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Darwin Le Chat
11 octobre 2015

Trappe 316

Chalut.

 

A la suite des révélations sur le passé de la fée Odette beaucoup d’entre nous auraient aimé en savoir plus, surtout parmi la communauté des pigeons. Cela arriva mais de manière quelque peu détournée et assez décevante. Comme nous gardions en tête l’hypothèse des univers parallèles émise par Aïcha et que certains pigeons s’amusaient à imaginer leur double dans une autre entité, la discussion bascula peu à peu vers l’étrange. Qu’est-ce qui, d’après nos expériences personnelles, était du domaine du réel et qu’est-ce qui était du domaine du fantasme ? Nous étions tous d’avis que contrairement aux humains, qui prennent pour fous leurs congénères avançant certaines hypothèses, nous pouvions, sur la base de nos expériences communes, en valider quelques-unes. Odette ayant suivi avec intérêt la discussion finit par dire :

– Ce qui m’étonne le plus c’est qu’aucun d’entre vous n’a parlé des trappes.

– Quelles trappes ?

– Personne n’est jamais passé par une trappe ?

– Si bien sûr ! C’est comme une porte mais à l’horizontal.

– Je ne parle pas de ces trappes là ! Je parle des trappes à réponses. Ça vous parle ?

– Absolument pas !

– Mais si voyons ! Vous les pigeons ! Vous avez sûrement déjà vu des feuilles de marronnier numérotées !

– Des feuilles de marronnier numérotées ? A quoi ça sert ?

– On les lit pour passer une trappe. Mais on peut aussi se servir de la clé d’un coffre ou d’une boite car parfois elles ouvrent aussi des trappes. C’est clair ?

– Parfaitement pas.

– Voulez-vous que je vous raconte une histoire pour vous aider à comprendre ?

Nous répondîmes affirmativement unanimement.

– Eh ! bien voilà. J’étais avec Andrea et à côté de chez elle il y avait ce grand marronnier magnifique. J’ai récupéré une feuille, elle portait le numéro 316. Andrea devait le lire à haute voix car c’était son arbre et nous cherchions une réponse à sa question.

– Quelle question ?

– Elle voulait en savoir plus sur la schizophrénie.

– Qu’est-ce que c’est ?

– Chut ! Je raconte !… Un épais brouillard nous a enveloppées et nous ne distinguions plus qu’une lumière bleue clignotante. C’était celle d’une ambulance vers laquelle nous nous sommes approchées. La porte arrière était ouverte et le type au volant nous a fait signe de monter. A peine Andrea avait mis les pieds dans l’ambulance qu’elle a démarré en trombe, peut-être à dessein de me semer, quelle vanité ! Avec moi à ses trousses, je ne forçais pas, l’ambulance est allée à toute blinde jusqu’au Vinatier et a fini sa course par un violent tête-à-queue. Andrea est descendue, moi j’avais déjà repéré une porte entrouverte au bas d’un petit escalier, c’était le chemin à suivre. Derrière la porte un petit couloir débouchait sur une large coursive. Les murs était jaune-pisse et l’éclairage fait de néons assez agressifs, sur le sol il y avait des traces de roulettes et de pas et aussi deux très grosses flèches partant l’une vers la gauche et l’autre vers la droite. Sur la première était marqué : « Par-ici ! » Sur la seconde : « Par-là ! » Andrea a dit : « C’est peut-être un piège ! Allons chacune d’un côté pour le déjouer ! » Ce à quoi j’ai répondu :  « Excellente idée ! Allons chacune de mon côté pour le déjouer ! » Il fallait bien évidemment choisir le côté « Par-ici ! »

– Pourquoi ?

– Tu aurais choisi le côté « Par-là ! » ?

– Pourquoi pas. C’est du cinquante cinquante.

– Con de chat ! Tu files un mauvais coton Darwin !… Je continue !… On est allées par-ici, avons passé une double-porte, derrière celle-ci la coursive n’en était plus une, c’était un couloir proprement carrelé de blanc, proprement lessivé. De part et d’autre il y avait une dizaine de portes et puis il y avait des lits à roulettes avec des sangles. L’une des portes était ouverte, on est passées par-là.

– C’était risqué, mieux aurait valu passé par-ici !

– Chut !… On est passées par-là pour arriver dans une salle ou il n’y avait rien hormis un escabeau et une table supportant quelques bidules marchant à l’électricité.

– Ce qui n’est déjà pas rien.

– Mais vous allez la fermer bordel !… Peu après on a entendu des grincements assez pénibles et puis un lit a débarqué avec une femme allongée dessus. C’était la mère d’Andrea mais plus jeune qu’Andrea.

–…

– Pas de commentaires ?

– Tu nous a dit de la fermer !

– Là vous pouvez parler.

– Ah !… Donc la mère d’Andrea est plus jeune que sa fille. C’est pas un peu pas possible ça ?

– Quand on ouvre une trappe c’est possible. La mère d’Andrea avait plus ou moins 15 ans. Elle avait les yeux ouverts mais regardait dans le vide. A ce moment là un lièvre en blouse blanche est entré dans la pièce. Andrea le connaissait déjà et ils se sont échangé des amabilités assez mal aimables. Comme il était plus petit que le lit, il a pris l’escabeau et a commencé à attacher la mère d’Andrea. C’est là qu’elle a poussé une grosse colère ?

– Qui ça ? La mère d’Andrea ?

– Mais non ! Andrea ! Comme elle était d’humeur à étriper le lièvre, lui s’est carapaté. On lui a couru après mais il a fini par tirer une grille en travers de notre route pour se protéger. Ils ont continué à s’engueuler à distance, le lièvre arguant qu’il ne faisait que son travail. Alors nous on est ressorties comme on était venues mais l’ambulance était partie et Andrea a dû rentrer à pinces.

– Et donc ?

– Ben c’est tout.

– Mais c’est nul. Où est la réponse à la question ?

– Quelle question ?

– Sur la schizophrénie !

– Je sais pas.

– Ces trappes ça sert à rien alors !

– Ça sert à vous prouver qu’elles existent.

– Tu parles d’une preuve ! Autant t’as tout inventé.

– Traite-moi de menteuse et tu vas voir ta gueule !

– Moi je dis que c’est bien la preuve de l’existence des univers parallèles. a dit Aïcha.

– C’est pas un autre univers !

– C’est quoi alors ? Un autre monde ?

– Non c’est le même monde.

– Comment la mère d’Andrea pourrait être plus jeune qu’Andrea elle-même dans le même monde ?

– C’est une trappe temporelle alors !

– Les lièvres portaient des blouses blanches dans le passé ?

– Invraisemblable !

– Faites les hypothèses que vous voulez mais n’oubliez pas la règle qu’on s’est donnée.

– Quelle règle ?

– Qu’on n’écarterait pas une hypothèse simplement parce qu’elle nous paraît invraisemblable.

– Super ! On débat pour se donner des réponses et toi tu nous embrouilles encore plus avec tes histoires de trappes !

– Bon d’accord. Alors pour me faire pardonner vous voulez que je vous chante une chanson ?

– Pas spécialement.

– Alors je vais vous raconter une histoire. C’est l’histoire d’un oiseau qui…

– Un pigeon ?

– Peu importe !

– Evidemment que ça importe !

– Chut ! Je connais un oiseau qui vit dans un pays sans soleil…

– Fallait le dire tout de suite ! C’est une chouette !

– C’est une lubie ?

– Quoi ?

– Quand j’ai raconté cette histoire à Andrea elle a aussi pensé à une chouette ! 

– Parce que c’est évident !

– Mais non ! C’est un con de moineau ! Il vit dans un pays sans soleil parce qu’il pleut tous les jours et toujours à grosses gouttes.

– Ah ! oui il est vraiment con ! J’aurais mis les voiles depuis longtemps moi !

– Moi aussi !

– Mais c’est ce qu’il essaye de faire ! Voilà comment ! Quand il était tout petit cet oiseau était dans un grand nid avec d’autres petits oiseaux et des moyens oiseaux aussi. Les petits oiseaux étaient malheureux dans ce nid parce que les moyens oiseaux leur volaient dans les plumes. Si bien qu’à la fin ils étaient à moitié déplumés. Alors le petit oiseau grandit comme ça, avec des plumes en moins dans un pays où il pleut tous les jours et toujours à grosses gouttes. Dès qu’il met le bec dehors il est mouillé et il a froid, c’est pour ça qu’au début il évite de sortir. Mais un oiseau doit voler, il veut voler, loin, haut, il fait des efforts malgré le froid et l’humidité. Peu à peu il s’endurcit, là où des plumes lui manquent sa peau s’épaissit, devient moins sensible, et malgré son handicap il vole de plus en plus haut, de plus en plus loin. Un jour il tombe sur un rayon de soleil, car à côté du pays sans soleil, il est un pays sans nuages, et entre les deux, une immensité où soleil et nuages se disputent chaque centimètre carré. Ce rayon est comme un poste avancé du soleil en territoire ennemi, il illumine un surplomb rocheux d’une telle clarté que les yeux de l’oiseau, habitués à la grisaille, en sont tout éblouis. Mais il veut y goûter, entrer dans la lumière, alors il se pose sur le rocher, replie ses ailes et s’endort. Enrobé de chaleur il rêve de bonheur au pays sans nuages. A son réveil l’oiseau a mal, là où son plumage est trop fin pour le protéger de la pluie, sa peau épaissie n’a pas empêché les brûlures du soleil. Il s’en retourne sous la pluie pour apaiser ses douleurs mais les gouttes d’eau sont si grosses que chacune d’entre elles diffuse un savant mélange de douleur et de fraîcheur. Mal fichu l’oiseau ne sait plus où aller, alors il regagne son nid et il fait la tête.

– …

– Ça vous a plu ?

– Si j’ai bien compris c’est une variété de moineaux complètement tarée !

– Mais non ! C’est un genre de parabole ! En même temps je me demande pourquoi je m’emmerde à essayer de raconter des histoires à des cons de chats et des pigeons idiots !

– Ben oui ! Pourquoi ?

– Bande cons !

 

Mal lunée la fée.

 

Darwin. 

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