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Darwin Le Chat
2 octobre 2015

Présentement

Chalut !

 

Je me présente, Darwin, chat de gouttière vivant à Lyon sur le pâté de maisons bordé par la Place des Jacobins au Nord, la rue des Archers au sud et les rues Emile Zola et Gasparin d’ouest en est. La vue y est plongeante sur nombre d’appartements et, bienheureux encore de trouver souvent les stores remontés ou les volets ouverts, je passe une partie de mon temps à observer vos congénères, surtout ceux quelque peu portés sur ce passe-tout appelé communément « clope ». Je ne connais pas l’étymologie de ce terme, malgré que, comme je le crois, je sois assez chavant ; cependant, il est aisé de le faire découler de « clopin-clopant » ou « clopiner », suggérant ainsi qu’il en va de la clope comme d’une béquille dont on se sert en soutien à une marche déficiente. Savez-vous qu’il y a, au 4 de la rue des Archers, un gros matou qui fait dans la contrebande de cigarettes ? Il est en cheville avec un gang de blattes qui crèche dans la réserve du buraliste et fait son beurre avec la clientèle de l’Hôtel attenant, mais… chut ! Moi-même j’eus quelques bobos par le passé, n’étant qu’un chat, qui plus est de gouttière, ce ne fut que clopinettes en mon soutien ; remis d’aplomb, je m’étonne toujours de voir les humains garder durablement l’usage de leur béquille comme si elle faisait partie d’eux-mêmes.

 

Vous voudriez sûrement savoir comment j’en suis venu à être aussi chavant, et peut-être la façon dont j’ai appris à lire. J’aurais pu apprendre grâce aux monceaux de prospectus publicitaires qui s’entassent à un rythme effréné dans le hall. « Sauvez un arbre, tuez un castor ! » disent les plaisantins. Ce à quoi les castors répondent : « Sauvez cent castors ! Tuez un publiciste ! » (Sic) J’espère que vous prenez soin des arbres. C’est important les arbres, ça permet, entre autres choses, aux chats de trouver un refuge quand un chien les poursuit d’un peu trop près. Je dis cela sans pour autant pouvoir me disculper entièrement, en tant que chat chavant, j’ai ma part de responsabilité puisque j’ai appris à lire grâce aux journaux. Je ne dirais pas que j’en lis beaucoup, ce serait peut-être beaucoup trop dire, j’en lis de moins en moins en fait, tributaire d’un environnement instable. Le matou du 4 rue des Archers ne deale pas la presse, uniquement les cigarettes, cela m’oblige à trouver mes sources d’information ailleurs. Le plus aisé est de visiter les appartements avec Velux, régulièrement ouverts, sauf au cœur de l’hiver bien sûr. Il y a de bels appartements sous toit rue Gasparin qui ne manquent pas de journaux. Le vieil homme qui allait tous les jours chercher son Figaro et son Progrès m’accueillait volontiers chez lui, mais il n’est plus désormais et je suis devenu persona non grata dans ce logement. Un autre vivait au 2 de la rue et avait coutume de s’absenter toute la journée en laissant s’aérer sa chambre par un dispositif qui me laissait le loisir de me glisser sans trop de contorsions. Lui lisait surtout des revues et mensuels. Je tiens de cet appartement le gros de mes premières réflexions sur le comportement humain. Ne le prenez pas pour vous… pour un être qui se croit le seul dépositaire de la conscience universelle, l’humain a l’heur de vouloir absolument prouver le contraire dès que l’occasion lui en est donnée, ce qui n’est pas rare ; du moins, s’il est conscient, il est surtout passablement inconséquent. Il est peu de signe laissant espérer une amélioration car toutes ces analyses dans les journaux prouvaient au moins qu’on tâtonnait la voie à suivre. Or depuis quelques mois, depuis que mon vieil ami a passé l’arme à gauche et que l’homme du 2 a déménagé, mes sources ont tari. Je trouve toujours le moyen de visiter des appartements mais partout ce n’est qu’étalage de papiers aux noms divers et variés : « Métro, 20 minutes, Direct Soir, Gala, Voici… » Vous serez peut-être tenté de penser qu’un chat se complait dans la rubrique chiens et chats écrasés, mais si une telle rubrique existait je préférerais de beaucoup ne pas la lire (hormis la colonne « chiens écrasés » peut-être) et quant au reste… c’est un néant certes capable de prêter parfois à rire (surtout les clichés savoureux de Voici) mais un néant tout de même. Je me sens vraiment démuni ; aurait-on volontairement fermé les écoles de journalisme ? Diable ! Pourquoi aurait-on fait cela ?

Puisque je suis là à vous écrire, j’en profite pour vous conter une petite histoire. Si vous avez déjà visité Lyon peut-être connaissez-vous le jardin du Rosaire qui se situe sous la basilique de Fourvière. Moi, de loin, je le connaissais à peine avais-je ouvert les yeux mais de là à y mettre les pattes, il y avait un monde, un monde tout humide. Quand j’étais tout jeune j’étais, sinon téméraire, du moins assez prompt à me laisser entraîner dans certaines aventures. Je me laissai tenter par Burbulle, un gros chat hirsute, et P’tit Gris, l’un de mes frères. Selon Burbulle, tout chat de gouttière de la Presqu’île se doit de passer au moins une fois dans sa vie les deux fleuves, à commencer par la Saône, laquelle donne un accès à la colline qui donne un point de vue imprenable sur les toits que nous habitons. Nous nous mîmes en marche très tardivement par une nuit froide du début de semaine, façon de limiter les risques d’une rencontre malvenue. Le chemin le long des rues ne m’inquiétait pas beaucoup, nous allions d’une voiture en stationnement à une autre, sans grand risque. Le quai des Célestins était presque désert mais nous le passâmes en toute hâte par crainte d’un chauffard peu scrupuleux. Enfin nous touchions à ce qui m’effrayait le plus : la passerelle ! Ce n’était que quelques dizaines de mètres à franchir en courant le plus vite possible et à cette heure nous avions de grandes chances d’y être seuls. A l’aller j’étais dans une certaine excitation qui m’ôta un peu d’appréhension, je suivis mes camarades sans réfléchir. Un autre quai, désert, nous longeâmes le palais de justice, remontâmes la rue de la Bombarde d’un pas toujours alerte… enfin la montée des Chazeaux. Un imbibé cuvait son vin dans les escaliers mais il ne prêta guère attention à nous, déjà nous touchions au but. Oh quel joli paradis que voici ! Havre de paix et petit pays des arbres et des plantes. On le dit très fréquenté de jour, mais de nuit, fermé à l’homme ordinaire, il va bien aux chats. D’ailleurs nous en croisâmes quelques-uns, que Burbulle salua d’un air entendu, pas de conflit de territoire dans ce lieu là. Nous montâmes jusqu’à la table d’orientation, je découvris Lyon sous un nouvel angle. Cependant des voix d’hommes écourtèrent ce moment de grâce. Burbulle n’en prit pas ombrage, il nous commanda de le suivre et nous filâmes sous la Basilique, empruntâmes quelque raccourci au milieu des arbres avant de rejoindre un endroit encore plus merveilleux et où nulle âme humaine ne traînait son fiel à cette heure tardive. Si vous ne le connaissez pas encore il faut absolument que vous alliez vous asseoir un jour là-bas avec votre ami. Certes il est moins haut que le « belvédère » de la basilique, mais l’environnement de plantes et l’absence de balustrade donne véritablement l’illusion d’avoir la ville à ses pieds. De ce que je peux en voir de mon toit, peu de monde passe par ce côté là du jardin du Rosaire. C’est pourtant le plus bel endroit et facile d’accès. Lorsque vous arrivez en haut de la montée des Chazeaux, pénétrez dans le jardin, montez au troisième virage, passez la statue qui représente peut-être l’homme que l’on nomme Jésus, qu’en sais-je ? Là, allez sur la gauche, faites cent mètres à peine, un petit escalier vous mène vers ce lieu que je vous recommande. Si vous le faites à la tombée de la nuit, que point d’autres humains ne sont présents, vous ressentirez probablement la même chose que moi. Croyez bien qu’il m’en a coûté d’aller jusque là-haut, surtout à cause du retour. Je fus soudain pris d’une terrible angoisse à l’idée de reprendre cette fameuse passerelle. Je m’imaginai qu’on ne pourrait avoir deux fois la même veine et qu’inévitablement nous tomberions nez à nez avec l’un de ses énergumènes qui ont la fâcheuse idée de promener leur chien à point d’heure. Et si, dans un mouvement de panique, je m’en allais sauter dans la Saône ? Burbulle dut jouer les éclaireurs en se postant au milieu de la passerelle avant que je ne l’emprunte à mon tour. Par dieu, jamais je n’ai couru aussi vite de ma vie ! Quel soulagement de rallier l’autre rive tandis que P’tit Gris moquait ma couardise. Voilà donc comment je connus ce petit coin de Lyon.

 

Vous avez, avec Burbulle et P’tit Gris, un petit aperçu de mon entourage. Il faudra que je vous parle de mon ami George le mouet. Vous voudriez sûrement savoir ce qu’est un mouet. Eh bien je vais vous le dire. Je suis de ceux qui trouvent quelque peu anormal de donner du féminin et du masculin à certains animaux et point à d’autres. Donc, puisque George est de l’espèce des mouettes et qu’il est de mon genre plus que du votre, c’est un mouet, et un mouet pas muet pour un sou. Vous voudriez sûrement savoir ce qu’un mouet fait à Lyon. Eh bien je vous le dirai une autre fois.

 

 

Darwin Le Chat.

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