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Darwin Le Chat
29 janvier 2020

Timbré postal contemporain

Lyon 30 janvier 2020

Chalut !

 

Aujourd’hui je vais vous parler d’une petite chose concernant les facéties de la fée Odette. Cet automne j’ai envoyé quelques volumineux courriers à certains de mes correspondants. Il ne s’agissait pas vraiment de mon choix mais d’une demande un peu autoritaire d’Odette à laquelle je me suis plié. Elle voulait que des enfants de 11 ans prennent conscience de l’urgence écologique et a cru que les entretiens citoyens de Loulou Léonard pouvaient aider en cela. J’ai obtenu de pouvoir censurer les passages difficiles mais c’est resté volumineux et le nombre de feuilles imprimées sur l’imprimante de Grabelot a conduit Odette à faire quelque chose qu’on ne fait pas d’habitude : relier les feuilles entre elles ! Je ne pensais pas qu’on pouvait faire cela dans cet appartement mais c’est pourtant ce qu’on a fait et voici comment cela s’est passé.

 

J’étais sur la table de l’ordinateur à côté du clavier, l’imprimante venait de cracher les feuilles, Grabelot rêvassait sur le canapé. Au lieu de simplement les plier en deux et de les glisser dans l’enveloppe, Odette est allée vers un placard et s’est mise à fouiller en disant :

– Je suis sûre d’avoir vu cette machine quelque part !

– Qu’est-ce que tu cherches ?

– La trouilloteuse !

– Qu’est-ce que c’est ?

– Une machine à trouer les feuilles !

– Pourquoi faire ?

– Pour trouer les feuilles pardi.

– On ne va pas trouer les feuilles ! Comment ils pourront les lire ?

– Juste sur la bordure Darwin ! C’est pour les relier entre elles. Ah !… La voilà ! Restez où vous êtes ?

– Pourquoi ?

– Pour ne pas la prendre sur la tête ! Attention ! Ça risque de faire un peu de bruit !

Figurez-vous qu’elle n’a pas fait le moindre effort pour amortir la chute. Une petite machine étrange faite de métal et de plastique est tombée sur le tapis, par chance il y a beaucoup de tapis chez Grabelot. Elle ne sembla pas cassée. Ensuite Odette est venue chercher les feuilles imprimées, les a examinées une à une, puis les a glissées partiellement dans la machine pour finir par s’énerver sur une poignée récalcitrante.

– Venez m’aider les matous !

Là, Grabel et moi on s’est regardé l’un l’autre, très étonnés : en quoi pouvait-on bien l’aider ? D’habitude c’est nous qui demandons de l’aide pour les choses « manuelles ».

– Mais venez quoi !

De mauvaise grâce nous nous sommes portés à ses côtés.

– Qu’est-ce qu’il faut faire Odette ?

– Il faut que vous pesiez de tout votre poids sur cette poignée.

Nous avons bien tenté de faire ce qu’elle nous disait mais rien n’y fit. Le manège a duré pendant plus de cinq minutes mais c’était une machine d’humain fait pour une main d’humain, et encore, sans doute un humain adulte. Odette jurait comme un charretier, tant et tant que Grabel a pris le parti de retourner sur le canapé, où je l’ai rejoint peu après. Odette nous a fixés longuement avec un air de gamine contrariée.

– Ah oui ? Vous abandonnez déjà !

– Pas la peine d’insister Odette ! Tu vois bien que cela ne marche pas !

– Bon d’accord !

Alors Odette a fini par faire deux claps des mains et nous avons eu la surprise de voir la poignée s’abaisser toute seule avant d’entendre un craquement. Immédiatement le courroux a changé de camp et c’est nous qui l’avons regardée d’un œil noir.

– Quoi ? Faut bien que vous bossiez un peu !

Elle a marché devant nous en levant le menton et en nous regardant d’un air narquois, s’est approchée d’une prise murale et a glissé un doigt dans chaque trou durant quelques secondes. Grabel et moi nous attendions au pire. Odette est revenue vers nous d’un pas décidé, j’ai pensé qu’elle allait sauter sur le sofa, se caler entre Grabel et moi et nous torturer de ses trop énergiques caresses quand elle est en trop grande forme. Elle n’en fit rien. Elle est repassée devant nous, toujours le menton en l’air et en disant :

– Je sais très bien ce que vous pensez ! Plus de fraises Tagada, désolée.

Après quoi elle a disparu.

– Pourvu qu’elle passe la soirée ailleurs. a dit Grabel.

– Elle aurait sûrement éteint l’ordinateur et la lumière et m’aurait demandé si je voulais passer la nuit ici.

– Elle a peut-être laissé le Velux ouvert.

– Je n’espère pas car il me semble qu’il va pleuvoir. Pour le coup je vais sur Terre-nette ! Tu veux t’informer sur quelque chose ?

– Non, je vais plutôt me planquer sous le canapé ! Des fois qu’elle revienne avec des fraises Tagada.

En fait Odette est revenue peu après et relativement calme. Elle en était restée à son idée de reliure et ramenait deux grandes enveloppes et deux baguettes de plastique bizarrement faites. Elle ne m’a rien demandé et j’ai fait comme si de rien n’était, occupé sur un site de vulgarisation scientifique. Mais je l’observai discrètement et pus admirer la dextérité de la manœuvre. Elle a inséré une baguette dans une rangée de petits pics en métal, a de nouveau abaissé la poignée mais cette fois tout en douceur, et semble-t-il, à la seule force de sa pensée. Puis elle a glissé les feuilles dans la baguette grâce aux trous faits précédemment. Elle a posé l’une des enveloppes sur le sol, a récupéré les feuilles désormais reliées par la baguette, les a glissées dans l’enveloppe, et m’a demandé si j’avais une carte postale à rajouter.

– Oui mais… cela risque de faire un peu lourd, non ?

– On n’est pas à cela près.

– Alors la carte est sur le coin de la table !

– Encore une carte de chat ?

– Ben oui ! Forcément !

– Mon pauvre Darwin, c’est toujours aussi illisible.

– Je ne trouve pas. J’ai fait de gros progrès !

– Faut le dire vite.

– Faut surtout dire que tu n’as pas taillé mon crayon !

– Tu m’as demandé de tailler ton crayon ?

– Non mais ce serait bien de tailler mon crayon !

– Oui ben t’inquiète, je vais le tailler ton crayon ! Mais tu sais, je pourrais aussi bien écrire moi-même ces cartes postales.

– Si c’est toi qui les voles et qui, en plus, les écris, je compte pour quoi moi ?

– Pour un gros tas de poil ! Gros tas de poil ! Bon allez zou ! Dans l’enveloppe !

Une fois l’enveloppe fermée, Odette a cacheté le tout, écrit lentement l’adresse à l’aide d’un stylo semblant bien gros dans sa petite main mais manié sans peine. Ensuite elle a brandi l’enveloppe par-dessus sa tête et a crié :

– 111,37 grammes ! Il faut 4 timbres, Darwin !

C’est à cet instant que Grabel a, malgré lui, révélé sa cachette en semblant s’étouffer ! Odette s’est mise à plat ventre pour regarder sous le canapé.

– Qu’est-ce qu’il t’arrive Grabel ?

– Arf ! Ourf ! Pfff ! Arf ! Arf !

– Oh ! Grabel ?

– Arf !… Ouf !… Sérieusement ?

– Quoi ?

– 4 timbres ? 111 grammes ? 4 timbres ? La poste a été privatisée ou quoi ?

– Pas exactement !

– 4 timbres ! 111 grammes ! Mais depuis quand ?

– Dans la Start-up nation il se passe des choses bizarres, tu sais !

– Je veux ! 111 grammes ! 4 timbres !

– J’avoue ! Bientôt ça coûtera moins cher de prendre un vol low-cost pour Berlin que d’y envoyer une carte postale !

– Je pense à un truc Odette. Si j’écris une lettre qui pèse 99,99 grammes, combien on mettra de timbres ?

– Eh bien deux ! Entre vingt et cent grammes c’est deux timbres !

– Mais une fois qu’on aura mis deux timbres, peut-être qu’on va dépasser les 100 grammes !

– Euh… là tu te poses un peu trop de questions Darwin ! Il y a toujours une petite marge de tolérance !

– Toujours, toujours… peut-être pas pour toujours justement !

– Ben on s’en moque de toute façon ! Des timbres on en a plein ! D’ailleurs je mets lesquels ? Les timbres des vacances ou les timbres d’Astérix ?

– Les timbres d’Astérix pour Violette et on mettra ceux des vacances pour Dorian ! Dorian adore les vacances !

– Daccodac matou !… Cette histoire de timbres me donne une super idée ! Voulez-vous qu’on crée une œuvre d’art contemporaine ?

– Une œuvre d’art contemporaine ? Tu veux dire une œuvre d’art contemporaine ou une œuvre d’art contemporain ?

– Tu me saoules Darwin ! Tu ferais mieux de me demander à quoi va ressembler cette œuvre !

– Et donc, à quoi va ressembler cette œuvre Odette ?

– Eh bien voilà de quoi il retourne ! On prend une feuille ! Juste une feuille pour faciliter le départ ! Pas besoin d’enveloppe, comme vous allez le voir. Par contre il nous faut beaucoup de timbres ! Beaucoup beaucoup de timbres ! Je vais voler tous les timbres que je peux à la poste ! Et les plus divers possibles pour qu’on puisse faire la plus belle œuvre d’art contemporaine du monde !

– Comment cela Odette ?

– Il suffit de commencer à coller les timbres sur la feuille de papier. Des deux côtés de la feuille de papier. On prendra notre temps pour les coller en exprimant notre potentiel artistique.

– J’ai toujours pensé que j’avais un immense potentiel artistique !

– Qu’est-ce qui te fait penser cela Grabel ?

– J’ai des rêves très colorés tu sais ?

– Bien. Alors pour ne pas faire de jaloux, vous les chats vous choisirez les timbres d’un côté et moi les timbres de l’autre !

– Ben non ! Pour ne pas faire de jaloux il faut partager la surface en trois !

– Hum… On verra ! Toujours est-il qu’on va coller tant de timbres qu’on aura une sorte de gros pli fait quasi intégralement de timbres ! Si vous avez vraiment des âmes d’artiste ça va être super chouette !

– Sûrement mais… A qui on va l’envoyer ?

– Mais à Grabelot bien sûr !

– A Grabelot ? On ne sait même pas où il est parti ?

– A Grabelot ici, con de chat ! Il faut bien qu’on récupère notre œuvre d’art !

– Pourquoi l’envoyer si c’est à nous-même ?

– Mais pour avoir le cachet de la poste, Darwin ! C’est la signature suprême !

– Ah oui ?… D’accord. Mais où on va écrire l’adresse si on met des timbres partout ?

– On les plaçant judicieusement on saura bien fabriquer un carré suffisamment clair pour écrire l’adresse de Grabelot ! Manquerait plus qu’on ne la reçoive pas notre lettre ! Imaginez qu’on en pose pour 200 grammes, ça va faire un paquet de timbres, beaucoup plus que les six demandés pour un tel poids. Le postier qui juge notre œuvre d’art non réglementaire pourrira dans l’enfer des postiers !

– C’est sûrement vrai ! Ah ben d’accord ! Faisons cette œuvre d’art !

– T’es OK aussi Grabel ?

– Bien sûr ! Je suis un très grand artiste ! Mais tu ne crois pas que quelqu’un a déjà eu cette idée ?

– Sans doute mais on s’en fout ! Personne ne l’a fait avec les séries de timbres actuelles !

– Quand ferons-nous cette œuvre d’art ?

– Eh bien pourquoi pas maintenant ? Mieux vaut ne pas attendre trop longtemps, les timbres pourraient avoir bientôt disparus.

– Ah bon ?

– Vous n’avez pas vu la pub ? Ils proposent aux gens d’imprimer eux-mêmes les timbres chez eux ?

– Pourquoi faire ?

– Des économies pardi !

– Ah oui ? Ce sera comme nous ? Les gens ne paieront plus les timbres ?

– Bien sûr qu’ils paieront les timbres ! Sauf que la Poste n’aura plus à les fabriquer !

– Je ne comprends pas ? C’est quoi l’intérêt pour ceux qui envoient des lettres ?

– Ils n’auront plus à se déplacer pour acheter des timbres.

– Ah ah ah !… T’es pas sérieuse là ?

– Voyez-vous ? Le timbre c’est un petit objet mais c’est un bel objet. Mais sûrement que si on imprime des timbres sur cette imprimante…

– Y a même pas la couleur !

– Si mais les cartouches sont vides matou ! Je disais donc que sur cette imprimante, on ne va sûrement pas réussir à faire de beaux timbres. Donc on se déshabituera de l’envie d’avoir de beaux timbres, et de proche en proche de l’envie d’avoir des timbres. La Poste 2.0 elle a autre chose à faire que d’éditer de beaux timbres, ce qu’elle veut c’est gagner des sous ! Alors je crois qu’un jour il n’y aura plus de timbres.

– Non, je crois que ce que tu dis est faux ! La philatélie est encore sûrement très pratiquée.

– Moins les gens envoient de lettres et de cartes, moins il y a de philatélistes ! Les enveloppes prétimbrées et les timbres moches imprimés chez soi, ça va précipiter leur disparition. Mais ce n’est pas plus mal. Notre œuvre d’art contemporaine deviendra vite une œuvre d’art contemporaine du passé, elle n’en aura que plus de valeur.

– Hum… J’espère que les timbres ne vont pas disparaître avant moi !

– Arrête tout de suite la farcie alors !

– Non, ça j’aime bien !

– Je vais chercher les timbres et on commence ! D’accord ?

– D’accord.

 

Alors figurez-vous qu’on a fait une œuvre d’art contemporaine du passé qu’est sacrément réussie. Bien sûr tous les timbres ne sont pas visibles car on en a mis de sacrées couches. Mais c’est sûrement grâce à cela qu’elle est si réussie, nous les avons travaillées avec autant de soins que les couches visibles et le résultat est à la hauteur de nos espérances. Le pli a été tamponné à la grande poste de Lyon, ce qui ne nuit en rien à sa valeur, même si cette poste a perdu beaucoup de son cachet d’après ce qu’en dit Odette :

– Si vous aviez pu la voir il y a 20 ans ! Elle était magnifique avec son gigantesque comptoir à l’ancienne. Il mettait parfaitement en valeur la grande fresque sur le mur de derrière. Toute personne n’ayant pas l’habitude d’une si grande poste était nécessairement marquée par son passage.

– Ils ont supprimé la fresque ?

– Non. Les gens peuvent même la voir de plus près mais finalement on ne la remarque plus.

– Pourquoi ?

– Parce que c’est un tout et le reste a beaucoup changé. D’abord ils ont sans doute trouvé qu’elle n’était plus adaptée au goût du jour. Les comptoirs avec une vitre de séparation c’était dépassé et ils ont voulu l’ouvrir mais sans essayer de garder un style se mariant avec le bâtiment. J’ai vraiment détesté la manière dont ils l’ont refaite une première fois mais avec le recul, je trouve que c’était encore acceptable. Ils n’avaient probablement pas encore fini de payer les travaux quand ils ont décidé de la refaire à nouveau !

– Pour la ramener à son état d’origine ? Ils ont sans doute constaté qu’ils perdaient des clients.

– Perdre des clients pour un bureau de poste c’est normal s’il n’y a plus que les chats qui écrivent des lettres !

– Sauf que, Odette, maintenant que par haine d’Emmaüs les français envoient par avion leurs slips et leurs chaussettes d’occasion aux quatre coins du monde pour en acheter des neufs aux asiatiques, la Poste a sans doute de nouveau besoin de points de vente !

– Si c’est le cas alors espérons qu’elle trouve utile de remettre un super beau comptoir à la grande poste ! Mais la raison de seconds travaux en quelques années était autre. C’était l’époque du triomphe total du lean management, de jeunes coqs au bec qui raye le parquet comme Macron amenaient des idées nouvelles sur la manière d’organiser les entreprises et de remettre ces fainéants de salariés au travail. Voir des vendeurs assis derrière un comptoir, voilà quelque chose qui leur paraissait totalement irrationnel ! Un humain qui ne prouve pas sa proximité avec le client et son engagement de tous les instants en passant sa journée debout au milieu d’un espace ouvert organisé par un fou selon une logique de fou que lui-même juge parfaitement censée puisqu’un vrai fou est un fou qui s’ignore, cet humain-là donc, mérite d’être remplacé par une machine !

– Ce ne serait pas plutôt le fou qui mériterait d’être remplacé par une machine ?

– Cela viendra et alors c’est là qu’il y aura des pleurs et des grincements de dents. En attendant c’est ce qu’ils ont fait. Ils ont mis toute une rangée de distributeurs de timbres et de machines à affranchir les paquets à l’intérieur. Personne ne s’est dit qu’à ce compte-là, un distributeur accessible de l’extérieur durant les heures de fermeture aurait une petite utilité, mais passons ! A la place du grand comptoir ils ont planté deux ou trois minuscules guichets, posés là comme on aurait jeté des dés, personne ne sait où faire la queue, ni même si le guichet est ouvert quand le postier est occupé à fouiller dans des tiroirs pratiquement accessibles à tous, ou bien s’en va à l’arrière. Bizarrement l’espace dévolu au public s’est agrandi et pourtant la grande poste paraît désormais minuscule. Bref, c’est un total saccage ! Avoir son quota de Coterep c’est bien mais cet handicapé-là, ils auraient pu lui trouver un autre poste à la poste !

– Ils auraient pu l’employer à coller des timbres !

– Excellent Grabel ! Mais pas les nôtres car son âme d’artiste a déjà quitté Polgveaqolo depuis longtemps.

 

Avec tout cela je me suis demandé si c’était encore un cachet de la poste ayant de la valeur artistique le cachet de la grande poste. Odette a dit que « si quand même » et a donc posté notre œuvre d’art à la grande poste. Le postier ne nous a pas fait faux bond mais tout de même, comme nous avons attendu trois jours avant de le retrouver dans la boite de Grabelot, on est en droit de penser qu’il a choisi de ne voir que les timbres en tarif vert alors qu’on avait presque autant de timbres en tarif prioritaire, c’est à dire plusieurs centaines ! Ce qui a fait dire à Odette : « Vraiment, la poste 2.0 c’est beaucoup moins bien que la poste ! » Si ça se trouve Odette a mis le pli dans la boite « autres départements » et il est allé jusqu’à Paris avant de revenir à Lyon, allez savoir !

Darwin.

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