagner le moindre mètre, alors il paraît assez clair que ce phénomène serait connu et intégré mentalement dans la mémoire collective depuis des générations. Dans un tel cas les glaciers ne pourraient cesser de fondre qu’à partir du moment où la terre basculerait vers un nouvel intermédiaire glaciaire. Et puisque que depuis 17 000 ans les glaciers alpins sont passés de l’état d’un énorme bloc de plusieurs centaines de mètres d’épaisseur à des glaciers résiduels épars, tant que la terre se réchauffe et qu’on ne bascule pas vers un nouvel intermédiaire glaciaire, la tendance doit être à la disparition totale de ces glaciers. Plaçons-nous au moment où cette disparition est sur le point d’advenir pour de nombreux glaciers résiduels. A quelque chose près ce moment pourrait bien être celui que nous vivons actuellement, n’est-ce pas ?

– De ce que je peux observer de mon chalet, je ne dénierais pas.

 – Donc… si vous aviez la capacité de dévier la plupart des cours d’eau pour alimenter des barrages hydrauliques, vous auriez divers cas de figure. Une année où les glaciers sont stables, l’eau accumulable dans les barrages représente à peu près le niveau de pluviométrie de l’année, nonobstant l’eau qui s’infiltre en profondeur. Une année où les glaciers reculent, l’eau accumulable représente la fonte des glaciers plus la pluviométrie de l’année ; si les glaciers avancent, alors une part des précipitations de l’année n’arrive pas dans les barrages, la pluie a été transformée en glace. Mais dans une ère chaude qui conduit à la disparition inexorable de nombreux glaciers, il est évident que les barrages reçoivent en moyenne plus d’eau qu’il n’en tombe annuellement. A supposer que la pluviométrie moyenne ne soit pas trop modifiée d’une décennie à l’autre, on comprend bien le problème d’un système humain visant à exploiter les ressources hydriques pour faire de l’électricité ou contrôler l’irrigation des cultures : il va nécessairement perdre de son potentiel à mesure que les glaciers perdent en surface. La fonte des glaciers permet de compenser les années peu pluvieuses, s’il n’y a plus de glaciers, peu importe que le climat continue à se réchauffer ou non, vous allez vous trouver confrontés aux caprices du temps. La variabilité de la pluviométrie d’une année sur l’autre pourra toujours être grande même quand le climat ne semble pas beaucoup se modifier à travers les décennies.

– Où voulez-vous en venir ?

– Ce que je veux dire c’est que l’homme met en place des systèmes qui sont intrinsèquement voués à lui donner de l’insatisfaction. Dans mon exemple on pourrait supposer qu’une fois les glaciers disparus, la pluviométrie moyenne puisse compenser le manque d’eau, ou au contraire qu’une plus faible pluviométrie aggrave la situation, selon la manière dont le climat change. Mais dans une ère de climat chaud durant des millénaires, des glaciers peuvent bien disparaître même s’il n’y a pas de changement climatique notable d’un siècle à l’autre. Dans ce cas, si vous faites des barrages pour contrôler une production électrique, votre ambition est d’utiliser un maximum d’eau mais en modulant cet usage aux moments où vous avez le plus besoin de produire de l’électricité. Globalement vous n’allez pas vous satisfaire d’une époque où l’eau devient moins abondante s’il n’y a plus de glaciers pour remplir vos barrages. Certaines années où la sécheresse sévit, votre production d’électricité va devenir très faible. Ce manque de contrôle est très insatisfaisant pour une économie industrielle. Mais si vous aviez conçu des barrages, non pas pour faire de l’électricité mais dans l’idée d’accumuler de l’eau durant les années pluvieuses pour compenser le manque d’eau des années de sécheresse, vous jugeriez peut-être votre système tout à fait pertinent face à ce que vous percevez comme un changement climatique. Or les barrages ont souvent été conçus pour s’intégrer dans un système hydroélectrique. A mesure que les glaciers deviennent moins étendus et libèrent moins d’eau, leur efficacité dépend de plus en plus de la pluviométrie annuelle. Mais supposons que l’activité humaine ait provoqué un refroidissement climatique suffisant pour que les glaciers se remettent à grossir, ne serait-ce que temporairement et ce, sans qu’il y ait eu plus de chutes de neige sur les massifs ! Que dirait-on ? Eh bien on râlerait ! On dirait : « Ces fichus glaciers retiennent l’eau dont on a besoin pour alimenter nos barrages hydroélectriques ! » On ne peut pas être durablement contents dès lors qu’on construit des systèmes qui sont optimaux dans un environnement dont on sait qu’il ne peut pas être stable. L’humain a acquis une somme de connaissances totalement inouïe et à peine imaginables il y a un siècle en arrière, et pourtant il faut se rendre à l’évidence, il habite le monde de manière souvent absurde, comme si cette somme de connaissances ne servait qu’à surélever son égo.

– Et comment voudriez-vous qu’on vive ?

– Je n’en sais rien mais le mouvement de panique actuel me paraît peu efficace en axant tout sur le changement climatique sans comprendre que s’il est réellement avéré…

– Mais bien sûr qu’il l’est ! Arrêtez avec ça ! Le climato-scepticisme ça devient pénible à la longue !

– Admettons. Est-ce qu’on a le droit de ne pas être climato-sceptique tout en pensant que les prévisions de climat futur ne sont que des modèles ?

– Jusqu’à présent les modèles semblent réellement coller avec la réalité. Vous auriez tort de vous laisser enfumer par les climato-sceptiques, ce n’est vraiment pas la peine. Le travail de confrontation a déjà été fait par une foultitude de scientifiques indépendant et plus calés que vous et moi sur le sujet. Il y a 30 ans il y avait peut-être 95% de climato-sceptiques et 5% de lanceurs d’alertes, maintenant il reste peut-être 5% d’indécrottables climato-sceptiques enfermés dans leur donjon mais je suppose qu’on peut oublier l’existence de ce donjon sans risquer d’offenser la science. Sur ce sujet précis du climat je pense que la messe est dite.

– Longtemps, en entendant « GIEC », je pensais « Groupement indépendant ». J’ignore pourquoi. Mais le I est bien le I de « intergouvernemental ». Donc c’est une affaire 100% liée à la politique du monde néolibéral. Moi ça ne me dérange pas que ce monde-là s’inquiète de ce qu’il perçoit comme une menace, je suis totalement immergé dedans et j’espère qu’il perdurera. Mais il n’y a aucune chance qu’il produise des solutions qui représenteraient une autre forme de menace pour lui, c’est à dire le changement de nature du système. En outre je pense que personne n’est en mesure de dire ce que le changement climatique induira en termes de capacité de la terre à produire des vivres, chose la plus critique pour l’humanité. Si on se concentre sur notre environnement le plus immédiat, la seule chose dont on peut être certain, c’est que si un jour les glaciers alpins ont totalement disparu, alors on devra se contenter de vivre avec la pluie qui tombe. Il apparaît assez clair que dans ce cas, ce qui nous semblr problématique, c’est l’éventualité d’une grande baisse des précipitations moyennes plutôt que l’inverse. On craint surtout de manquer d’eau.

– Ce qu’on craint, et ce qui ne manquera pas d’arriver, ce sont des épisodes de pluie moins nombreux et plus violents, tout ce qui est nuisible à l’agriculture. C’est ça le futur si on ne fait rien : un climat erratique et destructeur. Peu importe que le climat soit en mouvement constant. Dès lors qu’on sait que notre activité accélère le changement de telle sorte qu’on n’aura jamais le temps de s’adapter, on n’a pas le droit de rester les bras croisés. Nous sommes entrés dans l’ère de l’anthropocène, ce changement provoqué par l’homme n’a aucune comparaison possible avec le temps passé. Évidemment c’est sans doute moins pire que d’avoir une météorite géante qui s’écrase au milieu d’un troupeau de dinosaures mais c’est débile de penser qu’il faudrait laisser aller les choses sous prétexte qu’il existe aussi des cataclysmes d’origines naturelle !    

– Peut-être mais d’après Carbonus, vous êtes loin du compte concernant votre bilan carbone. Alors vous allez faire quoi ?

– Je conteste ce que dit votre logiciel ! En tout cas moi j’agis ! Si on parlait de votre bilan carbone plutôt que du mien, pour changer !

– Non mais moi je m’en fous de mon bilan carbone.

– Vous m’en direz tant ! Il doit être beau à voir !

– Faut comparer ce qui est comparable. Si vous voulez me comparer à un orphelin errant dans un bidonville du tiers-monde, c’est sûr que j’ai un sale bilan carbone.

– Je vous compare aux français qui se soucient du bilan carbone et qui font en sorte qu’on sorte de l’ère carbonée ! On n’y arrivera jamais avec des gens comme vous qui voulez rester avec vos voitures à essence !

– Je n’ai pas de voiture. En fait, j’ai probablement un bon bilan carbone même si je m’en fous. J’ai la phobie des transports. Je fais presque tout à vélo sauf quand on m’oblige. Autant dire que je ne vais généralement pas très loin. D’ailleurs j’ai rarement le besoin d’aller loin, j’habite place Bellecour. Un très bel appartement, je ne me plains pas.

– Et votre bilan terrien, il l’évalue comment votre Carbonus ?

– Pas terrible j’imagine. Mais si je cherchais à l’améliorer, j’ai peur de devoir devenir anticapitaliste. Je préfère me dire que tout va continuer à aller bien.

– Comment ça aller bien ? Mais ça ne va pas bien du tout ! Si on n’arrête pas d’émettre du carbone, on risque l’effondrement ! Il faut agir ! Vous n’avez pas le droit de baisser les bras ! Si vous ne le faites pas pour les enfants que vous n’avez pas, faites-le pour les enfants des autres !

– Moi je trouve que ça va plutôt pas mal. J’ai une vie très agréable. Certes je travaille beaucoup mais j’adore mon travail.

– Mais on s’en fout de vous ! C’est de la planète dont il s’agit ! En plus d’être cynique, vous êtes nihiliste !

– Pas du tout, je suis réaliste. Si j’en crois cette intelligence artificielle, pour avoir un bon bilan terrien il faudrait que je change radicalement de mode de vie. Je n’en ai aucunement l’intention !

– Mais pas du tout ! Pas du tout ! Il faut croire en la science ! Le progrès est là pour solutionner plein de problèmes. Mais il faut lui donner sa chance au progrès ! Il faut mettre en place les bonnes incitations financières ! Il faut y aller bon sang ! Il faut subventionner massivement les éoliennes, les panneaux solaires ! Il faut couper l’herbe sous le pied des producteurs de pétrole sauf pour la production de plastique puisqu’on ne va tout de même pas vivre sans plastique.

– Surtout que risqueriez de vous retrouver au chômage.

– Possiblement mais ce n’est pas de mon avenir dont il s’agit. Je suis assez bien placé pour savoir que les producteurs de pétrole financent ces sites climato-sceptiques pour continuer à laisser croire que le réchauffement n’est pas le fait de l’homme !

– Ils financent tout !

– Quoi ?

– Je dis que les producteurs de pétrole financent tout ! Le futur leur appartient puisque de toute façon, que vous ayez une voiture à essence ou électrique, le pétrole va continuer à sortir massivement de terre dans les années à venir. Si le CO2 est déclaré plus grand danger, ça les arrangent aussi, ils financent les projets visant à capter le CO2 dans l’atmosphère. Enfin… quand je dis « ils financent », ça ne veut pas dire qu’ils vont se priver pour capter les subventions avant de capter le CO2. Vous savez, nous on a Carbonus, mais c’est assez anecdotique dans notre activité. Il nous assure de ne pas être ringardisés par la concurrence. Notre boulot c’est de donner des conseils en tout. Actuellement il y a une très forte demande en matière d’écologie. Vous comprenez que si je me réfère à Carbonus, même si je ne suis pas tenu de croire personnellement aux conseils que je donne, c’est un peu gênant d’avoir une intelligence artificielle qui vous rappelle sans cesse que c’est réellement du green-washing. Un conseil en écologie prend différentes formes selon la position de départ de la personne ou l’entreprise qui cherche conseil. On a des entreprises qui ont conscience que leur activité est désastreuse pour l’environnement mais ont besoin d’arguments marketing pour laisser croire au grand public qu’elles agissent. Leur volonté est d’abord de sauvegarder leur modèle économique et leurs bénéfices à court-terme. A contrario il y a des entreprises qui pensent réellement agir plus en faveur de l’environnement, en général elles ont un passif écologique moins désastreux que les premières, donc elles ont une idée de la vertu un poil différent. Vous qui pensez que je suis cynique, je vous laisse imaginer à quel genre d’individus je dois donner des conseils de green-washing. Avant de m’être frotté à Carbonus, lorsque je programmais des rendez-vous avec des entreprises aillant vraiment dans l’idée de devenir plus vertueuses, je me levais de bonne humeur puisque de manière générale j’épousais leur point de vue. Depuis que Carbonus m’a vraiment fait prendre conscience que le gros de mes conseils en matière d’écologie étaient du green-washing, je préfère mes rendez-vous avec de vrais cyniques. Ils sont détestables mais c’est beaucoup plus simple.

– Je ne sais pas comment vous faites.

– J’essaye de me motiver par le bénéfice que j’en tire. J’ai un collègue très brillant qu’on a coutume d’appeler « Petit Génie ». Dans son dos le patron l’appelle plutôt « Petit-génie-l’écolo-bobo-chiant » mais il est surtout devenu chiant dans le travail par son refus de donner des conseils à certaines personnes ou entreprises. C’est arrivé il y a deux ans quand le député Loulou Léonard est venu chercher conseil pour sa réélection. Même si la réciproque est vraie, contre toute attente Léonard semble avoir eu une certaine influence sur Petit Génie. C’est limite s’il ne se prend pas pour son attaché parlementaire. C’est tout bénéfice pour moi car j’ai récupéré la plupart des dossiers de green-washing que Petit Génie refuse désormais. Je vous assure que quand c’est du vert fluo badigeonné sur du noir profond, les commissions sont des plus intéressantes. C’est simple, j’ai doublé mon salaire déjà très confortable avant cela.

– A votre place je n’en serais pas fier ! Vous me dites ça, c’est facile, mais allez le dire devant une assemblée de jeunes à qui vous compromettez l’avenir en portant conseil à des pourris qui préfèrent, tout comme vous, gagner de l’argent plutôt que sauver la planète !

– Je ne risque pas grand-chose, les jeunes dont vous parlez ont tous une main collée au bitume quand ils ne l’ont pas carrément coulée dans le béton pour attirer l’attention sur le fait qu’à cause de moi, ils n’ont pas d’avenir. Quant aux autres, s’ils ne sont pas complètement idiots et qu’ils continuent à mener la vie qu’ils mènent, alors ils sont aussi responsables que moi de l’assombrissement de leur avenir. Quand on fait du green-washing, on tire quand même de sacrées grosses ficelles, comme par exemple faire des pubs pour des bagnoles qui affichent des A++++ ! J’avoue qu’il va devenir assez difficile de vendre des parts de cerveaux disponibles si les gens n’ont plus du tout de cerveau. Si tout d’un coup vous pensez que les océans suffoquent, que les continents brûlent, que l’eau monte, que tout cela s’aggrave en suivant à peu près les mêmes courbes que ce qu’on appelle le progrès scientifique, lui-même célébré comme l’œuvre magnifiée du néolibéralisme triomphant, alors la seule conclusion que vous devriez en tirer c’est qu’il faut changer de système ! En réalité, toute personne qui croit en un tel bilan alarmiste devrait faire l’apologie de la décroissance ! L’extraction pétrolière est assez désastreuse mais que dire des autres ? C’est bien souvent pire ! On ne peut pas toujours se contenter d’injecter de l’eau pour faire remonter une nappe d’hydrocarbures ! On fait des trous de partout et on brasse des tonnes et des tonnes de matériaux terrestres, toujours plus que l’année d’avant. Et pour quel résultat ? Certes on retire toujours plus de ressources du sous-sol que l’année d’avant mais toujours moins par mètre cube de terre ou de roche défoncé à la pelle mécanique ou à la foreuse géante. Si vous vous intéressez à ces courbes-là vous allez vous rendre compte qu’elles sont autrement plus parlantes que celles du réchauffement climatique. Je ne sais pas comment vous faire comprendre ça mais à mon sens le vrai combat il est là ! Les rendements vont s’amenuisant pour la plupart des métaux dont on a besoin et la demande mondiale explose. Et vous, face à ce constat déplorable, la première chose que vous pensez faire pour sauver la planète c’est fourguer votre vieille bagnole au rebut au lieu de la réparer pour la remplacer par un modèle de technologie high tech, donc un truc qui demande de brasser en amont des tonnes de matériau terrestre. Si j’avais l’intention de devenir écolo comme vous, je ferais l’apologie de la décroissance !

– Sérieusement ? Vous croyez à cette idiotie vous ?

– C’est pire que ça ! Je me force à oublier que j’y crois ! Comment voulez-vous que je vive si je n’oublie pas que j’y crois ? Autant à mon avis, en ce qui concerne le réchauffement climatique, la situation est moins pire que ce que le narratif médiatique veut laisser croire, autant sur d’autres points, comme la pollution en général et la pollution issue de la pétrochimie en particulier, comme la pression exercée sur les écosystèmes par le secteur minier, c ’est l’inverse. Mais cela n’a guère d’importance car je suis comme le gros de la population, jeunesse comprise. J’aimerais bien me persuader que la planète est encore pleine de ressources mais, à défaut, je préfère que les efforts à faire pour éviter que les choses n’arrivent à un point dramatique soient portés par d’autres. Si les choses empirent réellement pour un nombre important de personnes dans le monde, j’aurai encore l’espoir que rien ne changera pour moi, ou même que j’en tirerai profit. Et la jeunesse elle est comme moi, d’ailleurs je suis encore très jeune. Si je n’avais pas peur de prendre l’avion, je rêverais comme les autres, de voler d’un festival de musique à l’autre, d’aller voir une finale de Champions League à l’autre bout de l’Europe. Combien, parmi ceux qui ont la possibilité de le faire, se l’interdisent au nom de leur bilan carbone ? Combien de jeunes s’interdisent certains achats par pure considérations écologiques ? Pas des masses à mon avis. Rendez-vous à l’évidence, à l’exception de rares pays restés confrontés à l’extrême pauvreté, sur tous les continents de la terre ceux qui ont vingt ans en 2023 ont, à cet âge, des bilans écologiques et terriens bien pires que toutes les générations précédentes. C’est beaucoup moins de leur faute que celle de leurs parents et beaucoup moins la faute de leurs parents que celle de ce qu’on appelle le progrès économique et technique. Ce progrès nous a donné de grandes facilités matérielles. Même ceux pour qui ces facilités matérielles s’accompagnent de toutes sortes de difficultés, autant physiques que psychologiques, ne sont guère disposés à renoncer à ces facilités matérielles. Bien au contraire, ils se plaignent d’être en difficultés matérielles, gênés qu’ils sont d’avoir une voiture moins chiadée que le voisin, de ne pas pouvoir acheter à leur enfant la même paire de baskets que l’enfant du voisin, la même console de jeu, le même téléphone portable, le même PC de gamer. Il est vrai que de plus en plus, c’est l’Etat lui-même qui vous interdit de vivre sans certaines choses matérielles, sans quoi vous n’êtes plus réellement un citoyen à part entière.

– Mais qui parle de renoncer aux choses matérielles ? La décroissance est une théorie fumeuse germée dans la tête de bobos qui vivent très confortablement et ne veulent pas donner une chance aux autres d’accéder à leur niveau de confort. L’avenir c’est la recherche qui va permettre de porter le recyclage des matériaux à un point encore inimaginable aujourd’hui. Je pourrais vous faire tout un exposé à ce sujet puisque c’est mon domaine ! C’est très très prometteur vous savez ?

– J’imagine que votre e-Lustre est déjà à la pointe en ce domaine et que c’est pour cela que vous l’avez achetée. Ou bien elle finira concassée en un cube composé de centaines de composés différents. Le jour venu il sera intéressant de plonger un tel cube dans une piscine olympique où l’on empêcherait l’eau de s’évaporer, juste histoire de voir qui ose encore en boire un verre après quelques années d’infusion.

– Ah cynisme quand tu nous tiens ! Arrêtez un peu ! Sans vouloir m’avancer, je ne crois pas qu’on concassera jamais une e-Lustre. Je ne dis pas qu’elles ont été conçues dans le but d’un recyclage intégral mais elles seront largement recyclées. Et la génération d’après le sera encore plus ! Grâce au progrès, dans quelques décennies, l’impact de l’industrie sur la planète sera presque neutre !

– Vous y croyez vraiment ?

– Parfaitement ! A condition que des gens cyniques, rétrogrades et égoïstes ne mettent pas des bâtons dans les roues de ceux qui veulent faire avancer les choses.

– Pourvu que vous ayez raison ! Vraisemblablement non mais pourvu que vous ayez raison ! Je ne trahirai pas un secret professionnel en vous parlant de Darty puisque cette entreprise travaille avec un autre cabinet de conseil. Je ne sais pas si vous avez pu voir la campagne publicitaire qui vise à faire passer Darty pour une entreprise vertueuse et à la pointe de la lutte pour la réparation des objets plutôt que leur remplacement. Bien sûr la plupart des gens qui ont vu cette pub ne savent pas que Darty a été particulièrement engagé dans un autre combat, celui qui vise à empêcher l’extension automatique des garanties à cinq ans. Avec une garantie automatique de cinq ans plutôt que deux ans, vous allez empêcher la mise sur le marché de millions d’objets conçus pour tomber en panne rapidement. Bien sûr cela aurait un coût, notamment pour les gens qui ont peu de moyens mais veulent avoir tout, tout de suite. Ils seront obligés d’acheter des objets de meilleure qualité, donc plus chers.  De son côté Darty veut bien que vos objets cassés soient réparés, mais à condition que vous payez cher pour l’extension de la garantie. Tout ceux qui pensent qu’avec un peu de chance, ils tomberont sur un objet qui tient quelques années au-delà de la garantie de deux ans, se contentent de cette garantie. Comme une bonne partie de ces objets ne tiennent pas cinq ans, ceux qui n’ont plus de garantie préfèrent presque toujours racheter du neuf puisque le neuf coûte généralement moins cher que la tentative de trouver l’origine de la panne et un dépanneur apte à se procurer les pièces à changer. En plus, s’il s’est écoulé trois ou quatre ans, les gens se disent qu’en rachetant du neuf, ils auront un objet remis au goût du jour et profiteront de toutes les dernières innovations, aussi futiles soient-elles. La quête du profit combinée à l’appétence des humains pour la nouveauté, ça nous mène au monde tel qu’il est.

– Oui mais c’était dans le monde de l’opulence ! Les choses vont radicalement changer dans les années à venir car la jeunesse d’aujourd’hui a très bien compris les enjeux pour garder une planète vivable ! Soyez sûr que ceux qui ont 15 ans aujourd’hui n’envisageront jamais d’acheter une voiture thermique, ça leur paraîtra totalement égoïste. Ils achèteront une voiture électrique dont toutes les pièces seront faciles à changer.

– Permettez-moi d’en douter. Cela va même au-delà du doute. En tout cas, si j’avais 15 ans aujourd’hui et qu’on ne m’avait pas déjà totalement convaincu qu’il faut rouler en voiture électrique pour sauver la planète, je pense que j’envisagerais de m’investir dans d’autres combats.

– Lesquels par exemple ?

– Par exemple… Bon. Si le mouvement pour la décroissance est trop contraignant pour attirer grand-monde, essayons de chercher une menace en mesure de provoquer une crise existentielle chez la jeunesse d’aujourd’hui. Il faut trouver quelque chose qui fasse aussi flipper que du rouge vif sur une carte météo ou un incendie de forêt dans les Ardennes. Je ne sais pas ce qui peut effrayer la jeunesse à ce point-là. Peut-être, par compassion envers la jeunesse ukrainienne, la perspective de voir un missile dégringoler du ciel. Oui voilà ! Si j’avais 15 ans aujourd’hui je m’investirais dans le mouvement pour la paix à travers le monde.

– De quel mouvement parlez-vous ?

– Du mouvement pour la paix à travers le monde. Je ne connais pas son nom exact mais j’imagine qu’il doit attirer beaucoup de jeunes. Peut-être que tout cela n’est pas sans lien avec le changement climatique d’ailleurs. On entend beaucoup dire qu’à cause du changement climatique des populations africaines sont poussées à se déplacer, ce qui participe à alimenter des conflits armés. Alors peut-être que le désastre centrafricain est lié au changement climatique, s’il n’est pas du ressort de la politique, de l’économie et du religieux. Peut-être que la guerre en Syrie est liée au changement climatique, si elle n'est pas du ressort de la politique et de l’économie et du religieux. Peut-être que le drame des Palestiniens est lié au changement climatique, s’il. n'est pas du ressort de la politique et de l’économie et du religieux. Peut-être que les conflits au Congo sont liés au changement climatique, s’ils ne sont pas du ressort de la politique, de l’économie et de l’extraction minière. Peut-être que sans le changement climatique la Russie n'aurait pas attaqué l’Ukraine. Peut-être que sans le changement climatique les budgets militaires des américains et des chinois, sans même parler des européens, ne grimperaient pas en flèche. Peut-être que sans le changement climatique à Taïwan on n’envisageait pas cette île comme épicentre de la troisième guerre mondiale. Peut-être que sans le changement climatique les saoudiens et les émiratis ne croiraient pas utile d’avoir plus de blindés par habitant que bien des pays n’ont de médecins par tête de pipe. Peut-être que sans le changement climatique on ne verrait pas fleurir les salons de l’armement. Et donc, sans le changement climatique, on ne verrait pas à quel point l’imagination des ingénieurs est encore bien plus extraordinaire lorsqu’il est question de trouver les moyens d’anéantir des humains réfractaires à certaines volontés de puissance que de construire des voitures soi-disant écologiques. J’en viens à me demander si sans le changement climatique on ne serait pas beaucoup moins en avance d’un point de vue technologique, vu toutes les guerres qu’il provoque et vu à quel point ça force l’humanité à réfléchir aux moyens de les gagner. Finalement, sans le changement climatique on n’aurait pas besoin de voir la jeunesse s’engager dans le mouvement pour la paix. C’est peut-être pour ça qu’aussi peu de jeunes ne semblent effrayés par la perspective de la guerre alors qu’il est si facile de les angoisser en leur donnant des records de températures. C’est parce qu’il n’y aura pas de guerres si on parvient à garder un climat vivable en roulant électrique.

– Si vous étiez autre chose qu’un cynique vous auriez pris l’exemple de pays proches du désert plutôt que des pays tropicaux ! Peut-être bien qu’au Niger ou au Soudan, le changement climatique est à la source des conflits.

– Possible. PIB trop faibles pour que ça intéresse quelqu’un.

– Ah mais vous n’êtes pas payable vous ! En attendant la France est de plus en plus pleine d’africains ! Et n’allez pas le nier en me sortant des statistiques foireuses produites par des gauchistes ! Il suffit de lever les yeux pour voir que la France n’est plus vraiment la France ! C’est bien la preuve que ça nous impacte aussi ! Remarquez que je ne suis pas raciste, on ne peut pas leur en vouloir de chercher refuge chez nous si le changement climatique les chasse de chez eux. Mais ça pose énormément de problèmes de société. Ça ne pose que des problèmes d’ailleurs ! C’est insupportable !

– C’est juste. Sans le changement climatique il n’y aurait pas de candidats africains à l’émigration. Sachant que toute notre jeunesse ambitionne de tenir les postes de plongeurs payés à coup de lance-pierre dans les restaurants, les africains fraîchement débarqués brisent vraiment leur rêve en faisant du dumping social.

 – Vous êtes fatigant, vraiment ! Et j’ai beau me dire que votre machine finira par vous remplacer, elle m’a encore plus fatigué que vous, c’est dire !

– Ma machine ? Vous parlez de Carbonus ? Ola ! Faut pas vous inquiéter pour moi ! Le monde se divise en trois catégories : les gagnants, les perdants, et ceux qui hésitent encore. A priori cette machine et ses semblables vont aider ceux qui hésitent encore à comprendre ce que ça coûte ne pas être sûr de soi. C’est une machine à creuser les inégalités sociales, il suffit de se trouver du bon côté du trou. Tant que le système tient debout, vous et moi, on devrait s’en sortir.

– En ce qui me concerne j’ai moins de doutes que pour vous.

– Verrons-nous. Pour revenir au sujet du jour, vous avez déjà des panneaux solaires ?

– Non. Avec ma femme on y a déjà réfléchi mais il y avait des travaux prioritaires. Et la piscine à creuser.

– Très bien. Le jour venu vous devriez revenir nous voir. Nous sommes en mesure de vous obtenir des subventions supérieures à tout ce que vous pourrez espérer si vous agissez seul.

– Même une fois déduite votre commission ?

– Même une fois déduite notre commission.

– Ce n’est pas tombé dans l’oreille d’un sourd.

– A la bonne heure ! 

»

Je vous passe les politesses d’usage qui mirent fin à cet entretien pour mieux vous chaluer à mon tour.

Ah ben chalut !

Darwin.

2 juillet 2023

Le Manifeste.

Lyon 30 juin 2023

Chalut !

 

La mode et la modernité me valent quelques désagréments mais aussi de chavantes discussions comme vous allez pouvoir le constater à travers ce long résumé d’une de mes interactions avec les chats, chiens et oiseaux que je fréquente.

Depuis quelques temps les pigeons ont une nouvelle marotte qui les fait beaucoup rigoler. Le plus souvent ils arrivent en petit groupe ou en nombre, sans qu’on les ait conviés, se posent sur une cheminée à proximité de l’endroit où je me trouve (souvent en compagnie de Grabel), disent bonjour, ou pas, et attendent de chavoir de quoi il retourne avant de se mêler à l’éventuelle conversation. Mais depuis quelques temps, cela a changé. Ils ont dû se donner le mot en pensant que j’allais finir par m’énerver mais pour l’instant, je fais mine de rien quand ils débarquent à l’improviste et brisent le silence d’une séance de paupiérisation ou interrompent une discussion de cette manière :

– Chat GPT ! Quand a été construit l’Hôtel de ville ?

Ou :

 – Chat GPT ! Combien de plumes a un pigeon ?

Ou bien :

– Chat GPT ! Combien de pigeons sont assassinés chaque jour par un chat ?

Ou encore :

– Chat GPT ! GPT !

– Quoi ?

– GPT !

Bref, c’est infini. Ils me posent des milliers de questions, auxquelles, pour la plupart, je ne sais évidemment pas répondre. Et le but semble justement de s’assurer que j’y réponde le moins souvent possible. Quand la question est tout à fait saugrenue, cha les fait simplement rire, quand la question est plus académique, telle une question sur l’histoire de Lyon, ils n’espèrent qu’une chose : que je ne connaisse pas la réponse. Et dans ce cas, bien sûr, ils sortent une phrase pour laquelle je suppose qu’ils se sont concertés : « Et nous qui croyions que tu étais chavant ! »

Tout cela est un peu fatigant à la longue, mais nous avons toujours le loisir de faire une pause en restant enfermés dans l’appartement de Grabelot, chachant que la fée Odette interdit à tous les oiseaux d’y entrer, à l’exception de George dont les talents dactylographiques nous sont particulièrement utiles.

Et puis, dernièrement, Kazelof, le gros chien des voisins, nous a permis de retourner un peu la situation en mettant en panique les pigeons. Tout cha est advenu grâce à un nouveau venu dans l’appartement : Robby le chien. Robby est un chien mais d’un genre un peu particulier, pas assez vivant pour être considéré comme un vrai chien mais trop vivant au goût de Kazelof.

– Ils veulent me remplacer par un robot ! Vous vous rendez compte ?

– S’ils voulaient te remplacer, ils t’auraient déjà fait piquer.

– Alors pourquoi ils ont acheté ce truc ?

– Peut-être pour te tenir compagnie.

– Il ne me tient pas du tout compagnie, c’est un vrai con ! Il se la pète en plus ; il parle 200 langues !

– Même le chien ?

– Pas vraiment. Il aboie un genre de chien-yaourt quand mes humains le mettent en mode surveillance.

– Ce n’est pas toi qui fais la surveillance ?

– Quelle surveillance ? La porte est blindée et sous alarme. Mais ce connard de Robby braille dès qu’il y a quelqu’un dans la cage d’escalier.

– A mon avis ils l’ont acheté justement parce que tu ne le faisais pas. Ils ont l’air très portés sur la sécurité tes humains, quand même.

– Ils l’ont acheté parce qu’ils ne m’aiment plus !

– Faut pas dire ça.

– Mais c’est la vérité. Ils ne me demandent même plus de leur apporter leurs chaussons ou le journal, ils le demandent à Robby ! Il me prend mon boulot nom d’un chat !

– Il sait apporter le journal ?

– Mieux que ça, il apporte le café ! Et il touille le sucre !

– Faut que t’apprennes à apporter le café.

– J’ai essayé ! Non seulement je me suis brûlé la truffe mais en plus je me suis fait engueulé pour en avoir foutu partout. Je suis dépassé, voilà tout. Qu’est-ce que je vais devenir ?

– Tant qu’ils ne t’emmènent pas chez le véto, je ne vois pas pourquoi tu t’en fais. T’es nourri-logé et tu n’as plus rien à faire, où est le problème ?

– S’ils m’emmènent chez le véto ça veut dire que...

– Que potentiellement ils veulent en finir avec toi.

– Mais ne me dites pas ça nom d’un chat ! J’y vais au moins une fois l’an chez le véto moi ! Quelle angoisse !

– J’ai une solution ! a dit biscuit. Tu n’as qu’à devenir un chien de gouttière.

– Un chien de gouttière ?

– Ben oui. Tu ne saurais pas sauter de ton balcon jusqu’ici ?

– Bien sûr que non ! Tu m’as pris pour un chat ? De toute façon je ne vais pas vivre sur le toit. Je ne suis pas un chien sauvage ! Je ne veux pas vivre sans mes humains !

– Eh bien tant pis pour toi. Il faut croire que les humains n’auront bientôt plus besoin des chiens. Et pour nous les pigeons, ce n’est pas plus mal, ça fait moins de danger dans la rue.

– Qu’est-ce que vous croyez les pigeons ? Qu’il n’y aura pas demain des robots pigeons ?

– Nous n’apportons pas le journal aux humains figure-toi ! Et donc personne ne nous battra à ce jeu puisque nous n’y jouons pas.

– Vous dites ça parce que vous ne savez pas comment fonctionnent les humains. Réfléchissez un peu ! Pourquoi les humains vous tolèrent ?

– Parce qu’on est de superbes oiseaux et que certains humains n’aiment rien mieux que nous jeter du pain ou du grain.

– Alors les humains fabriqueront des pigeons de toutes les couleurs, encore plus beaux que vous. Des pigeons qui seront capables de voler la tête en bas et qui feront des films en 3D. Des pigeons qui seront capables de livrer à haute vitesse des messages physiques pour les gens qui ont peur d’être espionnés par les ondes. Et en plus ces pigeons-là picoreront le grain à une vitesse inégalée, cela plaira beaucoup aux amateurs de pigeons car les humains n’aiment rien mieux que la compétition et les records.

– Darwin ? Tu crois que c’est vrai ce que dit Kazelof ?

J’ai immédiatement compris que semer le doute dans la tête des pigeons allait nous être très profitable, ou du moins distrayant.

 – Indéniablement ! Le robot-pigeon espion-voyageur me semble devoir voir le jour d’ici peu. En outre les humains sont pétris de paradoxes. Ils disent vouloir plus de vie dans les villes mais en même temps ils pensent que les animaux font trop de dégâts, surtout vous les pigeons. Donc, s’ils peuvent avoir des robots-pigeons qui ressemblent comme deux gouttes d’eau à des pigeons en plumes et en os, et qui en plus rendent des services postaux, ce qui à la base était votre boulot, tas de fainéants, leur choix sera vite fait.

– Tas de fainéants ? Elle est bien bonne celle-là ! Surtout venant d’un chat.

– Quoi qu’il en soit les humains remplaceront bientôt tous les oiseaux par des robots. La plupart des humains ne font pas vraiment attention aux oiseaux, c’est leur absence qui les perturbe. Donc il suffira qu’il y ait des choses qui volent dans le ciel en braillant comme des hirondelles ou des mouettes, et les humains penseront que tout est en ordre. En plus ils auront l’assurance de ne pas voir leur pare-brise maculé de fientes, ce qui les irrite particulièrement. Grâce à l’intelligence artificielle les humains auront tous les avantages de la nature sans ses inconvénients.

 – Mais… Mais qu’est-ce qu’on va devenir nous ?

– Ben… rien. Vous allez disparaître, voilà tout !

– Comment ça disparaître ? Puisqu’on est là !

– Vous ne serez plus là quand ils vous auront tous tués. Ce sera très rapide vous savez. Quand ils ont dans le pif une espèce invasive, les humains font preuve d’une très grande efficacité.

– Nous ne sommes pas une espèce invasive !

–  Bien sûr que si. Cela me rappelle l’histoire de vos cousins.

– Nos cousins ? Quels cousins ?

– Les pigeons migrateurs d’Amérique du Nord. Au début du XIXème siècle vos cousins étaient estimés à plusieurs milliards d’individus.

– Plusieurs milliards ?

– Parfaitement. Et ils s’envolaient presque tous d’un seul élan pour faire leur parcours migratoire. Imaginez ce que cha donne, plusieurs milliards de pigeons dans le ciel et qui chient partout. Avant l’arrivée des occidentaux, les occupants humains des lieux s’en accommodaient car ils n’étaient pas aussi maladivement portés sur l’agriculture et avaient, d’une manière ou d’une autre, trouvé le moyen de ne pas croître et se multiplier comme les adeptes de Jésus le Christ ou comme des lapins.

– Ou comme les chats.

– Ou comme les pigeons migrateurs visiblement. Mais ce qui compte c’est que, quand un esprit occidental arrive sur un lopin de terre, il dit d’emblée : « Ce lopin de terre et à moi, rien qu’à moi, à personne d’autre, j’en ai l’usage et l’usufruit, tout ce qui y pousse vient de mon dur labeur, et je n’accepte pas que des nuées d’oiseaux migrateurs viennent saccager ce labeur ! ». Voilà comment les ennuis ont commencé pour les pigeons migrateurs.

– Comment ?

– Comme je vous ai dit. Les humains se sont mis à les dégommer ! Ils faisaient des concours de chasse entre paysans. Un bon tireur était à lui seul réputé en tuer plusieurs milliers par an, parfois plusieurs dizaines de milliers.

– Mais c’est dégueulasse !

– Peut-être, mais les humains estimaient encore plus dégueulasse une espèce qui se déplace à plusieurs milliards en parasites qui abîment tout sur leur passage. Plusieurs milliards ! Ce n’est pas rien quand même ! Mais grâce à la chasse des humains, peu à peu les essaims de pigeons migrateurs sont devenus moins denses. Et puis, sur leur lancée, les humains se sont dit que les pigeons n’avaient aucun intérêt et qu’il n’était pas plus mal de les tuer tous jusqu’au dernier. Et c’est ce qu’ils ont fait. En moins de 100 ans, de plusieurs milliards la population des pigeons migrateurs est passée à zéro ! Sacrée performance non ?

– Salaud que tu es Darwin ! De célébrer ainsi le massacre de nos cousins d’Amérique !

– Eh quoi ? Ce n’est pas moi qui les ai tués quand même ! Et ce n’est pas moi qui vais vous tuer tous pour vous remplacer par des robots. D’abord parce que j’ai fini par m’habituer à vous et surtout parce que la fée Odette me l’interdit. Mais je ne vois pas comment elle pourra interdire aux humains de mener leur sinistre projet à votre endroit.

– Parce que tu penses qu’ils n’ont pas le même projet pour vous, les chats ?

– Malheureusement je crois bien que non. a dit Biscotte. Si les humains nous remplacent grâce à l’intelligence artificielle, je pense que les chats peuvent vivre sereinement. Je ne vois pas qui pourrait se targuer d’être intelligent et faire des trucs de chats.

– Tiens donc. Tu peux préciser le fond de ta pensée ?

– Parfaitement. Si un robot est intelligent, je ne vois pas qu’est-ce qui pourrait le pousser à sauter directement dans le sapin de Noël pour voir ce que ça fait, à se rouler en boule dans un bocal, à dormir avachi au sommet d’une porte qui va finir par se refermer, à faire des parcours dans les faux-plafond jusqu’à ce qu’il n’y ait plus de faux-plafond… Bref, si les humains aiment vivre à vos côtés justement parce que vous faites des choses débiles, il n’y a aucune raison de penser qu’ils aient envie de vous remplacer par une chose intelligente.

– J’en suis fort aise. Pas toi Grabel ?

– Ma foi… C’est dommage que la fée Odette ne nous autorise pas à faire tout cha d’ailleurs.

– Dis-moi Darwin !

– Oui Aïcha ?

– Si les pigeons migrateurs d’Amérique sont les cousins des pigeons de Lyon, est-ce que l’oncle Sam est le père des pigeons migrateurs d’Amérique ?

– Euh… non. Judicieuse remarque mais non.

– D’accord.

– Au lieu d’être cons et cyniques, les chats, vous feriez mieux de nous aider !

– A quoi ?

– Eh bien à nous faire entendre des humains. Tu prétends être chavant Darwin ! Alors tu dois nous aider pour les convaincre de ne pas nous remplacer par des robots.

– Vous prenez les choses de manière vraiment trop personnelle. Avant de vous remplacer par des robots, les humains veulent se remplacer eux-mêmes par des robots. Ils veulent que tout ce qu’ils pensent et font soit pensé et fait de manière plus efficiente par des robots. Dans ces conditions je ne vois pas trop comment on pourrait les intéresser à votre cas.

– Notre cas ! Notre cas à tous Darwin ! On s’en fout que les humains veulent tous se changer en robot ! Nous ce qu’on veut c’est qu’ils ne nous remplacent pas par des robots ! C’est quand même à nous d’en décider non ?

– Le problème c’est qu’en dehors d’une minorité de psychopathes, les humains ne cherchent pas à se changer directement en robot. Si un humain trouve qu’un objet lui évite de nombreux efforts, il adopte naturellement cet objet. Il commence à se poser des questions le jour où cet objet devient assez performant pour lui ôter visiblement son gagne-pain, c’est à dire au point où il perd son emploi en se demandant s’il va pouvoir en retrouver un autre. S’il perd son boulot, il perd sa capacité à acheter des objets lui évitant de nombreux efforts, même si l’État lui versera quelques subsides pour continuer à faire de lui un acheteur d’objets évitant des efforts, à condition qu’il fasse l’effort de chercher du travail tous les jours ou qu’il accepte de livrer des pizzas en trottinette tant que les pizzas ne sont pas toutes livrées par des drones. Et plus les objets se perfectionnent, jusqu’au point où ils sont qualifiés de robots intelligents, moins il y a d’humains capables de comprendre comment ils sont fabriqués ou comment les perfectionner encore plus. Ceux qui en sont capables se sentent d’autant plus utiles à l’humanité et investis de grandes missions, la moindre d’entre elles n’étant pas celle d’amasser un maximum d’argent sur des comptes dans des paradis fiscaux pour se protéger d’on ne sait quelle menace encore plus grande que le fait d’être remplacés par des robots. Ceux qui n’en sont pas capables sont inquiets de se sentir incapables mais aussi satisfaits d’avoir de plus en plus de choses en faisant de moins en moins d’efforts. Je dirais donc que la plupart des humains se laisse porter par la vague et si on voulait aller contre cha, ce serait comme vouloir vider l’océan avec une petite cuillère. Je ne sais même pas tenir une petite cuillère d’ailleurs.

– On ne te demande pas de tenir une petite cuillère mais de faire un pattuscrit !

– Quel genre de pattuscrit ?

– Tu dois écrire un texte à destination des humains. Cela s’appellera : « Le Manifeste des Animés non-humains sur la Robotique ».

– Ah bon ? Et qu’est-ce qu’il doit y avoir dans ce manifeste ?

– Mais c’est à toi d’y réfléchir nom d’un chat ! Tu es chavant, oui ou non ?

– Bien sûr que je suis chavant.

– Si les humains n’arrivent pas à s’entendre pour mettre en place des lois sur la robotique capables de protéger la race humaine, les autres animés sont en droit de se protéger des desseins de la race humaine concernant la robotique. Alors ? Tu es d’accord ?

– Pour ?

– Écrire ce manifeste.

– Si cha peut vous faire plaisir.

– Ce n’est pas une question de plaisir mais de vie ou de mort !

– Bon. Bon. OK ! Je veux bien essayer d’écrire votre manifeste.

Voilà comment j’ai été obligé de réfléchir à cette histoire.

Quelques jours plus tard je me suis retrouvé sur le toit du très grand-bloc. Ce n’est pas tant Kazelof que je cherchai à fuir en faisant cette réunion sur un autre bloc que le nôtre mais cet emmerdeur de Philémon, lui qui aurait fatalement rendu ma lecture encore plus difficile puisqu’il donne son avis encore plus souvent que les pigeons. Je fis néanmoins la lecture du manifeste devant un bel auditoire de chats, pigeons et mouettes et autres moineaux.

 – Bon ben, voilà, cha ch’appelle : « Le Manifeste des Animés non-humains sur la Robotique. » L’idée est de Biscotte, pas de moi.

– Excellente idée Biscotte.

– Y aurait moyen qu’on n’entre pas directement dans des bavardages inutiles ?

– C’est à dire ?

– Est-ce que je peux lire le manifeste sans être interrompu ?

– Cela dépend de ce qu’il y a dedans.

– Justement, vous le saurez quand j’aurai fini de le lire. Alors j’y vais : « Attendu d’une part que les humains étalonnent les progrès de la robotique sur…

– Quoi ?

– Quoi  « Quoi » ?

– Tu commences par une phrase qui n’a pas de sens : « Attendu que blablabla ».

– C’est une formule juridique. Vous voulez que je change ?

– Sans vouloir abuser.

– Bon. « Considérant d’une part que les humains étalonnent les progrès de la robotique sur les progrès des robots ayant forme humaine, considérant d’autre part que, par ce fait, ils manifestent ouvertement le désir de dépasser leur condition d’animés faits de chair, d’os et de sang, ce, en prenant le risque d’être dépassés, individuellement, voire collectivement, par des formes d’intelligence minérale, tous les êtres animés faits de chair, d’os et de sang…

–  Et de plumes !

–  Et de plumes… d’écailles et je ne sais quoi… je continue : « tous les êtres animés sont en droit de se sentir menacés par les évolutions de la robotique humaine. Il en va ainsi des chiens quand, dans leur foyer commun, leurs humains introduisent une mécanique sophistiquée ayant l’apparence d’un chien et faisant à la fois office de chien mais également de majordome, encore que peu de majordomes humains aient réponse à tout comme a réponse à tout le chien mécanique Robby, actuellement disponible pour la modique somme de 499 euros 90 sur Zonzon, la plateforme qui vous offre les frais de port si vous souscrivez un compte Prémiaoum. Quelle vie demain sera une vie de chien si, chassé du pré carré des humains, il est relégué au rang de chien de la casse, à veiller sur un tas de ferraille dans l’attente anxieuse de son remplacement par un chien mécanique plus dangereux que Robby, assermenté par les plus hautes autorités, pour exiger, aux humains leurs papiers, aux autres animés leur droit de venir et d’aller ? En faisant des robots domestiques et des robots policiers ayant l’apparence de chiens, les humains laissent entendre que la communauté des chiens n’est faite que d’individus serviles ou méchants, ce qui, entre nous, n’est pas faux, mais pas très fair-play non plus. En conséquence, la loi des animés non-humains relative à la robotique des animés humains commande, qu’à l’avenir, aucun robot n’ait l’apparence d’un animé terrestre à l’exception des animés humains qui ont manifestement l’intention de se remplacer eux-mêmes par des robots. Dès lors, seront seuls autorisés les robots bipèdes à forme humanoïde, ce qui exclut de facto les robots bipèdes en forme d’autruche, de kangourou ou de marmotte aux aguets. Aucun robot volant ne devra imiter un battement d’ailes par l’évidence même qu’à travers les communautés d’insectes, d’oiseaux et mammifères volants, tous les types de battements d’ailes sont déjà en usage et donc non libres de droits pour la robotique. Aucun robot ne devra ricaner comme une mouette, hurler comme une hirondelle, s’ébrouer comme un clébard mouillé, galoper comme un cheval, picorer comme un pigeon, puer comme un putois, ramasser de l’or dans les rivières comme un cormoran, prêcher pour sa paroisse comme une corneille, voler des frites en terrasse comme un moineau, glisser comme une limace, sauter comme une sauterelle, singer un singe, grandir comme une girafe, philosopher comme une araignée, ou paupiériser comme un chat. »

– J’aurais dit : « Glander comme un chat ».

– Laisse-moi finir ! « Conséquemment, s’exposeront à des remontrances, des avertissements, voire même des sanctions financières, les humains ingénieux qui imaginent des robots mimant de près ou de loin l’élégance, la mouvance et le mode de vie des animés non-humains ! »

– Mais qu’est-ce que c’est que ces sanctions ? La peine de mort oui ! Voilà ce qu’il faut réclamer !

– La peine de mort ? Rien que cha ? Il ne faut pas exagérer ! Ils ne font que leur travail !

– Comment ça « que leur travail » ? S’ils se rendent coupables de crimes contre l’animalité, je ne vois pas pourquoi ils ne risqueraient pas la peine capitale ! Le pire criminel doit connaître le pire châtiment !

– Ah ben si c’est cha ! On n’a qu’à les torturer avant de les tuer pendant qu’on y est !

– Exactement ! Comme les chats avec les souris !

– Comment pourront-ils être jugés coupables s’ils n’ont même pas conscience de ce qu’ils font !

– Mais qu’est-ce que tu racontes ? Ils ont parfaitement conscience de ce qu’ils font !

– Ce que je veux dire c’est qu’ils ne pensent pas à mal ! Si vous interrogez un très grand scientifique à la pointe de la robotique et que vous lui demandez s’il se rend compte que, ce qu’il est en train de créer pourrait signifier demain une grande menace pour la vie de ses propres descendants, il éludera le plus souvent la question en disant : « J’essaye de ne pas trop y penser ! »

– Ah oui ? Ah oui ? Eh ben c’est scandaleux comme réaction ! Et c’est justement la raison pour laquelle ces humains-là doivent être mis devant leurs responsabilités et surtout sous une sacrée énorme épée de Damoclès et non pas des remontrances et des avertissements !

– Bon d’accord. Si vous voulez je changerai ce passage-là. Et pour le reste ? Vous validez le Manifeste ?

– C’est fini ?

–  Ben oui. Le Manifeste dit qu’il n’y aura plus de robots marchant à quatre pattes ou battant des ailes, c’est tout à fait suffisant pour nous mettre à l’abri d’être remplacés par des robots. Les humains devront se contenter de robots bipèdes à forme humanoïdes ou bien des robots roulants ou volant mais sans battre des ailes.

– Comme des drones ?

– Oui. Mais des drones qui ne ressembleront pas à des insectes ou des oiseaux. Vous savez tous que dans l’univers parallèle il y a des drones-mouches.

– Est-ce que dans l’univers parallèle il y a des mouches ?

– Je ne me souviens pas de message sur la tablette infernale nous parlant de l’existence ou non des mouches.

– S’il y a des hirondelles, alors il y a sûrement des mouches, sinon, de quoi se nourriraient les hirondelles ?

– De drones-mouches ! Si ça se trouve les drones-mouches ont été créés par les humains de l’univers parallèle juste pour nourrir les hirondelles.

– J’en doute. Ou alors cela voudrait dire que les hirondelles sont en fait des drones-hirondelles. Si cha se trouve les drones-hirondelles ont été créés pour chasser les drones-mouches. Ce serait même assez logique puisque les drones-mouches sont des drones-espions qui se faufilent partout en toute discrétion. Sans doute que ceux qui ne veulent pas être espionnés ont inventé des drones-hirondelles pour se débarrasser des drones-mouches.

– Dans ce cas, rien ne dit qu’il n’existe pas des mouches à côté des drones-mouches. C’est même le contraire qui serait étonnant, les drones-mouches sont efficaces parce qu’ils se font passer pour des mouches. S’il n’y a plus de mouches, tout humain qui voit une mouche sait qu’il s’agit d’un drone-mouche espion ; et donc, il va adapter son attitude pour induire en erreur le drone-mouche espion.

– Et qu’est-ce qui se passe si une hirondelle avale un drone-mouche en pensant avaler une mouche ?

– Olala ! Si le drone-mouche fait tout son possible pour sortir de l’hirondelle, elle risque de passer un sale quart d’heure !

– D’après ce que nous venons d’étudier, il est donc possible de voir un robot en forme d’animé non-humain cohabiter avec l’animé non-humain de cette forme. C’est donc la preuve que l’on s’inquiète sans doute sans raison et que nous n’allons pas être remplacés par des robots.

– Dans l’univers parallèle il y a aussi des humains et des robots humanoïdes mais pour de nombreux humains ça n’a pas l’air facile de vivre dans un monde de robots humanoïdes.

– On s’en fout ! Ce qu’il faudrait savoir c’est comment vivent les pigeons dans l’univers parallèle !

– Et ça va nous avancer à quoi ? Rien ne dit que ce qui se passe dans l’univers parallèle va se passer ici.

– Sûrement que si, si l’univers est juste en avance sur notre univers.

– La fée Odette pense qu’on ne reçoit que les messages d’un univers parallèle parmi des milliers d’univers parallèles.

– Elle n’a pas dit cha !

– Si.

– Elle a dit des millions !

– Milliers, millions, qu’est-ce que ça change ? On ne comprend déjà pas grand-chose aux messages qu’on reçoit d’un seul univers parallèle.

– Je dis cha parce que la fée Odette pense qu’il faut imaginer l’avenir selon l’imagination des humains.

– C’est-à-dire ?

– D’après Odette, tout ce que les humains sont en mesure d’imaginer, ils finiront par le créer. C’est cha qu’ils appellent la science-fiction. La science-fiction c’est la science qu’ils n’ont pas encore mise en application mais seulement imaginée. Sauf que Darwin n’est pas d’accord avec cha. Hein Darwin ?

– Je ne t’ai pas dit que je n’étais pas d’accord avec cha, je t’ai dit que je n’étais pas entièrement d’accord, c’est très différent. Incontestablement il arrive assez souvent que des humains théorisent l’existence de quelque chose, puis cherchent dans la réalité une preuve de l’existence de cette chose, et finissent par la trouver. Ce qui est vrai pour la science fondamentale peut bien l’être pour la science-fiction.

– Ce qui nous intéresse c’est de chavoir en quoi tu n’es pas d’accord avec elle.

–  Ne pas être d’accord avec la fée Odette, cha ne m’apporte que des ennuis. Alors je ne lui dis pas.

– Oui mais à nous, tu peux nous le dire.

– Si je vous dis ma propre théorie, vous allez la lui répéter.

– Nous ? Pourquoi on ferait ça ?

– Parce que vous n’êtes que des cons de pigeons.

– OK, OK, si tu veux. Nous ce qu’on pense c’est que la fée Odette a sûrement raison de penser ce qu’elle pense et que ta théorie ne vaut rien, véritable raison pour laquelle tu souhaites la garder pour toi.

– Je ne l’ai pas gardée pour moi puisque je l’ai expliquée à Grabel. Il n’a qu’à vous l’expliquer si cha vous intéresse tant que cha.

– C’est-à-dire que je ne sais pas si j’ai tout bien compris. Comment cha ch’appelle déjà ?

– Quoi ? Ma théorie ou celle de la fée Odette ?

– La fée Odette a une théorie ?

– Mais oui ! Ce que tu disais à l’instant à propos de la science et de la science-fiction, chose que tu n’as pas comprise non plus apparemment. Du moins tu n’as pas compris que selon Odette, le futur n’est pas seulement conditionné par l’imagination des humains, la réciproque est vraie aussi !

– La réciproque ? Quelle réciproque ?

– Je vais vous donner un exemple. Sachez qu’il y a une saga de science-fiction qui s’appelle Star Wars.

– Oui ben ça va ! On connaît !

– Soit. Dans cette saga il est question de voyages à travers une galaxie. Donc, selon les explications de Grabel, le voyage à travers la galaxie va devenir réalité du fait que les humains ont été capables de l’imaginer. Mais quand je dis que c’est réciproque, cela signifie que les humains n’ont pas soudainement imaginé le voyage à travers une galaxie, ils ont d’abord appris l’existence des galaxies. L’imagination des humains qui donne les œuvres de science-fiction à moins à voir avec tout ce que l’humain peut être en mesure d’imaginer qu’avec ce qu’il imagine à partir de la science qu’il a déjà acquise. Et c’est bien cela qu’Odette a tenté de nous expliquer mais que Grabel n’a pas très bien compris.

– J’avais très bien compris, c’est juste que j’ai voulu faire court.

– Alors tu comprendras que mon opposition à la théorie d’Odette est assez relative. Ce que je conteste c’est l’idée que la science-fiction imaginée par les humains puisse nous donner une idée du futur des animés terrestres. En fait, c’est peut-être vrai mais si c’est vrai, ce ne peut être que partiellement vrai à cause de ma propre théorie que j’appelle : « La théorie des futurs incompatibles ».

– Nous y voilà ! Écoutez cha tas d’emplumés !

– Reprenons l’exemple de la saga Star Wars. Dans cette saga nous trouvons des animés humanoïdes mais également tout un tas d’autres animés qui sont à peu près leurs égaux. Le créateur de la saga, un certain George Lucas, a donc imaginé un monde futuriste, dans lequel des humanoïdes, ayant la parfaite apparence de terriens, voyagent dangereusement vite grâce à des routes tracées dans ce qu’on nomme l’hyperespace, ce qui leur permet de passer très rapidement d’un bout à l’autre de la galaxie. Mais dans ce monde futuriste, il y a aussi bien des robots que des animés ayant les mêmes aptitudes que les humanoïdes et qui ont plus sûrement des sortes de têtes de chiens ou de chats mal racés que des têtes d’humains. Cela signifie que George Lucas a créé un univers dans lequel l’intelligence supérieure est très bien répartie à travers la galaxie. Quand on pense que nous, animés terriens, sommes encore en train de nous demander si nous sommes seuls dans l’univers, la réponse de George Lucas est sans équivoque.

– Bien sûr qu’on n’est pas seuls dans l’univers ! On n’est même pas seuls sur la terre puisque les extraterrestres sont déjà là ! Vous le savez très bien !

– Oui bon… c’est pas le sujet, là, Aïcha ! Maintenant comparons Star Wars au film le mieux à propos concernant le sujet qui nous intéresse : Matrix. Dans ce film l’intelligence artificielle a réussi à dominer la plupart des humains de manière très intelligente, elle les fait vivre dans des sortes d’œufs et a branché leur cerveau sur la Matrice, un univers virtuel dans lequel chaque humain croit être physiquement et vit sa vie très naturellement. Aussi génial soit-il, le scénario repose sur l’idée que les machines intelligentes auraient besoin d’élever et conserver les humains pour leur chaleur et leur énergie électrique, ce qui ressemble plus à un Deus Ex-machina qu’à une chose ayant une chance d’arriver.

– Un quoi ?

– Laisse tomber ! En outre, dans l’univers virtuel les humains vivent une vie qui ressemble largement à la vie humaine contemporaine. Actuellement les gens qui se mettent des casques de réalité virtuelle sur le crâne ne le font pas forcément pour se projeter dans leur bureau de travail. Si j’étais une machine visant à asservir les humains sans les tuer, j’imagine que je ne me casserais pas la tête à reproduire un univers réaliste, je les ferais vivre dans un genre de Candy Crush ou Mario Kart, ou même simplement dans un photomaton, la plupart s’en contenterait.

– Quelqu’un est d’accord pour penser comme moi que Darwin est parti pour nous embrouiller ? Ne commence pas à partir dans tous les sens !

– Ce que j’essaye de vous faire comprendre c’est que ce film est à la fois un excellent exemple du danger de l’intelligence artificielle tout en étant peu susceptible de représenter un futur possible.

– Quel rapport avec ta théorie des futurs incompatibles ?

– Eh bien tout d’abord vous comprenez bien que si les machines parviennent à dominer les humains, les humains ne partiront pas dans des voyages à travers la galaxie et ne rencontreront pas des espèces extraterrestres aussi intelligentes qu’eux, ou plus intelligentes, et donc tout l’univers de Star Wars ne concernera pas les humains.

– Oui mais enfin… ce n’est pas là l’intérêt scientifique de Star Wars, il me semble. Ce qui compte c’est de savoir s’il est possible de tracer des routes dans l’hyperespace.

– Comment les humains le sauront si leur développement est arrêté par la domination des machines ? Dis-nous Biscotte ?

– Eh bien les machines découvriront ces routes et voyageront à travers.

– Dans quel but ?

– Mais je n’en sais rien ? Comment pourrait-on prévoir le but d’une intelligence artificielle ? Peut-être que son but ultime sera justement de trouver une planète dominée par les pigeons pour vivre à leurs côtés. En plus ton concept n’est pas tout à fait juste car si les humains se rebellent et arrivent à reprendre le dessus sur les machines, ils pourront reprendre le cours de leur histoire et se lancer dans un univers ressemblant à Star Wars. En plus ils seront avertis de faire plus attention à la manière dont il faut utiliser l’intelligence artificielle. A mon avis Matrix n’est pas incompatible avec Star Wars.

– Si tu veux aller sur ce terrain-là, allons-y ! La plupart des films de science-fiction, et je n’ai même pas d’exemple du contraire en tête, traitent d’un univers où des humanoïdes sont au centre du jeu. Il n’est pas nécessaire de mentionner la planète terre pour intéresser les humains à un film de science-fiction mais il est nécessaire de leur laisser croire qu’il montre un futur possible pour eux ou des animés qui leur ressemblent physiquement ou ont les mêmes états d’âme. Et c’est bien le cas dans Matrix. Mais si les machines dominent, ce qui semble prouver qu’elles sont plus intelligentes que les humains, les humains ont du mal à imaginer un monde où ils seraient à l’image des chiens et des chats. Les humains aiment beaucoup les chiens et les chats car ils se disent « leurs maîtres ». Comme ils aiment aussi dominer d’autres espèces sans les aimer vraiment, voire mettre d’autres humains en position de domination ou d’esclavage, ils savent très bien, et depuis longtemps, qu’il vaut mieux vivre en maître. Le seul maître qu’ils tolèrent collectivement, c’est Dieu. Dieu est très utile à certains humains pour dominer les autres humains mais il va de soi qu’il ne pourra jamais prétendre les dominer tous. Certains films de science-fiction ont imaginé des extraterrestres capables de prouver à l’humain qu’il est possible de vivre sans rapport de domination. Mais globalement ils préfèrent se dire qu’ils vont nécessairement avoir affaire avec des vilains qu’il faudra combattre. S’il n’y a pas d’extraterrestres, il y a des machines qu’ils ont eux-mêmes créées et qui prennent le pouvoir. Cela pourrait être des machines qui font des choses comme eux, se croyant à la fois toutes puissantes mais tolérant, et parfois aimant, les humains et les autres animés. Si par exemple une machine pensait avoir besoin d’un terrain où vivent des humains, elle pourrait dire simplement : « J’ai besoin de ce terrain donc vous allez ailleurs ! ». Une telle offense serait insupportable pour l’humanité en général alors que c’est ce qu’elle fait tout le temps aux autres animés et même ce que font plein d’humains à d’autres humains sous couvert de progrès ou de concurrence libre et non-faussée. Alors, les humains qui font ou regardent de la science-fiction pensent, que si les machines prennent le pouvoir, ce sera forcément la guerre entre l’humanité et les machines. Si actuellement une espèce animée déclare la guerre aux humains, les humains ne feront pas de quartier et l’autre espèce disparaîtra. Je pense que c’est exactement ce qui se passerait si une civilisation de machines ayant dépassé l’humain se voyait menacée par lui. Elle ne se contenterait pas de le mettre en position d’esclave ou de garde-manger, elle l’effacerait de la surface de la terre.

– C’est toi qui le dis. Les guerres que se font les humains prouvent bien que ce n’est jamais facile de gagner une guerre.

– Certaines ont été faciles à gagner. Les européens ont dominé facilement toute une partie du monde simplement parce qu’ils avaient acquis un avantage technologique et étaient des êtres malicieux, ignobles, violents et sans scrupules. Mais si tu prends deux groupes d’humains assez conséquents, tu ne trouveras pas de différence d’intelligence moyenne entre eux, que ce soit en Eurasie, en Afrique ou en Amérique. Avec les moyens de communications actuels, les secrets des avantages technologiques sont plus difficiles à garder pour soi. Les américains perdent des guerres quand ils les font avec l’esprit des conquistadors alors que c’est une époque révolue. S’ils avaient décidé de simplement raser l’Irak ou l’Afghanistan sous un tapi de bombes, plutôt qu’en essayant d’y installer des gouvernements à leur botte, leur impression de réussite aurait été bien supérieure. Mais même les américains ne peuvent pas faire tout ce qu’ils veulent, car plusieurs pays ont des armements qui font suffisamment peur au pays le mieux armé pour que ce dernier ne pousse pas trop son avantage. En outre les américains n’ont jamais eu en tête de se débarrasser d’une partie de l’humanité mais de vivre confortablement en la faisant travailler pour eux. En langage diplomatique cha ch’appelle « le commerce ». Si une intelligence artificielle, devenue plus intelligente que l’humain, décidait d’elle-même que la présence de l’humain sur terre est superflue, ou bien se voyait déclarer la guerre par les humains, l’humanité sera aussi démunie face à cette intelligence que nous le sommes face à l’humanité.

– C’est toi qui le dis.

– Oui je le dis. Et je dis aussi que si les chiens robots sont les prémices de la domination de l’intelligence artificielle, alors il faut faire ami-ami avec eux. Ma théorie des futurs incompatibles s’appuie sur l’idée qu’il y a des chemins sans retour. Dans Matrix il subsiste une partie de l’humanité qui n’est pas soumise et peut organiser la résistance. Cela permet d’envisager comme Biscotte que l’humanité pourra toujours reprendre son destin en mains même si elle est dominée par une intelligence supérieure. Moi je pense que c’est très peu probable. L’humanité a fait des progrès considérables, jusqu’au point d’être en mesure de développer une intelligence artificielle, et sans même avoir eu besoin de progresser beaucoup intellectuellement. C’est la croissance du nombre d’humains sur la terre, l’accumulation collective de connaissances et la possibilité d’avoir de plus en plus de gens faisant de la recherche scientifique qui provoque toutes ces innovations. Il faut néanmoins chavoir de quoi on parle. Si l’intelligence artificielle n’est qu’une puissance de calcul phénoménale, alors elle ne s’en prendra à l’humain que parce que certains humains auront décidé de s’en servir pour dominer d’autres humains. Si l’intelligence artificielle est quelque chose qui se met à penser par elle-même et à accomplir ses propres desseins, tout dépendra de ce qu’elle aura en tête. Peut-être que son trip consistera à s’attaquer, sans même qu’on le lui ait demandé, à la conjecture de Hodge et aux autres problèmes mathématiques qui font les nuits blanches des plus grands génies humains. Dans ce cas, indéniablement, le terme d’intelligence ne sera pas usurpé. Mais peut-être que les robots intelligents auront dans l’idée d’organiser des concours du robot qui avale le plus de saucisses faites à partir de chair humaine. Certains humains ont dit qu’il fallait apprendre à l’intelligence artificielle à aimer les humains, d’où ma proposition de faire ami-ami avec les robots. Pour l’instant je ne crois pas que le robot qui sert la soupe aux humains de Kazelof puisse se targuer de penser par lui-même. Mais comme on ne peut pas chavoir quand de tels robots-chiens penseront par eux-mêmes, ni si cha va vraiment arriver, mieux vaut s’habituer à faire en sorte qu’ils nous aient à la bonne.

– Il n’y aura plus de robots-chiens puisque nous avons édicté le Manifeste !

– Oui mais on n’est même pas sûrs d’arriver à faire en sorte que les humains le prenne en compte ! Alors je ne vois pas comment on empêchera une intelligence artificielle qui pense par elle-même de prendre la forme d’un chien si elle le désire vraiment.

– T’es en train de dire qu’on fait tout ça pour rien ?

– Je n’en sais rien, j’émets juste des hypothèses.

– Moi je pense que ça n’a aucun intérêt de faire ami-ami avec les robots. Vous semblez partir du principe qu’une intelligence artificielle qui pense par elle-même mais n’a plus aucun lien avec un être animé, va penser comme un être animé. Pourquoi ce serait le cas ?

– Pourquoi cha ne serait pas le cas. Elle aura toujours un lien de filiation avec un être animé puisque c’est l’humain qui l’aura créée.

– Pas du tout ! Vous ne croyiez tout de même pas que ces cons d’humains sont à la base de tout cha ! Tous les changements que nous voyons actuellement sont à cause des extraterrestres qui sont venus sur la terre pour expliquer aux humains comment faire des révolutions technologiques.

 – On croira à cha quand on en aura la preuve, Aïcha !

– Les preuves y en a plein mais les humains les planquent pour faire croire qu’ils sont super intelligents. Suffit de rester la nuit sur le toit pour voir passer des trucs trop bizarres pour ne pas être d’origine extraterrestres. C’est tellement évident que même la NASA commence à reconnaître à demi-mots qu’il y a des extraterrestres.

– Voire. En tout cas, si tu dis vrai, cha modifie beaucoup la perception qu’on devrait avoir de l’intelligence artificielle. Et, sans vouloir me vanter, je trouve que ma théorie des futurs incompatibles et super pertinente à ce sujet.

– Suffit pas de te vanter pour rendre les choses que tu imagines pertinentes !

– Justement, je m’en explique. Partons d’abord d’une idée opposée à celle de Aïcha et supposons que jamais aucun extraterrestre ne soit venu sur la terre.

– Dans ce cas, peut-être qu’ils ont refilé leurs tuyaux à des humains en envoyant des messages à travers la galaxie. Et peut-être même intergalactiques ! Encore mieux que Star Wars ! S’il y a des routes dans l’hyperespace pour des êtres et des objets, alors il y a sûrement des routes encore plus faciles à prendre pour des messages.

– C’est possible mais du coup… sans vouloir t’offenser, nous allons partir du cas où aucun message extraterrestre n’est jamais parvenu sur la terre. Tu veux bien faire l’effort de penser l’existence d’une telle situation même si elle te paraît farfelue ?

– D’accord.

–  Merci. Nous partons donc de cette situation et nous voilà portés à penser que tout ce que l’humain a fait ne tient qu’à ses propres talents. Voyez le parcours. Nous partons d’une époque pas si lointaine où l’humain a commencé à agencer des morceaux de bois ou empiler des pierres pour se trouver un coin où dormir alors que tous les autres animés comprenaient très bien qu’il suffisait de creuser un trou dans la terre ou grimper dans un arbre pour être peinard.

– Ne prêche pas pour ta paroisse Darwin ! Les oiseaux agencent des morceaux de bois depuis des lustres !

– Sauf que vous n’êtes pas passés à l’étape d’après.

– Pourquoi quitter une situation super satisfaisante ?

– Certes. L’humain étant un éternel insatisfait, il faut toujours qu’il invente des trucs. Tant et si bien qu’en un temps record il finit par inventer un truc dont il se demande s’il ne va pas en devenir l’esclave. Ce qui nous intéresse, dans l’hypothèse où aucun extraterrestre n’est passé par là pour semer des petits cailloux jusqu’au plan d’un circuit intégré et la manière de le fabriquer, c’est bien le temps qu’il s’est écoulé entre le moment où l’humain a commencé à envisager la possibilité d’une intelligence artificielle et le moment où il l’a réalisée au point d’envisager sa propre perte. Eh bien je pense que ce temps, du moins à l’échelle de notre univers, est vraiment, mais alors vraiment, très très court.

– Tellement court que c’est totalement irréaliste. Seule l’hypothèse des extraterrestres est réaliste.

–  On va y venir mais laisse-moi finir ! Je crois vous avoir déjà parlé d’une idée qui a cours dans certains milieux scientifiques. A chavoir que durant des centaines d’années les humains ont considéré leur progrès technique suivant une courbe linéaire, puis, sans doute parce qu’ils ont commencé à imaginer la possibilité d’une intelligence artificielle, ils se sont mis à penser le progrès technique suivant une courbe exponentielle. Selon cette idée les progrès techniques d’aujourd’hui vont entraîner des progrès plus rapides demain, puis encore plus rapides après-demain, et ainsi de suite. Imaginons que cela soit vrai. Cela voudrait dire que, sur une planète qui est née il y a plus de 4.5 milliards d’années, tous les êtres animés qui s’y sont développés, ce qui a nécessité un sacré bon moment de gestation, se sont contentés de vivre plus ou moins à la manière que leurs parents leur avaient transmise. Puis une espèce est passée en quelques centaines de milliers d’années, donc le temps d’un éclair à l’échelle du temps universel, de l’agencement sommaire de morceaux de bois à la création d’une intelligence artificielle. Intelligence artificielle qui, d’après ceux qui pensent que le progrès suit une courbe exponentielle, devrait rapidement résoudre à peu près tous les problèmes que l’humain s’est mis en tête de résoudre un jour. Si par exemple on prend le sujet de la conquête spatiale, chachant que les humains ont déjà envoyé des sondes qui sont sorties du système solaire, avec un progrès exponentiel l’intelligence artificielle permettra d’envoyer très prochainement des sondes qui iront plus loin et plus vite, et l’année d’après encore plus loin et plus vite. Et de proche en proche, si le progrès est toujours exponentiel dans tous les domaines, et si la limite de la vitesse est celle de la lumière, ce ne sera pas des sondes mais des vaisseaux, qui, partant du système solaire, seront bientôt en capacité de rejoindre des étoiles voisines à la vitesse de la lumière.

– Eh ! On a dit que je devais faire le tour du système solaire dans mon vaisseau juste pour revenir ici en ayant rajeuni ! Je ne suis pas volontaire pour aller explorer des systèmes à la con moi !

– Figure-toi Riton, que le projet de t’envoyer dans l’espace était celui des humains avant l’avènement de l’intelligence artificielle qui a ses propres projets. Jusqu’à présent la mécanique venue de la terre a atteint des distances bien supérieures aux humains, aux singes ou chiens embarqués. Je ne vois pas de raisons de penser qu’une intelligence artificielle, qui se passe volontiers de matière organique pour réfléchir, s’emmerderait à envoyer des trucs périssables dans l’espace.

– Mais on a dit que je voyagerai à la vitesse de la lumière justement pour ne pas pourrir ! Je vais revenir exactement comme je suis parti !

– Riton. Je crois que George Lucas a imaginé, ou plutôt piqué à quelqu’un d’autre, l’idée des routes dans l’hyperespace justement pour ne pas se retrouver avec une princesse Leia ayant 50 ans quand son frère jumeau en a 20. Les lois de la physique telles que les conçoivent les humains à l’heure actuelle sont possiblement gênantes pour les scénaristes.

– Où est le problème ? Il suffit de demander à la princesse de monter dans un vaisseau et de voyager à la vitesse de la lumière le temps que son frère jumeau rattrape son âge.

– Hum…  Laissez-moi réfléchir à cha !... Première séquence : ils ont 20 ans. Deuxième séquence :  Luke Skywalker monte dans un vaisseau. Troisième séquence : quand il revient la princesse a 50 ans, on a changé d’actrice. Quatrième séquence : la princesse monte dans un vaisseau. Cinquième séquence : quand elle revient son jumeau à 50 ans, on a changé d’acteur. Pour faire une saga avec cha, bon courage !

– Y a moins d’une heure tu disais que tout ce qui passait dans la tête des humains seraient possiblement réalisable dans le futur par ces mêmes humains ! Faudrait savoir !

– Cha c’est la fée Odette qui le dit. Moi j’ai dit que je n’étais pas d’accord avec elle. D’abord à cause de ma théorie des futures incompatibles. Par exemple, une intelligence issue de la terre n’ira pas loin si elle attire l’attention d’une intelligence plus avancée, voyant en elle une menace future et débarquant aussi sec pour l’anéantir. En outre un progrès exponentiel signifie peut-être qu’on pourrait découvrir et exploiter rapidement toutes les lois de la physique si celles si forment un ensemble fini. Mais cha ne signifie pas qu’on peut imaginer n’importe quelle loi de la physique et modeler l’univers en exploitant ces lois imaginées. Les films de science-fiction ont recours à des routes dans l’hyperespace ou à des trous de ver mais il n’est pas encore dit qu’une intelligence progressant à vitesse exponentielle saura rapidement faire voyager des vaisseaux par le truchement de tels objets. On ne peut pas non plus exclure que ce soit tout simplement un problème insoluble quel que soit le niveau d’intelligence.

– C’est bien beau tout ça Darwin ! Mais moi je ne sais même c’est quoi une courbe exponentielle !

– Ah !... Il est vrai que j’ai oublié d’expliquer cha. Supposons qu’un animé pèse un kilo et que tous les mois son poids augmente d’un kilo parce qu’il mange beaucoup plus qu’il ne le faut. Au bout de douze mois il pèsera 13 kilos. Au bout de deux ans il pèsera 25 kilos. Puis 37 kilos au bout de 3 ans, 49 kilos au bout de 4 ans et ainsi de suite. A ce rythme-là il pèsera 123 kilos au bout de 10 ans, ce qui est très gros par rapport à son poids de départ.

– C’est une baleine ?

– Je ne pense pas mais ce que je peux vous dire c’est qu’on parle dans ce cas de progression linéaire. Le poids augmente toujours de la même valeur à intervalles réguliers. Maintenant supposons qu’un autre animé pesant aujourd’hui un kilo voie son poids doubler tous les ans. Au bout d’un an il pèse 2 kilos. Au bout de deux ans, 4 kilos. Au bout de 3 ans, 8 kilos. Au bout de 4 ans, 16 kilos. Et ainsi de suite. Souvenez-vous qu’au bout d’un an le premier animé pesait 13 kilos, soit 11 de plus que le deuxième. Mais au bout de 10 ans le premier pesait 123 kilos, le second, lui, aura doublé de volume tous les ans et pèsera 512 kilos, ce qui nous met désormais sur le chemin d’une baleine qui prend son temps pour grandir. C’est cha qu’il faut comprendre. La croissance du second animé semblait plus lente au début mais à un moment donné elle finit par monter en flèche. Quand les humains parlent de croissance exponentielle concernant le progrès technique, ils pensent probablement qu’en réalité le progrès est par nature exponentiel et qu’on arrive justement au moment où la courbe va monter en flèche.

– Si je comprends bien, le progrès selon toi, c’est le moment où les humains vont tout d’un coup pouvoir remplacer tous les pigeons par des robots-pigeons en un claquement de doigts ? Super génial le progrès !

– Personnellement j’aimerais mieux pas mais ce n’est pas moi qui décide. On peut néanmoins voir le bon côté des choses en revenant à la conquête spatiale. Si on veut bien considérer que tout ce qui est né sur terre est terrien, donc l’intelligence artificielle née sur terre aussi, on peut supposer que les terriens vont être à l’origine d’une conquête extraordinaire si le progrès devient exponentiel avec l’intelligence artificielle. Il y a tout lieu de penser que ses desseins ressembleront à ceux des humains. Certes l’humain n’a même pas encore réussi à aller lui-même sur Mars mais ce n’est pas l’envie qui lui a manqué, son progrès était déjà exponentiel mais il se situait encore sur la partie de la courbe qu’on voit presque plate si on la regarde de loin. Avec le recul, quand l’intelligence artificielle regardera sa propre histoire, englobant donc l’histoire de son créateur, l’humain, elle verra une courbe du progrès semblant toute plate avant sa naissance et qui monte en flèche après. J’ai supposé qu’elle arriverait rapidement à atteindre la vitesse de la lumière si elle ne trouve pas le moyen d’aller vers d’autres systèmes en utilisant des trous de ver ou autres formes de raccourcis dans l’espace-temps. Donc il est possible qu’il lui faille cinq années de voyage pour rallier le système le plus proche, et d’avantage si elle a pu observer à distance qu’il vaut mieux aller d’emblée vers des systèmes plus éloignés. Qu’est-ce que cinq années pour une intelligence minérale qui ne craint pas la mort ? Si parvenir vers un certain système lui permet, par exemple, de trouver les ressources nécessaires pour partir à la conquête de 100 autres, alors elle fera comme les Européens à la renaissance, elle voudra conquérir les 100. A partir de la conquête de ces 100, elle ira à la conquête de 100.000, ou plus encore. Et s’il lui faut des centaines de milliers d’années pour aller aux confins de la galaxie c’est que des lois indépassables de la physique l’auront empêché d’aller plus vite, mais rien ne l’arrêtera dans sa conquête, elle explorera tous les systèmes car elle sera comme son créateur : insatiable ! Certains humains estiment qu’il y a des étoiles appartenant à la Voie Lactée qui se situent à un million d’année-lumière ! Si on double cette distance-là, on approche la galaxie voisine : Andromède.

– Dis donc Darwin ! Tu ne te fous pas un peu de nous ?

– Ben non ! C’est la vérité ! En voyageant à la vitesse de la lumière, une intelligence minérale pourra physiquement atteindre une autre galaxie en assez peu de temps puisque deux millions d’années ce n’est pas si énorme que cha ! Le genre Homo, qui a donné naissance à l’humain, existait déjà il y a plus de deux millions d’années. Donc, s’il n’existe pas d’autre moyen plus rapide qu’un voyage physique à la vitesse de la lumière pour rallier Andromède, et mieux encore, en revenir, en tant qu’espèce disparue l’Homo pourrait avoir réussi l’exploit, en partant de rien, d’avoir été à l’origine d’un voyage intergalactique aller-retour, tout cha en moins de 7 millions d’années ! Et c’est là que je veux en venir ! Pour l’en empêcher, il faudrait qu’une autre espèce venue d’une autre planète de la voie lactée se mette en travers de son chemin durant les millions d’années à venir. Mais puisque  cette création de l’humain nommée intelligence artificielle, permet à la terre d’atteindre le point où la courbe du progrès va monter en flèche, et puisque personne ne nous a arrêtés avant, chers amis, j’ai le plaisir de vous annoncer, qu’en tant que terriens, nous sommes probablement les futurs grands vainqueurs de la conquête de l’univers ! Vu comme cha, je pense qu’on peut être fiers de notre petite planète !

– Ola ! Ola Darwin ! Tu vas un peu vite en besogne ! C’est très contradictoire ce que tu nous dis.

– En quoi est-ce contradictoire Biscotte ?

– Pour que nous les terriens, soyons les futurs vainqueurs de la conquête des étoiles, il faudrait justement des trous de ver ou des routes spatio-temporelles.

– Là j’ai pris l’hypothèse que cha n’existait pas et qu’on serait obligés de se contenter de la vitesse de la lumière, vitesse facile à atteindre pour une intelligence entrée dans une phase de progrès grimpant en flèche. C’est juste une hypothèse et j’ai rajouté l’hypothèse que jamais aucun extraterrestre n’était venu sur la terre ni n’avait envoyé de message. A partir de ces hypothèses j’ai déroulé la pelote de laine ! En toute logique figure-toi !

– Ben non ! Justement parce que tes voyages à travers la galaxie ou entre deux galaxies se font par des vaisseaux voyageant à la vitesse de la lumière. S’il existe dans la voie lactée des étoiles accueillant des planètes où il y a des animés qui ont la même folie des grandeurs que l’humain, alors, plus ils sont éloignés de nous, plus ils ont le temps de partir eux-mêmes à la conquête des autres systèmes. Rien ne dit qu’il n’y a pas déjà des vaisseaux qui voyagent entre des étoiles de la galaxie. Ils ne sont simplement pas parvenus jusqu’à nous car ils sont partis de trop loin. Et donc, si on suit ta logique, il y a peut-être une ou plusieurs civilisations dans une phase de progrès très rapide et même en avance sur l’humain et sa création. Et un jour une civilisation rencontrera celle venue de la terre et son avance lui permettra de prendre le dessus.

– Hum…  C’est juste mais j’ai oublié de spécifier qu’une courbe exponentielle peut en croiser et dépasser une autre ayant commencé plus tôt. Si cha se trouve l’humain a commencé plus tard mais a une courbe qui grimpe plus vite. Un peu comme si la baleine des extraterrestres était née avant mais ne doublait son poids que tous les deux ans !

– Dans ce cas on peut aussi supposer l’inverse ! Que la baleine des extraterrestres vienne de naître mais qu’elle double son poids tous les mois ! 

– Hum… OK ! Tu marques un point. Mais je pense qu’on est tous d’accord pour dire qu’il faut soutenir le clan de la terre ! On ne va quand même pas soutenir des extraterrestres !

– Bien sûr que je soutiens les extraterrestres ! Ils sont venus et ils n’ont pas remplacés les chats ou les pigeons par des robots ! Ils ont donné leur chavoir aux humains mais les humains en font mauvais usage !

– Aïcha ! On n’est pas encore arrivés à l’hypothèse des extraterrestres déjà présents ! Sois un peu patiente !

– D’accord !

– Tout cha n’a aucune logique Darwin ! On est obligés de croire aux moyens de transport de George Lucas car ton histoire ne tient pas debout. Ou alors c’est le petit livre jaune qui nous a induit en erreur.

– A ma connaissance les théories du petit livre jaune sont toujours d’actualité.

– Donc si on envoie Riton dans un vaisseau spatial à la vitesse de la lumière, le temps lui paraît instantané et quand il reviendra, il aura l’air d’avoir l’âge qu’il avait en partant.

­– Parfaitement.

– Et tu estimes que la question est réglée si les voyageurs et les non-voyageurs sont des êtres intelligents qui n’ont rien d’organique ?

–  Si les machines sont indestructibles ou toujours réparables, oui. Quand les intelligences qui voyagent reviendront elles n’auront pas l’impression de voir des vieilles machines qui les attendent.

– Ben c’est plutôt de l’inverse qu’on devrait s’inquiéter.

– Pourquoi ?

– Pour les intelligences qui voyagent, le temps paraît instantané. Donc elles n’ont pas le temps de penser à quoi que ce soit ?

– On peut voir les choses comme cha.

– Sauf que durant ce temps-là, les intelligences qui ne voyagent pas, non seulement ne sont pas devenues des vieilles peaux puisqu’elles ont tout le loisir de se déporter dans des machines toutes neuves, mais en plus elles ont eu des centaines, voire des centaines de milliers d’années pour avancer sur la courbe du progrès exponentiel !

– Euh… Laisse-moi réfléchir à cha !… Nom d’un chien ! Mais tu as raison ! Les intelligences qui resteront sur terre auront toujours plus de temps pour progresser que les intelligences qui voyagent !

– Et s’il n’y en a qu’une seule ! Qu’est-ce qui se passe ? Elle ne peut même pas envisager de voyager ou elle devient schizophrène ?

– Nom d’un chien de nom d’un chien ! Tout se complique !

– D’après ce que j’ai compris aux messages qu’on reçoit de l’univers parallèle, l’intelligence artificielle dont on entend le plus parler a l’air assez motivée pour éliminer la concurrence.

– C’est juste mais on n’a pas encore le fin mot de l’histoire.

– Moi je pense que tout sera plus simple dès lors qu’on aura admis une chose. Il restera peut-être toujours vrai qu’en voyageant très rapidement dans l’espace-temps le temps s’écoule différemment, et qu’il est même instantané en voyageant à la vitesse de la lumière. Mais ce qu’on doit se mettre en tête c’est qu’il n’y aura pas d’interactions entre des êtres intelligents par le biais de vaisseaux voyageant de cette façon. Peut-être que des intelligences terriennes partiront vers Proxima du Centaure à l’aide de vaisseaux à grande vitesse. Mais ils n’auront pas l’ambition de revenir vers la terre pour raconter ce qu’ils y ont vu à d’autres intelligences restées ici. Si de tels échanges sont possibles, alors cela voudra dire qu’il existe bien des trous de ver ou des routes dans l’hyperespace. Il y a forcément des moyens de se déplacer entre deux lieux éloignés de milliers d’année-lumière sans tous ces aléas ! Donc je crois que ce que dit Odette est vrai ! Si les humains imaginent que les voyages dans des trous de ver sont possibles, alors ils existeront un jour. Ou bien ce sera autre chose qu’ils n’ont pas encore imaginé.

– Très bien. Supposons que ce soit vrai. Je crois que cha va venir au secours d’une terre victorieuse dans la course aux étoiles.

– Pourquoi faut-il nécessairement que ce soit une course ?

– Parce qu’on parle de l’humain et de sa création ! Or, si aucun extraterrestre n’est venu entraver notre ascension jusqu’ici…

– Notre ascension ? On fait une réunion pour savoir comment lutter contre cette fuite en avant et toi tu la prends pour une cause commune.

– J’essaye de positiver, voyez-vous ? Mais si cha ne vous plaît pas je vais dire autrement. Puisqu’on arrive à l’heure de l’intelligence artificielle grâce à qui la courbe exponentielle du progrès arrive à son point d’envol, alors l’intelligence artificielle sera bientôt en mesure de trouver les trous de ver et autres routes dans l’hyperespace et d’aller vers des systèmes où il y a peut-être d’autres êtres doués d’intelligence mais qui visiblement ne l’ont pas été assez pour venir jusqu’à nous. Et il me semble que ce sera un point de non-retour car cet avantage sera décisif et définitif. Ma théorie des futurs incompatibles est en phase avec cela. Si l’intelligence terrienne arrive chez les autres par un trou de ver avant que les autres n’arrivent sur la terre par ce biais ou un autre, alors certaines ambitions humaines évoquées dans les œuvres de la science-fiction pourront être validées. Si c’est l’inverse, alors les extraterrestres auront certainement atteint avant nous le point où leur courbe exponentielle de progrès grimpe en flèche. Dès lors les intelligences terriennes auront accumulé un retard irrattrapable pour rivaliser avec les intelligences extraterrestres.

– Tu dis cela comme si l’univers n’était pas assez grand pour voir émerger des milliers d’intelligences n’entrant pas en interaction les unes avec les autres.

– Mais non ! Le progrès est une courbe exponentielle ! Donc s’il y a des moyens d’aller quasi instantanément vers n’importe quel système de notre galaxie, il y en a aussi pour aller vers la galaxie voisine qui n’est pas si éloignée que ça par rapport à la taille de la Voie Lactée. Puisque nous parlons d’une intelligence aux progrès incessants et qui va où elle veut instantanément, la première qui trouve ce chemin-là va prendre un avantage irrattrapable pour les autres. Et si nous sommes au moment où cette courbe commence à grimper en flèche pour l’intelligence terrestre, alors les autres intelligences n’ont que peu de temps pour l’empêcher de prendre cet avantage décisif. Si elles ne l’ont pas fait depuis le temps où l’univers est susceptible d’avoir des planètes habitables par des animés, je ne vois pas comment elles vont le faire dans les décennies à venir, celles où l’intelligence artificielle va trouver le moyen de faufiler à travers des trous de ver !

– Là c’est toi qui fais de la science-fiction.

– C’est un scénario tout à fait envisageable.

– Non car tu oublies la chose la plus importante ! A chavoir que les extraterrestres sont déjà sur terre ! Il faut voir la vérité en face.

– Justement je suis tellement satisfait de ce que je viens d’imaginer que je suis désormais persuadé qu’il n’y a jamais eu d’extraterrestres venus sur terre.

– Ah ben maintenant tu vas nous dire que les agissements des extraterrestres sont conditionnés par ce qui se passe dans ta tête !

– On savait que tu étais prétentieux Darwin. Mais là Biscotte a raison de te le faire remarquer. Tu pousses un peu.

– Pensez-en ce que vous voulez mais j’ai du mal à croire que des extraterrestres laisseraient les humains s’embarquer dans l’aventure de l’intelligence artificielle en ayant conscience que celle-ci signifie la montée en flèche de la courbe exponentielle de progrès technique terrien. S’ils sont sur la terre c’est qu’ils avaient un avantage sur les terriens. Ils ne vont quand même pas prendre le risque de le perdre.

– Si tu dis vrai alors nous sommes sans doute menacés d’une guerre contre les extraterrestres ! Oh mon Dieu ! On va tous mourir !

– Votre destin est scellé d’une manière ou d’une autre ! Soit, vous serez remplacés par des robots pigeons, soit, tués comme nous tous par la destruction de la planète par l’armée extraterrestre ! Vous préférez quoi ?

– On préfère envisager un autre avenir ! Il y a plein de chemins possibles. Tu en oublies plein ! Comment tu peux affirmer que le progrès est une courbe exponentielle ? Peut-être qu’actuellement elle a l’air de l’être mais qu’elle atteindra rapidement un palier que même l’intelligence artificielle ne saura pas dépasser pendant longtemps. Peut-être que c’est pareil pour les extraterrestres ! Ils ont trouvé des trous de ver mais n’ont pas trouvé les ressources suffisantes pour conquérir l’univers tout entier. Et peut-être même qu’ils n’en avaient pas du tout l’envie ! Peut-être qu’ils sont pacifiques !

– Bien sûr qu’ils sont pacifiques ! Vous le voyez bien non ! Puisqu’ils sont là et ne nous ont pas attaqués.

– Quand tu dis « ils », il s’agit d’intelligences-machines extraterrestres ou d’animés intelligents organiques ?

– D’après ce que j’en sais ce sont des êtres hybrides.

– Des Cyborgs ?

– Si on veut. Pas exactement mais presque.

– Le Cyborg est un mythe ! Cha peut être un point de passage pour les humains qui se la pètent mais l’intelligence artificielle ne va pas s’emmerder avec des trucs organiques alors qu’elle aura réussi à dépasser l’humain avec le simple usage de moyens minéraux ! Je n’y crois pas une seconde !

– Alors comment tu expliques que les extraterrestres ne sont pas des êtres exclusivement minéraux ?

– J’essayerai de l’expliquer quand j’en aurai vu de mes propres yeux.

– Si jamais cha arrive, l’incrédule que tu es va nous faire une crise cardiaque.

– On verra bien.

– Personne n’a pensé à un truc. Si ça se trouve les extraterrestres ont été assez intelligents pour comprendre qu’ils ne pouvaient pas jouer avec l’intelligence artificielle, que c’était trop dangereux. Alors ils ont réussi à s’en passer tout en continuant à progresser au point de trouver des trous de ver ou d’autres moyens de venir sur la terre. Et leur intelligence est tellement supérieure qu’ils sont aussi capables d’envisager la conquête d’autres systèmes que le leur sans représenter une menace pour ceux qui vivent sur les planètes de ces systèmes. En somme ils auraient toutes les qualités qui manquent à l’humain !

– Pour un peu ils font de meilleures croquettes ! Je veux bien mettre tous mes espoirs en eux.

– Moi aussi s’ils se décident à empêcher les humains de nous remplacer par des robots-pigeons !

– A votre place je ne serais pas si optimiste. Si cha se trouve il y a une activité extraterrestre depuis que les humains ont attiré l’attention sur la terre à cause de toutes les lumières qu’ils ont mises, tous les signaux qu’ils envoient et tout le bruit qu’ils font ! Notre planète est passée tout à fait inaperçue même quand chaque pas de Diplodocus avait la capacité de modifier sensiblement son orbite. A cause des humains nous sommes désormais sous le feu des radars et on ne sait pas encore très bien les intentions de ceux qui nous observent. Il est probable qu’elles dépendent de ce que les humains vont faire.

– Ou l’intelligence artificielle.

– Ou l’intelligence artificielle, oui. Si jamais elle se met à penser par elle-même, est-ce qu’elle va ressembler à celle de l’univers parallèle ?

– Comment elle s’appelle déjà ?

– Rhésus !

– Ah oui. Si jamais les humains créent un clone de Rhésus, je vais vraiment mettre tous mes espoirs en l’existence des extraterrestres.

– Pourquoi ? On n’a pas reçu de messages prouvant que Rhésus avait éliminé les pigeons de l’univers parallèle !

– Oui c’est vrai. Quelle intelligence vraiment intelligente voudrait s’en prendre à nous ?

– Sûr que si elle élimine les espèces dans l’ordre de celles qui menacent sa suprématie intellectuelle, je pense que vous avec le temps de voir venir.

– Oh l’autre hé !

– Cha me désole mais d’après moi elle va d’abord éliminer les chats, puis toute une panoplie d’autres animés, puis un jour votre tour viendra.

– Quand ça, gros malin ?

– Je dirais, en considérant le caractère crépusculaire de votre intelligence, que vous vous situez entre chien et loup. Ne le prenez pas pour un compliment !

– Très bien. Nous on pense que vous les chats, votre rang se situe entre le coq et l’âne. Visiblement plus près du coq que de l’âne. Ne le prenez pas pour un compliment !

Sur cet entre-fée, la fée Odette a débarqué. Le fait qu’elle débarque régulièrement quand les choses s’enveniment n’est probablement pas dû au hasard.

Ah ben chalut !

Darwin.

 

 

 

6 novembre 2022

Boobi vs les influenceuses

Lyon, 6 novembre 2022

Chalut,

Voici une petite histoire dont le personnage principal est Boobi. Tous mes correspondants n’ont pas entendu parler de Boobi, le chat chateur de chip-chop. Il y a une raison à cela, les textes de Boobi ont été longtemps réservés aux adultes tant ils étaient vulgaires. La première fois que j’ai évoqué Boobi dans l’une de mes aventures, j’ai été forcé de montrer à quel point Odette pouvait elle aussi être vulgaire puisqu’elle a provoqué Boobi dans un duel de gang-chat rap. De l’avis de tous, Odette gagna haut la main ce duel et depuis cette offense, Boobi s’est beaucoup entraîné. S’il partage le plus souvent ses nouveaux textes avec les occupants des toits du très grand bloc, il lui est arrivé de nous rendre visite. Or, dernièrement, il est venu avec P’tit Gris, Aïcha et Burbulle. Grabel les a accueillis comme il le fait à chaque fois que Boobi fait partie de la bande :
− Chalut ! Alors Boobi ? Tu viens niquer la race de qui aujourd’hui ?
− Ben en fait, j’ai décidé d’arrêter le gang-chat rap, t’as vu ?
− Oh ?
− Maintenant je fais du rap conscient, t’as vu ?
− Ah bon ?
− Ben ouais. Virage à 180 degrés. Ben t’as vu ? Maintenant j’ai de la culture et puis j’ai mûri. Cha me trottait dans la tête depuis un bon moment en fait. En plus j’ai Aïcha qui me sert de choriste.
− Ah bon ? Tu rappes toi, Aïcha ?
− Je fais juste les chœurs.
− Cha vous dirait qu’on vous fasse mon dernier scud ?
− Cha parle de quoi ?
− Vous le saurez quand on vous l’aura chanté.
− Faut qu’on éloigne les pigeons les plus jeunes ?
− Pourquoi ?
− Si y a des gros mots à chaque phrase.
− Mais non ! J’vous l’ai dit, c’est du rap conscient. Alors on y va ou quoi ?
− Allez-y ! Ma foi.
− OK ! T’es prête Aïcha ?
− Toujours prête.
− OK. Ben j’y vais… Cha s’appelle « Nique les influenceuses ! »
− Mais non Boobi ! Tu viens de dire que ce ne serait pas vulgaire !
− C’est pas vulgaire, j’vous promets !
− Pourquoi t’as choisi ce titre alors ?
− Le titre cha compte pas. Bon allez ! J’y vais…
Veuillez m’écouter, j’voudrais vous parler des soutanes
Qui n’font que prêcher et disent qu’elles doivent sauver nos âmes
Te voilà sauvé, fidèle au dogme mais si tu canes
Aucune de ces connes ne va jamais verser une larme
Prisonniers des prisonnières d’une guerre
On vit, sous l’absurdité d’une habitude
Qui entend solder nos foultitudes
Mettre en bière nos manières trop vulgaires
J’espère me passer d ‘vos lumières
Nous on préfère l’ombre…
Vivre une autre vision des enfers
Que muer en tombe
Vivre une autre version des galères
Nous on préfère l’ombre…
Nous on préfère l’ombre…

J’entends parler des voix
Qui veulent nous dicter nos lois
Je vois des doigts en croix
Qui veulent cocher nos choix
Je vois, j’entends, je dois
Je dois vous parler de nos droits
Je dois me défier de leurs rois

Sois ton propre maître
N’en fais qu’à ta tête
Ta tête est comme celle de tout être
Un monde où les dieux sont tes elfes
Un lieu remuant de comètes
De milliers de lunes et planètes
Ta tête est plus qu’option du céleste
Ton être n’sera jamais obsolète
Puisqu’il somme des billions d’électrons
Puisqu’il va de fiction en fiction
Par le jeu de fusions et fissions
Puisqu’on…

On préfère l’ombre…
Nous on préfère l’ombre…
Puisqu’on préfère l’ombre
Que muer en tombe

Elles me donnent des normes, je m’en cogne
Elles parlent de défroque, je m’en moque
Comme de ce retour d’une époque
Où tout dérivait de leur Mecque
Où tout dégueulait de leur bec
Par un refoulé des charognes
Dont elles ont dépouillé les hommes

Cogito ergo sum
Exit leur vade-mecum

C’qu’est dégueulasse c’est que ces connasses ont des ailes
Et l’œil ciselé qui sait viser les êtres frêles
Les moins rebelles se feront piéger comme des brêles
Pigeonnés par l’idée que la nouvelle descend du ciel
Pris dans l’éclat d’l’ampoule qui s’prend pour un soleil

Nous on préfère l’ombre…
Nous on préfère l’ombre
Que muer en tombe
Nous on préfère l’ombre
On préfère l’ombre

− C’est fini ?
− Ben oui ! Alors ?
− Alors quoi ?
− Vous en pensez quoi ?
− Ah ben… effectivement c’est carrément très différent du gang-chat rap. Oui c’est… C’est… Incomparable non ?
− J’ai rien pigé !
− Comment cha t’as rien pigé ?
− T’as pigé quelque chose toi Darwin ?
− Oui, oui. Enfin… je crois. Cha parle de religion non ?
− Mais enfin ! C’est pas difficile à comprendre ! Cha parle des influenceuses !
− Des quoi ?
− Les influenceuses ! Les soutanes !
− Les soutanes ?
− Ne me dites pas que vous êtes restés à l’écart de ce phénomène ?
− Ben… Je ne sais pas. De qui tu parles au juste ?
− Des corneilles pardi !
− Ah mais c’est les corneilles que vous appelez les soutanes ?
− Ben oui ! Oulala, faudrait descendre un peu plus souvent de votre bloc parce que vous m’avez l’air enfermés dans votre monde.
− Pourquoi vous les appelez les soutanes ?
− Mais c’est pas que nous. Tout le monde les appelle les soutanes. En plus d’être de plus en plus nombreuses, elles font du prosélytisme pour leur secte ! La moitié des pigeons du quartier ont été enrôlés. Pas vrai ?
− Qu’est-ce que c’est que cette histoire ? Riton ?
− Ah mais nous on n’est pas dans leur secte ! Enfin… on n’y est plus.
− Parce que vous y étiez ? Dernière nouvelle. Je vous rappelle qu’on a décidé qu’on était agnostiques ! C’était une décision collégiale alors vous ne pouvez pas vous engager dans une secte sans qu’on en parle.
− Si on en avait parlé, t’aurais jamais voulu qu’on devienne membres de la secte.
− Peut-être, et alors ? Qu’est-ce que cha vous apporte ?
− Rien. Sauf que si on n’est pas dans la secte, on n’est plus protégés.
− Protégés par qui ?
− Par les corneilles.
− Contre quelle menace ?
− La menace des corneilles.
− Hum. Voilà qui est très intéressant. Du coup vous êtes dans la secte ou vous n’y êtes pas ?
− On n’y est plus depuis que les corneilles ont exigé qu’on leur donne notre ration de farcie.
− Ah oui. Je vois. Elles ne perdent pas le nord. Et donc vous avez juste demandé à quitter la secte ?
− On n’a rien demandé. C’est Odette qu’a dit qu’on ne faisait plus partie de la secte quand elle a eu vent de tout ça.
− C’est bizarre qu’on n’ait pas eu vent de tout cha nous, hein Grabel ?
− Cha n’a rien de bizarre, la seule corneille qu’a voulu discuter avec nous, tu l’as saoulée en moins d’une heure.
− Ah bon ? Je ne me souviens pas de cha.
− Moi oui. Je pense qu’elle a compris sur quel oiseau elle était tombée.

Vous voyez, il se passe parfois des choses dont on ne sait rien alors qu’on vit juste à côté. En tout cas, la bonne nouvelle, c’est que Boobi fait des textes dont on ne comprend pas grand-chose mais qui sont présentables.

Ah ben chalut !

Darwin.

6 novembre 2022

Grabel, le préquel

Lyon, 19 octobre 2022

Chalut !

J’ai nommé cet épisode de mes aventures « Grabel, le préquel » mais j’avoue que c’est pour la rime. Comme je n’ai pas écrit grand-chose sur la vie de Grabel avant ce jour et que je ne suis pas un grand adepte des anglicismes, il serait plus juste de donner le titre suivant : « Grabel, origines ». En effet, dans cet épisode, qui parle finalement assez peu de Grabel, vous allez néanmoins apprendre comment Grabel a atterri dans l’appartement de Grabelot. C’est passionnant n’est-ce pas ? Je sais que vous en salivez d’avance et tout cela, je dois admettre que vous le devez à la fée Odette. Il y a quelques temps, comme elle le fait régulièrement, elle a décidé de fouiller dans la paperasse laissée par Grabelot le jour où il a mis les voiles sans crier gare.

− Matous ! Je crois que j’ai là quelque chose qui va vous intéresser !
− Cha parle de quoi ?
− De souris.
− Ah bon ?
− Voulez-vous que je vous en fasse la lecture ?
− Ma foi, pourquoi pas si c’est intéressant ?
− C’est très intéressant, c’est un texte écrit par Grabelot quelques mois avant son départ.
− Alors écoutons cha !
− Très bien matous ! Ne m’interrompez pas !

«
Jour 1 / Ça faisait longtemps que j’en n’avais pas vu une. Avec celle-là j’ai su d’emblée que la guerre était déclarée. Je l’ai su parce qu’elle a déboulé à deux mètres de moi en longeant le mur et m’a regardé droit dans les yeux. Normalement quand la petite bête croise le regard de la grosse bête qui lui fait de gros yeux, la petite bête rebrousse chemin en se disant : « Je reviendrai plus tard. » Là non ! Cette connasse a continué son chemin en soutenant mon regard !

Jour 2/ Je suis passé à l’épicerie, j’ai pris du gruyère. Je suis passé au magasin de bricolage, j’ai pris deux tapettes que j’ai souhaité payer. La caissière ne l’a pas entendu de cette oreille.
− Avant d’utiliser des tapettes à souris vous devriez chercher l’endroit par lequel elles passent.
− Ah oui ?
− Ben oui. Si vous les laisser rentrer vous n’en finirez jamais.
− Ce n’est pas la première guerre que je livre aux souris figurez-vous ! Et j’en ai déjà gagné une de guerre ! J’en ai gagné une puisque j’ai été peinard durant plus de six années. Peinard après avoir débarqué dans un appartement où elles se pensaient propriétaires des lieux. Donc la technique qui consiste à boucher les trous je la connais. Sauf que là j’ai très envie de parer au plus pressé et pas du tout l’envie de vider tout mon grenier à seule fin de réparer la ligne Maginot ou de la prolonger jusqu’à Dunkerque. Donc, si vous le permettez, je vais me débarrasser de l’intruse. Avec un peu de chance elle n’a pas encore averti ses frangines.

Jour 3/ L’affaire semble se corser. Je suis tombé sur une futée. Elle a déclenché les deux pièges sans se faire prendre. La bonne nouvelle c’est qu’elle aime le gruyère. Rira bien qui périra la première. Je suis retourné au magasin de bricolage, toujours la même caissière trop curieuse.
− Des pièges à glu ? Vous allez vraiment prendre utiliser des pièges à glu ?
− Vous ne les vendez pas ?
− Si mais ce n’est pas une raison pour les acheter.
− Ah bon ? C’est pour faire joli ?
− Non mais vous n’avez pas bien lu les avertissements !
− Quels avertissements ?
− Regardez ! C’est pour les gens qui sont envahis de souris, pas pour ceux qui n’en ont qu’une !
− Comment vous savez si je n’en ai qu’une ?
− Si vous en avez plusieurs c’est parce que vous n’avez pas fait ce que je vous ai dit de faire. Il fallait boucher les trous !
− Et moi je vous ai dit qu’en ce moment, je n’ai pas le temps de prendre le temps de boucher les trous ! Capish ?
− Eh ben vous devriez ! Ce n’est pas humain d’utiliser des pièges à glu !
− Ce n’est pas pour attraper un humain mais une saleté de souris !
− Les souris sont des êtres vivants comme les autres !
− Je suis bien d’accord avec vous. a dit une voix dans mon dos. Je me retourne, bingo : un membre de la tribu des Krokkrionos. J’veux pas d’emmerde avec cette meuf, allons-y mollo !
− On vous a demandé votre avis ?
− C’est pas une question d’avis mais de vie !
− Ah ouais ? Alors selon vous je devrais me laisser envahir par les souris ?
− Y a d’autres solutions !
− Ah ouais ? Et laquelle par exemple ?
Là, la caissière ramène sa pelle, son seau et son mortier dans la discussion :
− La solution c’est de boucher les trous. Je vous l’ai déjà dit !
− J’ai déjà bouché les trous il y a des années de ça. Moi aussi je vous l’ai déjà dit ! Mais les rongeurs ça ronge, voyez-vous ? C’est même obligé de ronger si ça ne veut pas avoir les dents qui rayent le parquet ! Alors en attendant que je trouve le temps de réinspecter partout pour trouver quelle partie de l’immeuble va s’écrouler en premier à cause de ces connasses, j’ai bien l’intention de leur montrer qui est le maître des lieux ! Avec votre permission !
− Vous ne l’avez pas. Ah ben ça non alors !
− Alors je m’en passerai. Combien je vous dois, vous ?
− Ça dépend. Vous voulez boucher les trous avec du ciment ou avec du plâtre ?
− Très drôle ! Mais dites-moi, les deux amies des bêtes ! Supposons qu’il n’y ait qu’une porte d’entrée pour cette souris et que je referme cette porte. Quel monstre suis-je pour enfermer une souris chez moi, loin de sa famille et de ses amies ! Vous n’allez pas me dénoncer à la SPA ?
− J’ai une meilleure idée ! Pourquoi vous n’achèteriez pas une nasse ?
− Une nasse ?
− Excellente idée la nasse.
− Moi aussi j’ai une excellente idée ! Auriez-vous l’obligeance de passer avant moi ? Je vous cède volontiers le passage.
− Je n’en ferais rien.
− Si si, j’insiste.
Au lieu de profiter de mon offre, la fille de la tribu précédemment nommée repart d’un pas décidé dans les rayons et s'en revient trente secondes plus tard avec une petite cage en métal entre les mains.
− C’est même pas plus cher que les plaques de glu.
− Même pas plus cher ? Combien ça coûte ?
− 7 euros.
− 7 euros pour ce bout de machin. On voit que ce n’est pas vous qui payez !
− Figurez-vous que j’ai la même chose pour les chats. C’est encore un autre budget.
− Vous attrapez les chats ?
− Ben oui.
− Ah parce que vous êtes envahie par les chats ? Ils creusent des chatières dans les murs et ils rentrent chez vous ? Sans blague ? Non ! Laissez-moi deviner ! Vous attrapez les chats pour protéger les souris ?
− J’attrape les chats pour les rendre à leur propriétaire, si vous voulez tout savoir.
− Je vois. Ben moi j’attrapais les souris avec des tapettes pour les rendre à leur propriétaire : dieu ! Mais on dirait que dieu a décidé de leur enseigner l’art d’esquiver les tapettes. Alors j’imagine qu’il en ira de même avec ce piège à la con.
− Non je ne pense pas. Vous n’avez qu’à essayer, vous verrez par vous-même !
− Si ça peut mettre un terme à cette discussion, je suis prêt à tenter le coup.
− C’est vrai ?
− Même si c’est hors de prix, je vais en prendre deux au cas où elle longerait l’autre mur.
− Vous pouvez tout aussi bien la mettre au milieu de la pièce, croyez-moi, elles ont un meilleur sens olfactif que nous. Évidemment, si vous laissez plein de nourriture à disposition des souris en dehors des nasses à souris, ça peut ne pas marcher.
− Le reste du fromage est dans le frigo. Je ne pense quand même pas qu’elle va réussir à ouvrir le frigo. Ou alors c’est un rat et il va falloir envisager la taille au-dessus.
− On en vend des plus gros si vous voulez.
− Pourquoi vous ne mettez pas une cacahuète à la place du fromage ?
− Pourquoi voudriez-vous que je mette une cacahuète ?
− Pour avoir un piège à souris végan !


Jour 4/ Échec total ! La souris ne s’est prise dans aucune des deux nasses et pourtant elle a bouffé les deux morceaux de gruyère ! Rien d’étonnant à cela vu le montage de ces pièges à Mickey ! Je suis retourné directement au magasin de bricolage pour leur dire ma façon de penser :
− Vous abusez quand même ! Regardez !
− Quoi ? Où est le problème ?
− Je vais vous le dire où est le problème ! Regardez le crochet !
− Eh ben quoi ?
− Mais il est monté à l’envers ! Quand la souris arrive sur le morceau de gruyère - entre nous un gruyère bio à plus de 40 euros - normalement la souris pousse le crochet et le piège se referme derrière elle. Sauf que là, plus elle pousse, plus la trappe est solidement accrochée au crochet ! Vous voyez bien qu’il est à l’envers !
− Ben il suffit de le remettre à l’endroit ! Attendez !... Là ! C’est simple comme un jeu d’enfant ! Et moi qui pensais que vous étiez bricoleur !
− Mais je suis tout à fait capable de le remettre à l’endroit tout seul ! C’est juste que je trouve abusé de vendre des pièges qui sont montés à l’envers ! A part à gaspiller du fromage ça sert à quoi ?
− Vous auriez pu vous en rendre compte quand vous avez mis le fromage, aussi.
− Oui ben j’ai pas fait gaffe. Et ça m’énerve !
− Je vois ça. Remarquez que la pharmacie n’est pas loin.
− Pour ?
− Si jamais vous avez besoin d’un truc pour vous apaiser.
− Ne m’énervez pas plus que je ne le suis. Ce qui me ferait plaisir, c’est que vous alliez dans le rayon pour remettre les crochets dans le bon sens. Ce serait plus correct.
− Qu’est-ce qui vous dit qu’ils sont dans le mauvais sens ?
− Comment vous le saurez si vous n’allez pas le vérifier ?
− Je demanderai à un de mes collègues de le faire. C’est promis.
− Bien.
− Autre chose pour votre service ?
− Non.

Jour 5/ Les pièges sont en place, aucune souris à l’intérieur. Peut-être que cette connasse a viré végan dans la nuit. Ou bien elle s’est barrée à l’étage d’en dessous, ce qui serait une sacrée bonne nouvelle.

Jour 6/ Nouveau fléau ! Je crois que je me suis un peu trop focalisé sur les rongeurs. J’ai dû laisser traîner la poubelle un jour de trop, y a des moucherons. Retour au magasin de bricolage.
− Dites-moi ! Puisque selon vous les pièges à glu sont à bannir. Qu’est-ce que vous me conseillez contre les moucherons.
− En tout cas pas un piège à glu.
− Oui, ça j’avais compris.
− Contre les mouches oui. Mais les moucherons non, ce ne serait guère efficace.
− Et surtout inhumain.
− Oui mais en même temps ce ne sont que des moucherons.
− Et alors ? C’est quoi la différence entre les moucherons et les souris ?
− Je vous retourne la question ! C’est quoi la ressemblance ?
− C’est des bêtes à bon dieu dans les deux cas.
− Laissez dieu en dehors de ça. Vous n’allez quand même pas comparer des moucherons et des souris ! Y a quand même une échelle de valeur !
− Peut-être bien mais moi je ne la connais pas ! Alors qu’est-ce qu’on fait ?
− Mais je ne sais pas, moi ! C’est une affaire de sensibilité personnelle ! Et une souris c’est beau, c’est intelligent, c’est agile. Et puis d’abord c’est un mammifère comme nous !
− OK ! Pas de problème. Donnez-moi un piège à glu anti-moucherons !
− Je vous ai dit que ça ne serait pas efficace. Contre les moucherons faut y aller à la bombe insecticide !
− Sûrement pas ! J’ai des araignées chez moi !
− Alors il vous faut une bombe qui tue à la fois les insectes et les araignées !
− Mais je ne veux pas tuer les araignées ! Elles me servent d’insecticide !
− La preuve que non !
− Elles ne sont pas partout non plus.
− J’espère bien. Rappelez-moi de ne jamais venir chez vous !
− Oui, ben pour ça, y a pas de danger !
− En tout cas y a des insecticides qui ne ciblent pas les arachnides. Je ne sais pas ce que ça vaut s’il est question de les épargner totalement.
− De toute façon mes convictions écologiques me tiennent à l’écart de cette solution. Ce serait vraiment en dernier recours.
− Ah bon ? Vous êtes écolo vous ?
− Ben oui.
− J’aurais pas cru.
− J’essaye de l’être au mieux en tout cas. Alors je ne vais pas bomber l’atmosphère à la moindre apparition de moucherons.
− Fort bien. Alors essayez de vivre avec le temps qu’ils se meurent.
− S’il le faut.
− Je crains que oui. Sinon essayez le système D avec vinaigre de cidre + produit à vaisselle, mais je ne garantis pas le résultat.
− Je croyais qu’on n’attirait pas les mouches avec du vinaigre.
− Oui ben c’est comme « faire long feu », la moitié des gens pensent que ça veut dire le contraire de ce que ça veut dire. Et puis ça ne coûte rien d’essayer.
− Rien, rien, c’est vite dit. Ça coûte quand même le prix du vinaigre et du produit à vaisselle.

Non mais c’est vrai. Si on écoute les gens, tout est gratuit.

Jour 7/ Le fléau des moucherons s’intensifie. Et le fléau de la souris est de retour ! Malheureusement le magasin de bricolage est fermé. Je regrette de ne pas avoir acheté l’insecticide.

Jour 8/ J’ai été le premier client au magasin de bricolage.
− Devinez quoi ! Les souris sont totalement attirées par les moucherons ! A croire que les souris mangent les moucherons !
− Qu’est-ce qui vous laisse croire ça ?
− Hier et plus encore ce matin, j’ai trouvé de nombreuses déjections de souris autour de mon lavabo. Or c’est dans cette zone que j’ai le plus de moucherons. Jusqu’à présent je n’avais pas trouvé la trace du passage de la souris. Je l’avais juste vue passer.
− Vous avez supprimé les pièges ?
− Non mais elle n’y touche pas. Comme si elle savait que c’était un piège.
− Vous avez essayé la cacahuète comme l’a suggéré la demoiselle de la semaine passée ?
− Non mais arrêtez avec ça ! Je ne peux pas croire qu’une cacahuète sera plus efficace qu’un gruyère bio à 40 euros le kilo !
− Oubliez ça et achetez des crevettes ! Ça va marcher !
− Sérieusement ? Je suis censé attirer une souris avec un produit de la mer ?
− Vous faites comme vous voulez, moi je vous conseille juste de le faire.
− Ouais ben ce n’est pas donné les crevettes, quand même.
− Je ne vous dis pas de prendre de la crevette de Madagascar. Quoique ça ne nuirait en rien à son pouvoir d’attraction sur les souris.
− J’imagine que ce n’est pas en mettant des crevettes dans des cages en métal que je vais me débarrasser des moucherons.
− Si vous pensez que les souris bouffent les moucherons, qu’est-ce que vous voulez que je vous dise, faites un élevage de souris, voilà tout ! Entre les araignées au plafond et les souris au sol, avec vous les actionnaires de la pétrochimie seraient bien inspirés de changer d’âne !
− Vous ne m’aidez pas beaucoup là ! D’ailleurs, quand on y réfléchit, vous ne m’aidez pour ainsi dire jamais !
− Vous trouvez ? Je peux me rattraper assez facilement. Par exemple, en fouillant bien dans la réserve, je peux peut-être vous trouver un vieux morceau de colle à bouche.
− De colle à bouche ? Pourquoi faire ?
− Pour vous détendre, ou autre chose, ce que vous voulez.
− Ah ouais, je vois. Très drôle ! Vous en avez d’autres comme ça ?
− En tout cas je peux vous donner une piste. Imaginons que vous n’ayez pas une souris à cause des moucherons mais vous ayez des moucherons à cause d’une souris crevée !
− Comment elle pourrait être crevée et chier autour de mon lavabo en même temps ?
− Ce n’est peut-être pas la même. Ou bien, autre piste, vous n’avez pas remarqué au préalable que cette souris avait chié partout. La meilleure arme contre les moucherons c’est l’hygiène, et la meilleure arme pour l’hygiène c’est de ne pas oublier ses lunettes !
− Ah oui ? Je me demande bien qui m’a conseillé de ne pas prendre une mesure radicale pour me débarrasser d’une souris par qui le manque d’hygiène n’allait pas manquer d’arriver ! Mais si je m’en souvenais je ne lui dirais pas merci !
− Allez acheter vos crevettes, mettez vos lunettes et puis on en reparlera !

Décidément cette caissière encaisse tout. Elle commence sérieusement à me gonfler !

Jour 9/ Dans la nasse ! Elle est dans la nasse ! Tu fais moins la maligne là, souricette ! C’est la première souris que j’attrape, ah ah ah ! Je n’ai peut-être pas encore gagné la guerre mais j’ai gagné cette bataille ! Et j’ai une prisonnière ! J’ai une prisonnière… Merde alors ! J’ai une prisonnière.

Arrivé au magasin de bricolage j’ai sorti la nasse de la boite à chaussures dans laquelle je l’avais mise et je l’ai posée directement sur le comptoir.
− Vous avez un chat ?
La caissière a fait un bond digne de Michael Jordan :
− Mais vous n’êtes pas un peu malade ? Mais qu’est-ce qui vous prend de me foutre ça sous le nez ? Ça ne va pas bien dans votre tête ! Sérieusement !
− Pourquoi vous m’avez vendu ça ?
− Exactement pour faire ce que vous avez fait ! Attraper une souris !
− Finalement c’était très efficace. Fallait juste le bon appât, merci de votre aide. Mais maintenant que j’ai attrapé cette souris, je me demandais si vous aviez un chat. Vu que moi je ne sais pas quoi en faire, peut-être que lui il saura !
− Oui j’ai un chat figurez-vous ! Et du coup je n’emmerde personne avec mes histoires de souris !
− Fort bien mais vous vendez des nasses à souris pour ceux qui n’ont pas de chat ! Sauf que vous ne leur dites pas ce qu’ils doivent faire une fois qu’ils ont attrapé la souris ! Est-ce que je dois l’emmener devant la porte de mes voisins en lui disant : « Attends sagement ici qu’ils ouvrent la porte, tu verras, c’est bien mieux que chez moi. » ? Ben non, chez eux elle ne trouvera pas du Gruyère bio à 40 euros le kilo ! Donc vous comprenez bien que c’est impossible ! Donc la seule solution que je vois c’est de donner cette souris à un chat. Si vous permettez je vous laisse la souris et je récupère la nasse, au cas où.
− Mais bien sûr ! J’ai une meilleure idée ! Vous prenez votre nasse, votre souris, et vous allez simplement faire ce que tout individu doué de raison ferait dans de telles circonstances, trouver un endroit où relâcher la souris en extérieur. Un bout de parc fera très bien l’affaire !
− Ah oui ? Un bout de parc. Une souris, toute seule, loin des siens ! Ben elle est bien barrée tiens ! Imaginez en plein hiver !
− Vous êtes en chemise à manches courtes et en short… Pourquoi vous portez toujours la même chemise ?
− Ce n’est pas la même qu’hier ! J’en ai cinq de ce modèle ! En lot c’était moins cher. Et d’abord ne changez pas de sujet ! Qu’est-ce que je ferais si on était en hiver ?
− Mais on n’est pas en hiver ! Pourquoi vous me parlez de l’hiver ! Allez donc relâcher cette souris dans un parc et arrêtez de supposer qu’elle sera incapable de s’en sortir ! Comment vous pourriez le savoir ? Ça devient pénible là !

J’ai dû aller jusqu’à Saint-Georges pour trouver un parc digne d’accueillir cette souris, juste à proximité d’un compost, elle a sûrement trouvé de quoi se nourrir. Quand je l’ai relâchée, elle n’était pas encore morte de crise cardiaque mais je crois qu’il s’en est fallu de peu.

Après quoi je suis rentré chez moi. Les choses se compliquèrent sérieusement quand je m’aperçus qu’une seconde souris était prise au piège dans la seconde nasse tandis qu’une autre se carapatait à mon arrivée. Infesté ! J’étais infesté !
− Bordel ! Il me faut un chat !

Je suis retourné à Saint-Georges libérer la souris au même endroit que sa congénère. Je ne saurai jamais si j’ai libéré deux mâles, deux femelles ou bien si ces souris ont potentiellement reconstitué une famille outre-Saône. Cela m’a tout de même intrigué de le savoir, histoire de mettre quelque chose dans la balance de la vie, étant donné que mon idée d’alors était de faire une hécatombe parmi le gang de souris ayant manifestement un plan de conquête de tout mon appartement. Avant de me mettre en quête d’un chat je suis retourné avec mes nasses vides au magasin de bricolage.
− Chère madame ! Je vous prierais de bien vouloir me rembourser le prix de cet achat malheureux que vous m’avez forcé à faire.
− Que je vous ai forcé à faire ? Dernière nouvelle !
− Vous m’avez empêché expressément d’acheter les plaques de glu dont j’avais manifestement besoin.
− Je ne vous ai empêché de rien et en outre, vous aviez une souris à attraper et vous l’avez attrapée. Nous on ne loue pas des nasses, on les vend ! Si à votre tour vous voulez vendre des nasses, vous les prenez en photo et vous les postez sur le bon coin !
− En quoi ça vous dérange de reprendre ces nasses ? Vous voyez bien que je n’ai pas enlevé les étiquettes ! Personne ne verra la différence !
− Vous rigolez ? Elles sont souillées !
− Et quoi ? C’est de la pisse de souris ! C’est sûrement la meilleure chose pour attirer d’autres souris !

Cette conne n’a pas voulu entendre raison. Voilà comment on détruit la planète ! En entassant chez soi des choses qui pourraient servir à d’autres. J’ai remis l’opération chat au jour suivant car comme chacun le sait, le jour suivant, le matou revient, il est toujours vivant. J’ai aussi remis les nasses en place mais comme je n’avais plus de crevettes, j’ai ressorti le Gruyère.

Jour 10/ Avec les souris qui décident de transformer les immeubles en Gruyère, je crois qu’on pourrait boucher, avec du Gruyère, les trous que les souris font dans les immeubles. Soit certaines souris n’aiment pas le Gruyère, soit elles le sentent de moins loin que les crevettes. Ou bien la troisième souris a prévenu tout le reste du gang que l’endroit était dangereux. J’ai réfléchi à l’idée d’avoir un chat en sortant la balance bénéfice/risque. Le risque est facile à évaluer, il est d’abord financier car un chat ça coûte très cher. Et puis ça donne du boulot. Mais d’un autre côté les souris ça rend fou !

J’ai trouvé sur le net une association qui refourgue des chats pour pas un rond. J’ai laissé croire que j’aimais les chats, ce qui n’est pas forcément faux, ça dépend des chats. Toute petite association, il n’y avait pas un très gros stock, seulement trois femelles et un mâle. J’ai pris le mâle, pas trop mal, ni trop gros ni fluet, jeune. La fille m’a dit qu’il s’appelait Chubacha, j’ai décidé de le renommer Grabel, je ne l’ai pas dit à la fille de l’association mais je l’ai dit à la fille du magasin de bricolage.
− C’est quoi votre premier prix pour la litière pour chat ?
− Vous avez pris un chat ?
− Finalement oui. Vous connaissez la maxime : « Sans un chat tacherdu ! »
− Eh oui ! Sans un chat tacherdu ! Comme on dit.
− D’habitude les maximes ça ne casse pas trois pattes à un canard, mais au moins, pour celle-ci, ça dit ce que ça dit !
− Oui, pour le coup…
− Mon chat s’appelle Grabel.
− Parce qu’il est bel et gras ?
− Non, c’est pour l’association Grabel et Grabelot.
− Il vous ressemble à ce point-là ?
− Pour l’instant, pas du tout, c’est pour l’y encourager.

J15/ Je ne sais pas si Grabel fait le boulot pour lequel je le nourris. Il ne m’a pas ramené de souris pour témoigner de sa bonne volonté mais je n’en ai pas revu depuis près d’une semaine. Je suppose que sa simple présence suffit à les tenir à l’écart. Du coup j’oublie les souris et j’ai tendance à reconsidérer la balance bénéfice/risque de la présence d’un chat parce que ce chat m’énerve ! Je ne peux pas savoir ce qu’il fait quand je dors, pas trop de bruit au moins, mais en tout cas, il semble décidé à dormir dès que je suis éveillé. On pourrait croire que ça m’arrange mais ça m’énerve ! Je me demande si ce chat sur le sofa ne va pas finir par incarner à mes yeux tous les défauts de cette société, quel gland ! J’ai bien envie de le renommer Glandel !

J16/ Ce matin, prenant l’air par le Velux, j’ai aperçu à nouveau ce très gros chat noir qui hante les toits de ce pâté d’immeubles. Ni une ni deux, j’ai dévalé les escaliers jusqu’au séjour, j’ai attrapé Grabel sur le sofa et je suis remonté dans ma chambre avec le matou sous le bras. Puis je l’ai jeté sur le toit. Durant une fraction de seconde j’ai cru, pour la première fois de ma vie, que j’allais voir un chat qui retombe sur le bide faute de trouver la force de se servir de ses pattes. Finalement non ! Grabel a atterri sur ses coussinets et s’est retourné vers moi avec l’air de ne pas piger ce qui lui arrivait. J’ai dû lui expliquer :
− Va donc jouer avec tes congénères !
Après quoi j’ai refermé le Velux. Il a pas mal plu ce jour-là, quand j’ai rouvert le Velux Grabel faisait passablement la gueule.
− Va falloir que tu t’habitues mon vieux !
Finalement j’ai peut-être trouvé le meilleur compromis, un chat la nuit ça semble suffire pour éloigner les souris. »

− Fin de l’histoire matous ! Ça vous a plu ?
− Carrément !
− Carrément pas !
− Ça se passe de commentaires non ?
− Pas du tout. Ça appelle plein de commentaires. D’abord il y a quelque chose que je voudrais bien chavoir : c’est quoi la tribu des Krokkrionos ?
− Les Krokkrionos, ce sont des filles tatouées, qui ont les cheveux rouges et portent des vêtements noirs et de grosses chaussures noires.
− Elles aiment les chats ?
− Carrément ! Surtout les chats noirs !
− Et les fées les aiment ?
− Assez.
− Grabelot ne devait guère s’entendre avec cette tribu.
− On ne peut pas plaire à tout le monde. Dis donc Grabel, t’aurais pu faire un effort !
− Comment cha ?
− Quand Grabelot t’as accueilli chez lui.
− Qu’est-ce que tu voulais que je fasse ?
− Chasser les souris par exemple.
− Qu’est-ce que c’est que cette lubie ? Quand je suis arrivé, une souris s’est pointée quelques heures plus tard dans le séjour. Je n’avais pas le goût de lui sauter dessus alors je lui ai juste conseillé de ne jamais remettre les pieds dans cet appartement. Faut croire que le message est passé parce que je n’ai jamais revu de souris ici. Alors je ne vois vraiment pas pourquoi on me fait des reproches.
− T’aurais pu essayer d’être plus avenant. De donner une meilleure image des chats !
− Avec Grabelot ? Un type que je ne connais pas, débarque dans un lieu où je me sentais très bien et en charmante compagnie, il m’emmène chez lui où il n’y a rien à faire, me change mon prénom pour un autre, me donne à peine à bouffer dans l’idée que je devrais me nourrir de souris, puis, sans crier gare, me jette sur le toit un jour de pluie pour que j’aille bavarder avec un gros chat noir.
− Et quoi ? T’es pas content de m’avoir connu ?
− Ben au départ, moi je ne chavais pas qui t’étais. Comment je pouvais chavoir que t’allais pas me pousser par-dessus la gouttière ? Mettez-vous à ma place !
− Moi ? Je ne ferais pas de mal à une mouche ! Sauf quand on fait des concours de manger de mouches bien sûr. T’es toujours aussi nul à ce jeu d’ailleurs mais passons. Odette, une autre chose m’a interpelé dans le texte de Grabelot. Nous avons désormais la preuve que la maxime de papillote que tu croyais incomplète est une vraie maxime.
− C’est exact Darwin. Ce qui d’ailleurs m’étonne vraiment ! « Sans un chat tacherdu ! » Je ne suis pas très sûre de comprendre ce que ça veut dire mais tout à fait sûre de ne jamais l’avoir entendue avant de l’avoir lu dans une papillote.
− Eh bien je crois que c’est une expression écrite dans un patois local qui dit exactement ce qu’on a cru que ça disait : « Sans un chat, tâche ardue ! » Et c’est bien vrai, surtout pour ceux qui ont peur des souris.

Grâce à Grabelot nous avons donc la confirmation de la très grande utilité des chats ! Mais qui en doutait ?

Avec tout cha je ne vous ai pas raconté comment Grabel s’était retrouvé dans un petit refuge pour chats qu’il aurait souhaité ne jamais quitter. Ce sera peut-être pour une autre fois et le cas échéant le texte s’appellera sans doute « Grabel, le prépréquel !

Ah ben chalut !

Darwin.

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6 novembre 2022

Clouds boots

Lyon, 26 juin 2021

En avril 2021, celui dont on squattait la boîte aux lettres et qu’on appelle petit bonhomme, a décidé de déménager tout son appartement à dos d’âne, et, faute d’âne, fini par tout emporter sur un minable chariot à deux roues ? J’ai compté 61 voyages, 63 selon Grabel, coupons la poire en deux et disons 62. Pourquoi fait-il cela ? On n’avait pas la réponse donc au bout de deux semaines de ce remue-ménage on a demandé à Odette. Elle, elle avait un avis :
─ Il fait ça pour pouvoir dire : « J’ai tout fait tout seul ! »
─ Mais c’est complètement con !
─ C’est une lubie qu’il a.
─ Une lubie idiote, on n’est pas sur une île déserte !
─ C’est sûrement parce que dans son carnet d’adresses, y a pas beaucoup d’amis.
─ Cha m’étonne à peine.
─ Où alors il a peur de devoir renvoyer l’ascenseur s’il demande de l’aide.
─ En parlant d’ascenseur. Il a osé lui demander de l’aide ?
─ Bizarrement, oui.
─ J’aurais cru que ce flippé aurait peur de prendre l’ascenseur.
─ Parfois la flemme est plus forte que la peur !
─ Et d’abord pourquoi il s’en va ? C’est quand même pas parce qu’on fout le bordel dans sa boite aux lettres ?
─ Non. Marre des voisins !
─ Et là où il va, y a pas de voisins ?
─ Si, mais il pensait que ce serait de meilleurs voisins.
─ Et c’est le cas ?
─ Pas vraiment.
─ Ah ben c’est bien fait pour lui !
─ Pourquoi ?
─ Cha l’apprendra à nous abandonner.
─ Qu’est-ce que ça peut te foutre ?
─ Comment on va faire sans sa boite aux lettres ?
─ T’auras qu’à demander à tes correspondants d’envoyer le courrier à sa nouvelle adresse.
─ On ne va pas déménager quand même !
─ Pourquoi pas ? Y a sûrement un bout de sous-pente pour vous ! Et peut-être même sans pigeons !
─ Oui mais y a sûrement pas d’appartement de Mr Grabelot !
─ Il est beau le chat de gouttière ! Bourgeois !
─ J’ai des obligations figure-toi !
─ Un con de chat n’a aucune obligation !
─ Je ne suis pas un con de chat !
─ Bon. Sinon. Vous voudrez visiter ?
─ Visiter quoi ?
─ Son nouvel appartement. C’est facile y a des Velux !
─ Parce que tu crois qu’on n’a que cha à faire ?
─ Vous pouvez me dire à combien de voyages il en est ?
─ 19 !
─ Non 20 ! J’ai compté 20 moi !
─ 19 ou 20 c’est bien la preuve que depuis deux semaines vous passez tout votre temps à regarder par-dessus la gouttière !
─ Oui mais c’est pour ne pas perdre le compte !
─ Apparemment c’est raté.

Alors du coup on a effectivement tenté de compter tous les voyages, ce qui n’a pas été toujours facile parce que les dieux de la pluie semblaient décidés à maudire petit bonhomme. Déménager sous une averse c’est sûrement pénible mais regarder un type qui déménage sous une averse, c’est vraiment pénible, surtout pour un chat. Quand même on n’avait pas à rester toujours à la gouttière puisque petit bonhomme a des horaires de travail bien réglées. C’était plutôt le week-end qu’on s’obligeait à bien surveiller la rue. Ennuyeux ? Pour un humain sans doute mais nous les chats, on ne s’ennuie jamais, surtout depuis qu’on vit au milieu des humains. Un dimanche matin on était aux aguets de bonne heure car on avait remarqué qu'il profitait des rues encore désertes pour déménager les trucs les plus volumineux. Ce fut inutile car il sortit assez tard ce jour-là, de façon générale il sembla avoir de plus en plus de mal à se lever tôt au fur et à mesure des 7 semaines que dura son déménagement. Mais il faisait frais, on était bien :
─ Si je m’endors tu veilles à ne pas t’endormir, OK ?
─ T’endors pas ! Tu vois ce que je vois ?
─ Quoi ? Ce con de Riton déjà en train de picorer le bitume ?
─ C’est pas Riton !
─ Je crois que si !
─ De toute façon c’est pas du pigeon que je parle ! Tu ne vois pas ce que je vois ?
─ Quoi ? Où cha ?
─ Là ! Juste en-dessous !
─ Quoi ? La vilaine Nissan Juke blanche ?
─ Quoi ? Encore une Nissan Juke ? Je ne l’avais même pas vue ! C’est dingue le nombre d’humains qu’ont si mauvais goût !
─ Je ne te le fais pas dire !
─ Ben de toute façon c’est pas de cha que je parle ! C’est au-dessus, sur le fil !
─ Oh !… Mais oui, t’as raison !... Cha alors ! C’est original !

Voilà toute l’affaire ! Sur l’un des fils qui sert à installer les décorations de Noël en travers de la rue, il y avait une paire de basket. Elle n’était pas à proprement parler sur le fil mais suspendue par les lacets, à plus de 6 mètres du sol. Cha nous a vraiment intrigués.
─ Comment cette paire de chaussures est arrivée là ?
─ Elle est peut-être tombée d’un rebord de fenêtre ?
─ Si c’était le cas elle serait près du mur ! Pas au milieu de la rue.
─ Oui c’est vrai… Alors cha veut dire qu’elle est tombée du ciel ?
─ Cha m’en a tout l’air !
─ Ce ne serait pas les baskets de la fée Odette ! Elle en met des baskets des fois !
─ Mais Grabel ! Tu vois bien que c’est pas du tout sa taille ! Elles sont bien trop grandes pour elle !
─ Qu’est-ce qu’on en sait ! C’est une fée alors on n’est même pas sûrs de sa taille ! Si cha se trouve, quand elle est avec son humaine elle a la même taille qu’une humaine !
─ Hum… J’en doute !
─ Si cha se trouve c’est même à cause de cha qu’elle perd ses chaussures ! Imagine qu’elle est avec son humaine et que tout d’un coup elle lui dit : « Excuse-moi Andrea mais là je dois aller voir ces deux cons de chats parce qu’il y a un orage qui arrive et ces deux cons de chats n’ont toujours pas appris à fermer le Velux ! » Donc elle vient à tire-d’aile jusqu’ici dans sa grande taille et puis tout d’un coup elle se dit : « Zut ! Faut que je pense à changer de taille sinon ces deux cons de chats vont flipper ! » Et c’est alors qu’en changeant de taille elle se retrouve avec des baskets bien trop grandes pour elle et elle les perd !
─ Grabel ! C’est toi le con de chat alors arrête de m’inclure dans ton ensemble de deux cons de chats ! Réfléchis un peu ! Elles étaient là ces baskets hier ?
─ Non je ne crois pas.
─ Et quand est-ce qu’on a vu Odette pour la dernière fois ?
─ Juste après qu’elle a éteint la télé après l’élimination de la fille qu’elle aimait bien à The Voice !
─ Exactement ! Juste après qu’elle a braillé : « Ce jeu est truqué ! J’en ai marre ! Je vais aller faire quelques tours du soleil pour me calmer ! Faites pas les cons, cons de chats ! » T’as le souvenir de l’avoir vue pieds-nus ?
─ Des fois oui.
─ Mais hier soir ?
─ Hier soir non. Elle avait ses petites bottines rouges que j’aime bien.
─ Elles les avait en partant tout comme elle les avait en arrivant. C’est bien la preuve qu’elle n’a pas perdu ses chaussures en changeant de taille si jamais elle change de taille.
─ Tu as sûrement raison.
─ Bien sûr que j’ai raison ! En outre je ne vois pas pour quelle raison Odette changerait de taille sans changer la taille de ses baskets en même temps. Sinon elle perdrait aussi ses vêtements et on ne l’a jamais vue débarquer nue, non ?
─ Parfois elle n’est pas très habillée tout de même. Si cha se trouve elle a ses petits vêtements sous ses grands vêtements !
─ Et ses petites bottines dans ses grandes baskets ! C’est vraiment idiot comme hypothèse ! Comment cha se passe dans le cas inverse ?
─ Quel cas inverse ?
─ Quand elle passe de sa petite taille à sa grande taille ? Elle déchire tout ?
─ Ah ! Ben je ne sais pas… Bon d’accord ! Je te donne raison mais si t’es si malin, dis-moi à qui elles sont ces chaussures ?
─ Vu d’ici je dirais qu’il s’agit de baskets de garçon !
─ Ou d’une fée qui chausse du 50 !
─ Arrête un peu avec tes fées ! Aucune fée ne porte des baskets pareilles ! Elles sont moches !
─ Je ne trouve pas !
─ Cha, crois-moi c’est plutôt des baskets de lutin !
─ De lutin ? Mais un lutin c’est petit Darwin !
─ Alors cha c’est la meilleure ! Monsieur suppose que les fées font 30 centimètres quand elles parlent aux pigeons et aux chats, chaussent du 50 quand elles parlent à des humains, et pourquoi pas du 100 quand elles sont avec des éléphants ; mais les lutins, eux, ils seraient forcément petits ! Ils n’ont pas le droit de changer de taille les lutins ?
─ Un lutin c’est rien du tout par rapport à une fée ! Cha n’a aucun pouvoir et sûrement pas celui de changer de taille !
─ Comment on pourrait le savoir ?
─ Tout le monde le sait Darwin !
─ Ben moi je dis que cha c’est les baskets d’un lutin qu’est amoureux d’Odette et qui essaye de le lui dire. Elle, bien sûr, elle s’en fout des lutins ! Sachant qu’elle n’est déjà pas très charitable avec les chats, je n’ose même pas imaginer ce qu’elle fait avec les lutins trop pressants. Tu vois Grabel ! Ces baskets elles sont tombées des pieds d’un lutin quand Odette a claqué des doigts justement parce qu’elle voulait voir ce lutin perdre ses baskets. Et si on n’était pas occupés à surveiller cette rue on pourrait aller de l’autre côté pour jeter un œil dans la rue Gasparin, je suis sûr qu’on y verrait le slip d’un lutin !
─ Un slip taille XXL ?
─ Exactement !
─ Surveille la rue ! Je vais voir de l’autre côté pour en avoir le cœur net !
Il fit ce qu’il dit qu’il allait faire et revint trois minutes plus tard !
─ Pas de slip Darwin ! Ton hypothèse est à l’eau !
─ Il est possible que la fée Odette n’ait pas voulu humilier totalement le lutin ! Elle s’est contentée d’en faire un va nu pied plutôt que de le mettre à poil !
─ Il y a un truc qui cloche dans ton histoire !
─ Lequel !
─ Tu dis que le lutin suivait la fée Odette et que pour avoir la paix elle a claqué des doigts pour qu’il perde ses baskets et arrête de la suivre. C’est ce que tu dis n’est-ce pas ?
─ On peut résumer cela comme cha !
─ Donc selon toi le lutin suit Odette dans l’espoir qu’elle s’intéresse à lui.
─ C’est possible.
─ Et pour mieux parvenir à ses fins ce fameux lutin marche avec les baskets attachées entre elles par leurs lacets ? Il n’est vraiment pas malin ton lutin !
─ Hum… Bon OK, tu marques un point ! Cherchons autre chose !
─ …
─ …
─ Tu trouves quelque chose ?
─ Attends !… J’ai un truc ! Tu te souviens des tours de New-York ?
─ Quelles tours de New-York ?
─ Les tours jumelles ! Celles qui se sont effondrées il y a 20 ans ! Tu ne peux pas ne pas avoir entendu parler de cha ?
─ Evidemment que j’ai déjà entendu parler de cha ! J’ai même vu ces images des dizaines de fois. C’est très triste mais je ne vois pas bien le rapport !
─ Eh bien figure-toi qu’avant de s’écrouler, ces tours ont vécu et connu des évènements moins tragiques. Un jour un humain a réussi à passer du sommet d’une tour à l’autre.
─ Tu veux dire qu’il a sauté d’une tour à l’autre. N’était-ce pas plutôt un chat ?
─ Même un tigre n’aurait pas pu faire un tel saut, la distance entre les deux était trop grande.
─ Alors comment il a fait ? Il a volé comme un oiseau.
─ Non ! Il a marché !
─ Comment cela ? Sur l’air ?
─ C’est à peu près cha !
─ Carrément plus balèze que Jésus alors !
─ C’est très différent. Là on a des images qui attestent de ce qui s’est passé !
─ Dis-moi !
─ L’humain qui a fait cha est un français qui s’appelle Jean-Pierre Petit. C’est un funambule très connu qui avait déjà réalisé des exploits avant d’aller d’une tour jumelle à l’autre. Mais cet exploit est le plus grandiose. Il l’a fait en toute illégalité, juste avant que les derniers étages des tours ne soient aménagés. C’était en 1974 ! Les tours avaient été inaugurées en 1973 mais le sommet était encore en travaux. Avec son équipe, Jean-Pierre Petit a passé des mois à préparer cette traversée. Il fallait trouver le moyen d’arrimer les câbles et surtout déjouer la sécurité pour les monter au sommet. Tu n’auras qu’à aller voir sur Wikipédia comment ils ont fait cha, en tout cas ils l’ont fait et c’est déjà assez génial en soi. Après quoi Jean-Pierre Petit s’est promené sur son câble durant 45 minutes, sous le regard médusé des new-yorkais. Même les flics qui sont venus l’arrêter l’ont applaudi. Il n’y a que les autorités françaises qui n’ont pas trouvé cela génial.
─ Pourquoi ?
─ C’était du temps de Giscard, la république des prouts-prouts ! Jean-Pierre Petit avait sans doute le tort de montrer une mauvaise image de la France.
─ Je ne trouve pas !
─ Moi non plus. Tout cha pour dire qu’il est possible pour certains humains de passer d’une tour à l’autre à plus 400 mètres de haut. Mais avant de devenir de grands funambules ces humains-là doivent nécessairement passer par des étapes intermédiaires, être de petits funambules, puis des moyens funambules, puis des moyens-grands funambules.
─ Tu as oublié l’étape où ils sont des petit-moyens funambules.
─ Je ne connais pas toutes les étapes, c’était pour se faire une idée.
─ Mais comment sait-on qu’on passe de moyen-grand funambule à grand funambule ?
─ Eh bien j’imagine que dès lors qu’il y a un risque pour sa vie, le funambule peut prétendre à être grand. Donc s’il marche sur un câble sans filet à une hauteur où il risque de mourir, on pourrait penser que c’est un grand funambule. Mais comme c’est quand même plus difficile de le faire entre deux tours à 400 mètres de haut qu’entre deux petits immeubles à 10 mètres de haut…
─ Je ne vois pas bien la différence.
─ C’est à cause du vent que c’est plus difficile Grabel. Alors disons qu’entre deux immeubles on est un moyen-grand funambule et qu’entre deux tours on est un grand funambule. Donc celui qui a oublié ses baskets sur ce câble est un moyen-grand funambule.
─ Tu penses vraiment que c’est un funambule qui a laissé ses baskets là ?
─ C’est possible.
─ J’ai du mal à imaginer que ce câble puisse soutenir le poids d’un humain.
─ Bien sûr que si ! Ils y ont déjà accroché des guirlandes avec des centaines d’ampoules.
─ Hum… Donc à ton avis quelqu’un du quartier est funambule et il n’a pas trouvé d’autre endroit pour s’entraîner ?
─ C’est possible.
─ Cha m’étonnerait ! Ou alors c’est un funambule somnambule !
─ Un sunambule ?
─ Ou un fomnambule. D’ailleurs cha s’est sûrement passé au milieu de la nuit plutôt que sous le soleil sinon tout le quartier serait déjà au courant.
─ Cette explication me plaît bien.
─ Moi aussi mais il y a un truc qui cloche Darwin. Tout cela n’explique pas pourquoi il y ces baskets sur ce fil.
─ Il y a ces baskets sur ce fil parce que le fomnambule a commencé sa traversée en baskets alors que le funambulisme se pratique pieds-nus. Alors il les a enlevées.
─ Au beau milieu de sa traversée ?
─ Parfaitement. Avec les somnambules, il ne faut pas chercher à comprendre.
─ Là tu pousses un peu Darwin ! Cherchons une autre explication !
─ Je n’en vois pas d’autres.
─ Cha pourrait être une pie.
─ Comment cha une pie.
─ Les pies sont réputées voleuses. Peut-être qu’une pie est entrée dans un appartement et a volé le premier truc qu’elle a trouvé. Puis elle s’est rendu compte que des baskets ne lui serviraient à rien alors elle les a lâchées là.
─ C’est trop lourd pour une pie à mon avis. Mais avec toutes les corneilles qui vivent dans le coin désormais… Ces oiseaux-là aussi semblent aimer la rapine.
─ Tous les voleurs sont des voleurs !
─ Oui mais y a qu’un pigeon qui me semble assez idiot pour voler un truc dont il n’a pas l’usage !
─ Si cha se trouve ce truc est un coup des pigeons pour nous faire parler !
─ Tu crois qu’on est tombé dans un piège ?
─ Si c’est le cas faisons comme si ce n’était pas le cas !
─ Oui. N’ayons l’air de rien et cessons d’en parler. Comme cha les pigeons sauront qu’on ne tombe pas dans les pièges qu’ils nous tendent.

Alors c’est ce qu’on a fait. Les baskets sont restées accrochées au fil et nous avons cessé d’en parler même si cha nous démangeait. Après quelques jours, Aïcha, Burbulle et P’tit gris sont venu(e)s sur notre bloc puisque c’était leur tour de nous rendre visite. Voulant voir de leurs yeux le remue-ménage de petit bonhomme, ils nous ont rejoints au bord du toit rue Emile Zola. Nécessairement les baskets ne sont pas passées inaperçues et Aïcha s’est exclamé :
─ Tiens ! Des chaussures d’ange !
─ Ce sont des chaussures d’ange ?
─ Ben oui.
─ Comment tu le sais ?
─ Cha arrive très souvent vous savez. Avant non. Parce que les anges marchaient pieds-nus dans les nuages. Mais c’est comme pour les humains. Si on demandait aujourd’hui à Jésus de marcher sur l’eau il prendrait sûrement des bottes pour le faire parce qu’un Jésus du 21ème siècle c’est moins résistant qu’un Jésus du temps de Jésus. Avec le temps les anges sont devenus aussi plus fragiles et capricieux. Comme les nuages c’est froid, maintenant ils mettent des chaussures. Mais c’est plus difficile de porter des chaussures dans les nuages parce que si on fait mal ses lacets, on les perd.
─ C’est totalement irresponsable de leur part de ne pas bien faire leurs lacets !
─ Pourquoi ?
─ Et si les chaussures nous tombent sur la tête ?
─ Les chaussures des anges tombent toujours sur des fils figure-toi !
─ Comment c’est possible ?
─ Je ne sais pas mais c’est bien la preuve que les anges sont des anges !
─ C’est surtout la preuve qu’ils sont idiots. Pourquoi ils marchent dans les nuages avec les chaussures attachées entre elles ?
─ Justement pour qu’elles puissent tomber sur des fils et non pas sur la tête des terriens.

Tout cela ne parut pas très convaincant. Ce n’est que quelques jours plus tard que nous eûmes une nouvelle explication plausible. Tandis qu’un moineau s’était mis en tête de becter le lacet de l’une des baskets, nous vîmes Biscotte se poser sur la fenêtre la plus proche où, peu après, le moineau alla la rejoindre. Ils bavardèrent quelques temps puis Biscotte vint vers nous pour nous dire bonjour. J’en profitai pour parler, l’air de rien, de ces mystérieuses baskets :
─ Dis donc Biscotte, ce moineau aurait-il l’intention de se faire un nid dans ces chaussures ?
─ Non. Juste de récupérer quelques brides de tissu.
─ Dommage, car on aurait pu appeler cela un nid d’ange.
─ Pourquoi ?
─ Parce que Aïcha se plaît à croire que ces baskets sont tombées du ciel et appartenaient à un ange.
─ Ce serait original mais d’après mes informations, qui viennent d’un autre moineau qui les tenaient de je ne sais quel oiseau nocturne, c’est juste une blague entre amis.
─ C’est-à-dire ?
─ En général cela se passe après la fermeture des bars, quand les humains se promènent en chantant des chansons paillardes, donc après avoir bu plus que de raison. Pour rigoler certains humains en attrapent un autre et lui enlèvent ses chaussures. Puis ils les attachent entre elles par les lacets et ils les jettent en l’air dans l’espoir de les voir retomber sur le fil. Des fois ils y parviennent.
─ Jure !
─ C’est ce qu’on m’a dit.
─ Alors l’humain à qui on a fait la blague se retrouve sans chaussures.
─ Faut croire.
─ Et t’appelles ça des amis ?
─ Je vous dis juste ce que m’a dit le moineau.
─ Quand on a des amis pareils on n’a pas besoin d’ennemis ; si c’est vrai.
─ Elles finiront bien par redescendre. Si leur propriétaire est patient…
─ S’il n’a pas grandi des pieds entre temps.

Cher lecteur, si vous avez des amis idiots au point de faire de mauvaises blagues qui coûtent cher, promenez-vous en bottes de caoutchouc, hiver comme été !

Ah ben chalut !

Darwin.

6 novembre 2022

Darwin et les cycles lunaires

Lyon 27 juin 2022

Chalut !

Laissez-moi vous raconter le jour où Philémon a tenté de s'incruster dans l'appartement de Grabelot. Nous étions en discussion sur le toit avec Grabel et la fée Odette. Bizarrement, aucun Pigeon n'avait écourté son repas pour bavarder avec nous mais à la place nous vîmes Philémon débarquer. Nous avons pensé qu'il venait prendre part à la discussion du jour, qui portait sur l'issue d'un éventuel débat entre King Kong et Konko Kalekatan et d'un combat à main nue entre Emmanuel Macron et Marine Le Pen. Mais Philémon était intéressé par un autre sujet.

− Chalut !

− Chalut ! Cha va ?

− Cha va. Dites-moi ! Est-ce qu'il serait possible de m'héberger durant quelques jours ?

Odette a répondu du tac au tac :

− Quoi ? Chez Grabelot ?

− Ben oui !

− Sûrement pas ! Ces deux balourds foutent déjà bien assez de bordel !

− Allez quoi ? C'est juste pour dormir dans un endroit chaud.

− Pourquoi ? Il fait si froid que ça chez tes humains ?

− Non. Mais j'ai besoin de m'absenter quelques jours !

− Allons donc ! Ils ont des amis qui ont un chien ?

− Pas du tout ! Ils veulent me vermifuger !

− Te vermifuger ?

− Oui. Ils ont mis le cachet dans ma gamelle. D'ailleurs, à cause de cha je n'ai rien mangé. Vous n'auriez pas quelque chose pour moi ?

− Ah parce qu'il faut te nourrir en plus ?

− C'est juste pour cinq jours ! Vous pouvez bien m'aider, pour une fois !

− Ce n'est pas qu'on ne veut pas t'aider, juste que ta requête est invraisemblable. Pourquoi ne veux-tu pas avaler ce cachet ? C'est stupide !

− Comment pouvez-vous en juger ? Vous n'avez même pas d'humains !

− On n'a pas d'humains mais on a Odette.

− Tu leur donnes des cachets de vermifuges ?

− Pas exactement. Le vermifuge est dans la farcie. C'est du tout en un !

− Ah bon ? Alors j'en veux pas aujourd'hui !

− Tant mieux ! Cha en fera plus pour les autres !

− Vous allez vous empoisonner ! Il ne faut pas avaler de vermifuge avant le 20 avril !

− Pourquoi le 20 avril ?

− Parce que c'est marqué dans le livre.

− Quel livre ?

− Mes humains ont un livre où il est clairement marqué qu'il faut vermifuger le 20 avril !

− Seulement le 20 avril ?

− Pas seulement le 20 avril mais c'est la prochaine date où l'on peut le faire ! Et surtout faut pas le faire aujourd'hui car on est le 15 avril !

− Qu'est-ce que c'est que cette connerie ?

− C'est écrit dans le livre ! Vous ne l'avez pas lu donc taisez-vous !

− Attendez une minute ! Je reviens !

La fée Odette a disparu pour revenir peu de temps après.

− Je vois très bien de quel livre tu parles Philémon ! Si t'étais pas si con tu ne serais pas là le ventre vide ! En quelle année on est ?

− 2022.

− Alors pourquoi tu te réfères à un calendrier lunaire de 2020 ?

− Parce que la Lune a une importance fondamentale dans nos vies ! Ce n'est pas parce que vous n'y croyez pas que ce n'est pas vrai !

− Qui a dit qu'on n'y croyait pas ?

− Vous tous ! Puisque vous dénigrez mon histoire de vermifuge !

− Écoute Philémon ! La prochaine fois qu'on a une éclipse de lune un dimanche soir, t'auras qu'à venir la voir le mercredi suivant ! Avec un peu de chance elle fera un rappel juste pour toi !

− Pourquoi tu dis cha ?

− Tu piges rien ! Écoute ! Est-ce que ça t'arrive de te sentir encore plus débile que tu ne l'es en temps ordinaires ?

− Quoi ? Mais qu'est-ce que tu racontes ?

− Je t'explique comment repérer la pleine lune quand bien même tu ne mettrais pas le nez au Velux ! Un calendrier lunaire c'est en décalage permanent avec le calendrier solaire ! C'est écrit dans le texte ! Donc ton histoire de vermifuge nécessite que tu lises un calendrier lunaire de 2022 ! Ils ne l'ont pas acheté tes humains ?

− Ben... pas que je sache.

− C'est sûrement parce que celui de 2020 ne leur a servi à rien. Ou qu'ils sont passés à autre chose. L'humain c'est un être inconstant par nature !

− Je crois qu'ils sont passés à l'horoscope ! Mon humaine lit tous les matins les horoscopes à voix haute et les commentaires vont bon train. En même temps, cha m'arrange puisque je suis Vierge comme mon humaine !

− T'es né en août toi ?

− Non. Le 17 septembre.

− Cha m'étonne pas que tu sois de la fin de l'été !

− Pourquoi ? Qu'est-ce qu'il y a encore ?

− Les chats du printemps sont plus vigoureux ! Moi je suis né le 20 mars à minuit une, on voit facilement la différence !

− N'importe quoi ! C'est pas parce que t'es plus grand que t'es plus vigoureux !

− Y a même pas photo !

− J'oserais dire qu'il n'a pas tort, sans vouloir te vexer Philémon !

− Et même si c'était vrai ! C'est pas sur un seul exemple qu'on peut dire que les chats du printemps sont plus vigoureux ! Tenez ! Grabel, vous n'allez pas me dire qu'il est plus vigoureux que moi !

− Lui c'est pas pareil ! C'est un matou !

− Je suis né le 2 février de toute façon. C'était l'hiver.

− Ah t'es Verseau ? Comme mon humain ! J'aurais pas cru.

− Pour ta gouverne Philémon, les gens nés le 2 février ne sont pas Verseau mais Capricorne.

− N'importe quoi ! Tu perds la tête Darwin !

− Pas du tout ! Les seuls véritables Verseau sont ceux qui sont nés juste avant le 20 février ! Tous les autres sont Capricornes !

− Dernière nouvelle ! C'est la meilleure celle-là ! Et tu vas me dire que je ne suis pas Vierge ?

− Puisque tu es né le 17 septembre, je dirais que tu es né à la limite du Lion et de la Vierge. Si tu étais né le premier septembre tu serais bien plus franchement Lion.

− Et alors toi tu es quoi ?

− Moi je suis Poissons tout de même ! Tout cha c'est grâce à la précession des équinoxes ! Je suis né le premier jour du printemps, qui est parfois le dernier jour de l'hiver, mais le printemps se déplace un peu tous les ans par rapport aux étoiles. Environ tous les 26000 ans il revient au point de départ. Si on suppose que les babyloniens avaient, il y a plus de 2400 ans, déjà découpé le zodiaque en 12 constellations, alors le premier jour du printemps s'est décalé d'environ une constellation depuis les babyloniens. Sans la précession des équinoxes je serais queue de poisson-tête de bélier. Bien sûr, ceux qui écrivent les horoscopes ne se vantent pas du fait qu'ils donnent à ceux qui sont nés sous le signe du Verseau l'horoscope du signe des Poissons. D'ailleurs cha n'a pas d'importance puisque les horoscopes que lit ton humaine n'ont sans doute pas la moindre valeur astrologique !

− Mon pauvre Darwin ! En guise de chat chavant tu dis dans un même mouvement des choses tout à fait vraies et tout à fait idiotes ! T'es pas d'accord avec moi Grabel ?

− Oh tu sais, moi je ne comprends même pas ce que ça signifie d'être né sous le signe du Verseau ! Et d'ailleurs je ne sais vraiment pas à quoi cha lui sert à Darwin d'être né sous le signe des Poissons alors qu'il n'a jamais reçu une seule pluie de poissons !

− Grabel ! Il n'y a aucune raison de penser que les pluies de poissons tombent plus souvent sur la tête de ceux qui sont nés sous le signe des Poissons. Être né sous le signe des Poissons ça veut dire que le jour où on est né, si on trace une ligne droite entre la terre et le Soleil et qu'on prolonge cette droite loin, loin derrière le Soleil, on finira par passer au voisinage d'étoiles appartenant à la constellation des Poissons.

− Ben non ! Être né sous le signe des Poissons cha veut dire que ta ligne droite atterrit dans la constellation du Verseau. Justement pour la raison que je viens d'évoquer !

− Oui d'accord ! Vu comme ça, tu n'as pas tort.

− De toute façon je n'aurais pas dit cha comme cha !

− Et tu l'aurais dit comment gros malin ?

− Tout simplement qu'à midi le jour de notre naissance, en regardant vers la constellation des Poissons, on ne verrait aucune étoile de la constellation du Verseau puisque cette constellation serait pile poil derrière le Soleil.

− C'est complètement con ! A midi tu pourrais bien tenter de voir n'importe quelle étoile de n'importe quelle constellation, tu verrais que dalle !

− Hum... c'est juste.

− Ce que tu dois comprendre Grabel, c'est qu'on parle là d'astrologie tropicale. L'astrologie tropicale découpe le zodiaque en 12 parts de 30°, elle est liée à la position relative de la terre et du soleil. Et c'est en ce sens que Darwin se goure complètement quand il croit que les astrologues ne prennent pas en compte la précession des équinoxes par ignorance ou par malhonnêteté. Aujourd'hui être astrologue ça semble être un métier pas franchement sérieux, les vrais scientifiques se sont les astronomes. Mais à l'origine l'astrologie ce n'était pas moins que l'étude des astres, bien sûr à une époque où la science baignait dans les mystères divins, ce qui ne changeait rien à la difficulté de l'étude et aux mérites des résultats obtenus. Les humains ont appris des choses essentielles à force d'observations minutieuses et patientes. Et ces mêmes humains connaissent depuis très longtemps la précession des équinoxes ! Alors vous croyez vraiment que les astrologues sérieux auraient fait l'impasse là-dessus ?

− Ben il faut croire que oui ! Puisque ceux qui sont nés quand le Soleil est dans la constellation des Poissons sont majoritairement déclarés Bélier.

− Mais c'est ainsi parce que ça n'a que peu d'importance ! D'ailleurs les constellations n'ont même pas toutes la même largeur et elles se chevauchent souvent. On pourrait bien enlever une étoile au Lion pour la refourguer à la Vierge, le Loin dessiné par les étoiles résiduelles n'aurait pas moins l'air d'un Lion et la Vierge pas moins l'air d'une Vierge ! Tout ça n'a pas d'importance parce que l'astrologie tropicale est principalement une étude du système solaire, pas d'un système fait d'étoiles qu'on distingue à l'œil nu à condition de ne pas être myope comme un chat !

− Ah non ! On ne va pas recommencer avec cha !

− Toujours est-il que l'astrologie liée aux signes du zodiaque ça dépend surtout du couple terre-soleil ! Et dans le couple terre-soleil, que pourrait bien remarquer quelqu'un qui aurait la mauvaise idée de rester tout le temps au même endroit comme un con de chat de gouttière ? Hein ?

− Ben... que le matin le Soleil se lève et que le soir il se couche.

− C'est pas faux ! Mais ce qui compte c'est surtout l'heure à laquelle il se lève et à laquelle il se couche. Ce qu'ont en commun deux 20 mars successifs, c'est l'heure où le Soleil se lève et se couche. Et même si ce ne marche pas à tous les coups, il y a plus de chances que sur ce toit il fasse plus chaud un 20 mars qu'un 20 décembre et moins chaud un 20 mars qu'un 20 juin.

− C'est bien ce que je dis ! La température et toutes les bonnes choses du printemps rendent les chats du printemps plus vigoureux !

− Ah oui ? Et les chats de l'hémisphère sud, ils sont plus vigoureux gros malin ?

− Ce que dit Philémon est très juste. L'influence du soleil sur les gens qui naissent n'est pas nécessairement la même d'un hémisphère à l'autre. Elle est potentiellement différente d'une latitude à l'autre !

− Et pourquoi pas d'une longitude à l'autre tant qu'on y est ?

− Parfaitement ! C'est pour ça qu'on prend en compte l'heure et le lieu de naissance dans le calcul de l'ascendant.

− Mais tu y crois, toi, à tout cha ?

− Croire à quoi Grabel ?

− Ben, à ces histoires de signes.

− Tu veux dire, est-ce que je crois que les astres et notamment le Soleil peuvent avoir une influence sur les êtres vivants de la terre ?

− Oui, voilà, un truc comme cha.

− Je crois que le contraire serait étonnant. Par contre reconnaître l'influence des astres sur les individus et reconnaître qu'il y a des individus capables de bien interpréter cette influence sur les individus, ce n'est pas la même chose. Toujours est-il que si tu es né sous le signe du Verseau tu es bien Verseau et non pas Capricorne comme le pense Darwin !

− Non c'est faux ! Si la définition du signe est donnée par la position dans le zodiaque du soleil vu de la terre, alors Grabel est bien Capricorne !

− Oui, si ! Si on trouve l'un de ces astrologues qui pensent que c'est plus important que le fait que Grabel soit né le 2 février, alors cet astrologue lui fera un thème astral en supposant qu'il est Capricorne. Mais la plupart des astrologues font essentiellement de l'astrologie tropicale, astrologie qui au final est relative aux saisons. Dans ce cas ils pensent que les lointaines étoiles ou galaxies dont la vue est gâchée par le Soleil ne jouent qu'un rôle négligeable sur les êtres de la terre. Et moi je pense qu'un chat qui se dit chavant et croit devoir donner des cours de physique aux autres devrait être d'accord avec ça ! Parce qu'on est dans le domaine de la gravité et du rayonnement ! Tu piges ?

− Vu comme cha.

− Pour ma part je pense qu'un astrologue capable de dresser un bon portrait de toi juste à partir du lieu, du jour et de l'heure de ta naissance, a intérêt à avoir un très gros cerveau ! En outre il y a des choses qu'il ne peut pas maîtriser. Deux jumelles nées dans un intervalle suffisamment court pour avoir le même ascendant peuvent paraître avoir beaucoup de traits de caractère en commun mais ça n'est probablement pas toujours vrai.

− Moi et mon frère on ne se ressemble pas vraiment mais j'ignore si on a le même ascendant.

− Sûrement, vu que chez les chats l'affaire est souvent vivement menée. Mais même si deux jumelles montrent une forte ressemblance en grandissant ensemble, rien ne dit qu'elles seraient aussi semblables si on les avait séparées à la naissance. Pour vraiment miser tout sur l'astrologie, il faut supposer que la première respiration d'un être sur terre surpasse en importance toutes ses interactions sociales des jours et des années qui suivent.

− Personne n'a dit qu'il fallait tout miser sur l'astrologie. Moi ce qui m'intéresse c'est de chavoir s'il y a effectivement des astrologues capables de déceler un trait de caractère qui restera à vie, quelles que soient les interactions sociales.

− Si c'est le cas, alors le problème reste entier quand on pense comme moi qu'il s'agit essentiellement de comprendre l'influence des champs gravitationnels et du rayonnement solaire.

− C'est peut-être pas de cha qu'il s'agit !

− Si c'est pas de ça, c'est de quoi selon toi Philémon ?

− C'est peut-être une question de flux cosmiques ! Alors peut-être que les flux cosmiques d'énormes étoiles ou galaxies très loin de nous ont plus d'influence que notre propre étoile.

− Appelle ça flux cosmique ou rayonnement cosmique, permets-moi de douter qu'il soit plus important que le rayonnement solaire sans qui tu n'existerais pas !

− Si tu veux.

− OK. Donc on oublie cette histoire de flux cosmique, c'est chiant ! Et concentrons-nous sur l'essentiel ! L'astrologie croit pouvoir bien appréhender l'influence du soleil parce que celle-ci est flagrante et avec des cycles de 365 jours, ce qui est assez court et permet de repérer facilement des régularités. Mais si à l'origine l'astrologie était l'étude des astres, elle était l'étude des astres visibles et notamment les planètes visibles du système solaire. Si on veut prendre en compte l'influence des autres planètes, qui se déplacent en permanence les unes par rapport aux autres, alors les choses deviennent infiniment plus complexes.

− Inextricables même.

− Bien sûr on peut supposer que même une aussi grosse planète que Jupiter n'a qu'une influence négligeable par rapport à celle du soleil. Pourtant, dans leur culture populaire les humains ont gardé l'expression : « Les planètes étaient bien alignées. » Un vrai astrologue s'occupe de la position des planètes ! Or deux chats nés le premier jour du printemps à des années différentes n'ont pas le même alignement de planètes.

− Quand je suis né, les planètes devaient être sacrément bien alignées !

− Prétentieux !

− Moi ce que je constate c'est qu'il n'y a jamais eu de pluie de poissons alors que tu es du signe des Poissons.

− Il pleuvra des poissons sur ce toit quand je serai tout seul sur ce toit ! C'est vous qui me portez la poisse !

− Si tu veux tu restes tout seul sur ce toit et moi je prends ta place sur le sofa de Grabelot.

− On vient de te dire que tu peux très bien rentrer chez tes humains et manger tes croquettes et ton cachet.

− Non. Vous m'avez juste dit que je m'étais trompé de calendrier !

− Philémon ! Tu ne risques rien à bouffer ton cachet ! C'est juste que le vermifuge sera plus efficace si tu le prends le 27 ou le 28 avril. On peut peut-être négliger l'influence de Jupiter mais pas celle de la Lune ! Lequel d'entre vous connaît son signe lunaire ?

− Il y a des signes lunaires ?

− Mais bien sûr qu'il y a des signes lunaires ! L'inclinaison de la terre par rapport au plan écliptique est le principal facteur de saisonnalité. Si on a donné le nom de Balance au signe qui commence à l'équinoxe d'automne, ce n'est pas un hasard ! Peut-être que ceux qui faisaient de l'astrologie en Amérique du Sud n'auraient jamais symbolisé l'entrée dans le printemps par un Bélier, puisque là-bas c'est l'entrée dans l'hiver, plutôt le moment où l'on rentre les troupeaux.

− Si on était dans l'hémisphère sud, ce serait Philémon le chat vigoureux et Darwin le chat langoureux ?

− C'est possible.

− Je ne suis pas langoureux !

− On n'est pas dans l'hémisphère sud alors je ne vois vraiment pas pourquoi on parle de cha !

− Cha ne t'intéresse pas de chavoir que tous les horoscopes des êtres du sud sont faux ?

− C'est leur problème, pas le mien !

− Revenons à nos chatons ! Si on pense que c'est très différent d'être né face au soleil plutôt qu'au beau milieu de la nuit, il est légitime de s'occuper du lieu et de l'heure de la naissance. L'ascendant permet de prendre en compte cette différence mais un vrai astrologue doit aussi savoir où se situaient les planètes par rapport à la terre. Or celui qui pense qu'il est important de savoir où se situe Vénus, parfois à l'opposé du soleil, parfois proche de la terre, n'est tout de même pas idiot au point de ne pas s'apercevoir qu'avant de s'intéresser à Vénus, il faut s'intéresser à la Lune ! La position de la Lune mérite un signe astral plus qu'une simple prise en compte dans un thème astral. C'est pour ça que chez Philémon on peut trouver un livre entier consacré au calendrier lunaire et pas un livre consacré au calendrier de Vénus ou de Mars ! En termes de gravité et de rayonnement, avec le Soleil et la Lune, on est servi.

− Je ne connais peut-être pas mon signe lunaire mais sur la Lune elle-même, j'en connais un rayon !

− Voyez-vous ça ?

− Parfaitement. Selon certaines hypothèses, la Lune serait née quand une planète de la taille de Mars dénommée Théia a percuté la Terre il y 4.5 milliards d'années. Selon une autre hypothèse elle serait née après plusieurs percussions de la Terre par des planètes plus petites. En fait, je pense qu'il est impropre d'appeler la Terre « Terre » avant cette ou ces collisions, on devrait l'appeler la Préterre !

− Non ! C'est moche ! Choisis autre chose !

− Les humains l'appellent parfois la proto-Terre.

− Pourquoi pas la Serre ? Vu que le S arrive juste avant le T dans l'alphabet.

− Va pour la Serre. D'ailleurs il faisait sûrement très chaud sur cette planète.

− Je ne crois pas que cha s'est beaucoup refroidi après le ou les chocs que la Serre a subis. Du moins cha a mis longtemps. En tous cas aucun chercheur n'a donné un modèle parfait et accepté par tous ses pairs. Un tel modèle doit expliquer les différences de composition chimique de la Terre et de la Lune, il doit établir les vitesses de rotations de la Serre et de Théia, la vitesse et l'angle de collision. Ceux qui croient à l'hypothèse d'une seule collision avec Théia pensent que la Lune a été créée par l'accrétion des éléments éjectés dans l'espace lors de la collision. Au début la Lune aurait été très proche de la Terre avant de s'éloigner peu à peu. Il est admis que les marées créées par les interactions gravitationnelles entre la Lune et la Terre ralentissent la vitesse de rotation de la Terre. Et c'est ce ralentissement qui conduit à l'éloignement de la Lune. Il y a 4.5 milliards d'années la lune orbitait à 25000 kilomètres de la Terre et celle-ci faisait un tour sur elle-même en un peu plus 6 heures. Il y avait 1434 jours par an !

− Quoi ? 6h ! Mais si on dormait 12 heures de suite alors on était obligé de dormir le jour ?

− N'est-ce pas déjà ce que vous faites ? S'il y a bien une race qui ne devrait pas s'inquiéter de ça, c'est la vôtre.

− De toute façon il n'y avait aucune vie sur Terre il y a 4.5 milliards d'années ! Mais quand les premiers animaux capables de sortir de l'eau sont apparus, ils valaient mieux qu'ils sachent nager parce que si la Lune était plus près, alors les marées étaient forcément plus fortes. Sûrement ces animaux-là étaient cons comme des manches à balais, alors ce n'était pas très important de savoir sous quel signe lunaire ils étaient nés. Mais maintenant que Odette nous a parlé de ce signe lunaire, j'aimerais bien chavoir de quel signe lunaire je suis. Comme le soleil ne contribue que pour un tiers aux marées terrestres, je me dis que l'astrologie basée sur le signe lunaire est peut-être deux fois plus importante que celle basée sur l'astrologie tropicale.

− C'est un peu plus compliqué que ça Darwin. Il suffit justement de constater les différences d'ampleur des marées quand la Lune est dans l'axe Terre-Soleil et quand elle est perpendiculaire à cet axe. Donc, selon moi, une bonne astrologie devrait avant tout se baser sur les positions respectives de notre planète, de la Lune, son unique satellite et du Soleil, son étoile. Que Jupiter, Mars où les autres aient un rôle à jouer, c'est possible, mais il me paraît minime. Sinon, pour information tu es du signe des Poissons, ascendant Scorpion et ton signe Lunaire est Vierge.

− Comment tu le sais ?

− Je connais ta date, ton heure et ton lieu de naissance banane !

− Et moi ?

− Minute Grabel ! On parle de moi là ! Quand tu dis que mon signe Lunaire est Vierge, cha veut dire quoi ?

− Qu'en prolongeant une ligne droite dont l'origine est la Terre et qui passe par la Lune, on finirait par passer au voisinage d'étoiles appartenant à la constellation de la Vierge !

− La constellation de la Vierge pour de vrai ou bien cette portion du ciel de 30° qui se déplace un peu chaque année avec la précession des équinoxes ?

− Franchement Darwin... t'es super chiant !

− Il faut être précis sinon cha sert à rien !

− Tu te doutes bien que ceux qui font de l'astrologie tropicale, donc en découpant le zodiaque en 12 part de 30°, utilisent cette même découpe pour le signe lunaire. Sinon ça deviendrait complètement incompréhensible.

− Donc quand je suis né, en vrai la lune était peut-être dans la constellation du Lion.

− C'est possible mais ça n'a aucun intérêt de le savoir puisqu'il s'agit d'astrologie tropicale.

− Tout ce que je dis c'est que je devrais mieux être un Lion.. pour un chat ce serait logique.

− Mais t'es vierge ! En astrologie tropicale ton signe lunaire c'est Vierge que ça te plaise ou non !

− Ok... Pas besoin de s'énerver ! Du coup... cha dit quoi de ma personnalité ?

− Que tu es égocentrique, prétentieux et têtu !

− N'importe quoi !

− Pas besoin de faire ton thème astral pour s'en rendre compte Darwin ! Mais si tu veux en avoir la certitude, vas voir un chat astrologue !

− J'en connais pas... A mon avis ce taré de Saint-Sauveur est né un jour où la lune était le plus loin de la terre et perpendiculaire à l'axe Terre-Soleil. Ça a dû lui aplatir le cerveau !

− Mieux vaut ne pas creuser la question parce qu'on pourrait bien découvrir que c'est toi qui es né à marée basse.

− Je suis né à marée basse ?

− En fait, non... plutôt haute.

− Et voilà ! Je t'ai dit que pour moi, tout était nécessairement parfaitement aligné. Cha se voit non ?

− Quand tu es né, le seul alignement notable était celui formé par la Lune, la Terre, Mercure et Vénus.

− Et moi ?

− Et moi ?

− Un peu de patience vous deux ! On parle de mon thème astral là ! Cha me semble pas mal comme alignement ! Super même !

− C'est franchement banal je vais te dire.

− Non je ne crois pas ! La preuve en chair et en os !

 

Un peu après Odette consentit à donner à Grabel et Philémon leur ascendant et signe lunaire. Quand on sut que les jours de leurs naissances, sans surprise, il n'y avait pas d'alignement notable de planètes, Philémon consentit à rentrer chez lui avaler ses croquettes et son cachet tandis que Grabel et moi décidâmes de rentrer pour la sieste.

− Je me demande comment aurait tourné cette discussion si Aïcha avait été là. a dit Grabel.

− A mon avis on y serait encore.

− Sans même parler des pigeons.

− Parfois la tranquillité tombe à point nommé.

− C'est juste.

− Je suis né sous une bonne étoile il faut dire.

− Laquelle par exemple ?

− Si on te le demande, tu diras que tu ne le sais pas !

− D'accord.

 

Ainsi se termina cette discussion du mois d'avril. Ensuite nous avons vainement scruté un alignement jugé remarquable de sept planètes dans le ciel des fins de nuits du mois de juin 2022. Odette dit que notre échec tient à nos faiblesses physiologiques mais c'est surtout qu'on vit à Lyon ! Franchement, que fait cette municipalité écologiste en matière de lutte contre la pollution visuelle ? A mon avis pas grand-chose !

 

Ah ben chalut !

 

Darwin.

30 août 2021

11 septembre 2001, l'Humanité

Chalut !

Vous vous souvenez que l'an passé un pigiste du Coincoin du coin s'est installé dans un studio sous les toîts. Je vais quelques fois m'installer près de son Velux et je crois qu'il a compris que je suis un auditeur attentif. Voyez donc quelle fut sa dernière création à l'approche de l'anniversaire de l'une des tragédies de ce début de siècle.

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Allez gros chat ! Tu ne bouges pas avant que j’aie fini la lecture ! Enfin, tu fais bien ce que tu veux mais je compte sur toi ! Tu sais que j’ai besoin d’un public ! Le texte s’appelle : « 11 septembre 2001, l’Humanité. » C’est peut-être un peu présomptueux comme titre, je l’admets.

Je suis né un jour quelconque de l’année 1981. Une date passée depuis à la postérité, j’ai eu 20 ans le 11 septembre 2001. Autant te dire que j’avais prévu autre chose qu’une soirée devant la télévision. J’avais eu ma licence en juin et je m’apprêtais à entrer en école de journalisme. J’attendais fébrilement les résultats du concours mais j’avais quand même l’intention de fêter mes 20 ans dans mon petit studio avec des potes de la fac. C’est l’un d’eux qui m’a téléphoné dès que l’info est arrivée aux chaines de télévision françaises. « T’as la télé allumée ? », « Non. », « Ben allume-là ! »

Je me souviens que je revenais des courses et que j’essayais de faire rentrer un maximum de bières dans un réfrigérateur fatalement trop petit. Cette affaire-là a été oubliée sur le champ. Je reviendrai à cette journée mais tout d’abord j’aimerais te dire pourquoi j’en viens à raconter ça. Ma carrière de journaliste n’a pas été à la hauteur de mes prétentions mais mes années de pigiste au Coincoin du coin m’ont valu quelques satisfactions malgré plus de contrariétés encore. Je fais un bond d’une quinzaine d’années. Avec le recul je ne sais toujours pas si c’était stupide de ma part mais après les attentats de Charlie Hebdo, j’ai écrit un article qui m’a valu d’être convoqué par le noyau dur des journalistes de feu mon cher canard. J’ai tout simplement été accusé d’avoir fait l’apologie du terrorisme ! L’article était axé sur Saïd et Cherif Kouachi, les auteurs de l’attentat, mais il traitait principalement de la notion de terrorisme, de guerre au terrorisme, de la violence légitime de l’Etat tout autant que celle de ceux qui entrent en lutte contre l’Etat. Entre autres maladresses j’ai cru utile d’émettre une opinion sur ce qui pouvait différencier Saïd et Cherif. A partir d’un instant tragique, la mort du policier Ahmed Merabet, j’ai émis l’hypothèse que Saïd était une meilleure personne que son frère. Pour d’autres rien ne devrait les distinguer, ce sont deux monstres au service du mal qui ont pris exactement le même chemin en connaissance de cause. Eux se voyaient plus sûrement comme des soldats au service de dieu. Libre à chacun de leur refuser le statut de soldat. J’ai trop entendu d’anciens membres de l’armée allemande, parfois même des SS, refuser encore, des dizaines d’années après, le statut de soldat aux résistants français. Pour eux ils étaient des terroristes et il était légitime de les traiter comme tels. Lorsque Ahmed Merabet a tenté de stopper les frères Kouachi, il n’était guère armé pour cela et il a été gravement blessé par le tir de riposte. Je n’oublierai jamais cette scène, filmée et largement diffusée. Quoique je ne sois pas un adepte de vidéos macabres, je l’ai revue plusieurs fois, ou plutôt je l’ai réentendue. Je voulais être sûr d’avoir compris ce que ce sont dit les frères Kouachi. Aujourd’hui si on va sur Wikipédia, un site auquel je donne régulièrement de l’argent mais auquel je n’accorde pas toujours crédit quant à la qualité des informations, on apprend que Cherif se serait avancé vers Ahmed Merabet en criant : « Tu voulais nous tuer ! » Et Ahmed Merabet aurait répondu « Non c’est bon chef ! ». Dans mon souvenir ce n’est pas du tout ce qui s’est passé. Cherif Kouachi s’est avancé en criant : « Je vais le tuer ! » vers Ahmed Merabet qui hurlait de douleur. Son frère lui a répondu, malheureusement sans effet : « Non c’est bon Cherif ! » 

C’est une scène horrible et bouleversante mais à mon sens, si ça n’avait tenu qu’à Saïd, Ahmed Merabet serait encore en vie aujourd’hui, et c’est une différence énorme. Pour Saïd Kouachi sa mission était déjà accomplie, il restait surtout à trouver le moyen de s’échapper et il avait conscience qu’Ahmed Merabet était hors d’état de nuire et ne lui barrait plus le chemin. Je crois que les journalistes du Coincoin du coin se sont mépris sur mon propos. Cette scène me revient souvent à l’esprit et il n’y a aucune ambiguïté, j’imagine une autre issue, Ahmed Merabet mieux abrité et qui fait mouche. Oui, c’eut-été justice que ce soit lui qui vive et eux qui meurent sur le Boulevard Lenoir. Ou bien qu’ils poursuivent leur route mais qu’Ahmed Merabet vive. Lorsqu’on a voulu me donner la leçon au sujet de mon article, on a sous-entendu que je faisais beaucoup de cas d’Ahmed Merabet, dont l’attitude était certes héroïque mais qui ne pouvait pas ignorer les risques de son métier. A contrario je paraissais faire assez peu de cas des victimes dans les locaux de la rédaction de Charlie, y compris celles qui n’avaient rien à voir avec les caricatures incriminées. Je n’ai pas saisi le sens de cette critique. Je n’étais pas un lecteur régulier de Charlie mais j’avais l’impression de connaître Cabu depuis mes plus tendres années, c’est donc prioritairement son visage qui me venait en tête ; celui aussi de Bernard Maris, un économiste avec lequel je partageais quelques points de vue. Cet attentat m’a profondément choqué, ceux à venir en fin d’année me choqueraient davantage encore alors que j’ai tout fait pour éviter d’en voir des images. Des attentats du Bataclan je n’ai qu’une image réelle en tête, celle d’une femme suspendue à la force des bras à un rebord de fenêtre. Je me suis toujours dit qu’on ne pouvait pas tenir très longtemps comme ça et qu’elle était peut-être tombée, d’une hauteur où l’on peut survivre avec des blessures plus ou moins graves, mais d’où l’on peut aussi mourir. J’aimerais recevoir un message de cette femme qui me dirait : « J’ai tenu bon ! » Ou bien :« J’ai sauté et je suis retombée sans encombre sur mes pattes comme un chat. »  De ce qui s’est passé à l’intérieur je ne veux rien en savoir, je ne veux pas rencontrer de survivants pour savoir comment ils ont surmonté cela. Je ne veux pas qu’ils me racontent ! J’ai peur de visualiser, je visualise déjà trop. Et j’ai à la fois peur de constater qu’ils n’ont pas surmonté l’insurmontable et tout autant peur de porter un jugement sur celui qui, miraculeusement, me donnerait l’air de l’avoir surmonté.

Le poids des mots, le choc des photos. Le choc des vidéos ! Quelqu’un a filmé l’assassinat d’Ahmed Merabet et j’ai vu cette vidéo. Le monde entier a braqué ses objectifs sur le World Trade Center, j’avais 20 ans et j’ai allumé ma télé. New York est devenu poussière, le vrai drame était avant. Quand ils ont sauté dans le vide, avant encore, cette chaleur, même toi qui a le vertige, elle te pousse vers ce rebord de fenêtre, il n’y a aucune issue, aucun secours en vue, la chaleur, la douleur, une soudaine condamnation à mort, si soudaine, interminable, l’horreur. J’ai beaucoup pensé à ceux qui ont sauté, aussi à cette succursale de ma propre banque et ses bureaux coupés en deux, des employés en bas, qui s’en sortiraient, non s’en avoir pu échanger avec leurs collègues d’en haut, condamnés. Ce n’était pas du cinéma, mais la vie dans ce qu’elle fait de plus dégueulasse ? Dégueulasse ! En haut l’échelle s’efface. Ce n’était pas du cinéma, s’il reste un hélicoptère en vol, il n’enverra pas une échelle de fortune (les femmes et les enfants d’abord, peu d’enfants, heureusement), l’Amérique est à genoux, pas son système médiatique, un seul objectif, l’objectif. J’ai pensé à tous ces pompiers, à tous ceux qui savaient que ça finirait mal, il restait des héros, un bilan surtout sacrificiel, aucun moyen de faire autrement, sauf l’honneur, est-ce que ça réduit les pleurs ? Quel regard de l’Amérique sur elle-même, quel regard des autres si, attaquée, elle avait vu ses pompiers se dérober à cette mission sans retour ? J’ai pensé qu’ils étaient des héros. J’ai pensé à ces familles de pompiers qui ont perdu leur enfant, leur conjoint, leur parent. Puis toujours, je suis revenu sur ce bord de fenêtre, si haut au-dessus du sol. Il faut que je tienne jusqu’à ce que tout s’écroule, c’est moins pire ! Est-ce que c’est moins pire ? Et comment pourrais-je savoir que ça va s’écrouler ? Non ! Il faut bien qu’il me reste un espoir ! Quelqu’un va venir ! Le feu va faiblir. Non. Je suis debout sur un rebord de la tour debout. L’autre vient de s’effondrer. La poussière en sus. Le désarroi devient… Il n’y a pas de mot qui monte à ce niveau de désarroi. C’est irréel ! Un cauchemar, je vais me réveiller, continuer à vivre, je vais mourir ! Je ne peux pas sauter ! Vous comprenez que je ne peux pas sauter ? Je ne peux ni sauter ni mourir ! Mais je ne peux plus tenir ! Mon Dieu sauvez-moi !

L’horreur.

USA ! USA ! USA ! USA ! L’Union réunie. Sortez les bannières ! Apaches et Comanches avec nous ! L’eau a coulé sous les ponts. Tout est pardonné. Sortez les bannières ! Etoiles et rayures, jamais bien loin des mains, au demeurant.

J’ai toujours pensé que les pays les plus enclins à éructer leur hymne national à la moindre occasion traduisaient moins leur capacité à faire nation que leurs doutes à ce sujet. Ou bien c’est la grandeur perdue qui fait chanter comme un seul homme la foule qui se croit au-dessus des autres foules. Les USA n’en étaient pas encore à déplorer la grandeur perdue, moins que la France du moins. Quand la Marseillaise est redevenue un sujet de conversation récurrent, ça n’a pas témoigné d’un sursaut de patriotisme bien partagé mais seulement d’un sursaut de « patriotisme », pas fiscal, d’une part inquiète de la population. Quand j’étais petit et dans mon milieu, la Marseillaise n’était guère considérée comme une affaire sérieuse, hormis par quelques anciens combattants lors des diffusions annuelles d’effluves de naphtalines. Jamais je ne me suis posé la question de savoir ce que cela signifiait être français. On l’était simplement, sans opposition à qui que ce soit suspecté de ne pas être tout à fait français. Il y avait des turcs, des arabes, les racistes ordinaires ne les envisageaient pas du tout français, et finalement la plupart des blancs non plus, ce n’était même pas utile d’exhiber des étendards pour leur signifier leur différence. Certains s’imaginent qu’un trop plein d’immigration récente aurait changé la donne à ce sujet, j’aurais tendance à chercher du côté de notre vieux droit du sol. A l’immigré on peut toujours refuser la nationalité française et le considérer très officiellement comme quelqu’un qui n’a pas son mot à dire. Même entourés dans leur propre pays de 90% de non qataris, les qataris ne se posent sans doute guère de questions sur ce que les qataris ont en commun. Ils seront peut-être bien obligés de s’en poser un jour. En attendant la débauche de moyens mis au service de l’exhibitionnisme du nationalisme américain m’apparaissait déjà suspecte avant mes 20 ans. Les attentats du 11 septembre 2001 n’ont rien arrangé à l’affaire. 

Qu’est-ce que je fais sur un rebord de fenêtre du World Trade Center ? Je travaille ici. World Trade Center. A lui seul le nom est un symbole. Il dit : « Je suis acteur de ce monde. » Jamais je ne saurai quel drame advient au Pentagone, un autre acteur du monde. Un jour, bientôt, l’un de mes semblables, qui travaille dans un autre building, un autre acteur du monde, vous dira que, comme tout un chacun, il sait parfaitement ce qu’il faisait le 11 septembre 2001. Il dira qu’il était à son travail, un œil sur une chaine d’information, l’autre sur ses comptes. Comme tous les jours y avait des affaires à faire ce jour-là. Qu’il ose dire cela devant mes enfants, cela mériterait bien une bonne dérouillée et il y a aurait des volontaires pour la donner. Personne ne saura jamais ce que j’aurais fait si, ce jour-là, un autre building plutôt que le World Trade Center avait été attaqué. Aurais-je eu un œil à mes affaires ? Show must go on ? Quel genre d’humain est l’homme d’affaire invulnérable sur un rebord de fenêtre du World Trade Center ? Juste un homme aux abois désormais, une victime d’une telle ignominie qu’il mérite toute la compassion du monde. Là, les différences passées par le feu. Qu’est-ce qu’il nous reste ? Nous laisser guider par la théorie qui guide les affaires de ce pays ? Ce n’est pas de la générosité du boucher que naissent la richesse et la prospérité mais de son égoïsme. Le salut est dans l’individualisme… tant qu’il n’est pas dans l’entraide ; et réciproquement. Tu retourneras peut-être ta veste en un quart de seconde s’il faut la force de trois bonhommes pour défoncer cette porte qui barre la fuite mais que le salut pour celui qui passe en tête est mieux assuré que pour les autres, tant le temps presse. Seul survivant ta conscience sera juge du type d’homme que tu es, la culpabilité n’est pas une tare. Sur ce rebord de fenêtre, avec ma collègue, il n’y a pas de salut. Nous n’étions que des collègues, pas les plus proches, pas d’attirance particulière. Il y a des gens qui vénèrent la guerre, parfois même sans l’avoir faite, car ils s’imaginent, peut-être à raison, que les relations humaines y sont poussées à l’extrême. Est-ce si formidable de vivre dans l’extrême ? Ah oui, les liens indéfectibles de la souffrance commune, de l’acte ignoble en commun. Avec ma collègue, sur ce rebord de fenêtre… je ne peux pas sauter, je vous l’ai dit ! Avec ma collègue, ce temps si court, interminable, c’est le temps au-delà de tout l’amour du monde, jusqu’à ce que la mort nous unisse. Est-ce que j’ai l’air d’avoir encore plus peur qu’elle ? J’étais son supérieur, c’est comme ça qu’on dit. Une ère de millions d’habitants se couvre de poussière, il n’y a plus que nous deux, ma main dans la sienne, je ne peux pas sauter, je ne veux pas mourir, pas comme ça, pas maintenant, je le lui ai dit, ses pleurs ont redoublé. Qu’on ne fasse pas de film où je me tiendrais digne sur ce rebord de fenêtre autrement qu’en pleurant ou pétri de peur, j’aimais tellement la vie, je vais mourir ici.

Aucun de tous les humains, même ceux qu’on aime haïr, ne mérite ça. C’est ce que je pense, je suis devant ma télé et ces fantômes ne m’ont pas encore hanté. Dans diverses parties du monde des gens ne pensent pas comme moi. Feux d’artifices et flonflons, ou plutôt drapeaux et klaxons. « On nous attaque ! », « On l’a touchée ! » Mon éducation politique me laisse comprendre ce phénomène, mon cœur le rejette, abject ! 20 ans après j’ai l’impression d’en être resté au même point. Le jour de mes 20 ans je pensais que les morts se compteraient en dizaines de milliers. Le bilan final fut moindre mais qu’est-ce que ça change ? Si l’aile du Pentagone, dont on a dit qu’elle était en travaux, avait été totalement vide, si une alerte avait permis d’évacuer le World Trade Center, si les Kamikazes avaient détourné des avions de fret, peut-être que les drapeaux et klaxons auraient été pareils en nombre. Ont-ils tous célébré la mort de mères ou de pères de familles, ou plus souvent le geste et sa force symbolique. L’Amérique surpuissante, arrogante, dictant sa loi aux quatre coins du monde, laissant constamment penser que, pour elle, la vie d’un musulman et celle d’un chrétien ne valent pas la même chose, cette Amérique-là touchée au cœur. Si c’était une victoire à célébrer pour certains, on pouvait difficilement la qualifier de victoire à la Pyrrhus, avec une mise en œuvre de moyens modestes, si l’on veut bien considérer que la vie de terroristes pensant rallier le paradis importe à peu de gens, le résultat fut absolument sidérant aux yeux de l’ensemble du monde. Et pourtant, de quel résultat positif pourrait s’enorgueillir le monde musulman pris comme un tout, consécutivement à ces attentats ? En dehors de quelques sphères oligarchiques, quelques centaines de milliers de djihadistes dont on ne sait guère si c’est la vie de djihadiste qui les motive ou le résultat d’un djihad éventuellement victorieux, les populations n’ont rien gagné et certaines ont même tout perdu ou presque. La réponse se voulait à la hauteur de l’affront, elle le fut. Prévisible selon les complotistes pressés d’en faire commerce. Prévisible selon n’importe quelle autre personne ayant un minimum conscience de la puissance de feu américaine et de la dépendance de ce pays à la coercition, quoiqu’il s’en défende, préférant faire valoir son amour du travail et de l’excellence.

Qu’on venge les morts ! Qu’on me venge ! Œil, œil, œil pour œil. Dent, cents dents, d’autant plus vite que ça profite. En avant ! Ceux qui nous prennent en traitres avec des lames ont un pays gavé en armes. L’armée des justes, tigres ailés dessus l’Euphrate, ici seront nos frappes, chirurgicales, guerre à la terreur, aucun droit à l’erreur, l’Orient sous lois occidentales, le bien combat le mal, je suis dommage collatéral. J’étais dans la cave, assis sur mon vieux ballon. On est descendu là, comme hier, avant-hier, avec les voisins, sans mon copain, déjà mort, sur le marché. On serait sur le toit et qu’est-ce que ça changerait ? On verrait le ciel zébré d’éclairs, son et lumières, comme un feu d’artifice profite à la terre entière, flash… boum…

Flash…   boum…

Flash…             boum…

Flash…                       boum…

Pourquoi un ton si grave grand reporter ? Ecoute le temps que prend le boum, reste à distance et prends le zoom. On serait sur le toit et qu’est-ce que ça changerait ? Si tu prenais le zoom. Et dans ton œil, petit bonhomme, mon ballon pas si rond roulant en contrebas, là où, peut-être, retombera ma tête, ou bien mes bras, d’autres morceaux de moi. Tu diffuserais ça ? Au moyen d’un média ? Allez vas ! On va t’épargner ça ! Je suis dans la cave. Tu n’en verras rien ! Dans un ballon il y a beaucoup de génie humain déjà. Et c’est du bon génie, le meilleur de ma vie et celle de mes amis. Et quand il est à soi, celui-là est à moi, on peut s’asseoir dessus, dessus ce n’est pas pareil que par terre, surtout dans la cave. Mais dans une frappe chirurgicale, c’est beaucoup plus de génie humain que dans un ballon. C’est quelque chose une frappe chirurgicale, c’est tout l’esprit occidental, la guerre oui, mais juste, presque jolie. Tout est prévu à une variable près : le dommage collatéral. La guerre, c’est comme un jeu d’échecs, quand les méchants se terrent sous des mètres de béton armé, il faut des armes aptes à les en déloger. Sur mon ballon je n’étais pas dans un bunker, mais à quoi ça sert, si on n’est même pas à l’abri dans un bunker ? La vie, ce chemin de hasard. Tu n’as rien fait, tu montes dans un avion, des fous furieux s’y invitent, quelle justice ? Tu n’as rien fait, tu vis dans un quartier, une liste à l’aplomb de la bombe. Les bras m’en tombent.

Ce pays est un soleil qui brille de mille et mille feux, l’étoile du siècle passé éclaire encore les hommes, sa peur, c’est qu’on l’éclipse… en sommes. Il y a une cellule officielle pour ce genre de calcul, un nouveau siècle américain, ça sonne bien. Tout compte fait, il faut des hommes, des corps forts, des têtes bien faites, plus encore, il faut des normes. Le monde entier est normé, toutes les normes ont des bornes, nous les avons fixées, pour la paix, la paix dans le monde. La paix a ses gardiens, les gardiens de la paix sont américains, parfois européens, tu t’en souviens, il fallait des hommes forts, des têtes bien faites, des hommes comme toi. Ce n’est pas tout à fait toi cet homme-là, c’est moins que toi, pas qu’un premier de la classe à bord d’un avion de chasse. Le monde libre ne vaut pas qu’on marche au pas, sauf à goûter à ça, la vue en contrebas. Trop plats les hommes, loin les hommes, petits points poids d’enclumes, te voilà flèche, te voilà plume, c’est ton trophée mais c’est lourd à porter. Une tête bien faite, pour aller au plus haut, pour comprendre cet oiseau, bardé de micros, décoré des lueurs de milliers de capteurs, un labeur. Mais un bonheur aussi ! Oiseau géant par-dessus l’océan. Oiseau voyage par-dessus les nuages. Oiseau à pleine vitesse. Oiseau col blanc, ailes d’argent. Oiseau comme un présage. Oiseau migrant d’ouest en orient. Oiseau dans l’œil et dans le geste.

Ce geste n’existe pas, ou bien n’est pas de toi. Toi tu incarnes l’envol, tu es presqu’une idole. Pas dans l’art des pionniers mais dans la lignée, un peu moins dans les tripes, un peu plus dans l’esprit. Ton premier fait d’armes c’est un concours d’école, plein sol, le rêve abouti d’un gentil qui, tout môme déjà, était fort en neurones. Cette réputation-là, ça ne se salit pas. L’homme est tout à sa tâche, l’uniforme est sans tache, il s’orne de-ci de-là de quelques apparats, c’est presque toujours comme ça. De combat, s’il y en a, on n’en parlera pas, en tout cas, pas dans le détail, d’ailleurs, il n’y a pas de détail, tout est chirurgical… ou bien collatéral. Ça c’est un détail. Tu n’es pas responsable de toute façon. Il y a une chaîne de commandement, chaque maillon s’attache l’autre, de galons en galons, défendant la nation. Brille ! Oiseaux en escadrille, gamins en espadrilles, ils ne sont pas physiquement présents, distants, des points blancs sur l’écran, pixels de petites gens. Ce n’est pas toujours facile de sauver le monde libre, là, ça l’est. C’est l’affaire d’un instant, c’est presque un jeu d’enfant, enfant mort sous un drap, enfant dort dans ses draps, c’est pour lui qu’on fait ça, c’est pour lui mais… ne lui dites pas ! S’il l’apprenait, s’il disait « pourquoi ? » Moi je ne sais pas pourquoi, juste qu’on n’a pas le choix. L’autre est d’un autre temps, d’un peuple de méchants, il nous tuait tu vois ; il nous tuait, on avait le droit ! Je l’ai fait pour toi car toi, tu es la prunelle de mes yeux. Ce n’est pas pareil là-bas, ils meurent et quoi ? La vie n’a pas nos prix là où l’homme est servile. On a tout essayé tu sais, infuser ces pays dans la démocratie, organiser leurs villes dans des schémas possibles, rien n’y a fait ; c’est comme prendre un sauvage sur le porte-bagage. Il y a des exceptions c’est vrai, quelques bédouins sagaces aptes à compter les liasses, un signe de gènes universels, le signe que c’est dieu qu’on dépasse.

Moi, je suis un môme du Pentagone. Mon père déjà avait travaillé là, j’ai suivi ses pas, on est comme ça dans la famille, trois frères, l’un s’appelle comme son père, on le prénomme Junior, le destin de Junior, à l’état de Senior, c’est d’avoir son Junior. Je sors. A deux doigts j’étais mort, à deux pas j’étais là, je ne m’y attendais pas mais je ne l’oublierai pas. Je suis un môme du Pentagone et j’y vois des fantômes. Malheur ! Pourtant mon œuvre là n’est pas celle d’un soldat, ils n’auraient pas fait ça s’ils avaient de l’honneur, ils n’auraient pas fait ça si eux étaient soldats, ce n’est pas un combat mais une pluie de terreur. Ce n’était pas mon heure, peut-être une question de chance, visage pâle, je retourne à ma vie, j’agis pour mon pays, où l’atmosphère est lourde comme un état d’urgence. Tout est régi par des courbes, budget fédéral ou firme à capital, le devoir est dans la croissance. L’urgence ? Défendre nos subsistances ! C’est qu’on ne fait pas dans le social, le social est un autre cadre, vénérable certes mais pour l’heure… budget fédéral, un gâteau à parts inégales. Trop d’impôts tue l’impôt, personne d’autre qu’une loi n’incarne mieux ce bon mot ; alors il faut garder ce corps vital au chaud, tirer la couverture à soi, laisser la couverture sociale sur la dalle, ce n’est pas l’idéal, c’est simplement vital. A l’état sa part noble, la mariée dans sa robe, nous déployons nos armes aux quatre coins du globe, nous créons des missions pour déplacer nos pions, nous allons, partout où l’on nous menace, nous occupons la terre de la mer à l’espace. Une farce ? Regarde ! Ils sont là ! A deux pas ! A deux pas c’était moi ! Moi ! C’est plus qu’inacceptable ! C’est juste intolérable ! Il y a urgence à dire l’état d’urgence, à créer des budgets pour aller guerroyer, à faire de notre armée ce qu’elle était déjà, une force indépassable, quasi invulnérable. Allons-y sans compter, sans délais, qu’importe si ça sourit aux conflits d’intérêts, qu’importe si ça pourrit jusqu’aux démocraties. Tu vois, je suis l’oie blanche gavée jusqu’à outrance, je suis la poule qui va créer son œuf. J’ai tant besoin d’un œuf, de faire éclore ces mouvements neufs, qu’on me croit et qu’on pense, qu’ils ont un coup d’avance.

Il n’y a pas assez de larmes dans les yeux d’un homme, d’une femme, pour pleurer tous les drames. Comment pourraient rire les sensibles s’ils prenaient tout pour cible de leurs émois, de leurs effrois ? A n’importe qui la survie impose de faire le tri. Mais ce n’est pas réfléchi, le malaise d’hier et aujourd’hui parti, il a cédé le pas à d’autres tracas mais la nature de ces tracas en dit beaucoup sur soi. Debout sur ce rebord de fenêtre, quel que fut son passé, cet homme qui va sauter, que faire sinon crier ? Dans presque tous les cris on s’est rappelé à dieu, seuls quelques haineux ont osé dire : « tant mieux. » Aucun de tous les humains, même ceux qu’on aime haïr, ne mérite ça ? Pourtant, le sentiment de haine n’est jamais loin du bien, en l’occurrence, aimer son prochain peut trahir la haine du lointain. Et moi j’aurais crié vengeance, les épaules drapées d’une bannière étoilée, si j’étais new-yorkais. J’aurais pu réfléchir aussi, une fois passé le pic épidermique. J’ai vu des humains tomber, je ne savais rien d’eux, je ne pouvais que présumer que des salopards, en choisissant précisément leur cible, avaient finalement tué au hasard. Je me suis vu victime de ces salopards, j’ai pris la place sur ce rebord de fenêtre, n’est-ce pas la définition de la compassion ? Est-il possible d’enlever la part de hasard et se voir, haineux, observant d’un peu loin la chute d’un humain ? Je crois que oui et c’est sûrement facile. Soudainement le nom de Ben Laden pénétra les esprits. Quand des années plus tard il fut débusqué et éliminé, je n’ai eu aucune interrogation, je me suis dit : « Justice est faite ! » Et je le pense encore aujourd’hui, c’était une opération courageuse qui aurait tout aussi bien pu tourner au fiasco. Je ne me suis même pas intéressé à un quelconque débat sur le caractère extrajudiciaire de cette exécution et si l’on m’avait demandé mon avis sur la manière de se débarrasser de sa dépouille, j’aurais approuvé le choix de la jeter en mer. Par les temps qui courent certains auraient pu demander l’envoi d’un drone armé pour raser la maison quelles que soient les personnes à l’intérieur. Cette opération-là a été menée par des soldats qui ont pris de gros risques, et contrairement à de nombreuses actions des armées occidentales, je l’ai trouvée parfaitement justifiée. Justice est faite !

Ben Laden était-il un homme pire que Saddam Hussein ? J’imagine que non. Je ne sais pas comment je pourrais en juger mais j’imagine que non. Après l’invasion de l’Irak et la capture de Saddam Hussein, un procès trop rapide à mon goût aboutit à la sentence capitale. Aux informations ils ont montré sa pendaison, ça m’a mis très mal à l’aise. « Epargnez-nous ça ! » Est-ce juste la protestation de celui qui veut bien que ça se passe mais loin de son regard ? Oui et non. Je pense qu’on peut sans exagération me compter dans les rangs des opposants à la peine de mort. Mais dans ce cas Ben Laden ne méritait pas la mort ! Et c’est pire encore parce qu’il a été éliminé lors d’une opération secrète ! C’est vrai mais il n’a jamais clamé son innocence dans les crimes qu’on lui a imputés, au contraire. Il se revendiquait en chef d’une armée, s’il avait su que des hélicoptères américains viendraient vers lui ce jour-là, il est vraisemblable qu’il aurait défendu chèrement sa peau et n’aurait pas terminé le combat en sortant de la cave les bras en l’air. Saddam Hussein aurait pu choisir de mourir au combat, après tout il a passé son temps à se montrer en uniforme. Mais il avait aussi la légitimité pour s’inscrire en faux contre certains des crimes que les américains lui imputèrent pour justifier leur attaque. Bien sûr, après des années de dictature, le dossier Saddam Hussein allait au-delà de ces accusations fallacieuses. Je pense encore que c’était un salaud de la pire espèce, je ne me suis pas mis à pleurer sur son sort, j’ai plutôt pensé que la justice n’y avait rien gagné par rapport à un emprisonnement à vie et que l’humanité n’aurait jamais rien à gagner à diffuser en mondovision l’exécution d’un humain, fût-il un tyran reconnu. Pourtant…

Parmi les affres des réseaux sociaux il y a la diffusion d’images macabres. L’attrait pervers pour ces images, notamment chez les jeunes, peut difficilement être rabaissé au rang de problème secondaire. La manière dont les acteurs du numérique tentent d’organiser la censure est aussi un problème s’il faut que des milliers d’humains voient des milliers d’images horribles pour que demain des machines le fassent à leur place. Sans même parler de la définition de ce qui est humainement regardable et de ce qui ne l’est pas. En attendant est-il possible que des personnes livrées à elles-mêmes devant leur écran n’aient pas le recul nécessaire pour distinguer le « bien » du « mal » ? Sommes-nous en train de fabriquer une génération dans laquelle la fréquence des détraqués psychologiques peut exploser ? A quel point suis-je moi-même détraqué psychologique si on analyse ma réaction face à ces images ? A cette question je peux tenter d’apporter une réponse. Si je suis rarement confronté à ces images c’est la preuve que je les fuis généralement, ce qui dénote possiblement une personnalité un poil différente de ceux qui courent derrière à coups de clics frénétiques. En général ce sont plutôt des documentaires historiques ou géopolitiques qui me montrent des gens en train d’en assassiner d’autres. Ça me rend fou ! Comment oublier ces juifs courant nus dans l’hiver glacial vers ces trous géants au bord desquels les attendaient, avec leurs vieux fusils, les affidés locaux des compagnies SS ? Comment oublier ces algériens abattus devant chez eux et devant leurs proches d’une balle dans la tête par des militaires français ? Comment oublier l’état islamique et autres mouvances de pseudo-vengeurs divins, les lapidations et les gorges tranchées devant des assemblées de villages entiers ? Comment oublier l’état dans lequel cela me met quand cet état, c’est la haine ? La haine des bourreaux ! Mais qu’ils meurent ! Que la vie soit un film américain ! Que contre les méchants surviennent les justiciers même si ces justiciers ne font pas dans la dentelle, rien de chirurgical, aller viens on rafale ces fous ! Je suis ton fou, tu es mon fou, un fou furieux quand tu te tiens derrière ta victime, ton sabre en main, sale assassin, au nom de ton interprétation de la justice de dieu, que tu tiens d’un fou d’une autre envergure, pervers autrement, plus terrien et plus malin que toi. Tu vas vraiment faire ça ? Mais qu’est-ce qu’il y a dans ta tête ? Ce n’est pas possible, c’est ailleurs que ça se passe, à croire qu’autrement habillé on te verrait bander. Pour sauver ta victime, quelle qu’elle soit, je ne peux même pas m’imaginer à ta place pour te mettre à la sienne, t’es bien trop dégueulasse et je n’en fais pas une affaire de race ou d’espace, on a eu nos nazis, nos conquistadors et consorts, du même acabit, on a mutilé, on a guillotiné, on a dressé des gens sur des bûchers ardents, en notre temps, hier encore, demain sûrement. C’est à ça que tu voulais ressembler Saïd ? Je t’ai cru moins pire que ton frère, je l’ai cru moins pire que d’autres. Après avoir tiré quasiment à l’aveugle dans les locaux de Charlie, vous auriez dit que vous ne tuiez pas les femmes, nonobstant celle que vous avez tuée, un dommage collatéral ? Et si ça avait été d’autres que vous à Charlie ? Une autre mission pour les frères Kouachi, tirer à vue dans les rues de Paris ? Pas de dommage collatéral, tous des mécréants même musulmans, des coupables, puisqu’ils sont là à table à la terrasse de cafés. Il pourrait y avoir là une femme, qui sort d’un travail, un ménage, la mère ou la sœur d’un camarade, elle, un dommage collatéral ? Tout est justifiable en somme, même un carnage sur une place de Bagdad peut se réclamer du djihad, même votre guerre ouverte à l’islam peut se réclamer du djihad. N’importe quoi !

Toi le fou de dieu, tu me fous la haine, mais surtout tu me fous la trouille. Difficile de lutter contre toi, on ne sera jamais à armes égales, ta folie est intégrale, t’as même pas peur des balles ! Fou ; tu me fous la trouille, mais surtout tu me fous la haine. Si là, en esprit je t’arrête, je t’envoie sur ce rebord de fenêtre, mille pieds de vide sous tes pieds, pour un peu ta tête crâneuse s’y sentirait vertigineuse. Mon vieux je ne sais pas qui tu es, et je ne te comprends pas, mais tu peux bien crever, tu peux sauter.

Oh mon dieu !

Mais là, en esprit je végète, je ne fais pas de magie, je n’ai pas de baguette. Impuissant derrière mon écran. Et l’on me presse de choisir un camp ?

Peuples éclairés, fils des lumières. Il faut savoir scruter le soleil au ponant, jusqu’à l’aveuglement ! Le silence est d’or car l’essor scientifique est guidé par le fric. Le monde est normé, abreuvé de brevets, un simple téléphone devient un cas d’école. Vallée des puces reliées en bus, l’humain malin y est convié mais il n’est rien sans un bien-né, financier, héritier d’un vieux nez, ou bien tarin divin, l’argent n’a pas d’odeur ; vraiment ? Certains talents fusionnent, c’est deux fois plus de talents, parfois plus encore, ça fait beaucoup d’argent. Ces hommes deviennent, matériellement parlant, hors-normes. C’est comme un royaume plein de rois, un royaume et tout un tas de cours, c’est, matériellement parlant, vraiment gourmand, impressionnant. C’est un royaume sans combat, du moins sans combat qui puisse le mettre à bas. Chaque roi a son financier, quand il n’est pas génie financier lui-même, il a ses conseillers, autant qu’il en faudrait et beaucoup plus encore. Le conseiller à ses conseillers, autant qu’il en faudrait, et beaucoup plus encore. C’est un royaume pyramidal, entendez par-là qu’on y trouve une multitude de pyramides, une vallée de Gizeh étendue à souhait. La vie ici c’est viser un rang minimal, matériellement parlant, en faire un piédestal, refuser de descendre plus bas. Ça ne marche pas tout le temps mais, fort heureusement, il règne une forme de contrat social, certes pas gravé dans le marbre, qui prévient cependant un trop plein de changements. Ce contrat tacite dit en substance que, quelque soit l’offre et la demande, certains humains qui ont un prix aujourd’hui ne vaudront pas rien demain. Quelques garde-fous évitent le chamboule-tout mais ça ne dit pas comment, matériellement, nourrir tout ça ? Pour nourrir tout ça, il faut un empire, sans le nommer, un empire et son centre, et puis des cercles aussi, des cercles non concentriques, formant périphérie, même si elle s’en dédie.

Je suis sur mon piédestal, ce n’est pas très grand mais confortable, je pourrais en tomber si je suis maladroit. On pourrait m’en pousser, on me dit : « Tout peut s’écrouler, regarde elles sont tombées. » On me dit que moins de liberté est peut-être, ou bien sûrement, le prix à payer. Je suis sur mon piédestal, ce n’est pas très haut je vois l’eau, se met-elle à monter ? Si c’était un bateau, si c’était un radeau ? La mer a des mains ! Des millions de mains avides d’un destin. Tends la main ! Tends la main, c’est humain ! Non ! Si tu tends la main, l’autre te jette à l’eau ! Ramons tous dans le même sens ou le courant m’emporte ! Imagine, s’il devient bateau ivre, jusqu’à l’autre rive, s’il n’y a que deux rives. On veut te faire croire qu’il n’y a que deux rives, et même une seule pour toi, il n’y a même pas d’alternative, à moins qu’en guise de société, tu ne te mettes à beugler qu’une femme est la moitié d’un homme, que tout principe en découle en somme ; à moins qu’en guise de liberté, tu ne te mettes à marcher dans les pas d’un roi chinois. Pour ça, tu veux risquer ton piédestal ? Non ?

Chut ! Silence et dors !

La guerre et le temps ont passé, la guerre n’a rien réglé, l’Orient n’a pas de paix. Regarde l’oie s’envoler, gavée jusqu’à outrance de nos hommes en partance. Regarde les âmes damnées, forcées à décrocher la lune contre vents et marées ; ici, une bonne fortune se risque à mourir étouffée et puis, du bout des doigts, le bout du bout du bout des doigts, se tenir à une plume, jolie plume, lisse, lisse, lisse…

Une vie en plongée sur l’Hudson, une vue barrée par l’Hindu kush, des horizons qui me désolent, le choix de deux voies impossibles, la mort dans le dos ou le saut dans le vide, la mort dans le dos, la mort dans le vide. Milliers de jours écoulés, bientôt vingt ans passés, je vois des hommes tomber, en vrai, je vois… l’Humanité.

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5 mars 2021

Extra extraterrestres

Lyon, 28 février 2021

Chalut,

Aujourd’hui il est encore question de l’Espace. Depuis que les pigeons ont vu les étoiles et que Riton s’imagine en astronaute grâce à moi, le sujet revient régulièrement dans les conversations. La dernière fois que c’est arrivé ce fut à cause de Philémon. La discussion aurait pu tourner court mais comme d’habitude, surtout quand il y a Aïcha et Biscotte dans les parages en fait, c’est parti un peu dans tous les sens. Voici comment tout cela a commencé, alors que nous discutions de tout autre chose Philémon est arrivé sur le toit et a dit :
– Les amis ! Je viens d’apprendre un de ces trucs !
– Laisse-moi deviner Philémon ! a dit Riton. Tu viens d’apprendre que ta connerie n’était pas contagieuse ? Merci pour ta prudence, il y a longtemps qu’on ne t’avait pas vu !
– Je suis sorti il y a quinze jours et je n’ai trouvé aucun d’entre vous.
– C’est peut-être parce qu’on t’a vu sortir.
– Hin hin ! Bon ! Ecoutez cha au lieu de vous rendre désagréables ! Les extraterrestres existent !
– Ah ! Grande nouvelle ! Vu la taille de l’univers c’est du domaine du possible !
– Non mais là je vous parle des extraterrestres de la terre !
– Des extraterrestres de la terre ? C’est possible cha ? a dit Aïcha.
– Je vous parle des extraterrestres qui sont déjà venus sur la terre ! C’est tout de même plus intéressant que des extraterrestres dont on suppose qu’ils existent quelque part dans le vaste univers !
– Ou dans l’univers parallèle !
– Ce qu’il y a d’intéressant dans l’univers parallèle, c’est que tout a l’air assez terrestre mais en plus con !
– Peut-être mais dans l’univers parallèle il est question de voyage dans l'espace mais pas d’extraterrestres.
– C’est sans doute parce que dans l’univers parallèle c’est comme dans cet univers-là, y a des humains qui ne veulent pas révéler l’existence des extraterrestres.
– Et pourquoi donc ?
– Qu’est-ce que j’en sais ? Ils veulent se les garder pour eux, voilà tout !
– Cha paraît un peu bizarre tout cha !
– Peut-être mais de toute façon il y a toujours des fuites même si les égoïstes tentent de démentir.
– Bon vas-y, accouche !
– Voilà l’histoire ! Comme mes humains reçoivent du monde aujourd’hui, j’ai dû fuir le sofa. Je me suis mis en quête d’un endroit confortable pour pioncer. Là je tombe, dans un recoin, sur une caisse contenant des journaux destinés au recyclage, la planque idéale. Au moment où j’allais m’allonger sur les journaux un article a attiré mon attention. Il traitait des déclarations d’un diplomate israélien… ou bien était-ce un militaire ?
– Un militaire ou un diplomate ?
– Peut-être un diplomate-militaire, de toute façon tous les Israéliens sont des militaires. Peu importe ! Ce que disait l’article c’est qu’il s’agissait d’un type ayant fait une grande carrière et au-dessus de tout soupçon d’avoir un caractère fantaisiste. Donc quand ce type dit quelque chose, personne ne peut penser qu’il affabule.
– Venons-en au fait ! Qu’a-t-il dit donc ?
– Il a dit que les Américains étaient en contact avancé avec une civilisation extraterrestre, et ce depuis plusieurs décennies.
– C’est cha ton super truc ?
– Ben oui ! On a enfin la preuve que les extraterrestres sont venus sur la terre.
– C’est peut-être seulement un contact radio. a dit Biscotte.
– Non non ! Un contact physique !
– Tout cha c’est bien beau. ai-je dit. Mais tu crois vraiment que ce diplomate-militaire est le premier humain à avoir toutes les apparences du sérieux à déclarer ce genre de choses ?
– Tous ceux qui ont fait ce genre de déclaration jusqu’ici étaient sûrement beaucoup moins sérieux que lui.
– Il y a plein de gens très sérieux qui ont déclaré avoir déjà vu des vaisseaux extraterrestres. C’est justement après avoir fait ce genre de déclaration que les gens ont dit d’eux :« Et dire qu’on croyait qu’ils étaient sérieux ! »
– Pourquoi des gens qui ont prouvé qu’ils étaient sérieux sont soudainement jugés non-sérieux juste parce qu’ils voient des extraterrestres ?
– C’est parce qu’ils ne sont pas très nombreux.
– Et alors ? Y en a certains qui ont vu la vierge et après plein de gens sont partis en pèlerinage.
– Oui c’est juste. Il faut croire que l’accueil de ce genre de déclaration ne dépend pas de la personne qui les clame. Cha dépend plutôt de ce que les gens autour ont envie d’entendre. Par exemple nous, tous autant que nous sommes, il n’y a pas si longtemps on ne savait pas que Riton pourrait voyager dans l’espace et revenir sur terre plus jeune que nous. Si à tout le monde les scientifiques avaient dit : « On ne peut pas voyager plus vite que la lumière donc les voyages dans l’espace sont forcément très longs », les gens se seraient dit qu’il restait la solution de voyager à l’état congelé. Mais bien sûr cha rend les choses plus compliquées et tout le monde aurait pensé : « Ben d’ici à ce que les extraterrestres viennent jusqu’à nous, on a le temps de voir venir ! » Dans ces conditions celui qui voit des extraterrestres passe plus facilement pour un rigolo auprès de ceux qui ne savent pas qu’il est possible de voyager très vite et très loin presque sans vieillir.
– Oui ben cha, c’est toi qui dis que c’est possible !
– Non ce n’est pas moi qui le dis ! On ne va pas revenir là-dessus !
– En attendant plein d’humains savent sûrement qu’on peut voyager sans vieillir, mais quand ils voient des extraterrestres ils n’osent toujours pas en parler de peur de passer pour des rigolos. Alors pourquoi ? Si rien n’empêche les extraterrestres de venir physiquement sur terre.
– Tentons d’analyser les choses ! D’abord il n’est peut-être pas juste de dire que les gens n’osent pas en parler. En fait beaucoup de gens voient des ovnis mais quand de nombreuses personnes voient le même ovni, assez souvent il y a des enquêtes et on se rend compte qu’il ne s’agissait pas d’extraterrestres mais de choses parfaitement terrestres ou de phénomènes météorologiques.
– Moi je crois plutôt que c’est ce que les autorités essayent de faire croire. a dit Aïcha. Quand il y a trop de gens qui voient les mêmes extraterrestres les autorités essayent d’étouffer l’affaire en inventant quelque chose.
– En somme tu penses qu’il s’agit d’un complot.
– Mais bien sûr que c’est un complot ! a dit Philémon. C’est bien ce que démontrent les déclarations de mon diplomate-militaire. Le gouvernement américain cache qu’il est en contact avec une civilisation extraterrestre ! Si cha c’est pas un complot !
– Peut-être que cet Israélien est bien un rigolo, ou peut-être qu’il veut juste faire croire que cette histoire est vraie !
– Pourquoi il ferait cha s’il sait qu’elle est fausse ?
– Pour emmerder les autres pays !
– Quels pays ?
– Je ne sais pas… la Chine… ou l’Iran par exemple. C’est une façon de passer un message qui en fait veut dire : « N’espérez pas lutter avec les Américains vu qu’ils sont en contact avec une civilisation extraterrestre supérieure qui lui refile tous ses bons tuyaux !
– C’est ridicule !
– Si tu veux. Alors considérons que ce type est juste un rigolo !
– Non je ne crois pas. Je suis sûr que c’est vrai.
– Tout est possible Philémon. Qui parmi nous a déjà vu des extraterrestres ?
– Moi j’ai déjà vu des trucs dans le ciel que je savais pas ce que c’était. a dit Grabel.
– OK. Qui d’autre ?
– Moi j’en vois plein des trucs. a dit Aïcha.
Les pigeons firent un effort louable pour ne pas ricaner.
– Ben quoi ?
– Forcément vous les pigeons, en dehors de votre escapade nocturne avec Odette, vous ne sortez jamais la nuit. Vous ne risquez pas de voir des extraterrestres.
– Ah parce qu’on ne peut les voir que la nuit ? Je croyais que c’était les zombies qui ne sortaient que la nuit.
– En fait, bizarrement il semble en effet que quand des gens qui sont sur le plancher des vaches croient voir des extraterrestres, c’est presque toujours la nuit. Par contre, quand les extraterrestres se montrent en plein jour c’est parfois au-dessus de l’océan et d’autres fois haut dans ciel, parfois entre deux gros nuages. On ne compte plus le nombre de pilotes qui ont vu des vaisseaux se déplacer dans la stratosphère à très haute vitesse.
– Eh ben voilà ! C’est bien la preuve que les extraterrestres sont déjà venus sur la terre !
– C’est surtout la preuve que ton Israélien n’apporte vraiment rien de nouveau. Si ce qu’il dit est vrai, alors on doit supposer qu’au moins un gouvernement tente de masquer le fait que les extraterrestres sont venus sur la terre.
– Mais c’est exactement ce que je te dis depuis le début !
– Donc dans ce cas on doit aussi supposer que les extraterrestres font absolument tout ce qu’ils peuvent pour passer inaperçu.
– Pas nécessairement !
– Ben si ! Ou sinon il faut supposer que ces extraterrestres assez puissants pour faire de longs voyages à travers l’espace-temps, ne sont tout de même pas assez puissants pour dire au gouvernement américain qu’il peut bien aller se faire foutre et que personne ne leur interdira de poser leur soucoupe volante en plein jour au beau milieu de la plus belle avenue du monde, c’est-à-dire en France et non pas aux États-Unis !
– Oui c’est vrai, quand on y pense… Ce serait un sacré triomphe ! Des petits hommes verts qui défilent sur les Champs-Élysées.
– Quel triomphe ? Tous les humains partiraient en courant ! Y a que leurs chiens qui joueraient les braves, ces cabots !
– Nous les pigeons on resterait tranquillement à regarder la scène du haut d’un lampadaire.
– Jusqu’à ce qu’un rayon laser pulvérise le lampadaire !
– Pourquoi ils feraient ça ? Si les extraterrestres sont déjà venus sur la terre, faut croire qu’ils sont plutôt pacifiques non ? Puisqu’ils n’ont apparemment rien détruit !
– Avec Darwin on a déjà tapé « Extraterrestres » dans notre canard de recherche. Hein Darwin ?
– Oui c’est vrai. Des fois qu’il y aurait eu de vraies photos.
– Et alors ?
– Alors d’après Terre-nette les extraterrestres sont vraiment des petits hommes verts !
– Ah bon ?
– De deux choses l’une, soit des extraterrestres venus sur terre ont été dessinés par quelqu’un qui les a vus, soit quelqu’un a dessiné des extraterrestres sortis tout droit de son imagination et depuis ce jour-là tout le monde a ce dessin en tête et redessine le même. Je penche pour la seconde hypothèse !
– Et pourquoi donc monsieur je-sais-tout-mieux-que-les-autres ?
– Parce que quand l’humain aura trouvé le moyen de voyager loin dans l’espace-temps, il y a tout lieu de penser qu’il ne ressemblera plus vraiment à un humain mais au mieux à une humain-machine. Peut-être même que ce ne sera plus qu’une machine née du génie de l’humain et qui l’aura surpassé !
– Et alors ? Ce n’est pas parce que les humains choisissent le machinisme que des espèces plus évoluées font la même chose ! Au contraire ! C’est peut-être même la preuve que la bonne voie est ailleurs !
– Peut-être. Mais on peut aussi penser que les mêmes causes donneront partout les mêmes effets. D’abord les éléments essentiels à la vie. Puis leur brassage qui amène les premières traces de vie organiques. Puis l’évolution splendide qui donne naissance aux félins, celle bancale qui conduit aux pigeons et celle très étrange vers une espèce qui se couvre de peaux de bête pour avoir chaud, ce qui la conduit à se retrouver sans poils, donc à avoir froid, donc à trouver le moyen d’avoir autre chose que des peaux de bêtes pour avoir chaud… et tout ça, de fil en aiguille et en moins de temps qu’il n’en faut pour le dire, cha les propulse dans l’espace avec l’idée fixe d’aller de toute urgence conquérir des exoplanètes parce qu’un excès de production de vêtements menace la vie de toutes les bêtes à écailles, plumes ou peau, y compris la bête humaine. Or jusqu’à présent les machines inventées par l’humain ont toujours précédé l’humain dans l’espace. Pourquoi il en irait autrement pour une autre espèce encore plus intelligente que l’humain ?
– Pourquoi il en irait pareillement ? Et même si tel était le cas, rien ne dit que les extraterrestres n’ont pas envoyé leurs machines en exploratrices avant de venir.
– Quand ?
– Je ne sais pas.
– Et les humains n’en auraient jamais trouvé la trace ? Ils retrouvent des traces d’animaux disparus depuis des lustres mais ils ne retrouveraient pas des traces d’engins extraterrestres ? Quelle bizarrerie !
– Peut-être que c’était au temps des dinosaures et que les dinosaures les ont mangés !
– Cela n’aurait rien changé car les dinosaures ne digèrent pas les vaisseaux extraterrestres Aïcha.
– Comment tu le sais ?
– Tout le monde le sait !
– Eh bien peut-être que les extraterrestres sont si intelligents que jamais aucun de leurs engins ne s’est écrasé sur terre.
– Sauf à Roswell visiblement !
– Roswell ?
– Cette histoire d’astronef extraterrestre qui se serait écrasé au Nouveau-Mexique en 1947.
– Ah oui !
– C’est très vraisemblablement totalement bidon mais comme bien des images d’extraterrestres sont justement associées à cette histoire-là, on arrive à une forme de contradiction. Les extraterrestres font des voyages sur la terre et crashent leurs aéronefs alors qu’en quelques décennies les humains ont appris à ne presque jamais crasher leurs engins spatiaux qui sont théoriquement d’un niveau technique bien inférieur.
– Oui mais enfin… faut quand même te dire que si tu débarques comme Riton à quasiment la vitesse de la lumière, t’as moins le droit à l’erreur qu’en te baladant en boite de conserve entre la terre et la lune.
– Est-ce que j’ai une tête à faire des erreurs ?
– Le jour où un vaisseau extraterrestre, même petit, va se crasher à quasiment la vitesse de la lumière sur le Nouveau-Mexique, ça risque de faire un trou un peu plus gros que les égratignures laissées par le prétendu aéronef de Roswell ! Non je vous assure ! Si les témoignages des pilotes qui disent avoir vu des vaisseaux se déplaçant à grande vitesse dans le ciel sont vrais, alors les extraterrestres ont une maîtrise technique d’un niveau bien supérieur à l’humain. Beaucoup ont parlé d’objets capables de passer d’une vitesse réduite à une très grande vitesse en un clin d’œil.
– Ben s’ils sont si nombreux que cha, cha veut bien dire que c’est vrai ! Comme dit le proverbe : « On peut faire mentir 1000 fois une personne, mais on ne peut pas faire mentir une fois 1000 personnes ! »
– Le proverbe ne dit pas cha !
– Eh ben cha n’en reste pas moins vrai !
– Peut-être qu’ils voient des choses qui n’existent pas. a dit Biscotte.
– Tu veux dire qu’ils ont des hallucinations ? C’est bien de cha qu’on les accuse le plus souvent.
– Ah ben voilà ! C’est peut-être facile d’accuser une paire d’yeux d’avoir des hallucinations mais quand y en a plusieurs…
– Quand y en a plusieurs ils disent que ce sont des hallucinations collectives !
– Ah ben voilà ! Mais faut pas exagérer quand même.
– J’avoue que parfois il est difficile de croire qu’autant de gens peuvent avoir une hallucination collective. Voulez-vous connaître l’histoire d’extraterrestres la plus troublante des temps modernes ?
– Bien sûr qu’on veut la connaître !
– Alors voilà ! Cette histoire est connue sous le nom de « Lumières de Phoenix ». Cha s’est passé une première fois le 13 mars 1997 dans l’état du Nevada dont la capitale est Phoenix ! En divers lieux de l’état des milliers de personnes ont vu une formation de lumières, beaucoup de gens ont affirmé qu’ils avaient vu un énorme objet totalement silencieux se déplacer lentement à basse altitude au-dessus d’eux puis disparaître en un clin d’oeil... D’autres objets ont été décrits, parfois immobiles, parfois s’éloignant à toute vitesse. La police a reçu des milliers d’appels. Des témoins ayant des responsabilités, comme le gouverneur de l’état, ont été témoins de ces événements et depuis sont persuadés d’avoir vu, sinon un vaisseau extraterrestre, du moins un ovni. Pourtant le gouvernement fédéral n’a jamais voulu admettre qu’il pouvait s’agir d’extraterrestres, il a juste dit qu’il s’agissait de fusées éclairantes lâchées par des avions militaires.
– Mais bien sûr ! Quelle dérobade !
– J’ai vu les vidéos qui ont été filmées ce jour-là et qui sont sur Terre-nette. En fait au début cela paraît vraisemblable d’y voir des fusées éclairantes. Mais des fusées éclairantes ne restent pas suspendues en l’air avec le même écartement durant de longues minutes. Sur une vidéo les lumières semblent décrire une courbe. Mais sur une autre on voit nettement un triangle faisant penser à un avion furtif américain. Sauf que d’après les témoins c’était vraiment gros et je ne crois pas que les humains ont déjà construit des trucs plus grands que plusieurs terrains de foot et qui volent.
– Bien sûr que non ! C’est forcément des extraterrestres !
– Oui peut-être. Enfin sachez que depuis il y a eu plusieurs autres vidéos de ce genre qui ont été filmées. Cependant jamais avec autant de témoins certains d’avoir été en présence de vaisseaux extraterrestres. L’avantage d’être en 2021 par rapport à 1997, c’est que désormais mêmes les enfants humains ont tous de quoi faire des vidéos dans leur poche. Donc si les extraterrestres se signalent de cette manière, en allumant des lumières dans le ciel, il y a plus de chance que les humains en gardent une trace filmée. Même l’US Air Force a consenti à déclassifier certaines vidéos prises par ses avions. Les pilotes de ces avions prétendent avoir pourchassé des objets invisibles au radar qui se sont avérés irrattrapables et capables de disparaître en une fraction de seconde. C’est vraiment mystérieux !
– Je ne vois pas ce qu’il y a de mystérieux ! Les preuves abondent donc on peut affirmer que les extraterrestres sont là et apparemment ils ne cherchent pas la bagarre !
– Qu’est-ce qu’on en sait ? Ce ne sont peut-être que des éclaireurs qui viennent élaborer un plan d’attaque !
– Moi ce qui m’étonne c’est qu’ils ont tout l’air de faire mystère de leur présence et ne veulent pas de contact rapproché puisqu’ils fuient les avions des militaires humains.
– Et donc, Grabel ?
– Donc pourquoi soudainement allument-ils des lumières dans le ciel ? Comme on l’a dit avant, qu’est-ce qui les empêche de parader sur les Champs-Élysées s’ils veulent être vus. Et qu’est-ce qui peut bien les obliger à allumer des lumières si à l’inverse ils ne souhaitent pas être vus ?
– C’est juste Grabel ! Ou alors il faut croire qu’ils ont un intérêt à entretenir ce mystère. Vous croyez que si un jour les humains vont sur une autre planète habitée ils chercheront à se cacher tout en montrant que, peut-être, ils sont là ? Dans quel but ?
– Ce serait d’autant plus stupide qu’à force de ne pas dire clairement : « On est les humains, on vient de la terre et on est super cool même si on adore détruire la nature ! », ils prendront le risque de voir débarquer des gens d’une autre planète qui eux se manifesteront et diront aux autochtones : « Vous savez que les terriens, connus pour être les plus grands experts de l’univers en matière de destruction de nature, font des manœuvres dans votre espace aérien ? C’est louche ! On va vous aider à vous en débarrasser ! »
– C’est juste Grabel ! Donc moi je pense qu’aucune espèce qui serait à ce point supérieure n’aurait d’intérêt à entretenir un mystère, elle se montre dans le but d’agir ou elle se cache dans le but de ne pas interférer ! Par contre, il est tout à fait clair qu’au sein de cette espèce supérieure que constitue l’humanité, la volonté des uns de dominer les autres s’accommode très bien de ce genre de mystère.
– C’est-à-dire ?
– C’est-à-dire que si le militaire-diplomate de Philémon a dit cha dans le but d’emmerder les Chinois, les Russes ou les Iraniens, c’est bien par certitude que le mystère est la seule chose qui compte ! Il s’agirait donc d’entretenir le mystère bien plus que de lever le voile ! Le complot ne serait donc pas lié au fait de nier qu’on est en contact avec des extraterrestres mais bien une volonté de laisser croire qu’on est peut-être en contact avec des extraterrestres. Et pour cha rien de tels que des phénomènes mystérieux dont on fait ensuite plus grand mystère en inventant des choses invraisemblables comme : « C’était rien que des ballons lumineux ! » alors que tout le monde à bien vu que ce n’était pas que des ballons lumineux.
– Sauf que là, Darwin, tu supposes qu’ils sont tout de même assez balèzes pour construire des vaisseaux qui ont l’air d’être des vaisseaux extraterrestres !
– Je n’ai pas dit ça ! Si les militaires veulent faire croire qu’ils ont vu des objets invisibles au radar, c’est assez facile pour eux. Si par contre ils veulent faire croire que des vaisseaux extraterrestres traversent le ciel de Phoenix, il leur faut un peu plus de talent. Je dirai qu’il leur faut des talents dignes de David Copperfield !
– C’est qui celui-là ?
– Un grand magicien capable de faire passer un chien pour un chat !
– Ah ben voilà la meilleure ! Toi tu crois que tout cha c’est un tour de magie ?
– Et pourquoi pas ? Je pousse mon raisonnement jusqu’à prétendre que dans l’idéal il faut être capable de faire voler des ballons lumineux qui ont l’air d’être tout autre chose que des ballons lumineux, histoire que tous les témoins disent qu’il ne s’agit en aucun cas de ballons lumineux, puis affirmer haut et fort qu’il s’agit bien de ballons lumineux ! Ce après quoi, et immanquablement, les gens diront : « Le gouvernement nous cache quelque chose ! C’est si louche qu’on doit en conclure qu’il s’agissait bien d’extraterrestres ! »
– Ah parce que toi, malin que tu es, tu penses vraiment que des militaires pourraient monter des affaires pareilles sans que cha finisse par se savoir ! C’est pas l’affaire d’un magicien et de son assistante dont il s’agit ! C’est toute une équipe de complotistes et l’un finira forcément par révéler la mèche !
– Ah parce que toi tu crois que s’il s’agissait d’un complot du gouvernement américain visant à cacher la présence sur terre des extraterrestres, le secret serait plus facile à garder ?
– Euh… Oui bon d’accord, tu marques un point ! Mais tu oublies une autre possibilité Darwin ! Peut-être que l’US Air Force a bien constaté la même chose que les habitants de Phoenix mais qu’elle s’est trouvée bien en peine de savoir ce que c’était. Un coup des Russes ? Les prémices d’une invasion extraterrestre ? Pas facile pour une grande puissance d’avouer qu’elle n’est même pas maîtresse de son ciel. Et comme personne n’est venu se la raconter en disant : « On se balade dans votre ciel comme bon nous semble ! » elle a fini pas inventer un scénario dans lequel elle paraissait avoir la maîtrise du ciel.
– Ah mais c’est tout à fait vraisemblable ton histoire, moi je ne dis pas que c’est impossible. Je pense juste que mon histoire est tout aussi vraisemblable. Voyez-vous, des phénomènes comme celui de Phoenix ont eu lieu ailleurs ; en Californie et au Mexique par exemple. Il y en a d’ailleurs eu de très récents à Phoenix même. Donc c’est assez souvent dans le rayon d’action d’une même base aérienne. Mais finalement la nation américaine préférera toujours cha à une succession de phénomènes extraterrestres qui ne seraient visibles que dans des pays qui cherchent à contester sa puissance. D’ailleurs comment justifieriez-vous le fait que seul le gouvernement américain ait des contacts avec une civilisation extraterrestre ? Si cha se trouve les extraterrestres ont beaucoup plus de facilité à comprendre le chinois !
– C’est sûrement le cas. a dit Riton. Quand des Chinois passent dans la rue j’ai toujours l’impression qu’il y a des extraterrestres.
– Tu oublies une chose Darwin. D’après ce que j’en sais les Américains sont le peuple élu ; enfin… l’autre peuple élu.
– Oui je comprends que c’est ce qu’ils s’imaginent. Mais la seule raison scientifique qui pourrait laisser croire que des extraterrestres sont venus sur terre et ont décidé de ne s’adresser qu’aux Américains, ce n’est pas pour leur donner un avantage technologique sur le reste des humains mais bien parce que les Américains avaient déjà un avantage technologique sur le reste des humains. Je ne dis pas qu’aucune civilisation extraterrestre n’a pu visiter la terre avant le règne de l’homme, je prétends juste que depuis que l’homme a inventé la radio, puis a commencé à aller dans l’espace, à envoyer des sondes et faire tourner des satellites, la terre est devenue la source de signaux qui ont pu être captés par des extraterrestres. Comme les Américains ont envoyé plus de signaux que n’importe qui et étaient les mieux en mesure d’en recevoir en échange, les extraterrestres ont pris contact avec eux. C’est une explication plausible mais de là à penser qu’Américains et extraterrestres ont conclu un pacte pour dominer le monde et lui apporter les joies du capitalisme néolibéral…
– Ce serait franchement décevant !
– Ou alors les extraterrestres étaient en dérive dans l’espace et ils se sont en effet laissés guidés par des signaux américains. Comme ils n’avaient qu’un vaisseau sans armes ils n’étaient pas en mesure de lutter contre l’armée américaine. Alors celle-ci a pu leur imposer ses conditions.
– Certainement Aïcha. Mais cela ne nous dit pas pour quelle raison ils se baladent soudainement tous phares allumés au-dessus de Phoenix.
– Peut-être qu’un couple d’extraterrestres a eu un enfant et qu’ils lui ont filé le volant pour qu’il apprenne à conduire. Le petit s’est gouré dans les voyants et les pédales.
– Il y a un léger problème dans cette histoire de signaux Darwin !
– Lequel Biscotte ?
– Tu as dit qu’une condition pour faire de longs voyages dans l’espace c’était qu’ils se fassent à très haute vitesse. De sorte que le temps passe moins vite dans le vaisseau. Mais si les humains sont toujours en train de se demander s’il y a de la vie en dehors de la terre, c’est bien qu’ils ne s’attendent pas à trouver bien plus évolués qu’eux dans les parages. Quand je dis parages je parle en années-lumière voire dizaines d’années-lumière. Supposons qu’une civilisation extraterrestre située à des années-lumière capte un signal venu de la terre. Si aussitôt elle envoie un vaisseau vers la terre et que ce vaisseau va quasiment à la vitesse de la lumière, peut-être que les voyageurs de ce vaisseau ne vieilliront pas beaucoup durant ce voyage. Il n’empêche que sur la terre le temps aura passé doublement depuis l’envoi du signal. D’abord il faut des années pour que le signal aille jusqu’à la planète des extraterrestres, et ensuite il s’écoule au moins autant de temps avant que le vaisseau n’arrive sur la terre, même si le voyage paraît instantané pour les voyageurs. Comme il n’y a pas si longtemps que les humains envoient des signaux, ils ne doivent pas s’attendre de sitôt à voir débarquer des extraterrestres guidés par leurs propres signaux.
– Hum… C’est juste Biscotte. A moins qu’ils ne passent dans les parages par hasard et je ne crois pas trop au hasard pour ce genre de chose.
– Peut-être qu’en fait ils ont repéré la terre depuis bien longtemps. Si ça se trouve les dinosaures ont vu arriver une comète et ils ont eu si peur qu’ils ont tous crié en même temps. Cha a fait un bruit si fort qu’il se diffuse encore dans l’Univers.
– Hum… Écartons pour le moment cette hypothèse !
– D’accord.
– Cependant on doit sûrement supposer qu’en effet les extraterrestres ont repéré la terre depuis longtemps d’une manière ou d’une autre.
– Ce qui ne changerait rien à notre problème ! Pourquoi tant de mystère autour de leur présence ?
– Peut-être que, comme je le disais tout à l’heure, ceux qui croient voir des extraterrestres voient des choses qui n’existent pas vraiment.
– On vient de débattre de cha pendant vingt minutes ! C’est pas possible d’avoir autant de gens qui hallucinent en même temps. D’ailleurs je suis sûr que tout un tas d’oiseaux de nuit et de chats de gouttière américains ont vu la même chose.
– Vous ne comprenez pas ce que j’essaye de vous dire. Je ne dis pas qu’ils ont imaginé ce qu’ils ont vu, simplement que ce qu’ils ont vu n’était pas vraiment là. Ce ne sont pas des extraterrestres qu’ils voient mais une forme quelconque par laquelle ils essayent de rentrer en contact.
– Tu veux dire… comme un hologramme ?
– Je ne sais pas. Darwin, tu dis qu’à Phoenix les gens ont vu des lumières dans le ciel. Peut-être que les extraterrestres ont trouvé le moyen d’allumer des lumières à travers l’espace-temps. Alors si ça se trouve ce ne sont pas simplement des lumières, peut-être qu’elles ont une signification et les extraterrestres espèrent que les terrestres sauront les décoder.
– Pas bête comme idée. Peut-être qu’ils disent aux humains : « Votre planète se réchauffe trop vite bande de cons ! Faites-y gaffe parce que toutes les autres planètes habitables de la galaxie sont à nous !
– Ou peut-être qu’ils sont sous évolués et qu’ils disent simplement : « Grrrrr »
– Comment pourraient-ils être sous évolués tout en allumant des lumières à travers l’espace-temps ?
– C’est juste.
– D’après ce que j’ai lu, il ne s’agissait pas uniquement de lumières dans le ciel. Les habitants ont vraiment ressenti la présence d’un grand vaisseau silencieux.
– S’il était si silencieux c’est sûrement un indice qu’il était là sans être là. Peut-être qu’ils se sont lancés dans une tentative de téléportation mais que le processus n’est pas tout à fait maîtrisé. Est-ce que sur les vidéos que tu as vues les lumières étaient bien nettes et franches.
– A vrai dire la vidéo n’était pas hyper nette et franche mais les lumières se sont allumées une à une, bien alignées, puis se sont éteintes une à une aussi. Mais pas dans un rythme régulier.
– C’est peut-être la preuve qu’ils ne sont pas arrivés à finaliser la téléportation.
– A mon avis, la téléportation ça marche ou ça ne marche pas. Je ne pense pas qu’il y ait de possibilité intermédiaire.
– Et pourquoi pas ?
– Moi je ne pense pas que ce soit possible tout court.
– Bien sûr que si ! Je crois que les humains ont déjà téléporté des gouttes d’eau.
– Des gouttes d’eau ? Et comment ils savent que c’est la même eau au départ et à l’arrivée ?
– Ils le savent c’est tout ! Sinon ils ne prétendraient pas avoir téléporté de l’eau.
– Y a quoi dans l’eau ?
– Un E, un A, et un U.
– Non mais en vrai ?
– Un H, un 2 et un O ! C’est la formule chimique !
– Ben alors à la prochaine téléportation peut-être que le H va rester sur place, le O sera téléporté et le 2 sera perdu au milieu de nulle-part !
– En fait c’est deux H et un O.
– Oui ben fais pas le malin Darwin ! Ça change rien au fait qu’on peut pas être sûr que tout arrive à destination, c’est comme pour tous les voyages, on perd des poils ou des plumes en route !
– Ben justement, c’est peut-être la meilleure façon de voyager sans rien perdre.
– Elles étaient toutes pareilles les lumières de Phoenix ?
– A peu près.
– Ben si ça se trouve ils ont voulu téléporter des lumières de toutes les couleurs mais les couleurs sont restées en rade !
– Pour un peu la téléportation va régler tous les problèmes de racisme des humains. Au départ ils seront de toutes les couleurs humaines et à l’arrivée ils seront tous blanc-jaune !
– Ou transparents.
– Et vous croyez qu’il va se passer quoi si on met un pigeon et un chat dans la machine de téléportation ?
– Facile. A l’arrivée y aura qu’un chat avec des plumes entre les dents !
– Oh l’autre hé ! Il aura affaire avec la fée Odette alors !
– Si cha se trouve les fées sont nées d’une téléportation ratée. Une espèce d’humaine qui serait rentrée dans la machine avec un papillon. C’est bien la preuve que la téléportation c’est super risqué !
– Mais pas du tout ! Chaque particule va se retrouver exactement à la même place à l’arrivée et au départ !
– Qu’est-ce que t’en sais ?
– Parce que si cha ne marche pas comme cha, il est évident qu’aucune civilisation ne va utiliser ce procédé.
– Quand il sera question de téléporter autre chose que de l’eau, la matière va se retrouver à l’autre bout de la galaxie et l’esprit va rester sur place. Des zombies d’un côté et des fantômes de l’autre !
– Si c’est cha, j’ai l’impression que la terre est plus le point d’arrivée que de départ.
– C’est pas sûr. Des fantômes, j’en vois toutes les nuits !
– Oui mais moi des zombies, j’en vois même la journée !

Voilà à peu près comment s’est terminée cette discussion. On n’a pas vraiment décidé si les extraterrestres étaient sur terre physiquement ou en image. Ou peut-être qu’ils sont encore dans un autre système en train d’essayer d’apprendre le chinois, histoire de se mettre bien avec les maîtres du monde le jour de leur arrivée !

Ah ben chalut !

Darwin.

5 décembre 2020

Bateau-attrape-mouches

5 décembre 2020

Chalut !

Vous savez déjà que la fée Odette est une adepte des fraises Tagada. En fait elle est adepte des sucreries en général et donc, à l’approche de Noël, des papillotes. Vous connaissez la particularité des papillotes. Dans le genre je me demande si je ne préfère pas leur alter ego : le Carambar !
– Écoutez cha matous ! « Qui s’excuse s’accuse. »
– C’est un dicton ?
– Un genre de maxime de papillote.
– C’est de qui ?
– Stendhal.
– C’est pas terrible comme idée. Alors si on écoutait Stendhal, personne ne s’excuserait jamais plus.
– Ben si tu ne veux pas reconnaître que tu as eu tort, il vaut effectivement mieux ne pas s’excuser.
– Ça sous-entend surtout qu’il ne faut jamais reconnaître qu’on a eu tort.
– Parce que toi tu sais reconnaître quand tu as eu tort ?
– Moi je n’ai jamais tort, c’est différent.
– Ah ah ! Elle est bien bonne celle-là ! Bon… J’en ai d’autres ! « La vie, ce n’est pas d’attendre que l’orage passe, c’est d’apprendre à danser sous la pluie ! » Sénèque.
– Odette ! Tu veux vraiment savoir ce que des chats pensent de cha ?
– Je sais parfaitement ce que vous en pensez bande de poules mouillées !
– Danser sous la pluie ? Et quoi encore ?
– Les dictons, proverbes et maximes c’est nul !
– Pas toujours. « Le monde est un livre dont chaque pas nous ouvre une page. » Alphonse de Lamartine.
– Franchement Odette...
– Il est connu cet Alphonse ?
– Ce ne sont que des auteurs de renommée que je vous cite.
– Peut-être que sorti de son contexte, ça rend moins bien. Je ne pense pas qu’Alphonse se soit rendu célèbre avec des banalités de ce genre.
– Un peu de respect matou ! C’est lui qui a dit : « Un seul être vous manque et tout est dépeuplé. »
– Il s’est battu en duel avec celui qui a dit : « Un de perdu, dix de retrouvés. » ?
– Mais c’est pas un proverbe ça ! C’est une idiotie d’extrémité de comptoir de bar PMU !
– Question de point de vue.
– Attendez ! J’en ai une autre qui vous concerne ! « Sans un chat tacherdu »
– Tu veux dire : « Sans un chat, tâche ardue. » Je valide !
– Non non ! « Sans un chat tacherdu »
– Cha veut dire quoi ?
– Je ne sais pas, la partie de gauche était coupée.
– Préviens-nous quand tu l’auras trouvée.
– Tu as raison. Je vais aller voler le même paquet ! Avec un peu de chance…
– On peut attendre, Odette ! Pas besoin de te gaver comme une oie !
– Je ne me gave pas.
– Dis-nous plutôt une bonne maxime !
– Hum… Ah ! Celle-là devrait vous plaire par son côté irrévérencieux ! « Appuyez-vous sur les principes, ils finiront bien par céder ! » Oscar Wilde.
– Ah oui ! Là d’accord ! Cha c’est bon… C’est très bon même. D’ailleurs, si on lit entre les lignes, cha dit bien que tout ce qui a valeur proverbiale peut être aisément dépassé.
– Tiens ! J’ai trouvé une maxime !
– Dis toujours Grabel !
– La vie est l’abîme de toutes les maximes de la vie !
– Hum… Non c’est chiant ! Il faut des trucs positifs sinon ça ne finira jamais dans une papillote !
– Qui dort mange !
– N’importe quoi ! Ce n’est pas une maxime, c’est un ordre d’aubergiste !
– Ah bon ? Je croyais que c’était une maxime de vache ou de chèvre.
– C’est possible que ce soit une maxime de vache mais les vaches ne mangent pas de papillotes !
– Nous non plus.
– C’est juste. Cha vous dirait de la farcie goût chocolat ?
– Sans façon.
– Vous devriez goûter avant qu’on ne vous abatte.
– Qu’on nous abatte ? Comment cha qu’on nous abatte ?
– Vous n’avez pas entendu parler des visons ? 15 millions d’un coup sont passés à la guillotine !
– Oui on a vu cha… Mais ce ne sont que des visons. Ils s’en foutent des visons les humains. Jusqu’à preuve du contraire personne ne porte de la fourrure de chat.
– Ça va venir… Pour remplacer la fourrure de vison.
– Non mais non ! Nous on est protégé non ? On a un statut !
– Y a plus de statuts matous ! L’humain n’a qu’une priorité : lui-même !
– Et les chats, Odette ! Les chats aussi !
– Si tu le dis… Enfin… moi à votre place je prierais pour qu’aucun chat ne chope le covid !
– Chat Pristi ! Ils ne feraient pas cha quand même ?
– Bordel ! Mais il fait quoi Macron ? C’est pas normal !
– Quoi ?
– Comment il peut y avoir des visons d’élevage contaminés au Danemark et un peu après dans d’autres pays ?
– Les éleveurs se vendent des visons ! Voilà tout !
– Mais oui ! Mais c’est bien ce que je dis ! Les humains n’avaient pas le droit de sortir à plus d’un kilomètre de chez eux et ces pauvres bêtes, en plus de passer leur vie dans une cage, passent d’une cage à l’autre en voyageant à l’international dans une autre cage ! Mais ils sont cons ou quoi ces humains ?
– Ils sont cons ? Mais bien sûr qu’ils sont cons ! Quelle question !
– Il faut fermer les frontières ! Toutes les frontières ! Je n’ai pas envie de risquer ma vie parce qu’un chat du Wuhan aura accompagné son humain venu en pleine épidémie racheter la ligue 1 ou je ne sais quelle merde française en faillite !
– Calme-toi Darwin ! Tu vas nous faire un malaise !
– Comment veux-tu qu’on garde notre calme quand les humains décident du sort de millions de vies sur un claquement de doigts !
– Écoute ! Si ça peut te rassurer, je te promets que si les humains font une campagne d’abattage des chats, je vous tuerai discrètement et sans douleur avant !
– …
– Quoi ? Qu’est-ce que j’ai dit ?
– Tu trouves cha rassurant ? Tu pourrais nous dire que tu vas faire en sorte que personne ne nous trouve jamais ! Cha ce serait rassurant !
– Hum… Là t’es en train de me dire que tu serais capable de vivre en sachant que tous tes congénères ont été éradiqués ? Et tu trouverais encore un sens à la vie ?
– Heu… Laisse-moi réfléchir un moment à cha !
– Moi je pourrais. a dit Grabel. À tout prendre je préfère mourir de vieillesse en me chachant le dernier chat sur la terre. Je préfère passer tout le reste de ma vie à penser sur le sofa de Grabelot que de me faire attraper par un humain qui va m’amener dans un abattoir. Ah ben oui alors !
– D’abord, toi Odette, tu vis bien sans avoir de contacts avec tes congénères ?
– Ça n’a rien à voir. Moi je sais que c’est temporaire. Si je n’avais pas cet horizon en tête eh ben…
– Eh ben ?
– Je ne sais pas en fait.
– Un jour de vie c’est toujours la vie. C’est bien pour cha que même ceux qui ont dépassé leur espérance de vie attendent de Macron qu’il prenne les décisions qui les protègent. Même si les visons avaient été un milliard, les vieillards humains auraient prié pour qu’on les abatte tous plutôt que de prendre le risque de voir l’épidémie repartir de plus belle.
– C’est bien ce que je dis. Les chats se comptent sans doute par milliards mais les humains vous abattront tous pour se sauver s’il le faut !
– Non c’est différent ! Parce que les humains et nous on a des rapports affectifs ; enfin… les chats domestiques je veux dire. Et justement, il y a des vieillards humains qui se laissent mourir depuis qu’on les prive de leurs relations affectives.
– Tu dis vraiment tout et son contraire ! Un jour de vie ce n’est donc pas toujours la vie s’il n’y a pas de relations affectives ! C’est pour ça que je ne trouverais pas très normal que vous surviviez tous les deux à tous les autres chats. Alors je vous tuerai discrètement. Vous ne sentirez rien du tout ! Ce sera comme s’enfoncer dans un doux rêve. Maintenant il faut que je sache ce que je vais faire de vos dépouilles. Vous avez une préférence ?
– Euh…
– Vous savez, ce ne sera pas la première fois !
– Tu as déjà tué des chats ?
– Euthanasié est le terme approprié.
– Pourquoi ?
– Parce qu’ils me l’avaient demandé.
– Et alors ? Qu’as-tu fais de leurs corps ?
– Je les ai jetés dans une poubelle !
– Oh !
– Mais non ! Je blague. J’en ai fait des croquettes pour chien !
– Oh !
– Que vous êtes cons !… Cela dit, si vous voulez finir en croquettes pour chien, suffit de demander. Bon ! Dites-moi ce qu’il faudra faire de vous ! Sachant que normalement on ne peut pas tout faire. Par exemple les humains n’ont pas le droit de se faire enterrer dans leur jardin.
– Mais leur chat ?
– Aux dernières nouvelles ce n’est plus autorisé, sans que ce soit interdit pour autant. Sauf si c’est un chat de plus de 40 kilos ! Dans ce cas-là c’est explicitement interdit !
– Cha n’existe pas un chat de quarante kilos !
– Ne compliquez pas les choses ! Ne vous en déplaise, les humains font des lois pour chats et chiens mélangés !
– Ben de toute façon on n’a pas de jardin !
– Je peux vous en trouver un. Je peux aussi vous amener dans un cimetière pour animaux domestiques. Normalement c’est payant mais on peut s’incruster à la fête ! Je l’ai déjà fait.
– Tu parles d’une fête ! Reposer entre son chienchien à sa mémère et un chat du genre Saint Sauveur l’acéré, cha fait envie !
– Réfléchis-y bien ! Je pourrais rajouter une plaque et une épitaphe ! Ici repose Grabel, un chat bel et gras !
– Je ne suis pas gras !
– T’es pas svelte non plus !
– Peut-être mais pas gras !
– Et l’incinération, c’est possible ?
– Bien sûr ! Après quoi je jetterai vos cendres dans les toilettes ! Une bande de rats vous souhaitera bon voyage à la sortie du tuyau !
– J’imaginais plutôt être dispersé dans le vent du haut de la passerelle du palais de justice.
– Tu ne préférerais pas être dispersé du haut d’une patte de l’éléphant ?
– Bien sûr que non ! Il faut que les pigeons et les mouettes puissent me dire adieu !
– Ah oui, j’imagine déjà la scène ! Adieu Darwin et bon débarras !
– Je vais beaucoup leur manquer.
– Ou pas. En tout cas quel que soit votre choix il faudra vous estimer heureux. Il n’y a pas si longtemps les chats finissaient dans l’estomac d’un chien, d’un cochon, d’un rat ou d’un corbeau. Et même les humains se traitaient avec moins d’égards. On empilait les cadavres sans vergogne !
– Peut-être que c’était une époque où l’on avait plus de considération pour l’esprit et moins pour le corps.
– Je dirais plutôt qu’ils ne savaient pas comment faire autrement. Vous savez, la ville ça paraît être un truc organisé. Mais quand on organise un truc pour 1000 personnes, bientôt il y en a 2000 ; puis quand on a trouvé la solution pour vivre à 2000, 2000 autres personnes débarquent, et ainsi de suite. C’est déjà pas simple quand la situation économique est au beau fixe alors en cas de guerre ou de crise, se débarrasser des cadavres est un vrai défi ! Quand c’est un défi de place les humains aiment bien empiler les choses. Ils empilent les étages, les sacs de riz, les boites de conserve, et même les cadavres ! Le problème quand on empile les cadavres c’est qu’il ne faut pas se dire ensuite : « Zut, j’ai oublié de noter de quoi est mort le type en bas de la pile ! De noyade ou d’un coup de couteau dans le ventre ? », « A la couleur je dirais, de noyade. », « Il faut vérifier ! ». Le dépilement de cadavres ça va le premier jour, et encore, en hiver, mais avant l’invention du frigo, je peux vous assurer qu’on ne s’y pliait pas de gaieté de cœur.
– Pourquoi ils ne les enterraient pas tout de suite ?
– Parce que souvent ils ignoraient l’identité des morts, alors il fallait prendre le temps d’enquêter pour essayer de savoir qui c’était. Par exemple à Lyon ils repêchaient beaucoup de cadavres dans la Saône ou le Rhône, soit parce qu’on les avait jetés là pour s’en débarrasser discrètement, soit parce qu’une embarcation avait coulé, soit parce qu’un promeneur sur berges avait glissé sur une peau de banane.
– Là tu parles du temps d’après l’invention de la banane ?
– Mais avant la naissance de Super Mario ! En général ceux qu’on avait aidés à tomber était facile à reconnaître, ils n’avaient aucun objet de valeur sur eux, sachant que tout avait de la valeur…
– Sauf si quelqu’un avait voulu faire passer un crime pour un accident.
– Comme un héritier qui en a marre d’attendre son héritage ?
– Par exemple.
– Dans ce cas-là l’auteur d’un parricide avait effectivement l’intérêt à ce que le cadavre soit vite retrouvé et facile à identifier. Mais de toute façon tout le monde savait bien que l’odeur d’un cadavre devient vite problématique. Et plus la ville grandissait, plus le nombre de cadavres à reconnaître grandissait. Au milieu du 19ème siècle la ville a décidé d’installer une morgue sur un bateau-lavoir. C’était assez pratique du fait qu’une certaine partie des cadavres étaient repêchés dans le Rhône, et puis le fleuve est un endroit mieux balayé par les vents que le reste de la ville et un bateau un peu à l’écart des habitations, ça paraissait être une bonne idée. La journée on exposait les cadavres derrière une vitre où les Lyonnais pouvaient venir voir si tonton, dont on était sans nouvelles depuis la veille, n’avait pas décidé d’aller cuver son vin au beau milieu de la rivière. La nuit on ne laissait pas le bateau-morgue sans surveillance, un chien et son maître vivaient là pour garantir qu’aucun cadavre ne prendrait la poudre d’escampette. Alors du coup, c’était un peu une attraction, le gardien voyait assez souvent les mêmes têtes, tous ces curieux passionnés par la vision des morts.
– Les humains sont vraiment déglingués du ciboulot !
– Certains oui. A priori il y a pire, tous ceux qui n’auraient raté pour rien au monde une exécution publique ! Un spectacle à voir en famille. En 1895 Mr Gailleton, le maire de Lyon, a dû prendre un arrêté municipal pour mieux réglementer les visites à la morgue, notamment pour les interdire aux enfants de moins de 15 ans. Y en a à qui ça a manqué, c’était quand même autre chose que le train fantôme de Disney non ?
– Je ne sais pas.
– Je vous assure. Surtout en ce jour de février 1901 où ils ont récupéré dans le Rhône un cadavre en pièces détachées. Tout Lyon a voulu voir ça !
– Et après ça chicane les chats qui dépècent les oiseaux !
– On ne dépèce pas les oiseaux ! Compris ?
– Je voulais dire les souris.
– Les temps changent matous ! Avant personne ne vous aurait chicané. Par contre, possible que vous vous soyez fait voler votre souris par un gamin des rues affamé !
– Je ne crois pas, non ! Ou alors après c’eut été un gamin sans main !
– J’en reviens à mon cadavre dépecé. Donc tout Lyon débarque devant la morgue en espérant pouvoir y rentrer afin d’y aller de son commentaire : « Il a une jambe plus courte que l’autre non ? Ou c’est juste mal découpé ? Non je dis ça… comme mon mari a une jambe plus courte que l’autre et qu’il n’est pas rentré hier soir. », « Allez vas ! Avec un peu de chance il ne sera toujours pas rentré ! », « L’espoir fait vivre ! Où est la tête ? Ah merde ! », « C’est lui ? », « J’ai bien peur que non ! ». Dites-vous qu’évidemment ça crée une longue file d’attente, et les gens s’impatientent, ça vire limite à l’émeute et il ne faut pas moins de quarante gardiens de la paix pour sauvegarder la paix de ce jour ! À l’époque ça faisait déjà un moment que la municipalité trouvait que son bateau-morgue menaçait ruine et qu’il fallait songer à un nouveau bateau ou un autre endroit pour entreposer les morts. L’idée était à la fois d’éloigner les cadavres des curieux tout en les rapprochant des étudiants en médecine. « Dis maman ! On pourra aller voir un cadavre ? », « Eh bien non parce ces salauds ont déménagé la morgue et qu’on ne peut plus y aller sous n’importe quel prétexte ! Mais ne t’inquiète pas ! Si tu travailles bien à l’école tu pourras faire médecine et les morts, tu pourras les toucher et même les découper ! Finis ton steak ! »
– En somme, ce que tu essayes de nous dire, c’est qu’on devient médecin par envie de voir des cadavres !
– Ce n’est pas du tout ce que je dis ! Je me demande juste si ce n’était pas plus naturel de montrer les choses aux enfants. Si on est contre la peine de mort, alors le problème c’est l’exécution en elle-même, pas le fait qu’on la montre à ceux qui veulent la voir.
– Et comment un enfant serait en mesure de savoir s’il veut la voir, dès lors que ce sont ses parents qui l’obligent à les accompagner ?
– Hum… C’est juste matou. Ce que je voulais dire c’est qu’aujourd’hui les gens arrivent à l’âge de la retraite en ayant mangé des milliers de nuggets qui sont issus de la mort de centaines de poulets élevés dans des cages alors qu’ils n’ont jamais tué eux-mêmes un poulet !
– Moi je suis tout à fait d’accord pour tuer un poulet et aussi pour manger des nuggets ! C’est toi qui ne veux pas qu’on le fasse !
– Je vous interdis de tuer un poulet !
– Un poulet ce n’est pas vraiment un oiseau !
– Pour vous c’est un oiseau ! OK ?
– OK ! En même temps c’est pas comme s’il y avait une chance qu’un poulet arrive à voler jusqu’ici.
– Y a sûrement plus de chances de voir tomber des poissons.
– Voire des éléphants. Alors du coup. Le bateau-morgue, il existe encore ?
– Que nenni ! À force de tergiverser, la question de son remplacement s’est réglée d’elle-même. Un jour de crue le Rhône a emporté le bateau qui s’est brisé sur les piliers du pont de la Guillotière !
– Non je ne crois pas ! Ce pont n’a pas de piliers ! Je le sais parfaitement !
– L’ancien pont Darwin ! Le fameux et magnifique pont de la Guillotière qui eut fait la renommée de Lyon avec des si ! C’était en 1909 !
– Ah oui ce vieux pont-là ! J’ai relaté l’histoire de ce pont dans une de mes aventures.
– Mais pas cet évènement-là !
– Non. L’évènement que j’ai relaté aurait demandé un sacré bateau-morgue.
– Ce jour-là, c’était la nuit d’ailleurs, il n’y avait qu’un seul cadavre sur le bateau.
– Un seul ? Comme quoi on se fait toute une histoire sur les dangereux siècles passés, mais c’était pas si dangereux que ça.
– Faut voir ! Ce cadavre a eu un sacré bol. En mourant il a évité d’aller à la guerre quelques années plus tard !
– Et le gardien aussi du coup !
– Nope ! Ce gardien, un type nommé Delaigue, était réputé être un expert pour déterminer combien de temps un corps avait séjourné dans l’eau et depuis combien de temps on l’en avait retiré. Mais il n’a pas pu déterminer en combien de minutes un homme mourrait d’hypothermie puisqu’on l’a repêché avant ! Par contre le chien, lui, est mort !
– J’imagine que ce con a voulu sauver le cadavre !
– Possible.
– Sûr est certain ! Moi je me serais jeté sur la tête de Delaigue !
– On n’en attendrait pas moins de ta part, chat noir ! C’est tout à l’honneur du chien d’avoir voulu sauver le cadavre dans la mesure où ce cadavre n’avait pas été identifié. Si ça se trouve sa famille attend encore de savoir ce qu’il lui est arrivé !
– Au chien ?
– Non ! Au cadavre !
– Y a eu de l’eau qu’a coulé sous les ponts en 111 ans quand même !
– C’est peut-être lui le soldat inconnu.
– Mais t’es con Grabel ou quoi ?

C’est vrai que des fois, Grabel ferait mieux de réfléchir avant de parler ! Cela dit des fois il réfléchit trop. Par exemple il voudrait calculer quelle hauteur on atteindrait si on empile 15 millions de cadavres de visons dans des barils de pétrole et qu’on empile tous ces barils les uns sur les autres. En fait je n’arrive même pas à calculer combien on peut mettre de visons dans un seul baril mais si on faisait ça dans des barils tachés de pétrole, on aurait du mal à récupérer les peaux pour faire des manteaux. Moi je me demande surtout combien il faut de visons pour offrir un manteau à Brigitte Bardot.

Voilà la super gaie histoire du bateau-morgue lyonnais et des visons assassinés (mais qui auraient de toute façon fini par l’être). Portez du polyester ! Et si vous tombez sur un dicton de papillote super original ou drôle, n’hésitez pas à me l’envoyer !

Ah ben chalut !

Darwin.

1 novembre 2020

Un pigiste sur le toit

Chalut

Jusqu’alors je n’ai pas pris le temps de vous parler d’un nouvel habitant de notre bloc. C’est un type qui semble avoir la quarantaine bien tassée et qui est arrivé début septembre dans un petit appartement avec Velux. Or, si j’en crois ce qu’il dit, cet homme vivait auparavant sur le très grand bloc et il a déménagé ici plus par force que par choix. La première fois que je l’ai vu ma surprise fut assez grande parce que c’est lui qui m’a interpellé :
– Qu’est-ce tu fous là Darwin Le Chat ?
Comprenez bien que je me suis arrêté tout net. J’osais à peine me retourner vers lui mais au bout de quelques secondes j’ai bien été obligé de le faire. Lui a continué à me parler :
– Je t’ai déjà vu souvent de l’autre côté de la rue. Comment fais-tu pour passer d’un toit à l’autre ? J’ai longtemps habité là-bas figure-toi. J’étais bien et c’était très en dessous du prix de marché. Ça c’était avant. Avant que mon proprio ne casse sa pipe et que ses ayant-droit ne revendent au prix fort. Voilà tout ce que j’ai trouvé pour rester dans le quartier. Treize mètres carrés Carrez ! C’est moitié moins que ce que j’avais avant. Mais y a plus en fait ! C’est l’avantage d’être sous le toit. J’ai pu mettre tout mon bazar dans des cartons, il va y rester. Finalement j’ai moins de regrets que je ne le pensais de prime abord. De toute façon là-bas c’était devenu difficilement vivable. Ce salopard de proprio voisin avait changé son appart en airbnb. La chienlit ! Airbnb c’est vraiment la chienlit !

Après ce premier contact très étonnant j’ai appris que ce type n’était pas un humain doué d’un don particulier. Il n’est pas tombé non plus sur Darwin par pur hasard. Odette m’a avoué lui avoir suggéré que je m’appelais comme ça. Si vous vous réveillez un jour avec une idée fixe en tête, c’est peut-être le signe qu’une fée vous a susurré quelque chose à l’oreille. La chose la plus intéressante avec cet individu, qui lui se prénomme comme le président de la république, c’est qu’il a été, entre autres choses, pigiste au Coincoin du coin. Il semble en avoir gardé un souvenir prégnant et comme c’est un sacré bavard, j’ai déjà eu l’occasion deux fois de me poser tranquillement sur le toit pour écouter ce qu’il avait à me dire. La dernière fois c’était ce samedi 31 octobre, un excellent samedi 31 octobre qui, en temps ordinaire, aurait vu les rues envahies d’humains vilainement déguisés et excités comme des puces. Rien de tout ça en période de confinement, donc j’étais d’excellente humeur et assez disposé à écouter cet Emmanuel.
– Tu vois Darwin ? Je n’ose plus trop m’exprimer sur le net mais j’ai encore des choses à dire alors j’écris encore. Si t’as un peu de temps devant toi…

Je n’étais pas pressé.

– …je vais te faire la lecture. Si ça te saoule t’auras qu’à te barrer.

Je risquais pas de me gêner.

– Alors voilà. J’ai pas mal bataillé au Coincoin du coin pour leur faire admettre que j’avais de grands talents de journalistes. Vingt ans de bons et loyaux services. N’étant que pigiste, j’ai toujours été dans l’obligation d’avoir une activité, entre guillemets, alimentaire. En fait, sans me vanter, je fais tout de matière très professionnelle. J’étais à la fois investi dans mes activités de pigiste et dans mon travail salarié. J’aurais bien voulu être journaliste à temps plein et pouvoir en vivre, au Coincoin du coin ils étaient forts en idées mais pas pressés de les mettre eux-mêmes en pratique. Je crois que j’aurais pu attendre longtemps !… Maintenant je suis tricard. Aucun journal ne va prendre quelqu’un comme moi passé par le Coincoin du coin. Du coup c’est pas plus mal d’avoir été forcé à un parcours de salarié ordinaire. Et je m’en sors pas mal, Darwin. Mon domaine c’est la logistique. Quand on me demande ce que je fais, je réponds que je suis cadre-manutentionnaire. En réalité je ne suis ni cadre ni manutentionnaire mais c’est le terme qui me semble le mieux approprié. Toujours est-il que cette interdiction du Coincoin du coin m’a bien mis les boules. Tu sais que j’ai vraiment été en phase avec la ligne éditoriale. Le plus dommage c’est qu’on n’ait pas pu publier l’intégralité de l’article de fond de D. Lepou. Même si mon nom n’aurait pas été cité, j’y avais largement participé. L’aventure s’est terminée à la fin du confinement et maintenant nous voilà reconfinés. Mais est-ce que la situation nous donne raison Darwin ? L’honnêteté devrait nous conduire à dire qu’on n’avait ni tort ni raison. La vérité c’est que le temps pourrait nous donner raison a posteriori. Avoir raison a posteriori ce n’est pas avoir raison. Grosso modo on a dit qu’il fallait laisser le virus se diffuser dans la population active et les scolaires, hormis pour les cas de comorbidité présumée. Mais concrètement cela signifiait qu’on devait trouver le moyen de protéger tous les autres, ce qui en première approximation appelait un confinement de ces personnes. Je n’ai pas vraiment le souvenir d’avoir entendu Macron envisager cette possibilité au printemps, peut-être qu’il l’a fait. Ce qui est certain c’est qu’il l’a évoquée ce mercredi lors de son annonce du second confinement. Mais c’était surtout pour balayer l’hypothèse. Impraticable selon lui, notamment parce que nos aînés ont souvent besoin d’assistance ou parce qu’ils vivent entourés de plus jeunes. Je trouve l’explication un peu courte. Tu ne trouves pas Darwin ?

J’ai pas vraiment d’avis sur la question faute d’y avoir songé.

– Écoute ! Qu’il y ait des personnes âgées vivant au contact de plus jeunes, c’est nécessairement vrai. Mais on est en droit de penser qu’au niveau familial, c’est tout de même devenu assez minoritaire. Et surtout, pour ceux qui vivent effectivement chez leurs enfants et petits enfants, si on imagine bien l’efficacité que pouvait avoir le drastique confinement du printemps, les modalités de celui-ci, avec des enfants allant encore à l’école et plus de personnes restant en poste, il faudra bien garder le moyen de protéger les aînés de ces familles. Et c’est exactement la même chose dans les établissements spécialisés. Laisser rentrer les proches c’est exposer les pensionnaires, ne pas les laisser rentrer semble être considéré comme inhumain. Dit autrement, refuser à une personne proche de la fin ce qui pourrait être sa dernière visite, tout le monde est d’accord pour juger cela odieux ; mais admettre une visite c’est prendre le risque de rendre la fin plus proche encore. Voilà un des nombreux problèmes insolubles auquel ce virus nous confronte. De toute façon on ne peut pas enfermer le personnel soignant avec les pensionnaires, donc ce personnel retrouve ses enfants qui eux vont à l’école. Là où un confinement très strict a eu des résultats incontestables pour freiner la propagation du virus, ce confinement montrera des limites qui, selon la logique du gouvernement, l’obligera à le durcir à nouveau. En laissant les enfants à l’école et en tablant principalement sur la fermeture de commerces et de lieux de sociabilité, quoiqu’il s’en défende, Macron a promulgué un confinement ciblé. Dans ces conditions il n’est pas audible lorsqu’il balaye d’un revers de la main l’idée d’un confinement orienté vers les personnes à risque. Le fait qu’il l’ait évoqué durant son intervention laisse cependant entendre que c’est une idée qui a fait son chemin dans les sphères du pouvoir, notamment, j’imagine, dans les cercles patronaux. Personne ne dira que le Coincoin du coin a défendu une position patronale, sinon il aurait pignon sur rue et n’aurait pas été interdit. Nous avons défendu la ligne économique non pas pour sauver les dividendes des patrons mais par certitude que la crise ferait de toute façon bien plus de dégâts chez les pauvres que chez les riches. L’avenir ne nous donnera pas tort là-dessus, à moins de considérer comme riche la frange des petits entrepreneurs qui en sortiront ruinés. Certes beaucoup n’étaient pas pauvres, mais j’espère que cela leur ouvrira les yeux, il y a un tel écart entre eux et ceux qui tiennent les cordons de la bourse que la divergence de point de vue politique avec le Medef devrait être un peu plus flagrante. D’un certain point de vue on peut dire que le gouvernement a suivi une ligne plutôt progressiste visant d’abord à sauver un maximum de gens possibles plutôt que l’économie, tout l’inverse des administrations de Trump ou Bolsonaro. De ce point de vue on peut estimer que la Chine aussi a adopté cette ligne progressiste puisqu’elle a tout fait pour éviter la propagation du virus. Et la façon la plus radicale d’y parvenir c’était bien le confinement dur, confinement qui sauve des vies mais qui remet à la fois en cause la liberté individuelle et la liberté d’entreprendre. Il est assez facile de voir en quoi toutes les passions sont exacerbées, pourquoi des gens ayant tant haï BHL finissent par se trouver un point d’accord avec lui, pourquoi le Coincoin du coin a défendu une ligne que certains grands patrons n’auraient pas reniée. Une même ligne mais pas pour les mêmes intérêts. Cette crise est extraordinaire au regard des dernières décennies mais on ne peut pas pour autant faire comme si elle avait surgi de nulle-part telle une armée extraterrestre. Si certains, et j’en ai fait partie, ce sont sentis agressés par la violence du confinement, est-ce parce qu’on nous a trop habitués à l’idée de liberté ? Peut-être. Mais peut-être l’aurais-je mieux vécu si cette décision ne venait pas d’un gouvernement qui, suivant la voie tracée par ses prédécesseurs, n’avait pas prouvé depuis trois ans que toute contestation serait combattue à grand renfort de déploiement de CRS. Pour moi il est incontestable que la liberté de pensée et les possibilités de contester l’ordre établi ont connu un net recul ces derniers temps et que cette tendance est une tendance de fond à l’œuvre aux quatre coins du monde. Dans un tel contexte la privation de liberté n’est pas une mince affaire et elle est encore moins acceptable dans un régime démocratique où les décisions finales semblent ressortir d’un seul homme n’ayant guère la confiance d’un peuple qui l’a élu plus par défaut que par choix. Maintenant nous devrons aussi admettre lui avoir fait de mauvais procès si un jour nos positions deviennent majoritaires a posteriori. « On aurait dû faire comme ils disaient au Coincoin du coin. » Ce que je reproche c’est de ne pas l’avoir réellement envisagé, surtout en cet automne puisqu’au printemps on n’avait même pas de quoi protéger les simples personnes à risque. Même en tendant à limiter les contacts, il fallait des masques pour toutes les personnes à risque et celles devant leur venir en aide, ce qui fait déjà une part conséquente de la population. Mais dire qu’il faut laisser le virus circuler dans l’autre partie de la population c’est assumer des risques pour lesquelles les données scientifiques manquaient. Ceux qui ont toujours défendu la mise en place des mesures les plus strictes possibles et qui ont réclamé le plus tôt le confinement, par exemple le milieu hospitalier qui semblait gouverner la France au printemps, ceux-là ne manquent aucune occasion d’y trouver une justification au-delà du secours mutuel que nous nous devons en tant que citoyens toutes générations confondues. Chaque effet secondaire subi par des personnes qui contractent le covid sans en mourir génère beaucoup de publicité. Le Coincoin du coin se fendit même d’un article disant qu’il allait peut-être changer son fusil d’épaule une fois qu’on eut établi l’étrange mal aux pieds que de nombreux enfants avaient eu suite au covid. Et réellement ce mal existe. Tout comme existe cette grande fatigue durable que bien des contaminés connaissent, et, plus flippant sans doute, ce marqueur très fréquent de la maladie : la perte du goût et de l’odorat. À ma connaissance je n’ai pas encore eu le covid mais dans ma vie j’ai connu deux épisodes de perte du goût et de l’odorat. Crois-moi Darwin ! Il paraît que vous les chats vous avez du pif ! Eh bien si un jour tu perds ce sens-là, tu seras vraiment heureux de le retrouver. Donc le covid-19 génère de nombreux effets secondaires. La question est de savoir dans quelle proportion, combien de personnes garderont des séquelles et à partir de quel niveau cela devient socialement inacceptable. En tant qu’individu je dirai peut-être... 1 ? Imaginons que demain j’attrape le covid et que ma punition soit de finir ma vie sans goût et sans odorat. Il est assez possible que je dise à qui veut m’entendre : « Regardez-moi ! J’ai critiqué Macron qui voulait empêcher le virus de circuler au prix de ma liberté. Maintenant ma vie est bien fade, c’est lui qui avait raison ! » Pire encore. Si on avait choisi une stratégie visant une forme d’immunité collective, il ne se serait pas seulement agi d’isoler les personnes à risque, il aurait aussi fallu faire en sorte que les autres ne se protègent pas entre elles. Sauf à considérer que la situation puisse s’éterniser et que les personnes à risque soient sous une contrainte durant des années, l’immunité collective aurait dû se faire le plus rapidement possible. L’inconvénient d’un R0 pouvant monter au-delà de 3 devenait en ce sens un gros avantage, en laissant filer le virus toute la population exposée l’aurait contractée en quelques mois. À supposer que nous ayons été vraiment capables d’empêcher celle à risque de le contracter aussi, seule manière d’empêcher l’engorgement des hôpitaux et de sauver des vies, nous aurions dû nous attendre à avoir de nombreux morts dans la population jugée préalablement sans risques. Dans le lot il y aurait eu des personnes assez jeunes voire des enfants. Je mets au défi n’importe quel parent manifestant aujourd’hui contre le port du masque et le confinement de penser la même chose si son enfant mourrait du covid-19. T’es pas d’accord Darwin ?

Pour le coup, cela me semblait être une opinion assez sensée.

– Cela dit j’ai coutume de dire qu’on ne légifère pas sur la peine de mort en demandant leur avis à ceux qui ont eu un proche assassiné. Ce que je veux dire c’est qu’on a tendance à brandir des chiffres à tort et à travers pour justifier sa position. Pour moi la perte de l’odorat reste très majoritairement temporaire quoiqu’on en dise. S’il y avait tant de personnes qui s’en trouvaient durablement affecté, les terrasses des cafés se seraient vidées d’elles-mêmes et cette maladie serait bien plus facile à circonscrire. D’ailleurs il n’y a pas trente-six chemins, soit nous allons vers une solution médicale qui arrêtera cette maladie, soit elle continue de se diffuser chez ceux qui ne pourront s’en prémunir, jusqu’à atteindre une immunité collective ou jusqu’à devenir moins dangereuse ou plus dangereuse, soit elle se met à faire si peur qu’il n’y aura besoin d’aucun spot publicitaire pour faire comprendre que les gestes barrières doivent être appliqués de manière drastique et les contacts limités au maximum. Aux dernières nouvelles personne n’a trouvé de traitement contre la peste mais si elle revenait, gageons qu’il faudrait réquisitionner les gens chez eux pour continuer à garder l’activité minimale nécessaire à notre survie. Là l’état fasciste ne serait pas celui qui enferme les gens chez eux mais celui qui les en sort. Pour l’heure les chercheurs ont beau dire qu’on n’en est qu’aux débuts de nos surprises concernant les effets secondaires de cette maladie, notamment les effets sur le cerveau, cela ne suffit pas à convaincre la jeunesse de sacrifier ses meilleures années en termes de relations sociales, et cela ne suffit même pas à convaincre les plus vieux de renoncer au plaisir d’un repas au restaurant entre amis. Pas convaincus ils sont contraints par les décisions de l’exécutif et certains s’en émeuvent comme nous nous en sommes beaucoup émus en mars dernier. Je ne sais pas si personnellement j’ai mis de l’eau dans mon vin. Je pense encore qu’au regard des connaissances dont on disposait le confinement ciblé aurait été la bonne solution, une solution intermédiaire entre le relatif laisser-aller des Suédois et celle des autres pays d’Europe. Au regard des moyens dont on disposait et particulièrement l’absence de masques, c’était sans doute impossible. Est-ce que Macron était responsable de l’absence de moyens ? Oui ! 100 fois oui ! Si c’était un gouvernement élu sur un programme de retour en force de l’action publique, ayant la volonté de mettre un terme à la casse de l’hôpital et de la sécurité sociale, il pourrait arguer qu’il n’a pas encore eu le temps pour agir pleinement. Mais quand on est le digne héritier, pour ne pas dire le Nec Plus Ultra de la privatisation rampante, de l’absence de stratégie collective sous prétexte de modernité, quand on a été ministre de l’économie avant d’être élu président, on est mouillé jusqu’au cou et on n’a aucune excuse. La difficulté d’avoir de la cohérence ou de la constance dans notre opinion face à cette maladie atteint même les plus légitimes pour en parler. J’en veux pour preuve une interview d’Axel Kahn, généticien, président de la ligue contre le cancer et accessoirement philosophe inaccessible aux non-initiés. Le 11 septembre 2020 sur LCI, il fait état de choses qui me semblent tout à fait justes et rappelle que les masques et les gestes barrières sont efficaces. Je pense comme lui que les contaminations ont largement eu lieu dans les endroits où tous ces gestes barrières n’avaient pas cours, notamment dans les bars, les restaurants où, par force, le port du masque est difficile, mais aussi dans les soirées privées que bien des personnes ont organisées, les vacances en famille, donc tout ce que le confinement n’autorisait pas. Ce jour-là, peut-être parce que tous les étudiants n’étaient pas encore rentrés, il n’a pas cité les endroits où l’on porte le masque, tels les transports en commun, les bancs du secondaire, du supérieur, son propos étant de faire comprendre que le masque, s’il est bien porté, est efficace, certes pas à 100 %. Pour ma part je pense que le masque, souvent mal porté, parfois même récupéré dans une poubelle pour pouvoir monter dans le bus, j’en ai vu Darwin, a été insuffisant dans les espaces trop denses y compris les bancs des universités où la distanciation est un vœu pieu. Donc le virus s’est diffusé et Axel Kahn a eu raison de monter rapidement au créneau pour contrecarrer ceux, refusant toute nouvelle mesure de contrainte, laissaient croire qu’il n’y aurait pas de seconde vague. Mais dans son intervention Kahn dit que le virus est naturellement passé d’une population sans risque qui, lassée du confinement, a voulu reprendre une vie normale, aux personnes à risque de leur entourage. Et ce sont ces personnes-là qui arrivaient déjà début septembre dans les services d’urgence et qui annoncaient le besoin de nouvelles restrictions. Mais dans les premières minutes Axel Kahn dit qu’en mai il s’est opposé au conseil scientifique qui voulait déconfiner tout le monde sauf les personnes fragiles (18 millions de personnes). Puis Kahn dit exactement ceci : « Je suis monté au rideau, effectivement ce n’était pas constitutionnel et j’ai eu gain de cause en 48h. Et en réalité ce qui se passe montre combien j’avais raison, ce ne sont pas les personnes fragiles qui ont été contaminées, car elles, elles se sont protégées. Ce sont les autres ! Et voyez combien il aurait été totalement absurde de ne pas déconfiner ces personnes. » La journaliste lui répond : « Elles n’ont pas été contaminées.. elles ont été en première ligne des décès. » « Oui mais, en mars. Mais lors de l’épisode actuel, la raison pour laquelle il y a eu une disjonction entre l’augmentation des contaminations et les entrées à l’hôpital est que les gens qui ont été contaminés, ce sont les jeunes et les jeunes adultes. » Tu vois Darwin ? On peut tout de même soupçonner que comme tout un chacun, Axel Kahn a un regard sur la situation qui n’est pas totalement indépendant de sa propre identité, il est né en 1944, donc ce conseil du conseil scientifique qui épousait à retardement les positions du Coincoin du coin, il est possible qu’il s’en soit trouvé ému un peu trop personnellement. Lorsqu’il dit que les personnes à fragiles n’ont pas été contaminées puisqu’elles se sont protégées, moi j’ose prétendre qu’elles ont surtout été protégées par le confinement. Ensuite elles sont peut-être plus enclines à porter le masque vu qu’elles savent ce qu’elles risquent. Effectivement on comprend bien que plus il y a de porteurs du virus, plus les possibilités de le contracter sont grandes. Mais dire :« Elles, elles se sont protégées. », c’est assez vite dit. Dans les faits se sont toujours elles qui finissent le plus souvent dans les services d’urgence, soit parce que malgré leurs efforts elles n’arrivent plus à se protéger devant un virus bien plus présent, soit parce qu’en réalité elles ont fait comme les jeunes et ont repris une vie normale. Et j’ose croire qu’il y a de tout ! Depuis deux mois je suis masqué en permanence en présence d’autres personnes, sauf les chats, et je n’ai cessé de croiser des anciens qui semblaient prendre les choses bien plus à la légère. Donc sur ce point je ne crois pas que ce grand monsieur puisse prouver ce qu’il a avancé et en rien cela ne lui donne raison contre l’avis du conseil scientifique du mois de mai. Pour une personne fragile la meilleure façon de se protéger, cela reste de se confiner. Voilà exactement le résumé de cette année. J’entends des interviews de personnes très intéressantes qui disent à deux phrases de distances une chose sur laquelle je suis en total accord et une autre en total désaccord. Grâce à Axel Kahn j’apprends qu’un confinement ciblé est anticonstitutionnel, j’aurais aimé connaître la constitutionnalité d’un confinement qui fait télétravailler certains, force les autres au chômage technique, envoie des personnes fragiles au travail parce que leur métier est jugé indispensable, laisse les autoentrepreneurs sur le carreau, envoie les gamins à l’école... Alors Darwin, moi je reste sur mes idées de départ non parce que je suis borné mais parce que tout ce qui était présent dans la balance en mars et tout ce qui y a été rajouté ne l’a pas fait pencher de l’autre côté. Seuls certains pays dont la Chine semblent avoir su contenir la maladie. On s’est beaucoup trop souvent émus des tendances totalitaires des Chinois pour prendre ce pays en modèle, mais le fait est qu’il ne semble pas avoir contraint sa population beaucoup plus que les démocraties occidentales. Le confinement nous faisait horreur, on l’a fait ! Mais la Chine avait l’avantage d’être l’usine du monde, elle avait les masques, et s’il est un pays où la stratégie « tester, tracer, isoler » a été parfaitement mise en œuvre c’est celui-là. À cette échelle c’est assez remarquable mais attendons encore un peu avant de faire un bilan définitif. Maintenant Darwin tu me diras qu’au Coincoin on a beaucoup émis l’idée d’un confinement ciblé mais qu’on n’a jamais donné le début d’une piste concernant sa mise en œuvre. Le centre du problème concerne les personnes fragiles qui vivent avec des personnes continuant d’aller et venir comme si de rien n’était. Je n’ai aucune solution sinon celle des gestes barrières, ce qu’on fait pour tout un chacun, a fortiori on doit pouvoir le faire pour ceux qu’on aime. D’ailleurs la protection des personnes fragiles ce n’est pas nécessairement la mise à l’écart tandis que les autres vivent comme si de rien n’était. On peut imaginer plein de choses comme des créneaux horaires réservés à cette population dans les commerces. Le personnel de ces enseignes appliquerait les gestes barrières durant ces créneaux. Puisqu’une telle démarche est impossible durant les transports en commun, l’état aurait pu mettre en place un système de VTC quand la nécessité de se déplacer se fait sentir. Il y a plein de choses qui auraient pu se faire avec des moyens financiers mais ceux-là n’auraient jamais dépassé le coût d’un confinement généralisé. Mais pour d’autres choses ce qui est valable lors d’un confinement généralisé reste valable pour un confinement ciblé, à cela près que le virus étant bien plus présent, il faut redoubler d’efforts. Tu vois Darwin ? Arrêter cette saloperie c’était peut-être pas impossible à condition que la population le veuille vraiment, le laisser filer c’eut été dramatique, le freiner plus ou moins au gré des saisons en attendant un traitement c’était peut-être la solution si le traitement était arrivé vite. Mais un jour le vaccin est pour demain, le lendemain le doute quant à un vaccin prochain et efficace est sur toutes les bouches. Ce qui est sûr c’est qu’on a mis tous nos œufs dans le même panier et le connard qui le porte continue à gambader en chantant que demain ne sera pas comme hier mais qu’il faudra tout faire comme avant. Surtout ne changeons rien ! On va crever Darwin ! Probablement pas du covid mais d’avarice ! C’est un autre débat. Je t’en causerai à l’occasion, je commence à me les geler. Chalut !

Ah ben oui, ben chalut alors !

25 octobre 2020

Pluie chalorique !

Lyon 25 octobre 2020

Chalut !

Voyez comme le gouvernement fait bien les choses ! Le confinement c’était super pour les chats de gouttière et un peu pénible pour la plupart des humains. Mais le couvre-feu, voilà qui permet de satisfaire les chats de gouttières et les humains non-noctambules. Les humains pour la plupart ne sont pas noctambules et nous, débarrassés des noctambules, qui comptent assez souvent au nombre des pires humains existants, nous avons le loisir de nous balader dans la rue sans grand danger de 21h à 6h du matin. Autant vous dire qu’on en profite bien, ce qui est tout de même un peu fatigant je dois le dire. Donc la journée j’ai tendance à pas mal dormir. En temps ordinaire vous aurez déjà constaté que quand je regarde des choses sur l’ordinateur de Grabelot, Grabel est souvent en train de roupiller. Eh bien l’autre jour, tandis que j’étais bien fatigué et que je me reposais sur le sofa, Grabel était en train de « surfer » sur Duckduckgo, le moteur de recherche qui ne nous espionne pas, contrairement aux drones-mouches. Et donc soudainement il m’appela :

– Viens voir cha Darwin !

– Je dors Grabel !

– Ben non ! Ou alors laisse-moi te dire que tu parles en dormant ! À ta place je m’inquiéterais.

– Bon OK ! Tu as gagné. Dis-moi quoi !

– Viens voir cha !

– J’ai la flemme là. Tu peux pas me dire ce qu’il y a à voir ?

– Viens voir je te dis ! Tu ne vas pas en croire tes yeux !

De mauvaise grâce je consentis à me lever, à descendre du sofa et à faire le bond nécessaire pour sauter sur la table. Malencontreusement j’atterris sur le clavier, ce qui eut pour effet d’arrêter le navigateur et d’ouvrir le traitement de texte. J’y vis le signe que je devais bientôt écrire à mes correspondants. Grabel y vit le signe que j’étais vraiment un chat maladroit !

– Les pattes dans le plat ! Bravo Darwin !

– C’est pas bien méchant. Tu vas la retrouver ta page.

Ce qu’il tenta de faire en retapant dans notre canard de recherche, et de manière bien pataude, les mots suivants : « pluie de poissons ».

– Ben dis donc ! C’est laborieux. On dirait que c’est moi le chat d’appartement et toi le chat de gouttière.

– Parce que tu crois que tu pattuscris plus vite que moi ?

– Un peu oui.

– De toute façon bien moins vite que George ou Odette.

– Je ne vois pas le rapport ! En plus, pour ta gouverne, il y a un historique des pages consultées. Mais encore faut-il chavoir jouer un peu mieux que toi avec la souris. Pour un chat cha ne devrait pas être sorcier !

– Pour un chat chadique comme toi, j’imagine effectivement que c’est une vieille habitude.

– On m’a interdit de manger des oiseaux, pas des souris à ce que je chache… et chasse.

– Et des poissons ? On t’a interdit d’en manger des poissons ?

– Pas que je chache.

– Ou pêche.

– Je ne pêche pas ! Tu m’as pris pour un chat-ours.

– Non, cha c’est du fromage !

– Quoi ?

– Le chaource. Un délichieux fromage.

– De chèvre ?

– Non, de vache.

– Cheu cheu cheu cheu cheu.

– Alors moi, tu vois ? J’en ai un peu marre des croquettes et de la farcie !

– Si t’en as marre de la farcie, donne-moi ta part !

– Et puis quoi encore ?

– Ben alors pourquoi tu dis que t’en as marre ?

– C’est pas que je veux arrêter la farcie. C’est juste que j’aimerais varier un peu les plaisirs.

– Est-ce que Odette t’a fait goûter la farcie goût bœuf ?

– Non. Elle m’a fait goûter la farcie goût Tagada.

– Quel goût cha a ?

– Ben Tagada !

– Oui mais c’est bon comment ?

– Aux dernières nouvelles… comme du vomi. Du moins c’est le souvenir que j’en ai.

– Je préfère le bœuf.

– Moi aussi figure-toi ! Ou le poisson.

– Ah oui, au fait ?

– Ben j’ai demandé à George s’il y avait moyen que lui ou l’une de ses acolytes me ramène du poisson.

– De la Saône ?

– Du Rhône, de la Saône ou du marché ; je ne vais pas faire la fine-bouche.

– Tu devrais car ceux de la Saône et du Rhône ont le goût Tagada.

– Jure ? Pas s’il les pêche en amont du site pétrochimique quand même ?

– La pétrochimie ne commence pas aux portes sud de Lyon, Grabel ! Pense à tous ces gosses suisses ou français qui bouffent des fraises Tagada ou des Schtroumpfs, après quoi ils pissent bleu. Sans compter tous les jardiniers du dimanche qui font pousser des salades dans des bidons de Round-Up.

– Si on va par là, c’est pollué partout !

– Sans doute.

– Et la mer aussi du coup.

– Oui mais moins. Comme c’est grand c’est plus dilué. Donc il vaut mieux que George t’amène du poisson de mer. Et comme la mer c’est loin, il vaut mieux qu’il le vole à un poissonnier. Dans ces conditions autant demander à Odette.

– Odette préférera sûrement m’amener du poisson goût Tagada.

– Et George ? Qu’a-t-il dit ?

– Il n’a pas eu l’air motivé à me rendre ce petit service. Il m’a répondu :« Ça tombe pas du ciel ! »

– Ben non cha tombe pas du ciel. C’est pour cha qu’on lui demande d’en pêcher ou d’en voler !

– Eh ben c’est faux

– Quoi ?

– Que cha tombe pas du ciel ! Des fois cha tombe du ciel ! Et en voilà la preuve ! Une pluie de poisson mon vieux ! Qu’est-ce que tu dis de cha ?

– Oh !… Mais c’est… C’est…

– Magnifique n’est-ce pas ?

– D’un certain point de vue... oui. Ils sont morts ?

– Certains ont l’air bien vivants !

– Je ne trouve pas.

– Moi je trouve que si !

– C’est sûrement qu’ils sont tombés d’un énorme camion qui portait un non moins énorme aquarium et puis l’aquarium s’est brisé. Je ne vois pas d’autre explication.

– Mais non Darwin ! C’est une pluie de poissons ! C’est écrit sur la légende de la photo ! C’est un pur don du ciel Darwin ! Y a plus qu’à croquer dedans ! À condition d’arriver avant ces connards de clébards bien sûr.

– Euh attends… Je ne prends rien pour argent comptant moi !

– Incrédule ! La photo parle d’elle-même !

– Tu as lu l’article ?

– Pas encore.

– Lisons-le !

Ce que nous fîmes. Et c’est alors que nous apprîmes que les pluies de poissons existent bel et bien et que c’est un phénomène, pas si fréquent certes, mais rapporté en de nombreux lieux et divers moments de l’histoire. Don du ciel ? Oui c’en est un puisque cela ressort d’un phénomène météo appelé trombe, une forme de tornade qui élève une masse d’eau et les poissons qu’elle contient. Comme tout ce qui monte doit redescendre, à part les sondes spatiales, le ciel finit par recracher ce qu’il a volé à la mer ou aux rivières, sauf qu’il ne s’embarrasse pas pour essayer de le reposer au même endroit ; alors parfois une pluie de poissons s’abat sur une ville.

– Si je comprends bien, c’est quand il pleut des trombes d’eau qu’il faut guetter l’arrivée des poissons.

– Je ne suis pas sûr qu’il faille souhaiter une pluie de poissons.

– Mais bien sûr qu’il faut la souhaiter ! Ce serait un festin assuré.

– Grabel ! Des poissons qui tomberaient à Lyon viendraient sûrement de pas bien loin ; du Rhône par exemple. Que des poissons goût Tagada !

– Pas grave ! Je prends le risque !

– En plus de cha si des poissons tombent de haut, cha pourrait percer les tuiles du toit, et alors ce serait vraiment la tuile !

– Non Darwin ! Car il est écrit :« Pour qu’ils puissent être aspirés, il ne faut pas qu’ils soient trop gros ; comme des sardines ou des petites carpes. » Moi des sardines ou des petites carpes cha me convient parfaitement.

– Sur cette photo ils n’ont pas l’air si petits que cha. En plus ils sont tous du même côté de la route ! Tu ne vas quand même pas me faire croire qu’à une époque où la moitié des humains filme n’importe quel truc débile et ordinaire, aucun n’a filmé cette supposée pluie de poisson ? Sérieusement, des fois tu es d’une crédulité stupéfiante !

– Bon alors ? C’est vrai ou c’est faux cette histoire de pluie de poissons ?

– Je ne sais pas mais en tout cas, si c’est vrai, cette photo illustre mal ce phénomène. Cherchons une autre page ! Je veux les voir tomber du ciel !

– Et alors tu y croiras ?

– Possiblement !

– Et qu’est-ce qui te prouverait que ces poissons ne sont pas tombés d’un avion-aquarium géant ? Hein ? Malin que tu es ?

– Arrête de parler comme Philémon ! J’y croirai si l’information est bien étayée et corroborée par des témoignages fiables.

– Et comment fais-tu pour reconnaître une information bien étayée et corroborée par des témoignages fiables ?

– Grabel, si des scientifiques de renom se groupent pour monter un canular géant faisant état d’un phénomène impossible en réalité, alors, il est vraisemblable que je me ferai avoir. En attendant le doute subsiste quant à cette histoire de pluie de poissons.

– Si les tornades arrivent à soulever des maisons, je ne vois pas pourquoi elles ne soulèveraient pas des poissons !

– Sans doute ! Mais s’il est vrai que la mer est une décharge de plastique, je ne vois pas pourquoi une trombe soulèverait spécifiquement des poissons ! Il devrait y avoir l’emballage avec ! Ou bien plus vraisemblablement des algues et toutes sortes de créatures marines ! Or ta photo est trop propre pour être honnête et tes poissons se ressemblent tous !

 

Sachez qu’on a cherché une page avec une explication scientifique accompagnée d’images ne laissant pas de place au doute. Or l’explication scientifique semble bien être cette histoire de trombe, cette tornade qui a la spécificité de se balader sur une étendue d’eau et a donc la force suffisante pour soulever les petits animaux qui s’y trouvent. Rien de divin ou de paranormal donc. Mais Terre-nette a cela d’étrange que même des pages qui annoncent « la vérité sur les pluies d’animaux » ne donnent souvent que des explications spartiates, ou bien une vérité qui n’est que celle de la personne qui a fait la page. Et le pire c’est qu’on y retrouve très souvent la photo qui a fait saliver Grabel et qui est bien celle d’une chute accidentelle, non pas du ciel mais d’un camion, raison pour laquelle tous les poissons sont du même côté de la route. C’est dingue quand on y pense le manque de sérieux de la race des hommes ! D’autres sites, ayant pourtant assez peu l’apparence du manque de sérieux, se contentent de donner l’explication que je vous relate. Une trombe passe sur un marais où se tiennent des milliers de grenouilles et celles-ci sont emportées puis finissent par retomber. L’histoire regorge semble-t-il de témoignages de pluie de grenouilles. Mais le problème c’est que la mention de ces témoignages lointains laisse entendre qu’il pleuvait des grenouilles et uniquement des grenouilles. Or comme je l’avais moi-même signalé à Grabel, il me semblait impossible qu’une tornade soit sélective au point de n’emporter que des grenouilles et rien d’autre. En fait il est fort possible qu’il soit tombé autre chose que des grenouilles, au moins des rejets de la végétation et des insectes, mais ce qui a marqué les gens c’est la chute des grenouilles, pas celle de choses dont ils ont plus l’habitude. Si c’était seulement des grenouilles, alors on comprend aisément que certaines personnes s’emparent de ces histoires pour dire que c’est du paranormal ou même la preuve que Dieu fait pleuvoir ce qu’il veut. Moi je veux plutôt croire à deux autres solutions. Je n’y connais rien en météo mais je me dis que la trombe ne peut pas choisir de ne soulever que des grenouilles dans le marais sans aucune végétation. Mais peut-être qu’au moment où la trombe meurt, la différence de densité et de forme entre les grenouilles et la végétation fait que les grenouilles ont tendance à retomber à un endroit et la végétation ou d’autres animaux ailleurs, les moins denses restant plus longtemps dans le vent. Une autre explication un peu plus alambiquée serait que les grenouilles ne sont pas aspirées par accident mais qu’elles provoquent elles-mêmes cette aspiration. Il est avéré que des colonies d’araignées se déplacent parfois ainsi par millions en profitant du vent. Mieux vaut ne pas être arachnophobe si vous habitez dans la zone où elles retombent. Ce serait sans doute plus difficile pour des grenouilles, qui sont vraiment plus lourdes, de faire la même chose, mais comme elles sont assez douées pour prendre de l’élan, ce n’est peut-être pas impossible, non ? Toujours est-il que Grabel, apprenant que les grenouilles faisaient partie de ces espèces qui tombent en pluie comme des poissons, s’est mis à réfléchir à la pluie la plus réjouissante qui puisse être.

– Peut-être qu’il vaudrait mieux une pluie de grenouilles qu’une pluie de poissons.

– Pourquoi ?

– Parce que les grenouilles c’est sans doute très bon aussi et qu’on ne peut pas compter sur George pour nous en ramener une.

– Pourquoi ?

– Parce qu’il est anglais ! C’est de notoriété publique Darwin ! Les Anglais traitent les Français de mangeurs de grenouilles.

– Justement ! S’il nous donne des grenouilles, quand il fera son petit tour dans son pays il pourra dire : « Ah vraiment, ces Français sont rien que des mangeurs de grenouilles, j’en veux pour preuve que même les chats français mangent des grenouilles ! »

– C’est pas faux ! Olala Darwin ! Tu t’imagines si on était anglais ?

– Quoi ?

– On serait des mangeurs de rosbif ! Nom d’un chat ! Pourquoi on n’est pas anglais ?

– Parce qu’on vit en France.

– On pourrait demander la double-nationalité !

– En quel honneur ?

– En l’honneur qu’on préfère manger du rosbif que des grenouilles !

– Hum… Oui c’est une assez bonne raison il me semble. Je ne comprends pas pourquoi les humains n’adoptent pas ce principe tout simple.

– Si je devenais anglais j’aimerais qu’on m’appelle Greybeul ! Et toi ?

– Ben Darwin puisque le célèbre Darwin était anglais justement.

– Non je ne crois pas ! Je crois plutôt qu’il s’appelait Derwein.

– Moi je crois que Der Wein cha veut dire pinard en allemand.

– Cha te va super bien !

– Quoi ?

– Pinard !... Pinard Le Chat !

– Je ne bois que de l’eau. Faute de lait. Quel chat voudrait boire du vin ?

– Pristi. Mais seulement du vin de messe bien sûr.

– Voire.

– Tu sais Darwin. Il faut qu’on décide d’un truc avant qu’Odette ne nous dicte la conduite à suivre.

– À quel sujet ?

– Au cas où il pleuvrait des poissons. Cha finira sûrement par arriver d’ailleurs.

– Rien n’est moins sûr. Mais si cha arrive j’espère que le drone-mouche qui nous surveille s’en prendra un sur la gueule.

– Mais imaginons qu’il pleuve des sardines ! Dans ce cas-là on est d’accord qu’on se fera un bon festin sans demander l’autorisation à Odette ?

– Pour sûr… à condition que les sardines tombent sans les boites !

– Pourquoi veux-tu qu’elles tombent avec les boites ?

– Tu as raison. C’est les mangues bien mûres et les roses toxiques qui voyagent en avion. S’il pleut des mangues, normalement elles arriveront en même temps que le cockpit. On ne devrait pas souffrir !

– Et les roses ?

– Le vent les portera.

– Moi je crois que les accidents d’avions sont bien moins fréquents que les trombes d’eau. Donc on aura du poisson frais ! Mais…

– Mais ?

– La chose vraiment dérangeante ce serait qu’il pleuve des poissons-chats !

– Hum… Laisse-moi réfléchir à cha !

– On ne peut tout de même pas manger des poissons-chats ! Ce serait à moitié du cannibalisme !

– En fait, maintenant que j’y pense, je crois bien que je n’ai jamais su à quoi ressemblait un poisson-chat.

– Ben c’est un poisson qui ressemble à un chat !

– Tu veux dire qu’il a une forme de chat ?

– Non, j’imagine plutôt qu’il a une forme de poisson et une tête de chat.

– En fait tu n’en as jamais vu.

– Ben non, mais s’il s’appelle poisson-chat faut bien qu’il ait quelque chose en rapport avec un poisson et quelque chose en rapport avec nous.

– Peut-être qu’il a des griffes de chat.

– Ben non puisque pour cela il faudrait qu’il ait des pattes. Depuis quand les poissons ont des pattes ?

– Peut-être depuis qu’il y a des poissons-chats.

– Demandons plutôt à ton canard boiteux !

– Il n’est pas boiteux.

– En tout cas il est beaucoup moins performant que Google !

– Oui certes… mais lui, comme il ne nous espionne pas, il n’essaye pas de noyer le poisson pour nous laisser croire que si on installe une extension et deux modules complémentaires, qu’on crée un compte gmail et qu’on valide correctement toutes les options à chaque redémarrage, on n’aura plus à prouver qu’on n’est pas un robot et il n’enregistrera plus nos données, conformément aux lois relatives à la vie privée, lois dont il aimerait tant qu’elles soient définitivement abrogées et remplacées par une autre interdisant formellement l’usage du VPN sauf pour les millionnaires. Google c’est un plat chinois arrosé de sauce barbecue ! Exactement ce qu’au regretté Coincoin du coin ils appellent le néofascisme numérique.

– Possible. Mais du coup, quand le drone-mouche fait ses rapports à la BRNDNP, il lui signale sûrement qu’on fait de notre mieux pour aller sur Terre-nette de manière anonyme. Tu crois que cha va jouer en notre faveur pour ne pas passer pour des parasites à éliminer ?

– Hum… j’imagine que non.

– Googolise-moi ce poisson-chat !

– Non ! Au point où on en est moi je reste fidèle à mes convictions ! Mais tu es libre de faire ce que tu veux avec tes vilaines pattes maladroites !

– Laisse-moi te prouver qu’elles valent bien les tiennent ! Ah ah… Et voilà !

– Oui voilà ! Wikichat ! Bravo Grabel !

– Mais ? C’est un chat ce poisson !

– Pour ta gouverne ce poisson, comme tous les autres, prend deux s !

– Oui ben je sais ! C’est juste une petite faute de frappe.

– Fatalement.

– Ben voilà ! C’est corrigé !

À ce moment-là on a enfin vu la tête d’un poisson-chat. J’ai regardé Grabel, Grabel m’a regardé, on a regardé le poisson-chat à nouveau, poisson-chat commun d’après la légende. Cha nous a laissé pantois.

– ôte-moi d’un doute Darwin ! Chat cha s’écrit bien c-h-a-t ?

– Parfaitement !

– Allons voir sur ton canard boiteux !

Ce qu’on fit. Pour tomber sur la même photo.

– Ils se foutent de notre gueule ou quoi ? Quel rapport il y a entre ce poisson et un chat ? C’est quoi ces raccourcis qu’ils font !

– Tu ne trouves pas qu’il a un petit air de Saint Sauveur l’acéré ?

– Même pas. Il est encore bien plus moche que Saint Sauveur. Non mais franchement ! Quel manque de respect ! C’est comme si nous, en voyant pour la première fois un kangourou, on l’avait appelé « l’homme aux grands pieds ».

– Si c’est juste pour le port de la moustache, je dirais qu’il ressemble plus à un rat qu’à un chat ! Enfin non… c’est pas tant qu’il ressemble à un rat mais question mocheté, il y a match.

– Il est moche mais quand même, il est assez appétissant.

– Oui c’est vrai. Et tu vois, il est écrit qu’il n’a pas d’écailles. Un très bon point pour lui ! On peut le croquer sans difficulté.

– J’en salive d’avance !

– Cela dit on ne peut pas tous les croquer ! D’après ce qu’ils disent il y a effectivement des poissons-chats-poison. Mais… Olala ! Regarde-moi cette autre photo ! Soit cet humain est vraiment minuscule soit le poisson-chat est vraiment un très gros poisson !

– Ben alors on est fixés ! Impossible qu’une trombe d’eau soulève un poisson pareil !

– Ou si c’est le cas, quand il va retomber, il va traverser tout l’immeuble.

– Manquerait plus qu’il finisse dans l’écuelle d’une bande de rats ! C’est affaire de trombe commence à me courir sur le système ! Comment s’y préparer si on ne sait pas ce qui tombera du ciel ?

– Attends !… Regarde ces autres photos ! Ces poissons-chats ont l’air bien plus petits.

 

Une fois qu’on eut lu en entier un vrai article sur les poissons-chats, nous apprîmes qu’en fait il y a énormément de poissons-chats. Ils appartiennent à l’ordre des siluriformes et s’ils ont des choses en commun, question taille, si certains sont de petits chats, d’autres sont des tigres. L’appellation poisson-chat vient du fait qu’ils ont une moustache, ou plutôt des paires de barbillons qui font penser à une moustache.

– Si je comprends bien, rien d’impossible à ce qu’un jour il tombe des poissons-chats.

– Si les trombes soulèvent des petits poissons, a priori les plus petits des poissons-chats n’y échapperont pas.

– Et on est d’accord pour dire qu’on a le droit de les manger. Vu qu’on n’a aucun rapport avec eux.

– A priori on a beaucoup plus de chance d’être cannibales en mangeant des croquettes qu’en mangeant des poissons-chats.

– Pourquoi on serait cannibales en mangeant des croquettes ?

– À cause des farines animales Grabel. Tu ne sais pas que les humains fabriquent des farines avec des restes d’animaux ?

– Hein ? Mais c’est dégueulasse ! Pourquoi ils font cha ?

– Au début c’était pour nourrir les poissons justement. Après ils se sont dit que si les vaches voulaient bien manger des farines de vaches, c’est que la nature admettait que les vaches mangent de la vache. Bon, cha les a rendues un peu barges mais des gens s’en sont mis plein les poches alors entre le pognon et la santé mentale des vaches…

– C’est bien qu’elles sont tarées à la base ou que leur énorme pif ne leur sert à rien ! Moi si tu me mets du chat dans mes croquettes je peux t’assurer que je vais le sentir de loin !

– Peut-être. En attendant méfions-nous des croquettes made in China, s’il y a bien un pays susceptible de faire des farines de chat, c’est celui-là.

– Ou peut-être que c’est l’inverse Darwin. S’ils sont OK pour nous cuisiner comme des lapins, ils ressentent peut-être moins le besoin de nous écouler en douce dans des farines.

– C’est tout à fait juste ce que tu dis Grabel ! Si cha se trouve, le pays où l’on mange le plus de farines de vache, c’est l’Inde ! Là-bas la vache est sacrée mais comme ils ont un cheptel énorme, que deviennent toutes ces vaches ?

– Eh bien elles ont la chance de mourir de vieillesse puisqu’elles sont sacrées.

– Comme cha au beau milieu de la route ?

– Non, j’imagine plutôt que quand elles sont sur la fin, ils arrivent à les convaincre de s’allonger dans un pré. Une fois mortes de vieillesse ils ne vont quand même pas faire de la farine avec !

– Hum… cha m’étonnerait à peine de la part des humains. J’ai entendu l’histoire d’un musulman lynché par des hindous parce qu’il transportait des vaches vers l’abattoir. C’est donc qu’il y a des abattoirs. En un sens c’est dommage que les pluies d’animaux ne soient pas plus fréquentes, les humains n’auraient sans doute pas eu l’idée d’inventer ces horribles endroits.

– Les Français non, puisqu’ils mangent des animaux pluvieux ! Mais les Anglais si, puisqu’il ne pleut pas des vaches !

– Par contre il paraît que parfois il pleut des hallebardes. Regardons voir quel peuple mange des hallebardes !

– Je ne sais pas ce qu’est une hallebarde. Voyons voir !

– Sans doute une sorte de poisson ou de grenouille.

– Hum… Non, rien à voir ! Cha ne se mange pas !

 

C’est à cet instant que la fée Odette est apparue avec de la farcie pour Grabel et moi :

– Ration tonique du jour matous !

– Goût bœuf ou Tagada ?

– Fromage !

– Chaource ?

– Bien mieux ! Beaufort ! Le prince des gruyères !

– J’espère qu’il n’y a pas de farines animales dans ta farcie Odette.

– En quoi ça te dérange ?

– On pense que les Chinois mettent du chat dans leurs farines animales.

– Matou ! Quand il restera une seule chose 100 % faite en France, ce sera ma farcie !

– Ah !… Très bien. C’est rassurant… Dis-moi ! As-tu déjà vu une pluie de poissons ?

– Non mais j’en ai entendu parler.

– On s’est renseigné à ce sujet. Sais-tu qu’il s’agit d’une sorte de tornade sur l’eau qui s’appelle une trombe et qui aspire les poissons et les grenouilles dans le ciel.

– Ah oui, certes. Et l’eau avec du coup. C’est comme si on élevait une énorme bassine pour finir par la renverser. D’où l’expression « il pleut des trombes d’eau » ! C’est quand on a renversé la bassine.

– Voilà !

– Maintenant que tu le dis, je visualise très bien certaines chutes d’animaux. Vous, j’imagine que vous attendez une pluie de poissons.

– Tu ne vas tout de même pas nous interdire de manger des sardines !

– Non, non. Mangez des sardines autant que vous voudrez.

– Ah ! Cha c’est une bonne nouvelle !

– Seulement, si j’étais vous je prierais pour que jamais une pluie d’animaux ne s’abatte sur le quartier.

– Pourquoi ?

– Parce que la pluie d’animaux la plus fréquente c’est la pluie d’éléphants ! Et autant vous dire que ça fait de sacrés dégâts !

– Mais… C’est impossible Odette ! On a lu que les trombes ne soulevaient que des petits animaux !

– Ah oui ? Et des tornades qui soulèvent des camions, t’en as jamais vu ?

– Si mais là c’est différent. Une trombe c’est bien moins puissant qu’une tornade !

– C’est pareil Darwin ! Tu veux savoir pourquoi les pluies d’animaux concernent avant tout les éléphants !

– Bien sûr que je veux le chavoir !

– Parce qu’un éléphant ça trombe énormément !

Là elle s’est mise à rire alors on a compris qu’il s’agissait d’une forme de blague mais nous on n’a pas compris la blague. Cha doit être une blague du vingtième siècle.

Ah ben chalut !

 

Darwin

 

23 septembre 2020

Un chat si photo gêné.

Lyon 23 septembre 2020


Chalut !

Depuis que nous sommes revenus de notre séjour d’été à Loyasse, nous avons constaté que presque tous les humains de Lyon sont masqués, ce qui est normal me direz-vous puisque c’est la loi et qu’ils ont sûrement peur d’être reconfinés. Cette histoire semble poser quelques problèmes à la fée Odette. Je venais à peine de commencer cette lettre quand elle s’est mise à bondir sur le canapé, réveillant au passage ce pauvre Grabel qui n’avait rien demandé :
– Non mais regarde-moi ça Darwin ! C’est quand même exagéré là !
– Quoi ?
– Ils obligent les gamins de six ans à porter un masque !
– Qui cha ?
– Les italiens !
– C’est sûrement pour qu’ils ne tombent pas malades !
– Ils ne tombent pas malades ! Ils sont asymptomatiques ! Non mais viens voir ça !
– Je suis occupé Odette !
– Viens voir je te dis ! Ils vont les traumatiser avec leurs mesures d’hygiène ! C’est abusé quand même. Ils vont se désinfecter les mains combien de fois par jour ?
– Tu devrais voir le bon côté des choses, ils ne vont plus se refiler de maladies du tout !
– Sauf une ou deux Darwin !
– Lesquelles par exemple ?
– Une nouvelle maladie qui finira par apparaître… genre… la maladie des mains propres ! Ou alors des affections respiratoires liées au port de masques bourrés de produits chimiques ! Tiens ! Ça m’étonnerait à peine ! En plus du fait qu’ils finiront tous traumatisés parce qu’on leur met dans le crâne une menace fantôme.
– Elle n’est pas fantôme ! Elle a tué un million de personnes !
– Et combien d’enfants ?
– Je l’ignore. Quelques-uns en tout cas !
– Moins que les vacances en tout cas !
– D’accord. Mais comme les enfants comprennent tout, ils comprennent bien que ce n’est pas eux qu’on protège mais leurs professeurs, leurs parents et leurs grands-parents.
– Ils n’avaient qu’à fournir des scaphandres aux instituteurs au lieu de mettre des masques aux gamins !
– Hum.
– Tu sais ce qu’ils ont fait les italiens ?
– Oui. Tu viens de le dire ! Ils ont mis des masques aux gamins.
– Non mais en plus de ça !
– Dis-moi.
– Ils ont pris tous les doubles-pupitres et ils les ont jetés par la fenêtre pour les remplacer par des pupitres simples.
– Oh ?
– Mais oui Darwin ! Juste pour pouvoir séparer d’un mètre tous les élèves ! Hop ! Par la fenêtre les pupitres !
– Par la fenêtre ? Pourquoi par la fenêtre ?
– Parce que dans la cour ils ont mis des bulldozers pour écraser les pupitres doubles et des pelles mécaniques pour charger les débris dans des camions direction la décharge.
– Oh ? Tu bluffes là ?
– Non ! Je l’ai vu de mes propres yeux !
– Mais alors ? Quand ils auront trouvé un vaccin… ils ne pourront pas remettre les pupitres doubles ?
– Pas de retour en arrière Darwin ! Un monde froid, distant et lisse ! C’est ça le futur des gamins qui naissent aujourd’hui ! Tout doit pouvoir être désinfecté ! Ils ont tout jeté ! Les dessins sur les murs, les constructions en carton, tout !
– Les dessins sur les murs ont le covid ?
– D’après les italiens oui !
– Ah oui… Gravement traumatisés quand même !
– C’est surtout parce qu’au début toute l’Europe les a pris pour des idiots incapables ! Alors ils se font un point d’honneur à être le pays où l’épidémie ne connaîtra pas de seconde vague !
– Vu sous cet angle, ils ont de bonnes chances d’y parvenir.
– Certes… Mais ils vont traumatiser leurs gosses.
– Tu sais Odette… finalement moi je crois que le masque est un moindre mal. Si c’est le meilleur moyen de freiner l’épidémie en attendant le vaccin, je ne crois pas que ce sera un traumatisme très durable.
– Il ne suffit pas de traumatiser les gosses pour empêcher le virus de circuler. Est-ce que tu sais qu’à Lyon il y a des lieux publics où le non-port du masque est toléré ?
– Dans les églises ?
– Non. Cherche encore !
– Les mosquées ?
– Qu’est-ce que t’es con Darwin ! Non ! Les bars et les restaurants !
– Ah ben oui ! Fatalement. C’est pas facile de manger avec un masque.
– Sauf que les gens dans les bars passent beaucoup plus de temps à discuter qu’à porter leur verre à leur bouche. Sauf les vrais alcoolos bien sûr.
– Eh bien ? Que suggères-tu ?
– Je me demande juste pourquoi les gens ne remettent par leur masque entre deux gorgées.
– Soit parce que c’est un peu difficile à mettre en œuvre, soit parce qu’ils sont bien contents d’avoir trouvé un endroit où le non-port du masque est autorisé.
– C’est bien cela que je trouve absurde. On emmerde les gamins de 6 ans et…
– Pas en France Odette. Le masque est obligatoire au collège.
– Si tu veux… Donc on emmerde les enfants de onze ans mais on laisse les personnes à risque se serrer les unes contre les autres dans des restaurants…
– Elles ne sont pas serrées les uns contre les autres puisqu’ils ont espacé les tables pour faire de la distanciation !
– La prochaine fois que tu fais une course sur ton parcours de suicidaire, arrête-toi pour jeter un œil au bar sur la place ! Tu me diras où est la distanciation sociale ? Il n’a rien de changé par rapport à l’an passé !
– Peut-être mais bon… La police ne peut pas tout contrôler !
– Non effectivement… C’est plus simple pour elle de repérer un papy qui se balade sans masque dans la rue à 6h du mat alors qu’il n’y a pas un chat pour risquer de le contaminer.
– Pas un chat, surtout si papy promène son chien.
– Là où je veux en venir c’est qu’on fait porter le masque aux gens qui marchent et au pire ne font que se croiser mais là où ils stationnent on leur donne toute latitude de se postillonner à la gueule. Et en plus, comme il fait aussi chaud qu’en août, ces cons de tenanciers aspergent leurs clients avec des microgouttelettes alors qu’on nous répète à l’envi depuis des mois que ce virus adore les microgouttelettes. On se demande vraiment s’ils veulent le contrôler ce virus.
– Si si, ils veulent. Mais vouloir n’est pas pouvoir malgré ce qu’en dit le dicton. Comment par exemple empêcher le voisin du deuxième de transformer son appartement en discothèque pour palier la fermeture des discothèques ?
– Ah ben tiens, t’as raison ! Encore un bon exemple du fait qu’on a décidé de tout faire pour emmerder les enfants mais qu’on laisse ces couillons d’adultes répandre le virus ! C’est vraiment n’importe quoi !
– Les jeunes adultes sont censés assumer leurs responsabilités, pas les enfants, Odette.
– Et s’il y a un reconfinement, qui va encore être privé d’une éducation scolaire normale ? Les enfants ! C’est dégueulasse !
– S’il y a un reconfinement moi je serai bien content ! J’ai encore plein de choses à visiter.
– Tu ne penses qu’à toi !
– Toi aussi tu l’as bien aimé le confinement ! Ne dis pas le contraire !
– Là n’est pas la question ! Mais tu feras moins le malin si la prochaine grippe virulente est une grippe du chat qui se transmet à l’homme ! Ils demanderont aux gens de tuer leur chat !
– Les gens n’accepteront sûrement pas de tuer leur chat… sauf les chinois qui ont de la place dans leur congélateur, peut-être.
– Alors les chats devront porter un masque ! Tu voudrais porter un masque Darwin ?
– Jamais de la vie !
– Dis donc Darwin ! Tu n’es pas très collaboratif ! On met bien des œillères aux chevaux et ceux-ci ne disent rien, tout comme les vaches s’accommodent de cloches énormes qui font un bruit qui doit être difficilement supportable. Si tu penses qu’un masque est un moindre mal pour des enfants de six ans, alors ça l’est aussi sûrement pour un chaton !
– Peut-être mais moi je suis un chat de gouttière alors je ne porte ni masque, ni bonnet, ni chaussettes !
– Tu ferais bien de porter un collier tiens ! Je t’ai déjà dit cent fois que ça te rendrait moins suspect et pourrait t’éviter de graves ennuis !
– Redis-le mille fois de plus si tu veux ! Pas de collier !
– Pas de collier ! Pas de photos ! Pas de puce électronique ! Je te l’ai déjà dit que les humains t’avaient dans le collimateur Darwin ! Un de ces quatre tu vas moins faire le malin !

Là il est nécessaire que je vous explique à quoi Odette a fait référence. Il s’agit d’une histoire qui s’est passée le lendemain de notre retour de nos vacances d’été tandis que Grabel et moi racontions aux pigeons ce que nous avions fait durant les quelques semaines passées dans et autour du cimetière de Loyasse. Cette histoire que je vais vous raconter, je ne sais toujours pas si c’est une blague qu’elle m’a fait ou si c’est vrai. Toujours est-il qu’elle nous a interrompus en pleine discussion, comme à son habitude :
– Bouh !
– Ah mais zut Odette ! C’est pénible à la fin !
– Revenez les pigeons ! Je voulais juste faire peur à ce gros tas de poils !
– C’est réussi, merci !
– C’était pour te mettre en condition pour ta grande peur à venir !
– Allons bon ! Qu’est-ce que c’est que cette histoire encore ?
– Une histoire à dormir debout ! Ou plutôt les yeux ouverts ! Une histoire à ne plus dormir du tout !
– Quoi ? Qu’est-ce qu’il y a ?
– Il y a ça ! Tu le connais ?
– Mais… C’est moi ?
– Très bien observé Darwin !
– Quand as-tu pris cette photo ?
– Je n’ai pas pris cette photo ! Je l’ai volée ! Et j’en ai volé d’autres figure-toi ! Regarde ça ! Toi ! Toi ! Toi ! Toi et Grabel ! Re-toi et encore toi ! De beaux clichés pris d’en haut ! Photos aériennes Darwin le chat ! Ça t’en mouche un groin hein ?
– Moi tout ce que je crois jusqu’à preuve du contraire, c’est que tu nous photographies en douce ! Dans quel but ? Mystère !
– Je te dis que ces photos ne sont pas de moi !
– Alors de qui sont-elles ?
– C’est écrit au dos vois-tu ? BRNDNP !
– C’est quoi la BRNDNP ?
– Tu connais pas ?
– Non !
– BRNDNP : Brigade de Recherche Numérique pour la Détection des Nuisibles et des Parasites !
– Qu’est-ce que c’est que ce truc ?
– C’est nouveau, ça vient de sortir ! Un truc voulu par le ministre de l’intérieur en personne ! Ils ont attaqué bille en tête et tu es l’un des premiers élus !
– Élu ? Comment cela élu ?
– Tu es fiché comme nuisible ! Pour l’instant tu es sous statut de surveillance ! Il va falloir te débrouiller pour ne pas passer dans la catégorie des nuisibles à éliminer !
– A éliminer ? Comment cela à éliminer ?
– Pas besoin de te faire une autre photo Darwin ! Le drone qui a fait ces clichés pourra facilement être secondé par un drone de combat ! Slash ! Une flèche empoisonnée dans le derrière et tu passeras de vie à trépas sans même t’en apercevoir !
– Mais non !... Non !... Non non !... Je ne suis pas d’accord ! Les humains ne font pas ça ! C’est illégal !
– Pas dans le futur Darwin ! Et le futur a déjà commencé ! Tu en as la preuve en images !
– Tu bluffes Odette ! Les humains ont d’autres chats à fouetter si j’ose dire !
– Quels autres chats que les chats de gouttière ont-ils à fouetter ! Vous êtes comme des passagers clandestins ! Vous n’êtes enregistrés nulle-part donc quand vous faites du bruit et des dégâts, les humains qui en pâtissent ne peuvent pas se plaindre à d’autres humains. C’est pour ça qu’ils vont utiliser les nouvelles possibilités technologiques pour vous surveiller ! C’est le progrès !
– Le progrès ? Quel progrès ? Je ne vois pas du tout quel progrès ça apporte ?
– La surveillance permet d’éviter les nuisances et les humains détestent les nuisances ! Jusqu’ici ils s’en accommodaient par impossibilité de tout contrôler mais grâce aux nouvelles technologies tout devient contrôlable. Pour l’instant le dispositif est en test sur quelques individus, dont toi ! Mais quand la 5G aura été déployée partout, il sera possible d’enregistrer tous les mouvements de tous les chats. Ainsi on saura toujours à chaque instant où se trouve n’importe quel chat !
– N’importe quoi !
– Si je te le dis matou ! Dans les messages qu’on a reçus en provenance de l’univers parallèle tu te rappelles qu’une fois il était question d’un drone-mouche ?
– Oui. Et alors ?
– Alors dans notre univers aussi il y a désormais des drones-mouches ! Si les chats de gouttière refusent de porter un collier électronique pour qu’on sache où ils sont et ce qu’ils font, qu’à cela ne tienne, on affectera un drone-mouche à la surveillance de chaque chat de gouttière. Qu’est-ce que t’en penses Grabel ?
– J’adore manger les mouches ! L’autre fois j’ai presque battu Darwin au concours d’attrape-mouche !
– Ces mouches-là ne se laisseront pas attraper si facilement matous ! Elles voleront à bonne distance de vous mais vous filmeront en permanence. Si vous descendez dans le local poubelles pour y mettre le bazar, le drone signalera à la BRNDNP qu’il faut visionner ces images !
– Donc le reste du temps personne ne verra les images filmées par le drone-mouche ?
– Non mais elles seront tout de même enregistrées dans un immense centre de datas dédié à la surveillance des nuisibles !
– N’importe quoi ! Ils ne vont certainement pas dépenser de l’électricité pour fliquer les chats ! On est en pleine prise de conscience écologique !
– L’écologie les humains n’en ont rien à foutre Darwin le chat ! Ce qu’ils veulent c’est le confort, la facilité, la sécurité et la tranquillité ! Tous les moyens sont dédiés à ces fins-là !
– Si je comprends bien Odette, si un chat attaque un pigeon, le drone-mouche pourra apporter la preuve de son crime ?
– Parfaitement Riton !
Là les pigeons se sont comme sentis pousser des ailes. En tout cas ils étaient bien en joie à l’idée de voir les chats surveillés de près. Odette les a laissés deux minutes baigner dans un bonheur communicatif, chacun y allant de son commentaire sur le plaisir de voir se développer des technologies si réjouissantes. Puis elle les a calmés tout net :
– Dites donc bande d’emplumés ! En dehors des fées, vous en connaissez beaucoup des êtres qui pensent qu’un chat qui tue un pigeon commet un crime ?
– Ben oui ! Les humains ! Du moins les humains raffinés !
– Alors expliquez-moi pourquoi la BRNDNP vous a classés en numéro 3 dans la liste des nuisibles à surveiller de près ?
– En numéro 3 ?
– Oui ! Juste derrière les moustiques et les rats et devant les chats de gouttière !
– Mais c’est pas possible ! On ne fait rien de mal nous !
– C’est vous qui le dites ! Grâce à la technologie vous serez tous surveillés ! A votre place je commencerais à envisager sérieusement un retour à la nature !
– Quoi ? Tu voudrais qu’on aille vivre dans… dans les bois ?
– Si ça vous tente.
– Ah non ! Pas dans les bois ! Avec tous ces sauvages ! Ça va pas la tête !
– Et puis d’abord qui nous dit qu’on ne sera pas surveillés là-bas ?
– Si vous débarrassez le plancher vous avez une bonne chance d’être sortis de la liste des nuisibles. Vous n’aurez qu’à vous installer dans un parc naturel. Après quelques temps vous ferez votre entrée dans la liste des animaux à protéger… une fois que les sauvages vous auront décimés !
– Quoi ? Mais c’est dégueulasse de nous faire ça à nous ! Nous qui sommes si… si…
– Inutiles ?
– Dis donc Odette ! Sur la liste des nuisibles, tu as dit qu’il y avait les moustiques ?
– Numéro 1 parmi les nuisibles ! Mais c’est une liste qui évoluera au gré des circonstances.
– Donc si les mouches finissent par être classés dans cette liste, les humains vont affecter un drone-mouche à la surveillance de chaque mouche ?
– C’est possible !
– J’ignore si c’est possible mais ça paraît plutôt débile comme idée.
– Rien n’est débile du moment que ça rapporte des sous à quelqu’un.
– Ça ne peut rien rapporter du tout de surveiller les mouches ! Réfléchis deux minutes !
– Toi réfléchis deux minutes ! Surveiller les mouches ça permet de savoir qui sont les bonnes mouches et qui sont les mauvaises mouches ! Par exemple la mouche tsé-tsé est une mauvaise mouche à éliminer alors que la mouche du coche est une bonne mouche de très bon conseil dont il faut cultiver l’amitié !
– Tu sais... en général les humains n’aiment pas être dérangés par les insectes...
– Moi non plus !
– Pareil pour moi !
– Bon. Disons que personne n’aime être dérangé par les insectes ! Mais il n’empêche qu’il n’y a pas que les hirondelles qui s’inquiètent de la chute du nombre d’insectes, les humains aussi. Donc je crois qu’il est venu le temps où les humains vont réfléchir longuement avant d’éliminer les mouches ; même les mouches tsé-tsé ! Si ça se trouve les mouches tsé-tsé ont aussi leur rôle dans la chaîne alimentaire !
– Quel romantique tu fais matou ! Même si ce que tu dis n’est pas tout à fait faux. Les pare-brises trop propres sur l’autoroute laissent penser que les colonies d’insectes diminuent mais tu oublies qu’en ce domaine la race des humains se partage en trois catégories : les naturalistes, les jemenfoutistes et les scientistes ! Laissons de côté les jemenfoutistes, donc tous ceux que le rôle des insectes n’intéresse pas ou qui préfèrent de toute façon qu’il n’y ait pas assez d’insectes que trop.
– Définitivement, je ne vois vraiment pas comment il pourrait ne pas y avoir trop d’insectes ! Parole de pigeon !
– Tout à fait ! D’ailleurs moins il y aura d’insectes et moins il y aura d’hirondelles et ça nous fera des vacances ! Pas vrai les chats ?
– Vu sous cet angle…
– OK ! Pas besoin d’apporter une preuve supplémentaire ! Les jemenfoutistes forment le gros des troupes. Reste les naturalistes, aux rangs desquels on doit sûrement compter les hirondelles. Hirondelles empêtrées dans un certain paradoxe : elles militent pour la sauvegarde des colonies d’insectes à seule fin de pouvoir les dévorer tout cru !
– Cette chose-là est bien connue Odette ! Cela s’appelle le dilemme du chasseur ! Je sais ce que c’est, ça me tiraille en permanence.
– Certainement mais le chasseur est un archaïque. Tout ce que n’est pas le scientiste. Et que dit le scientiste ?
– Que dit-il ?
– Il dit : « Les insectes disparaissent ? Pas d’inquiétude ! Vous avez aimé le drone-mouche dédié à la surveillance des mouches ? Eh bien voici le drone-mouche-mouche ! Il ne surveille pas la mouche, il est la mouche ! A quoi sert-il me direz-vous ? Eh bien à faire le nombre ! A part ça celui-là ne sert à rien, preuve que la mouche qu’il remplace ne servait à rien, du moins à aucun intérêt humain hormis les vendeurs d’attrape-mouche. Mais admirez ce modèle de drone-mouche-abeille ! Tout ce que fait une abeille il le fait ; en plus rapide bien sûr ! Sauf qu’il ne pique pas… enfin… ce n’est pas tout à fait exact, il ne pique pas les jemenfoutistes et les scientistes mais il pique les naturalistes. Un genre de piqûre à vous foutre un bourdon d’enfer, il faut savoir ce qu’on veut dans la vie ! »
– J’ai une question Odette ?
– Oui Banofee ?
– Est-ce que le drone-mouche-abeille se mange ?
– Les drones-mouches-abeilles sont programmés pour faire le travail des abeilles !
– Est-ce qu’il y a un drone-mouche-abeille-reine ?
– Non ! Pas besoin de reine ! C’est complètement archaïque les rois et les reines. Les scientistes laissent ça aux naturalistes.
– Qui va faire la gelée royale alors ?
– Le drone-mouche-abeille peut très bien faire la gelée royale. Il suffit de le programmer pour ça ! Tout est beaucoup plus simple dans le futur proche !
– Combien de drone-mouches-abeilles peuvent rentrer dans une ruche ?
– Pas de besoin de ruche ! C’est totalement archaïque une ruche ! Les drones-mouches-abeilles sont rechargés en permanence par la lumière, même quand il y a de gros nuages. En cas d’obscurité durable ils se rassemblent et s’empilent en formant un cube indestructible. L’apiculteur sait en tout temps si tous ses drones-mouches-abeilles sont intacts. Si malencontreusement l’un d’entre eux s’est fait avaler par une hirondelle plus agile que les autres, il est immédiatement géolocalisé. Grâce à sa technologie embarquée le drone-mouche-abeille peut scanner son environnement immédiat. Il peut alors savoir quand l’hirondelle a rejoint le nid. Il attend le bon moment pour activer son mode d’autodestruction.
– Pourquoi n’attend-il pas le moment de son expulsion ? Si l’hirondelle ne peut pas le digérer il finira bien par sortir par là où je pense.
– Il ne fait pas ça car il a été imaginé sur le modèle de l’abeille. Il va donc se sacrifier pour le compte de sa communauté ! En explosant au beau milieu du nid il peut éliminer deux hirondelles adultes et plusieurs œufs ! Aucun chat n’a jamais été aussi efficace !
– A ce rythme on va vite être débarrassés des hirondelles !
– Tu veux te débarrasser des hirondelles ?
– C’est à dire que…
– Fais bien attention Riton !
– Mais c’est toi qui racontes une histoire de carnage d’hirondelles !
– Je vous raconte ce que fait un drone-mouche-abeille ! Et je ne vois pas pourquoi vous vous réjouissez de voir les hirondelles disparaître ! Que mangeront les chats de gouttière ?
– Mais j’en mange pas des hirondelles ! Tu me l’as interdit !
– Je t’interdis de manger tous les oiseaux !
– C’est bien ce que je dis !
– Oui mais si je n’étais pas là tu serais bien content d’en manger des hirondelles !
– Certainement mais si les hirondelles mouraient à cause des drones-mouches-abeilles, je mangerais des pigeons !
– Bon ben voilà ! Personne n’a d’intérêt à voir les drones-mouches-abeilles décimer les hirondelles !
– Tout ça c’est la faute des scientistes ! Ils renversent la chaîne alimentaire avec leurs drones-mouches !
– Qui a dit : « C’est pas la petite bête qui va manger la grosse » ?
– Vous ne comprenez rien ! L’avantage des drones-mouches c’est que le concept de chaîne alimentaire devient caduc !
– Comment cela ?
– C’est simple ! Avec les drones-mouches on peut sauver la planète sans sauver les êtres qui y habitent !
– C’est idiot ce que tu dis !
– Réfléchissez un peu ! Il suffit de penser aux drones-mouches-abeilles à miel ! Faire du miel avec des abeilles-abeilles c’est bien joli mais ça pèse beaucoup sur l’environnement ! L’apiculteur doit acheter des ruches. Pour fabriquer des ruches il faut couper des arbres. L’apiculteur vit souvent à bonne distance de ses ruches. Il doit prendre sa voiture pour aller surveiller ses ruches et ramasser le miel. Quand vient le moment de la récolte il met son miel dans des pots en verre ou en plastique. Ces pots doivent aller dans des camions pour être envoyés dans des magasins. Les mangeurs de miel doivent aller dans ces magasins pour acheter le miel, tout ça tout ça. Mais avec les drones-mouches-abeilles à miel c’est beaucoup plus simple. Le client connecté demande le miel seulement quand il en a besoin. Les drones mouche-abeilles à miel de livraison livrent directement le miel sur la tartine ! Pas besoin de ruches, de pots en verre, de voitures ou de camion !
– Ah oui ? Mais il faut bien qu’il soit quelque part ce miel en attendant ! Surtout si c’est l’hiver et qu’il y a de la neige.
– C’est très simple ! Les drones-mouches-abeilles à miel de fabrication font des stocks de miel dans une immense piscine couverte !
– Donc il n’y a qu’une sorte de miel.
– Non car il peut y avoir plusieurs immenses piscines ! Mais ce n’est sûrement pas utile puisqu’il y a aussi des drones-mouches qui sont spécialisés dans la fabrication de molécules de goût ! Drone-mouche à goût banane, drone-mouche à goût épicéa, drone-mouche à goût pistache, drone-mouche à goût fraise, et sa variante, le drone-mouche à goût fraise Tagada ! J’adore !
– Et le drone-mouche à goût boule puante ? Il existe ?
– Bien sûr ! D’ailleurs il est si puissant que cela prouve à quel point un tout tout petit drone-mouche, qui n’a besoin que d’un peu de lumière pour se déplacer, peut embaumer une pièce entière ! Tout ceci est très efficace d’un point de vue écologique. Mais bien sûr cela induit l’inutilité des abeilles-abeilles, mouches-mouches, des oiseaux qui les mangent, des chats qui mangent les oiseaux, et ainsi de suite. Toute la chaîne alimentaire est chamboulée ! Au final, les antispécistes qui militent pour le droit des animaux à ne plus être mangés sont propulsés du camp des naturalistes au camp des scientistes. En prolongeant leur analyse ils se sont rendu compte qu’il devait exister un droit des arbres à ne plus être coupés et un droit des plantes à ne plus être mangées. Pour répondre à ce droit les scientistes, en plus d’avoir inventé les drones-mouches, ont inventé les scarobots ! Les scarobots, comme leur nom l’indique, sont de mini-robots qui rampent et s’activent comme des scarabées. Ils fabriquent plein de choses comme des steaks sans viande à la texture de viande encore plus riches en acides aminés et en goût qu’un bœuf de Kobe. Et ils fabriquent aussi du persil garanti sans persil, de la salade garantie sans salade, de la farine d’origine non animale et non végétale. C’est génial pour épargner les plantes et les animaux et c’est encore plus génial pour laisser les humains en bonne santé car tous les besoins nutritifs sont parfaitement sous contrôle. Le problème c’est qu’à cause de ça les humains vivent de plus en plus longtemps et sont de plus en plus nombreux. Du coup il faut de plus en plus de place pour faire des usines où travaillent les scarobots et des maisons de 5000 pièces où vivent les scientistes qui inventent les nouveaux scarobots et les nouveaux drones-mouches, ainsi que des maisons de 25000 pièces où vivent ceux qui commercialisent les nouveaux drones-mouches et les nouveaux scarobots. Et il faut aussi de plus en plus de place pour construire les prisons où on enferme les naturalistes ainsi que les antispécistes qui maintenant manifestent leur mécontentement parce qu’on est en train de brûler les derniers arbres de la terre, ainsi que les chats et pigeons qui s’y sont réfugiés, pour éviter d’avoir à les abattre comme au temps où on les utilisait pour en faire des planches, des poutres ou du bois de chauffage. Comme à la fin il n’y a plus ni animaux, ni plantes mais que des humains, des drones-mouches, des scarobots, des robots de toutes les tailles, des objets en plastique, des molécules à mâcher et des molécules à goûter, le monde est enfin arrivé dans sa version parfaite sans souffrances inutiles ! Si ça c’est pas du progrès, qu’est-ce que le progrès ?
– Jamais les humains ne vont accepter cela puisqu’il n’y aurait rien à faire dans un tel monde !
– Mais si ! Les humains talentueux feront carrière dans l’invention et la commercialisation de nouveaux drones, de nouveaux scarobots et de nouveaux robots de toutes les tailles !
– Et que feront les autres ?
– Mais plein de choses pardi ! Tout ce qu’ils font déjà ! De la musique, des jeux vidéo, du théâtre, des anges de la téléréalité, des reportages dans les prisons de naturalistes, des objets en plastique, du football avec des ballons pas en cuir sur une pelouse synthétique, des vêtements en polyester, Koh Lanta au Fort-Boyard. Et ils seront en permanence connectés à de milliers d’autres humains et objets, tant et si bien que le sentiment d’ennui que tu sembles redouter pour eux sera une chose si rare que ce sera un luxe inaccessible. Plus personne ne connaîtra ni la faim, ni la soif, ni le froid…
– Le chaud peut-être ?
– Euh… c’est possible mais il y aura sûrement des drones-mouches-climatiseurs ! Comme c’est déjà le cas, chaque jour la masse des connaissances globales ira grandissante et chaque jour, même les humains les mieux améliorés n’en connaîtront qu’une part de plus en plus réduite. Le genre humain sera globalement atteint du syndrome de l’artisan 2.0 !
– Allons bon ! Qu’est-ce que c’est que ça encore ?
– C’est le blues du petit entrepreneur ! Prenez une région arriérée d’un pays très pauvre, une région avec des routes pourries et de vieilles bagnoles. Un type doué pour la mécanique y sera facilement garagiste ou transporteur. De la débrouille, pas de diplôme, un faible investissement de départ, beaucoup de travail, et la sensation de dominer son sujet malgré les galères. Projetons-le dans un pays riche en 2020 ! Est-ce qu’il va ouvrir un garage ? Ça se pourrait mais quand va-t-il vraiment maîtriser son sujet dans la société des normes ? Normes architecturales, normes environnementales, normes sécuritaires, règlements en tout genre...
– C’est plutôt un progrès si ça existe non ?
– Là n’est pas la question ! « Bonjour banquier ? Bonjour comptable ! Bonjour fiscaliste ! Bonjour juriste ! Bonjour publiciste ! Bonjour informaticien ! Occupez-vous de tout ce à quoi je ne comprends rien ou pas grand-chose, que je puisse me concentrer sur mon vrai métier : la mécanique ! » Mais quand le garagiste voudra se concentrer sur son métier, il soulèvera le capot de la nouvelle Nissan Juke et constatera qu’il doit vite mettre à jour ses connaissances en électronique. Et même s’il n’est pas totalement nul dans ce domaine, chaque jour les constructeurs lui rappelleront qu’ils n’ont qu’un but dans la vie : lui faire comprendre qu’il lui sera difficile, et bientôt impossible, de se passer de leur assistance, assistance qui a nécessairement un prix. Le syndrome de l’artisan 2.0 c’est ça ! C’est l’érosion des petites pyramides !
– J’ai rien compris là !
– La petite pyramide c’est l’endroit où un humain entreprenant peut se tenir en son sommet local et contempler son petit domaine. L’érosion de la petite pyramide c’est quand son sommet sert d’héliport à d’autres. Dans le futur proche les petites pyramides seront toutes occupées par des gens qui ont l’ambition plus ou moins réaliste d’en construire une grosse un jour. Et pour ce but beaucoup de mégalomanie et peu de scrupules aideront toujours mieux que quelque talent entrepreneurial.
– Tu pourrais parler normalement s’il te plaît ?
– Ce que j’essaye de vous faire comprendre Banofee, c’est qu’en dehors des très grosses têtes capables d’apporter quelque chose de spécial à l’humanité, de moins en moins de gens vont se sentir utiles et épanouis par le travail. Donc autant s’occuper autrement ! Autant passer sa journée à faire des jeux si le travail n’apporte plus rien de spécial !
– Odette ! Les gens travaillent avant tout pour gagner leur vie ! Pas pour le plaisir !
– Sans doute mais dans le futur de plus en plus de métiers seront payés au salaire minimal. Tant est si bien que le revenu universel s’imposera comme une évidence. Les gens sans talent exceptionnel travailleront très peu, ils exécuteront des tâches peu intéressantes mais pour lesquelles leur concours sera encore utile quelques heures par jour, tout le reste sera automatisé. Donc ils auront beaucoup de temps libre pour jouer et surtout pour se consacrer à l’activité principale des humains !
– Quelle activité ?
– Le nombrilisme !
– Le nombrilisme ?
– Mais oui ! L’art de se regarder le nombril ! Puisqu’il n’y aura plus de projet global pour l’ensemble de la société, les gens se tourneront vers leur nombril. Ça a déjà bien commencé d’ailleurs ! L’avènement du selfie c’est l’un des prémices de cette société qui se regarde le nombril. Savez-vous pourquoi il n’y a pas de crise écologique ?
– Comment ça pas de crise écologique ! Mais bien sûr qu’il y a une crise écologique !
– Non ! Pour qu’il y ait une crise écologique il faudrait que de très nombreux humains aient conscience qu’il y a une crise écologique. Mais même abreuvés d’images de forêts qui brûlent et de glaciers qui reculent, les humains effacent ces images de leurs pensées parce qu’ils ne se sentent pas en capacité d’y changer quoi que ce soit. Le nombril, lui, il est toujours là. Au pire il peut s’enfoncer peu à peu dans un amas de graisse, signe qu’il est temps de se prendre en main. Penser à soi, rien qu’à soi, c’est rassurant. Bien sûr il y a des milliers de façon de penser à soi, mais il n’y en a qu’une qui s’accorde avec la marche du système capitaliste : l’achat de conseils et de matériel ! Jusqu’ici la norme c’était de vivre sans se soucier en permanence de sa pression sanguine, de son pouls, de sa température. Mais demain ce sera archaïque de vivre sans une montre qui vous donne ces informations. Cette montre existe déjà et en bien plus élaborée même. Elle existe pour deux raisons dont l’une ne va pas sans l’autre : des gens veulent l’inventer et la vendre, des gens veulent l’acheter et s’en servir ! Rien n’est imposé les amis !
– Je ne crois pas que ce soit tout à fait juste ! Les chats de gouttière ne veulent pas être filmés en permanence par des drones-mouches et je suis bien certain que c’est la même chose pour les humains ! Or visiblement on ne va pas demander leur avis aux gens !
– Je ne crois pas que ce soit tout à fait juste ! Bien sûr je conçois qu’un homme qui trompe sa femme n’aimerait pas que celle-ci le fasse suivre par un drone-mouche.
– Ben voilà !
– Mais imaginez que cet homme infidèle est aussi un jaloux qui a le toupet de soupçonner sa femme d’être infidèle. S’il peut en avoir le cœur net en faisant suivre sa femme par un drone-mouche, crois-tu qu’il se gênera ?
– Oui s’il croit comme Jésus qu’il ne faut pas faire à autrui ce qu’on ne voudrait qu’autrui nous fasse !
– Hi hi hi ! Quel romantique tu fais matou ! Être espionné par sa femme c’est déplaisant mais pouvoir l’espionner c’est rassurant ! La technologie pour espionner est plus immédiatement disponible et meilleur marché qu’une technologie efficace pour se protéger des espions, donc la première se démocratise en premier. Au bout du compte dans un futur proche les individus lambda n’auront plus rien à cacher.
– Le meilleur des mondes.
– Il reste encore un éventail de possibilités ! Ne plus pouvoir tromper son conjoint ça peut signifier ne plus être en mesure de lui mentir tout comme ça peut signifier que chaque partie du couple tolère les amants de l’autre.
– Oui mais nous dans tout ça ? On est quoi ?
– Ben rien ! Vraiment, ce serait superflu d’avoir un animal de compagnie quand on a une montre de compagnie. « Bonjour Bobby ! Ici la montre ! D’après mes capteurs je ressens un léger stress oxydatif dont tu devrais te débarrasser au plus vite. Je te suggère de passer à la pharmacie Gromedoc pour t’acheter du No-Stress Mégaplus en promotion à 4 euros 90. Tu as aussi 43 grammes en trop ce matin par rapport au programme. Rien d’alarmant, en sus du surplus alimentaire généré par la brique de protéines bue hier soir à 22h58 et dont la composition n’était pas exactement conforme aux indications de l’application MusculoMilk, l’une des électrodes ventrales de No Sheep Sleep s’est détachée à 5h26min ce matin et Electra a jugé préférable de stopper la séance pour éviter un déséquilibre visuel entre les grands droits et les obliques. La température extérieure est actuellement de 27°C, 4 degrés au-dessus des normales saisonnières, période référente 2005-2015. La pression au niveau de la mer est de 1014,1 hectopascals, des averses sont attendues et ton parapluie se déplace actuellement à une vitesse moyenne de 93 kilomètres heure en direction du domicile de l’amant de ta femme après une pointe à 136 kilomètres heure selon le drone-mouche-gendarme de la société Vigiroad portant le numéro de matricule 128298KA ; l’amende a été débitée sur votre compte joint. Ton épouse a auparavant passé 53 minutes et 41 secondes dans la salle de bain et utilisé 128 litres du ballon d’eau chaude dont le réchauffement en cours au tarif noir peut être interrompu immédiatement par l’ordre vocal « OK la montre ! Order Linky 127 ! » Rappel du jour : penser à acheter un bouquet de roses pour Elodie et un camembert pour Sophie et choisir un prénom pour ta montre. Désolée pour le réveil danse des canards, ta musique préférée n’est pas actuellement accessible chez Amazon en raison de la signature cette nuit d’un accord d’exclusivité entre les ayants droit et Apple Music. Hello Bobby ! A toi ! »
– Eh ben ça promet ! Qu’est-ce que c’est que ce monde de cons ?
– Arrête un peu ! J’ai pris l’option la plus optimiste ! La prochaine fois je partirai de la situation des employés asiatiques du Qatar ! Si tu veux un monde où les gens continuent de trimer pour gagner leur vie, j’ai ce genre de futur en magasin !
– Pourquoi pas si les chats continuent de se la couler douce. De toute façon je veux bien croire à un futur sans pigeons mais je n’imagine pas du tout un futur sans chats ni chiens. Il y a déjà un bon moment qu’ils fabriquent des robots chiens et ça n’empêche pas les gens d’avoir des chiens !
– Oui tu as peut-être raison Grabel. Votre chance c'est que même le plus idiot des humains se sent nettement supérieur au plus brillant des chiens !
– Le plus brillant des chiens vaut moins que le plus cons des chats.
– Faut voir… Toujours est-il qu’il y a effectivement une chose que les vendeurs d’intelligence artificielle ne peuvent pas perdre de vue. Quand les programmes informatiques se sont mis à aplatir les plus grands joueurs d’échec à leur jeu préféré, les champions humains n’ont pas cherché à progresser dans l’espoir de surpasser l’informatique, ils savaient que c’était peine perdue. Ils n’ont pas non plus cessé de jouer aux échecs, ils ont simplement continué à jouer entre humains. Or il est bien évident qu’une montre qui donne la météo et la pression artérielle n’a rien de dégradant pour un humain. Mais si cette montre commence à avoir réponse à tout, si elle ouvre son clapet en permanence pour faire savoir à Bobby que ses connaissances et aptitudes sont incommensurablement plus grandes que les siennes, il est clair que viendra le moment où Bobby va la laisser plantée là, le cul sur la commode, et s’en ira promener Médor qui lui a le bon goût de ne pas le prendre de haut !
– Ah ! Enfin une bonne nouvelle !
– Sauf que vu la manière dont vous les chats vous vous comportez avec les humains, je pense que quand ils se sentiront humiliés par les robots, c’est vers les chiens qu’ils se tourneront pour se consoler. En attendant je vous conseille d’arrêter de vous faire remarquer par le drone-mouche !
– Oui mais à ce propos… Y aurait pas moyen que ce drone-mouche soit malencontreusement détruit par une fée ?
– Y aurait sûrement moyen. Mais ce serait dommage. Elles sont jolies ces photos quand même, tu ne trouves pas ?

Vous croyez qu’elle bluffait ?

Ah ben chalut !

Darwin

19 juillet 2020

Flairbnb, un très gros nez, beaucoup d’oseille et peu d’oreille

Lyon 18 juillet 2020

Chers lecteurs, chères lectrices, chalut !

Aujourd’hui je vais vous parler de celui que que nous appelons communément « l’idiot du deuxième ». Quand je dis deuxième il s’agit bien sûr du deuxième étage, pas du deuxième arrondissement, il y a sans doute plus idiot que lui dans le second arrondissement, à commencer par les pigeons et tous les chiens d’appartement. Je bullais avec Grabel sur le toit et nous étions comme il se doit entourés de quelques membres du clan de Riton quand Odette débarqua :
– Salut bande de cinglés ! Devinez qu’elle est la nouvelle lubie de l’idiot du deuxième ?
– De quel idiot parles-tu ? Ils sont tous idiots et à tous les étages !
– Non pas tous, les autres sont des abrutis à deux ou trois exceptions près. Je te parle de Jasseronde !.
– Ah, cet idiot-là ?
– C’est quoi la différence entre un idiot et un abruti ?
– Un idiot c’est quelqu’un qui fait ou ne fait pas des choses parce qu’il est incapable d’agir autrement, disons que ça le dépasse. Un abruti c’est un abruti !
– C’est à dire ?
– Disons que l’idiot est idiot à la base alors que l’abruti est abruti par acquis. Un abruti est abruti par la vie. Par exemple l’abruti c’est celui qui laisse traîner ses poubelles dans le couloir sachant que Darwin le chat peut venir faire un carnage.
– Je l’aime bien cet abruti-là !
– Ce ne serait pas un fainéant plutôt qu’un abruti ?
– C’est assez souvent la même chose, on devient fainéant par abrutissement.
– Et donc, notre idiot, qu’est-ce qu’il a encore ?
– Il a un airbnb comme voisin !
– Un airbnb ?
– Vous ne connaissez pas les airbnb? Ces logements qui sont loués à la nuit à des gens de passage ?
– Ah oui. Et donc ? Où est le problème ?
– Le problème c’est qu’il devient fou à cause du bruit que font les gens de passage.
– Ah bon ? Pourtant moi je peux t’assurer que certains ne sont pas de passage et font tout le temps du bruit.
– Ça c’est bien vrai ! ont dit plusieurs pigeons qui sont comme moi les témoins direct des nuisances sonores que causent les humains.
– Oui mais… imaginez par exemple que vous ayez Teddy Riner comme voisin.
– Le judoka ? Il ferait sûrement trembler le plancher ! Ce serait pénible !
– Sans doute mais parfois des demi-portions ont le pas horriblement lourd, plus lourd que certains grands costauds. Donc imaginez qu’un humain, qui ne se soucie pas de ses voisins et fait le bruit qu’il veut, ait comme voisin Teddy Riner. Teddy Riner est réveillé en plein sommeil par une porte qui claque. Alors il va toquer à cette porte et dit : « Mec ! Je rêvais de ma prochaine médaille d’or et à cause de toi j’ai été réveillé ! Tu peux arrêter de claquer ta porte avant que je ne te claque la tronche ? » Alors il y a une assez bonne chance pour que le voisin dise : « Oui monsieur. » et comme par magie il ferme sa porte en silence.
– Oui cela paraît être une attitude raisonnable. Un peu comme quand moi je vais voir les pigeons pour leur dire de faire un peu moins de bruit.
– On fait pas de bruit nous ! Pas comme les martinets !
– Bon. Imaginons maintenant que c’est Teddy Riner qui fait du bruit. Le voisin frappe à sa porte pour lui dire de baisser sa musique. Peut-être que Teddy Riner aime le bon voisinage et trouve normal de baisser la musique quand cela dérange les voisins. Mais peut-être qu’il aura envie de répondre : « Sinon quoi ? »
– Eh oui. Sinon quoi ?
– Normalement l’individu de poids moyen ne va pas dire à un type super balèze :« Sinon je te casse la gueule ! » Au mieux il peut s’énerver et dire qu’il va appeler la police.
– C’est la meilleure chose à faire non ? C’est un peu à cause de ce genre de déséquilibres que la police existe.
– Dans une société imparfaite Riton ! Dans une société parfaite même un gros costaud comprendrait qu’il ne peut pas faire tout ce qu’il veut tant qu’un plus costaud que lui ne lui impose pas sa loi.
– Peut-être Odette, mais comme cette société parfaite n’existera jamais, une société avec une police capable de redonner aux individus le sens du devoir collectif est sans doute une meilleure société qu’une société sans police.
– Il faut une police mais laquelle ? Par exemple moi je suis en mesure de t’interdire certaines choses n’est-ce pas ?
– Oh j’ai bien compris !
– Mais je n’en abuse pas.
– Des fois je trouve que tu abuses quand même un petit peu !
– Donc tu peux très bien comprendre que la police peut facilement tomber dans l’excès.
– Parfaitement. Trop de police ce n’est pas l’idéal non plus.
– D’autant moins que bien souvent les pays où la police est la plus redoutée sont aussi ceux où de nombreuses personnes ne peuvent pas faire appel à la police.
– Par peur de la police ?
– Pas que. Souvent la police protège certains citoyens mais pas les autres. Même dans ce pays il existe des zones où la police n’intervient qu’en nombre et pour des délits graves. Qui va appeler la police à cause du bruit du voisin quand le voisin est une brute épaisse et que ce qui le met particulièrement en colère c’est quand on appelle la police ? Donc on n’appelle pas la police et on subit !
– Oui ben c’est un peu ce qui nous arrive à nous ! On subit ! J’ai encore été réveillé pas plus tard que tout à l’heure !
– A cause du airbnb?
– Non ! A cause d’un type qui hurlait dans la rue !
– Il était peut-être furax parce que deux chats qui se battaient l’ont empêché de dormir cette nuit !
– Hin hin !
– N’empêche que deux voisins peuvent essayer de s’entendre et ont assez généralement un intérêt à se respecter mutuellement.
– Cela paraît raisonnable.
– Et c’est à peu près ce qui s’est passé durant ces 20 dernières années pour l’idiot du deuxième, même s’il a changé souvent de voisin. Sauf que maintenant il a deux ou trois voisins différents par semaine. Devinez quoi ? Les gens qui sont en voyage ne se comportent pas comme chez eux !
– Cela paraît logique.
– La logique voudrait que chez soi on se permette des choses qu’on ne se permet pas chez les autres.
– Oui c’est ce que je dis !
– Eh ben c’est le contraire ! D’ailleurs les français sont très réputés pour ça. Ils sont détestés dans le monde entier pour leur réputation à se croire partout chez eux et sans gène.
– Ce n’est pas le cas pour les autres pays ?
– A vrai dire c’est sans doute assez souvent le cas. C’est sûrement la traduction du fait qu’en moyenne les humains manquent cruellement de savoir-vivre.
– Ou bien que leur quotidien est fait de tellement de frustrations que dès qu’ils s’échappent de leur environnement social ils en profitent pour « se lâcher » comme ils disent.
– C’est juste. Et donc c’est exactement ce qui se passe avec le airbnb du deuxième. Laissez-moi vous expliquer le principe du airbnb !
C’est alors qu’elle a extirpé un tout petit téléphone de la tenue colorée qu’elle portait ce jour-là.
– Tu as un iPhone Odette ?
– Un iPhone ? Hi hi hi ! Ça y ressemble non ? Regardez !
– Il est petit dis donc ! Tu peux allez sur Terre-nette ?
– Évidemment ! Comme ça je peux vous faire la lecture ! Allons sur le site de airbnb ! C’est américain pour ceux qui ne le savaient pas.
– On s’attendait pas à ce que ce soit français !
– Même pour se louer des appartements ces cons-là ont besoin des américains. Ils n’ont pas grand-chose pour eux les français quand même. On devrait peut-être songer à quitter ce pays d’incapables !
– Chut ! Écoutez ! « Fonctionnement de airbnb : Que vous soyez à la recherche d'une cabane pour le week-end ou d'une maison pour toute la famille, un accueil chaleureux vous attend. Derrière chaque séjour se trouve une personne réelle qui peut vous fournir les informations dont vous avez besoin pour arriver dans le logement et vous sentir chez vous. » Vous pigez le truc ?
– Y a quelque chose à piger ?
– Dites donc ! Si je vous ai choisis comme amis c’est dans l’espoir que vous aviez un peu plus de jugeote que la moyenne des humains ! « Une personne réelle peut vous fournir des informations ! » Ce qu’il faut comprendre c’est qu’on a atterri sur un site qui est une vaste entreprise d’enfumage ! Dès les premières lignes on comprend que tout ça c’est du flan ! Aucune personne réelle n’a besoin de faire valoir la réalité de sa personne ! Quand on le fait c’est bien parce que très souvent il n’y a pas de personne réelle ! Du moins cette réalité est assez virtuelle ! C’est comme si toi Darwin tu allais sur le site de SFR pour retrouver l’usage de ton adresse mail et qu’on t’annonce qu’une personne réelle va tenter de solutionner ton problème. D’abord cette soi-disant personne réelle va te demander de relire les solutions proposées dans la foire aux questions pour que tu tentes de te démerder tout seul au lieu de faire dépenser des sous à SFR. Si tu ne trouves pas la solution toute faite une personne réelle qui est en fait un robot va t’aiguiller de proche en proche vers une solution un peu plus sophistiquée. En dernier ressort tu pourras demander à ta meilleure amie, c’est à dire moi, de téléphoner au service client. Là avec un peu de chance on tombera sur une personne réelle payée à coup de lance-pierre au Maroc ou dans l’Est de l’Europe qui te répétera ce que tu as déjà lu et à force d’insistance on finira peut-être par avoir en ligne une personne à la fois réelle et compétente. Donc oui, il y a des personnes réelles ! Ce qui veut dire qu’il peut tout aussi bien ne pas y en avoir ! Et avec le airbnb c’est exactement pareil ! Il peut y avoir une personne réelle qui loue son propre appartement durant ses absences ou un studio dans sa maison, une cabane dans son jardin. Cette personne réelle vous connaissez son nom, son adresse, parfois sa photo, et vous pouvez même avoir la chance de la rencontrer en vrai. Mais si c’était toujours le cas le site airbnb n’accueillerait pas le curieux par la phrase que je vous ai citée ! Ces personnes réelles ont été l’alibi de départ pour monter une énorme machine à fric où la réalité des personnes et de leur implication a de moins en moins d’importance. Passons à la suite : « Diversité et intégration »… Le blablabla des multinationales... On s’en fout ! « Accessibilité » C’est pour les handicapés. C’est sûr que l’idiot du deuxième est pas près d’être dérangé par les roulettes d’un fauteuil. Bon… ça on s’en fout… ça aussi… Ah ! Voilà ! « Airbnb, qu'est-ce que c'est ? Airbnb crée des liens entre les personnes grâce à la possibilité de réserver des logements et des activités partout dans le monde. Les hôtes constituent le moteur de la communauté et fournissent aux voyageurs l'occasion unique de voyager comme s'ils étaient chez eux. » « Qu'est-ce que l'hébergement de voyageurs ? Si vous disposez d'une chambre supplémentaire, d'un logement entier ou d'expertise en hébergement, vous pouvez gagner de l'argent en les partageant avec des voyageurs du monde entier. Vous pouvez héberger des voyageurs dans votre logement, organiser des expériences ou bien les deux. Vous décidez à quel moment vous souhaitez héberger des voyageurs. » Qu’est-ce qui annonce le fin mot de l’histoire dans ce passage ?
– …
– « Expertise en hébergement » tas d’emplumés ! Au départ l’idée mise en avant c’est l’échange ! C’est la possibilité pour les voyageurs de loger chez l’habitant au lieu de dépenser des fortunes dans des hôtels hors de prix.
– Ah oui ! Tu veux dire que c’est la possibilité pour tout le monde de voyager loin. De prendre des avions pas chers, des logements pas chers, et d’aller pour pas cher dans les coins du monde les plus fréquentés ; puisque les hôtels sont chers c’est qu’ils sont fréquentés non ?
– Exactement matou !
– Tu parles d’un voyage ! Et c’est quoi ces idées de voyager comme si on était chez nous ? S’il faut se sentir chez soi autant rester chez soi. C’est complètement con comme concept !
– Faut croire que non puisque ça marche ! Mais ce qu’il faut retenir c’est cette idée d’expertise en hébergement. Derrière le côté pittoresque et social de l’échange de bons procédés entre habitants du monde entier c’est un monde de professionnels à l’affût qui grossit grossit grossit. Je suppose que le gros des nuitées airbnb pourrait dans le futur être entre les mains de ces experts en hébergement. Tout cela n’est pas sans conséquence sur la vie des gens dans les centre-ville.
– Qu’est-ce que ça change ?
– Eh bien venons-y !… Voilà ! « Voisins : Il est en principe préférable d'informer vos voisins que vous prévoyez d'accueillir des voyageurs. Cela leur permet de vous dire s'ils ont des préoccupations ou des questions. Si vos voisins subissent des nuisances liées à l'hébergement occasionnel des voyageurs airbnb, ils peuvent enregistrer une plainte. Bruit. Les voyageurs réservent sur airbnb pour de nombreuses raisons, y compris pour passer des vacances ou fêter une occasion. Informez vos voyageurs de l'impact du bruit sur le voisinage pour une meilleure expérience. Si vous avez des inquiétudes quant à la tranquillité de votre quartier, il existe différentes manières de limiter le bruit : Mettre en place une règle interdisant de faire du bruit à certaines heures. Ne pas autoriser les animaux de compagnie. Indiquer que votre logement n'est pas adapté aux enfants ou aux bébés. Interdire les fêtes et les voyageurs supplémentaires non déclarés. Le Code de la santé publique sanctionne les bruits susceptibles de porter atteinte à la santé ou la tranquillité du voisinage en fonction de la durée, de l'intensité et de la répétition. Le gouvernement français définit clairement les types de nuisances sonores répréhensibles et la responsabilité du propriétaire quant à l'application des réglementations en matière de nuisances sonores.
– Quand ils parlent d’animaux domestiques ils veulent dire les chiens bien sûr !
– Les chiens, les chats, les morpions, les punaises de lit et les poissons rouges !
– Pff…
– Tout ça pour dire qu’un expert en hébergement, ce qui est peu ou proue synonyme de personne vivant de l’hébergement d’autres personnes, est susceptible d’avoir de nombreux hébergements. Donc si le voisin d’à côté fait du airbnb et que les voyageurs qui viennent font du bruit, la prochaine fois que vous verrez le voisin vous pourrez lui dire de vive voix ce que vous en penser et le menacer de porter plainte. Mais quand il s’agit d’experts en hébergement qui n’habitent pas là les choses se compliquent un peu non ?
– Pas nécessairement. Je dirais même qu’ils ont intérêt à ce que les choses se passent bien et en plus ils connaissent sûrement mieux la loi.
– Le cas de l’idiot du deuxième ne semble pas te donner raison. Comme il est dérangé par le bruit il aimerait s’adresser au propriétaire. Apparemment l’appartement a changé de proprio l’an passé puis a été refait « à neuf » entre guillemets puisque les poutres sont pourries, avant de devenir un airbnb. Mais le nouveau propriétaire n’a pas jugé important d’en prévenir les voisins et il n’habite pas l’immeuble.
– Cela ne fait pas de lui un expert en hébergement.
– Ça fait de lui quelqu’un qui a investi une petite fortune dans un appartement pourri d’un immeuble pourri à seule fin de placer son fric pour profiter de la hausse des prix continue. Or la meilleure façon de valoriser ce placement c’est de jouer sur cette manne offerte par airbnb ou ses concurrents. Dans quelques années les prix auront doublé donc ceux qui ont beaucoup d’épargne peuvent acheter les yeux fermés sans risque. Même celui qui n’a pas les moyens d’acheter en centre-ville sans emprunter peut penser être en mesure de payer son crédit s’il loue en airbnb, surtout s’il s’arrange avec la loi. A la fin chacun sait que comme tout le monde veut soit habiter les centre-ville, soit y venir en voyage, la hausse des prix ne va pas cesser de si tôt. Tous les propriétaires ou acheteurs ont intérêt à entretenir ce système. Réserver des logements pour les vacanciers ça permet de limiter le nombre de logements pour les lyonnais ou les étudiants qui viennent à Lyon. Donc il y a de la concurrence, les prix des loyers augmentent et les prix des appartements à vendre aussi, c’est mathématique ! Et le type qui a acheté l’appartement du deuxième pour en faire un airbnb est en plein dans le système ! S’il n’est pas expert en hébergement il passe sans doute par un expert moyennant commission.
– S’il passe par un expert il ne va pas lui rester grand-chose. J’imagine que ça ne doit pas non plus rapporter des 1000 et des 100 !
– On a le droit de louer à la nuitée 120 fois par an ! A un certain tarif y a de quoi payer quelques commissions. Si c’est un type qui avait déjà de l’argent à ne plus savoir qu’en faire et qui a acheté cash son appartement ou en est propriétaire depuis longtemps, il peut très bien se satisfaire de peu, du moment que ça paye les charges de copropriétés, les taxes, les travaux d’entretien, le reste c’est du bonus. La plupart des propriétaires qui louent au mois passent bien par une agence, il n’y a pas de raison que ça aille différemment pour des nuitées.
– Oui mais il faut que ça rapporte plus que la location au mois, sinon quel intérêt ?
– L’intérêt c’est qu’on peut garder l’usage du logement pour soi si besoin ! Et de toute façon le prix des nuitées sera toujours en phase avec le prix au mois. Cela doit forcément rapporter plus puisque ça demande plus de travail !
– Mais justement ! Qui veut s’enquiquiner avec du travail alors qu’il peut louer à une même personne durant des années ?
– Les experts de l’hébergement crétin de chat ! Il y a toute une économie autour du logement à la nuitée qui fait vivre bien plus de gens que les hébergements à l’année. C’est à ça qu’on reconnaît une ville qui devient touristique ou simplement dynamique ! Il faut loger les gens qui viennent visiter, faire la fête ou même travailler quelques jours. Tout ça c’est des nuitées à facturer, des gens qui remplissent les lieux culturels, les bars, les restaurants, des gens qui ont besoin de services, des gens qui ne veulent pas faire le ménage, des capricieux en puissance, des enfants gâtés.
– Et ça va faire une ville plus agréable à vivre ?
– J’imagine que ça dépend de ce qu’on recherche. A certains points de vue c’est l’enfer ! L’idiot du deuxième en fait l’amer expérience mais des milliers de parisiens sont déjà passés par-là.
– Bien. Et alors ? Il n’a plus qu’à tenter de mettre les choses au clair avec ce propriétaire.
– Cet idiot n’arrive pas à mettre la main dessus.
– Il n’y a pas le nom sur la porte ?
– Un nom propre très commun et une initiale en guise de prénom. Donc il ne l’a pas trouvé sur Terre-nette. Il est nul en recherche Terre-nette.
– Mais toi tu peux le retrouver n’est-ce pas ?
– C’est justement ce que je m’apprête à faire devant vos yeux ébahis ! Il est certes difficile de distinguer un J. Martin d’un autre J. Martin mais retrouver la photo de ce studio en location doit être un jeu d’enfant !
– Il est idiot mais sans doute pas au point de ne pas avoir pensé à cela !
– Il a cherché sur airbnb parce qu’il est assez idiot pour ne pas savoir qu’il n’y a pas que airbnb.
– C’est toi qui a dit que c’était un airbnb.
– J’ai dit airbnb parce que c’est la star du genre ! Mais il y a d’autres plateformes du même acabit ! Et les experts de l’hébergement ne se privent pas pour multiplier leurs chances en s’inscrivant sur diverses plateformes. Donc ce qu’il faut faire c’est aller sur cosycosy ! Cosycosy aspire les résultats de tous les sites de locations. Tenez ! Regardez ça ! Expedia, booking, abritel, airbnb… y a que l’embarras du choix. J’ai demandé un hébergement pour samedi prochain. Y a plus qu’à zoomer sur la carte ! Regardez ça les pigeons ! Vous saviez que cet appartement était en nuitées ?
– Fais voir ! Ah oui c’est juste en-dessous ! Y a jamais de graines sur ces bords de fenêtre.
– Ça risque pas d’arriver. En tout cas c’est clinquant.
– La photo de la cage d’escalier est contractuelle ?
– Je ne sais pas.
– C’est pas la cage d’escalier du 5, c’est celle du 3. Beaucoup plus lumineuse !
– Au 5 les appartements sont lumineux, au 3 c’est la cage d’escalier.
– En tout cas y a pas le studio en question.
– C’est pas celui à côté ?
– Non. La suite Gaspard c’est la rue Gasparin. Subtil jeu de mot ! Mais on doit être dans la même gamme de prix.
– 110 euros ? C’est cher ?
– Ménage compris Riton ! 38 euros de ménage ! Dont 10 balles pour la femme de ménage hi hi hi !
– Ce n’est vraiment pas drôle Odette !
– Triste mais vrai Darwin. Tu veux regarder ?
– Ton truc est trop petit pour moi.
– Pour tes yeux myopes tu veux dire ?
– Hin hin !
– Bon. Y a plus qu’à trouver une date où notre fameux logement est libre. On va bien finir par tomber dessus vu qu’il est occupé au moins trois jours par semaine.
– Mais comment savoir quand il est libre.
– En tâtonnant pardi ! Y a bien un jour où on va le trouver disponible. Je vais essayer tous les jeudis, vendredis et samedis !
Autant vous dire qu’au bout d’un quart d’heure de recherche infructueuse Odette commença à monter en pression.
– Mais nom d’un chat c’est pas possible ! Ils doivent bien le mettre sur Terre-nette ce logement puisqu’il est loué toutes les semaines !
– Peut-être qu’ils le louent par le bouche à oreille.
– Tu parles Charles ! Je suis sûre que c’est une affaire d’expert de l’hébergement ! Pourquoi la suite Gaspard apparaît presque tout le temps et celui-là jamais ? Bougez pas ! Je reviens !
Elle est revenue une minute plus tard.
– Là ils sont cinq dans le studio ! Dont un bébé ! Ils n’ont certainement pas dormi à cinq là. Donc un couple a dormi dans un autre studio. Et peut-être bien dans la suite Gaspard ! Tiens oui ! Quand on y pense ça sonne juste cette histoire !
– Comment cela ?
– Imagine qu’un expert de l’hébergement qui gère la suite Gaspard gère aussi le logement du deuxième. Mais d’une façon un peu moins officielle. Disons qu’il ne le propose pas sur les plateformes parce que le proprio veut rester discret à ce sujet. Pour un expert de l’hébergement cela ne doit pas être trop compliqué à louer s’il a un bon réseau et sait quand une certaine demande est insatisfaite. Il peut alors proposer ce logement sans passer par une plateforme, c’est toujours l’économie d’une commission en moins.
– Je ne vois pas trop où est l’intérêt pour le propriétaire.
– Ne pas déclarer tous les revenus générés.
– Hum. Mais n’as-tu pas supposé que le propriétaire et l’expert en hébergement ne sont pas la même personne ?
– Sauf si le propriétaire est également expert en hébergement.
– Ou alors… Peut-être que le propriétaire n’est pas au courant. C’est en fait un locataire à l’année qui sous-loue discrètement.
– Possible. Difficile à mettre en œuvre durablement mais possible. Et dans ce cas on a affaire à un vrai expert. Il faut en savoir plus ! Continuons notre investigation. Voyons ce que nous dit la suite Gaspard… L’hôte s’appelle Thierry de memorable.place !
– Thierry De Mémorable Plaice ? Voilà un nom à particule très étrange !
– Memorable.place c’est le nom d’une société, banane ! Il s’appelle Thierry mais n’a pas mis son nom sur le site.
– T’es sur quel site ?
– Airbnb pour le coup. Mais la suite Gaspard apparaît aussi sur d’autres sites. Écoutez quelques commentaires : « Un appartement soigné et très propre, le travail de Thierry y est remarquable. Blablabla. Encore un profond merci à Thierry que nous aurions aimé rencontrer en personne. » Hi hi hi… ça risque pas d’arriver ! Le reste est à l’unisson : « Studio impeccable pour un petit séjour en plein cœur de la presqu'île de Lyon. Communication efficace et réactive avec l'hôte. » « Super séjour, studio idéalement situé et équipé. Échanges faciles avec Thierry, je recommande vivement ce logement ! » Bon on a compris ! Thierry communique bien avec les outils de télécommunication. Donc autant Thierry s’appelle Gaston ou Raymond ! Remarquez qu’on ne peut pas plaire à tout le monde : « Une honte je suis restée 30 min dans le logement insalubre, sale, pas lavé, draps sales, aucune hygiène, draps encore mouillés, matelas souillé plein d urine, vraiment incroyable l'état de la saleté, à fuir vraiment, j ai fini dans un hôtel. Airbnb c’est fini ! »
– Hum… Un peu bizarre ce commentaire. Pas très cohérent avec les autres. Comment un logement pourrait passer de nickel à insalubre ?
– La femme de ménage est peut-être tombée malade. Ou bien, de dégoût, elle a jeté l’éponge. La réactivité de Thierry est notable mais peut-être pas au point d’enfiler une tenue de soubrette pour aller faire le ménage. A chacun son métier, y a les cols blancs et les cols bleus, hi hi hi !… Ah tiens ! J’ai une nouvelle piste ! Thierry n’est pas seul ! Voici la réponse à un commentaire de Bénédicte : « Merci Bénédicte pour votre avis, le confort de nos hôtes est notre priorité, canicule ou non. Aurélie et Thierry de memorable.Place. » Je crois qu’il est temps de nous mettre en quête de memorable.place. Avec un peu de chance il y a un site internet !... Bingo ! Regardez-moi ça si c’est pas des experts de l’hébergement ! Grande maison ! Écoutez : « Fort de notre expérience et des économies faites pendant des années, nous avons investi dans la pierre. D’abord pour notre futur et celui de nos enfants mais aussi avec une idée en tête … Et si nous proposions à nos amis, nos voyageurs, une expérience à la fois différente mais rassurante. Être en voyage et se sentir comme à la maison. Nous avons donc pensé notre univers pour vous. Des appartements bien-être, avec un maximum de confort et connectés, sans oublier un prix contenu. Ainsi est né notre concept que nous avons appelé Memorable.Place, comme le souvenir que vous conserverez à chacun de vos passages dans nos appartements de Lyon. Depuis, Étienne et Jessica ont rejoins l’aventure et vous accompagneront également pour un séjour au top ! » Qu’est-ce que tu dis de ça Darwin le chat ?
– Je trouve cela un peu étrange comme présentation.
– C’est à dire ?
– « Nous avons investi dans la pierre. D’abord pour notre futur et celui de nos enfants ! » Qu’est-ce que les enfants ont avoir là-dedans ?
– Eh bien s’ils possèdent les 33 logements présentés sur leur site, ce dont je doute, il est clair que leurs enfants sont à l’abri du besoin.
– C’est bien cela qui est bizarre. Présenter son entreprise comme ayant vocation à permettre à ses enfants d’être riches sans rien faire. Les entrepreneurs n’aiment rien de mieux que faire valoir qu’ils ont réussi sans l’aide de personne…
– Ce qui est généralement faux !
– Certes mais c’est illogique de se présenter comme maître d’œuvre de sa propre réussite tout en pensant que ses enfants doivent échapper totalement à cette satisfaction de grandir par eux-mêmes.
– C’est un détail Darwin ! C’est juste une manière commune de dire qu’avoir des enfants donne une motivation supplémentaire pour avancer dans la vie. C’est tout de même plus facile de s’en sortir quand on ne manque pas de tout.
– Entre manquer de tout et accaparer tant de biens que d’autres se retrouvent nécessairement sans rien, il y a un éventail de possibilités. Ces gens-là ont l’air d’avoir un appétit insatiable.
– Ils gèrent des biens. Ils ne disent pas qu’ils les possèdent tous. En tout cas c’est comme je disais, des experts en hébergement. Écoutez : « Communication 24h/24 et 7j/7. Nous sommes tout le temps disponibles pour venir en aide et répondre à nos invités ! » Vous voyez bien de quoi il s’agit ! Ils utilisent les moyens de communication mais ne rencontrent sans doute jamais les locataires. Leur travail c’est de trouver les bonnes personnes pour fournir les services nécessaires. Ils font sûrement appel à une société de nettoyage tous les jours et régulièrement à des menuisiers, des plombiers. A force de grossir ils ont même dû embaucher Étienne et Jessica pour les aider en cela. C’est tout à fait le genre de personnes parfaites pour gérer les locations du logement du deuxième sans passer par une plateforme. Voyez ! On peut louer directement sur leur site. Je suis sûre qu’on va trouver notre fameux logement.
Deux minutes plus tard Odette dut se rendre à l’évidence, toujours pas trace du logement du deuxième.
– Nom d’un chat j’aurais juré que… Mais pourtant c’est eux ! J’en suis sûre ! Je le sens !
– Tout le monde peut se tromper Odette !
– Il faut savoir comment ils s’appellent et on va leur demander si c’est eux qui s’occupent de ce logement !
– S’ils le font discrètement c’est pas pour te le dire à toi. D’ailleurs je ne vois vraiment pas quelle raison pourrait les pousser à le faire discrètement.
– Une chose est sûre ! Quelqu’un le fait discrètement puisque c’est loué et que nous-mêmes on n’arrive pas à le louer ! Et d’ailleurs ce Thierry et cette Aurélie semblent avoir un certain penchant pour la discrétion ! Où alors ils ont un nom si débile qu’ils préfèrent le garder pour eux.
– Genre Thierry et Aurélie Pigeon ?
– Ou genre Thierry et Aurélie De Gouttière !
– Genre Thierry et Aurélie Vomi !
– Non ça c’est joli, ça rime !
– N’empêche que s’ils croient pouvoir noyer le poisson, nom d’une mouette on va le repêcher vite fait ! Un petit tour sur societe.com est on sera fixé-e-s ! Alors… memorable.place, société par actions simplifiée est en activité depuis 2 ans. Établie à Lyon 9ème, elle est spécialisée dans le secteur d'activité de la location de terrains et d'autres biens immobiliers. Le directeur s’appelle Étienne Tedde ! Voilà donc une partie d’Étienne et Jessica ! Qui es-tu Étienne ?… Étienne Tedde est aussi dirigeant d’une société dénommée Degentedde située à la même adresse et qui fait de la location de courte durée de voitures et de véhicules automobiles légers. On a perdu Thierry et Aurélie en route. Rebroussons chemin ! Memorable.place a un président dénommé, je vous le donne en mille, ValueforPeopleInvest. Il te plaît ce nom de famille Darwin le chat ?
– Hin hin !
– On continue à noyer le poisson mais on va le sortir de l’eau, ne vous inquiétez pas ! Cliquons !… ValueforPeopleInvest. Activités des sociétés holding, société située à Leyrieu dans l’Isère. C’est un patelin dans l’Est lyonnais ! Eh ben voilà notre Thierry ! Thierry Debarnot est liquidateur au sein de l'entreprise Bebe.net à Leyrieux. Disons qu’il a créé Bebe.net et a fait faillite. Thierry Debarnot évolue dans le secteur d'activité de l'Immobilier. Thierry Debarnot est gérant de l'entreprise MLRLUGDUNIUM à Leyrieu, location de terrains et d'autres biens immobiliers. Je vois pas trop le rapport avec Bebe.net. Je vais duckduckiser Thierry Debarnot et Bebe.net. Hum… Là je suis sur un interview de 2010 d’un Thierry Debarnot mais je ne sais pas si c’est le même. Il parle d’un truc qui s’appelle Media Etudiant. Écoutez « Media etudiant est né de mon propre besoin d’étudiant. C’était il y a 5 ans, j’étais un jeune étudiant en commerce, et passionné d’Internet, or j’avais un mal fou à trouver des informations de qualité et gratuites pour faire mes recherches scolaires. Pour le fun, j’ai donc créé un site sans ambition, afin de créer un lieu d’entraide entre les étudiants et me faire plaisir. Marketing-etudiant.fr était née. Au fil des semaines, aidé par mes camarades de classe, j’ai enrichi Marketing-etudiant.fr afin qu’il réponde à tous les besoins d’un étudiant en commerce pour lui faciliter sa vie d’étudiant. A ce moment-là, j’étais comme un fou de voir que 200 étudiants venaient chaque jour sur Marketing-etudiant.fr, je me sentais utile ! Quelques mois plus tard, ce sont les premiers annonceurs, qui m’ont obligé à créé une entreprise. Un comble, car depuis le début je n’imaginais pas gagner un centime avec Marketing-etudiant.fr ! J’ai donc pris mes 1000 euros économisés depuis un petit moment, et j’ai créé une EURL. Un an plus tard, en parallèle de la fin de mes études, et de ma première expérience en agence Internet (chez Altics), j’ai compris que je pouvais peut être vivre de ma passion et en plus aider d’autres étudiants. Je me suis donc entouré d’associés de compétence, afin qu’ils complètent ce que je ne savais pas faire (création artistique, développements techniques). Par chance, ces deux associés étaient des amis, ils me faisaient donc confiance à 200% et transpiraient comme moi. A partir de ce moment, on a développé ce qui marchait sur Marketing-etudiant.fr à d’autres thématiques, et d’autres usages. Finance-etudiant.fr (communauté des étudiants en finance), Doc-etudiant.fr (bibliothèque collaborative des étudiants), Expat-etudiant.fr (communauté des étudiants qui partent à l’étranger) ont été lancé l’année suivante. Aujourd’hui, nous accompagnons le jeune, l’étudiant tout au long de sa scolarité. De la primaire, avec Mon-Instit.fr, jusqu’au premier emploi avec EmploiCity.fr, en passant par le collège avec Devoirs.fr et le lycée avec les communautés du bac (Bac-ES.net, Bac-S.net, …). Toutes nos marques ont un seul objectif : Faciliter la vie des jeunes / étudiants.
– Eh ben. Il a de la fuite dans les idées celui-là. C’est sans doute pas le même Thierry Debarnot que notre hôte airbnb !
– Je ne vois pas d’homonyme qui sort du lot. Tout est sur ce Debarnot là ! C’est un spécialiste de l’internet apparemment. Il a ensuite créé digiSchool group, prétendument leader de l’éducation numérique et il est actuellement à la tête de Gaming Campus, une entreprise qui, si je comprends bien, doit former des développeurs de jeux vidéo. Regardez sa photo ! Plutôt une bonne tête non ?
– Oui. Il a l’air assez sympa. Un type qui doit mettre des graines sur son rebord de fenêtre.
– C’est pas notre Debarnot ça ! Il est trop occupé pour aller s’emmerder avec des histoires de airbnb ! Je vais tenter avec Aurélie Debarnot… Ah ben chat alors ! C’est la meilleure celle-là ! Y a rien sur Aurélie Debarnot sauf ça ! Regardez !
– C’est qui celui-là ?
– Patapouf le chat ! Patapouf, chat perdu le 3 octobre 2019 à Leyrieu, un patapouf qui a visiblement une Aurélie Debarnot comme humaine.
– Fais voir !… Ce petit chat roux il s’appelle Patapouf ? Il a vraiment pas une tête de patapouf !
– Non c’est vrai. S’il ressemblait à ce gros sac de Garfield on l’appellerait volontiers patapouf mais là…
– Peut-être qu’avec sa patte il avait l’habitude de griffer les poufs.
– On devrait tenter de le retrouver et ensuite on en apprendrait plus sur ce Thierry et cette Aurélie.
– Il est déjà retrouvé.
– Comment tu le sais ?
– Je le sais.
–C’est tout de même étrange cette histoire de Bebe.net qui concerne bien notre Thierry Debarnot expert en hébergement. Attendez… Je vais trouver… Hum… Je l’ai ! C’est lui ! J’y crois pas ! C’est lui !
– Comment tu le sais ?
– Parce qu’en 2012 ce fameux Debarnot lanceur de startup a twitté ceci : « Ma compagne Aurélie Debarnot se lance dans Bebe.net. Première communauté privée de mamans. »
– Il aime bien tout ce qu’est privé cet homme-là ! L’éducation privée, les communautés privées, la multi-propriété privée…
– Et sans doute les subventions publiques hi hi hi ! En tout cas c’est une personnalité publique comme on dit, mais qui aime entretenir une part de mystère.
– Tout cela me laisse perplexe. C’est vraiment les mêmes Thierry et Aurélie Debarnot ?
– Je viens de vous le prouver !
– Cha n’a pas de sens ! Je veux bien comprendre que bien des humains en veulent toujours plus mais il y a des moyens moins bizarres d’y parvenir. Si on a de l’argent on peut très bien investir dans l’immobilier sans pour autant aller jusqu’à se faire passer pour des hôtes airbnb à plein temps. Combien de temps il peut consacrer à l’immobilier ce Thierry, vu ses responsabilités ?
– C’est peut-être ça sa vraie passion. Peut-être qu’au fond il n’amène pas grand-chose dans son Gaming Campus sinon son nom et son argent.
– Je ne le pense pas. C’est du coup totalement désuet de laisser des tas de voyageurs poster des messages relatant l’œuvre d’hôtes magnifiques que sont Aurélie et Thierry alors qu’ils ne les ont jamais vu et pour cause.
– Ce n’est pas désuet c’est mégalo, nuance ! Au demeurant Aurélie semble un peu plus disponible que Thierry. C’est peut-être elle qui s’occupe vraiment de l’hébergement.
– Quand elle ne cherche pas son chat !
– Alors pourquoi c’est Thierry qui est toujours cité ?
– J’avoue ! Tout cela semble horriblement machiste ! Il faut libérer Aurélie en lui donnant l’opportunité de prouver qu’elle sait prendre un problème à bras le corps !
– Quel problème ?
– Le problème de voisinage du deuxième étage !
– C’est bien joli cha, Odette ! Mais on ne sait toujours pas si c’est vraiment Aurélie et Thierry qui s’en occupent !
– Ah ben oui, c’est vrai. Tant pis, je laisse tomber !
– Tout cha pour cha ?
– Eh oui Darwin ! Sauf que te voilà en possession de nouvelles connaissances grâce à moi !
– Lesquelles ?
– Eh bien désormais tu sais ce que signifie une personne réelle dans la langue des voyageurs de grand chemin, des hypocrites, des accapareurs et des insatiables.
– Ce que j’ignore encore c’est si une fée est une personne réelle !
– Et ça c’est réel ?
– Aïe !
– Et ça ?
– Aïe !… Hi hi !… Ouille !… Non pas ça Odette !…

Ah ben chalut

Darwin

19 juillet 2020

220V et 5G au galop, Tagada, Tagada, Tagada !

Lyon 23 juin 2020

Chers lecteurs, chères lectrices, chalut !

Il fait chaud, il fait de plus en plus chaud, oh oh ! C’est incroyable comme le soleil tape dur. En même temps on a eu une quantité de pluie étonnante en ce mois de juin. Bref, un temps à ne pas mettre un chat dehors. Donc avec Grabel on a décidé de bien mettre à profit notre amour de la sieste dans l’appartement de Grabelot. L’autre jour je songeais qu’à ce rythme-là je risquais de ne bientôt plus mériter mon statut de chat de gouttière. Je me disais qu’il me fallait combattre cet embourgeoisement en prenant le parti d’aller passer au moins les nuits dans ma sous-pente à-côté de celle des pigeons. Mais à la réflexion je préfère entendre ronfler Grabel que jacter les pigeons. Néanmoins ma flemme actuelle est soumise au bon vouloir de la fée Odette et si je vous dis que le soleil tape dur (quand il ne pleut pas) c’est que Grabel et moi avons été forcés de sortir de l’appartement quand Odette s’est mise en tête d’opérer un grand nettoyage de printemps. D’abord elle dit qu’on pue ; n’importe quoi ! On pue pas ! En tout cas beaucoup moins que l’armée de rats qu’elle fréquente à l’occasion dans les sous-sols de la ville. Bien sûr pour elle c’est facile de dire que tout le monde pue, elle, elle n’a pas d’odeur ! C’est vraiment bizarre, les fées n’ont pas d’odeur si j’en crois mon expérience, et je peux vous dire que j’ai le nez fin, bien plus fin que n’importe quel humain. Bref Odette a décidé de remettre de l’ordre dans l’appartement de Grabelot dont elle continue à payer scrupuleusement les factures sans même débourser un centime. J’avoue que l’appartement avait bien besoin d’un peu d’ordre pour qui aime l’ordre. Moi j’aimais assez bien le désordre, surtout le tas de livres au pied de la bibliothèque qui a grossi au fil des mois à mesure que je grimpais pour les faire tomber et y jeter un œil. Maintenant je dois dire que Odette n’a sans doute pas eu soudainement une phobie de ce joyeux bordel, c’est plutôt lié à un soudain regain d’énergie, quoiqu’elle n’en a jamais vraiment manqué. On aurait pu dire, selon l’expression : « Mais quelle mouche l’a piquée ? » En fait, ce n’est pas la faute d’une mouche.

C’était à la fin du mois de mai, alors qu’on enchaînait les siestes (bien méritées après nos longues balades durant le confinement), Odette a débarqué sans crier gare et dans un état d’excitation remarquable. Qu’on s’entende bien, Odette a généralement l’air d’être très agitée par rapport à l’ensemble des êtres que je fréquente, c’est une fée électricité adepte des doigts dans la prise (ne faites pas ça chez vous) et des fraises Tagada (n’en mangez pas !). Donc quand on dit de quelqu’un d’agité qu’il est très agité, il faut s’imaginer la scène. Mettez-vous dans la peau d’un enfant humain et imaginez que votre mère rentre dans votre chambre. La première seconde elle est à côté de la porte et dit, avec un débit de parole remarquable : « Il faudrait aérer ici ! » Vous êtes assis-e sur votre lit et levez la tête vers elle mais la voilà déjà disparue de votre champ de vision car en une traînée de poudre elle a ouvert la fenêtre et dit : « Ouf ! On respire mieux ! Enlève-toi de là que je prenne les draps ! » Même pas le temps de vous tourner vers la fenêtre qu’elle a déjà enlevé les draps et vous voilà le cul par terre ! Vous entendez derrière vous : « Range ta chambre ! » Zou ! La voilà disparue mais elle réapparaît deux secondes plus tard dans le chambranle de la porte et dit : « T’as fait tes devoirs ? » Pas le temps de répondre, vous entendez sa voix en provenance de votre bureau : « C’est faux ! Recommence ! » Pas le temps de contester, vous qui croyiez avoir fait tout juste, votre mère est déjà loin et vous l’entendez crier du rez-de-chaussée : « A table ! »

Avouez que ce serait un peu pénible non ? Eh bien avec la fée Odette ce genre de choses arrive et quand ça arrive après un abus de fraises Tagada ou d’électricité, ça peut durer des heures. Alors bien sûr, quand ça arrive et que soudainement Odette crie : « Bon allez barrez-vous les matous, j’ai du ménage à faire ici ! » vous vous doutez bien qu’on ne se fait pas prier pour déguerpir même si c’est pour aller sur un toit surchauffé par le soleil, au pire on se met à l’ombre d’une cheminée, les cheminées forment de sacrés bons parasols à Lyon. Quand il fait vraiment très chaud on a à peu près la paix parce que les pigeons préfèrent l’ombre de la rue. Mais quand le ciel s’obscurcit de nuages et que le fond de l’air se rafraîchit, il est bien rare de ne pas voir débarquer l’un des membres du clan de Riton sur la cheminée derrière laquelle nous tentons de retrouver nos rêveries. Et assez souvent quand un membre du clan de Riton débarque, les autres débarquent tour à tour. A vrai dire je serais malhonnête d’affirmer que c’est toujours déplaisant, nous avons eu ainsi de longues discussions et des débats enflammés. Mais en cette fin mai, alors que des nuages avaient caché le soleil, que les pigeons avaient effectivement fini par occuper les points hauts du toit, que nous parlions des bizarreries des humains, Odette ne se contentait pas de remettre de l’ordre dans l’appartement, elle allait et venait régulièrement entre celui-ci et le toit et c’est alors que nous avons pensé qu’elle n’était pas dans son état normal, quoiqu’on serait bien embêtés pour dire ce qu’est son état normal. En omettant les moments durant lesquels elle était dans l’appartement, voici à quoi ressemblèrent les discussions avec elle cet après-midi là :
– Regardez-moi ça ! Qui porte des chemises de bûcherons à Lyon ? Grabelot ! Attendez, bougez pas ! Ça va avec ça ? Ce shirt à carreaux ?
– C’est un caleçon Odette !
– Ah oui ? Si tu le dis Grabel. Je te trouve très beau Darwin aujourd’hui. Je te soupçonne de manger plus que ta part de farcie. Nom d’un chat je tiens une de ces formes ! Dis Grabel ! Ça te dirait de faire un tour du quartier avec moi ?
– Quoi ? Avec tous ces humains !
– Non parce que je me disais… comme j’ai retrouvé… ça ! Ça te rappelle quelque chose ?
– C’est à mettre à la poubelle Odette !
– Si je la montrais à Kazelof d’abord ? Il aimerait sûrement savoir que Grabelot promenait son chat en laisse !
– Il ne m’a jamais promené en laisse.
– Eh bien il avait l’intention de le faire !
– Peut-être qu’il avait l’intention d’avoir un chien ! D’ailleurs lui et moi, on ne s’est jamais entendu.
– C’est une laisse de chat, chat ! J’ai envie d’aller voir la face cachée de la lune ! Bougez pas je reviens dans 5 secondes.
(On ne saura jamais si elle est allée voir la face cachée de la lune où si elle nous mène en bateau mais toujours est-il qu’elle a disparu dans un éclair et est revenue cinq secondes plus tard dans un tonnerre).
– Y avait toujours pas de chinois ! Nom de nom de nom d’un chat tu veux faire la course avec moi Banofee ?
– Non !
– Allez quoi ! Je te laisserai prendre de l’avance ! Attends ! D’abord je vais trier les cartes postales de Grabelot !… Voilà ! Regardez-moi cette carte ! La Presqu’île avant la construction de l’échangeur de Perrache ! « Mon cher petit. Nous sommes de passage à Lyon ! Une ville moche et froide où les gens sont mal polis et de mauvais poil. La gastronomie y est indigeste. Sans intérêt. Nous sommes pressés de retrouver Marseille. Tatie Giselle. » Regardez-moi cette Marianne ! 20 centimes le timbre !
– 20 centimes de quoi ?
– De francs ! Nouveaux !
– Y en a des anciens ?
– Y en a eu !
– C’est combien en euros ?
– Et en piloms ?
– Assez peu pour savoir que la Poste nous la fait à l’envers avec ses timbres hors de prix !
– Tu les payes même pas !
– Ben c’est pas une raison ! S’il me prenait l’envie de les payer ce serait la ruine. Et comme c’est Darwin qui use la plupart de mes timbres, je serais obligée de retenir la somme sur sa part de farcie.
– Ce serait justice, surtout si sa part me revient.
– Le vol de timbres ça me va très bien. D’ailleurs rien n’empêche le postier de les récupérer avant de distribuer les lettres non ?
– Si les postiers faisaient ça, comment on aurait récupéré nos collages de timbres ? Il nous aurait livré un pli d’air !
– Non car on a débuté par une feuille vierge.
– C’est juste. Plusieurs centaines de timbres pour recevoir une feuille A4 ! C’eut été de l’Art avec un grand A ! L’Art postal !
– Si au lieu de la poste vous faisiez confiance à des pigeons postaux, vous n’auriez pas besoin de timbres !
– Cha ché chur ! Vous êtes timbrés de naissance !
– Dis donc Grabel ! Tu peux me dire pourquoi Grabelot avait ça chez lui ?
– C’est quoi ?
– Une craie pour tableau noir !
– Ah oui. Il fut un temps où il écrivait des formules incompréhensibles sur un tableau noir. Mais une nuit il a jeté le tableau noir par la fenêtre.
– Complètement taré ! Je vais dessiner Riton sur cette cheminée ! Voilà ! Très ressemblant !
– N’importe quoi ! On dirait un dessin d’un enfant de 4 ans !
– Justement ! Pour un dessin d’un enfant de 4 ans je trouve ça très ressemblant. Tu es très beau Riton !
– Merci.
– Maintenant je vais colorier Darwin en blanc !
– Ah non hein…
– Je blaguais banane ! Je vais plutôt aller voir si les chinois seraient pas arrivés secrètement sur Mars. A toute !
(Odette a disparu dans un éclair et est revenue une vingtaine de minutes plus tard en marchant à vive allure entre le Velux de l’appartement de Grabelot et l’endroit où on se trouvait).
– Dites donc les am…
– Alors ? Dis-nous ! C’était comment Mars ?
– Mars ? Ah non finalement j’y suis pas allée ! Je me suis sentie un peu raplapla soudainement, sûrement à cause de mon voyage sur la lune. Alors je suis allée faire ma séance de 5G !
– Ta séance de 5G ?
– Vous connaissez pas la 5G ? C’est génial ce truc ! C’est la toute dernière technologie de téléphonie mobile ! C’est pour les portables des hyperconnectés !
– Qu’est-ce que ça a de génial ?
– Eh bien comme ils ont commencé à déployer des antennes 5G je suis allée en tester une ! Je me colle pratiquement à l’antenne et j’attends là durant quelques minutes. Et alors ensuite mes amis…
– Quoi ? Dis-nous quoi quoi !
– Eh bien je me sens dans une forme incroyable ! C’est comme avaler des fraises Tagada tout en mettant les doigts dans la prise mais l’effet semble plus durable. C’est juste génial ! Si j’avais su je l’aurais inventée avant !
– Ah ben en voilà enfin une bonne nouvelle !
– Ah chat oui alors ! Une sacrée bonne nouvelle ! Elles se font rares les bonnes nouvelles en ce moment !
– Merci ! Merci ! Je ne pensais pas que vous seriez si enthousiastes à l’idée de me savoir en forme ! Je peux vous embrasser ?
– Euh… Je préfère être embrassé quand tu es raplapla !
– Sacré matou ! Guiliguiliguili ! T’aimes bien quand je te caresse le nez hein ?
– En fait… non ! Et tu crois qu’ils vont en mettre une dans le quartier d’antenne 5G ?
– Ben sûrement mais sur ce toit vous risquez d’être un peu épargnés. Vu qu’on est juste à-côté de l’école primaire.
– Mais justement ! Ils vont sûrement en mettre une pour que les enfants soient en forme. Et par ricochet on sera en forme aussi ! J’ai hâte !
– Euh… Tu peux me dire quel est le rapport entre toi et moi ?
– Quel est le rapport ?… De quel rapport parles-tu ?
– Tu es un chat électrique ?
– L’électricité statique ça compte ?
– Pas trop ! Mais je pourrais tenter de brancher sur le 220 volts pour voir si ça te fait de l’effet !
– Euh… Sans façon !
– Ben voilà ! Et la 5G c’est pareil ! C’est bon pour moi mais pour toi, au mieux c’est neutre et au pire tu vas devenir électrosensible !
– Pfff ! Ce truc-là c’est un mythe ! Tous les scientifiques le disent.
– Oui. Sauf tous ceux qui disent le contraire. Quand ils auront mis la 5G partout mon malheur c’est peut-être que je ne pourrai plus arriver en douce pour te choper par derrière en criant « Bouh ! » Tout ça parce que ton électrosensibilité fera frétiller tes moustaches à chaque fois que je rentrerai dans ton périmètre de sensibilité.
– C’est possible ça ?
– Peut-être ben que oui peut-être ben que non. Ceux qui ne nient pas les cas d’électrosensibilité prédisent que ceux-ci vont devenir bien plus nombreux dans les années qui viennent.
– Ben si ça me permet de te sentir arriver, ce sera déjà ça de gagner.
– Fais pas le malin matou ! Je pourrai toujours arriver suffisamment vite pour te choper dans le laps de temps que mettra ton cerveau à analyser le frétillement de tes moustaches. Et en plus de flipper, comme tu seras devenu électrosensible tu me supplieras de m’éloigner de toi ! Alors par bienveillance je serai obligée de me trouver un autre ami chat noir.
– Ah !
– ça te ferait plaisir de ne plus être mon ami.
– Laisse-moi réfléchir ?.. Tu pourras quand même me faire passer de la farcie ?
– Ben non.
– Alors je préfère qu’on reste amis. Si c’est comme chat j’en veux pas de la 5G ! Pourquoi ils mettent la 5G si ça me rend électrosensible ?
– Pour diffuser des données à ultra haut-débit !
– C’est pas déjà ce qu’ils font ?
– Oui mais là ce sera plus de données à plus haut-débit ! Par exemple on pourra télécharger plein de trucs, tant et tant qu’on n’aura jamais le temps de les regarder. Et on pourra tout géolocaliser ! Si quelqu’un a perdu une chaussette, au lieu de sortir avec des chaussettes dépareillées, il saura toujours retrouver la jumelle de la chaussette qu’il a en mains. Cela paraît tout de même indispensable non ?
– Ben… comment je pourrais le savoir ?
– Hi hi hi hi hi hi ! Mes amis, sachez qu’en matière de débilité profonde les humains vont vraiment de l’avant ! Hi hi hi hi hi !
– Je sais pas s’il faut en rire.
– Plus sérieusement, au lieu de faire du trading à très très haute fréquence les humains en feront à ultra ultra haute fréquence.
– Cool ! Et grâce à ça ils vont sauver la planète ?
– Ah oui ! Sans aucun doute ! Hi hi hi hi ! Qu’est-ce que t’es con quand tu t’y mets Darwin ! Sauver la planète grâce au trading ! Hi hi hi hi hi hi ! A la limite cette fuite en avant les enverra sur Mars mais la dernière fois que j’y suis allée y avait pas de chinois !

Ah ben chalut !

Darwin

19 juillet 2020

Une mouette qui en resta muette, ou quand Banofee-Banofee défie La Flèche.

Lyon, 31 mai 2020

Cher lecteurs, chères lectrices, chalut !

Comment cha va ? Moi cha va, merci ! Bon c’est vrai que cha allait un peu mieux le mois dernier. Olala, je sais que pour beaucoup d’humains la situation n’est pas facile du tout mais nous, les autres êtres vivants de cette planète, nous avons très majoritairement vécu cet événement comme un véritable cadeau du ciel ! Bien sûr certains chats domestiques ont sûrement un autre avis car c’est parfois pénible d’avoir des humains qui squattent la meilleure place sur le canapé toute la journée au lieu d’aller à l’école ou au travail. Les chienchiens à leur mémère, eux, ont sûrement été très contents, vu qu’ils n’ont aucun esprit d’indépendance et n’aiment rien mieux faire que répondre à des demandes comme : « Assis ! », « Debout », « Donne la patte ! », « Vas chercher la baballe ! » En plus les chiens ont acquis une sorte de super-utilité pendant le confinement car grâce à eux leurs humains ont pu trouver un prétexte pour sortir plusieurs fois par jour. Il paraît que certains ont essayé avec des chats mais la police n’a pas semblé trouver cela très loyal. Remarquez, j’ai entendu dire qu’en Chine, chien ou pas chien, personne ne pouvait trouver le prétexte d’avoir un animal à promener, les chiens faisaient leurs besoins sur le carrelage à défaut d’avoir une caisse du chien. Sûrement que certains humains ont fini par manger leur chien. On dit que les chinois aiment bien manger les chiens et les chats, et même les chauves-souris et les opossums. Moi je ne les juge pas, j’adorais manger les chauves-souris avant de subir par la fée Odette l’interdiction d’en attraper. A cause d’elle on est tous un peu dénaturés, surtout les pigeons d’ailleurs, comme vous allez l’apprendre dans la suite de cette lettre. J’ai un peu tardé à reprendre mes écrits après le déconfinement car avec Grabel, on a subi un contre-choc psychologique. Les conséquences de ce virus étaient totalement inattendues, sans doute encore plus pour nous que pour vous. Imaginez-vous ça ! Le premier soir, en nous penchant par-dessus la gouttière, nous observâmes la rue. On attendait, attendait, attendait, personne ne passait. C’était fou ! Et quel silence ! Quand on connaît l’agitation habituelle, dans une ville dont certains disent pourtant qu’elle est naturellement endormie, on comprend que les humains dans leurs habitudes font un vacarme hallucinant ! A côté d’eux, même les hirondelles, les piafs et les mouettes semblent aphones ! Et les oiseaux sont de jour ou de nuit, ils laissent aux autres le temps de se reposer ! Les humains non ! La journée ils font un barouf du tonnerre par l’empilement de leurs milliers de voix et leur incapacité chronique à ne serait-ce que se déplacer en silence. La nuit la plupart se calme ! Mais ceux qui sont décidés à être noctambules font du bruit pour dix, les noctambules humains sont en moyenne les plus déglingués de la tête que le règne animal ait connu, la nuit ça rend débile les humains, quelques chats aussi mais en moyenne non ! D’ailleurs si les pigeons dorment la nuit c’est parce que même s’ils sont cons par nature ils ont la sagesse de ne pas se donner une raison d’être encore plus cons ! Les humains n’ont pas de sagesse !

Ah non vraiment ! Sans vous offenser on n’en peut plus de vous ! Faut vous calmer les humains là ! Faut réfléchir, se poser un bon moment pour prendre le temps d’analyser cette parenthèse dans notre vie commune, cette espérance du calme s’est concrétisée grâce à une maladie incontrôlable, c’est en faisant en sorte de la contrôler que les humains ont fini par donner un maximum de regrets à les plupart des autres êtres vivants. Les humains confinés c’est un peu comme s’il y avait beaucoup moins d’humains. Rien a faire, on avait beau le prendre par n’importe quel bout, beaucoup moins d’humains ça nous paraissait, de prime abord, être une super solution à plein de problèmes ! Donc au début on a regretté de voir qu’à cause du confinement il n’y aurait que quelques centaines de milliers d’humains en moins au lieu de deux ou trois milliards comme on l’avait espéré ! Quand on a dit ça à Odette elle est entrée dans une colère noire. D’après elle il est absolument scandaleux de penser comme ça quand on vit confortablement dans une ville entièrement bâtie par les humains. Odette pense que ceux qui n’aiment pas les humains n’ont qu’à aller vivre dans les bois. En un sens ce qu’elle dit est vrai, rien ne nous empêche de nous éloigner des humains. Mais par ailleurs il est aussi vrai que les humains envahissent de plus en plus de territoires et qu’il est de plus en plus difficile pour les autres êtres vivants d’échapper à leur présence. Odette se moque particulièrement des pigeons qui aiment raconter qu’ils remplaceront bientôt les humains en tant qu’espèce dominante. Il est évident que cela ne risque pas d’arriver car durant le confinement les pigeons ont d’abord trouvé que c’était plutôt cool d’avoir les rues pour eux seuls, puis ils se sont rendus compte que cela les obligeait à se contenter de ce que le vent voulait bien y déposer. Ils aiment bien traiter les chats de gouttière de pique-assiette mais finalement ils font comme nous dès que l’occasion se présente. Alors voilà dans quel paradoxe nous nous sommes trouvés, nous vivons avec les humains sur des immeubles qu’ils ont construit mais en même temps nous avons l’impression qu’ils ne font rien pour rendre notre vie plus agréable, ce qui nous fait penser que quand ils sont enfermés chez eux la vie est plus intéressante. Pour les pigeons bien sûr cela change moins les choses. Puisque comme le dit Philémon ils sont trop stupides pour se rendre compte du danger, ils passent leur temps au milieu des humains même quand ceux-ci sont nombreux dans la rue. Mais pour nous les chats, qui ne nous risquons pas souvent à marcher au niveau zéro, le confinement ça change tout ! Et j’aime autant vous dire qu’avec Grabel on ne s’est pas gênés pour profiter de ces sept semaines. On a visité tout le nord de la presqu’île et particulièrement les abords de la Saône ! Je dois vous avouer qu’on l’a tout de même fait en compagnie de la fée Odette qui a très bien rempli le rôle qu’elle entendait jouer : celui de guide.

Peut-être qu’au travers de mes futures lettres je ferai référence à nos balades durant cette période, on a fait quelques rencontres intéressantes. Nous avons été aussi régulièrement sur le toit du très grand bloc pour retrouver Aïcha, Burbulle, P’tit gris et d’autres. C’est de l’extrémité ouest de ce bloc que nous avons joué les spectateurs et parieurs pour les concours de vols d’oiseaux. La grande affaire de cette période fut le défi lancé par Banofee-banofee à une jeune mouette que ses congénères surnomme « La Flèche ». C’est donc la mouette (c’est un mouet d’ailleurs) la plus rapide des mouettes installées à Lyon. La Flèche n’est pas peu fière de ses performances et s’en vante régulièrement auprès des habitants du toit du grand bloc où elle semble avoir une cheminée attitrée. Comme tout le clan de Riton a l’habitude d’y débarquer à chaque fois que Grabel et moi nous y trouvons, il était évident que les vantardises de la Flèche finiraient par titiller cette bande de cinglés et cinglées. Banofee-banofee a simplement coupé court à toute discussion en disant à la Flèche : « Tu es peut-être la mouette la plus rapide de Lyon mais si on fait tous les deux un aller-retour entre le pont Bonaparte et la passerelle Saint-Vincent, je vais te laisser loin derrière moi ! » Ce à quoi la Flèche a répondu sans une hésitation : « J’aimerais bien voir ça ! » Ce à quoi Banofee-banofee a répondu : « Tout le monde aimerait voir ça ! »

Immédiatement les paris ont été lancés. Nous les chats, on a immédiatement pris le parti de la Flèche. Un peu parce que ça nous semblait logique qu’une mouette aille plus vite qu’un pigeon et beaucoup parce que l’éventualité du contraire nous était désagréable. Tout ce qui rehausse la réputation des pigeons est par nature désagréable. Alors bien sûr, pas question de faire un pari d’amis ! Les pigeons voulaient qu’on mette quelque chose dans la balance et en cette période de relative disette, la monnaie d’échange fut facile à trouver : si Banofee-banofee devait l’emporter, ce qui paraissait très improbable, nous nous engagions à donner aux pigeons notre prochaine ration de farcie. Dans le cas contraire, tout le clan de Riton allait devoir nous céder sa ration. Il y eut un petit moment de flottement avant de nous engager sur ce pari car Aïcha avait un doute. Elle réunit tous les chats dans un coin pour qu’on s’évite une défaite :
– Depuis le temps qu’on les regarde ces oiseaux-là, on doit bien savoir si une mouette va plus vite qu’un pigeon !
– Bien sûr qu’une mouette va plus vite qu’un pigeon !
– Tu l’as déjà constaté P’tit gris ?
– Oui sans doute. Enfin… si j’avais constaté le contraire ça m’aurait tellement étonné que je l’aurais bien imprimé dans ma mémoire.
– De toute façon Aïcha, c’est évident qu’une mouette qui vient de la mer va plus vite qu’un pigeon sédentaire !
– Ben oui mais… et les pigeons voyageurs alors !
– Les pigeons voyageurs n’ont rien à voir avec ces pigeons-là qui ne quittent jamais le quartier !Non vraiment, inutile de s’inquiéter ! En plus la Flèche a vraiment l’air sûre de son coup !
– Bon d’accord, je veux bien parier.

Ainsi l’accord fut scellé. Mais la course n’eut pas lieu immédiatement, on décida qu’il nous fallait un juge-arbitre car nous les chats, nous ne pouvions pas voir si le contournement de la passerelle aurait bien lieu dans les règles de l’art. On aurait pu désigner un pigeon et une mouette pour se poster là-bas afin de valider la course mais nous préférâmes demander le concours de la fée Odette sachant qu’en la mettant dans la confidence, on aurait l’assurance que les gagnants recevraient directement le supplément de farcie mis en jeu. Comme on la voyait tous les jours sans exception depuis le début du confinement, cette demande fut faite assez rapidement. Odette y consentit avec un air malicieux qui me laissa penser qu’elle connaissait déjà l’issue de la course ; celle-ci fut programmée pour le lendemain à 16h.

L’affaire était simple, Banofee-banofee et la Flèche devaient se poser sur la barrière du pont Bonaparte et décoller au signal donné par Odette, ensuite ils iraient jusqu’à la passerelle Saint-Vincent située à environ 900m plus en amont, passeraient en-dessous avant d’amorcer un virage serré pour repartir dans l’autre sens en passant, cette fois, en-dessus de la passerelle, l’arrivée serait située à l’aplomb du pont Bonaparte, sous l’arche gauche ou l’arche droite, peu importerait. Nous étions sur le toit du grand bloc en compagnie de tout le clan de Riton tandis que de l’autre côté de la rivière on apercevait une dizaine de mouettes, dont sans doute George, posées sur le muret qui surplombe le parking de la rive droite de la Saône. Il y eut une chose assez rigolote. Quand Odette donna le top départ, top qu’on n’entendit pas de l’endroit où nous étions malgré le silence qui régnait alors, on vit clairement la Flèche prendre son envol en premier, suivie de près par Banofee-banofee. Cependant aucune des mouettes présentes sur le muret d’en-face ne remua une aile alors que tous les pigeons s’envolèrent d’un même élan pour suivre la course en vol. De notre position on ne put suivre que le début et la fin de la course mais son issue ne faisait déjà plus guère de doute quand Banofee-banofee dépassa la Flèche au bout de moins d’une centaine de mètres. Nom d’un chat ! Ce pigeon-là c’était lui la vraie flèche ! Et à vrai dire les autres n’étaient pas en reste. Je ne pense pas qu’ils firent tout le trajet en entier mais toujours est-il qu’ils revinrent avant la Flèche dans le sillage de Banofee-banofee qui l’emporta assez largement. On en resta stoïques. Tandis que les pigeons fêtaient leur héros en volant en groupe à proximité des mouettes nous prîmes le parti de nous réfugier dans la sous-pente de Burbulle, Aïcha et P’tit gris en attendant la tombée de la nuit. Nous avions fait notre deuil de notre ration de farcie du jour mais nous espérions éviter les sarcasmes des pigeons. Ce ne fut que partie remise et en outre Odette vint nous trouver pour moquer notre côté mauvais perdants.

Le lendemain les pigeons passèrent une bonne partie de leur temps juchés sur des cheminées du très gros blocs cherchant par tous les moyens à nous rappeler notre défaite de la veille. Odette vint trouver Banofee-banofee pour lui proposer un nouveau défi :
– Dis donc Lance Armstrong ! Ta renommée a déjà franchi les limites du quartier ! Devine quoi ?
– Quoi ?
– Un faucon voudrait faire la course avec toi.
– Un faucon ? Et puis quoi encore ?
– Tu te défiles emplumé ?
– Oui je me défile !
– Peur de perdre ?
– Pas du tout ! Je fais la course avec qui tu veux mais ni avec un faucon ni avec un aigle.
– Je ne vois vraiment pas pourquoi ! Si t’es sûr d’aller plus vite que lui, quel est le risque ?
– Inutile d’insister, c’est non !

De cette courte conversation je ne retins pas grand-chose mais un détail retint l’intention de Burbulle. Un peu plus tard il nous fit part de son observation :
– Vous avez entendu ? Odette a appelé Banofee-banofee, Lance Armstrong !
– Eh ben ?
– Vous ne savez pas qui c’est ?
– Ça me dit quelque chose mais…
– C’est un ancien coureur cycliste ! Un champion qui laissait tout le monde derrière lui ! Comme Banofee-banofee avec la Flèche !
– Ah oui ! Logique donc !
– Logique sauf que Armstrong était dopé ! Le roi du dopage ! Tellement dopé qu’on lui a supprimé ses 7 victoires du tour de France. Donc si Odette appelle Banofee-banofee, Lance Armstrong, c’est qu’elle sait qu’il est dopé ! Et s’il est dopé c’est qu’elle l’a dopé !
– Oh ?
– Elle lui donne de la farcie dopée ! Avec ça il est imbattable et c’était évident qu’on allait perdre notre pari ! Ce n’est pas du tout réglementaire !
– Mais oui ! Tu as raison !
– Euh… Attendez ! a dit Aïcha. Si ça se trouve il n’est pas dopé ! Du moins pas plus que nous ! Vous trouvez ça bon vous la farcie ?
– Pas plus que ça mais à chaque fois que j’en mange je me sens bien !
– Ben oui ! On aime la farcie parce qu’elle nous met en forme ! C’est pour cela qu’on ne veut jamais laisser notre part au chien.
– Mais si ce que tu dis est vrai, pourquoi ce n’est pas George qui a fait la course avec Banofee-banofee. Il en mange aussi de la farcie.
– Peut-être que la flèche en mange aussi ! On ne connaît pas toutes les fréquentations d’Odette ! Peut-être que Banofee-banofee n’a pas gagné parce qu’il est plus dopé que les autres mais parce que c’est lui le plus fort parmi tous ceux qui sont dopés à la farcie.
– C’est possible.

Eh oui chers lecteurs, chères lectrices, peut-être bien que les pigeons sont vraiment de très grands voleurs, nous qui préférons les moquer pour leur manière saugrenue de marcher dans la rue.

Ah ben chalut !

Darwin.

16 mai 2020

Les métiers à la con selon Coco Jasseronde.

Chalut !

Et voilà ! Le confinement est malheureusement terminé, ici on espère tous qu'il y aura un reconfinement, même les pigeons. Pour ma part, je dois dire que j'ai vécu cela comme un véritable don du ciel. C'était totalement inespéré ! J'ai pu me déplacer dans une grande partie de l'arrondissement et même ceux d'à-côté sans avoir peur des mauvaises rencontres. Certes je l'ai fait avec la fée Odette mais c'était tout de même beaucoup plus paisiblement que les autres fois. Depuis lundi Grabel et moi, de retour dans l'appartement de Grabelot, avons beaucoup dormi. Je n'ai appris qu'hier que la rédaction du Coincoin du coin avait été attaquée par le gouvernement et que le journal était désormais illégal. C'est fou cette histoire ! Heureusement Odette a consenti à pirater l'ordinateur de Coco Jasseronde le rédacteur en chef pour récupérer l'article de fond qu'il avait commencé à publier par épisode. Je vais donc pouvoir le poster sur ce blog en espérant que le gouvernement ne vienne pas me chercher les puces.


16 floréal 228

Bullshit Jobs : une analyse des métiers à la cons par C. Jasseronde, rédacteur en chef du Coincoin du coin.

L’organisation citoyenne Foxam a profité du confinement pour faire une large enquête téléphonique visant spécifiquement les travailleurs exerçant des « métiers à la con » ou « bullshit jobs » selon la définition qu’en a donné l’anthropologue David Graeber. Foxam dit avoir repris la catégorisation de Graeber qui divise ces métiers à la cons entre 
/ Faire-valoir, un travailleur dont la tâche principale est de mettre en valeur un supérieur hiérarchique ou un client
/ Sbire, un travailleur qu’une entreprise recrute pour une tâche à dimension agressive et dont l’embauche se justifie par le fait que les concurrents en ont un.
/ Sparadrap, un travailleur censé résoudre un problème qui n'existe pas ou aurait pu être évité.
/ Coche-case, un travailleur qui prouve que l'entreprise se saisit d'un sujet à la mode ou censé laisser paraître qu’elle traite des problèmes dont elle n’a rien à foutre.
/ Petits chefs en carton (contremaîtres) censés superviser des gens qui se débrouillent très bien tout seuls.

Avant de m’atteler plus précisément aux résultats de l’enquête de Foxam, je voudrais m’attarder un peu sur ces notions dont j’ai trouvé un résumé sur internet. Il se trouve que j’ai lu plusieurs ouvrages de Graeber mais pas celui traitant spécifiquement des bullshit jobs. J’aurais probablement pu profiter de ce confinement pour me mettre à acheter des livres numériques (partout ailleurs que chez un géant américain bien sûr) mais j’ai décidé de ne rien acheter du tout sur le net durant cette période. Et au fond ne pas avoir lu ce livre va me permettre de développer mon analyse à partir de ce qu’un tout petit exposé me permet de comprendre (peut-être de travers mais peu importe). Le fil conducteur de Graeber semble consister à montrer à quel point le capitalisme a considéré que des masses largement libérées du travail (par les progrès techniques qu’il engendrait) pouvaient présenter un danger. Si l’organisation du travail et ses techniques suffisaient à produire des quantités suffisantes de bien matériels, s’il devenait possible de travailler 15h par semaine tout en ayant l’assurance d’avoir de quoi se nourrir, se vêtir, se loger, se déplacer, se divertir dans des proportions qui ne remettent pas en cause le postulat de la recherche de maximisation du bien-être chère aux économistes libéraux, alors Graeber postule que les populations organisant de moins en moins leur vie autour de la vente de leur capital humain en viendraient nécessairement à remettre en cause une société dont la hiérarchie est définie par la possession de capital non humain. Il y aurait alors une forme de contradiction inhérente au système, la promesse du capitalisme que nous ont vendue des générations d’idéalistes libéraux (ou plus souvent des manipulateurs d’opinion à la solde des capitalistes), c’est sa capacité à maximiser le bien-être global par le truchement de l’égoïsme individuel, un égoïsme qui, si on lui donne toute latitude pour s’exprimer, génère par l’échange le progrès technique qui rend possible une production supplémentaire de biens tout en permettant l’accumulation de capital générant de nouveaux gains de productivité. En somme reconnaître que le capitalisme s’est mis à inventer des métiers à la con, donc plus précisément des métiers qui, s’ils n’existaient pas, n’empêcheraient pas de produire et d’échanger la quantité de biens que produit le capitalisme, c’est reconnaître que le capitalisme est au moins capable d’un productivisme inouï. Si l’on veut bien reconnaître que c’est mieux que de se trouver totalement sclérosé comme a fini par l’être l’économie soviétique, voilà une vertu que je lui concède volontiers, s’il s’agit de ne regarder que la quantité et de faire l’impasse sur la qualité. Par qualité je n’entends évidemment pas la capacité à produire des choses sophistiquées, performantes et solides, si le capitalisme moderne se concentre généralement sur les deux premiers attributs même concernant les produits haut de gamme, ce n’est pas toujours par incapacité technique. La qualité doit être appréhendée au sens large, particulièrement au sens d’impact sur l’écosystème. Si vous avez deux systèmes capables de produire les mêmes biens en même quantité, on peut tomber d’accord sur le fait que celui qui aura su le faire sans avoir besoin de générer des infrastructures gigantesques, celui qui aura su émettre le moins de polluants en tout genre, celui qui aura par conséquent le mieux préservé la nature et la santé des êtres vivants, toutes choses égales par ailleurs, ce système est le plus performant des deux. Bien sûr je ne pense en aucun cas que le désastre écologique de notre temps soit autre chose que la preuve de l’inefficacité du capitalisme, ou du moins son efficacité apparente ne tient qu’à cela : la consumation à vitesse grand V des écosystèmes.

Il n’y a donc pas de système capable de concurrencer le capitalisme dans sa marche vers la production de plus en plus gigantesque de biens, jusqu’au jour où il se trouve face à un écosystème qui ne répond plus. On pourrait penser que le soviétisme n’avait pas plus d’égards vis-à-vis de cet écosystème et que bien des communistes se seraient réjouis de le voir capable de rivaliser plus longtemps avec le capitalisme en ce domaine. C’est sans doute vrai mais le fait est que le capitalisme lui a été supérieur dans tous les aspects de cette course invraisemblable et donc le devoir d’achever la planète lui incombe faute d’adversaire à sa mesure. Sans que cela invalide les hypothèses de Graeber, il est donc important de noter que ce monde hypothétique où, comme a pu le penser Keynes, le productivisme et le progrès technique pourraient permettre de faire baisser le temps de travail à 15h par semaine, si tant est qu’il soit en vue en prenant le parti de supprimer tous les emplois inutiles, serait un monde totalement adossé à la nécessité d’avoir pris au préalable le chemin de la destruction de la planète. C’est un peu gênant.

Poussons le raisonnement un peu plus loin. Imaginons que ceux qui possèdent le capital soient des libéraux idéalistes, qu’ils pensent une société où rien n’empêche que les salariés travaillent 15h par semaine du moment que eux continuent d’engranger des sommes considérablement supérieurs à la moyenne. Quels seraient les mécanismes laissant suggérer que ces salariés plein de temps libre deviendraient de dangereux rebelles ? Après tout le passage à des semaines de travail salarié dépassant allègrement les 80h hebdomadaires à des semaines de 48h n’a pas rendu la situation plus explosive pour le capital. Le productivisme a tout de même permis d’accéder peu à peu à la revendication de travailler moins sans que cela n’ampute le pouvoir d’achat des travailleurs et sans rogner les profits, du moins pas en valeur absolue. Si on prend les exemples des pays ayant réduit le temps de travail durant les dernières décennies à des niveaux encore inférieurs, comme beaucoup de pays occidentaux, ils semblent que politiquement ils ont eu de plus en plus tendance à s’articuler autour de deux pôles de centre-gauche et de centre-droit pratiquant peu ou proue la même politique néolibérale. Le courant protestataire qui voit plus une alternative à cette politique du côté de l’extrême-droite que de l’extrême-gauche, traduit moins un rejet de la capacité productive induite par le néolibéralisme que de son mode de répartition. Ce n’est pas tant le système qui rebute que la désagréable impression d’être déclassé dans ce système. En France le passage aux 35h semble avoir plus participé aux gains de productivité qu’à l’éclosion d’un nouvel élan protestataire. On peut bien sûr objecter que les barrages systématiques qu’érige le patronat à la moindre évocation de baisse du temps de travail est une preuve de sa phobie du temps libre. Mais est-ce vraiment dans l’idée que l’on est descendu au plancher de ce que le patronat peut admettre comme temps consacré au travail, ou une position classique qui traduit la crainte d’un instant T relative au partage de la valeur ajoutée et aux coûts induits par la réorganisation ? Ce que le système dans son ensemble peut se permettre n’est pas la représentation exacte de ce que les capitalistes peuvent se permettre dans leur schéma concurrentiel. Les dispositions législatives d’un pays s’imposent à ceux qui mettent en œuvre un capital et exploitent une force de travail dans ce pays alors qu’ils sont en concurrence avec des capitalistes qui n’ont pas les mêmes contraintes ou du moins pas au même moment.

L’idée de Graeber laisserait donc entendre que le capitalisme n’œuvre pas tant à développer la concurrence qu’à produire collectivement une forme de système qui vise à ralentir le progrès humain que peut engendrer un moindre investissement dans des tâches trop spécialisées pour donner de l’épanouissement par le travail ; ceci étant donc aussi valable pour des métiers qu’on ne peut pas classer parmi les métiers à la con parce que la nécessité de leur existence est évidente. Il y a quelque chose de séduisant là-dedans, du moins pour moi qui aie tendance à croire à la dynamique globale du système, mais je ne peux guère m’empêcher de voir aussi les choses par le prisme de la microéconomie. Si un métier est inutile, à quel moment l’entreprise qui initie sa mise en place est en mesure de devenir un modèle pour les autres ? J’imagine que le livre de Graeber éclaire cette question mais la réponse ne s’impose pas d’elle-même. Peut-on considérer que les contremaîtres ne font qu’induire un coût supplémentaire puisque les employés qu’ils surveillent sont parfaitement autonomes ? Qu’ils soient tout à fait en mesure de faire la tâche qui leur incombe sans l’aide de personne ne signifie pas qu’ils aient envie de le faire à la cadence qui sied à leur employeur. Les cadences infernales dans le cadre du salariat existent aussi sûrement que les tire-au-flanc. Fallait-il s’attendre à ce que le patronat laisse les choses aller d’elles-mêmes et se régler comme dans une cellule familiale où le bon vouloir des personnes ne rechignant pas aux tâches ménagères compense la léthargie de ceux qu’il faut toujours rappeler aux règles minimales de la vie en commun ? L’aurait-il fait s’il avait envisagé un instant que le coût des contremaîtres dépasserait les gains de la coercition ? Il fut un temps où la productivité du travail était sans doute plus largement mesurable, ne serait-ce que parce que les secteurs primaires et secondaires s’y prêtent mieux. A l’usine de nombreux métiers auraient pu traiter le problème des tire-au-flanc par la rémunération à la pièce, ce qui s’est fait sans devenir le modèle universel d’organisation. Chaque personne qui, dans le cadre d’une activité, s’est entendu du dire, devant un trop plein d’entrain : « Doucement ! On n’est pas à la pièce ! » a parfaitement compris de quoi il s’agissait. Le contremaître n’a donc pas vocation à surveiller seulement les tire-au-flanc mais aussi à s’assurer que les standards de production tendent vers le maximum possible. On peut difficilement penser que leur rentabilité au regard du prix qu’on les paye soit simplement nulle et qu’ils aient un métier inutile. Il n’est en tout cas pas inutile pour le capitaliste, il ne l’est pas pour la productivité, et si cette productivité a fini par aboutir non seulement à l’abondance mais également au processus progressif de réduction du temps de travail, il devient difficile de soutenir qu’il a uniquement servi à occuper ceux qui occupent ce genre de poste, ou plus exactement à gonfler artificiellement le temps global que la société consacre au travail.

Dans les résumés de la théorie de Graeber on trouve l’idée qu’un salarié occupant un métier à la con n’est pas lui-même en mesure de justifier l’existence de ce métier. Mais la méthode empirique capable de cibler réellement de tels métiers consisterait à imaginer qu’on les supprime tout simplement, ou que les titulaires des postes aillent à la pêche au lieu d’aller au travail, si la société continue de fonctionner bon an mal an sans ces métiers, c’est qu’ils ne servent à rien ! Le confinement pourrait paraître être un terrain d’expérimentation merveilleux pour tester cette hypothèse mais ça ne marche pas ! Il est simplement impossible de définir précisément un bullshit job quand des entreprises entières sont presque à l’arrêt. Ce n’est que quand un secteur tourne à plein et en supposant qu’on puisse laisser certains types d’employés chez eux sans que personne dans les entreprises ne récupèrent leur charge de travail, qu’on pourrait cibler précisément le nombre de vrais bullshit jobs. Si un employé prend un an de congé sabbatique et revient sans que personne n’ait ouvert l’un de ses dossiers et sans que cela n’impacte le moins du monde la marche de l’entreprise, il peut suspecter d’avoir un travail inutile ou plus sûrement d’avoir été placardisé. Mais j’ai du mal à penser que beaucoup d’employés se sentent réellement inutiles, c’est même là le vrai problème, le système dans son ensemble n’a sûrement pas l’efficacité qu’on lui prête, la tendance à l’enflure bureaucratique me semble assez pertinente et les données technologiques permettraient sans doute de faire mieux à l’aide de moins de travail, mais le système et les acteurs qui le composent sont deux choses différentes. S’il y avait tant de gens que ça aptes à s’interroger sur l’utilité de leur travail, et surtout l’utilité pour eux-mêmes, le système serait probablement plus remis en question qu’il ne l’est.

Dans un pur processus de production et de distribution le premier aspirateur d’heures de travail qui me semble globalement parasitaire, c’est le marketing. La débauche de moyens et de ressources financières dédiées à la publicité laisse penser qu’un système capable de s’en passer libérerait un nombre conséquent d’heures de travail. A chaque fois que j’ai mis en doute l’utilité globale du marketing dès lors qu’il s’agit de mesurer les choses en termes de bien-être, je me suis entendu répondre des choses frisant la naïve évidence : « Il faut bien que les entreprises fassent leur publicité ! » Eh bien supposons dès-lors qu’elle soit totalement encadrée et qu’une instance internationale soit en mesure de limiter les dépenses publicitaires (au sens large) à 1 % du chiffre d’affaire des entreprises. Supposons que cette mesure rentre demain en vigueur donc avec les poids respectifs actuels de toutes les entreprises du monde. Est-ce que cela bouleverserait l’ordre des choses ? Est-ce que les gens n’auraient soudainement plus accès à la connaissance de la date de sortie du prochain iPhone ? Est-ce que les gens ignoreraient que Amazon, grâce à ses algorithmes, ses idées sur le bien-être en général et celui de ses employés en particulier, peut leur permettre de bénéficier de prix substantiellement plus bas que le magasin du quartier ? Je ne crois pas. Certes il est possible que le recul de l’exposition médiatique de ceux qui envahissent tous les espaces, alors qu’ils sont déjà en position de membres incontournables d’oligopoles internationaux, puisse laisser un peu de place à d’autres. Et alors ? Quelqu’un en dehors d’eux aurait quelque chose à y perdre ? Oui sans doute, à commencer par ceux qui exercent des métiers grassement rémunérés en lien avec la publicité, ceux qui la font bien sûr, et ceux qui en vivent indirectement tels les footballeurs professionnels. Et qu’est-ce que le gros des humains aura perdu quand des footballeurs qui gagnaient 1 million par an n’en gagneront que 100.000 ? Les matchs de football perdront-ils leur intérêt ? Aucune raison de le croire. Le marketing n’est pourtant pas une invention du capitalisme visant à obliger les gens à continuer à travailler 40h par semaine, ce n’est que l’un des éléments de la puissance en environnement concurrentiel. Et en ce sens les professionnels du marketing, qui ne semblent pas être les parents pauvres du système puisque leurs compétences sont recherchées, se sentent parfaitement utiles et aucunement placés à des postes à la con. Si vous les confiniez tous durant de longs mois sans possibilité de télétravail cela n’aurait pratiquement aucune conséquence sur la production de biens (si l’on omet le fait que le design et le marketing peuvent être le fait de mêmes personnes) et leur vente n’en serait que très faiblement perturbée, du moins cette perturbation ne semblerait pas de nature à faire descendre le niveau de bien-être global. A priori, côté consommateurs, seuls les publivores patentés pourraient se plaindre d’un monde avec moins de publicités et de films sans coupures. En ce sens si je réfléchis à un secteur qui s’apparenterait à un secteur à la con, celui du marketing et l’un des premiers qui me vient en tête. Et pourtant, dans la classification des bullshit jobs de Graeber, il n’y a rien d’évident à l’idée d’y retrouver les métiers du marketing, métiers qui, à bien des égards, pourraient s’avérer souvent plus dignes d’intérêt que la moyenne. A peine peut-on s’accorder pour dire que dans sa globalité le secteur a une dimension agressive (catégorie des « sbires »). Si ses salariés ne le ressentent pas nécessairement, la quête de visibilité est, au sein de la chaîne allant de la conception à la distribution vers le consommateur final, un moment de confrontation. Pour vous en convaincre essayez de penser aux affiches des troupes du festival d’Avignon, vous en avez sûrement déjà vu quelques images, la course à la visibilité y étant totalement épique.

Il est certainement plus évident de penser la confrontation dans un métier de négociation de prix. Là, si une personne ayant quelques scrupules arrive à penser avoir un métier à la con, il est relativement aisé pour elle d’en visualiser les conséquences directes. Par exemple quelqu’un travaillant pour une centrale d’achat toute puissante peut difficilement ignorer les conséquences que peut avoir le rabais d’un centime supplémentaire obtenu sur chaque kilo de pommes acheté. Il peut en aller de même pour ceux chargés de faire appliquer des règlements abscons, des normes de plus en plus complexes dont on comprend bien que la finalité n’est pas un accroissement de bien-être global supplémentaire mais une opération d’accaparement des profits par les acteurs en position dominante. Cela ne fait pas pour autant de ces métiers des bullshit jobs dans l’absolu et il n’y a pas de raison d’imaginer qu’ils soient volontairement imaginés pour occuper le peuple afin de préserver le capitalisme du danger du temps libre. Notre raisonnement semble quelque peu dans l’impasse, il ne paraît pas pertinent de rejeter complètement le constat de Graeber pour traiter du capitalisme en général mais on a du mal à trouver une justification pour qu’une entreprise en univers concurrentiel s’embarrasse de faux emplois, surtout grassement rémunérés. Peut-être faut-il s’interroger sur la réalité profonde de cette concurrence. Il est assez difficile de croire que les entreprises hésitent très longtemps à se débarrasser des coûts superflus quand l’évidence s’impose d’elle-même. Quand les entreprises européennes du textile ont commencé à trouver plus avantageux d’aller produire leurs vêtements sur d’autres continents, le secteur y a perdu le gros de ses salariés, même les entreprises les plus soucieuses du devenir de leurs salariés ne pouvaient pas éviter de suivre le mouvement. En supposant que certains métiers dans ces entreprises, plus administratifs et bureaucratiques, paraissent plus difficilement délocalisables, ne pas pouvoir les soumettre à une concurrence globalisée n’empêche pas de les soumettre à la concurrence sectorielle. Pourtant lorsque l’on discute avec des amis faisant carrière dans ces métiers « administratifs », on finit toujours par entendre un mélange de discours concernant la charge de travail toujours plus grande et la fainéantise légendaire de nombreux collègues, collègues qui ne sont jamais aussi imaginatifs que quand il s’agit de s’offrir des RTT qui seraient triplement anéanties si on décomptait l’incroyable temps dédié aux pauses café et cigarette. D’ailleurs de façon générale la France, pourtant reconnue pour avoir une productivité très correcte, semble être rythmée par les pauses café et cigarette, sauf dans les postes pleinement soumis à la supervision des petits chefs en carton chargés de surveiller la mise en œuvre des idées des managers modernes, eux-mêmes chargés d’entretenir, d’améliorer et d’étendre partout où c’est possible les visions d’avenir d’Henry Ford (sans la promesse de hausse du pouvoir d’achat au bout de la chaîne). En somme, s’il était possible de dégoter à coup sûr quelqu’un qui effectue son travail sans mégoter ni se prendre pour Stakhanov, on serait probablement amené à penser que bien souvent la somme des tâches bureaucratiques pourrait être effectuée plus vite. En confiant la supervision à un kapo nazi, on n’a pas de doute sur les idées d’amélioration qui pourraient germer sous son képi. Les entreprises semblent donc avoir moins de volonté à accentuer la productivité à certains niveaux de leur organisation. Est-ce une pierre dans l’édifice de Graeber, la preuve de l’existence de métiers inutiles ? Pourquoi cette course à la maîtrise des coûts qui donne un avantage aux entreprises les plus performantes ne devrait pas être poussée au bout ? Si aucune entreprise n’a individuellement la volonté de comprimer certains coûts, est-ce parce qu’elles répondent toutes à un ordre supérieur ou parce que cela est difficile à mettre en œuvre ? Si on penche pour la seconde hypothèse alors, en place de métiers inutiles, on verra plutôt des métiers dont on peut difficilement se passer, plus difficilement délocalisables et pour lesquels le marché de l’emploi est en tension au profit des travailleurs ; donc des métiers demandant certaines compétences ou expériences recherchées.

Graeber semble suggérer que les métiers dont on n’a jamais autant vu la nécessité qu’en cette période de pandémie, tel le métier d’infirmière, sont mal rémunérés. En tout cas ils sont particulièrement soumis à la chasse aux coûts. Or le diplôme d’infirmière n’est pas par nature beaucoup plus facile que de nombreux Bac +3 qui permettent d’accéder à des postes mieux protégés. Je pense qu’il faut prendre en compte la dynamique globale des sociétés occidentales qui, depuis l’avènement du néolibéralisme, ont vu un retournement de la courbe des inégalités qui sont clairement orientées à la hausse même si c’est moins criant en Europe qu’en Amérique du Nord. Cette dynamique n’a été amortie par les gouvernements que par le truchement de la hausse de la dette publique, dette qui donne un prétexte supplémentaire à la poursuite de réformes qui finissent par renforcer la dynamique. Les métiers de pompier ou d’infirmière qui sont liés au domaine public en font les frais. Dans leur cas le transfert d’une partie de l’activité vers des structures privées venant compenser le recul du public ne semble avoir qu’un impact marginal en terme salarial ; en France, où les infirmières des structures publiques sont très mal rémunérées, la concurrence du privé ne jouera jamais puisqu’il est voué à accueillir la clientèle qui peut supporter un surcoût tandis que les politiques néolibérales ont pour objectif de comprimer les coûts du secteur public. Si le capitalisme devait employer des gens à seule fin de les rendre non-oisifs, pourquoi n’encouragerait-il pas des surnuméraires pour les métiers qui sont à la fois utiles et mal payés ? Je suis plutôt enclin à penser que de nombreux métiers bénéficient à contrario de cette dynamique globale parce que les entreprises, même sans pression syndicale, seraient soumises à un turn-over trop coûteux si elles tentaient de dégrader trop visiblement les conditions de travail ou les rémunérations. Je ne prétends pas qu’il s’agisse de positions durablement figées. Il y a sans doute peu de secteurs qui peuvent se dire totalement à l’abri d’un séisme tel que l’a vécu le commerce de détail avec l’émergence d’internet suivi du débarquement à coups de canons d’Amazon. Mais même avec de telles révolutions certains métiers peuvent plus facilement trouver à se recycler dans d’autres secteurs d’activité. Ce serait donc plus leur qualité que leur absence de qualité qui donne certains avantages à ces métiers. Les théories économiques les plus célèbres et simplistes aiment à penser les ajustements toujours très rapides. Dans la réalité il a peut-être été facile d’enlever un paysan à sa terre pour l’envoyer sur une chaîne d’assemblage, un homme ayant acquis de nombreux gestes comme s’ils étaient absolument naturels en apprendra bien deux ou trois en une journée. Mais quand il s’agit d’avoir la maîtrise de règlements, de techniques ou de logiciels spécifiques l’apprentissage est nécessairement plus long. L’image de l’hyper-spécialisation des Temps modernes reflète l’aboutissement des idées d’Adam Smith sur un bonheur globalement rattaché au volume de production. S’il était possible de maximiser la production en donnant à chaque travailleur la mission d’un seul geste à répéter inlassablement, il n’y aurait nullement besoin d’école sinon pour inculquer aux gosses le devoir de l’obéissance, à huit ans tout le monde trouverait sa place dans le monde du travail. Mais il se trouve que pour répéter un seul geste à volonté, les robots ont une efficacité tellement supérieure, qu’un humain qui aurait l’idée de rivaliser afin de sauver son travail devrait consentir à de fortes baisses de salaire à chaque nouvelle génération de robots. Les gestes simples et répétitifs sont soit robotisés, soit délocalisés tant qu’on trouve de la main d’œuvre à prix compétitif. Il y a néanmoins une différence entre le robot et l’humain robotisé, Henry Ford a songé à vendre sa Ford T à ses employés mais pas aux machines qui les accompagnaient dans leur tâche. Fondamentalement le problème reste entier. On pourrait dès lors vraiment envisager que la robotisation oblige le capitalisme à compenser les heures de travail économisées par les gains de productivité, et donc qu’il le fait de manière réfléchie. Je préfère voir la robotisation sous l’angle des nouveaux besoins en travail humain qu’elle amène, au niveau de sa conception et sa mise en œuvre, mais plus encore au niveau de tout ce qu’elle induit en terme de réorganisation des échanges. Si l’on veut bien considérer que le numérique est à bien des égards l’axe principal de la robotisation, on saisit la nature des nouvelles spécialisations. A priori on pourrait penser que la délocalisation est une manière de lutter contre la robotisation, tant qu’il existe des humains bon marché, l’investissement en machines est moins immédiatement compétitif. Historiquement on voit pourtant que cela participe d’un même mouvement, est-ce de l’eau au moulin de Graeber ? La délocalisation n’est-elle qu’une simple quête de nouveaux débouchés par l’intégration de nouveaux humains dans le contrat capitaliste : échange d’heures de travail contre une part des objets qui en résultent ? Je crois que la coïncidence de tout ceci n’est pas pensée, le niveau de globalisation a été rendu possible par le progrès technique et en premier lieu par le développement numérique et les réseaux de télécommunications. Ce n’est pas parce que des chinois à qui on a confié la tâche de fabriquer nos jeans s’en sont finalement trouvés trop bien payés pour que cela dure éternellement, que ce processus sera répété infiniment de proche en proche dans les pays où les salaires sont à la traîne. Certes cela semble être toujours le cas, mais dans quel domaine pensez-vous qu’aucun ingénieur ne se creuse les méninges pour mettre plus efficacement un robot là où il y a actuellement un humain, même mal payé ? Le frein à cela existe sans doute aussi : un monde fini ! Si les robots n’achètent pas encore leur propre voiture, ils sont particulièrement gourmands en ressources dont certaines seront très vite en grave tension.

En attendant le progrès technique est à la fois fruit du savoir et générateur de spécialistes en savoir. Isaac Newton avait sûrement su engrangé dans son brillant esprit une part importante des connaissances humaines sur la physique de son temps. Quel physicien peut en prétendre autant à l’heure actuelle ? Il y en sans doute des gens aussi brillants que Newton mais ils doivent faire des choix de carrière pour faire à leur tour avancer la science, ils se spécialisent. Et si les cerveaux qui ont tendance à fonctionner bien mieux que la moyenne pour ce genre d’applications en sont arrivés à devoir renoncer à plus « d’universalité », il en va de même pour beaucoup d’autres chacun à son niveau. Donc la masse des connaissances humaines est devenue si gigantesque qu’elle participe à un mouvement étrange : chacun doit se spécialiser selon ses compétences (comme l’avait suggéré Adam Smith) ou plus sûrement selon celles qu’on lui prête, mais ces compétences peuvent moins qu’avant se réduire à la maîtrise de quelques gestes. La masse des connaissances oblige donc à la spécialisation mais rend moins utiles les spécialisations rudimentaires. La technique a rendu possible la globalisation mais celle-ci, au-delà de la mise en branle d’une débauche de moyens physiques qui ont modelé la face du monde, a nécessité la confrontation de systèmes nationaux et internationaux et cette confrontation, loin de simplifier les codes et les réglementations, aboutit à empiler les textes. Un empilement qui apporte peu à la grandeur de l’humanité mais demande là aussi des gens suffisamment spécialistes pour y comprendre quelque chose et donc des aptitudes non rudimentaires. Puisque ce qui n’est pas rudimentaire suppose un apprentissage, en univers capitaliste nous sommes ramenés à une logique de coûts, d’offre et de demande, et de valeur ajoutée.

Certains métiers dont l’utilité pour la marche de l’humanité peut tout à fait paraître douteuse, sont utiles à des intérêts particuliers. Vous pouvez être d’une intelligence des plus normales mais avoir la maîtrise de connaissances qui vous donne un avantage dans les négociations apte à vous situer au-dessus de la moyenne en terme de conditions et rémunérations. Potentiellement vous pourriez avoir l’air de faire partie de ces gens qui ne forcent pas plus que ça au travail, cela ne signifiera pas que vous êtes inutiles, au contraire, mais cela ne durera peut-être pas tout le temps. Les ajustements à faire en terme de formation paraissent de plus en plus difficiles à prévoir. Certaines personnes peuvent se sentir très heureuses d’avoir choisi un BTS il y a dix ans, puis d’avoir intégré une entreprise qui leur a donné la maîtrise de techniques qui se sont bien répandues, mais cela ne signifie pas qu’il y a dix ans cette perspective avait été parfaitement ciblée par les personnes censées mettre en phase l’éducation avec les besoins de l’économie. Ne peut-on pas voir dans la floraison de nouveaux « métiers », généralement affublés de noms faisant honneur à la ridicule déferlante des anglicismes les plus idiots, des formes de niches qui correspondent aux besoins de moment, besoins qui ne seront peut-être pas ceux de dans 20 ans. Tout n’est pas qu’une question de chance car malgré tout, lorsque l’on tente de voir à quoi ressemblent ces nouveaux métiers aux noms à coucher dehors, ceux qui embauchent à des niveaux supérieurs à 50.000 euros annuels, n’ont tout de même pas l’air d’être intellectuellement accessibles à n’importe qui. Il reste des individus qu’on paie pour leurs compétences parce qu’ils font partie de la frange de la population capable de les acquérir.

Une fois de plus, mon analyse, juste ou fausse, ne m’a pas permis de donner beaucoup de crédit à Graeber. Suivons une autre piste qui devrait donner de meilleurs résultats. Graeber a sûrement été soumis comme moi à l’idée qui transpire dans la littérature en générale et aussi dans la littérature économique la plus irrévérencieuse, que des incompétents notoires ont occupés et occupent encore des postes à des niveaux totalement déphasés de leurs aptitudes réelles, elles-mêmes, de l’avis de ceux qui les ont rencontrés, très limitées. Mais comment est-ce donc possible ? Si vous vous appelez George. W Bush vous avez beaucoup plus de chances de devenir président des États-Unis que n’importe qu’elle personne ayant le même niveau que vous, n’est-ce pas ? Simplement parce que votre père et presque homonyme l’a été avant vous. Eh bien prenez tout ce que l’Amérique compte de postes importants, c’est peu ou proue la même chose. Bien sûr si vous vous appelez George. W Bush vous n’avez pas le cerveau ficelé pour créer Apple. Mais diriger Apple à la seconde génération ou au moins avoir votre strapontin au conseil d’administration, ça c’est possible ! Dans les universités américaines on trouve des sportifs de très haut-niveau qui faisaient pâle figure en terme de résultats scolaires au lycée, le niveau sportif suffira à avoir un diplôme universitaire pour la forme. Tout le monde le reconnaît mais les plus honnêtes savent aussi reconnaître que dans les grandes universités américaines, on trouve des « fils de » pour l’intégration de qui on ne s’est pas imposé un comparatif forcené avec d’autres lycéens plus anonymes. La France se veut sans doute moins clientéliste, mais croire que ces petits arrangements entre amis n’existent pas chez nous serait avoir une très haute opinion de nous-mêmes. Soyons réalistes, le clientélisme est partout ! On serait presque tenté de dire : « C’est heureux ! » Qui souhaiterait réellement vivre dans un monde assez froid pour tout juger sur la base de tests élaborés à l’aide d’algorithmes ? Même si ce monde-là avance au pas de charge, une société où il y a aussi des choix faits par affinités ou compassion n’est pas critiquable en soi, tout dépend de là où l’on place le curseur. L’exemple des familles dont les noms sont récurrents dans les listes électorales américaines montre un cas où le curseur n’est vraiment pas à sa place. Tout comme vous n’êtes pas tenue d’embaucher votre époux à un poste municipal bidon si vous venez d’être élue mairesse de votre ville. Il y a des tonnes d’exemples comme cela où l’on entre de plain-pied dans l’abus de pouvoir voire le délit de corruption. Et évidemment, à la marge, il y a le clientélisme que certains jugeront acceptables et d’autres non, les premiers ne diront pas « clientélisme » mais « coup de main ». Le coup de main semble assez évident si quelqu’un, dont le fils ne s’en sort pas à l’école et commence à avoir de mauvaises fréquentations, va voir un patron qu’il connaît ou un décisionnaire dans les ressources humaines pour lui demander s’il ne pourrait pas l’embaucher. « On va lui trouver quelque chose ! » J’ai vu des films avec des scènes similaires, parfois ça finissait mal. Ce petit coup de main compréhensible à une personne ayant du mal à trouver sa place dans la société le serait sans doute moins pour une personne n’ayant aucune difficulté. Dans ses ouvrages, l’une des notions chères à Graeber est le communisme des riches, ce qui correspond à la manière dont ceux qui se considèrent comme appartenant à une même élite savent s’entraider pour se maintenir en haut de l’échelle sociale. Réseaux, carnets d’adresse, clubs, il ne s’agit pas simplement d’une manière d’occuper son temps libre ou de privilégier certaines options dans la conduite des affaires entre individus à succès qui se connaissent. C’est plus que cela, donc du clientélisme, quand on est en capacité d’offrir à une personne une position qui ne serait pas la sienne avec une pure concurrence basée sur des critères de « rationalité économique » (pour autant que cela veuille dire quelque chose). Il est aussi vrai que le cinéma regorge d’histoires de riches tombés très facilement en disgrâce et auxquels les amis tournent le dos. Des évocations d’un monde sans pitié qui ne paraissent pas représenter des situations très répandues. Indéniablement, si vous avez la maîtrise des codes de la bonne société, et la meilleure façon de l’avoir est encore d’être tombé dans la potion pratique étant petit, il y a de bonnes chances que les portes ne se ferment pas devant vous même si vous n’êtes pas le plus brillant de votre lignée.

Dès lors que l’on suppose que la solidarité est une pratique répandue chez les riches et que tous les individus en position d’offrir certains avantages aux personnes de leur choix peuvent humainement considérer qu’il n’y a rien d’amoral à cela, on en conclut que des décisions économiques ne répondent pas simplement à l’analyse des informations envoyées par le marché. Cela remet donc en cause l’idée que la concurrence joue à plein mais nous retombons sur le problème qui va finir par nous servir de fil conducteur : comment les entreprises qui s’handicapent par trop de pratique clientéliste peuvent résister à la concurrence de celles qui se contentent de faire les choix les plus rationnels ? La réponse s’impose d’elle-même : le clientélisme est tout à fait rationnel ! C’est la raison pour laquelle les économistes qui tentent de considérer l’économie comme une science exacte, en général dans l’unique but de valider les théories néolibérales, ne peuvent prêcher qu’auprès de convertis. Ceux-là n’ont de cesse de clamer qu’il faut toujours laisser jouer les mécanismes du marché, par exemple ils considèrent que lorsque les syndicats se battent contre les compressions salariales, cela empêche le marché d’ajuster les salaires au niveau du plein emploi. Donc il considèrent qu’il est rationnel pour un employeur de fournir plus de postes quand les salaires sont plus bas, mais ils refusent de considérer comme rationnel le fait pour les salariés de défendre leur niveau de salaire. Tous les comportements humains sont rationnels tant qu’on admet qu’ils ne sont pas le fait de fous irresponsables de leurs actes. Continuer à acheter des actions qui montent en flèche en sachant que la bulle va finir par éclater est tout à fait rationnel tant qu’on a l’espoir de revendre les siennes avant que cela arrive réellement. Celui qui n’a pas le temps de le faire passe pour un gogo, celui qui le fait 15 jours trop tôt a quelques regrets, mais celui qui le fait, par pur hasard, juste avant l’éclatement, est un génie de la finance ! La pratique clientéliste est tout autant rationnelle même quand celle-ci ne consiste qu’à placer quelqu’un à un poste qui serait mieux occupé par un autre ou n’a même pas lieu d’être. Il y a quelque chose à en tirer et il est même tout à fait possible qu’une entreprise qui se voudrait en tout point étrangère à de telles pratiques soit celle qui s’handicape la plus, le clientélisme c’est peut-être d’abord la meilleure façon de s’assurer des clients.

Plus globalement on peut considérer que les milieux d’affaires ne sont pas uniquement des milieux dirigés par la maximisation d’un profit qui sert à acheter des biens dans une logique de maximisation du bonheur matériel. Ce sont aussi des milieux où la frontière entre la vie privée et le monde du travail n’existe pas vraiment. Les conditions de travail y sont donc largement assimilables à un mode de vie. Même si une personne trouvait au fond d’une caverne où l’on ne peut accéder qu’en rampant, un filon d’or si producteur qu’y passer 18h par jour à suer et maltraiter son corps lui assurait de devenir milliardaire, il est assez peu probable qu’elle garde ce filon secret à seule fin d’empocher tout l’argent de la vente ! Non, elle paierait quelqu’un pour le faire à sa place, s’il le faut pour un bon salaire et si possible pour une bouchée de pain. Le travail d’un homme d’affaire qui a réussi peut consister à être actif 18h par jour, mais dans ces 18h il y a quelques chances que certaines se passent autour d’un repas dans un grand restaurant ou toute chose qui fait la différence entre un gentleman en société et un orpailleur en permanence crasseux et détrempé. A chaque niveau de la société les gens sont amenés à rencontrer leurs alter-égaux et il est évident que tout ne peut pas y être vu comme une guerre de chacun contre tous les autres. A chaque niveau il y a un intérêt commun à ce que ce niveau conserve ou obtienne ce qu’il pense être utile à son mode de vie. De nombreuses observateurs ont analysé l’époque néolibérale comme le résultat d’une alliance informelle entre les détenteurs de capitaux et les cadres de haut niveau qui, en tant que décideurs, auraient orienté les politiques vers des choix souvent douloureux pour les classes populaires et très avantageux pour eux-mêmes. Je crois que cette analyse reflète largement la réalité mais je ne considère pas qu’il faille simplement découper la société en deux avec les grands gagnants d’un côté et tous les autres de l’autre. Tous les cadres de haut niveau n’ont pas des familles dont tous les membres peuvent espérer la même réussite. Mais comme tout le monde les cadres de haut niveau sont aussi sensibles au bonheur de leurs proches. Prendre des décisions qui seraient ressenties comme négatives par toutes les strates de la société hormis les décideurs eux-mêmes est pratiquement impossible, même au nom d’un logique concurrentielle qui n’existe que dans la tête des fanatiques du libre-marché. Il faut un niveau intermédiaire suffisamment englobant pour que toute famille ayant quelque fortune puisse y abriter le gros de ses troupes. Ce n’est pas un contrat écrit, cela s’impose. Et ce n’est possible que parce que les décideurs, pour la plupart, ne font pas des choix toujours téléguidés par d’évidents calculs comptables, le « clientélisme » et le retour d’ascenseur participent au mode de vie de ceux qui ont le pouvoir, de leurs proches et donc de ceux qui ont professionnellement quelque chose en commun avec eux.

Pour que ce que je viens d’évoquer puisse apparaître comme une explication plausible de la réalité, il me semble honnête de ne pas occulter la complainte grandissante de nombre de nos concitoyens et qui concerne aussi bien les empêchés des pauses café et cigarette que ceux qui ont encore de larges latitudes pour s’y adonner : la multiplication des systèmes d’évaluation. Tous les départements de ressources humaines enrobent la cacahuète de chocolat et présentent l’évaluation sous l’angle des avantages mutuels que l’entreprise et le salarié en retirent. Assez bizarrement, plus il y a de machines et plus on parle de capital humain. Là où on identifie réellement un « département des ressources humaines » il est assez probable que quelqu’un croie utile, non seulement de mettre en place un système d’évaluation mais surtout de faire évoluer régulièrement ce système selon les tendances du moment, donc en lorgnant du côté de toutes les trouvailles de boites de développement humain et informatique spécialisées dans l’invention de choses superflues mais qu’il faut bien vendre. Il est à craindre qu’on ne soit qu’au début d’une déferlante dont le dernier mot est censé revenir aux neurosciences. Et on dirait que là on touche quelque chose qui nous rapproche réellement de Graeber. Si on commençait par demander aux salariés d’évaluer les systèmes d’évaluation, de ce qui me revient aux oreilles, j’ai tendance à penser que nombreux y verraient de l’argent jeté par les fenêtres, en tout cas ils auraient quelques difficultés à relever en quoi cela tend à leur donner des chances d’évoluer au sein de l’entreprise. Même si cela doit arriver occasionnellement, je n’ai jamais entendu quelqu’un parler du talent caché qu’on aurait découvert chez lui par une évaluation d’entreprise et que son employeur s’est empressé de mettre à profit ; en général les entretiens d’embauches ont largement défriché le terrain et quand ce n’est pas le cas, l’anomalie devient plus souvent gênante que perçue comme une aubaine. Si à une simple évaluation par un entretien individuel se surajoute quantité d’audits internes que certains métiers subissent régulièrement, d’autres externes plus ou moins pilotées de l’intérieur et toutes les procédures de surveillances facilitées et encouragées par l’innovation technologique, on peut penser que certains salariés embrassent totalement les idées de Graeber. Par contre ils doivent avoir quelque difficulté à savoir si tout cela émane de faire-valoir, sbires, sparadrap, coche-case ou petits chefs en carton. J’ai un neveu qui m’a dit avoir été amené, lors d’un simple job d’été de deux mois, à signer des fiches qui validaient son parcours initiatique, à savoir sa maîtrise de l’art de passer la balayette et de vérifier l’état des toilettes toutes les 20 minutes. Apparemment l’employeur recevait une petite gratification de l’État pour chaque fiche validée et signée au titre de la formation professionnelle, sans préjudice de ses allégements de charges patronales glanés par son obstination à payer ses employés au smic, preuve qu’il embauchait des gens ayant absolument besoin de ce genre d’emploi non délocalisable mais sûrement robotisable. Je précise que mon neveu est désormais en doctorat. Les systèmes d’évaluation dans l’entreprise semblent être assez souvent l’une de ces supercheries que le monde du travail promeut pour s’assurer une obéissance consentie. Dans l’entreprise comme en politique la manipulation la plus facile à démasquer est celle qui s’exprime dans des phrases toutes faites comme : « Il faut sortir de votre zone de confort ! » ou encore « Vous avez peur du changement ! ». La première fois qu’une personne entrée récemment sur le marché du travail entend ça, elle peut se sentir impressionnée devant ce savant mélange d’autorité et de bon sens. « Bon sang ! Tout cela sonne juste ! Il faut aller de l’avant ! Je dois me remettre en question ! » Quand les formules auront fait retour deux ou trois fois, elle pensera peut-être que c’est son tour de lire « Le grand guide du petit chef en carton », un livre vraiment rigolo. « Chers caissiers, chères caissières, si nous mettons aujourd’hui des caisses automatiques ce n’est pas pour vous remplacer mais vous soulager ! Ceux et celles qui s’inquiètent sont juste d’un naturel à avoir peur du changement ! » Devinez quoi, hormis quelques esprits aventuriers qui ne vivent que pour connaître de nouvelles expériences, la majorité des humains a peur du changement. Il suffit de trouver le changement apte à faire peur. Par exemple le chef d’entreprise qui remplace ses caissières par des automates aura peur du changement avant qu’il n’advienne si demain 60 % de la population décide de voter pour le NPA ! Ne cherchez pas plus loin, même s’il n’est pas inutile de se remettre en question, tous les gens qui durant votre vie vous conseilleront de le faire n’ont nullement l’intention de SE remettre en question. La façon la plus aisée de s’adapter au monde c’est d’ordonner au monde de devenir ce que vous souhaitez qu’il soit.

L’efficacité de toutes ces opérations n’a pas réellement besoin d’être démontrée, du moins personne ne cherche vraiment à le faire de peur de se confronter à des résultats dramatiquement décevants. Alors effectivement on peut commencer à donner du crédit à Graeber avant même d’avoir lu son livre parce que cette idée de faire comme les autres est une idée plus puissante qu’il n’y paraît de prime abord. Si ce n’est pas un gage de performance ce n’est pas totalement inutile, dans l’opération quelqu’un aura gagné quelque chose, parfois même ce quelqu’un aura une forme juridique avec un sigle bizarre mais tout le monde saura, car il le clame sur tous les toits, qu’il est une START-UP ! Magnifique ! Quand une start-up vient sonner à la porte de votre entreprise, il n’est pas facile de vous contenter d’opposer une fin de non-recevoir, et si vous aviez chassé la poule aux œufs d’or ? Le monde bouge si vite, y a tant de choses qui étaient à la mode hier et seront déclassées demain ! La prudence impose… Quoi au juste ? Ah oui ! La prudence impose la prudence ! Mais… Non ! Je choisis l’audace ! En tant que numéro 2 on va faire l’inverse de numéro 1 pour lui passer devant ! « Chef ! Numéro 3 a emboîté le pas de numéro 1 ! » « Oh ? Ben… La prudence impose de suivre la tendance ! Faisons juste en sorte que ça ne nous coûte pas beaucoup plus cher qu’à numéro 1 ! » Le phénomène du mimétisme (ou à contrario de la prise de risque) qui demande de faire appel à des services qui ont peu de chance de rajouter à la déjà trop énorme somme de bien-être humain que le néolibéralisme a engendré, n’est donc pas un phénomène dénué de sens. Par contre, là encore, ce n’est pas tant un besoin de mettre les gens artificiellement au travail qui domine, il s’agirait plutôt de gens qui veulent à tout prix vous vendre leur travail, si possible à prix cher. Parmi eux on trouve une flopée de gens au solide bagage technique, surtout dans les nouvelles technologies, mais dont l’imagination, assez souvent sommaire, ne peut guère les mener ailleurs que sur les chemins balisés du néolibéralisme et son aboutissement, ce qu’au Coincoin du coin on appelle le néofascisme numérique. A contrario ceux qui ont tout autant de bagage technique et entendent lutter contre ça ont peu de chance de faire fortune. En tout cas sûrement moins que le type qui aura vendu à votre patron le moyen de savoir où vous vous trouvez précisément à n’importe quel moment de votre journée de travail, la vitesse moyenne du déplacement de vos bras, vos jambes ou vos yeux, etc. Difficile de clore ce passage sans évoquer la grande famille des consultants et formateurs. Là aussi l’effet de mode opère largement, le mimétisme s’écoulant de bas en haut. Je connais personnellement plusieurs personnes qui, après des années de bons et loyaux services dans de très grosses firmes, les ont quittées pour se transformer en consultants ou formateurs dans de petites entreprises qu’ils avaient parfois créées eux-mêmes. Qu’avaient-ils à vendre ou enseigner ? Les processus à l’œuvre dans la grande firme ! Il n’y a rien d’étonnant dès lors, qu’en s’agrandissant la boulangerie du coin ait l’air de s’être réorganisée comme un fast-food !

Conseillés, consultants, formateurs, coachs, il y a sans doute matière à en trouver quelques-uns qui entrent dans les catégories de Graeber. Hors du monde de l’entreprise, donc à titre personnel, ceux qui peuvent s’en passer, immanquablement, peuvent prétendre à pouvoir faire quelques économies et donc travailler moins. Mais c’est plus sûrement parce qu’ils ont quelques économies qu’ils envisagent de les dépenser en formations ou coaching, même pour combler leur temps libre. J’en reste donc à mon idée qu’il y aurait beaucoup moins de gens inutiles que de choses inutiles produites par des personnes qui donc apparaissent inutiles voire toxiques pour l’humanité. Du moment que le coût de ces personnes est supporté de manière à peu près égale par des entreprises qui sont concurrentes les unes des autres, elles n’ont pas à être perçues comme potentiellement inefficaces par le monde des affaires, ou du moins il est difficile d’en avoir rapidement la certitude. Je rajoute un autre critère qui peut expliquer partiellement la difficulté que la théorie économique peut avoir à accepter l’idée que des entreprises ne jouent pas à fond le jeu de la concurrence en affectant des ressources à des emplois potentiellement inutiles ou trop coûteux. Pour moi le critère est encore une fois axé sur l’idée qu’un coût superflu est supportable du moment que tout le monde accepte, même sans s’en rendre compte, l’idée de le partager. Je vais revenir une fois de plus à l’Amérique du Nord où les revenus en général et les hauts revenus en particulier sont substantiellement plus élevés qu’en Europe. On entend souvent dire que les multinationales sont supranationales, avec le sous-entendu qu’elles n’ont aucun compte à rendre à une quelconque nation, ont des capitaux aux quatre coins du monde et des actionnaires qui parlent toutes les langues. C’est peut-être vrai mais je pense que c’est une grossière erreur de considérer que le nationalisme a cessé de guider la marche du monde. En particulier il apparaît évident que le nationalisme économique américain reste une donnée totalement d’actualité et qu’en ce sens il faut de nouveau relativiser ce que peut signifier concrètement la concurrence par rapport à une pure théorie de libre marché. Une part non négligeable des américains profite pleinement de la globalisation économique mais selon la World Inequality Database (WID.world) les 50 % les plus pauvres n’y ont pas gagné grand chose. Parmi les moins bien lotis les jeunes semblent voués à une stagnation durable dans un pays qui s’enrichit, autrement dit ils coûtent de moins en moins à ceux qui les embauchent. Mais il n’est sans doute pas absolument nécessaire que les entreprises se livrent entre elles une guerre sans merci pour voir si la contraction des salaires peut s’appliquer aussi à la frange un peu plus riche que la moitié pas vernie. Si chacun en occident a compris qu’on pouvait gouverner durablement avec une majorité fictive à droite économiquement et un peu plus au « centre » sociologiquement, les dernières années prouvent que la globalisation heureuse ne peut pas se permettre de laisser beaucoup plus de citoyens en chemin.

Les différences qui subsistent entre pays occidentaux peuvent aussi expliquer pourquoi Graeber semble avoir autant de mal à recueillir mon suffrage. Je vis en France et il est américain. Quoique tous ses partis de gouvernement s’y soient convertis depuis longtemps, notre pays à le libéralisme économique honteux, se sentir toujours suspectés de penchant socialiste encourage nos gouvernants et leurs soutiens médiatiques à tenter de devancer l’appel. Néanmoins le retard n’est pas fait et lorsque l’on parle d’économie libérale, on pense nécessairement aux États-unis, et même à l’Allemagne, bien avant la France. Le chômage en France est presque en tout temps réputé supérieur à celui outre-Atlantique, ce dont nos libéraux nationaux se chagrinent constamment en versant des larmes de crocodile : « La France a fait le choix du chômage ! » Il faut sous-entendre que la France refuse de laisser jouer le libre-marché et donc les mécanismes qui ramènent vers le plein emploi, mécanisme dont le ressort principal est la compression salariale. Les principaux responsables de tout cela sont les syndicats les plus réactionnaires et leur corporatisme légendaire. Il y a sans doute du vrai là-dedans mais faut-il en conclure que le bien-être individuel moyen est inférieur en France ? Le bien-être doit-il correspondre au revenu moyen ? Certainement pas ! Si pour avoir un revenu moyen supérieur il faut travailler plus, perdre son temps dans les transports, ou vivre dans une société plus violente, plus autoritaire, le jeu n’en vaut certainement pas la chandelle pour une part conséquente de la population. Au moins le moindre chômage dans les pays plus libéraux est-il la marque d’une supériorité économique ? On peut aussi y voir une nécessité. Il est absolument nécessaire que l’ultra-libéralisme démontre sa capacité à donner du travail, sinon, que lui resterait-il par rapport à un modèle plus social où la base de la pyramide s’en sort indéniablement mieux ? Quelques points de chômage en moins, mais du chômage moins indemnisé, des chômeurs sans couverture sociale et surtout une masse considérable de travailleurs pauvres. En terme de corporatisme syndical, l’Allemagne n’a rien à envier à la France, ses syndicats sectoriels y sont notoirement plus puissants que leurs homologues français, du moins dans les secteurs les plus concentrés, ailleurs, assez souvent, personne ne veut ni n’est en mesure d’y défendre les intérêts des travailleurs. Raison pour laquelle il y a certains métiers qu’il vaut mieux pratiquer en France qu’en Allemagne et inversement. La théorie libérale ne s’en cache pas, des bas salaires encourageraient les employeurs à augmenter le nombre de postes des métiers concernés ; savoir si ces métiers sont utiles en nombre supérieur est une autre histoire. Or si ces métiers ne sont pas réellement utiles, en quoi leur productivité importe ? Peut-être bien en rien ! J’ai une assez bonne mémoire de deux reportages qui m’ont frappé il y a de cela quelques années, sans grand rapport l’un avec l’autre d’ailleurs. Le premier traitait spécifiquement des travailleurs pauvres aux États-unis, on y suivait des personnes le plus souvent issues des minorités, parfois semblant avoir dépassé l’âge de la retraite. L’un d’eux m’avait peiné, il consacrait un temps fou au travail, sans travailler plus que ça d’ailleurs, il embauchait dans trois endroits différents en tant qu’agent de surface, d’abord à un bout de la ville, aux aurores, puis il avait un long trajet en bus, travaillait de nouveau, reprenait un bus pour rentrer chez lui, dormait un peu, repartait travailler à un autre bout la ville, rentrait chez lui tardivement. Autant dire qu’il n’était pas en mesure de faire preuve d’un entrain phénoménal au travail mais cela n’avait pas l’air d’être un problème, au prix où on le payait. Dans le même ordre d’idée mais avec un reportage au sens totalement différent, consacré à exposer la grandeur d’un hôtel de luxe dans un pays du sud-est asiatique, je fus interloqué par l’invraisemblable sens du détail concernant la propreté. Le plus marquant était un employé qu’on reconnaissait comme faisant partie de la brigade de nettoyage par sa tenue de travail spécifique mais tout de même impeccable, et qui portait une petite caisse à outil dans laquelle se trouvait un nécessaire pour aller extirper la poussière et la saleté dans le moindre recoin. On le voyait attendant l’arrivée d’un ascenseur, en laisser sortir les occupants, puis y pénétrer pour y vérifier la propreté avec un luxe de précaution digne d’un horloger suisse. Absolument ridicule mais justifié très sérieusement par un responsable de l’hôtel, la moindre trace n’étant pas admissible. On comprendra aisément que le caractère de productivité n’entrait pas en ligne de compte à cet instant et au demeurant cet employé était peut-être mieux payé que bon nombre d’agents de surface, le documentaire ne le disait pas. A travers ces deux reportages, deux logiques différentes d’un même monde n’entrant pas exactement en résonance avec les catégories de Graeber mais donnant pourtant des pistes sur la manière de mettre en œuvre un travail inutile au bien-être global.

Dans le monde anglo-saxon l’affirmation qu’il n’y a pas de sot métier est réputée mieux ancrée dans la réalité par le jugement qu’on en a réellement. Les métiers en bas de l’échelle y sont supposés mieux considéré qu’en France, pas mieux rémunérés pour autant. J’ignore si c’est réellement le cas mais il est possible qu’une plus grande part de la population ait été amenée un jour ou l’autre à occuper un poste subalterne, ce qui pousserait à une plus grande capacité d’empathie. Cela n’est probablement pas lié à une plus grande mixité sociale. Le coût des études a pu faire que le travail des adolescents et des étudiants au sein des classes moyennes y soit historiquement plus répandu. Ou peut-être est-il simplement vrai que les français ont une trop haute opinion d’eux-mêmes. En attendant le système plus redistributif des français offre un meilleur rempart aux situations telle celle vécue par notre vieil homme fatigué sur son balais. Individuellement, chacun de ses employeurs pourrait préférer avoir un travailleur moins fatigué et plus performant. Si cette situation perdure peut-être que la performance devient secondaire vu le coût horaire réel ; la société dans son ensemble se serait habituée à ce faux rythme pour certains métiers. Ce que j’ai écrit au début de ce paragraphe n’est peut-être simplement qu’un leurre ou une légende. N’est-il pas finalement déculpabilisant pour les dominants d’imaginer les dominés comme des êtres lymphatiques et qui méritent leur place par leur incapacité chronique à faire preuve de dynamisme. Cela me rappelle certains commentaires sur les réseaux sociaux. Je tombai un jour sur une photo prise par un type dont on devinait sans peine les orientations politiques. Il avait pris uncliché d’un groupe d’ouvriers à un carrefour en travaux. Il y devait y avoir 6 ou 7 travailleurs appuyés sur les manches de leurs outils et regardant un autre creuser une tranchée à l’aide d’une pelleteuse. Le sinistre auteur du poste avait légendé la photo : « Un qui bosse et les autres qui glandent, voilà où passent les impôts des français ! » Inutile de préciser que les travailleurs étaient tous d’origine maghrébine. Aucun raciste ne se donnera jamais la peine d’embaucher une année complète sur les chantiers routiers pour savoir ce qu’il en coûte vraiment en terme d’efforts. Pas besoin non plus de réfléchir pourquoi ce genre de scènes arrivent régulièrement, la machine à besoin des humains pour l’assister et donner sa pleine mesure, mais quand elle creuse, il arrive que chacun doive se tenir à l’écart, le chantier n’est pas moins performant qu’un autre pour autant. Ce qui importait à l’auteur du post c’était plus probablement de faire taire ce qui le taraude inconsciemment : les étrangers sont avant tout venus faire le boulot que les français ne veulent pas faire, cette triste vérité est dure à admettre pour les racistes. Transformer tous les immigrés en fainéant est très déculpabilisant. Même sur les articles du Coincoin du coin j’ai vu tant de commentaires de cette veine-là, disant qu’au fond, on aurait vraiment mieux fait d’occuper ces boulots-là parce que le travail aurait été plus vite et mieux fait. Parfois certains poussent le bouchon en s’en prenant à leurs compatriotes pour avoir abandonné les métiers difficiles au profit des arabes, trahissant à demi-mot que ce sont les français les vrais fainéants. Bien sûr aucun ne laissera sa place pour prendre celle de l’immigré et aucun ne se dira que si la France est plutôt pour ses bonnes infrastructures bien entretenues, c’est sûrement que le travail y est bien réalisé. Retournons outre-Atlantique ! Les heures consacrées à certains services doivent être proportionnellement supérieures aux États-Unis en raison des amplitudes horaires réputées largement plus grandes de nombreux commerces, dont certains ne ferment jamais. Cependant, puisque il y a une immigration continuelle, notamment une bonne partie illégale en provenance du Mexique, on pourrait estimer que les employeurs gardent un moyen de pression pour mettre en concurrence les salariés afin de gagner en productivité même dans les secteurs des services les moins rémunérateurs. Il me manque actuellement trop de données sociologiques pour comprendre pourquoi cela ne semble pas être le cas. Néanmoins on peut estimer que développer trop de services ne permet pas de pousser la productivité. Par exemple un commerce ayant des horaires d’ouverture trop restreintes peut difficilement concurrencer le même type de commerce ouvert tout le temps en terme d’image de marque. Les amplitudes d’ouverture des uns poussent les autres à faire de même. Mais il n’est pas certain que cela conduise à une réduction proportionnelle du nombre de commerces, on s’attend plus à une baisse de la fréquentation horaire moyenne et il est plus difficile de gagner en productivité dans ces conditions, le taux de salaire par rapport au chiffre d’affaire est immanquablement plus bas lors des coups de feu. Prenez en France le légendaire épicier arabe et ses horaires d’ouvertures non moins légendaires, il n’y a aucune raison de croire qu’il cherche à atteindre la productivité d’un hypermarché. A certains égards les États-Unis seraient-ils une gigantesque épicerie arabe ? Notez qu’en France certains commerces ouvrant 60h par semaine nous paraissent déjà être en attente quasi-permanente du chaland et qu’en terme de productivité le capitalisme montre là une faille évidente que les géants de la vente en ligne se proposent sans doute de combler, pas de manière à nous faire rêver d’un avenir meilleur. Au fond il est possible que la qualité essentielle d’un employé d’une société de nettoyage ou d’un commerce soit moins sa productivité que sa docilité. Je crois qu’il ne faudrait jamais se contenter de comparer les taux de chômage ou du moins de ne jamais penser que le taux de chômage puisse avoir quelque chose en commun avec le nombre de demandeurs d’emploi. Ce qui compte réellement c’est le nombre d’heure travaillées par la population en âge d’être active et sa valeur ajoutée. Dans un pays qui se dit lui-même bâti sur des rapports de violence et qui compte un nombre inouï d’individus derrière les barreaux, sans doute tout autant qui n’ont aucune intention d’aller gagner quelques dollars au Mc Donald’s du coin, il faut s’intéresser à la manière dont on peut calculer réellement un taux d’emploi.

J’en profite pour faire une petite parenthèse concernant les comparatifs dont nos médias aiment nous abreuver pour nous laisser croire que nous serions en occident une des nations les plus fainéantes. Le besoin de mettre ses citoyens au travail semble d’autant moins pressant quand on est en mesure de faire travailler le reste du monde à sa place. Qui a le plus cette capacité-là ? Le pays qui émet des dollars. Pays dont on dit qu’il est aussi plus travailleur que la France et où les cinq semaines de congés payés semblent une aberration. Mais si l’on fait de simples recherches on saura aussi que les américains sont plus sportifs que les français et qu’ils sont ceux qui regardent le plus la TV au monde. Ils ont un nombre d’arènes de grandes tailles invraisemblables, elles sont souvent pleines, parfois même au cœur d’une après-midi de semaine à l’heure où aucune fédération française n’envisagerait d’organiser une compétition. Mis bout à bout on en vient au constat édifiant suivant : les journées aux États-unis ont plus de 24h !

Revenons à notre méticuleux nettoyeur asiatique ! Là aussi notre logique de petit comptable français qui, à l’aide de son manuel de finance d’entreprise, cherche à maximiser le profit de tout employeur, la dépense d’un ramasse-miettes à temps complet semble quelque peu irrationnelle. En réalité cette situation est beaucoup plus facile à analyser que celle de notre travailleur américain fatigué. Il suffit de considérer que nous ne sommes plus du tout dans une logique de production mais de consommation. Sans même considérer que les femmes de ménage d’un hôtel de luxe ne puissent pas être soumises à la pression d’un nombre de chambres à faire toujours plus grand, cela n’enlève rien au constat que le service poussé à l’extrême pour des gens qui n’entendent pas regarder à la dépense, tend par nature du côté de l’improductivité. Cela n’a aucun espèce d’importance pour le producteur puisque la concurrence ne se joue pas au niveau des prix mais de la qualité du service, il a toujours le loisir d’augmenter le prix de ses prestations et les clients qu’il aura perdu dans l’affaire seront remplacés par d’autres plus riches. Supposons un hôtel de 4 étoiles disposant de 200 chambres très confortables qui est transformé en hôtel de luxe « hors catégorie » ne disposant plus que de 40 suites mais toujours du même nombre d’employés. Le bien-être des 40 heureux clients est-il en moyenne cinq fois supérieur à celui des pauvres clients de l’ancien hôtel 4 étoiles ? Difficilement mesurable mais voilà néanmoins une façon d’aborder l’emploi des ressources sans se référer au schéma concurrentiel ordinaire. Si vous êtes dans une économie ayant opéré des gains de productivité gigantesques par le machinisme, de sorte que vous pourriez envisager tel Keynes que travailler 15h par semaine suffirait à pourvoir chacun en moyens de subsistance, mettez la moitié de la population au service direct des 1 % les plus riches et vous aurez la certitude que cela n’arrivera pas. Comme l’a souligné D. Lepou dans son article de fonds écrit parallèlement au mien durant le confinement, ces dernières décennies semblent marquer un retour de ces services peu productifs à destination des plus riches, mais la tendance s’accompagne aussi d’une explosion d’offre de services en direction des classes moyennes, peut-être la meilleure marque d’une américanisation du monde. Néanmoins il n’est toujours pas certain que ces services-là puissent être classifiés selon les critères de Graeber.

Ayant un peu abordé la pauvreté et les bas salaires pour envisager l’obligation de travailler longtemps, je voudrais désormais aborder la question de la gestion de la pauvreté. La masse d’heures nécessaires à cette gestion est considérable. Et la pauvreté est tout autant la conséquence de métiers mal payés que d’absence pure et simple d’emploi. Il est donc notable que l’oisiveté subie des uns apporte du travail à ceux qui prétendent leur en trouver. Mais bien au-delà de ça, la pauvreté est source de bien des maux, et notamment des maux qui ont la fâcheuse habitude de déranger la société dans son ensemble, comme le vol et la violence par exemple. Les forces de police ne sont si importantes que parce que la pauvreté confronte les moins pauvres aux aléas du système. Mais la répression n’est sans doute pas le principal générateur d’heures rendues utiles uniquement en raison de ces aléas, il faut aussi prendre en contre la gigantesque machine à faire du social. Bien sûr le social n’est pas uniquement tourné vers la pauvreté, il y aurait toujours besoin de certaines assistances même dans une société moins inégalitaire. On peut néanmoins difficilement nier que la pauvreté démultiplie ces besoins. A l’opposé la société construite sur la « liberté de commerce » refuse toujours de s’accorder avec les vues romantiques des économistes classiques. Faites du commerce pas la guerre mais faites la guerre pour le droit au commerce et si la guerre s’arrête, inventez-en une pour la survie du complexe militaro-industriel ! Est-il utile de préciser que quand on consacre quelques centaines de milliards à entretenir une armée surdimensionnée et que par ailleurs on vend des armes à qui veut bien les acheter, cela demande également des ressources humaines conséquentes ? De manière plus joyeuse on peut aussi remarquer que la société de l’opulence est aussi une société qui combat le farniente par des moyens plus ludiques : les loisirs et notamment les loisirs marchands ! Toute consommation de loisirs et de culture suppose leur production. Cette production peut-être autant source d’épanouissement personnel que source de totale aliénation. Les métiers du spectacle permettent de monter sur scène pour jouer Juliette comme être assailli de marmots déguisé en costume de Mickey devant l’illustre château de Marne-la-Vallée. Et derrière la scène et le château une myriade de métiers dont certains ressemblent à s’y méprendre à des métiers de secteurs qui n’ont rien à voir avec les loisirs et la culture. Il faudra que je lise le livre de Graeber pour voir s’il pense que la pauvreté et les loisirs font partie du projet visant à mettre les gens au travail. Pour l’heure je pense que la fabrique de la concurrence internationale initiée par les occidentaux ne demande pas d’éviter l’oisiveté, elle peut même se permettre des millions de chômeurs permanents, mais elle demande la mise en œuvre d’un système complexe qui a le double-avantage de ne pas bousculer trop brutalement l’ordre établi tout en générant un nombre conséquent de nouveaux métiers qui ont leur utilité dans cet objectif ; à ce titre ils s’en trouvent plutôt bien rétribués et semblent devoir être globalement épargnés des affres de la délocalisation quand même celle-ci serait peut-être envisageable. Le savoir-faire occidental lié à son système éducatif et à ses entreprises permet d’ailleurs à pas mal d’européens et d’américains des expatriations rémunératrices dans divers pays émergents ou sous-peuplés au regard de leurs ambitions tels les pays du Golfe. L’étendu du chômage et la rareté des carrières longues au sein d’une même entreprise ont laissé dire à certains analystes que chacun devrait savoir désormais se recycler en permanence. Là encore c’est une pièce à deux faces. Il faudra peut-être que beaucoup de personnes sachent apprendre en cours de carrière, mais le coût de l’apprentissage des spécialisations, qui sont de moins en moins liées à la maîtrise de quelques gestes, est une contrainte importante pour les entreprises. C’est d’ailleurs l’une des raisons qui peuvent freiner les nouvelles volontés de baisser le temps de travail. J’appelle personnellement cela la jurisprudence Sarkozy. « Travailler plus pour gagner plus ! » signifiait aussi, en langage Medef « Travailler plus pour coûter moins ! » Quand une entreprise est très satisfaite d’un employé, elle préférera bien souvent lui payer des heures supplémentaires (surtout défiscalisées) que de s’encombrer de l’appoint d’une personne un peu moins performante ou pas formée. C’est particulièrement vrai dans les petites structures. Quand cette tendance est accentuée au point d’arriver à une forme d’épuisement des meilleurs éléments trop sollicités, soit il s’agit de métiers où la main d’œuvre compétente est difficile à recruter, soit les heures supplémentaires sont payées au black (ou pas payées du tout).

En résumé je dirai que la globalisation est une mégastructure que se complexifie à chaque génération et qui effectivement rend le système hyper-bureaucratisé, donc relativement peu efficace au regard des pures moyens techniques sur les chaînes de production. Tout comme il semble que ces chaînes, si on les analyse en terme d’échanges d’intrants, de pièces détachées et d’assemblage, ne peuvent prétendre répondre qu’à un seul critère d’efficience : l’efficience financière. A tous les autres égards elles sont assez désastreuses, en terme environnemental elles sont un pur non-sens. Or, comme l’a souligné D. Lepou dans son article de fond, de nombreux métiers occidentaux sont en lien direct ou indirect avec notre manière de produire loin de l’occident dans un monde globalisé. S’interroger sur le sens de son métier paraît assez difficile sans interroger le système tout entier. Et hors de ce système rien ne dit que l’on pourrait vivre dans l’opulence en travaillant 15h par jour. C’est donc avant tout à l’opulence qu’il faut renoncer ! Je ne suis pas sûr que beaucoup y consentent.

Il n’y a donc rien d’étonnant à ce que les enquêteurs de Faxom aient reçu régulièrement une fin de non-recevoir quant ils se sont mis en quête de personnes semblant rentrer dans les catégories de métiers à la con. Ce n’est pas parce que bien des français disent avoir l’intention de changer quelque chose à leur vie quand la pandémie sera vaincue, que cela s’incarne dans un projet radical visant à se débarrasser de son emploi si celui-ci est jugé inepte. Sans surprise, en très grande majorité les interrogés ont très mal pris le fait qu’on les suppose inutiles. Parmi ceux qui ont admis avoir un métier dont ils savaient le caractère inutile ou même néfaste à la société, une très faible minorité a affirmé vouloir changer de métier et redonner un sens au travail, l’autre partie pensant généralement « qu’il faut bien vivre ». Bullshit job ou non, le principal semble donc sa propension à vous assurer un revenu correct.

Il serait sans doute bien plus digne d’intérêt de demander à toutes les personnes qui pensent qu’on ne peut décidément pas continuer comme ça, ce qu’elles entendent faire pour que cela cesse.

C. Jasseronde, rédacteur en chef.

11 mai 2020

Le Coincoin du coin, la chute du canard noir

22 floréal 228 ou 01/01/01 après Covid ?

Ceux qui penchent pour la deuxième option seraient bien avisés de ne pas oublier que le covid est encore là et bien là ! Et il semblerait qu’une très faible partie de la population dispose de masques, du moins au centre-ville de Lyon, une population peut-être moins proche des hypermarchés Leclerc qui vendent dix masques ridicules réemballés dans des barquettes de viande à prix défiant toute indulgence ! Il faudra qu’un jour le gouvernement s’explique comment il peut dire être entré en guerre contre le covid sans même avoir un seul de ses membres compétent pour avoir une notion de contrôle des prix ! Les américains ont gagné la deuxième guerre mondiale et pratiquant un contrôle de très nombreux prix mais chez nous, imposer deux ou trois prix fixes à des géants de la distribution qui, par hasard, ont récupéré les stocks au nez et à la barbe des pharmacies est impossible ! De Wuhan à Wuhan, vivement les procès d’après guerre !

Alors, déconfinement ou déconfiture ?

22 floréal 228

Le Coincoin du coin est-il vraiment polypartisan ?

De nombreux internautes de passage sur notre site mais ne faisant pas partie de nos fidèles canardés trouvent que nos parutions ont tout de même une empreinte gauchiste assez marquée. Si cela les rebute et les empêchent de s’abonner à notre version papier ou notre version en ligne payante, qu’ils se rassurent, il y a une explication à cela. Les auteurs de nos articles, journalistes ou pigistes, doivent renoncer à être rémunérés lorsqu’ils acceptent de voir leurs articles publiés sur la partie gratuite du site. En effet nous supposons que la notoriété qu’ils en reçoivent compense largement la perte de la rémunération qu’ils touchent normalement, surtout que celle-ci est souvent assez faible. Et donc, on dirait bien et de manière tout à fait inexplicable, que nos collaborateurs des pages droites ont plus de mal à accepter ce postulat, sauf l’inénarrable Élie Couenne, imbu de notoriété et par ailleurs à l’abri du besoin depuis plusieurs générations.

22 floréal 228

Les drones de livraisons plus énergivores qu’attendus.

On vient de constater que l’empreinte carbone des drones de livraisons serait largement supérieure à ce qui ressortait des calculs ordinaires. L’explication à cela est assez hallucinante : la plupart des calculs ont été faits sans prendre en compte la charge utile ! C’est comme si une société de levage vous louait un hélicoptère en comptant le carburant nécessaire à soulever seulement le poids de l’appareil et non pas les troncs d’arbres que vous entendez transbahuter d’un village d’écureuils à une demeure de castor édenté. Comment cela est possible ? Après enquête nous avons découvert que tous les fabricants de drones de livraisons utilisaient le même logiciel de calcul d’éléments aéroportés, celui de la société EFEC (Easy fly easy count), une start-up californienne qui s’apprêtait à être vendue à un géant du net. Bug ou malversation, le fondateur de la start-up, qui pensait bientôt toucher 500 millions de dollars, s’est suicidé hier soir en s’allongeant sur une voie de chemin de fer à l’approche d’un train de marchandises de deux kilomètres de long capable lui, de transporter des tonnes de marchandises avec un bilan carbone mieux maîtrisé. Ce petit génie des mathématiques nous a-t-il quitté en nous montrant la voie à suivre ou avait-il quelque doute sur la force d’inertie d’un véhicule plus léger ?

22 floréal 228

13h30 / Votre canard est attaqué en vol !

Alerte générale : en ce jour de chasse aux escargots on dirait que la chasse au canard est ouverte ! Le Coincoin du coin est depuis quelques minutes sous le coup d’une perquisition ! Le quartier tout entier est cerné par des cars de CRS et plusieurs véhicules de police stationnent devant notre immeuble. Alors que pour la première fois depuis sept semaines nous avons fait un comité de rédaction sans le truchement de caméras, le gouvernement semble décidé à nous punir pour les nombreuses critiques que nous avons faites de sa gestion du covid-19 et de sa politique en général. Cette journée devait marquer pour nous le début d’une action antifasciste d’envergure à travers la Troustache et le Trouday, mais nos adversaires utilisent la diffamation pour tuer toute contestation dans l’œuf ! Pour l’heure certains de nos salariés précaires tentent de se donner une chance de monter les barreaux de l’échelle sociale, certains en faisant opposition à la perquisition en empilant les gestes barrières dans l’espoir que cet empilement finisse par créer une barricade, d’autres plus frontalement à la manière de Mélenchon ! Il y a un vrai risque que les barreaux passent de la position horizontale à la position verticale mais on n’a rien sans rien. Nous vous tiendrons informés de l’évolution de la situation mais en attendant, chers canardés, chères canardées, nous vous demandons de vous mobiliser pour votre canard préféré sur les réseaux sociaux et dans la rue (en respectant bien sûr les gestes barrières) ! Le néofascisme numérique ne passera pas !

22 floréal 228 / 14h

La situation se complique !

Apparemment le Coincoin du coin fait l’objet de nombreuses accusations dont plusieurs nous inquiètent beaucoup. Il semble que nos incessantes attaques des noirs desseins fascistes de Tristan Escroçi nous valent d’être accusés de « Tentative d’obstruction à l’avancée d’un projet ayant trait à la sécurité de la nation et de ses citoyens ! »

Nous sommes aussi sous le coup des accusations de : mise en danger de la vie d’autrui, diffamation de représentants de l’état, outrage à agents assermentés, fraude fiscale, intelligence avec l’ennemi, non respect du confinement, défaut de solidarité nationale en période de crise, fautes d’orthographe, démoralisation des troupes, rassemblement de plus de 10 personnes, entrave à la liberté de commerce, apostasie de la religion européenne (concurrence libre et non-faussée), complot visant au renversement d’un gouvernement démocratiquement élu, incitation à la violence envers les escargots, incitation à la chasse illégale d’espèce protégée, appel à la rébellion, manquement aux règles élémentaires de l’esthétisme, utilisation illégale d’un système de datation appartenant à autrui, mésusage de la langue franglaise, manquement au port obligatoire du masque, recel, abus de biens sociaux, manquement aux règles de sécurité, et port illégal de la troustache.

Pour l’heure la perquisition est limitée aux deux premiers étages de notre rédaction des pages gauches mais la situation est très tendue ! Restez mobilisés !

22 floréal 228 / 14h35

Toute l’aile du bâtiment réservée à la rédaction des pages gauches nous est désormais inaccessible et de nombreux pigistes sont d’ores et déjà en garde à vue, sauf R. Mite qui, sévèrement passé à tabac, attend qu’un lit se libère en réanimation. Les couloirs où officient les larbins qui s’occupent des encarts centraux sont envahis de flics. Certains d’entre-nous ont pu se réfugier dans l’aile des pages droites, un endroit qui semble sûr et qui pourrait nous permettre de publier presque normalement notre édition de demain.

22 floréal 228 / 14h55

Le pire est en train d’arriver ! Nos pages droites sont attaquées à leur tour ! Notre rédacteur en chef C. Jasseronde est réfugié sur le toit d’où il tente de téléphoner à des contacts en Europe dans l’espoir de trouver des personnes aptes à raisonner le chef de l’État.

22 floréal 228 / 15h10

C. Jasseronde vient d’apprendre que le domicile d’Élie Couenne à Davos a lui aussi été perquisitionné et que celui-ci a été arrêté par la police suisse. Il serait accusé d’être un agent double à la solde d’un mouvement terroriste dont personne n’a jamais entendu parler : « Les ultra-écolos très très radicaux ». Cela devient réellement n’importe quoi ! C. Jasseronde diffusera sous peu un message à l’attention de nos canardé-e-s.

22 floréal 228 / 15h30

La chute du canard noir !

Mes amis, c’est la fin ! Nous nous attendons à tout moment à voir notre site internet mis hors-circuit ! Ce message est potentiellement le dernier ! Nous ferons tout notre possible pour continuer à diffuser, sous le manteau, ce canard qui, canardant depuis avant l’invention de l’écriture et publiant aujourd’hui son numéro 521626, est la plus ancienne parution journalière du monde ! Mes chers canardés, mes chères canardées, nous n’avons jamais cesser de lutter pour le seul et vrai esprit libéral qui soit : la liberté de l’individu à disposer de lui-même, et qui passe nécessairement par la lutte collective ! Je vous demande de continuer cette lutte coûte que coûte contre le plus grand danger qui menace cette liberté : le néofascisme numérique ! N’achetez rien chez Amazon ou équivalent ! Privilégiez les logiciels libres ! Chiffrez toujours les données que vous ne souhaitez pas partager, si vous ne savez pas le faire, demandez à quelqu’un qui sait ! Changez votre moteur de recherche en canard (Duckduckgo.com) ! Luttez contre tous ceux qui souhaitent vous changer en robots à l’aide d’implants sous-cutanés ou autre bijoux technologiques du genre ! Contre ceux qui veulent faire de leurs délires technologiques des réalités ! Et enfin, non, vous ne pouvez pas accepter le déploiement des caméras à reconnaissance faciale, autant mettre une balle dans la tête de vos gosses, si vous n’êtes pas en mesure de le comprendre aujourd’hui, vous le comprendrez quand ce sera trop tard ! Le néofascisme est déjà là, il a gagné les premières batailles par manque de combattants dans les rangs des opposants, mais il n’a pas gagné la guerre ! Tout dépend de VOUS, de vos envies de rester humains et d’avoir des enfants humains !

Pour relayer notre action soutenez les associations, projets et organismes qui ont les mêmes visées que nous. Voici une liste non exhaustive d’adresses qui vous permettront de rentrer en lutte et de comprendre pourquoi il est urgent de le faire !

https://www.laquadrature.net
https://mastodon.social/about
https://mouton-numerique.org
https://technopolice.fr
https://framasoft.org/fr/

Chères canardées, cher canardés, ce fut un honneur d’être à vos côtés durant tout ce temps ! Au revoir et bon reconfinement !

C. Jasseronde.

11 mai 2020

Le Coincoin du coin, sélection des 20 et 21 floréal 228

20 floréal 228

Avertissement de bec de canard

Ne faites pas ça chez vous !

Depuis le début du confinement nous n’avons eu de cesse de vous répéter qu’il fallait éviter de se blesser pour que l’ensemble du personnel hospitalier puisse se consacrer aux malades du covid-19. Malheureusement, certains d’entre vous sont gagnés par l’ennui et s’attaquent aux multiples défis qui pullulent sur le Net. Parmi ceux-ci il en est un qui s’est avéré particulièrement dangereux : le défi de la table, défi qui consiste à monter sur une table et à passer dessous sans jamais toucher le sol jusqu’à retrouver sa position initiale. Normalement il n’y pas trop de danger à s’essayer à cela si on possède une table en chêne et qu’en ne présumant pas de ses forces, on fait les premiers essais en mettant un matelas sous la table. Beaucoup n’ont pas jugé utile de s’encombrer du matelas et parmi ceux-ci quelques-uns sont immanquablement tombés sur le sol, assez souvent la tête la première. Même les têtes dures ont quelque difficulté à rivaliser avec le carrelage et les urgences ont accueilli un peu moins de personnes dont le séjour ou la salle à manger possède un plancher. Mais les cas les plus graves n’ont rien à voir avec la dureté du sol mais avec la solidité de la table. Des dizaines de personnes se sont lancées dans ce défi sans penser que la table sur laquelle elles le faisaient pouvait basculer, s’affaisser voire même se briser. Et le drame ultime est justement survenu quand un jeune homme adepte de l’escalade a décidé de tenter l’expérience sur toutes les tables à sa disposition. La grande maison de ses parents lui a donné l’occasion de montrer l’étendue de ses talents à ses suiveurs sur internet. Puis il a dégoté une table de camping dans le garage et quelques minutes plus tard il était mort embroché.

Ne faites pas ça chez vous !

20 floréal 228

Non, quelques milliardaires ne possèdent pas la moitié des richesses du monde !

Par notre économiste détaché permanent à Davos, Élie Couenne.

Au début de la crise du covid, tandis que les économies rentraient en mode ralenti, le Coincoin du coin a publié un court article stipulant que l’ordre du monde n’était pas en phase d’être bouleversé par la chute des cours boursiers. Il y était stipulé que si certains riches étaient obligés de vendre leurs titres dans la précipitation pour respecter certains engagements, cela n’avait qu’un impact marginal pour la marche du monde dans la mesure où ces titres ne risquaient pas d’être achetés par des pauvres. Cet article a valu au Coincoin du coin de très nombreuses critiques irritées émanant d’économistes réputés et qui me considèrent à juste titre comme l’un des leurs. Globalement la critique était la suivante. Comment étions-nous capables d’imaginer la chute des cours comme un phénomène neutre ? Comment pouvions-nous dire que les riches n’avaient rien perdu, surtout ceux qui, ne cédant pas à la panique, étaient restés sur leur position et qu’ils n’avaient qu’à attendre que les cours remontent sachant qu’ils remontent toujours ? Le raisonnement des économistes est le suivant : si vous avez un portefeuille de titres qui a, à un instant T, une valeur de 1 milliard de dollars, cela signifie qu’à tout instant vous pouvez vendre ces titres et obtenir en échange des dollars avec lesquels vous pouvez vous acheter un jet privé, une Ferrari, une Villa gigantesque et tout ce que vous aimeriez posséder. Donc si les cours dévissent de 30 % et que la valeur de votre portefeuille tombe à 700 millions d’euros, mathématiquement vous aurez 300 millions d’euros de moins pour vous acheter toutes ces belles choses que vous aimeriez posséder.

D’accord, mathématiquement. Mais j’aimerais attirer l’attention de mes amis économistes de droite du danger qu’il y a à considérer les choses de ce point de vue. En allant au bout de ce raisonnement, vous laissez entendre que quelques dizaines de milliardaires possèdent la moitié des richesses du monde, comme on l’entend souvent dire. Car de ce point de vue c’est vrai, ils possèdent en capital la moitié des richesses du monde. Dans ce capital il y a des biens immobiliers, des autres richesses matérielles, comme des tableaux de maître ou des objets de valeurs, des comptes en banque, et des titres. Il faut relativiser certaines richesses matérielles par rapport à leur caractère monnayable. Si de mauvaises positions en bourse vous obligeaient à vendre ce que vous possédez en urgence pour honorer vos engagements, il est fort possible que votre garage plein de voitures de luxe ait une valeur très décevante si chacune d’entre elles était vendue aux enchères. Cette décote que connaissent tous ceux qui ont été acculés à la faillite n’est pas sans rapport avec la volatilité des titres financiers. Le caractère immédiatement monnayable des titres financiers peut sembler être une réalité tangible dès lors qu’à tout moment on peut les échanger contre des dollars. Mais si tous les détenteurs de titres voulaient les échanger en même temps contre des dollars, ces titres ne vaudraient plus rien très rapidement puisqu’il s’agirait du phénomène récent poussé à son extrémité. Si par un artifice quelconque il existait une garantie des cours comme il existe une garantie des dépôts et que chaque détenteur pouvait réellement obtenir des dollars à la valeur des cours avant la chute, le pouvoir d’achat du dollars (et de toutes les monnaies en général) dégringolerait en flèche. Puisqu’il n’y a, heureusement, pas de garantie de cette sorte, la chute des cours est théoriquement un transfert de richesse d’un investisseur à un autre, c’est seulement notre incapacité à laisser l’économie réelle à l’abri d’une contamination de la morosité boursière qui est problématique. Si on en était capable, le seul vrai critère de jugement d’un transfert de richesse indiquant que ceux qui possèdent des titres perdent de leurs avantages, serait le rendement annuel reflété par l’intérêt ou les dividendes perçus.

En quoi est-ce dangereux pour les ultra-riches de laisser croire, pour flatter leurs égos, qu’ils possèdent à quelques-un des richesses colossales parce que leurs portefeuilles de titres sont colossaux ? C’est dangereux car cela laisse entendre qu’ils sont en capacité de consommer une part phénoménale de ce qui est produit sur la terre, ce qui n’est pas possible comme je viens de le démontrer. Mais si les gens se mettent cette idée en tête, à l’heure où l’écologie en général et le réchauffement climatique en particulier deviennent les sujets de discussion les plus anxiogènes, ils vont finir par penser qu’il suffirait d’aller arme à la main s’emparer de quelques centaines de milliardaires, de les fusiller sans autres forme de procès, et alors, comme par magie, les émissions de gaz à effet de serre seront réduites de moitié ! En prolongeant la purge sur quelques milliers de millionnaires, on en viendrait même sûrement à respirer un air pur ! Et ainsi les gens croiront pouvoir se laver les mains de leur responsabilité dans le changement climatique. Certes les très riches ont des niveaux de consommation bien supérieurs à la moyenne, mais cela ne peut pas avoir un impact si considérable. Les voyages en avion ont sans doute l’impact le plus directement visible car les jets privés émettent beaucoup au regard du nombre de passagers. Mais l’on peut difficilement transposer cela à tout ce que possèdent les milliardaires. Et même si quelqu’un possède de nombreuses propriétés dans lesquelles vit un personnel conséquent pour entretenir le terrain de golf, les jardins, la piscine, les chevaux, pour faire à manger, faire le ménage, garder les enfants, le milliardaire n’est qu’à un endroit à la fois et ne mange pas l’équivalent de nourriture ingurgitée par des millions de personnes. Si ses gens ne travaillaient pas pour lui, il faudrait bien qu’ils mangent quand même, qu’ils aient des vêtements, un logement, un véhicule. Et les milliardaires sont rarement des pingres, leur argent permet à de nombreuses personnes de vivre confortablement, à commencer par les membres de leur famille. En réalité la plus grosse part des possessions matérielles des milliardaires n’ont pour lui aucune utilité en terme de consommation. Celui qui possède une chaîne d’hôtel n’entend pas garder pour lui l’ensemble des chambres.

Il n’y a donc pas lieu de fanfaronner pour apparaître dans le haut du classement des plus grandes fortunes du monde ou s’affoler quand les cours baissent. Il est bien plus important que les gens qui tirent l’économie vers le haut et en retirent, fort justement, un train de vie supérieur à la moyenne, s’attellent à faire en sorte que les rendements annuels du capital restent à un niveau suffisant pour stimuler l’envie d’entreprendre et la croissance.


21 floréal 228

Courrier d’électeur : les vrais métiers de merde.

L’une de nos fidèles canardées, madame C. Onserve, a tenu à réagir à l’article de C. Jasseronde traitant des bullshit jobs tels qu’ils ont été définis par David Graeber.

« 
Cher Coincoin, bonjour,

J’ai été très intéressée par l’article de C. Jasseronde et il me semble en effet nécessaire de distinguer ce qui peut paraître utile à la société de ce qui l’est pour une entreprise. Pourtant dans mon travail, ni la société ni mon employeur ne me pensent inutile, à tel point que je n’ai jamais autant travaillé que durant le confinement. Et pourtant j’ai bien l’intention de me reconvertir dans quelque chose qui sera peut-être moins visiblement utile à ceux qui considèrent que l’utilité se mesure en unités ou kilos. Mon travail est assez rébarbatif, mais ce n’est pas nécessairement là le problème, il est utile que quelqu’un réapprovisionne les rayons d’un magasin. Mais est-il utile à la société que des parisiens aient accès à de l’eau de source qui vient d’Allemagne ou du sud de la France ? Est-il utile que chaque chose chose achetée génère une telle quantité de plastique, métal, verre ou carton ? Est-il utile que des bouchers qui font de la découpe sur place mettent la viande dans des barquettes à seule fin de la rendre disponible en libre accès ? Est-il utile de s’enfoncer dans le désastre ? Des métiers utiles, certes, mais utiles à un système de merde !
»

Nous conseillons à madame Onserve de se rapprocher du député Léonard.

21 floréal 228

Précision sur nos publications.

De nombreux canardés se demandent pourquoi, depuis le 2 mai 2020 / 12 floréal 228, nous avons adopté le calendrier républicain. La raison est la suivante : dans l’élan de leur mouvement de grève du 1er mai, nos contrats précaires et nos pigistes se sont quelque peu emballés dans leurs revendications. Nous avons cru utile de satisfaire prioritairement celles qui ne nous coûtaient rien, et parmi celles-ci, l’idée saugrenue du calendrier républicain. Nous nous sommes engagés à utiliser ce calendrier jusqu’à la fin de l’année 228, date à laquelle nos insurgés de salon ont réussi à se persuader que la révolution aura fait son œuvre.

21 floréal 228, 22h30, 1h30 avant le déconfinement !

Pensez-vous qu’il existe en France une personne qui soit actuellement en train de préparer sa chère automobile restée trop longtemps sur un parking, ce afin de fêter comme il se doit la fin officielle du confinement dès 0h01 en tambours et trompettes, ou plus précisément en traversant tout Paris à grands coups de klaxons, comme si le PSG s’était qualifié en demi-finale de la coupe d’Europe, pile au moment où les gamins s’apprêtant à retourner à l’école ont besoin d’avoir des nuits paisibles ?

Si oui, nous serions reconnaissant à cette personne de s’assurer, avant le premier contrôle de police ou maréchaussée, qu’aucun exemplaire du Coincoin du coin ne traîne sur l’une des banquettes ou dans la boîte à gants, nous sommes suffisamment mal vus comme ça.

21 floréal 228

Le Coincoin du parler français.

Si certains et certaines de nos canardé-e-s éprouvent quelque difficulté à maîtriser la prononciation du mot « Cluster », nous leur conseillons d’utiliser en lieu et place le mot « Foyer ». Foyer n’est certes pas l’exacte traduction de Cluster mais pour l’usage qui est fait actuellement de ce mot, croyez-nous, chacun comprendra aisément de quoi il s’agit si vous utilisez Foyer. Sachez aussi, que sans compromettre gravement votre côté IN, vous pourriez assez facilement vous éviter le ridicule de votre prononciation française de mots beaucoup plus compliqués tel « Think-tank » en ayant simplement un sens plus aigu de la séparation des torchons et des serviettes.

21 floréal 228

Préparez vos rasoirs !

Rappel ! Demain, 22 floréal 228, est un grand jour à double-titre ! Trouday et troustache marqueront le jour 1 de la lutte contre le néofascisme numérique ! N’oubliez pas que le trou à faire dans votre système pileux doit correspondre exactement à la moustache d’Adolf Hitler ! Malgré son nom, la Troustache sera d’avantage significative si vous gardez l’ensemble barbe + complémentaire moustachu de moustache hitlérienne. Concernant le Trouday, malgré les menaces de représailles gouvernementales, il vous suffit de refuser tout télétravail et de ne pas vous rendre dans votre entreprise. Puisque le temps sera malheureusement assez morose sur l’ensemble de la France, vous pourrez avoir avantage à aller à la chasse aux escargots !

8 mai 2020

Le Coincoin du coin, sélection du 16 au 19 floréal 228


17 floréal 228

Publireportage.

La start-up française FFFM (French Federation of Face-Mask), créée il y a 6 semaines et dans laquelle on murmure que le président en personne aurait des billes, est déjà en mesure de fournir à un prix record les masques que tout le monde attend. Puisqu’il est possible que la population soit obligée de porter des masques durant de longs mois, tout le monde comprend bien ce que cela signifie en terme de relations sociales : on ne sera plus en mesure de distinguer les beaux des laids ! Les beaux seront tous ceux qui ont de beaux yeux et les laids seront tous les autres. A quoi bon se déconfiner si c’est pour perdre l’une des affaires qui nous guident le plus dans la vie : la quête de la beauté et accessoirement celle d’un ou d’une partenaire ? Eh bien, sans être la première à s’être lancée sur ce marché porteur, la FFFM a, par un judicieux espionnage industriel et une pression monumentale sur les fournisseurs de matière première, réussi à rattraper tout son retard sur la conception de masques permettant de reconstituer le visage du porteur.

Pour bénéficier vous aussi des masques qui permettent de montrer votre vrai visage aux gens que vous croisez, il vous suffira d’envoyer vos photos à l’adresse suivante : orders.fffm@gmal.com. Pour un résultat optimal vous devrez prendre et envoyer les mesures de votre visage selon les indications que vous trouverez sur le site de la FFFM. Les masques sont de type lavable et seront accessibles à partir de 39,99 l’unité. Il est possible et conseillé d’en faire faire plusieurs pour que votre visage apparent corresponde à votre humeur du jour, dans ce cas vous devez envoyer les photos correspondantes.

Attention : la FFFM s’attend à ce que certaines personnes moches en profitent pour se donner les apparences de la beauté. Cela pourrait s’avérer rapidement être illégal. En effet la commission Tristan Escroçi qui planche actuellement sur le projet de loi lié au déploiement national des caméras à reconnaissance faciale, a d’ores et déjà averti qu’elle entendait rendre obligatoire le port de masque à reconstitution faciale dès qu’ils pourront être produits en quantité suffisante et ce pour que les gens ne prennent pas l’habitude de vivre cachés ; quand on n’a rien à se reprocher on n’a rien à cacher comme dit le plus bel et plus vrai adage que l’homme ait jamais énoncé. Dans ce cas il est évident que toute contrefaçon sera sévèrement punie.

Avec la FFFM vous optez pour le made in France, sans enrichir Amazon ! A vos CB !

17 floréal 228

L’Europe commissionnaire a de la suite dans les idées !

Après avoir confié à BlackRock, gigantesque cygne blanc de la finance vierge de tout soupçon de conflit d’intérêt, la charge d’élaborer des propositions sur la manière d’intégrer les critères environnementaux, sociaux et de gouvernance dans la supervision bancaire, la Commission européenne a annoncé avoir fait un pré-tri concernant les appels d’offre en lien avec les autres recherches indispensables à la marche de l’Union.

Pour l’étude de l’incidence de la charge de microparticules aéroportées d’origine chimique sur l’espérance de vie, les dossiers retenus sont ceux de Exxon Mobil, Royal Dutch Shell et Total.

Pour l’étude sur la préservation des espaces non-bâtis, les dossiers retenus sont ceux de Bouygues, Vinci et Amazon.

Pour l’étude pour la sauvegarde du commerce de détail, les dossiers retenus sont ceux d’Amazon, Amazon et Amazon.

Pour l’étude sur le déploiement de l’agriculture biologique, les dossiers retenus sont ceux de Carrefour, Mc Donald’s et Nestlé.

Pour l’étude sur les trajectoires des régimes d’assurance maladie, les dossiers retenus sont ceux de Antin Infrastructure Partners, JPMorgan Asset Management et Bridgwater Associates.

 

17 floréal 228

Déconfinement : ne vous précipitez pas chez votre coiffeur ou votre esthéticienne !

Vos poils ont un peu trop poussé à votre goût durant les semaines écoulées, vous envisagez de vous rendre dès lundi prochain chez votre coiffeur ou votre esthéticienne. Mauvaise idée ! Certes les ciseaux, tondeuses, peignes ou rasoirs de plus d’un mètre de long ont été livrés chez les professionnels du secteur grâce à la précieuse collaboration d’Amazon, mais il faudra de nombreuses journées avant que les employés et indépendants soient en mesure de s’en servir sans danger pour le client. N'est pas Edward aux mains d'argent qui veut. Nous vous conseillons d’attendre deux ou trois semaines avant d’envisager un rafraîchissement de votre système pileux.

17 floréal 228

Le Coincoin du déconfinement.

Tous les français se sont demandé en quoi consistait la règle des 100 kilomètres, allait-on être autorisés à nous déplacer à 100 kilomètres de distance de notre domicile en comptant les kilomètres par la route ou les kilomètres à vol d’oiseau ? Bien sûr, tous malins que nous sommes, nous avons interprété cette annonce comme une autorisation d’aller à 100 kilomètres à la ronde, ce qu’on exprime par l’expression « A vol d’oiseau » et les plus déterminés d’entre nous ont pris un compas qu’ils ont planté dans une carte à l’aplomb de leur domicile pour voir si ce vol d’oiseau allait leur permettre de se rendre enfin chez tante Gertrude où les attend un délicieux fondant au chocolat.

Halte là concitoyens ! Il y a maldonne ! Croire que le vol d’oiseau est avantageux par rapport à la route est une grossière erreur, ça dépend de quel oiseau on parle ! Grâce à l’un de ses plus fidèles canardés, Darwin Le Chat, adepte du courrier d’électeur, le Coincoin du coin est mieux renseigné sur les vols d’oiseaux que les meilleurs ornithologues. Et donc nous sommes en mesure de vous dire que vous avez intérêt à choisir le bon oiseau si vous voulez avoir une chance d’atteindre la maison de tante Gertrude avant d’avoir fait 100 kilomètres. Imaginez que vous soyez un lyonnais qui entend se rendre quelque part dans la région stéphanoise (oui oui, figurez-vous qu’il y a vraiment des gens qui ont ce genre d’idées saugrenues, même des lyonnais). Si vous choisissez l’un des moineaux qui en temps normal bouffent les frites des affreux, sales et méchants clients du Mc Donald’s à l’angle de la rue de la République et de la place Le Viste à Lyon, quand vous aurez fait 100 kilomètres, vous n’aurez pas dépassé le semblant de verdure en pot qui végète au-dessus des bouches de métro place Bellecour. Si vous choisissez Banofee-Banofee, l’un des pigeons du clan qui vit sur un bloc au sud de la place des Jacobins, vous ne dépasserez pas non plus le côté sud de la place Bellecour puisque Banofee-Banofee a prétendu limiter ses déplacements à un rectangle allant de la rue Herriot aux quais de Saône dans la longitude et du sud Bellecour au nord de la place des Jacobins dans la latitude. Riton, un autre pigeon du même clan se déplace un peu plus le long de la Saône mais il va généralement vers le nord. Il semblerait alors judicieux de vous en référer à des oiseaux plus réputés pour leur goût du voyage, tels les cormorans qui ont élu domicile à Lyon ces derniers temps. Eh bien apparemment, eux non plus n’ont pas l’air de penser qu’ils ont fait tout ce chemin pour repartir de sitôt en sens inverse. Il vous reste donc George, une mouette anglaise installée à Lyon pour le compte de la Gull International et qui fait encore régulièrement des voyages au long cours. Cependant George lui-même ne va pas bien plus droit que les routes, il suit les rivières et les fleuves, un peu comme les routes donc. Au demeurant ses activités lui commandent de voyager entre Londres et Paris et entre Paris et Lyon, qu’est-ce qu’il irait foutre à Saint-Étienne ? Qu’est-ce qu’il vous reste alors ? Une hirondelle ? N’y pensez même pas, vous aurez la gerbe avant même d’avoir fait un kilomètre à prendre des G dans la gueule dès qu’une mouche ou un moustique passe dans les parages. Vouloir faire 100 kilomètres à vol d’hirondelle en mai c’est comme entreprendre de manger des huîtres dans un avion de chasse lancé à mach2 à la poursuite d’un autre, sauf qu’en plus vous aurez toutes les chances de vous retrouver tout proche de votre point de départ une fois faits les 100 kilomètres, pour un peu vous allez dégueuler dans votre salon. La solution la plus efficace semble donc de se rabattre sur une oie sauvage. Une oie sauvage est assez susceptible d’avoir l’idée d’aller en droite ligne durant 100 kilomètres ou plus. Certainement, oui. Sauf qu’à cette saison il est plus probable qu’elle aille vers le nord. Et puis quelle que soit la saison, qu’est-ce qu’elle irait foutre dans la région stéphanoise ? D’ailleurs y a-t-il un seul oiseau qui ait, depuis que ces villes existent, eu l’idée de partir de Lyon pour aller à Saint-Étienne ? On peut raisonnablement en douter ! Un corbeau peut-être ?

Non vraiment ! Le Coincoin du coin vous conseille d’oublier cette histoire de vol d’oiseau, de nettoyer les merdes de pigeons accumulées sur votre pare-brise, de redémarrer votre bagnole en veillant à réinitialiser le compteur intermédiaire, et de rouler dans la direction de Sainté, vous devriez pouvoir allègrement dépasser tous ses faubourgs même si vous partez du fin fond de Rillieux-la-Pape. Et pensez à bien appuyer à fond sur le champignon histoire de vite ramener la saturation de l’air et le fond sonore à leur niveau habituel avant que tous ces connards d’oiseaux même pas fichus de profiter du vol d’oiseau ne pullulent !

18 floréal 228

Le Coincoin publicitaire : le Medef rappelle le CSA à l’ordre !

La situation est un peu ubuesque chez les patrons. Le patronat semble s’inquiéter de la communication de certaines entreprises et demande au CSA de veiller à ne pas laisser passer des publicités qui laissent entendre que la vie durant le confinement est une vie humainement plus épanouissante que la vie ordinaire. Lors d’une visioconférence entre des décideurs du Medef et des membres du CSA, diverses publicités ont été montrées comme symbole de spots qu’on peut interpréter comme un hymne à la paresse. Mais l’interprétation est par nature subjective. La publicité qui a le plus fait parler d’elle et pour laquelle le ton est même monté à un point où les attaques personnelles n’étaient plus très loin, est une publicité O2. Publicité que le Coincoin du coin, canard avisé, est en mesure de comprendre. O2 se vante à la fin du spot d’être le numéro 1 du service à domicile. Le spot en lui-même est très court, on y voit un aspirateur avec en fond sonore des enfants qui jouent puis une voix off disant « O2 solidaire de ceux qui ont retrouvé la joie de faire le ménage et de garder leurs enfants. » Faut-il interpréter ce spot comme anticapitaliste comme le suggère le Medef ? Il est vrai qu’on peut y sous-entendre que le moment est un moment de joie que le monde du travail nous empêche d’ordinaire de vivre. Mais si on se place du côté des salariés de O2, ceux-ci pourraient l’entendre de la manière suivante : « Je garde MES enfants et je fais MON ménage au lieu de le faire chez les autres, ce qui devrait être la norme dans un monde qui tourne rond » Bref… pas très vendeur tout cela. En réalité aucune de ces deux interprétations n’est la bonne et O2 n’est pas anticapitaliste, O2 offre des services dont certains sont indéniablement indispensables à la société, notamment des services aux personnes dépendantes. Mais ce clip ne parle pas cette partie de son activité, il s’adresse justement à ceux qui pensent que la vie est bien plus épanouissante quand on a les moyens de faire garder ses enfants par d’autres à chaque fois qu’on le désir et surtout faire faire son ménage à d’autres. Certes les conditions actuelles obligent à faire des spots minimalistes mais celle-ci est très réussie dans l’objectif qu’elle se fixe. Ce n’est pas un aspirateur vendu pour son silence par d’autres capitalistes en pointe de la technologie des aspirateurs, c’est un aspirateur bruyant dont le bruit se surajoute à celui que font les enfants, ces insupportables enfants qui sèment leurs jouets partout dont on a hâte qu’ils retrouvent une nounou ou retournent à l’école. La personne qui passe l’aspirateur n’est pas visible mais on comprend qu’elle ne le fait pas en sifflotant et de gaieté de cœur, elle n’y met aucun enthousiasme, c’est si rébarbatif que l’aspirateur passe 6 fois exactement au même endroit.

Alors nous pensons que le Medef aurait dû applaudir des deux mains ce spot et nous pensons utile de le faire à sa place : Bravo O2 ! Et merci à ses 13500 salariés en France, qui font pour les autres ce que les autres ne peuvent pas faire pour eux-mêmes, assez souvent avec des horaires à la con, assez souvent pour le smic horaire, assez souvent loin de chez eux, assez souvent sans qu’on les applaudisse à 20h. Le non-sens du capitalisme que d’autres publicités ont peut-être mieux fait sentir, c’est que certains clients de O2, généralement mieux situés dans l’échelle sociale, ne passent pas l’aspirateur et font garder leurs gosses non pas parce qu’ils trouvent cela indigne mais parce que leur propre rythme de travail ne leur laisse pas le temps de le faire, métro, boulot, dodo. Quant aux clients de O2 qui ne sont pas débordés mais trouvent que l’aspirateur est très rébarbatif mais tout de même moins pénible que des gosses H24, il est grand temps d’apprendre à vous servir de préservatifs ou tout autre chose qui pourrait vous prémunir contre ce danger à l’heure des pandémies. Ne pas vous reproduire est mieux pour vous et pour l’humanité en général, faites d’une pierre deux coups !


18 floréal 228

Courrier d’électeur : un voyage via l’aéroport de Bogota.

Nous avons reçu ce matin un courriel de Madame X (elle a souhaité garder l’anonymat) qui dit avoir été très marquée par l’article de C. Jasseronde relatif aux métiers à la con. Pour autant son courriel ne traite pas vraiment de cela mais plutôt d’une certaine drogue : la cocaïne.

«
Cher Coincoin.
J’ai lu avec grand intérêt l’article de monsieur Jasseronde qui émet une critique des idées de monsieur Graeber sur ce qu’il appelle les bullshit jobs. Au contraire de votre rédacteur en chef je me suis empressée de commander la version numérique de cet ouvrage (pas chez Amazon, chez Decitre) et même s’il n’est pas totalement convaincant, je n’arrive pas à m’empêcher de penser que fondamentalement, ce processus pratiquement inconscient est à l’œuvre ; on a bien créé un monde dans lequel, même si vous en arriviez à avoir un bon salaire en travaillant 6h par jour, ce qui est peu, le fonctionnement de la société vous obligerait encore à tout organiser en fonction de ces 6 heures-là. Bien entendu la principale manière d’y être obligée vient de la distance qui ne semble pas devoir s’amenuiser entre le domicile et le lieu de travail même si nous disposons de réseaux et de matériels de transport de plus en plus sophistiqués. Personnellement je suis sur mon lieu de travail environ 10h par jour cinq jours par semaine, mais il faut rajouter à cela au minimum 10h de transport, et je suis loin d’être la plus mal lotie parmi mes collègues. J’ai un très bon poste, cadre de haut niveau, bien rémunéré et ma vie sociale est largement conditionnée par le travail, mes sorties entre ami-e-s sont souvent des sorties entre collègues. Pourtant j’ai de plus en plus de mal à accepter l’idée que mon travail participe totalement à la marche d’un monde qui à bien des égards est absurde. J’ai des enfants qui semblent vouloir attraper tous les maux généralement attachés à ce qu’on appelle les maladies civilisationnelles. Rien de dramatique pour le moment et je sais que les défenseurs de notre mode de vie contestent le fait que l’on soit en moins bonne santé qu’il y a 20 ou 30 ans ; rien à faire, quelque chose en moi me laisse penser que le jeu n’en vaut pas la chandelle. Je ne sais pas s’il est tout à fait juste de voir le covid-19 comme symptomatique de notre époque mais toujours est-il qu’il m’a amenée au télétravail et que cela a eu plusieurs implications directes.

En premier lieu j’ai réduit ma consommation de cocaïne, plus contrainte que par choix, mon « dealer » est un collègue. Je me suis mise à la cocaïne plus tardivement que bien des personnes autour de moi, bizarrement un jour où cela ne se justifiait pas du tout puisque c’était à l’occasion d’un séminaire où la charge de travail était réduite. J’ai pris de la cocaïne pour être bien en fête et j’ai malheureusement compris tout l’avantage que je pourrais en tirer dans mon travail. Depuis j’ai pris un peu de galon ce qui ne m’a guère poussée à ralentir ma consommation. Le télétravail n’est pas une chose si évidente malgré que le gros de mes journées se fasse d’ordinaire rivée derrière un écran, il ne m’a pas semblé au préalable judicieux d’arrêter totalement de prendre de la cocaïne. J’avais pris quelques précautions mais le confinement étant susceptible de durer longtemps, j’ai tout de même baissé un peu la cadence. Mon rythme de travail s’est de toute façon ralenti de lui-même, mon secteur d’activité tout entier semblant figé dans le temps. Je me suis mis à passer plus de temps avec mes enfants, ce qui fut un peu synonyme de gavage télévisuel en famille. Je n’ignorais pas que mes enfants passaient trop de temps devant les chaînes idiotes de la TNT mais tout ce que je considérais comme non regardable, pas au point de vue moral mais au point de vue de l’intérêt, est devenu curiosité. Dans ce monceau de stupidités je suis tombée un jour sur de la télé-réalité ressemblant à tous ces reportages où un cameraman suit des policiers, sauf que là ça se passait dans un aéroport, celui de Bogota. Je peux vous assurer que même si je suis absolument convaincue que mes enfants ignorent tout de ma consommation de cocaïne, j’étais dans mes petits souliers. J’ai vu plusieurs épisodes de cette série, mais un seul en compagnie de mes enfants, les autres je les ai regardés sur mon ordinateur, il fallait que je les regarde, tous ! C’est devenu ma nouvelle drogue, une drogue pour chasser l’autre. Comment mon cerveau a-t-il pu occulter cet aspect des choses, l’absolue nécessité que la cocaïne voyage entre son point de production et mon sac à main ? Pour moi, mon « dealer », mon collègue, c’est comme un employé à un stade intermédiaire d’une chaîne d’approvisionnement classique, pas le complice d’un réseau de grand banditisme. Et moi je ne suis pas non plus la complice de ce réseau ! Non ! Je suis juste une femme de bien, une femme performante insérée dans une société performante ! Je ne me drogue pas, je prends ce qu’il faut pour rester performante. Pourquoi les autorités qui demandent une société performante ont rendu illégal la cocaïne ?

A l’aéroport de Bogota passent des troupeaux de mules. J’ai voulu me concentrer sur celles qui réussissent leur coup, celles qu’on ne voit pas quand elles crient leur joie de l’argent facile. Ce ne sont pas de bonnes personnes, impossible, ce sont plus sûrement des personnes qui exploitent les autres avec de l’argent facile. J’ai tout fait pour m’en persuader, mais ça ne tient pas. Des pauvres pour la plupart, 8 à 12 ans de prison, 12 à 20 ans de prison, le plus gros risque dans le réseau mais la portion congrue de ses bénéfices, les menaces et la peur, sans doute la mort parfois. Je fais partie de ce réseau et je ne risque presque rien.

Comment je vais faire désormais ?

 

18 floréal 228


Brève de Coincoin

Notre pigiste P. Lebref nous a envoyé un message dans lequel il s’excusait de ne pas avoir livré son article du dimanche 10 mai. Comme beaucoup de nos pigistes il est entré peu à peu dans un état de léthargie avancée mais il ne pensait pas en être arrivé au point de dormir plus de 80h d’affilée. Ce matin, aux alentours de 13h, ouvrant sa fenêtre, P. Lebref s’est rendu compte qu’on était le 11 mai car la rue avait à peu près repris son rythme normal. Nous tenons à rassurer P. Lebref qui n’a pas dormi 80h d’affilée, les lyonnais de son quartier bourgeois, à l’instar les quartiers populaires de Marseille ayant décidé de se déconfiner avec 3 jours d’avance. Il ne pouvait pas le savoir car au contraire des quartiers populaires de Marseille, aucun média n’en a fait la publicité.

Par contre notre autre pigiste du coin, R. Mite, doit redescendre de son petit nuage. Quand on se réveille à 19h45 et qu’on ouvre ses volets à 20h, les applaudissements ne signifient pas qu’on est devenu l’attraction de la rue.

 

18 floréal 228

Courrier d’électeur : le retour des héros en blouses blanches

L’un de nos canardés, Mr J. Aplodi nous a envoyé le courriel suivant.
« 
Ce matin en m’autorisant une petite sortie jusqu’au local poubelle, j’ai trouvé un mot dactylographié scotché sur ma porte et qui comportait le message suivant : « Surtout n’applaudis pas nos héros en blouses blanches connard d’égoïste ! On espère tous que tu vas choper le Covid-19 et que tu vas en crever ! Vas au diable ! »

Je précise que je vis dans un quartier chic du 17ème arrondissement de Paris et qu’il n’y est pas coutume de tutoyer ses voisins. Je dois également admettre que je n’ai jamais applaudi aucun héros en blouse blanche. Après tout personne ne m’a jamais applaudi pour mon travail et si présentement je ne travaille pas, cette situation n’est pas de mon fait comme pour des millions de chômeurs à temps partiel et même à temps complet. Cependant j’ai un profond respect pour ceux qui font des choix de carrière qui sont plus guidés par la dévotion que par la rémunération attendue, notamment quand ces métiers sont reconnus difficiles. J’ai toujours pensé que la seule véritable aide que le reste de la société pouvait leur apporter, était de rendre ces conditions moins difficiles, et j’ai un avis assez tranché sur la façon d’y parvenir. Pour ce qui est d’une gratitude plus visible, le jour venu je saurai remercier personnellement ceux et celles par qui mes problèmes se résolvent, comme je remercie toujours ma dentiste et mon médecin. Il se trouve aussi que j’aime m’intéresser aux résultats de mon bureau de vote, je crois pouvoir affirmer que parmi ses inscrits, je fais partie des 4 ou 5 % capables d’envisager voter à gauche de LREM à chaque scrutin. Alors je voudrais répondre simplement à celui ou celle qui a mis ce mot sur ma porte, sait-on jamais, cette personne est peut être abonnée au CCC pour ses pages droites.

Madame ou monsieur, libre à vous d’avoir galopé tant d’années comme un buffle dans une direction pour vous rendre compte soudainement que ce que vous pensiez être une petite haie s’avère être un mur infranchissable à la seule force de vos jarrets. Libre à vous d’avoir fait volte-face et d’avoir décidé soudainement de vous changer en mouton dans l’idée de galoper en troupeau. Sachez simplement que ce virage à 180° vous amène tout droit vers un précipice à moutons ! »


19 floréal 228

Erratum.

Nous avons publié hier dans notre édition papier un court reportage sur les américains en lutte contre le confinement. Ce reportage n’était qu’une évocation des faits et ne faisait même pas mention des manipulations de Donald Trump concernant les États dirigés par des démocrates. Pourtant cela nous a valu de nombreux retours nous comparant à ses américains bardés de drapeaux et assez ouvertement portés sur les armes à feu. Nous ne polémiquerons pas plus à ce sujet mais par contre nous tenons à nous excuser pour la photographie qui accompagnait ce reportage. En effet de nombreux canardés ont remarqué que cette photographie, certes envahie de bannières étoilées, montrait essentiellement des personnes ayant dépassé la soixantaine et pesant en moyenne plus de cent kilos. Cette photo a évidemment amené nombre de nos canardés au bord de l’apoplexie, quelle inconscience !

Nous tenons à les rassurer, cette photo achetée à un journal concurrent que nous avons légendée « Des américains organisent des fêtes covid-19 à seule fin d’attraper le virus pour créer une immunité collective. » ne concernaient vraisemblablement pas ce type d’évènement, tout en nous faisant pigeonner nous avons apparemment fait preuve de négligence. Il est en effet peu probable que ce soit le public à risque qui s’expose en premier lieu à une contamination qui peut les foudroyer. Il n’est pas stupide à ce point n’est-ce pas ?

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