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Darwin Le Chat
2 avril 2020

Le Coincoin du coin. Sélection d'articles, 25 et 26 mars 2020

25/03/2020

Brève de Coincoin

L'un de nos nombreux pigistes nous rapporte une scène entendue ce matin à sa fenêtre (ça devrait rappeler quelque chose aux abonnés)
Un homme passe avec ses deux enfants d'environs 5 et 7 ans, tout joyeux à l'idée de se rendre au square d'à-côté. Une dame d'un certain âge l'interpelle du haut de son balcon :
- Encore vous ? On dirait que vous comprenez vite mais qu'il faut vous expliquer longtemps.
- Oui c'est vrai ! Je compte sur vous demain pour une piqûre de rappel !
- Ne faites pas le malin ! Quand vous serez à l'hôpital vous rirez moins !
- Sans doute. Vous êtes de ce côté-là toute la journée ou vous suivez le soleil ? Si vous avez des fenêtres sur cour, on pourrait peut-être savoir à quelle heure vous êtes à ces fenêtres, on en profiterait pour passer.
- Ce n'est pas ce qui vous mettra à l'abri de la contagion.
- Peut-être que si, car quand le crapaud est perché sur un balcon de 6 mètres de long, il semblerait que sa bave atteigne les pigeons dans la rue.
- Non mais dites donc ! Restez poli, malotru !

25/03/2020

Brève de Coincoin

Des effets psychologiques déjà perceptibles ?

Ce matin à Lyon, un agent de surveillance de la voie publique a été appréhendé par une patrouille de police municipale qui avait été alertée par des riverains. L’agent en question, monsieur J. Enfettro, était sur le point de verbaliser un premier véhicule rue Herriot après avoir verbalisé toutes les voitures stationnées rue des Quatre Chapeaux et rue Ferrandière.

Contactée, sa hiérarchie nous a affirmé que J. Enfettro était un élément passionné par son métier et peu habitué à se faire remarquer sinon par son niveau d’excellence en matière de verbalisation.

En mal de solution pour trouver des recettes, le gouvernement réfléchirait quant à lui à la possibilité de taxer néanmoins l’occupation actuelle et sur une longue durée des places de stationnement d’ordinaire payantes par les automobilistes confinés. Un geste fort dans le cadre de la transition énergétique.

26/03/2020

Courrier d'électeur du Coincoin du coin

Nous avons reçu un courriel de la part de Madame P. Adumeur qui nous a fait part de son relatif agacement relatif à son impossibilité de télétravailler, non pas, selon elle, parce qu'il lui serait impossible de télétravailler, mais parce que son employeur a refusé d'installer les moyens techniques qui lui aurait permis de le faire sous prétexte que l'état allait lui verser 70% de son salaire brut et qu'il n'allait pas s'emmerder à faire des dépenses pour un résultat hypothétique. Madame Adumeur nous a donc demandé si nous étions en possession d'une liste des métiers qui sont censés pouvoir s'exercer en télétravail.

Malheureusement Madame Adumeur, nous ne sommes pas en possession d'une telle liste si elle existe. Par contre nous sommes en mesure d'en initier une à l'aide d'un exemple concret.

La personne qui, en plein confinement, a besoin que vous lui envoyiez de toute urgence la photocopie d'une pièce qui prouve que votre logement est bien assuré, cette personne-là télétravaille !

La personne qui, en plein confinement, a besoin que vous lui envoyiez de toute urgence la photocopie du certificat de révision annuelle de la chaudière, cette personne-là télétravaille !

La personne qui, en plein confinement, vous envoie le détail de l'échéancier relatif à l'emprunt hypothécaire à taux fixe que vous n'avez jamais pu renégocier malgré la chute des taux au voisinage de zéro, cette personne-là télétravaille !

Par contre, la personne qui, bien avant le confinement, vous a envoyé 3 courriers pour demander des précisions quant au numéro de la dent soignée, vous indiquer que votre dossier était incomplet ou qu'une erreur interne était susceptible de reporter à plus tard le remboursement de 700 euros qu'on vous doit, cette personne que vous avez relancée juste avant le confinement, cette personne-là ne télétravaille pas.

26/03/2020

Confinement généralisé, la casse du siècle ! Première partie.

Un article de fond, par notre analyste politique pages gauches, D. Lepou.

On me dira une nouvelle fois provocateur, cela vaudra moult retours de courriers et courriels au journal, D. Lepou, aux vents contraires jusqu’au-boutiste, voire complotiste. Réglons d’emblée la question, à ceux qui se jettent sur leur clavier à la seule lecture d’un titre sans même lire les articles en entier, celui-ci ne traite pas de ça. Il aurait pu, depuis que le ciel bleu est bleu, depuis que l’air à respirer redevient respirable, j’argumenterais bien sur un complot de crypto-écolo-fascistes ; ou serait-ce un complot de transhumains, dont il faudra bien un jour qu’ils nous expliquent comment ils entendent concilier leurs desseins avec l’horrible habitude qu’ont prise les gens de croître et multiplier ? Ou est-ce la botte secrète des militaires algériens pour mettre un terme définitif au Hirak, ou le dernier espoir pour l’Amérique de contrer la Chine ? Peu importe au fond, de toute évidence la Chine a tenté de sauver sa population d’un désastre, si tant est qu’il puisse y avoir plus désastreux que leur plongée dans le gouffre du consumérisme couplée à un flicage généralisé. Et partout ailleurs les gouvernements s’attellent tour à tour et à leur manière à cette tâche : sauver des vies, dans l’immédiat. Et partout l’évidence s’impose d’elle-même : le confinement généralisé est la seule réponse possible ! Partout ! Ou presque ! Un village d’irréductibles… malheureusement il n’est pas gaulois ! C’est donc en tant que confiné que j’écris cet article.

Logé et bien loti, ce n’est pas immense mais suffit bien pour une seule personne. L’endroit est particulièrement calme, en ce moment, et ensoleillé, même si, paraît-il, le temps va se gâter. Je ne devrais guère avoir à craindre de carence en vitamine D, au contraire de tous ces héros en blouse blanche qui enchaînent des journées à rallonge pour sauver des vies. Le confinement généralisé, une solution de dernier recours, à mon sens, et je maintiens que le temps du dernier recours n’était pas arrivé, ou bien plutôt déjà passé. Maintiendrai-je cette position mordicus devant ma cousine médecin urgentiste ? Elle a les mains dans le fluide, l’épuisement en ligne de mire, sinon la maladie en elle, et la mort des autres, tous les jours. Elle aura toujours raison, elle aura raison lors du prochain repas de famille, et si, comme je l’espère, chaque membre de la famille répond encore présent, elle aura doublement raison… et le gouvernement avec elle ! Oui elle aura raison, mais aura-t-elle raison absolument ? Je n’en débattrai pas avec elle. Si je devais légiférer sur la peine de mort, je ne m’appuierais pas uniquement sur l’avis de parents qui ont vu assassiner un de leurs enfants par un psychopathe. Des héros en blouse blanche et moi, qui sirote un cocktail maison tout en écrivant un article, avec peu de risques de voir mes revenus amputés ou mes congés d’été dissous dans la crise. Je suis un privilégié certes, mais enfin, à chacun son métier ! Je tente de faire le mien.

Au Coincoin du coin comme dans les autres rédactions dignes de ce nom, nous avions largement anticipé le confinement. Ce qui fait de nous un journal à part c’est notre côté poly-partisan, ce qui nous rassemble, pages gauches, encarts centraux et pages droites, c’est notre défense jamais démentie des libertés individuelles fondamentales. Certes, pages gauches et pages droites ne placent pas tous les curseurs au même endroit, même en ce qui concerne ces libertés. Mais je ne crains pas de dire que lundi dernier, alors que l’on savait exactement ce que le président allait annoncer à 20h, il régnait une atmosphère de défaite dans l’ensemble de la rédaction. Beaucoup de journalistes se sont empressés de tâter le terrain auprès de connaissances dans d’autres rédactions. Moi même j’ai joint des journalistes de parutions auxquelles je suis abonné et j’avoue avoir été un peu surpris de constater à quel point certains d’entre-eux, avec qui je partage d’ordinaire de nombreux avis politiques, ne s’inquiétaient guère du confinement à venir mais critiquaient avec virulence le fait que le gouvernement ait autant tergiversé avant de prendre cette décision indispensable et salvatrice. Ils y voyaient l’œuvre en sous-main des puissances économiques qui auraient donné priorité dès le début à la sauvegarde de la finance sur la vie humaine. C’est un point de vue. Mais dix jours plus tard j’en suis encore à me demander si ce n’était pas une posture modelée au fil des événements, au gré de l’emballement mortifère en Italie, plus qu’une position ferme et convaincue depuis le début de la crise, crise qui a tout de même commencée bien en amont en Chine et est passée par la Corée du sud avec des réponses qu’on peut difficilement considérer comme des copiés-collés. En somme je pense que, à gauche comme à droite, beaucoup ont changé leur fusil d’épaule tout en reprochant au gouvernement d’avoir fait de même. Et je ne suis pas en mesure d’affirmer que la rédaction du Coincoin du coin, prise dans son ensemble, ne finira pas par changer elle aussi son fusil d’épaule, raison pour laquelle il faut que je me dépêche de rédiger cet article au lieu de faire des pauses cocktail. J’entends tant de choses sur ce virus et même sur son côté malin, qui en ferait un dangereux mutant en devenir à arrêter par tous les moyens possibles, difficile d’exclure l’idée qu’un jour ma position puisse devenir politiquement intenable. Pour l’heure, tant qu’il restera une poignée de pays qui resteront décidés à tenter de gérer la crise par le choix d’un confinement ciblé, politique que nous avons espéré et mise en avant dans tous nos numéros depuis que le virus a gagné l’Europe, je resterai sur ma position. Mon analyse pour la défendre une nouvelle fois tient en plusieurs points. Il y a bien sûr la question du rapport bénéfices/risques immédiat inhérent à chacun des choix, cette question a trait à la pure gestion de la pandémie et de la prise en charge des malades. Mais mon parti a toujours été de voir au-delà de cette crise, les conséquences immédiates du confinement, plus encore les conséquences post-crise sanitaire et donc le traitement de la crise économique. Enfin difficile de ne pas rapprocher cette crise, et la décision peut-être plus subie que choisie par le gouvernement d’un confinement généralisé, de tous les choix pris par ce gouvernement et ceux qui l’ont précédé, et bien au-delà, des politiques économiques ultra-libérales qui ont façonné le monde depuis les années 1980 et qui entendent le façonner encore dans les décennies à venir, en faisant feu de tout bois et donc, n’en doutons pas, en profitant de la crise sanitaire actuelle pour reprendre un peu d’élan. Guère besoin d’être complotiste pour comprendre cela !

Le premier point que je désire traiter tient en la sous-estimation des conséquences immédiates du confinement. A en croire l’emballement des réseaux sociaux au premier jour du confinement, la faute morale du moment était de s’inquiéter qu’on nous demande, pour la sauvegarde de la nation, de passer quelques temps de repos dans notre canapé, alors qu’il fut un temps pas si lointain ou nos aïeux, pour la sauvegarde de la nation, étaient envoyés au front. Vu sous cet angle… Il y a pourtant des comparaisons malvenues, je le sais, j’en ai beaucoup fait dans ma carrière et en ferai encore, on me le reproche assez souvent. A mon tour ! J’ai assez peu goûté à ces caricatures qui après tout ne devraient pas me choquer outre mesure si je m’en tenais à ce qu’elles représentent pour moi. Je ne me sens guère en danger de subir psychologiquement les affres d’un confinement durable, et est-ce que je le préfère à la guerre ? Oui ! Mille fois oui ! Mais prenons un cas extrême ! S’il était possible de définir un individu moyen, une réaction moyenne de cet individu qui soit à même de nous laisser entrevoir ce qu’est la normalité et qu’à cet individu on proposait deux choix : le confinement à vie ou la révolte et ses risques pour y échapper ! J’exagère, oui je sais. Mais le fait est que la privation de liberté n’est pas encore totalement intégrée par l’ensemble des masses même si certains gouvernements, et de plus en plus d’ailleurs, semblent mettre toute leur énergie à faire en sorte que cela le devienne. C’est sans doute la raison pour laquelle, quand ce n’est pas à vie mais que c’est six semaines, ou bien deux mois, que tous les dirigeants le savent, on commence par vous parler de deux semaines. Je trouve assez présomptueux, de la part de personnes qui n’ont jamais connu cela, et encore plus de la part de sociétés tout entière qui ont oublié ce que cela signifiait, de couvrir de sarcasmes ceux qui s’en inquiètent. Laissez passer quelques semaines et même ces semaines passées ne vous autoriseront pas à parler au nom des autres, et même si vous avez eu la force morale pour encaisser le confinement seul dans une chambre de neuf mètres carrés en n’en sortant qu’une fois par semaine. Vous c’est vous, et les autres sont les autres. Pour ma part je ne m’autorise même pas à juger ces sportifs de haut niveau qui affichent sur les réseaux leur sentiment d’être en cage alors qu’ils semblent parfois logés dans des propriétés de la taille d’un village. Après tout leur vie entière témoigne pour eux, ils ne tiennent pas en place ! Il y a des gens comme ça et en temps ordinaire on semble les tenir comme indispensables à nos sociétés, sinon ils n’auraient pas des propriété de la taille d’un village. Pour ma part vous savez ce que j’en pense, la taille des propriétés est un problème important, mais il ne dénie pas à ceux qui ne tiennent pas en place leur droit à exprimer le fait qu’ils se sentent comme des lions en cage. Alors parlons de cages.

La cage. Il semblerait que je n’en parle pas en connaissance du sujet mais plutôt par méconnaissance, méconnaissance qu’on m’a largement reprochée, il y a de cela quelques années. C’était dans le numéro 517521, quelques mois après l’arrivée à l’Elysée de Nicolas Sarkozy. Dans ce numéro j’ai écrit un article à propos des gardés à vue, des personnes condamnées à de courtes peines, et des personnes incarcérées dans l’attente de jugement. J’y exprimais mon point de vue sur un sujet qui revient régulièrement sur le devant de la scène, désormais le plus souvent par des considérations anxiogènes faisant état de l’islamisation rampante des prisons, ou de la prison comme source d’orgueil et passage obligé pour des voyous irrécupérables mais trop souvent relâchés dans la nature par une justice laxiste. Fameux débats où la presse de gauche met en avant la nécessité d’une société plus juste, de prisons plus humaines, du droit à une seconde chance ; et celle de droite la prévalence du droit des victimes à obtenir réparation, la nécessité d’augmenter la taille des prisons, de les américaniser, de durcir les peines, d’enfermer les mineurs devenus pires que les adultes. Mon article ne traitait aucunement de l’origine de la criminalité, la presse de droite peut prendre le problème dans tous les sens, faire semblant de lire comme les arabes pour espérer voir les courbes statistiques à l’envers, le fait est que les sociétés les moins inégalitaires sont et seront toujours les moins criminelles et conséquemment celles où le problème de l’enfermement est le moins problématique. Pas besoin d’essayer de voir midi à 14h, mon article ne prônait pas une société plus juste, elle se sous-entend dans tous mes articles. Mon regard était finalement surtout « logistique ». Est-ce qu’il y a plus de chance qu’un petit voyou qui rentre pour la première fois en prison en ressorte vacciné à vie ou bien emporté dans un processus d’endurcissement, d’humiliation, de troubles psychologiques etc. ? Dans l’état du moment de nos prisons, et sans doute plus encore dans leur état actuel, état qui arrive même à faire tiquer nos partenaires européens, il ne fait guère de doute qu’on trouve difficilement une majorité d’individus qui en sort avec un risque diminué de récidive et une probabilité majorée de retour dans le droit chemin. Ou du moins ce n’est pas ce qui se passe par la suite. Ce que je mettais en avant dans cet article c’était la nécessité, selon moi, de changer radicalement l’approche des peines courtes et des gardes à vue. Pur hasard, à l’époque j’employais déjà le terme de distanciation sociale. Je prétendais que quelqu’un arrêté pour un délit mineur, ou même un délit susceptible de lui valoir une peine de prison de quelques mois, ne devrait jamais entrer en contact avec un autre prisonnier durant les premiers jours. J’affirmais que la justice devait se donner les moyens d’offrir une cellule individuelle et salubre même pour les peines allant au-delà d’une semaine d’emprisonnement à tout individu en faisant la demande. J’affirmais que toutes les procédures tendant à humilier l’emprisonné devraient être bannies. En revanche je proposais de transformer les peines courtes en monde de l’ennui ! Rien à voir avec un isolement dans un cachot infect, seulement une forme d’isolement, des livres et de quoi écrire mais pas de TV, pas de téléphone sinon celui de la prison pour contacter son avocat, ce même avocat comme seule visite autorisée en dehors de celles des gardiens, une promenade individualisée. Bref, la distanciation sociale qui va faire de votre séjour en prison ce que vous voulez mais en aucun cas un quelconque motif de fierté, de ré-haussement de l’éventuelle haine antisociale qui vous habite, ni une raison de troubles psychologiques par l’humiliation que vous y aurez subie. Vous aurez juste été mis en marge de la société dont vous avez trahi les règles, vous aurez perdu votre temps, vous aurez une nouvelle chance que vous serez peut-être mieux capable de saisir qu’après un séjour dans la prison française moyenne. Les réponses à cet article ont été assez virulentes, il y a eu celles auxquelles je m’attendais, venant du côté des partisans de la prison comme exemple par une forme de châtiment expiatoire et qui me renvoyaient à mon monde de Bisounours. Mais il y avait surtout celles auxquelles j’étais moins préparé et qui m’ont ramené sans doute à ce que j’étais, quelqu’un n’ayant pas les aptitudes nécessaires pour prendre part au débat. Ce que j’ai cru comprendre à l’époque, ce dont on me faisait grief, c’était d’avoir fait une proposition qui, sous couvert d’humanité, était une machine à broyer les hommes : l’isolement ! J’ai tenté de mettre de l’eau dans mon vin pour sauver mon idée. Mais on m’a systématiquement renvoyé à cette machine à broyer les hommes. Si certains admettaient le droit à s’isoler des autres prisonniers pour ceux en faisant la demande expresse, la sentence était globalement sans appel : vouloir isoler les prisonniers c’était de la torture ! Je n’ai toujours pas totalement admis que j’avais tort mais je suis un journaliste qui n’a que peu visité de prisons et j’avais affaire à des gens bien plus concernés que moi par le problème. Alors voilà pourquoi 4575 numéros de ce canard plus tard, je suis quelque peu étonné de ne pas entendre ces mêmes personnes mettre en garde le gouvernement contre les dangers psychologiques d’un confinement durable. Ou sinon, si tous les tous seuls sortent de cette période sans encombre, je ressors des cartons mes plans de prison anti-sadiques et je file au ministère de la justice en clamant : « J’ai désormais la preuve qu’il vaut mieux être seul que mal accompagné !» Ce qui n’enlèverait rien au potentiel de dangerosité de ce confinement : Quid des mal accompagnés ? Je ne peux pas m’empêcher de penser à ces personnes enfermées avec un tyran domestique et sans la soupape de sécurité que constituent le temps de l’école, du travail, des courses. Qui verra ces dégâts ? Qui les réparera ?

Le second point que j’aborde est celui de la gestion proprement dite de la crise sanitaire et du choix à mon sens contestable du confinement généralisé. Contrairement à beaucoup de personnes, qui d’ordinaire s’accommodent très bien de la politique de ce gouvernement tout en émettant des oppositions de principe pour la seule raison que leur parti n’est pas un allié direct de LREM, je me refuse de faire grief au gouvernement de ses volte-face durant les trois semaines écoulées. Après tout j’ai aussi entendu des médecins, il y a moins d’un mois, tandis que l’Italie était déjà bien atteinte, clamer que ce n’était guère plus qu’une grippe virulente qui ferait certes quelques milliers de morts dans notre pays, et j’ai revu ces médecins quinze jours plus tard, tenir des discours soudainement alarmistes et en appeler au confinement avant que la situation ne devienne incontrôlable. Nous devenions l’Italie, nous nous étions laissés endormir par la relative circonscription de la pandémie en Chine et en Corée. Nous n’avions ni agi comme l’une, par défaut de capacité à renoncer à notre liberté, ni comme l’autre, par défaut de moyens sanitaires adéquats ! Quant à l’Italie et ses soi-disant neuf jours d’avance, ce qui n’est pas tout à fait exact si on divise nos deux pays en sous-régions, la faiblesse de son système de santé expliquait largement ses difficultés même si la région la plus touchée en Italie est probablement celle du pays la mieux à même de faire face à une épidémie. Au Coincoin nous prédisions une mortalité assez proche de l’Italie en raison de caractéristiques économiques et d’une population de volume comparables, le taux de natalité moindre sur les dernières décennies laissant tout de même entrevoir une surmortalité en Italie. Dans un cas comme dans l’autre l’épidémie semblait déjà, au premier jour du confinement, difficile à juguler. Le confinement n’avait plus guère pour objectif de tuer le poison dans l’œuf, de l’aveu même de nombreux épidémiologistes, c’était la seule manière de lisser la courbe de contamination pour garder la situation sous contrôle et essentiellement la capacité à accueillir les malades dans les unités de réanimation. Dix jours après le début du confinement la situation est assez chaotique en région Grand-Est et Île-de-France. Outre le manque de places, le nombre de contaminations au sein du personnel soignant prouve à quel point le port de masque n’est pas une barrière suffisante. Il peut aussi être partiellement interprété, comme les nombreux autres cas, par la diffusion du virus préalable au confinement dans une population très peu testée et qui a manqué de masques FFP2 même pour les unités en première ligne. Les masques n’existaient pas, c’est sans doute une grave faute politique mais elle n’est pas propre à ce gouvernement puisque la stratégie d’approvisionnement en cas de crise avait déjà été établie sous la présidence Hollande. A l’heure où j’écris ces lignes, jeudi 26 mars, le nombre de cas officiels pour 1 million d’habitants dans les régions de France Métropolitaine s’établit comme suit :

Grand Est 994
Île-de-France 624
Bourg-Franche-Comté 564
PACA 381
Hauts-de-France 299
Auvergne-Rhône-Alpes 261
Centre -Val de Loire 219
Normandie 208
Occitanie 183
Bretagne 181
Nouvelle Aquitaine 152
Pays de la Loire 97

Outre le fait que cela inclut les personnes qui sont guéries et ont libéré les lits qu’elles occupaient, on peut se dire à la lecture de ces chiffres que la situation devient difficilement gérable quand on dépasse les 500 ou 600 infectés pour 1 million d’habitants avec la courbe de progression qu’on connaît en France. Si cette courbe était encore plus aplatie, ce qu’on aurait sans doute pu obtenir avec un confinement plus précoce, plus de lits auraient été libérés avant l’arrivée de nouveaux malades, vraisemblablement on peut penser que les risques de transmission du virus au personnel soignant auraient été moindres aussi, quand on travaille dans de meilleures conditions il est plus facile de se protéger. On ne saura jamais si la diffusion d’une région à l’autre aurait pu être moins rapide avec un confinement plus précoce, mais sur cette question-là il est indéniable que le gouvernement a laissé à ceux qui le pouvaient le temps de faire de longues distances en France et donc de propager éventuellement le virus. Cela va à l’encontre de ce qu’on essaye de faire mais malgré cela on peut estimer que le confinement actuel donne quelques jours de répit aux régions ouest et sud. Il ne me semble pas qu’on cherche à faire tourner la machine à plein en envoyant massivement le personnel des régions les moins touchées en renfort des plus touchées, ce qui il est vrai serait difficile, le personnel soignant n’est pas confiné quand il travaille mais l’est quand même le reste du temps. Si on avait les moyens de prémunir tout le personnel d’une contagion à l’hôpital, on envisagerait peut-être ce type de transfert. A défaut et malgré celui de certains malades et l’appoint d’hôpitaux de « campagne », on semble être dans l’expectative, sans idée concrète sur le moment où la courbe s’inversera , chacun s’attend au pire et doit garder ses forces pour ce moment-là. Au final il semble peu utile d’avoir une région en passe d’atteindre un contaminé (testé) pour 1000 habitants (pas tous testés), quand une région plus à l’ouest du pays est à 1 pour 10000. Dès lors qu’on a décidé de faire entrer toute la nation en phase de confinement le même jour, cela pourrait surtout avoir l’inconvénient de le rallonger outre-mesure. Le gouvernement doit sans doute en avoir bien conscience et c’est la raison pour laquelle il semble envisager la mise en place à grande échelle de tests sérologiques, en espérant pouvoir en disposer en quantité d'ici quelques semaines, pour remettre au travail une partie de la population avant la fin officielle du confinement sur l’intégralité du territoire.

Ce qui aurait pu être fait pour contenir la maladie et écrêter cette courbe d’infection pour la mettre en phase avec nos moyens médicaux, semble donc surtout être une question de rapidité de mise en action. On aurait pu décréter un confinement plus précoce, que pour ma part j’aurais sûrement critiqué aussi car je reste convaincu que ce qui devait être fait de manière précoce, c’est la protection des personnes les plus à risques et, in fine, leur confinement. Ce que reprochent beaucoup de nos concitoyens au gouvernement c’est un confinement généralisé mais trop tardif. S’il l’avait fait, avec les avantages possibles que j’ai tenté de disséquer ci-avant, cela aurait probablement aussi signifié qu’au bout de plusieurs semaines ou mois, beaucoup moins de monde aurait contracté la maladie, de sorte que la courbe, au-delà d’être écrêtée, serait tout simplement moins haute, le corollaire obligé étant une moindre diffusion dans la population et donc moins de personnes immunisées. Là encore on peut imaginer que cela n’aurait pas rendu la décision d’une sortie du confinement plus facile, au contraire. Depuis le début de la crise beaucoup de gens mettent leurs espoirs dans la recherche médicale et l’arrivée rapide d’un vaccin ou d’un traitement symptomatique. Cela reste chimérique à court terme, si du moins on pense le court terme en tant que durée acceptable pour un confinement généralisé. Tout le monde comprend bien qu’on ne va pas rester confinés six mois sinon la catastrophe sociale sera démesurément grande au regard des années de vie épargnées. C’est la raison pour laquelle, à mon sens les autorités sont sur la brèche, elles sont déboussolées. De la vitesse à laquelle arrivera une solution médicale dépend la manière dont elles pourront sauver la face. Car de ce virus on a pensé qu’il pourrait s’éteindre avec l’arrivée de l’été. Ce serait une bonne nouvelle mais à ma connaissance la grippe saisonnière dans l’hémisphère sud se diffuse le mieux durant l’hiver austral et non pas de décembre à février. C’est donc qu’elle est effectivement assez sensible à la chaleur. Quoiqu’on soit actuellement au plus près de l’équinoxe, j’ai peine à croire qu’il fasse partout dans le monde moins de 20° à l’heure actuelle ; mais je vois le coronavirus déjà bien établi sur tout le globe. Les épidémiologistes sauront sûrement donner une raison d’espérer le voir s’endormir de lui-même cet été, pour ma part j’en suis encore à l’idée qu’à défaut de remède médical, il pourrait effectivement toucher une majorité de la population jusqu’à ne plus trouver assez de porteurs pour se diffuser. On nous a dit 40 % ! 70 %! On est pour l’heure très peu capables de dire combien de personnes il a déjà touchées ! Nécessairement plus que les 1 pour 1000 qui déjà sont déjà symptomatiques dans le Grand-Est. Mais on est peut-être très loin de ces 70 % alors si on doit y parvenir avant d’avoir trouvé de quoi soigner les malades, il est évident qu’on va devoir remettre les enfants sur le chemin de l’école et les parents sur la route du travail et l’épidémie pourrait reprendre sa progression et submerger finalement nos capacités médicales ! Tout ça, pour ça ? Avouez que ce serait difficile à encaisser. Bien sûr je ne suis qu’un journaliste un peu esseulé et on peut espérer que les choix ont été faits sur la base de modèles épidémiologiques et probabilistes pertinents. Mais de mon point de vue je ne perçois que des données contradictoires depuis le début de cette crise et comme beaucoup j’ai du mal à m’y retrouver. Cette éventualité d’un échec de la lutte par le confinement généralisé rend cette décision plus que discutable. Le rapport bénéfice/coût d’un confinement des personnes jugées à risque (en raison de l’âge et des pathologies) me semble avoir été trop rapidement jugé défavorable. Bien sûr là aussi il aurait fallu réagir assez vite, et sans doute plus vite encore. Mais je connais personnellement des personnes à risque qui ont suffisamment regardé avec angoisse la progression de l’épidémie en Chine, pour avoir l’assurance qu’elles auraient d’elles-mêmes fait tout ce qu’elle pouvaient pour s’en prémunir. Avec une volonté précoce et affichée par les autorités pour les aider en cela, cette quarantaine obligée de personnes qui, il faut le dire, sont majoritairement nos aînés, aurait sans doute duré plus que six semaines. Il est sûrement difficile d’isoler des membres de nos familles de cette façon, cela semble être une exclusion discriminatoire. Mais au final, durant tout le confinement actuel, les personnes à risque ne sont sans doute pas avec leurs enfants ou petits enfants, et il n’a échappé à personne que les premiers privés de visite ont été les occupants des Ehpad. Le résultat sera peut-être pour eux un confinement aussi long que s’il avait été restreint à leur seule personne sans compter que le retour à la normale pourrait dépendre de tests sérologiques faits sur leurs proches

Ne m’envoyez pas vos infographies qui coupent court à toute discussion, je les ai déjà toutes vues. En particulier celle avec des allumettes noircies et des allumettes pas noircies ! Et même plus littéraire que matheux, je sais ce qu’est une exponentielle. Ah oui c’est très parlant, raison pour laquelle les internautes s’empressent de reposter dans un élan dont on regrette qu’il n’existe pas pour d’autres causes aussi importantes. Fin du débat ? Une personne est atteinte d’un virus en Chine, pour faire simple disons qu’on est le premier janvier. En moyenne chaque personne atteinte va contaminer 2,2 personnes tous les 6 jours. Combien de personnes sont contaminées au bout de 180 jour ? Eh bien plus de 18 milliards cher monsieur ! C’est beaucoup oui ! D’où l’idée du confinement. Au pire toute la famille y passe mais ça ne sort pas de chez nous. Avec le confinement généralisé on court-circuite le virus. Rentrez chez vous ! Éteignez la lumière, non, pas la peine, elle va s’éteindre d’elle-même ! Arrêtez de manger ! Retenez votre souffle ! Plus personne ne sort ! Ah ben non, ce n’est pas possible ! Il faut bien que certaines personnes travaillent... et qu’elles rentrent chez elles le soir. Parfois il faut une nounou pour garder les enfants, difficile de faire autrement. Il faut que la police reste active à 100 %, et l’armée aussi, c’est quand même une situation un peu dangereuse. Il faut des paysans. Il faut produire de l’électricité. Il faut des transports. Il faut des magasins d’alimentation. C’est quand même toute une peuplade, une peuplade pour qui la distanciation sociale est souvent difficile. Même les employés d’Amazon n’y arrivent pas, pourtant c’est grand un entrepôt d’Amazon et les gens ne doivent plus trop commander de choses parce qu’ils ont conscience que moins ils commandent, plus il y a d’employés qui peuvent rester confinés ! Dans cette peuplade, une bonne partie retrouve sa famille le soir venu. Si elle passe douze heures par jour dans sa famille cette peuplade qui continue de prendre le risque d’attraper le virus (et l’attrape), est-ce que le facteur 2,2 se divise par deux pour ce qui est du risque de transmettre le virus aux siens ? Sans doute pas madame ! Cependant cette peuplade fait en sorte de ne pas aller au contact des personnes à risque, sauf celles qui sont déjà malades, par force. Donc les personnes à risque ont peu de chance d’être contaminées, un peu comme si elles avaient été confinées chez elles, ce qu’elles sont d’ailleurs. Enfin ce n’est pas tout à fait vrai non plus car parmi ces personnes certaines sont de toute façon dépendantes des autres pour leur survie, il n’y a donc pas de confinement, ni total, ni partiel, qui soit possible pour elles. Par contre un confinement partiel aurait peut-être permis de mieux cibler les moyens. Contre cette idée on peut néanmoins faire remarquer que beaucoup de personnes qui ne semblaient pas à risque ont contracté le virus et ont eu des complications nécessitant une hospitalisation. Oui c’est vrai, des jeunes de 20 ans sont morts, nouvelle alarmante et sensationnelle, ce n’est qu’après qu’on a précisé qu’ils étaient obèses, ou avaient pris des antalgiques, ou je ne sais quoi. Et il y a les cas totalement inattendus, un volleyeur de niveau international, une force de la nature. Tout le monde peut y passer ! Oui c’est vrai ! Mais pas avec la même probabilité ! Dans la mesure où la stratégie actuelle donne à coup sûr des résultats en matière d’écrêtement de la courbe, elle ne souffrirait d’aucune contestation. Mais a-t-on vraiment étudié la possibilité, non pas d’écrêtement de la courbe épidémiologique au sens propre, mais du moins celle de la courbe des cas graves résiduels une fois isolées les personnes jugées à risque ? Qui peut dire à 100 % que les hôpitaux seraient à l’heure actuelle plus submergés qu’ils ne le sont ? Il y aurait possiblement plus de morts qu’il n’y en aura dans les semaines à venir pour ce qui concerne la population dont on aurait jugé qu’elle ne comportait pas à priori de risques spécifiques. Mais l’immunité de la population se serait faite, et l’incertitude quant à la suite de cette épidémie sans doute moindre. C’est du moins mon avis et je n’ai jamais souhaité autant avoir tort car ce que je développerai dans la partie suivante, les conséquences qu’on sent venir de cet arrêt partiel du pays et du monde, qui seront d’autant pires que la situation durera longtemps, est tout autant anxiogène que ce virus. A moins qu’il puisse susciter quelques lueurs d’espoir pour ceux qui rêvent encore au grand soir. Qu’ils ne s’illusionnent pas trop !

Il n’aura échappé à personne que nous vivons dans une société capitaliste pour le meilleur et pour le pire. Je ne vais pas trop m’attarder sur le pire, du moins pas déjà, il suffit de voir quelle petite bouffée d’air pur semble prendre notre planète par le simple fait qu’une partie des humains cesse d’aller et venir, cesse de produire. Le meilleur, enfin, ce n’est pas exactement mon avis mais il semble cependant bien partagé, c’est l’abondance. Abondance de biens de ne nuit pas ? Collectivement c’est douteux, l’urgence écologique si prégnante à la fin de l’année dernière le sera sans doute presque autant à la fin de cette année. Mais essayons de voir cette abondance d’un point de vue positif et d’anticiper ce qu’il peut advenir en raison de cette crise. Avant cette crise, c’était déjà la crise. Statistiquement, pour ne parler que de l’Europe, nous ne nous sommes pas vraiment remis de la crise de 2008, c’est plus une décennie de stagnation que nous avons traversée. Après une chute de 6 % du PIB nominal à la suite de la crise financière, le revenu par habitant de la zone euro a mis dix ans à retrouver son niveau de 2007. Cet article n’a pas pour objectif de détailler ce qui a été fait ou pas fait pour éviter cela, les pages gauches et les pages droites du Coincoin du coin ont largement débattu de cela. Toujours est-il que la période écoulée est un exemple de gestion de crise et, même si de nombreux économistes tentent de nous rassurer en précisant qu’il sera plus facile de sortir d’une crise qui n’est pas systémique, le Coincoin du coin pressent depuis le départ qu’elle pourrait être bien plus ardue à gérer que ne veulent l’admettre ceux qui n’ont pas su envisager autre chose qu’un confinement tardif et mal anticipé pour faire face au coronavirus.

Quoiqu’il s’en défende le système capitaliste ne produit pas exactement la société du mérite dont il s’enorgueillit. Si par les temps qui courent vous avez hérité d’une fortune et qu’en quelques années vous êtes fichu de la dilapider pour dégringoler au rang des classes moyennes, excusez-moi de vous dire que vous êtes une tanche ou que votre ambition démesurée vous a perdu. Malgré cela vous trouverez des milliers d’exemples de personnes qui sont parties « de rien » pour arriver « au sommet », le gros bosquet qui cache la forêt. Il y a un brassage social possible, il faut bien que le capitalisme se régénère. Mais les chiffres ont la vie dure et croyez-les, pour avoir une probabilité de vivre une vie de riche, le mieux est encore de naître riche. Vivre une vie de riche ne vous intéresse pas ? Moi non plus, surtout s’il faut se farcir tout le cérémonial ridicule et hypocrite qui emporte dans sa danse ceux qui ont besoin de paraître, ou simplement la nécessité, pour la bonne marche de leurs affaires, de se coltiner ceux qui aiment paraître. Trop peu pour moi ! Pour autant je me trouve assez heureux de ne pas vivre une vie de pauvre, surtout si cette vie de pauvre n’est pas juste une vie d’ascète, un peu en marge du grand tourbillon, sans l’épée de Damoclès que constitue la prochaine facture à payer. Je n’apprends rien à personne en faisant remarquer que les épées de Damoclès de ce type ont tendance à se multiplier quand le capitalisme est en crise et à se raréfier quand il est en phase d’expansion. Un capitalisme en crise est aussi la condition sine qua non pour sortir du capitalisme, raison pour laquelle certains se plaisent à voir dans cette crise sanitaire le déclencheur d’un changement de paradigme, un renversement pur et simple de la table de jeu qui de toute façon est posée dans un train qui roule droit vers un mur. La dernière chance ! La dernière fois c’était déjà la dernière chance ! Mon pessimisme a grandi depuis, au point de penser que je verrai inévitablement le mur de près. On finit par regarder ses pieds, ou juste un peu plus loin, l’horizon, les semaines à venir, les mois à venir, au-delà n’existe pas.

Ce serait tellement facile dans un autre monde ! Dans un autre monde on se serait confiné comme dans ce monde-là ! Non ! On l’aurait fait plus tôt ! On l’aurait fait mieux ! On l’aurait fait en confiance, pas d’entourloupe ! On aurait des stocks de masques ! On aurait 100000 lits d’hôpital en plus ! On s’isolerait pour isoler le virus et ciao virus ! Dans un autre monde les fleurs ne seraient pas indispensables durant le confinement, comme dans ce monde-là ! Les pépiniéristes et les fleuristes se seraient confinés, comme dans ce monde-là ! Dans un autre monde les pépiniéristes seraient ensuite retournés à leurs pépinières, ils auraient réarrangé la terre, replanté les fleurs ou ramassé celle encore belles après des semaines de confinement, comme dans ce monde-là. Dans un autre monde les gens qui achetaient des fleurs avant le confinement auraient encore envie d’en acheter après le confinement, parce que les fleurs c’est joli, comme dans ce monde-là ! Dans un autre monde les gens trouveraient de quoi acheter des fleurs après le confinement.

Dans ce monde le pépiniériste doit de l’argent à ses fournisseurs. Dans ce monde le pépiniériste s’est agrandi récemment. Dans ce monde le pépiniériste courre sans cesse après les nouvelles technologies qui font de son secteur un secteur innovant comme les autres et lui permettent de rester compétitif. Dans ce monde le pépiniériste gagnait un peu d’argent chaque année, mais beaucoup moins qu’il n’en doit globalement à ses créanciers. Dans ce monde le pépiniériste n’a pas que des dettes, il a aussi des créances. Dans ce monde beaucoup de fleuristes lui doivent de l’argent. Dans ce monde les commerces ont rarement des avances de trésorerie phénoménales. Dans ce monde tout le monde paye ses factures à la dernière minute ou en retard, même les multinationales, même les États, et plus encore celles-ci et ceux-là que les autres. Dans ce monde le superflu en période de confinement, restera parfois superflu après le confinement, quand les revenus amputés feront face à des factures non amputées, à tout ce qui n’est plus superflu, le plein pour aller bosser ou chercher un nouveau travail, la voiture à changer, le crédit à payer, et les gosses… leurs baskets, leur tablette, leur portable, leur monde d’électronique et de plastique, votre monde, notre monde ! Dans ce monde, deux mois d’arrêt, combien de mois à s’en remettre ? Quand achèterons-nous de nouveau des fleurs ? Nous rachèterons des fleurs, pour le symbole, mais pas des fleurs poussées dans la pépinière du coin, elles sont trop chères.

Cette pépinière était trop sur la brèche, elle a fermée, c’est la vie, tant pis ! Tiens ! Voilà une rose ! Je te l’offre ! Elle n’est pas unique en son genre, pas comme celle du petit prince ma princesse. Elle a poussé vers les tropiques, un bouton parmi des millions de boutons, serrés les uns contre les autres. Non ! Ne la respire pas ! C’est une bombe chimique ! Mais elle a le mérite d’exister, parce que la crise n’a pas tué cette pépinière, pas comme celle d’à-côté, et puis notre budget est limité, tu sais ? C’est le geste qui compte ! Ma princesse, la crise fait des dégâts partout. Il paraît que même Amazon n’a pas eu les résultats escomptés, c’est fou ! Oh regarde ! La librairie a fermé ! C’est dommage, ils avaient des cartes postales de chats marrantes ! Tu crois qu’il y aura quoi à la place ?

Dans ce monde des pépiniéristes et des fleuristes sont au chômage ! Dans ce monde Amazon embauche, mais pas tout le monde, pas n’importe qui, pas à n’importe quel prix, des collaborateurs comme ont dit dans le monde anglo-saxon, ou bien sont-ce des serviteurs ? Dans ce monde les inégalités s’accroissent encore et pourtant dans ce monde certains se réjouissent d’être payés autant de temps à rien foutre. Pour une fois ils ont du temps dans ce monde, dans ce monde ils devraient s’atteler à inventer une machine qui les envoie dans un autre monde !

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