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Darwin Le Chat
12 janvier 2019

Pigeon Postal

Pigeon Postal.

Ce que j’aime bien quand je suis sur mon toit c’est que j’ai un point de vue sur un objet qui m’intéresse particulièrement. Il est assez facile d’apercevoir la boîte aux lettres de la Poste qui se trouve à l’un des angles de la place des Jacobins. Enfin disons tout de même qu’il est plus facile de l’apercevoir en hiver qu’en été car ils ont planté un arbuste il y a trois ans et celui-ci a bien profité des deux mètres cubes de terre qu’on lui a alloués en pleine propriété et de l’air pur et renommé dans lequel baigne notre belle cité de Lyon. Donc il est déjà suffisamment touffu pour faire de l’ombre à cette fameuse boîte aux lettres et quand il a toute ses feuilles, on ne peut voir que le bas de la boîte aux lettres. Quand il y a une lettre à poster je la confie d’ordinaire à Odette mais à cause de son sale caractère, il est parfois utile de se passer de ses services, surtout quand on n’a pas le choix comme durant sa longue absence. Que l’on soit sur mon bloc ou le très grand bloc je confie la lettre à Biscotte puisqu’elle n’a pas son pareil pour glisser le pli dans la fente d’un seul tour de cou. Je lui confiai donc la dernière lettre qui était adressée à l'une de mes correspondantes sans oublier de lui rappeler les précautions d’usage :

– Tu restes bien concentrée d’accord ? Tu ne fais pas comme ton père qui se laisse distraire par tout et n’importe quoi !

– Oui ben ça va ! J’en ai pour moins de vingt secondes !

– Cette lettre va à Palaiseau alors tu la mets dans la fente… ?

– Évidemment que je la mets dans la fente !

– Oui mais quelle fente ?

– La fente de la boîte aux lettres ! Tu me prends pour une idiote ?

– Oui mais la fente estampillée « Autres départements. »

– Ben oui comme d’habitude ! De toutes façons tous tes correspondants sont sur Paris ou Outre-Atlantique ! A croire que les lyonnais ne sont pas assez bien pour toi ! Espèce de snob !

– Est-ce que c’est ma faute si cette histoire de castor mort m’a rapporté autant de notoriété ?

– Ça non, c’est celle d’Herbert ! Paix à son âme !

– Ben voilà. Donc tu la mets dans la fente… ?

– Autres départements ! C’est bon ? Je peux y aller avant que les humains ne sortent de leur léthargie ? Je me lève aux aurores pour te rendre service, pas pour me faire remarquer par un deux pattes qui balade son chien !

Tenez ! à propos de se lever aux aurores, moi je ne le fais qu’en cas de force majeure. S’il m’arrive de voir le soleil se lever c’est plus souvent à la suite d’une nuit blanche et autant dire que je me rattrape bien dans la journée suivante question dodo. Je me doute que vous avez le loisir d’observer beaucoup de pigeons. Je crois qu’ils fréquentent surtout les villes qui ont totalement des allures de villes, c’est à dire avec beaucoup beaucoup de béton ou de goudron par terre, pas trop fournies en arbre quoiqu’ils soient assez sensibles à la présence de parcs urbains du moment qu’il y a des bancs publics. Donc pour ça, on peut dire que les villes se ressemblent. Les pigeons sont, comme on dit, les rats des toits, sauf qu’eux, je n’ai pas le droit de les manger à cause de l’interdiction formulée par Odette. Je les trouve particulièrement déconcertants notamment dans leurs habitudes personnelles. Certains se lèvent bien avant les autres sans que cela soit toujours systématique. Pas moyen de savoir pourquoi. Si on le leur demande la réponse est invariablement la même :

– Vous les chats, vous ne faites pas tous la même chose en même temps n’est-ce pas ? Ben nous c’est pareil !

Revenons à nos chatons. Biscotte s’apprêtait enfin à prendre la lettre dans son bec mais par précaution je lui posai une dernière question :

– Rappelle-moi de quel côté est la fente « Autres départements » ?

– A droite !

– T’es sûre ?

– Il est certain en tout cas que mes certitudes à ce sujet dépassent sûrement les tiennes ! Au pire je vais vérifier à nouveau si ça peut te rassurer.

– Ce serait gentil de ta part.

Elle s’envola donc jusqu’à la boîte aux lettres, se posa sur le sol, regarda deux secondes la boîte, revint vers moi à tire-d’aile, prit la lettre dans son bec sans mot dire, et repartit en direction de la boîte. Comme elle alla directement se poser sur la boîte afin de glisser le pli dans la fente par en-dessus, je ne la vis plus durant un court instant, cachée qu’elle était par les feuilles de l’arbre. Mais alors que je pensais le pli dans la boîte, je le vis soudainement tomber sur le sol.

– Ma lettre ! m’exclamai-je en mon for intérieur.

Je vis Biscotte sauter sur le sol à côté de la lettre, s’en saisir, remonter sur la boîte, du moins le supposai-je, puis, quelques secondes plus tard, la même scène exactement se reproduisit. Il s’écoula ensuite une bonne vingtaine de secondes avant que je ne visse Biscotte revenir vers moi passablement contrariée :

– Non mais qu’est-ce qu’elle a cette boîte aux lettres ? C’est la première fois que je vois ça !

– Allons bon ! C’est de la faute de la boîte maintenant ! Tu m’avais pourtant promis.

– Mais j’ai fait exactement la même chose que d’habitude ! Je glisse la lettre dans la fente, je m’apprête à mettre les voiles, et voilà que la boîte me la recrache ! Je la ramasse, je retente ma chance : rebelote ! Au troisième coup j’ai tenté de lui donner un peu plus d’élan et ça semble avoir fonctionné. Je l’ai matée on dirait.

– Écarte-toi un peu !… Bon, oui, elle ne semble pas être retombée.

– Au pire un passant la remettra dedans tu sais.

– Oui mais j’ai l’impression que le sol est encore humide. J’espère que la lettre n’était pas trop abîmée !

– Non ça va.

Il faisait très beau ce jour-là et il avait fait très beau les jours précédents. Seulement il vous faut savoir que je vis dans un excellent quartier au goût des humains, ce qui en fait un quartier pas toujours facile à vivre pour les chats de gouttières comme vous avez pu le constater à travers mes aventures. Alors puisqu’il s’agit de l’un des plus beaux quartiers de Lyon et que les gens de passage aiment à y faire un passage, la municipalité le nettoie tous les jours, plutôt la nuit en fait, au jet d’eau. Lyon est une ville très très propre, surtout dans ce quartier. D’après ce qu’en disent les pigeons, si on s’éloigne un peu vers l’Est, on trouve des endroits souvent propres où la municipalité nettoie toutes les semaines. Et si on s’éloigne un peu plus vers l’Est, on trouve des endroits parfois propres où la municipalité nettoie tous les mois. Et si on s’éloigne un peu plus vers l’Est, on trouve des endroits une fois propres où une autre municipalité nettoie tous les ans à l’occasion de ce qu’elle appelle un nettoyage de printemps ; là il faut un jet d’eau très puissant comme ceux des pompiers, du moins assez puissant pour faire rouler un rond en forme de pneu ou un carré en forme de machine à laver. Et si on s’éloigne un peu plus vers l’Est, là une autre municipalité a décidé de laisser la nature suivre son cours. Alors cet endroit fort éloigné pour un chat du centre-ville de Lyon est parfois très propre s’il est fort éloigné d’un panneau avec marqué dessus « Aire de pique-nique » et s’il est fort éloigné d’un cours d’eau que les humains ont confondu avec une décharge et s’il est très fort éloigné d’une décharge que les humains ont confondu avec une décharge de plus grande taille et moins exposée au vent. Et quand toutes ces conditions sont réunies, cet endroit très propre en apparence est parfois très sale de saleté invisible. Et parfois un humain prévenant, signe que les humains font les choses bien, a planté un panneau avec marqué dessus : « Pique-nique interdit. » ou encore « Il est déconseillé d’avaler ou respirer toute substance issue de ce sol durant les 200 000 années à venir. »

Donc voilà, maintenant vous savez pourquoi la phobie de la saleté engendre des lettres mouillées. Et dans un prochain billet vous en saurez un peu plus, ou pas, sur le vent qui souffle sur les décharges ou ailleurs. Mais en attendant laissez-moi vous raconter la suite de cette journée où la lettre que normalement ma correspondante a reçue a normalement fini dans la boîte. Biscotte était assez contrariée par cette mésaventure et décréta que la journée était mal engagée :

– Cette journée est mal engagée ! Je crois que je vais retourner me coucher.

– Je ne sais pas si cette journée est mal engagée mais j’avais de toute façon prévu de retourner me coucher.

Je ne sais pas combien de temps a duré le somme de Biscotte mais personnellement, quand je me suis levé, le soleil était déjà en phase descendante depuis longtemps. Grabel a dormi aussi longtemps que moi. Il se peut que notre réveil ait été un peu précipité parce Burbulle et Aïcha nous ont rendu visite ce jour-là. Je trouve que Biscotte est un peu aux pigeonnes ce que Aïcha est aux chattes, elles ne craignent ni l’une ni l’autre d’affirmer leurs positions quitte à avoir raison, ou tort, seules contre tous. Biscotte n’avait apparemment toujours pas digéré l’affront de la boîte aux lettres et décida de raconter cette mésaventure qui fit beaucoup rire Burbulle, Grabel et Riton. Aïcha ne rit pas et dit le plus sérieusement du monde :

– La boîte aux lettres a refusé cette lettre parce que celle-ci ne lui plaisait pas !

Burbulle, Grabel et Riton rirent de plus belle. D’autres pigeons vinrent partager ce moment de gaieté.

– Et en quel honneur ma lettre lui aurait déplu ?

– Peut-être qu’elle n’aimait pas l’enveloppe.

– Allons bon ! J’ai déjà utilisé ce genre d’enveloppes des dizaines de fois et cette boîte les as toujours acceptées.

– Alors c’est à cause du timbrage ! Peut-être qu’elle a jugé que ta lettre était trop lourde pour un seul timbre.

– J’ai mis deux timbres.

– Tu veux dire que J’AI mis deux timbres !

– Oui… Biscotte a mis deux timbres.

– Au cordeau je dois dire. Je suis devenue plutôt hyperdouée.

– Excuse-moi de ne pas avoir les équipements requis !… Toujours est-il que deux timbres suffisaient amplement pour un tel pli !

– Quel genre de timbres as-tu choisis ?

– Des timbres représentant Mickey. Tout à fait bien choisis.

– Cette boîte aux lettres n’aime pas Mickey voilà tout !

– Ah oui ? Alors explique-nous pourquoi elle a accepté la lettre au troisième essai.

– Parce que quand quelque chose ne lui plaît pas elle renâcle ! Mais elle sait aussi que c’est son travail de garder les lettres alors si on insiste un peu elle comprend qu’elle ne peut pas insister de son côté. Les travailleurs n’aiment jamais trop être accusés de ne pas faire leur travail.

– Tout cela c’est bien joli, a dit Riton, mais cette boîte n’a pas refusé cette lettre pour une simple raison : une boîte aux lettres est un objet et un objet ne pense pas !

– Comment cela un objet ne pense pas ! s’est offusquée Aïcha. Il ne pense peut-être pas comme toi et moi mais à sa façon un objet saura toujours te faire passer ses messages !

Burbulle et Grabel tentaient de dominer leur envie d’hilarité tandis que les pigeons présents, Biscotte mise à part, ne se dominaient pas du tout. Aïcha ne sembla pas s’en émouvoir et rajouta :

– Puisque vous êtes si malins, expliquez-moi pourquoi cette lettre a été refusée deux fois par la boîte si la boîte n’a pas voulu la refuser ?

– Je vais te l’expliquer le plus simplement du monde. répondit Riton. Cette boîte était presque pleine et la lettre est tombée toute seule. Quand Biscotte l’a poussée un peu plus fort, elle a réussi à la coincer derrière d’autres lettres, voilà tout. Et je rajoute que si un jour une boîte refuse d’elle-même les lettres, c’est que les humains lui ont greffé un ordinateur et une balance pour faire un tri directement à la source. Pas le bon timbre, hop ! Refusée ! Adresse illisible ou incohérente, hop ! Refusée ! Je suis même étonné qu’ils ne l’aient pas déjà fait. Moi à leur place c’est ce que je ferais.

– Ça m’étonne à peine de toi. Mauvais que tu es !

– Ah ah ! Voilà une chose qui te pend au nez Darwin ! Un jour les boîtes refuseront vraiment tes lettres !

– Ça m’étonnerait puisque je mets toujours suffisamment de timbres.

– Tu veux dire que JE mets toujours suffisamment de timbres. a dit Biscotte.

– Un jour chaque timbre aura un code unique et tous les timbres issus de carnets volés par une fée voleuse seront décrétés caduques et les boîtes aux lettres toutes équipées de faisceaux laser refuseront les lettres timbrées avec ! Et tu feras comment à ce moment-là, gros malin ?

– J’utiliserai des pigeons voyageurs à la place, petit malin !

– Il y a quelque chose qui ne tient pas dans ton histoire Riton. a dit Aïcha revenant à la charge. Depuis quand cette boîte aux lettres, qui est relevée tous les jours, déborde de courrier ?

– Depuis qu’ils ont supprimé celle de la rue des Archers !

– Ils ont supprimé la boîte de la rue des Archers ? Pourquoi ?

– Sûrement parce qu’elle gênait !

– Elle gênait qui ? Le trottoir est très large comparé à ceux de cette rue.

– Elle gênait parce qu’une boîte aux lettres aux couleurs de la Poste ça fait mauvais genre sur le mur d’une boutique Louis Vuitton !

– Oh ! Blague à part ?

– J’ai l’air de blaguer ?

– Oh !… Non, il doit y avoir une autre explication !

– Je ne crois pas, non !

– Je pense plutôt que c’est à cause du fait que les gens n’ont plus de correspondants. Alors il y a moins de courrier et la Poste essaye de faire des économies.

– Ben alors ça ne change rien, c’est toujours une question d’argent !

– Moi j’ai la vraie explication ! a dit Aïcha. Cette boîte a été supprimée parce qu’elle refusait trop de courrier.

Est-il utile de préciser que les rires repartirent de plus belle ? Moi je ne ris pas car cette idée d’objets animés n’est pas qu’une lubie née dans l’esprit d’Aïcha. C’est une croyance que bien des humains ont eu avant elle et toute croyance est digne d’un certain intérêt. Bien sûr je pense que Riton a raison concernant la lettre que ma correspondante a reçue ou peut-être pas reçue. C’est comme un vase que l’on remplit d’eau, il y a bien un moment où il va déborder. C’est évidemment mieux de disposer de deux verres quand la quantité de liquide qu’on veut y déverser ne rentre pas dans un.

 

Dans mon prochain billet je vous raconterai comment Aïcha nous entraîna plus loin dans ses pensées dès après que les rires se sont éteints et que le vent s’est levé.

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