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Darwin Le Chat
3 octobre 2015

Matière agricole.

Chalut.

 

Ayant quitté Grumpy je suivis Odette, mon guide. George vola à ses occupations. Nous allâmes jusqu’au cimetière de Loyasse sans pour autant y pénétrer, puis nous descendîmes les escaliers de la montée de la Sarra. C’est dans une propriété séparée de ces escaliers par un haut mur que nous trouvâmes les chèvres quelques moments avant l’aurore. Deux chèvres blanches parquées dans un petit enclos sis lui-même dans quelques centaines de mètres carrés parsemés d’arbres et visiblement déjà bien soumis aux dents voraces de ces jardiniers particuliers. Elles virent arriver Odette avec satisfaction et s’empressèrent de solliciter ses services :

– Ah ! Odette ! Te voilà ! Ouvre-nous vite, il va bientôt faire jour !

Odette ouvrit rapidement l’enclos avec la dextérité d’une habituée des lieux. Puis elle ouvrit la porte du parc et les chèvres se précipitèrent dans un petit bois étalant sa verdure un peu plus haut. Voilà les caprins très occupés à se remplir la panse et ne prêtant guère attention à moi, certes peu visible dans la pénombre. Mais quand Odette vint à mes côtés l’une des chèvres s’intéressa enfin à savoir qui j’étais :

– Qui est ce chat à tes côtés Odette ?

– C’est Darwin Le Chat De Gouttière. Je vous ai déjà parlé de lui.

– Ah ! Peut-être bien !… Et que fait-il là ?

– Il est venu pour vous voir ?

– Ah ! bon ? Et que nous vaut l’honneur de cette visite ?

– Eh bien il se trouve que j’aimerai en savoir plus sur la vie des chèvres.

– Ça se comprend.

– Ce afin d’enrichir ma connaissance.

– Ah ! Mais rends-toi compte que globalement les chèvres n’ont pas grand chose à voir avec nous. Nous sommes des chèvres paysagistes et accompagnatrices vois-tu ? Et que font les chèvres en général ?

– Du lait.

– Bonne réponse ! Elles sont du type fromager, section du domaine plus général qu’est l’agriculture. C’est ton jour de chance !

– Pourquoi ?

– Parce que nous sommes de grandes connaisseuses de l’agriculture grâce aux livres que nous a donnés Odette.

– Odette vous a donné des livres ?

– Odette nous a donné des livres.

– Odette ! Tu leur as donné des livres ?

– Ben oui.

– Comment as-tu fait pour porter des livres ?

– Je ne les ai pas portés.

– Comment les as-tu amenés alors ?

– Je les ai fait voler, pardi !

– Tu peux faire voler des livres ?

– Evidemment !

– Pourquoi ne m’as-tu pas dit que tu savais faire voler des livres ?

– Parce que tu ne m’as pas demandé si je savais faire voler des livres.

– Comment pouvais-je savoir que tu sais faire voler des livres ?

– J’ouvre bien des portes… c’est basé sur le même principe.

– Hum ! Pas faux. Et donc tu leur as donné des livres d’agriculture ?

– J’en sais rien, je ne les ai pas lus moi-même.

– Mais parfaitement. Nous connaissons beaucoup de choses sur l’agriculture. N’est-ce pas ma très chèvre amie ?

– Parfaitement très chèvre amie.

– Hé ! bien vous seriez fort aimables de partager un peu votre savoir avec moi.

– Rien de plus simple, nous avons dévoré tous ces livres avec délectation. Autant dire que nous les connaissons par cœur.

Je cite le premier d’entre eux : « Placez sur les hauteurs des gens avec des fourches pendant la moisson. Lorsque la pluie emmènera tous ses remèdes placez deux olives de Campanie au fond d’un trou avec des balais. Jetez-y quatre livres de gramens et de mauvaises herbes. Il faut écarter les rigoles d’un demi-travers de doigt quelque part avec vos pieds. Procédez de même avec le chou et les cyprès, arrosez doucement avec les voies urinaires au point que la terre s’infiltre dans l’eau. Il faut arroser chaque fois que le besoin s’en fait sentir, cela relâche le ventre si vous avez l’épigastre embarrassé. Pendant l’hiver ou l’automne il faut se débarrasser des moutons, ficelez-les au milieu des futailles et laissez sur le feu. Quand il pleuvra sur la ferme, fermez votre cuve à vin, boire largement de l’eau dans une coupe en terre de la contenance d’un culleus. Débarrassez-vous du repas qui s’oppose à son écoulement. Faire une élévation des champs. Vous aplanirez la surface avec une planche afin d’avoir des terres arables pendant l’hiver. Vous retournerez le sol, vous incorporerez l’engrais avec un bâton. On sème au printemps. Passer par le crible la semaille. Distribuer sur le terrain des plantes adventices, un grain de lentille, du cumin, les blés et les choux. Il faut détourner l’appétit de l’acheteur de chèvre, surtout à l’entrée de tous les bâtiments. Manière commode : percez la terre d’un trou avec le bident ou des sarcloirs, disposez un paillis ou des ramilles sèches prises sur un orme. Vous ménagerez un sentier. Mettez ensuite les acheteurs dans une marmite pleine d’eau et d’une espèce de chou et fermée par un robinet. Dès que les acheteurs commencent à germer, retirez-les, pilez-les et faire macérer dans du vinaigre pendant les trente jours qui suivent. Remplissez le pressoir et exprimez-en le suc. Il se digère à merveille, et c’est dans tous les cas une nourriture saine. Vous recouvrirez le gros sel d’une bonne couche de fumier. Manière de mesurer les mains à la méthode de Manlius et Memius… » Tiens c’est joliment dit cela, n’est-ce pas ce que l’on nomme une amplification ma très chèvre amie ?

– Non ma chèvre ! C’est tout au plus une allitération, mais faiblarde au demeurant.

– Faiblarde ? Taratata ! Si tu t’avances sur ce versant verbeux terreux aussitôt je t’arrête, espèce d’étiquetée entêtée tarée!

– Oh ! oh ! oh ! Garde ton calme ! Chèvre, qui de chaque mouche se pique ! Chèvre, nul chic à monter sur tes grands chevaux ! Chèvre, ou bien carne munie de l’esprit d’un chevreau !

– Tu crois avoir fait une allitération là ?

– Pas du tout ! C’est une anaphore.

– Bizarre, je ne ressens aucunement l’envie d’en découdre.

– C’est de l’ironie ? Moi je n’ai rien contre.

– Alors ta vie sera brève ma chèvre ! Voudrais-tu savoir ce qu’il se passera ?

– Je suis tout ouïe !

– Je me recule de cinq pas, feins le désintérêt, concentre ma raison, réserve mes vertèbres, mobilise ma devise. Puis d’un coup, d’un geste, je jaillis, je bondis, je touche, mouche. Ma très chèvre amie aura vécu !

– J’aimerais bien voir cela en pratique.

– Vraiment ?

– J’en meurs d’envie !

 

Croyez-moi si vous voulez mais elle a sauté les premières étapes de sa figure de style et lui est rentré dans le lard de la manière la plus directe possible. A cet instant commença un vilain combat tête contre tête dont nous ne vîmes pas la fin tant il semblait parti pour durer. Je m’en désintéressai rapidement pour repenser à ce livre d’agriculture.

– Dis-moi Odette. L’agriculture à l’air d’être quelque chose d’un peu compliqué. Il me semble que le passage récité était un poil obscur.

– Hé ! bien c’est sans doute parce qu’il n’est tout à fait dans le bon ordre. Quand je leur amène un livre ces deux là se précipitent dessus et chaque fois que l’une veut manger une page, l’autre veut la même. Elles finissent par la déchiqueter, ce qui naturellement les conduit à avaler des pages incomplètes.

– Tu veux dire qu’elles dévorent littéralement les livres ?

– Mais bien sûr ! C’est ainsi que les chèvres apprennent. Mais le problème c’est qu’elles doivent analyser les passages lors de la rumination. Cela laisse beaucoup de place à l’imagination.

– Oh ! mais alors il faudrait que je lise moi-même ce livre. Te rappelles-tu duquel il s’agit ?

– Pas vraiment. Sûrement l’un de ces vieux livres d’auteurs grecs ou romains que je prends dans la grande bibliothèque.

– Tu donnes de vieux livres à manger aux chèvres ?

– Elles disent que le papier est plus digeste.

– Oh !… Ma foi…

– A mon avis tu n’apprendras pas grand chose de ces chèvres là mais celles d’à côté sont plus sages et plus douées pour la littérature.

– Il y a d’autres chèvres à-côté ?

– Oui, deux autres.

 

Ainsi nous laissâmes les deux chèvres blanches à leur combat épique pour aller voir les chèvres d’à-côté. La rencontre fut plus digne d’intérêt et je vous la conterai bientôt.

 

Darwin.

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