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Darwin Le Chat
3 octobre 2015

Grumpy

 

Chalut.

Comme je crois vous l’avoir déjà dit, je n’ai pas été un grand voyageur lors de mes premiers mois d’existence, notamment par peur de passer par-dessus les fleuves qui font le charme de cette ville. Je passais donc le plus clair de mon temps sur mon pâté de maison à chercher les moyens de cultiver mon grand potentiel intellectuel qui n’a guère pu vous échapper. Ce mode de vie m’allait très bien jusqu’à ce fameux jour du mois dernier où la fée Odette a débarqué en plein milieu d’une discussion que je tenais avec George :

– Salut le dingue et la rieuse ! Quoi de neuf ?
– Une entrée plus polie serait une nouveauté appréciable !
– Pff ! Quel grincheux tu fais matou ! Heureusement que je suis là !
– Pour ?
– Pour te dérider un peu ! J’ai des projets pour toi !
– Du genre ?
– Du genre culturel. Nous irons ce soir visiter le cimetière de Loyasse. Tout refus me fâcherait grandement !
– Fâche-toi autant que tu veux ! Je n’ai aucune intention de traverser la Saône !
– Quel trouillard tu fais matou !
– Facile à dire quand on a des ailes !
– Justement. Avec George et moi pour surveiller les alentours, quel danger peut-il y avoir ? Hein George ?
– Possible. A quelle vitesse peux-tu aller Darwin ?
– Sur une telle distance je ne battrai pas Usain Bolt bien que, comme vous pouvez le constater, je sois superbement bâti.
– Certes. Mais c’est guère difficile trouver une minute sans humain sur la passerelle. Il suffit d’attendre le milieu de la nuit. Je surveillerai un côté et Odette l’autre.
– Si nous partons au milieu de la nuit nous n’aurons jamais le temps de revenir avant l’éveil des humains !
– Eh bien nous ne reviendrons que la nuit d’après.
– La nuit d’après ? Je ne peux tout de même pas passer 24 heures sans manger ni dormir ?
– Ah ! mais quel anxieux tu fais matou ! Comme si c’était chose difficile de trouver un endroit pour dormir et de quoi se nourrir !

Après moult palabres je me laissai convaincre, en route pour l’aventure ! C’était en février, il faisait un peu froid et Odette était salement emmitouflée. Comme convenu nous nous mîmes en route tardivement et la traversée de la passerelle fut rendue aisée par les aptitudes de mes amis ailés. Afin d’éviter une mauvaise rencontre nous empruntâmes le petit bois qui jouxte la montée des Chazeaux et résulte de l’éboulement tragique du 13 novembre 1930. Parvenus dans le jardin du Rosaire nous fîmes une halte au lieu déjà évoqué dans un billet précédent et qui donne ce fameux point de vue sur la ville. Nous allâmes ensuite vers le cimetière mais un petit pêché d’orgueil de ma part nous coûta un fâcheux contretemps. Je voulus bien montrer à Odette et George que mes performances physiques n’ont rien à envier à celles de Passe-passe. Voyant le moyen de gravir un haut mur je me fis soudain deux fois bondissant et me retrouvai dans un jardin arboré. Je gardai le cap à l’ouest mais dans la pénombre je vis venir vers moi une silhouette rugissante que je reconnus immédiatement comme appartenant à un chien. Réflexe instantané, je griffai le premier arbre à ma portée et me hissai hors de portée de la bête pour l’observer d’en haut. C’était un chien beige et blanc, très trapu, apparenté bulldog mais probablement mélangé, en tout cas vraiment vociférant. Son vocabulaire était redondant et passablement offensant. Il voulait savoir qui j’étais, d’où je venais et ce que je faisais sur son domaine ; mais il ne me laissait pas en placer une en réponse. Enfin, au bout de longues minutes il a fini par se taire et a arrêté de gesticuler :

– Chien ! Inutile de te mettre dans tous tes états car je ne fais que passer !
– Que tu crois ! Justement j’ai un mot d’ordre : « On ne passe pas ! » Ne sais-tu pas que cette propriété est privée ?
– Ta propriété ?
– Celle dont je suis en charge et qui appartient au grandissime archevêché de Lyon !
– Il m’est d’avis que ton sens de l’hospitalité a quelque chose de pas très catholique.
– Cette hospitalité dont tu parles ne s’adresse pas aux parasites ! Ce qui exclut d’emblée tous les chats de ce monde.
– Je ne suis pas un parasite.
– Oh que si ! Comme tous ceux de ta race ! Tu ne fais rien ! Tu ne sers à rien ! Tu manges et tu dors ! Un parasite, ni plus ni moins !
– Pour ta gouverne sache que je sers beaucoup !
– Oh ! oh ! De mieux en mieux ! Dois-je comprendre que monsieur se sent partie prenante à l’avancée du monde.
– Je n’ai certes pas dit cha mais enfin… j’ai de bonnes raisons de croire que mon utilité vaut bien la tienne.
– Oh ! oh ! Moi monsieur, j’appréhende, je vilipende, je réprimande ; je garde, je nasarde, je larde ; je veille, je surveille, j’éveille ; je guette, j’enquête, j’alerte ; je lorgne, je grogne, je cogne ; je renifle, je niche, je griffe ; j’appâte, je frappe, je mate ; toutes choses pour lesquelles je ne demande que deux rations par jour et une paillasse pour mon repos. Je mérite ma pitance moi monsieur ! Tandis que toi tu passes tes journées sur un canapé à attendre qu’on remplisse la gamelle dont on te fait grâce et dont tu ne te satisfais guère car bien sûr tu ne sais rien faire mais critique tout.
– Pour ta gouverne chache que je suis de gouttière et par force je n’attends rien de personne.
– Oh ! oh ! Nous y voilà ! Un beau spécimen de chat de gouttière ! Un exterminateur de muridés, famille qui à mon avis, bien que parasitaire dans son intégralité, vaut cent fois la tienne.
– Tu fais bien de rappeler que grâce à nous les humains se trouvent bienheureux d’apaiser l’une de leurs plus improbables phobies. Cependant moi-même je ne chasse qu’en ultime recours.
– Autrement dit ton unique moyen de subsistance est le vol !
– Je ne suis pas un voleur mais un glaneur !

– Voyez-vous ça ? Un de ses félins maléfiques qui sèment la pagaille dans les locaux à poubelles ! Pas de quoi se vanter ! Les glaneurs sont à l’égal des voleurs depuis la nuit des temps. Il en allait déjà ainsi lorsque le gros des habitants de ce pays s’occupait à cultiver la terre. Alors les gens bien au fait des cycles de la nature, savaient lui retourner le minimum vital. Je parle en connaissance de cause car ici nous avons un potager qui attise bien des convoitises. Le glaneur… prenons l’exemple d’un lapin glaneur ; le glaneur donc, s’autorise à penser que s’il reste une salade après le passage du propriétaire du potager cette salade lui est due. Quid de l’humus ? Quid du terreau fertile ? Quid des minéraux ? Vois-tu, l’humain est dans sa majorité bête comme chat, cette majorité qu’on appelle le peuple a engendré bien des glaneurs inconséquents qui, par le besoin d’avoir tout, tout de suite et gratuitement, ont appauvri les sols et compromis les récoltes des années suivantes. Voilà pourquoi le glaneur est à l’égal des voleurs et des braconniers, ceux-là même qui, si on les laissait faire, décimeraient la faune d’un domaine en moins d’une génération. Ne sais-tu pas que si Dieu n’avait pas donné pouvoir à la noblesse et au clergé d’administrer les domaines, ce pays ne serait plus qu’une large steppe déboisée ? Ne sais-tu pas que si la chasse ne leur avait pas été réservée dans bien des forêts qui subsistent, il n’y aurait plus en France ni cerf, ni sanglier, ni renard et j’en passe ? Toi chat, tu es comme ce vil peuple : stupide et imprévoyant ! Glaneur égal voleur !
– Théorie défendable. Mais permets-moi la défense d’une autre ! La mienne parle d’un homme de ce peuple si bien accroché à la terre qu’il a une petite idée de la façon dont on lui parle. De la vue d’un nuage il vous prédit le temps qu’il fera demain, d’un coup de froid au printemps il en déduit l’été à venir. Il a son compost, son fumier, sa chaux. Il sait l’assolement et la jachère. Oh ! certes il ne connaît pas tout ce qu’il y aurait à connaître, il est simplement en phase avec le savoir de son pays, de son époque. Sur la terre qu’il cultive s’élèvent un château, un monastère, passent des soldats, des hommes en prière. Les uns ont fait vœu de pauvreté, les autres pas, mais les premiers mangent bien autant que les seconds, ils mangent de plus en plus. La récolte a été mauvaise ? Qu’importe si le droit du métayage dit ce qu’il dit, on accuse le paysan d’en avoir gardé sous le coude. Le métayage devient de fait un fermage, mais un fermage de spoliation de l’exploitant. Le paysan va mourir de faim. Qu’il veuille s’expatrier, c’est plein de barrages sur les chemins. Qu’il veuille manger un lièvre, on lui interdit de poser ses pièges. Il n’a dès lors d’autres choix que de retourner la terre en quête de la dernière patate, ou bien il s’en va braconner à ses risques et périls. De toute façon le paysan ne fait pas de vieux os.
– Tais-toi donc imbécile !
– Va au diable ! Qui de nous deux est le plus stupide en évoquant ainsi des temps immémoriaux ? Le glaneur n’était pas un voleur hier et l’est moins encore aujourd’hui où trente pour cent de ce qui sort de terre va à vau-l’eau. Pardonne la faiblesse de la métaphore mais l’Eve du 21ème siècle ne se serait jamais rendue coupable du péché originel avec une pomme précédant l’ère de l’homme. Pas assez brillante, trop peu uniforme, tachée… aujourd’hui Eve est du genre délicafoireux !
– A d’autres manant ! Je…

A cet instant Odette, qui tout comme George ne s’était pas signalée depuis mon entrée dans le jardin, a fait irruption dans toute sa luminosité, s’est plantée devant le museau du chien et a hurlé :

– Ferme ta gueule cabot !

Le chien a fait un bond en arrière, surpris par la manœuvre et la présence d’un être qu’il n’avait sûrement jamais eu le loisir de rencontrer. Cependant, de par son métier de gardien il n’était pas facile à effrayer et s’est vite ressaisi. Il a repris le terrain concédé dans une vaine tentative d’attraper Odette entre ses crocs. Peine perdue, cette fée, agile comme une hirondelle, savait se tenir juste hors de portée de son assaillant, ce qui naturellement a eu le don de l’énerver. Mon contradicteur s’est démené, a sauté en l’air tant et tant qu’il a fini par se fatiguer et en a pris son parti. Il s’est accroupi au pied de l’arbre dans lequel j’avais grimpé et a décidé qu’il avait tout son temps :

– Soit. Puisque la fée me prend de haut j’attendrai ici que toi le chat, tiraillé par le froid et la faim, tu redeviennes plus terre à terre.
– Et puis ?
– Et puis je te rosserai !
– Pourquoi ?
– Pourquoi pas ?
– Pff ! Idiot de clebs ! On a des choses à faire nous ! Laisse-le descendre !
– George ? George t’es là ?
– Au-dessus de toi !
– Je crois que j’ai besoin de ton aide.
– I know but… C’est molosse anglais ce chien-là. Veux-tu que j’aille chercher les pigeons ?
– Sûrement pas ! Je ne veux pas leur être redevable.

J’ai regardé le chien en espérant déceler en lui les signes d’un endormissement à venir. Il avait l’air à nouveau en pleine forme et m’a souri très ironiquement. Quelques minutes ont passé dans un grand silence durant lequel chacun de nous réfléchissait à une solution. Soudain deux chats sont apparus dans le jardin et se sont avancés tranquillement.
– Alors Grumpy ! Encore en train de torturer l’un de nos hôtes ?
– De une, ce n’est pas notre hôte mais un intrus ! De deux : mêlez-vous de vos oignons !
– De trois : devine qui a actuellement les pattes dans ton assiette de pâtes ?
– Nom d’un chat !

Grumpy est parti en courant vers le bâtiment le plus proche et je ne me suis pas fait prier pour sauter de mon perchoir. Je m’apprêtais à tracer vers l’ouest quand l’un mes deux congénères m’a interpellé :

– Habebimus Papam ?
– Quoi ?
– Aurons-nous un pape ?
– Qui ? Nous les chats ? Le même que les humains non ?
– Benoît XVI a démissionné.
– Ah bon ? Je l’ignorais, pourtant je suis assez chavant mais j’éprouve en ce moment quelques difficultés d’accès à mes médias.
– La question est : « Avait-il le droit de le faire ? ». Je veux dire… au regard de la communauté des croyants.
– Je l’ignore et n’entends pas attendre le retour du crétin canin pour l’apprendre.
– Oh ! ne vous en faites pas trop pour cha ! Il est tout en bouche. Si vous êtes dans les parages dans deux heures, joignez-vous à nous pour les mâtines.
– J’y penserai… Mais au cas où… adieu !

Je ne traînai pas, courrai à travers le potager suivant les indications d’Odette, passai un mur, un nouveau jardin arboré, pris par la gauche d’un hospice, revins sur ma droite, traversai un terrain de sport, une rue déserte, sautai sur un muret : le cimetière de Loyasse ! Vous voudriez sûrement savoir ce que j’y vis. Eh bien soyez un peu patients car je vous le dirai dans une prochaine aventure.

Darwin.

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