Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Darwin Le Chat
12 janvier 2020

Pigeons Nocturnes

Lyon 12 janvier 2020

Chalut !

Sachez que la discussion sur les voyages à la vitesse de la lumière a eu des suites car nous avons beaucoup parlé d’étoiles ces derniers mois. En particulier cela a conduit les pigeons à faire un truc dont je ne les imaginais pas capables et que je vais vous raconter ci-après.

Laissez-moi d’abord vous raconter la dernière irruption d’Odette qui crut nous surprendre, moi et Grabel, dans une séance de folie partagée. Nous étions en fait sur le faîte du toit, les yeux bien fermés mais la bouche pas toujours coïte.

– Hirondelle... hirondelle… clair… virevolte… provoque… presque attrapée… clair… clair… sombre… nuit… zébrures… éclairs… formes… ronds difformes… fluctuations… … galaxies… tunnel… rat courant… regard noir… lumière lointaine… éclat solaire… lumière chaude… Pristi… gamelle de croquettes… Saint Sauveur l’Acéré… dents…

– Tu parles en dormant Grabel ?

– Ah non Odette ! C’est pas le moment, là !

– Comment ça pas le moment ? Faudrait que je prenne rendez-vous maintenant ? Manquerait plus que ça ! Comme si vous aviez autre chose à foutre que de m’accueillir ? Vous foutiez quoi d’abord ?

– On paupièrisait !

– Vous vous paupérisiez ? Pas la peine de vous donner cette peine vous êtes déjà carrément pauvres !

– On ne se paupérisait pas, on paupièrisait ! Cela n’a rien à voir !

– Paupiériser ça ne veut rien dire !

– C’est peut-être pas un mot du dictionnaire mais cela ne veut pas rien dire ! Paupiériser c’est visualiser des choses sur ses paupières !

– Heu… matou je crois que ce dont tu parles ça s’appelle juste la pensée !

– Non !

– Ben si ! Tu crois voir les choses avec tes yeux mais c’est parce que tu as des images en pensée dans le devant de ta tête idiote !

– Non ! Je sais exactement ce qu’est la pensée Odette ! La paupiérisation c’est de la pensée mais qui est dirigée mentalement vers les paupières jusqu’à s’autonomiser !

– Qu’est-ce que tu racontes matou ? N’importe quoi !

– Ne dénigre pas quelque chose que tu n’as pas expérimentée toi-même !

– Pourquoi voudrais-tu que j’expérimente quelque chose tout droit sorti de ton imagination ? La pensée c’est la pensée ! Pas de besoin de paupières et même pas besoin d’avoir des yeux !

– Tu ne comprends pas ce que l’on fait Odette ! Il y a besoin d’avoir des paupières pour paupiériser ! D’abord on pense, mais on projette nos pensées sur nos paupières qui sont alors comme un écran de cinéma. Secondement on devient spectateur de nos propres pensées car nous ne les dirigeons plus mais nous nous contentons de regarder ce qui vient spontanément sur l’écran formé par nos paupières. Il s’agit réellement d’une projection Odette ! C’est sans doute une forme de pensée mais qui est totalement distinguable de la pensée ordinaire ! Il faut l’expérimenter avant de vouloir en parler ! Reviens quand tu sauras paupiériser et laisse-nous paupiériser en paix !

– Tu me chasses ?

– Pas du tout.

– Parce que tu crois que tu me chasses ? Tu me chasses pas matou ! Je me casse ! Vous m’avez gonflée !

– D’accord ! Reviens quand tu veux Odette !

– C’est ça !

– Tu nous laisses pas de la farcie ?

– Genre !

 

J’adore paupiériser ! Pas vous ? D’ailleurs la paupiérisation permet souvent de voir des choses relatives à l’espace. Odette prétend qu’on ne risque pas de voir grand-chose dans la mesure où on aurait une vue déficiente selon elle, qui plus est posés sur le toit d’un immeuble d’une cité qui se prétend ville lumière. Voici ce qu’elle en dit :

– Avant de vouloir parler d’espace il faudrait avoir une petite idée de ce que c’est !

– Pour cela il y Terre-nette Odette !

– Parce que tu crois que sur la tablette infernale tu peux prendre conscience de la grandeur du truc ? Matou, pour cela il faudrait que tu descendes de ton perchoir et que tu marches quelques dizaines de kilomètres une nuit sans lune, histoire d’avoir une chance de rallier un champ un minimum éloigné des habitations ! Autant dire que c’est pas près d’arriver !

– Dans ces conditions j’imagine que non, effectivement.

– Alors pourquoi tu t’autorises à parler d’espace quand tu n’as jamais vu une étoile de tes propres yeux !

– C’est faux Odette ! Des fois j’en vois des étoiles ! Un soir même… justement lors d’une nuit claire et sans lune, je fus réellement subjugué par toutes les étoiles que je pouvais voir ! J’en ai compté 42 figure-toi !

– 42 ? C’était pas plutôt 69 ?

– Non, 42 ! C’était chouette !

– Merde alors ! 42 ? C’est énorme matou ! T’en as de la chance !

– C’est ce que je me suis dit !

– Pour le coup t’as même peut-être vu la voie lactée.

– Non quand même pas.

– Voie lactée qui contient ?

– Qui contient quoi ?

– Combien d’étoiles ?

– Je n’ai jamais cherché la réponse à cette question !

– Sans doute plus de 280 milliards d’étoiles matou ! Et alors toi, posé là sur ce toit pourri, tu t’extasies à la vision de 42 étoiles dont au moins une ou deux étaient manifestement des planètes situées à deux pas d’ici ! Est-ce que tu mesures la tristesse de ta condition ?

– Je ne suis pas triste.

– C’est bien cela le plus triste ! Il suffirait que tu t’en donnes un peu la peine pour ne pas mourir sans avoir vu une fois ce que tout être vivant et voyant à la surface de la terre devrait pouvoir voir : un ciel nocturne non pollué !

– M’en donner la peine… T’en as de bonnes toi ! C’est déjà pas une partie de plaisir d’aller jusqu’à Loyasse, alors si en plus faut grimper dans les monts du lyonnais pour aller admirer les étoiles…

– T’aurais quand même pas dans l’idée de t’élever au-dessus de Lyon pour échapper aux lumières de Lyon ? Non, le truc à faire c’est de trouver un train de marchandises en partance et de grimper dedans ! T’aurais les tripes pour ça matou ?

– Euh… Je sais pas… ça me paraît un peu aventureux tout de même.

– Je croyais que ton truc c’était de vivre des aventures !

– Oui enfin… dans la mesure du raisonnable !

– Dégonflé !

 

A ce moment-là Riton sortit de la sous-pente des pigeons et s’envola vers Bellecour. Odette le siffla !

– Hé Colombine ! Ramène un peu tes ailes !

– Riton opéra un virage serré et vint se poser sur une cheminée à proximité.

– Je t’ai déjà dit de ne pas m’appeler comme ça !

– Pourquoi pas ?

– Parce que j’aime pas !

– Raison de plus! Riton, j’ai une question pour toi ! Depuis combien de temps t’as pas quitté la Presqu’île !

– Depuis hier !

– Menteur !

– Je quitte la Presqu’île presque tous les jours, t’as qu’à demander à George, il peut témoigner !

– Hum… T’es pas un pigeon exemplaire ! Va chercher tes acolytes, tes rejetons, tes frères, tes sœurs ; enfin tout le troupeau quoi !

– Qu’est-ce que je gagne ?

– Double ration de farcie !

– OK !

– Quelques minutes plus tard Riton revint accompagné d’une dizaine de ses congénères et Odette prit la parole :

– Un par un j’aimerais que vous me disiez quand vous avez quitté la Presqu’île pour la dernière fois.

Les pigeons répondirent et à ma grande surprise plusieurs d’entre eux concédèrent ne pas en avoir le souvenir. L’avant dernier-né de Biscotte, qui s’appelle Banofee-Banofee, affirma être tout à fait certain de ne jamais avoir quitté le quartier. Il délimita clairement son espace vital courant de la rue Herriot aux quais de Saône dans la longitude et du sud Bellecour au nord de la place des Jacobins dans la latitude.

– Pourquoi tu te mets des barrières dans la tête Banofee ? questionna Odette.

– Quelles barrières ?

– Qu’est-ce qui t’interdit d’aller voir au-delà ? Riton n’arrête pas de se vanter de pouvoir voler à 70 km/h donc j’imagine que c’est dans tes cordes !

– Je le bats à l’aise ce papy !

– Je voudrais bien voir ça !

– On se lance pas dans un concours d’égo là ! Tout ce que je vois c’est que si tu décidais de partir à tire-d’aile dans n’importe quelle direction, avec un peu d’effort tu verrais facilement du pays ! Donc pourquoi toi tu te contentes de ce quartier foireux ?

– Il n’est pas foireux du tout ce quartier ! Il est même très bien ! Y a tout ce dont un pigeon peut rêver ! Pourquoi veux-tu que j’aille voir ailleurs ?

– Mais pour voir le monde bon sang ! Et pour aller dans un endroit où l’on peut voir les étoiles !

 

A ce moment-là tous les pigeons se regardèrent les uns les autres. Un autre pigeon du clan, dénommé Beignet, demanda pourquoi fallait-il aller voir les étoiles.

– Mais parce que c’est essentiel de voir à quoi ressemble un ciel étoilé ! Non mais c’est dingue ! J’étais en train de planifier un voyage pour que ce con de chat puisse dépasser son handicap et puis j’ai pensé à vous en voyant Riton ! Il est gratiné dans son genre ce matou, mais vous vous en tenez une sacrée couche ! Vous avez la capacité de faire des voyages aussi facilement que George le Mouet mais vous c’est à peine si vous daignez traverser la Saône !

– Mais on est très bien ici ! Et il faut tenir le terrain sinon d’autres nous voleront notre place si convoitée !

– Et surtout on est en sécurité !

– Sauf quand il y a des gros cons dans des grosses bagnoles !

– Oui ben à choisir je préfère me faire rouler dessus qu’embarqué par un faucon !

– Ou bouffé par un gros chat noir !

– Il a pas le droit !

– Je pourrais lui redonner ce droit-là !

– Tu ferais pas ça quand même ?

– Alors dites-moi pourquoi vous n’êtes pas intéressés à voir les étoiles ?

– Mais les étoiles c’est la nuit Odette !

– Ben évidemment c’est la nuit !

– Mais la nuit on dort !

– Vous dormez mais vous n’êtes pas obligés de toujours dormir ! Vous pouvez bien faire une exception non ?

– Une exception ? Comment cela ?

– Eh bien une fois dans votre vie vous n’aurez qu’à dormir la journée et la nuit je vous accompagnerai dans un endroit où nous pourrons admirer les étoiles. Qu’est-ce que vous en pensez ?

– Euh… Ce serait pas un peu dangereux ?

– Bien sûr que non puisque je serai avec vous !

 

Les pigeons se regardèrent longuement. L’idée faisait son chemin mais les réticences restaient nombreuses :

– Mais quand mangera-t-on si on dort le jour et vole la nuit ?

– Je vous donnerai de la farcie avant ! Cela remplacera allègrement plusieurs heures passées à picorer le bitume !

Les yeux s’illuminèrent.

– Oui mais… nous tu sais on n’est pas des canards, on sait pas voler en formation !

– Mais je ne vous demande pas de vous transformer en canards ou en patrouille de France ! On volera le long de la Saône puis par-dessus un peu de campagne et on sera vite dans un endroit propice. C’est l’affaire de deux ou trois heures selon l’intérêt que vous trouverez dans la contemplation des étoiles. On pourra même demander à George de nous accompagner.

 

Les pigeons semblaient de plus en plus emballés et de minute en minute l’affaire se concrétisa. Odette proposa une date assez proche, il fallait profiter de la prochaine lune noire. Quand tout fut bien planifié les pigeons semblèrent tout à fait en joie, j’avais l’impression d’être soudain devenu invisible. Je ne pus m’empêcher de penser que c’était l’occasion pour sauter sur le râble de l’un d’entre-eux. Odette finit par me sortir de mes pensées malsaines :

– Désolée Darwin, mais on va pas pouvoir t’emmener !

– Oui ben j’avais compris.

– T’es pas jaloux ?

– Jaloux de quoi ? D’être un chat plutôt qu’un pigeon ? Non je t’assure ! Trop peu pour moi !

– Oh oh ! Fais-pas cette tête-là ! Je te trouve un train quand tu veux !

– J’ai pas besoin de voir les étoiles Odette !

– Jaloux !

 

Comme elle allait finir par m’énerver je préférai m’éloigner. J’allai passer mes contrariétés auprès de Saint Sauveur l’Acéré qui a l’art de démarrer au quart de tour quand je le provoque sur des sujets qui lui tiennent à cœur. Le jour prévu pour l’escapade des pigeons je me tins à distance. Cependant j’étais dans ma sous-pente à l’heure des préparatifs et j’entendis l’excitation de mes voisins. Enfin je distinguai le bruit caractéristique des pigeons s’extirpant de leur nichoir les uns après les autres et un certain silence se fut, il ne devait rester qu’un ou deux d’entre eux, sans doute des inaptes à une telle aventure. J’avais la paix, je pensai passer la nuit là, à dormir. Cependant, moins d’un quart d’heure après le brouhaha du départ j’entendis le brouhaha d’un retour précoce. Je distinguai mal ce qui se disait jusqu’à entendre la voix d’Odette qui calma tout le monde :

– Qu’est-ce que vous foutez bande de cons ! On y va là !

– Mais Odette ! Il fait super froid ce soir ! Il faut attendre une soirée plus clémente !

– Vous trouvez qu’il fait froid ? Non mais vous déconnez ? Vous êtes les plus gras de la cité et j’ose prétendre que c’est un peu grâce à moi ! Bougez-vous où je vous sors de là à coups de décharges électriques !

 

Je n’eus pas à attendre longtemps pour retrouver de la quiétude. Je pensai que si les pigeons devaient à Odette une partie de leur ration alimentaire, de facto la plus nutritive, alors les pigeons me le devaient aussi puisque c’est bien en raison de ma présence qu’un jour Odette s’est intéressée à ce toit-là plutôt qu’un autre. Ensuite je m’endormis facilement et fus réveillé par le retour bruyant et enjoué de la volaille. J’ignorais combien de temps s’était écoulé entre le départ et le retour mais je compris rapidement que les pigeons sortaient d’une expérience qui faisait l’unanimité dans leurs rangs :

– Ah les amis ! Quelle expérience !

– Serrons-nous les uns les autres pour nous réchauffer !

– Ouais mais pas trop quand même ! Tu m’écrases là !

– Quelqu’un a trouvé que le toucan ressemblait à un toucan ?

– C’est quoi un toucan ?

– Toi, il serait peut-être temps que tu trouves un rebord de fenêtre de salon !

– Bref, j’ai pas vu le toucan !

– Moi j’ai rien vu qui ressemblait à ce qu’elle nous a dit !

– A part le lézard !

– Absolument pas ! Le lézard ressemblait à un serpent ! Ou alors Odette s’est gourée dans son décompte d’étoiles !

– Je ne comprends pas pourquoi les humains n’ont pas de constellation du Pigeon !

– Si ça peut te rassurer ces connards de chats n’ont pas non plus de constellation à leur nom !

– Oui mais j’ai eu beau scruter le ciel, je n’ai pas vu trace d’un chat alors que des pigeons y en a plein ! Suffit d’ouvrir les yeux !

– On se demande quel être divin aurait agencé les étoiles de manière à dessiner des chats quand il peut dessiner des pigeons !

A cet instant j’entendis nettement Riton se lancer dans une imitation de moi-même :

– Ta remarque est un peu trop anthropocentrée ma chère ! Tu ne vas pas croire comme les humains que la terre est au centre de l’univers ?

Le ricanement général qui suivit ne laissait aucun doute quant au caractère moqueur de cette intervention.

– On n’avait pas statué sur le fait qu’il n’y a pas d’être divin ?

– Pas du tout ! On a statué sur le fait qu’on est agnostiques comme le dormeur d’à-côté !

– A propos du dormeur d’à-côté, clama Biscuit. J’ai une idée ! Demain on lui demandera de nous montrer la carte du ciel sur la tablette infernale ! Et alors on la refera !

– Sûrement les pigeons voyageurs doivent trouver leur chemin en scrutant le ciel !

– Si c’est le cas les pigeons voyageurs anglais doivent toujours être l’ouest ! Comment qu’ tu ferais quand y a des nuages ?

– En tout cas quand j’aurai mon vaisseau, je vais partir tellement loin du soleil que je verrai les étoiles mieux que n’importe quel terrien avant moi ! Et aucune fée ne viendra me dire : « Non ça c’est Jupiter banane ! » Jupiter sera toute toute minuscule et la pollution lumineuse des humains inexistante ! Ce sera une expérience encore plus grande que celle que nous avons vécue !

– C’était déjà une très grande expérience !

– Comme quoi cette fée cinglée n’a pas que des mauvaises idées !

– On dort ?

– Allez !

Les pigeons se souhaitèrent bonne nuit. Moi je restai pensif un moment, me disant qu’il était quand même dommage d’être haut perché et de n’avoir qu’une idée approximative du ciel nocturne. Depuis ce jour j’ai souvent songé à la proposition d’Odette. Mais aller jusqu’aux voies de chemin de fer pour monter dans un train de marchandises, cela me paraît être une aventure un peu trop aventureuse. Des fois j’aimerais avoir des ailes.

 

Ah ben chalut !

 

Darwin.

Publicité
Publicité
Commentaires
Darwin Le Chat
Publicité
Archives
Publicité