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Darwin Le Chat

12 janvier 2020

Pigeons Nocturnes

Lyon 12 janvier 2020

Chalut !

Sachez que la discussion sur les voyages à la vitesse de la lumière a eu des suites car nous avons beaucoup parlé d’étoiles ces derniers mois. En particulier cela a conduit les pigeons à faire un truc dont je ne les imaginais pas capables et que je vais vous raconter ci-après.

Laissez-moi d’abord vous raconter la dernière irruption d’Odette qui crut nous surprendre, moi et Grabel, dans une séance de folie partagée. Nous étions en fait sur le faîte du toit, les yeux bien fermés mais la bouche pas toujours coïte.

– Hirondelle... hirondelle… clair… virevolte… provoque… presque attrapée… clair… clair… sombre… nuit… zébrures… éclairs… formes… ronds difformes… fluctuations… … galaxies… tunnel… rat courant… regard noir… lumière lointaine… éclat solaire… lumière chaude… Pristi… gamelle de croquettes… Saint Sauveur l’Acéré… dents…

– Tu parles en dormant Grabel ?

– Ah non Odette ! C’est pas le moment, là !

– Comment ça pas le moment ? Faudrait que je prenne rendez-vous maintenant ? Manquerait plus que ça ! Comme si vous aviez autre chose à foutre que de m’accueillir ? Vous foutiez quoi d’abord ?

– On paupièrisait !

– Vous vous paupérisiez ? Pas la peine de vous donner cette peine vous êtes déjà carrément pauvres !

– On ne se paupérisait pas, on paupièrisait ! Cela n’a rien à voir !

– Paupiériser ça ne veut rien dire !

– C’est peut-être pas un mot du dictionnaire mais cela ne veut pas rien dire ! Paupiériser c’est visualiser des choses sur ses paupières !

– Heu… matou je crois que ce dont tu parles ça s’appelle juste la pensée !

– Non !

– Ben si ! Tu crois voir les choses avec tes yeux mais c’est parce que tu as des images en pensée dans le devant de ta tête idiote !

– Non ! Je sais exactement ce qu’est la pensée Odette ! La paupiérisation c’est de la pensée mais qui est dirigée mentalement vers les paupières jusqu’à s’autonomiser !

– Qu’est-ce que tu racontes matou ? N’importe quoi !

– Ne dénigre pas quelque chose que tu n’as pas expérimentée toi-même !

– Pourquoi voudrais-tu que j’expérimente quelque chose tout droit sorti de ton imagination ? La pensée c’est la pensée ! Pas de besoin de paupières et même pas besoin d’avoir des yeux !

– Tu ne comprends pas ce que l’on fait Odette ! Il y a besoin d’avoir des paupières pour paupiériser ! D’abord on pense, mais on projette nos pensées sur nos paupières qui sont alors comme un écran de cinéma. Secondement on devient spectateur de nos propres pensées car nous ne les dirigeons plus mais nous nous contentons de regarder ce qui vient spontanément sur l’écran formé par nos paupières. Il s’agit réellement d’une projection Odette ! C’est sans doute une forme de pensée mais qui est totalement distinguable de la pensée ordinaire ! Il faut l’expérimenter avant de vouloir en parler ! Reviens quand tu sauras paupiériser et laisse-nous paupiériser en paix !

– Tu me chasses ?

– Pas du tout.

– Parce que tu crois que tu me chasses ? Tu me chasses pas matou ! Je me casse ! Vous m’avez gonflée !

– D’accord ! Reviens quand tu veux Odette !

– C’est ça !

– Tu nous laisses pas de la farcie ?

– Genre !

 

J’adore paupiériser ! Pas vous ? D’ailleurs la paupiérisation permet souvent de voir des choses relatives à l’espace. Odette prétend qu’on ne risque pas de voir grand-chose dans la mesure où on aurait une vue déficiente selon elle, qui plus est posés sur le toit d’un immeuble d’une cité qui se prétend ville lumière. Voici ce qu’elle en dit :

– Avant de vouloir parler d’espace il faudrait avoir une petite idée de ce que c’est !

– Pour cela il y Terre-nette Odette !

– Parce que tu crois que sur la tablette infernale tu peux prendre conscience de la grandeur du truc ? Matou, pour cela il faudrait que tu descendes de ton perchoir et que tu marches quelques dizaines de kilomètres une nuit sans lune, histoire d’avoir une chance de rallier un champ un minimum éloigné des habitations ! Autant dire que c’est pas près d’arriver !

– Dans ces conditions j’imagine que non, effectivement.

– Alors pourquoi tu t’autorises à parler d’espace quand tu n’as jamais vu une étoile de tes propres yeux !

– C’est faux Odette ! Des fois j’en vois des étoiles ! Un soir même… justement lors d’une nuit claire et sans lune, je fus réellement subjugué par toutes les étoiles que je pouvais voir ! J’en ai compté 42 figure-toi !

– 42 ? C’était pas plutôt 69 ?

– Non, 42 ! C’était chouette !

– Merde alors ! 42 ? C’est énorme matou ! T’en as de la chance !

– C’est ce que je me suis dit !

– Pour le coup t’as même peut-être vu la voie lactée.

– Non quand même pas.

– Voie lactée qui contient ?

– Qui contient quoi ?

– Combien d’étoiles ?

– Je n’ai jamais cherché la réponse à cette question !

– Sans doute plus de 280 milliards d’étoiles matou ! Et alors toi, posé là sur ce toit pourri, tu t’extasies à la vision de 42 étoiles dont au moins une ou deux étaient manifestement des planètes situées à deux pas d’ici ! Est-ce que tu mesures la tristesse de ta condition ?

– Je ne suis pas triste.

– C’est bien cela le plus triste ! Il suffirait que tu t’en donnes un peu la peine pour ne pas mourir sans avoir vu une fois ce que tout être vivant et voyant à la surface de la terre devrait pouvoir voir : un ciel nocturne non pollué !

– M’en donner la peine… T’en as de bonnes toi ! C’est déjà pas une partie de plaisir d’aller jusqu’à Loyasse, alors si en plus faut grimper dans les monts du lyonnais pour aller admirer les étoiles…

– T’aurais quand même pas dans l’idée de t’élever au-dessus de Lyon pour échapper aux lumières de Lyon ? Non, le truc à faire c’est de trouver un train de marchandises en partance et de grimper dedans ! T’aurais les tripes pour ça matou ?

– Euh… Je sais pas… ça me paraît un peu aventureux tout de même.

– Je croyais que ton truc c’était de vivre des aventures !

– Oui enfin… dans la mesure du raisonnable !

– Dégonflé !

 

A ce moment-là Riton sortit de la sous-pente des pigeons et s’envola vers Bellecour. Odette le siffla !

– Hé Colombine ! Ramène un peu tes ailes !

– Riton opéra un virage serré et vint se poser sur une cheminée à proximité.

– Je t’ai déjà dit de ne pas m’appeler comme ça !

– Pourquoi pas ?

– Parce que j’aime pas !

– Raison de plus! Riton, j’ai une question pour toi ! Depuis combien de temps t’as pas quitté la Presqu’île !

– Depuis hier !

– Menteur !

– Je quitte la Presqu’île presque tous les jours, t’as qu’à demander à George, il peut témoigner !

– Hum… T’es pas un pigeon exemplaire ! Va chercher tes acolytes, tes rejetons, tes frères, tes sœurs ; enfin tout le troupeau quoi !

– Qu’est-ce que je gagne ?

– Double ration de farcie !

– OK !

– Quelques minutes plus tard Riton revint accompagné d’une dizaine de ses congénères et Odette prit la parole :

– Un par un j’aimerais que vous me disiez quand vous avez quitté la Presqu’île pour la dernière fois.

Les pigeons répondirent et à ma grande surprise plusieurs d’entre eux concédèrent ne pas en avoir le souvenir. L’avant dernier-né de Biscotte, qui s’appelle Banofee-Banofee, affirma être tout à fait certain de ne jamais avoir quitté le quartier. Il délimita clairement son espace vital courant de la rue Herriot aux quais de Saône dans la longitude et du sud Bellecour au nord de la place des Jacobins dans la latitude.

– Pourquoi tu te mets des barrières dans la tête Banofee ? questionna Odette.

– Quelles barrières ?

– Qu’est-ce qui t’interdit d’aller voir au-delà ? Riton n’arrête pas de se vanter de pouvoir voler à 70 km/h donc j’imagine que c’est dans tes cordes !

– Je le bats à l’aise ce papy !

– Je voudrais bien voir ça !

– On se lance pas dans un concours d’égo là ! Tout ce que je vois c’est que si tu décidais de partir à tire-d’aile dans n’importe quelle direction, avec un peu d’effort tu verrais facilement du pays ! Donc pourquoi toi tu te contentes de ce quartier foireux ?

– Il n’est pas foireux du tout ce quartier ! Il est même très bien ! Y a tout ce dont un pigeon peut rêver ! Pourquoi veux-tu que j’aille voir ailleurs ?

– Mais pour voir le monde bon sang ! Et pour aller dans un endroit où l’on peut voir les étoiles !

 

A ce moment-là tous les pigeons se regardèrent les uns les autres. Un autre pigeon du clan, dénommé Beignet, demanda pourquoi fallait-il aller voir les étoiles.

– Mais parce que c’est essentiel de voir à quoi ressemble un ciel étoilé ! Non mais c’est dingue ! J’étais en train de planifier un voyage pour que ce con de chat puisse dépasser son handicap et puis j’ai pensé à vous en voyant Riton ! Il est gratiné dans son genre ce matou, mais vous vous en tenez une sacrée couche ! Vous avez la capacité de faire des voyages aussi facilement que George le Mouet mais vous c’est à peine si vous daignez traverser la Saône !

– Mais on est très bien ici ! Et il faut tenir le terrain sinon d’autres nous voleront notre place si convoitée !

– Et surtout on est en sécurité !

– Sauf quand il y a des gros cons dans des grosses bagnoles !

– Oui ben à choisir je préfère me faire rouler dessus qu’embarqué par un faucon !

– Ou bouffé par un gros chat noir !

– Il a pas le droit !

– Je pourrais lui redonner ce droit-là !

– Tu ferais pas ça quand même ?

– Alors dites-moi pourquoi vous n’êtes pas intéressés à voir les étoiles ?

– Mais les étoiles c’est la nuit Odette !

– Ben évidemment c’est la nuit !

– Mais la nuit on dort !

– Vous dormez mais vous n’êtes pas obligés de toujours dormir ! Vous pouvez bien faire une exception non ?

– Une exception ? Comment cela ?

– Eh bien une fois dans votre vie vous n’aurez qu’à dormir la journée et la nuit je vous accompagnerai dans un endroit où nous pourrons admirer les étoiles. Qu’est-ce que vous en pensez ?

– Euh… Ce serait pas un peu dangereux ?

– Bien sûr que non puisque je serai avec vous !

 

Les pigeons se regardèrent longuement. L’idée faisait son chemin mais les réticences restaient nombreuses :

– Mais quand mangera-t-on si on dort le jour et vole la nuit ?

– Je vous donnerai de la farcie avant ! Cela remplacera allègrement plusieurs heures passées à picorer le bitume !

Les yeux s’illuminèrent.

– Oui mais… nous tu sais on n’est pas des canards, on sait pas voler en formation !

– Mais je ne vous demande pas de vous transformer en canards ou en patrouille de France ! On volera le long de la Saône puis par-dessus un peu de campagne et on sera vite dans un endroit propice. C’est l’affaire de deux ou trois heures selon l’intérêt que vous trouverez dans la contemplation des étoiles. On pourra même demander à George de nous accompagner.

 

Les pigeons semblaient de plus en plus emballés et de minute en minute l’affaire se concrétisa. Odette proposa une date assez proche, il fallait profiter de la prochaine lune noire. Quand tout fut bien planifié les pigeons semblèrent tout à fait en joie, j’avais l’impression d’être soudain devenu invisible. Je ne pus m’empêcher de penser que c’était l’occasion pour sauter sur le râble de l’un d’entre-eux. Odette finit par me sortir de mes pensées malsaines :

– Désolée Darwin, mais on va pas pouvoir t’emmener !

– Oui ben j’avais compris.

– T’es pas jaloux ?

– Jaloux de quoi ? D’être un chat plutôt qu’un pigeon ? Non je t’assure ! Trop peu pour moi !

– Oh oh ! Fais-pas cette tête-là ! Je te trouve un train quand tu veux !

– J’ai pas besoin de voir les étoiles Odette !

– Jaloux !

 

Comme elle allait finir par m’énerver je préférai m’éloigner. J’allai passer mes contrariétés auprès de Saint Sauveur l’Acéré qui a l’art de démarrer au quart de tour quand je le provoque sur des sujets qui lui tiennent à cœur. Le jour prévu pour l’escapade des pigeons je me tins à distance. Cependant j’étais dans ma sous-pente à l’heure des préparatifs et j’entendis l’excitation de mes voisins. Enfin je distinguai le bruit caractéristique des pigeons s’extirpant de leur nichoir les uns après les autres et un certain silence se fut, il ne devait rester qu’un ou deux d’entre eux, sans doute des inaptes à une telle aventure. J’avais la paix, je pensai passer la nuit là, à dormir. Cependant, moins d’un quart d’heure après le brouhaha du départ j’entendis le brouhaha d’un retour précoce. Je distinguai mal ce qui se disait jusqu’à entendre la voix d’Odette qui calma tout le monde :

– Qu’est-ce que vous foutez bande de cons ! On y va là !

– Mais Odette ! Il fait super froid ce soir ! Il faut attendre une soirée plus clémente !

– Vous trouvez qu’il fait froid ? Non mais vous déconnez ? Vous êtes les plus gras de la cité et j’ose prétendre que c’est un peu grâce à moi ! Bougez-vous où je vous sors de là à coups de décharges électriques !

 

Je n’eus pas à attendre longtemps pour retrouver de la quiétude. Je pensai que si les pigeons devaient à Odette une partie de leur ration alimentaire, de facto la plus nutritive, alors les pigeons me le devaient aussi puisque c’est bien en raison de ma présence qu’un jour Odette s’est intéressée à ce toit-là plutôt qu’un autre. Ensuite je m’endormis facilement et fus réveillé par le retour bruyant et enjoué de la volaille. J’ignorais combien de temps s’était écoulé entre le départ et le retour mais je compris rapidement que les pigeons sortaient d’une expérience qui faisait l’unanimité dans leurs rangs :

– Ah les amis ! Quelle expérience !

– Serrons-nous les uns les autres pour nous réchauffer !

– Ouais mais pas trop quand même ! Tu m’écrases là !

– Quelqu’un a trouvé que le toucan ressemblait à un toucan ?

– C’est quoi un toucan ?

– Toi, il serait peut-être temps que tu trouves un rebord de fenêtre de salon !

– Bref, j’ai pas vu le toucan !

– Moi j’ai rien vu qui ressemblait à ce qu’elle nous a dit !

– A part le lézard !

– Absolument pas ! Le lézard ressemblait à un serpent ! Ou alors Odette s’est gourée dans son décompte d’étoiles !

– Je ne comprends pas pourquoi les humains n’ont pas de constellation du Pigeon !

– Si ça peut te rassurer ces connards de chats n’ont pas non plus de constellation à leur nom !

– Oui mais j’ai eu beau scruter le ciel, je n’ai pas vu trace d’un chat alors que des pigeons y en a plein ! Suffit d’ouvrir les yeux !

– On se demande quel être divin aurait agencé les étoiles de manière à dessiner des chats quand il peut dessiner des pigeons !

A cet instant j’entendis nettement Riton se lancer dans une imitation de moi-même :

– Ta remarque est un peu trop anthropocentrée ma chère ! Tu ne vas pas croire comme les humains que la terre est au centre de l’univers ?

Le ricanement général qui suivit ne laissait aucun doute quant au caractère moqueur de cette intervention.

– On n’avait pas statué sur le fait qu’il n’y a pas d’être divin ?

– Pas du tout ! On a statué sur le fait qu’on est agnostiques comme le dormeur d’à-côté !

– A propos du dormeur d’à-côté, clama Biscuit. J’ai une idée ! Demain on lui demandera de nous montrer la carte du ciel sur la tablette infernale ! Et alors on la refera !

– Sûrement les pigeons voyageurs doivent trouver leur chemin en scrutant le ciel !

– Si c’est le cas les pigeons voyageurs anglais doivent toujours être l’ouest ! Comment qu’ tu ferais quand y a des nuages ?

– En tout cas quand j’aurai mon vaisseau, je vais partir tellement loin du soleil que je verrai les étoiles mieux que n’importe quel terrien avant moi ! Et aucune fée ne viendra me dire : « Non ça c’est Jupiter banane ! » Jupiter sera toute toute minuscule et la pollution lumineuse des humains inexistante ! Ce sera une expérience encore plus grande que celle que nous avons vécue !

– C’était déjà une très grande expérience !

– Comme quoi cette fée cinglée n’a pas que des mauvaises idées !

– On dort ?

– Allez !

Les pigeons se souhaitèrent bonne nuit. Moi je restai pensif un moment, me disant qu’il était quand même dommage d’être haut perché et de n’avoir qu’une idée approximative du ciel nocturne. Depuis ce jour j’ai souvent songé à la proposition d’Odette. Mais aller jusqu’aux voies de chemin de fer pour monter dans un train de marchandises, cela me paraît être une aventure un peu trop aventureuse. Des fois j’aimerais avoir des ailes.

 

Ah ben chalut !

 

Darwin.

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12 janvier 2020

Oiseaux de courtes pattes.

Lyon 10 janvier 2020

 

Chalut !

 

Voici les dernières nouvelles du toit en ce début d’année 2020. Savez-vous que Grabel commencerait presque à se faire à l’idée de devenir un chat de gouttière ? Pas au point de dormir dans une sous-pente quand Odette laisse ouvert l’accès à l’appartement de Grabelot, mais tout de même. L’autre jour, tandis que je bullais près d’une cheminée, Grabel vint vers moi et me dit :

– Dis-moi Darwin ! A quelle heure fais-tu le tour de ton territoire ?

– Pourquoi cette question Grabel ?

– Eh bien, j’ai l’intention de faire désormais deux fois par jour le tour de mon territoire. C’est ma résolution pour la nouvelle année !

– De ton territoire ? Tu veux dire de l’appartement ?

– Non ! De mon territoire sur le toit.

– Ah bon ? Tu as un territoire sur le toit ?

– Oui, j’ai pensé qu’il serait utile pour moi d’avoir un territoire sur le toit.

– Ah ! ... Fort bien ! J’en prends acte.

– Cela ne te dérange pas ?

– Pas du tout. Quel serait donc ton territoire ?

– Mon territoire passe par cette cheminée là…

– A droite ou à gauche ?

– A gauche !

– Le mien passe à droite.

– Puis il passe derrière la grande cheminée un peu plus loin, par la droite aussi.

– Le mien passe aussi par la droite. Sur la deuxième tuile ou la première ?

– La première.

– Comme moi. Les grands esprits se rencontrent !

– Oui mais il serait judicieux qu’ils ne se rencontrent pas pendant que je fais le tour de mon territoire ou que tu fais le tour de ton territoire.

– C’est juste ! Mais tu dois aussi penser à voir avec Philémon et Lypia.

– Lypia ? La nouvelle du numéro 5 ?

– Oui.

– Elle a un territoire sur le toit ?

– Oui.

– Pourtant je ne la vois quasiment jamais sur le toit !

– C’est exactement ce qu’elle m’a dit à ton sujet. Mais comme j’ignorais que tu avais un territoire, je lui ai dit qu’elle ne devait se soucier que des heures auxquelles Philémon et moi faisons le tour de nos territoires.

– Ah !... Juste pour information, il est où le territoire de Lypia ?

– Il recoupe à peu près le quart sud-ouest de mon territoire.

– Et à quelle heure en fait elle le tour ?

– Cela dépend de ses humains ? Pareil pour Philémon.

– Et toi ? A quelle heure fais-tu le tour de ton territoire ?

– Cela dépend de mes aventures.

– Ah !… Bon ben, on est bien avancés.

– Ne t’en fais pas pour cela ! De toute façon on est assez souvent ensemble l’un et l’autre pour savoir quand l’autre ne fait pas le tour de son territoire.

– C’est juste. Mais si en faisant le tour de ton territoire tu tombes sur des boulettes de viandes laissées généreusement par un humain, il serait aussi juste que tu m’en laisses un peu, non ?

– Les contours de mon territoire passent exactement par tous les Velux des humains qui m’ont reconnu en tant que chat de gouttière. Tant que tu n’as pas cette reconnaissance toi aussi, je ne suis pas sûr que « juste » soit le terme approprié.

– Ah !… Bon alors ce serait possible que tu me montres exactement par où passent les contours de ton territoire ? Comme cela je pourrais choisir exactement le même territoire et à force de me voir passer, les humains qui te savent chat de gouttière penseront que je suis aussi un chat de gouttière.

– Oui on peut faire ça ! A condition bien sûr de considérer que durant le tour de mon territoire que je ferai en ta compagnie, il ne s’agira pas vraiment pour moi d’un tour de mon territoire.

– Bien sûr, ce ne serait pas dans les règles de l’art sinon !

– Voilà !

– Sache aussi, avant de choisir le même territoire que moi, qu’il n’est pas tout à fait sans risques.

– C’est à dire ?

– Es-tu déjà monté sur le grand toit au nord du bloc ?

– Ben oui, avec toi ! En marchant sur la verrière.

– Justement, comme il faut marcher sur cette verrière, mon territoire ne va pas sur cette partie du toit.

– Pourquoi ?

– Parce que les jours de pluie et les matins humides, ce serait un peu dangereux.

– C’est juste !

– Eh bien malgré tout, sache que mon territoire passe par l’extrémité nord du bloc !

– Faudrait savoir. Tu vas sur cette partie du toit ou pas ?

– Mon territoire ne passe pas au nord par le toit mais par les balcons !

– Oh ! Il passe par le balcon de Kazelof ?

– Non ! Par celui de l’acéré. Puis je saute sur le balcon suivant car il y un décalage d’un demi-étage entre le numéro 1 de la rue et l’immeuble qui borde la place. La partie délicate c’est la fin, rue Gasparin. Il faut sauter du balcon sur le toit, ce n’est pas si haut mais il ne faut pas rater son coup. Il faut bien retomber dans la gouttière et pas à côté.

– Pourquoi ?

– A côté c’est le vide. Fatalement puisque c’est une gouttière.

– Une gouttière doit toujours être au bord du vide ?

– Non mais souvent c’est le cas. Et là c’est le cas.

– Oui mais quelle raison aurait un chat de sauter dans le vide ?

– Aucune bien sûr. Mais une fois qu’on est dans la gouttière il faut d’un bond s’en extraire. Ils ont mis de la taule de partout même dans la partie aussi pentue qu’un mur. C’est pourquoi il est déconseillé de faire le tour de ce territoire les jours de pluie et les matins humides.

– Tu ne le fais pas les jours de pluie et les matins humides ?

– Non !

– Exactement comme pour le toit alors !

– En fait c’est encore plus compliqué parce que quand cet acariâtre de Saint Sauveur l’acéré est sur son balcon, j’évite de l’emprunter.

– Donc ce n’est pas vraiment ton territoire.

– Exact. Je te faisais un peu marcher

– Tu m’aurais fait marché si cela avait vraiment été le tour de ton territoire ! Parce que du coup le tour de ton territoire n’est pas si long que ça.

– Sauf les jours et les matins secs.

– Alors les jours humides tu trouves sûrement moins de boulettes de viande.

– Pas tant que cela ! Les gens qui ont des balcons sont moins généreux avec les chats de gouttière que ceux qui ont des Velux.

– Est-ce que Grabelot était généreux avec toi ?

– Lui ? Rien de rien ! J’aimais pas ce Velux avant que ton Grabelot ne débarrasse le plancher !

– Cela ne m’étonne pas, déjà qu’avec moi c’était limite !

– Ceci explique cela. Dis ! Sais-tu que je détiens le record du tour de mon territoire !

– Ton territoire par temps sec ou humide ?

– Par temps sec.

– Comment sais-tu que tu as le record ?

– Grâce à un défi sportif !

– Un défi sportif ?

– Riton m’a mis au défi de faire le tour de mon territoire le plus vite possible. Ce que j’ai fait. Alors il a dit qu’il avait trouvé le temps long. Ce à quoi j’ai répondu : « Fais-en autant ! » Il est parti fissa faire le tour du bloc à tire d’aile. Quand il est revenu j’ai simplement dit : « Et à pied ? Qu’est-ce que cela donne ? » « La même chose que toi en plus rapide ! » Qu’aurais-tu fait à ma place ?

– Je l’aurais bouffé !

– Même avec l’épée de Damoclès nommée Odette ?

– Non bien sûr.

– J’ai préféré organiser un concours avec le concours d’Odette. Riton contre Darwin, Odette la fée en arbitre chronométrique ! Je pensais judicieux de tirer au sort lequel de nous deux ferait le parcours en premier. Mais Riton déclara : « Le chat d’abord ! Que je puisse caler mon pas sur sa lenteur ! Prendre mon temps pour picorer les balcons ! » Alors j’y suis allé en premier. Sans me vanter, Grabel, j’ai mis la barre vraiment très haut : 37 secondes !

– Pour faire le tour du grand immeuble tout entier ?

– Non ! Seulement les pans ouest, nord et est ! Mais c’est très rapide tu sais ?

– J’imagine.

– Ce n’est pas très technique, juste une enfilade de balcons mais il faut tout de même passer à travers les barreaux. Bien sûr je ne pouvais pas voir le parcours de Riton en entier, sauf à le suivre de près, auquel cas il aurait prétendu que je le pressais de manière anti-sportive. Je comptais donc sur l’impartialité d’Odette plutôt que sur celle de tous les autres pigeons encourageant l’un des leurs. J’étais le seul chat présent figure-toi !

– Flippant !

– En fait... plutôt réjouissant au départ du pigeon. T’aurais dû voir ça ! Ah ah ! Rien que le souvenir me fait rire. L’acéré était coincé derrière sa porte-fenêtre et regardait d’un air blasé le pigeon sur la ligne de départ. Top ! Riton s’élance sur ses petites pattes et moi machinalement je décompte les secondes dans ma tête. La première volée de balcons fait moins d’un sixième de la longueur totale du parcours et l’oiseau a mis, selon moi, près de douze secondes pour faire la distance. Puis il a sauté sur la volée suivante et je l’ai perdu de vue. Je remonte tranquillement sur le sommet du toit dans l’attente de le voir réapparaître de l’autre côté du bloc. Rien ne pressait, croyais-je. Et là, peu après je vois Odette perchée dans les airs, puis, une seconde plus tard, la tête de Riton qui émerge par-dessus la tôle ! Odette crie : « Top ! 36 secondes ! » Tu y crois toi ? Sérieusement ?

– Il a triché ! Il a fait le gros du parcours en volant !

– Mais évidemment qu’il l’a fait en volant ! Seulement il ne fait pas que tricher ! Il emmène cette satanée fée dans ses combines de tricheur !

– Normalement les fées ne devraient pas mentir !

– C’est bien ce que je pense ! Mais elle, elle est… comment dire ? Elle m’énerve ! A toujours prendre le parti des oiseaux ! Qu’est-ce qu’ils ont de plus que nous ?

– En dehors des ailes ?

– Oui.

– Rien de rien ! Surtout les pigeons !

– Toujours est-il que j’ai eu le plaisir de voir Riton s’essayer à courir le plus vite possible ! Encore plus vite que quand il s’échappe devant l’arrivée d’un chauffard ! C’était cocasse ! Tu vois comment ils marchent les pigeons ?

– Tout à fait !… Ah ah !… Ah ah ah ! Oh oh oh oh !... Qu’est-ce qu’ils sont ridicules !

– C’est bizarrement fait cette bête-là ! Ils sont vraiment courts sur pattes.

– C’est surtout la façon dont ils s’en servent.

– Pourquoi leur tête n’a pas d’indépendance vis à vis de leurs pattes quand ils marchent ?

– Peut-être qu’ils ont un genre d’ossature articulée de la tête aux pieds. Un pas en arrière entraînant nécessairement un coup vers l’avant de la tête.

– Non. Sinon quand ils picorent, l’une des deux pattes partirait vers l’arrière ! Les deux pattes ne peuvent pas être articulées sur le même bec, comment il pourrait choisir une patte et pas l’autre ?

– Ben… Peut-être que si le pigeon picore avec la tête en biais sur la droite, c’est la patte gauche qui se lève. Si le pigeon picore à gauche, c’est la patte droite qui se lève !

– J’ai jamais remarqué une chose pareille !

– T’as peut-être jamais pu l’observer ! Vu d’en haut, on ne voit pas bien les pattes.

– Dans ce cas, dis-moi ce qui se passe si le pigeon picore avec la tête parfaitement droite. Ses deux pattes se soulèvent en même temps ?

– Pourquoi pas ?

– Faudrait sûrement que pour compenser il déploie ses ailes. Et ça, si c’était le cas, je l’aurais remarqué même du toit. Non, il semble plutôt que les pigeons ne peuvent pas marcher sans bouger la tête mais qu’ils peuvent bouger la tête sans marcher.

– Comme les poules ?

– Je ne sais pas, je n’ai jamais observé de poule. Il y a sûrement des différences entre un pigeon et une poule.

– D’après « Chicken Run » et « Vaillant, pigeon de combat » la différence tient surtout en leur capacité de vol. Une poule vole très peu, voire pas du tout.

– C’est fâcheux pour un oiseau. Elles doivent sûrement courir beaucoup plus vite que les pigeons pour compenser.

– Tu devrais faire la course avec une poule. Elle au moins, elle ne pourrait pas tricher.

– C’est juste. Reste à trouver une poule d’appartement, si elle ne peut pas voler, elle ne va pas pouvoir venir ici toute seule.

– Ah ah !

– Quoi ?

– Je pensais à un pigeon qu’aurait un grand cou. Il risquerait de tomber à la renverse si sa tête part vers l’avant quand il marche.

– Je ne sais pas. Les oies ont un grand cou et des petites pattes et elles ne tombent pas à la renverse.

– C’est sûrement parce que leur tête n’est pas solidaire de leurs pattes.

– Peut-être.

– Il paraît que les oies sont très mécontentes d’avoir des petites pattes et un long cou. C’est pour cela qu’elles ont toujours mauvais caractère quand elles sont posées sur le sol. Quand elles volent, elles sont de bien meilleure humeur car Dieu les a mieux pourvues pour le vol que pour la marche.

– On n’avait pas statué sur le fait qu’on était agnostiques ?

– Si. Mais certains oiseaux ont quand même une dégaine à avoir été châtiés par un Dieu tout puissant.

– D’après Darwin le vrai, un long cou et des petites pattes, cela doit sûrement servir à quelque chose.

– Au départ elles avaient des petites pattes et un petit cou…

– Comme les pigeons !

– Oui. Puis sûrement que leur cou a poussé à force de tirer dessus pour guetter l’arrivée d’un danger par-dessus les herbes hautes.

– Moi je croyais que leur cou avait poussé à force que les humains tirent dessus pour les gaver !

– Dans ce cas les archéologues doivent sûrement trouver des squelettes d’oies à petit cou !

– C’est juste.

– Sauf si cela les induit en erreur. Sais-tu qu’il n’y a pas si longtemps, les humains se sont rendu compte que ce qu’ils croyaient être des espèces de dinosaures à part entière n’était parfois que des dinosaures enfants ? En grandissant ces dinosaures changeaient largement de physionomie, de sorte que les humains ne faisaient pas le lien entre les deux formes de squelettes.

– Dans ce cas cela veut dire que pour les espèces en question, ils n’avaient jamais trouvé de squelettes de jeunes dinosaures avant. Et cela ne les a pas étonnés ?

– C’est peut-être ce qui leur a mis la puce à l’oreille.

– Ou alors ils ont pensé que ces dinosaures étaient bien trop puissants, grands et forts pour mourir jeunes.

– A titre individuel être d’une espèce puissante, grande et forte n’est en aucun cas une garantie pour arriver à l’âge adulte. C’est même souvent une difficulté supplémentaire.

– Oui mais alors ? … Une oie à petit cou, c’est quoi ?

– C’est une espèce d’oie à petit cou. Ou peut-être un canard. Enfin… un descendant de dinosaure palmipède !

– Non non non ! Impossible ! Je veux bien croire que les pigeons soient un rétrécissement ridicule d’une espèce de dinosaures à bec et à griffes mais les canards et les oies… non ! Un canard c’est un croisement entre un oiseau et une planche à pain ou quelque chose du genre ! Encore un truc inventé par les humains ! Le résultat les a tellement déçus que les canards ne sont jamais devenus domestiques. C’est juste bon à manger ces bêtes-là !

– T’imagines si on faisait comme les dinosaures ? Si on changeait de forme en devenant adulte ?

– Quelle forme pourrions-nous prendre puisque nous incarnons déjà la perfection ? Surtout moi d’ailleurs.

– Eh bien ce serait plus sûrement à l’état de petit chat que nous serions différents. Puis on se changerait en chat !

– Comment devenir un chat adulte si en étant petit on n’a pas tous les attributs qui permettent d’apprendre à devenir un chat adulte ?

– Les dinosaures le faisaient bien ! Pourquoi pas nous ?

– Mais c’est très différent. On dit que les dinosaures étaient cons comme leurs pieds, et apparemment ils avaient de sacrés grands pieds ! Comme c’était des brutes idiotes ils n’avaient pas grand-chose à apprendre. Jeunes ils étaient des brutes idiotes avec un aspect différent de la brute idiote qu’ils étaient amenés à devenir.

– En fait ils étaient cons comme des pigeons !

– Voilà !

– Donc un pigeon enfant pourrait très bien avoir un aspect différent du pigeon adulte.

– Sans doute. Un pigeon enfant pourrait ne pas avoir de pattes par exemple. Les pattes lui sortiraient d’un coup le jour où il tombe bec à nez avec un chat dans la sous-pente et qu’il juge utile de prendre ses distances.

– Un enfant pigeon sans pattes ce serait sûrement très utile. Ses parents pourraient le bercer en le frappant de l’aile derrière la tête ! Il se balancerait d’avant en arrière durant un petit moment !

– Dans ce cas, pas besoin d’avoir des ailes non plus !

– Quand est-ce que les ailes lui pousseraient ?

– Juste après les pattes j’imagine. Le pigeon courre dans la sous-pente pour échapper au chat mais il risque de ne pas avoir partie gagnée! Alors il voit une ouverture vers l’extérieur et, perdu pour perdu, il se précipite vers la lumière du jour ! Devant la trouille immense de se sentir soudainement dans le vide, pop, pop, les deux ailes sortent ! D’instinct, en une fraction de seconde, le jeune pigeon apprend à s’en servir et devient un adulte. Il se pose sur un trottoir et entame machinalement l’activité qui va occuper la quasi-intégralité de sa vie éveillée : picorer le bitume !

– Mais que se passe-t-il si jamais aucun chat ne vient pour lui foutre la trouille ?

– Eh bien il ne peut pas devenir adulte et ses parents l’abandonnent à son triste sort… Tiens ! Voilà justement Riton !

– Salut les moustachus !

– Chalut ! Tu dis pas merci ?

– Pour ?

– Sans les chats les archéologues auraient retrouvé ton corps d’enfant et t’auraient confondu avec une théière indienne bardée de plumes !

– Qu’est-ce que c’est encore que cette connerie ?

– Laisse tomber !

– OK ! Vous voulez savoir la dernière ?

– Dis toujours !

– Les cormorans sont quatre ! Et je ne sais pas si c’est pour faire valoir un droit primordial sur la rivière mais les mouettes ont décidé d’occuper le terrain !

– C’est à dire ?

– Elles font désormais comme les cormorans, elles se posent sur les câbles de la passerelle !

– Pour se faire sécher ?

– Non, juste pour signifier aux cormorans que c’est pas leur passerelle !

– Cela pourrait bien être leur passerelle puisqu’avant qu’ils n’arrivent, personne n’avait l’idée de se poser dessus. C’est sûrement très inconfortable d’ailleurs. Pourquoi les cormorans ne viennent pas se sécher ici sur une cheminée. On pourrait bavarder.

– S’ils ne vont pas sur les cheminées c’est peut-être parce qu’il y a des chats de gouttière !

– Ne sont-ils pas assez gros pour se défendre ?

– Des fois ils ont l’air gros et des fois non !

– Je ne te parle pas d’apparence ! Sont-ils gros oui ou non ?

– Ben j’en sais rien. Des fois ils ont l’air gros et des fois non ! Je les ai bien observés tu sais ?

– Visiblement pas au point de savoir s’ils sont gros ou pas gros.

– Quand ils sèchent leurs ailes ils ont l’air gros. En volant aussi d’ailleurs.

– C’est donc qu’ils sont gros !

– Quand ils en ont marre d’être sur les câbles de la passerelle, ils s’élancent vers la rivière. Ils aiment voler au raz de l’eau, peut-être cherchent-ils à voir à travers cette eau boueuse.

– L’eau est boueuse ?

– En ce moment oui. Le courant est bien fort par rapport à d’habitude. Alors les cormorans remontent la rivière, généralement jusqu’à la passerelle Saint Vincent. Puis ils se posent dans l’eau et c’est alors qu’ils ont l’air d’être de petits canards noirs.

– C’est sans doute parce que leur corps est très enfoncé dans l’eau.

– Pourquoi ?

– Qu’est-ce que j’en sais ?

– Ce ne serait pas bien naturel à mon avis ! On a vu des cygnes, des canards, des mouettes, des oies, et tous ces oiseaux-là flottent très bien sur l’eau.

– C’est peut-être parce que les cormorans avalent des métaux lourds ! Si ça se trouve Disney s’est gouré en prenant un canard comme modèle du pingre absolu ! Si ça se trouve les cormorans vont dans l’eau pour filtrer l’or qui s’y trouve et ils le gardent soigneusement planqué dans leur estomac !

– Cela expliquerait pourquoi au début on n’a vu qu’un couple de cormorans. Ils sont venus explorer cette rivière, ont trouvé un filon et ont averti leurs collègues chercheurs d’or.

– Je pense qu’il est impropre de parler de filon pour de l’or qui dérive dans une rivière.

– Tu joues sur les mots Darwin !

– Oui, j’adore ça même.

– Laissez-moi finir ! Une fois le cormoran dans l’eau, quand il a l’air d’un petit canard, il se laisse porter par le courant. On a l’impression qu’il ne fait rien qu’une petite balade fluviale. Mais soudainement il plonge la tête la première dans l’eau et son corps suit la tête.

– Le contraire serait étonnant.

– Quand un cormoran disparaît dans l’eau boueuse, le jeu entre pigeons c’est de deviner là où il va réapparaître. Je ne sais pas ce qu’il fait là-dessous…

– On vient de dire qu’il cherchait de l’or.

– Je voulais dire que j’ignore la manière dont il se déplace sous l’eau. Toujours est-il qu’il s’écoule de nombreuses secondes puis le cormoran finit par réémerger. Des fois pratiquement à l’endroit où il est entré, des fois 20 mètres en aval, ou sur un côté, ou même en amont ! Après quoi il se laisse de nouveau porter par l’eau pour recommencer l’opération un peu plus loin.

– Il serait aisé de savoir si dans l’intervalle il a trouvé de l’or ! Son corps devrait être de plus en plus lourd et donc paraître de plus en plus enfoncé dans l’eau !

– Salut les affreux !

– Bonjour Odette.

– Vous parliez de moi ?

– Non.

– C’est mieux parce que j’aurais été obligée de vous demander ce que vous étiez en train de dire de moi.

– Tout va bien alors.

– Oui. Puisqu’on est en 2020…

– Quarante sixième année de ta mise à l’écart du pays des fées !

– Exact matou mais ce n’est pas de ça dont j’ai envie de parler. J’ai besoin de vous pour élire le citoyen de l’année 2019 !

– Le citoyen toutes espèces confondues ?

– Non ! Le citoyen humain de la ville de Lyon ayant le mieux œuvré pour la cité !

– Qu’est-ce qu’on en sait nous ?

– Vous avez bien un nom qui vous vient en tête !

– Du moment que tu ne choisis pas le député Léonard !

– Pourquoi pas ? Il a fait des discours courageux.

– Il vole les idées des gens qu’il rencontre en entretien ! Il me vole même mes idées !

– Ben c’est ça la politique !

– Alors n’élisons pas un politique !

– Comme tu voudras.

– Est-ce que le citoyen en question peut être plusieurs ?

– Pourquoi pas ? Un groupe de citoyen qui aurait fait une action remarquable. Tu penses à un groupe en particulier Riton ?

– Oui. Enfin… je ne sais pas si c’est digne d’être rapporté mais les humains semblent entrés dans une époque assez peu portée sur l’esprit citoyen si j’en crois le nombre de fois où j’ai manqué me faire écraser par des autos, motos, vélos et trottinettes !

– Euh… Riton si tu as retenu toutes les plaques d’immatriculation des automobilistes qui ont daigné te laisser finir un bout de pain sur la chaussée, tu peux les oublier tout de suite ! Cela ne va pas suffire à gagner le trophée !

– Ce n’est pas à ça que je pensais ! Avec les autres on va souvent sur la place Bellecour et ces dernières années de nombreuses façades ont été rénovées.

– On n’élit pas la plus belle rénovation de façade Riton !

– Mais laisse-moi finir, Odette ! Sur la place Bellecour chaque rénovation de façade a été l’occasion de la mise en place d’une publicité gigantesque pour des marques de sport, de voitures, de livraison à domicile, de téléphones.

– Oui je sais. On a déjà parlé de ça !

– Je n’ai pas le souvenir d’une telle discussion.

– C’est parce qu’on l’a eue sur le toit tandis que tu ronflais dans ton canapé moisi Grabel !

– Ah !

– Sache Grabel que ces publicités sont accompagnées d’un message qui dit en substance que la publicité sert exclusivement à financer la rénovation de la façade. Il faut savoir qu’une rénovation de façade ça coûte pas mal d’argent et qu’en outre la municipalité n’autorise pas les copropriétés à laisser à l’abandon une façade. Comme on est dans un secteur classé à l’Unesco, les façades doivent même être rénovées plus souvent qu’ailleurs. Mais une publicité géante d’une grosse multinationale visible de loin peut potentiellement permettre de financer les travaux.

– C’est assez juste de mettre de la publicité alors, si c’est la municipalité qui oblige à faire des travaux.

– Cela se discute Grabel.

– Ah bon ?

– Oui ! D’après toi les appartements situés place Bellecour sont-ils plus chers ou moins chers que les autres ?

– Comment veux-tu que je le sache ?

– Ils sont très chers ! De plus en plus chers ! Il y en a d’autres très chers dans le quartier car c’est un quartier cher, mais pour acheter actuellement un appartement place Bellecour, il faut aligner les pépettes ! En moyenne les appartements les plus chers sont occupés par les gens les plus riches n’est-ce pas ?

– Si tu le dis.

– Cela ne signifie pas pour autant qu’ils ont des façades plus sophistiquées et plus difficiles à rénover que les autres immeubles. A vrai dire les façades de la place Bellecour sont même en assez souvent sans fioriture. Il y a trois ans les pigeons pensaient qu’une fois qu’ils enlèveraient la publicité Adidas géante de l’autre côté de la place, on allait découvrir une façade absolument magnifique et pleine de statues.

– Pourquoi ?

– Parce que les travaux ont semblé interminables ! Mais en fait cette façade n’ayant vraiment rien d’extraordinaire, on a suspecté la copropriété d’avoir fait durer les travaux plus que nécessaire.

– Pour laisser la publicité plus longtemps ?

– Bravo Matou !

– C’est malin.

– Est-ce citoyen ?

– Sans doute si les gens aiment la publicité.

– Mais qu’est-ce que diront les gens si demain ceux qui gèrent les barres HLM à la Duchère ou à la Mulatière décident de financer les rénovations de façades en y apposant des publicités gigantesques ! Après tout ces barres sont visibles de loin.

– Ils diront que si les gens de Bellecour le font, pourquoi pas ceux de la Duchère ou de la Mulatière ?

– Alors c’est sans fin ! On ne pourra plus jamais se balader sans voir une publicité géante. Pourquoi ne pas rénover le palais de Justice en le finançant avec une pub géante ? Ou la cathédrale Saint-Jean ?

– Ce ne serait pas très catholique !

– Il suffirait de mettre la tronche d’un footballeur connu pour sa foi ! Y en a plein ! Ils se croient bénis de Dieu et se signent à chaque geste réussi.

– Pas bête.

– Tout ça pour dire que les façades des immeubles occupés par les gens les plus fortunés sont financées par la publicité. Ceux qui sont dans des immeubles moins bien situés paient de leur poche. La municipalité pourrait donc parfaitement interdire ces publicités sans léser de pauvres gens.

– Pourquoi les interdire si les gens aiment bien les publicités ?

– Décidément Grabel, tes facultés politiques sont des plus médiocres.

– Pas comme les miennes ! Car c’est bien là où je voulais en venir ! Moi je trouve que l’immeuble de l’autre côté de la place des Jacobins est remarquablement situé !

– Il y a moins de passage sur la place des Jacobins qu’à Bellecour, Riton.

– Tout de même. Il y aurait sûrement matière à trouver un publicitaire intéressé.

– Sans doute !

– Eh bien justement cette façade est en rénovation depuis des mois et la bâche recouvrant l’échafaudage est resté d’un blanc immaculé !

– C’est juste.

– Alors moi je donne le prix de citoyenneté 2019 à la copropriété de cet immeuble.

– Hum… Cela donnerait l’image d’une ville où la citoyenneté est vraiment ras des pâquerettes.

– Ce n’est pas le cas ?

– Hum… J’avoue que je n’ai pas grand-chose d’autre en tête. … Bon d’accord ! Le prix de la citoyenneté 2019 de la ville de Lyon est attribué aux copropriétaires de l’immeuble de l’autre côté de la place des Jacobins !

– Qu’est-ce qu’ils gagnent ?

– Ça je m’en occupe.

 

Il faudra qu’en 2020 je me fasse une meilleure idée de la citoyenneté lyonnaise. Gagner parce qu’on n’a pas trouvé d’annonceur, moi j’ai trouvé cela un peu faible. En outre je suis quand même étonné que la municipalité n’interdise pas simplement ces publicités géantes.

 

– Moi cela m’étonne beaucoup que ces publicités géantes soient tolérées par la municipalité.

– Tu n’as encore rien vu Matou ! Bientôt ils vont mettre de grands écrans numériques publicitaires ! Comme celui qu’ils ont mis sur le centre commercial de la Part-Dieu.

– C’est bien la preuve que les gens adorent ça !

– Ce n’est en aucun cas une preuve, Grabel. Il y a eu des enquêtes de faites et elles indiquent toutes que les gens sont massivement opposés à l’installation de ce genre d’écrans !

– Mais alors Odette ? Je ne comprends pas ! On est dans une cité démocratique de gauche ! Pourquoi ne tient-elle pas compte des avis de ses citoyens ?

– De quoi ? Une cité démocratique de quoi ?

– De gauche !

– De gauche ? Qu’est-ce que c’est que ça ?

– Ben une ville dirigée par la gauche ! Comme Paris !

– Hi hi ! … Hi hi hi hi !.. De gauche ! Hi hi hi hi hi hi ! T’as beaucoup d’humour matou ! J’aime bien ! Hi hi hi hi ! … Ah ben t’auras au moins réussi à me faire marrer ! De gauche ! Hi hi hi !

 

Tout en riant elle s’est éloignée vers l’immeuble de l’autre côté de la place.

– Tu crois qu’elle va leur donner quoi comme récompense ?

– Pas notre part de farcie j’espère !

– Ah ben non ! Ce serait vraiment trop injuste !

 

Toujours est-il qu’on n’a pas eu de farcie ce jour-là.

Ah ben chalut !

 

Darwin.

11 janvier 2020

Toucons, cabinet de conseil.

Chalut.

Aujourd’hui je vous transmets une conversation que j’ai pu entendre à la fin de l’année 2017. Cette conversation émane d’une salle au sein d’une entreprise qui est installée dans la rue mais malheureusement du côté du très grand bloc. J’y passe à l’occasion et je ne manque jamais d’aller vers un tuyau d’aération qui présente l’avantage de renvoyer le son d’une salle comme si on y était. Cette salle appartient donc au Cabinet de conseil « Toucons » qui donne des conseils en tout, absolument tout, c’est du moins ce qu’il prétend. La meilleure conversation que j’ai entendue fut donc à la fin de 2017, deux salariés de cette entreprise y ayant passé de longues minutes et reçu plusieurs appels téléphoniques. Comme ils ont la bonne habitude de toujours mettre le haut-parleur, tout est parfaitement intelligible ! Voyez par vous-même !

 

Tutintintintin tintintintin tintintintin trrrrrrulululululu… Tutintintintin tintintintin tintintintin trrrrrrulululululu...

– Allô ?

– Rémy ? La ministre de la santé au téléphone !

– Oh ? Attends je prends une grande respiration !… OK c’est bon !… Allô ?

– Monsieur Desnoyaux ?

– Bonjour madame la ministre ! Que puis-je pour vous ?

– J’ai besoin d’idées !

– Euh… C’est à dire ?

– Vous n’imaginez pas la pression que nous met le président pour changer la France ! Si je veux durer il me faut une annonce phare par mois. On m’a conseillée de vous demander conseil.

– Et vous m’en voyez honoré ! En toute indiscrétion, quel cabinet vous a suggéré de passer le nombre de vaccins obligatoires de trois à onze ?

– Ah ! là, c’était mon idée ! Le président voulait des propositions fortes et rapides, j’ai pensé que c’était très approprié !

– Moi j’aurais choisi 13, mais 11 c’est bien aussi !

– Non, 11 c’est mieux, je vous assure. Bon ! J’ai ce qu’il faut pour tenir l’affiche jusqu’à la fin de l’année ! Mais je n’aime pas être prise de court et je veux booker l’année 2018 rapidement. On va voir si vous êtes à la hauteur de votre réputation ! Je vous rappelle dans 5 minutes et d’ici-là vous me trouvez un financement dans un domaine de la santé, n’importe lequel, on a besoin d’argent partout. Attention ! Quand je parle de financement c’est sur l’assiette la plus large possible ! Ne me sortez pas un truc qui va faire fuir les investisseurs !

– Soit ! Inutile de rappeler dans 5 minutes ! J’ai ce qu’il vous faut !

– Je vous écoute !

– Une seconde journée de solidarité ! Proposez au président une seconde journée de solidarité ! Je suis sûr que ça va lui plaire !

– Je finance quoi avec ça ?

– Ben la même chose que Rafarin ! De toute façon du fric pour la cause des petits vieux y en aura jamais assez non ?

– Effectivement !... Laissez-moi réfléchir… On va gratter quoi avec ça ? 1 milliard ?

– Le double au minimum !

– Hum… Cela pourrait suffire pour que je ne me retrouve pas avec une grève de la part de tous ces fainéants dans les Ephad.

– Certainement.

– Hum… Je vais amener cela discrètement sous la table pour tâter le terrain. Si l’idée prend je vous recontacte. Merci !

– A votre service madame la ministre ! Au rev…

– Elle m’a raccroché au nez, dis !

– Une femme pressée ! T’étais pas obligé de lui filer une idée pourrie pour pot de balle !

– Pourquoi pourrie ?

– Elle a dit « assiette large » mais ça veut pas dire qu’il faut emmerder tout le monde ; à commencer par moi !

– Il est où le problème ?

– Au cas où t’aurais pas remarqué je me tape des journées de dix à douze heures par jour alors mes jours fériés je crois pouvoir affirmer que je les mérite !

– Non mais ça va quoi ? Douze heures ? En comptant les jours où t’arrives en retard ?

– Je pars aussi en retard !

– En comptant la pause déjeuner ?

– Je bouffe sur le pouce !

– Sauf quand t’es à la brasserie ! De plus en plus souvent !

– J’ai besoin de varier mon régime alimentaire. C’est mon médecin qui me l’a dit !

– Et les pauses café ? Les pauses clopes ? Tu les comptes ?

– C’est mon carburant figure-toi ! Sans quoi je deviens inefficace !

– Parlons-en de ton efficacité. Ta fâcheuse tendance à la procrastination est de plus en plus patente.

– Chaque chose en son temps. Si quelqu’un pense trouver meilleur que moi sur le marché, qu’il me le dise !

– J’ai pas dit qu’on devait se mettre en concurrence, on n’est pas des manœuvres et les affaires vont bien. Mais je ne crois pas qu’il y ait lieu de te plaindre.

– Je ne veux pas qu’on me supprime mes jours fériés !

– Qui a parlé de supprimer tes jours fériés ?

– Mais toi ! Tu viens de donner cette idée à la con à la ministre !

– Mais en quoi ça te concerne ? Quand est-ce que Rafarin a eu cette idée ?

– A la suite de la canicule de 2003 !

– Et depuis ? Combien de lundis de Pentecôte t’as travaillé ?

– Euh… je ne sais pas. En 2003 j’étais au collège !

– Zéro ! Pas la peine de chercher, la réponse est zéro ! Tu l’as jamais faite la journée de solidarité !Et moi non plus d’ailleurs ! On pause une RTT !

– Mais alors ?… Comment ça peut rapporter tant de fric si personne ne la fait cette journée ?

– L’important c’est pas que tu la fasses, quoiqu’il advienne ton entreprise donne l’équivalent d’une journée de travail.

– Mais alors… c’est le boss qui risque de finir par s’en plaindre ! Et s’il décidait d’ouvrir les bureaux ce jour-là ?

– RTT ! Y aura toujours assez de RTT ! Si tu savais le nombre d’heures qu’il me doit ! Si t’as pas assez de RTT t’as qu’à prendre huit pauses café au lieu de six ! La pointeuse fera le reste !

– Oui enfin bon, j’ai pas non plus envie de rentrer à minuit chez moi !

– On ne peut pas tout avoir dans la vie !

– Mais alors ? Ceux qui n’ont pas de RTT ? Ils font comment ?

– Ben, ils bossent un jour de plus, j’imagine.

– A l’œil ?

– Faut croire !

– C’est pas un peu bizarre comme truc ? Ça fait moyenâgeux non ?

– Mais qu’est-ce que ça peut te foutre ? Depuis quand tu te soucies de ceux qui n’ont rien glandé à l’école ? Ils avaient qu’à être cadres !

– Oui mais s’ils avaient bossé, ils seraient cadres non ?

– Faut croire !

– Alors tout le monde serait cadre ?

– Sans doute !

– C’est pas un peu bizarre comme truc ?

– Pourquoi ? Regarde ici ! On est trente-deux et tout le monde est cadre ! Sauf le boss !

– Elle est cadre Jeanine ?

– Bien sûr !

– Mais si tout le monde était cadre, plus personne ne ferait la journée de solidarité !

– Et alors ?

– Alors ce serait encore plus une idée à la con !

Tutintintintin tintintintin tintintintin trrrrrrulululululu… Tutintintintin tintintintin tintintintin trrrrrrulululululu...

– Tiens ! Réponds ! Tu raconteras moins de conneries !

Tutintintintin tintin...

– Allô ?

– Jérôme ! Le magasin Mille-couche de Lyon en ligne ! Tu prends ?

– Affaire locale ? Pff… Bon OK !… … Allô ?

– Euh, bonjour ! Olivier De Quart-saison de chez Mille Couches dans le premier !

– J’en ai entendu parler. Vous venez d’ouvrir non ?

– Il y a deux mois.

– Le chiffre d’affaire est bon ?

– Passablement. Nous avons quelques soucis d’accessibilité. C’est à ce sujet-là que je vous appelle d’ailleurs. Vous savez que nous sommes en plein secteur classé à l’Unesco ?

– Difficile de l’ignorer.

– Bon. Nous avions prévu de faire une petite modification du trottoir afin de faciliter l’accès aux handicapés. Cela paraissait relativement anecdotique au regard des travaux que nous avons mis en œuvre. Sauf qu’à notre grande surprise, il apparaît que nous avons l’interdiction de toucher ce pas de porte sous prétexte que le quartier est classé à l’Unesco !

– C’est l’un des aléas d’un tel classement !

– Oui j’entends bien mais cela paraît tout de même abscons ! D’après le propriétaire des murs ce pas de porte est dans cette configuration depuis 1994 ! C’est fait avec un granit tout ce qu’il y a de plus commun, absolument rien d’historique ! Comment peut-on se voir interdit de modifier cela alors qu’on veut juste faciliter l’accès aux personnes à mobilité réduite ?

– Oui j’avoue que cela peut paraître bizarre. Vous n’êtes pas le premier commerce en proie à ces difficultés. Mais par ailleurs le classement à l’Unesco est globalement favorable au commerce.

– J’entends bien mais enfin… Il y a sûrement des commerces qui ont eu gain de cause ! Moi j’ai besoin de l’adresse d’un avocat spécialiste du sujet qui va me permettre de leur faire entendre raison !

– Oula ! Vous vous attaquez à un sujet délicat là ! Je doute qu’on puisse vous aider chez Toucons ! J’ai d’ailleurs mon collègue en face de moi qui fait une moue dubitative.

– Mais ce n’est pas possible ! C’est juste un bout de granit à raboter !

– Oui je sais, mais là… Honnêtement je ne vois pas qui va pouvoir vous aider.

– Eh ben ça alors ! Bon… Sinon, dans le même ordre d’idée, on aimerait améliorer notre visuel en mettant dans nos vitrines trois écrans plats de deux mètres par trois, histoire que les passants puissent voir de loin tous nos modèles de couches. Vous pensez que ce classement à l’Unesco va poser problème ? On voudrait être sûrs de ne pas investir en pure perte !

– Écoutez, je crois que cela ne devrait pas poser de problème, du moment que vous ne touchez pas à la forme de la vitrine.

– Et sinon... désolé si je vous abreuve de questions mais je suis nouvellement débarqué à Lyon ; est-ce qu’il y a des règles locales quant à l’usage de ces écrans publicitaires ? Je veux dire… y a-t-il des heures légales de diffusion ?

– A ma connaissance non ! Vous pouvez diffuser H24 si vous avez des sous à perdre. Au milieu de la nuit vous ne risquez pas de toucher grand public, on n’est pas à Broadway !

– C’est bon à savoir ! Et sinon, comme on est sur 3 niveaux hors sous-sol, on aimerait montrer qu’on est vraiment une grande surface. On a nos couleurs au rez-de-chaussée mais les étages ne sont pas différenciés par rapport au reste de l’immeuble. Vous avez une idée ?

– Oui bien sûr ! Mettez des covering aux fenêtres !

– Des quoi ?

– Des covering ! Des adhésifs transparents aux couleurs de votre entreprise !

– C’est autorisé ça ? Même dans un quartier classé à l’Unesco ?

– Parfaitement. Des transparents colorés avec le nom de votre marque, je peux vous assurer que personne n’y trouvera à redire.

– Cela risque de modifier un peu la luminosité quand même.

– Certes. Si vous voulez jouer sur la lumière du jour ce n’est pas une chose à faire.

– A vrai dire c’est plutôt tout feu tout flamme chez nous. On a une facture d’électricité étonnamment haute pour notre secteur d’activité. Bien ! Si je résume on a dit : raboter 5 cm de granit non, avoir 3 écrans géants allumés H24 pour diffuser de la pub de couches et colorer les fenêtres oui !

– Voilà !

– Bien. Je transmets à mes supérieurs, transmettez-moi la facture !

– Je n’y manquerai pas. C’est quoi votre couleur au fait ?

– Vert stéphanois ! Le vert c’est à la mode non ?

– Oui. Enfin… pour des couches jetables...

– Raison de plus non ?

– Certainement.

– Au revoir Jérôme, et merci pour vos bons conseils !

– Merci à vous ! Au revoir !

Tutintintintin tintintintin tintintintin trrrrrrulululululu…

– Oh mais merde ! Quand est-ce que je fume moi ?…

Tutintint...

– Allô !

– Jérôme ! Les magasins Titi en ligne !

– Bordel ! Ils se sont donné le mot !

– Oui mais c’est le big boss là ! Une fortune !

– Ah !… Je prends !… Oui allô ?

– Allô ! Ronan Le Boss !

– Monsieur le président ! Que puis-je pour vous ?

– Nous cherchons à renouveler notre image de marque ! J’ai dit à mes collaborateurs que je choisirais moi-même notre nouveau slogan ! Vous avez une idée ?

– Vous abandonnez « Titi les tous petits prix » ?

– Ce slogan a fait son temps ! Vous avez déjà acheté chez nous ?

– Euh… à vrai dire je dois concéder que non.

– Oh mais ne soyez pas gêné ! Vous ne croyez tout de même pas que moi-même j’achète ce que je vends ?

– Oui… disons que c’est un peu pour, comment dire ?… Les petites bourses ?

– Vous savez quelle est ma seconde activité ?

– Désolé, non.

– Je vends des crédits à la consommation ! Cela va de paire ! Vous visez les petites bourses mais dès lors que vous vendez de la merde, la nécessité de remplacer les objets les ramène souvent chez vous. Il faut donc leur donner les moyens d’acheter et en tirer quelque chose. Nos prix sont petits mais nos taux sont hauts !

– Pourquoi changer de slogans maintenant ?

– Baisse de la fréquentation, la concurrence est rude !

– Il faudrait quand même que nous allions faire un tour dans une de vos boutiques pour nous faire une meilleure idée.

– Olala c’est pas la peine ! Je veux juste la formule qui tape à l’oreille ! Chez nous c’est simple ! C’est l’empire du plastique de mauvaise qualité mais pas que ! On vend de tout et expressément des choses dont les gens n’ont pas besoin ! Ils ont besoin d’une chaise de jardin, on a ça en rayon ! Elle durera pas longtemps mais l’essentiel c’est que le jour de l’achat le client pense à acheter un jouet pour le chien, des bonbons qui dissolvent les dents pour les gosses, une brosse à chiottes farce et attrape, un déguisement pour Halloween qui donne de l’eczéma, une crème anti-eczéma qui donne des boutons ; vous voyez l’idée ? Que de la merde mais pas chère et les gens repartent avec des sacs bien garnis ! Ça les rassure ! Un pauvre, hein ? Mettez deux assiettes dont l’une contient le meilleur macaron du monde et l’autre un kilo de choucroute en boite premier prix, il va pas choisir le macaron ! C’est ça la société d’abondance ! Je pourrais avoir un slogan du genre « Titi œuvre pour le bien public » mais ça sonne pas !

– C’est vrai mais y a de l’idée ! Si on abandonne la référence aux petits prix tentons le pari inverse ! Faisons référence à quelque chose de… smart !

– Certainement mais quoi ?

– Eh bien… Ce qui caractérise votre clientèle, ce n’est pas son talent créatif n’est-ce pas ? Elle ne fait globalement pas partie des gens performants et innovants ?

– C’est à craindre !

– Laissons-lui supposer le contraire ! Laissons-lui croire qu’à défaut d’être performante dans son travail, elle est performante dans ses achats ! Qu’elle achète des choses smart !

– Oui mais un truc qui sonne à l’oreille hein ?

– Attendez !… Attendez !… Je sens que je l’ai !… Bon sang ! Mais c’est bien sûr !

– Dites-moi !

– Titi, des idées de Génie !

– Titi des idées de génie ?… Mais c’est ça ! Absolument ! C’est ça ! Titi des idées de génie !

– Pour les visuels vous écrirez le G de génie en majuscule !

– Mais oui ! Tout à fait ! J’adore l’idée ! Une vraie idée de Génie ! Jérôme ! Vous êtes un Génie !

– Venant de vous, ça me touche monsieur Le Boss !

– J’achète ! Combien ?

– Je vous laisse négocier cela avec mon président !

– Parfait ! Merci Jérôme et au plaisir !

– Au revoir !… Bon je vais fumer ! A ton tour de bosser !

– Traîne pas ! La réunion avec Notre boss est dans 5 minutes !

Tutintintintin tintintintin tintintintin trrrrrrulululululu… Tutintintintin tintintintin tintintintin trrrrrrulululululu…

– Allô ?

– Rémy ? Les Terriens de la terre au bout du fil !

– Jeanine ! J’ t’ai déjà dit que le fil s’arrête à ton bureau !

– Façon de parler ! Tu prends ?

– Je prends !… Oui allô ?

– Bonjour Rémy ! Florence Tourteau des Terriens de la terre, vous vous souvenez ?

– Oui, oui, parfaitement. Comment allez-vous ?

– Très bien, merci. Avant tout je voulais vérifier avec vous. D’après l’application on n’a plus que 682 euros de crédit chez vous ; pourtant la dernière fois j’ai demandé que 5 slogans et le dernier débit n’est pas du tout ce qui était convenu.

– C’est sûrement à cause de la clause diffusion média national ! Si une pancarte est passée en gros plan au JT de la 1 ou sur BFM, forcément c’est plus cher. Faudrait que je vérifie mais c’est pas moi qui m’occupe de ces choses-là !

– OK, j’aimerais bien avoir le lien images dans ce cas. Du coup pour la prochaine manif je vais prendre que 3 slogans, histoire d’être sûre de ne pas dépasser.

– Ou faites des pancartes petites, la probabilité est moindre !

– Non ! A la limite si vous me trouvez un truc énorme, j’en prends qu’un et je le peins sur 10 mètres de long !

– C’est vous qui voyez.

– Bon. Vous avez quelque chose pour moi ?

– Du coup on va pour trois ?

– Oui, trois c’est bien.

– Vous avez de quoi noter ? On a fait un peu long cette fois-ci.

– J’ai une excellente mémoire.

– Comme vous voulez. Alors en 1 j’ai : « Les clima-Taupes sceptiques sont-elles de plus en plus myopes ?". En 2 : "Gaz à effet de cerfs ! Seuls les chasseurs se frottent les mains !"

– J’ai pas compris là !

– Serre écrit c-e-r-f-s.

– OK !… Bof.

– Et en 3 : "Réchauffement climatique > chute des ventes de fourrures à pétasses ! Les crocodiles ont du souci à se faire !"

– Trop long et franchement machiste !

– C’est une manif pour le climat ou l’égalité homme-femme ?

– Ça laisse suggérer que les femmes participent plus au réchauffement que les mecs !

– Y a une étude qu’est sortie là-dessus qui…

– Vous fatiguez pas ! Je prends les 3 ! C’est pas terrible mais peu probable que quelqu’un d’autre ait les mêmes idées à la con, c’est tout ce qui compte !

– OK je valide le débit. 300 euros tout rond sauf surcote médiatique !… Ah ! Attendez ! Cela vient de déclencher une promotion ! Vous avez droit à une idée gratuite !

– Dites toujours !

– Il s’agit d’un dessin ! Un énorme taon est posé sur le globe terrestre et le suce substantiellement, le globe a des allures de ballon dégonflé. La légende dit « Sale taon pour la planète !»

– C’est tout ?

– Dans notre croquis le taon porte une perruque jaune mais vous pouvez aussi lui dessiner la tronche à Macron.

– Ah ?… Bon OK ! Si c’est gratuit...

– Eh oui ! Avec nous on en a pour son argent.

– Voire !

– Rappelez quand vous…. Mais qu’est-ce qu’ils ont tous aujourd’hui ?

Tutintintintin tintintintin tintintintin trrrrrrulululululu…

– Allô ?

– Il arrive !

– Tu peux appeler Jérôme par la fenêtre ? Il est descendu fumer !

– OK !

– Au boulot Rémy ! J’ai pas beaucoup de temps ! Il est où Jérôme ?

– Il arrive !

– Il fume beaucoup non ?

– Oh non ! Très peu !

– Je suis juste venu pour les clips pub… Ah !… J’ai failli attendre ! Dites donc Jérôme, vous roulez en quoi ?

– En Audi !

– Diesel ?

– Essence ! Pourquoi ?

– Y a un mec haut placé qui m’a demandé de lui donner une définition du mec ringard au 21ème siècle ! Je lui ai répondu sans réfléchir : « Le mec qui fume des clopes et roule en diesel ! »

– Je vois pas le rapport ! Vous fumez bien vous !

– Que des cigares !

– Oui ben c’est facile alors ! Je remplace clope par cigare et ça change quoi ?

– Ça change qu’il paye pas pour cigare mais paye pour clope parce que le cigare c’est pas ringard ! Et je suis sûr qu’il va la placer dans l’année !

– C’est qui ?

– Vous le saurez en temps voulu !

– Du coup je me demandais si le petit génie allait être complètement ringardisé dès 2018.

– Pff.

– Bon. Au boulot ! On commence par qui ?

– BforBank.

...

– « Si j’ai réussi, c’est grâce aux conseils de ma femme, alors quand elle m’a recommandé sa banque en ligne, j’ n’ai pas hésité. »

– C’est court, concis, sans imagination superflue. Bon boulot non ?

– Faut le dire vite ! Qu’est-ce que vous diriez si je débarquais avec mon vélo dans l’Open Space ?

– Vous êtes trop ringard pour rouler en vélo petit génie !

– Et vous en connaissez beaucoup des mecs qui disent « Si j’ai réussi c’est grâce aux conseils de ma femme ? »

– On est en 2017 Jérôme ! Mettez-vous à la page !

– Dans ce cas faut y aller franco ! Un truc du genre : « Si j’ai réussi c’est grâce au travail de ma femme ! » Au début du clip le mec qui parle a les pieds sur son bureau, il boit un café. Sur une moitié de l’écran y a sa femme qu’amène les gosses à l’école. Ensuite on la voit au taf sous les ordres d’un patron acariâtre ! A midi elle bouffe une légère salade sur un coin de son bureau tandis que son mari est attablé devant un plat gastronomique. Puis la nana récupère les gosses à l’école tandis que le mec discute à la machine à café. La nana prépare à manger tandis que le type boit un verre dans un after work. La nana étend le linge, tandis que le type conduit sa berline… essence. Ainsi de suite jusqu’à ce qu’ils se foutent au pieu !

– Et il la viole pendant que vous y êtes ?

– Non mais quitte à dire : « Si j’ai réussi c’est grâce à ma femme ! » autant donner des raisons valables !

– Qu’est-ce que vous pourriez en savoir ? Vous n’êtes même pas marié !

– J’aime vous prendre en exemple.

Toc toc toc.

– Monsieur Le Blévic, votre femme est passée déposer votre costume. Elle vous fait dire d’aller au théâtre sans elle, elle aura du retard !

– Bon sang ! Elle est pénible ! Merci Jeanine !… Bon Jérôme, moi ce qui m’intéresse c’est de savoir s’ils ont répondu au cahier des charges. C’est pour ça qu’ils nous consultent prioritairement, pas pour tout critiquer !

– Oui ben là ils n’ont pas pris grand risque ! On checke ça si ça peut vous rassurer.

– Mais oui ! Allez ! Allez !

– « Ne pas mentionner le fait que la multiplication des banques n’apporte rien, que tout compte fait les innovations potentielles finiront de toute façon copiées par les géantes du secteur aux mêmes tarifs. » Y a bon ?

– Ben là ! Rien à redire !

– La banque en ligne ! Quelle connerie ! Comme si ma banque n’était pas en ligne !

– Continuons !

– « Ne pas laisser supposer que de toutes les activités lucratives, il en est une dont tout homme d’affaire ayant horreur de perdre aimerait obtenir l’agrément : la banque ! » Ah ben ça c’est sûr que ce couillon qui parle de sa femme, il va pas donner un cours de finance au commun des mortels ! C’est validé ?

– Qu’est-ce que vous en dites Rémy ?

– Je suis un peu de l’avis de Jérôme alors je pense qu’on devrait juste leur dire de rajouter « aussi » entre « c’est » et « grâce ». « C’est aussi grâce à ma femme. » c’est vraiment mieux que « C’est grâce à ma femme. »

– OK ! C’est bon pour moi ! La suivante ?

– La nouvelle pub Mc Do sur le service à table cartonne paraît-il.

– Normal, elle est complètement con ! J’ai rarement vu un truc aussi débile et exaspérant de ma vie ! Auditivement surtout ! Ils l’ont massacrée la chanson !

– Ils veulent préparer l’épisode II.

– C’est juste un appel à candidater, on tente quelque chose Yves ? Répondez pas non parce que j’ai déjà bien bossé dessus !

– Vous avez l’épisode I ?

– Je vous montre la version courte, celle qui passe en ce moment est franchement trop longue.

– Ben faut croire que non.

...

« Ils sont à table, depuis qu’ils sont assis ils rient ils parlent ensemble, et on n’existe plus pour eux. Ils sont à table, chez Mc Do, et voilà qu’on dépose les plateaux. Ils n’ont plus besoin de nous, ils nous ont largués pour de vrai, ils s’amusent mieux sans nous. Mc Donald’s propose le service à table, pour se retrouver ensemble... à table. »

– C’est une reprise de qui déjà ?

– Bonnie Tyler.

– Ah oui, j’aimais bien. Vous êtes déjà allés au Mc Do ?

– Pas vous ?

– Je n’en ai pas le souvenir. Mais alors ? Avant y avait pas de table ?

– Ben si ! Sauf qu’ils servaient pas à table !

– Mais ça change quoi au juste ?

– Ben maintenant on commande, on trouve une table libre et on attend qu’on nous amène la bouffe.

– Mais du coup, c’est servi dans des assiettes ?

– Mais non ! C’est comme avant mais quelqu’un apporte les plateaux !

– Donc… si je comprends bien… avant les gens mangeaient à table et maintenant ils mangent à table.

– Oui mais on amène les plateaux !

– Je comprends pas cette pub.

– Y a rien à comprendre Yves ! Ils veulent juste éliminer peu à peu leur image de roi de la malbouffe puisque dans ce domaine tout le monde arrive à rivaliser ! Donc ils essayent de se faire passer pour de vrais restaurants. C’est en ce sens que cette pub fonctionne. Ce n’est pas réellement une référence à l’ancien fonctionnement de Mc Do puisque le changement est très relatif dans bien des cas. L’idée c’est de dire qu’ils sont dans un restaurant où on prend le temps de manger. Et si on prend le temps de manger, tout le temps qu’on gagnait en mangeant à la va-vite est perdu. D’où la complainte de la TV qui se sent délaissée ! Mais en fait rien n’empêchait avant de squatter tout un après-midi une table de Mc Do ! Cela a même toujours été réputé pour ça, un endroit où on vous met pas trop la pression si vous ne consommez pas ! Parfait pour attirer les basses classes !

– Et donc, bientôt cela ne devrait plus être le cas ?

– Ah ben ça, j’imagine que s’ils cherchent à monter en gamme, il va falloir faire un peu le ménage.

– Mais la bouffe en elle-même ?

– Toujours pareille !

– Hum… Une pub qui laisse penser à un changement qui n’en est pas un. Malin… très malin.

– Vous croyez qu’il faudrait rester dans ce schéma-là ?

– Certainement. Vous aviez une autre idée ?

– Je pensais prendre le côté totalement opposé. Mais c’est sans doute trop subjectif. Cette pub m’exaspère tellement !

– Dites toujours !

– Comme la parodie de Bonnie Tyler a assuré le succès de l’épisode 1, je pense qu’il faudrait tout de même rester sur la même bande son. L’idée serait par contre d’axer le clip sur le vrai confort apporté par le service à table. Avant vous arriviez chez Mc Do, vous faisiez la queue un bon moment aux heures de pointe, vous en profitiez pour choisir, puis vous passiez commande et ils tentaient de vous l’assembler en un temps record vu que tout était déjà prêt en amont ! Après fallait s’extirper du comptoir en se faufilant au milieu de la foule avec un plateau chargé. Le coca renversé chez Mc Do c’était presque une signature maison. Maintenant qu’ils ont mis des écrans de commande partout, on arrive et on peut probablement passer commande immédiatement. Puis on choisit une table et on attend d’être servi. Forcément c’est du confort en plus ! Alors je propose de marquer clairement la différence avant-après en forçant le trait et en montrant une file d’attente à l’ancienne où tout dégénère ! Pas d’état d’âme mais un vrai mea-culpa ! Avant nous étions des barbares et nous sommes désormais civilisés ! Plateaux qui tombent ! Racailles qui squeezent la file d’attente au détriment de gentilles familles. Bagarres. Commandes incomplètes. Manager qui hurle sur les équipiers. Comptoir dégueulasse avec un gros plan sur le seul être paisible de la salle : une souris qui grignote un sachet de cacahuètes ! Seulement à la fin du clip on perçoit la différence avec le monde d’aujourd’hui où tout n’est qu’ordre et beauté, luxe calme et volupté.

– Intéressant.

– Attendez ! J’ai bien travaillé mon sujet et je peux vous la faire en Live ! J’ai la musique!Attendez !… Voilà ! Attention ! Bonnie Tyler, Total Eclipse Of The Heart, réécrite et interprétée par Jérôme Jourdain pour Mc Donald’s ! Place à l’artiste ! C’est parti !

 

Prends la file

Chez Mc Do s’égrène en tête le bruit du tic honni, et ces cons qui tournent en rond

Prends la file

Chez Mc Do se prennent la tête des flics et des barges, c’est un ring où seules les secondes s’étirent

Prends la file

Chez Mc Do ta peine c’est d’être une frite dans du couscous, on y parle mieux l’arabe qu’au Kebab

Prends la file

Chez Mc Do ta peine c’est d’être un hérétique sans courage, une galaxie dessous les nuages

 

Prends la file, on partage !

Tous les maux, les peines, les faux départs !

Prends la file, on partage !

Tous les maux, les peines, les faux départs !

 

Prends la file

Chez Mc Do ta peine c’est d’ faire un trip dans le tas d’ graisses

Et ta prime c’est les mains sales

Prends la file

Chez Mc Do ta peine c’est d‘ faire les frais de ses promesses

Dans sa cuisine même le congelé rend l’âme

Prends la file

Chez Mc Do ta peine c’est d’être un cardiaque en sursis

Le Mc Do, le spot des alarmes qui braillent

Prends la file

Chez Mc Do la haine te jette ta petite frite sur la dalle

Ta peine, souffrir mille coups pour une paille

 

Prends la file, on partage !

Chez Mc Do la gêne c’est un faux pas !

Prends la file, on partage !

Chez Mc Do la gêne c’est un faux pas !

 

J’ai pas pris un coca light

Et j’ n’ai pris ni porc et ni pneu

Je n’ mange ni souris ni rates

Est-ce du pudding ou bien des œufs ?

Y a un esprit Burger King en moi

Car il vous met dans l’ombre

Tous ces bœufs qui sont steaks [frites ?] la mort deux fois dans l’âme

Désossés par des crados sortis tout droit du bagne (tout droit du bagne)

Mais j’en voudrais un bout sans même passer par le parc

Le morning à toute heure, egg et muffin hors -sac

 

J’en ai ma claque de ce Mac !

J’ voudrais être servi à table !

J’ voudrais être servi à table !

 

Il était une table où Mc Donald’s innove

Où on se sent comme dans son appart

On n’attend plus debout

Plus personne ne glisse sur son shirt

 

Il était une table où Mc Donald’s innove

Où on se sent comme dans son appart

On n’attend plus debout

Plus personne ne glisse sur son shirt

 

Clap Clap Clap

– Alors là ! Chapeau ! J’ignorais que vous aviez un si joli brin de voix ! Vous passez vos week-end dans les karaokés ?

– Mais non ! Guitar Hero voyons !

– Connais pas. Bon ben c’est parfait ! On ne va pas candidater pour cette pub !

– Ben pourquoi ?

– Non mais Jérôme, voyons ! Qu’est-ce qu’elle vous a fait cette boite ? Vous avez bossé chez eux ou quoi ?

– Mais pas du tout ! C’est conceptuel !

– Allez, entre nous ! Vous avez des griefs !

– Mais pas du tout. J’y vais tout le temps ! Bon, c’est vrai que des fois c’est abusé hein ! L’autre fois je vais à la Mc Express et je demande bien à la greluche si tout est bien dans le sac ! Elle me dit que oui et j’arrive ici, qu’est-ce que je constate ? Ni paille ni serviettes !

– Et alors ? Y en a de partout ici des pailles et des serviettes Mc Do ! Cela commence à me gonfler d’ailleurs !

– C’est pas la question ! J’achète un menu, j’ai droit à une paille et deux serviettes bordel !

– Bref ! La prochaine fois vous lancez pas dans un gros travail avec des états d’âme ! La meilleure façon de se faire recaler et je vous paye pas à faire des projets foireux !

– J’ai fait ça de chez moi figurez-vous !

– Oui ben ça risque pas de compenser toutes vos pauses illicites !

– C’est pas dit !

– Bon. Le débat est clos ! Sachez que j’ai eu un type de LREM tout à l’heure. Enfin… un deuxième.

– Parce que l’autre c’en était un aussi ?

– Chut ! C’est un secret !

– C’est drôle ! La ministre de la santé nous a demandé conseil sans même vous demander. Et vous, c’était qui le deuxième ?

– Je vous rappelle que ceux qui ont mon téléphone personnel ont droit à l’anonymat. Il m’a demandé conseil pour faire une loi qui apparaisse être un geste fort en faveur des entreprises et du commerce.

– Encore ?

– C’est leur credo et je trouve aussi que ça commence à se voir un peu trop et que cela risque de devenir contre-productif.

– Vous lui avez conseillé quoi ?

– Je lui ai suggéré de faire un geste fort pour l’environnement ! Enfin… plus précisément il s’agit d’un geste censé noyer le poisson !

– Dites-nous en plus !

– Je lui ai dit de programmer la fin obligatoire des tickets de caisse en prétextant qu’il s’agit d’une source majeure de destruction forestière et de pollution. De nombreux magasins proposent l’envoi d’un ticket dématérialisé vers une adresse mail mais d’autres ne franchissent pas le pas car ils craignent de voir la part la moins fidèle de leur clientèle partir à la concurrence. Il reste donc possible pour les gens de faire leur course de manière relativement anonyme. Pour que les enseignes puissent avoir un fichier client plus pertinent et mieux cibler leurs attaques publicitaires, certains envisagent de rendre le paiement en liquide illégal. C’est largement moins efficace que de passer par les tickets de caisse ! Lorsque vous payez par des moyens numériques votre banque finit par en savoir beaucoup sur vos habitudes, mais pour ce qui de rentrer plus dans le détail, elle en saura moins que l’enseigne qui a des clients enregistrés chez elle. Imaginez-vous à la place d’une très grande surface qui a su rendre captive une grosse proportion des habitants des environs. Elle peut leur vendre pratiquement tout ce dont ils ont besoin ! Des voyages, des forfaits téléphoniques, des prêts divers, en plus de tout ce qu’ils mangent ou consomment au quotidien. Le consommateur d’une telle enseigne se sent valorisé et pense faire des affaires en évitant au maximum de lui être infidèle. C’est bien, mais l’ambition doit être de ramener dans le droit chemin les réfractaires au progrès. Si demain vous interdisez les tickets de caisse, celui qui refuse de donner son adresse mail pour qu’on lui envoie un ticket électronique n’aura aucun recours en cas d’erreur. Naturellement la plupart des consommateur préférera décliner son identité numérique !

– Il y a un biais dans votre raisonnement Yves ! Vous parlez de grandes enseignes comme un Carrefour ou un Leclerc, dont on suppose qu’ils en savent déjà beaucoup sur une part conséquente de leur clientèle. Cependant vous oubliez que les gens qui font vraiment de la consommation un art de vivre, au point de ne rien envisager sous un autre angle, sont aussi les plus susceptibles d’aller d’un commerce à l’autre. Or on n’a pas inventé un truc à la con comme le paiement sans contact en faisant miroiter aux gens qu’ils allaient gagner un temps fou dans leur vie grâce à cela, et ainsi en consacrer plus à la lecture ou au jardinage, pour finir par leur dire qu’à chaque fois qu’ils entreraient dans une boutique on leur demanderait désormais : « Vous avez un compte-client ? » « Non pas du tout ! C’est la première fois que je viens, mais j’adore, vraiment ! » « Je peux vous demander une adresse mail ? Pour le ticket de caisse ? » « Oui parfaitement ! » « Je vous écoute. » « Alors c’est « Jesuisunpigeonainsiqueledidondelafarce, arobase, crétin.com » « Pigeon ça prend deux g ? » « Non, un seul. » « Parfait, merci ! Oh ! Attendez ! Vous êtes le deux millionième client enregistré dans notre fichier ! Vous aurez droit à cinq euros de bon d’achat la prochaine fois ! Pensez à bien activer votre compte en cliquant sur tous les liens qu’on vous enverra ! » « Super ! Merci ! » Vous comprenez que ça ne va pas tellement favoriser la fluidité des files d’attente !

– Ne pensez pas me prendre au dépourvu petit génie ! Si vous avez la vue courte comprenez que ce n’est pas mon cas, raison sans doute pour laquelle c’est moi le chef ! Ce que vous soulignez est effectivement problématique, et c’est justement cela qui rend la chose fantastique ! Tenez ! Donnez-moi votre numéro de sécu !

– Et puis quoi encore ?

– Vous pensez bien que j’en dispose à mon aise ! Je suis votre employeur !

– Ben alors, pourquoi vous demandez ?

– Pour vous démontrer qu’à partir de lui on vous décline une identité de citoyen et qu’il suffit de rajouter une clé, ou bien même ne rien rajouter du tout, pour que ce numéro de sécurité sociale devienne un numéro de consommateur ! Vous avez une carte de sécurité sociale, vous aurez une carte de consommateur ! Vous n’aurez pas le choix de toute façon, pour tout achat vous devrez présenter cette carte, mais en fait ce sera la même que la carte de paiement, ou ce sera votre téléphone, et plus certainement à la longue un implant sous-cutané.

– Oui effectivement vu comme ça… C’est sûr que ce sera forcément très efficace. Mais enfin… je sais pas si j’ai vraiment envie que mes gosses grandissent dans un tel monde !

– Vos gosses ? Vous n’avez même pas de femme !

– J’ai pas dit que je n’en aurai jamais. Votre projet, là, c’est quand même un peu…

– C’est un peu quoi ?

– Totalitaire !

– Mais voyons Jérôme ! On serait en Chine ou dans un pays communiste, je comprendrais vos inquiétudes mais quand même ! Ici c’est le capitalisme occidental ! Le monde libre par qui tout est devenu possible quand nos ancêtres pas si lointains crevaient de faim en jeune âge, trimaient comme des chevaux de trait, se pelaient les miches et s’éclairaient à la bougie. Ayez confiance en la résilience de nos institutions !

– Oui, enfin, elles n’ont pas non plus traversé des millénaires.

– Peut-être mais je suis intimement convaincu que nous avons construit en occident la forme ultime de gouvernement de sorte que les institutions capitalistes dureront bien plus longtemps que la civilisation égyptienne

– J’en suis pas si sûr.

– Vous en pensez quoi Rémy ?

– Je suis un peu de l’avis de Jérôme.

– Et après c’est moi le vieux rétrograde. Vivez avec votre temps !

– Oui ben pour l’instant vous êtes en train de fabriquer l’avenir ! On a le droit de l’envisager autrement aussi !

– Vous ne voyez que le mauvais côté des choses ! Vous pensez qu’on va vous abreuver de publicité jusqu’à la lobotomie ! Mais regardez autour de vous ! La pub est déjà partout et c’est grâce à elle que vous avez des revenus aussi confortables ! Mais comme l’a montré Jérôme, certaines publicités qui passent en boucle sont insupportables aux uns quand elles paraissent géniales aux autres. La publicité ciblée c’est le droit d’avoir les publicités qui vous correspondent et c’est votre meilleure chance de récupérer une part de cerveau disponible pour faire autre chose que consommer. La publicité ciblée c’est un monde moins consommateur et plus citoyen.

– Moins consommateur… Hum… Admettons ! Mais à votre élu vous lui avez vendu ça comment ? Faut quand même que ça paraisse crédible en termes de geste fort pour l’environnement.

– C’est du papier en moins et de plus les encres utilisées ont mauvaise réputation.

– Cela me paraît relativement anecdotique tout de même.

– Ah mais ça l’est ! D’autant plus si on compte la consommation énergétique des data centers. En termes d’action environnementale on est totalement au raz des pâquerettes mais on s’en fout ! Suffit de savoir le vendre !

– C’est quand même plus facile quand y a un fond de vérité.

– J’ai conseillé à cet élu d’appuyer aussi le côté économique. Les gens se plaignent sans cesse que la vie est de plus en plus chère quand l’Insee calcule des indices d’inflation proche de zéro. Mais souvent on n’a qu’une mémoire approximative des prix passés et ceux qui ont gardé les tickets à travers les années constatent qu’ils sont faits d’une encre aussi peu durable qu’elle est écolo. Avec un numéro de consommateur chacun aura une trace fiable de ses consommations passées. On créera des applications qui permettront à chacun de calculer son propre indice des prix selon ce qu’il consomme réellement et non pas selon le panier moyen du consommateur moyen. Le citoyen n’aura plus l’impression que le gouvernement lui raconte des sornettes !

– Oui, ça peut marcher.

– En tout cas je peux vous assurer qu’il était tout à fait convaincu ! Alors ? C’est qui le patron ?

– C’est vous.

– Bon. Bon boulot tout de même. On se voit demain ! Remuez vos méninges !

...

Tutintintintin tintintintin tintintintin trrrrrrulululululu…

– Quand est-ce qu’on change de sonnerie ! Elle est tarée celle-là !

Tutintintintin tintintin…

– Allô ?

– J’ai vu que le boss était sorti alors je te passe une maman inquiète !

– OK !… Oui allô ?

– Bonjour ! Catherine Bachot, j’ai un compte famille chez vous.

– Oui. Que puis-je pour vous aujourd’hui madame Bachot ?

– Eh bien j’ai suivi vos premiers conseils à la lettre.

– Rafraîchissez-moi la mémoire !

– J’ai tout acheté comme vous m’avez dit ! Le téléphone et la tablette !

– Pour ?

– Ben pour le petit ! Vous ne vous souvenez pas ? Celui de deux ans qui nous pourrissait la vie parce qu’il pleurait tout le temps. On lui a pris un téléphone 4G et une tablette comme vous nous avez conseillé et on est très content du résultat ! Le gosse est littéralement captivé et on ne l’entend plus ! Comme mon mari est assez bricoleur il a réussi à fixer la tablette de manière à ce que le gamin puisse l’utiliser sans peine dans son lit.

– Astucieux.

– Comme j’ai encore du crédit j’aimerais un conseil pour sa grande sœur de quatre ans.

– Elle vous embête aussi ?

– Oh pas trop. C’est une petite fille bizarre mais plutôt facile et nous mettons tous nos espoirs en elle. Seulement les temps sont difficiles pour les parents et nous voulons être sûrs de lui donner des habitudes qui lui permettront d’être parfaitement adaptée au monde à venir.

– Oh mais pour cela je ne saurais trop vous conseiller, et je le ferai à titre gracieux, d’adopter la même méthode qu’avec le petit : des écrans, des écrans, des écrans ! Seulement, si c’est une petite fille intelligente, il faut nourrir sa curiosité en achetant les meilleurs jeux d’éveil. J’ai d’ailleurs vu une publicité d’un jeu qui semble très intéressant : « Je gère mon premier compte en banque comme un grand. » C’est à partir de trois ans.

– Je l’ai déjà ! Elle est très douée pour les jeux ma fille. Non ce qui m’inquiète, c’est qu’elle semble aussi très à l’aise avec des crayons. J’ai peur qu’elle prenne des habitudes archaïques qui pourraient à terme inhiber le développement de sa personnalité numérique.

– Je ne crois pas qu’il y ait lieu de vous inquiéter ! On a beau être civilisés, nous gardons les instincts primaires de nos lointains ancêtres. Bien sûr, si elle passait ses journées avec un crayon en main, il faudrait rapidement consulter le pédiatre, voire même le psychiatre. Un enfant normal ne devrait de toute façon pas rester concentré plus de cinq minutes sur une même activité. Il a beaucoup de trop de choses à apprendre et découvrir pour se focaliser sur un seul sujet, c’est très enfermant. Grâce aux tablettes et téléphones connectés vous vous assurez de lui ouvrir le monde en grand. Finalement vous n’avez pas vraiment besoin de conseils, vous faites déjà tout très bien.

– Oui mais… ce qui m’inquiète c’est qu’elle adore les fruits et les légumes !

– Ah ! Voilà qui est plus embêtant. Quand vous dites qu’elle adore ça, c’est à quel point ?

– Au point de préférer une pomme à un Kinder Bueno !

– Oh ? Pas au point de préférer des blettes à des bonbons Haribo tout de même ?

– Si si !

– Oulala ! C’est bizarre quand même !

– Vous croyez que c’est grave ?

– Il y a cent ans je vous aurais donné une toute autre réponse mais l’ennui c’est que les projections actuelles ne sont pas très engageantes pour les adeptes de nourriture non-transformée. Procédons par étape ! Comme elle est encore petite, il est encore temps d’agir pour faire en sorte que son corps ne s’habitue pas à des choses vouées à disparaître. Déjà… quand vous parlez de fruits et légumes, c’est du Bio ?

– Oh non ! Nous on n’est pas là-dedans !

– C’est déjà un moindre mal. La terre sera bientôt intégralement contaminée par les pesticides et les OGM, donc les humains les plus à même de s’adapter seront sûrement ceux qui ont été exposés le plus précocement à ces substances. Si votre fille se bute devant les aliments transformés, vous pouvez tenter d’acheter des fruits et légumes dont on sait qu’ils viennent de pays en avance sur leur temps. Des fruits chinois seront sûrement plus riches en pesticides, des légumes brésiliens sans doute OGM. Si elle est si frugivore, elle verra sûrement d’un bon œil ce qui est exotique.

– Oui c’est pas bête.

– Et pour l’amener à ingérer des produits transformés vous pouvez la feinter un peu.

– Comment cela ?

– Vous avez un mixeur ?

– Bien sûr ! J’en ai trois même !

– Préparez-lui des jus avec ses fruits et légumes préférés ! Mettez tout ce qu’elle préfère dans le mixeur quand elle vous regarde ! Mais rajoutez discrètement des substances chimiques qui imitent le goût de ses aliments préférés. Au préalable elle ne verra pas la différence et peu à peu vous pourrez rééduquer son goût en penchant de plus en plus vers la chimie. Cela vous permettra dans un premier temps de vous assurer qu’elle ne grandit pas avec des carences. Si elle ne mange pas de céréales enrichies elle risque de très graves déficits en vitamines et minéraux. On ne peut pas se nourrir de fruits et légumes dans les conditions agricoles actuelles ! Il faut des vitamines de synthèse, c’est absolument indispensable ! Le mixage est parfait pour ça !

– Vous me faites peur là ! Vous croyez qu’il est déjà trop tard ?

– Non non ! Quatre ans, il est encore temps d’agir ! Surtout si elle a un poids et une taille normale.

– Ben étonnamment elle est même au-delà de la moyenne. De toute façon cette gamine ne fait rien comme les autres. Parfois j’ai même l’impression que je me suis trompée de bébé à la maternité, elle me ferait presque honte !

– Comment cela ?

– Elle dit bonjour et merci à des étrangers dans la rue !

– Ah oui ! C’est pour le moins original !

– Vous la mettez sur un tricycle, elle fait attention où elle va, elle s’arrête pour laisser passer ceux qui arrivent en face. Elle semble se soucier de tout un chacun.

– Ah oui… c’est… euh… Disons que si dans les mois à venir cet altruisme exagéré n’a pas tendance à se résorber, je me demande s’il ne faudra pas consulter tout de même.

– Vous croyez ?

– Certainement, car c’est un défaut qui pourrait devenir franchement handicapant à l’avenir. Un enfant qui ne fait pas sienne la devise « Chacun pour soi, tous contre tous et tous contre un ! » hypothèque gravement son avenir.

– Ah mais c’est ma devise préférée ! Seulement j’ai parfois du mal à inculquer mes valeurs à ma propre fille. Vous comprenez mon désarroi ?

– Parfaitement. Mais vous savez, il y a des moyens de faire passer indirectement des messages !

– Comment cela ?

– En présélectionnant ce qu’elle est amenée à consulter sur le net. Il faut bien sûr lui laisser croire que le choix vient d’elle-même. Vous pouvez aussi faire appel à la société « My Child Mind » qui développera à votre intention des annonces truffées de messages subliminaux.

– Cela doit être hors de prix !

– Oui mais il faut voir cela comme un investissement sur l’avenir. Il y a des banques qui prêtent pour cela !

– Quand même…

– Sinon, pour un budget plus modeste… cela peut paraître là aussi archaïque mais peut être redoutablement efficace : il y a l’hypnose !

– L’hypnose ? Pour une gamine de quatre ans ?

– Parfaitement ! C’est tout à fait à propos dans votre situation. Si vous faites un troisième enfant il pourra peut-être bénéficier d’un programme de lobotomie technologique mais d’ici quelques années votre fille ne sera déjà plus éducable. Donc il faut agir vite et l’hypnose pourrait vous rendre de grands services pour un prix modique.

– Bon.  … En parlant de prix, j’en suis où là ?

– Attendez ! Je regarde !… Temps. Coef de pertinence des conseils. Valeur sociale future. Le logiciel calcule ça à 237 euros ! Il vous reste 165 euros ! On continue ?

– Non non ! C’est assez pour aujourd’hui ! Merci pour vos bons conseil Rémy !

– A votre service.

– Au revoir et à bientôt !

– Au plaisir !

Tutintintintin tintintintin tintintintin trrrrrrulululululu…

– Allô ?

– Rémy ? Un certain Titouan Lamisou au bout du fil ! Pas client chez nous mais qui pourrait l’être si tu es convaincant !

– OK ! Je prends !… Toucons, Rémy Desnoyaux, que puis-je pour vous ?

– Bonjour monsieur Desnoyaux. Titouan Lamisou. On m’a donné votre numéro parce qu’il paraît que vous pourrez m’aider.

– C’est fort possible ! Quel est votre problème ?

– Mon problème c’est que j’aimerais être riche sans rien foutre !

– Ah ? Vous savez que ça ne tombe pas du ciel, il faut toujours un minimum d’investissement personnel.

– Si c’est un minimum alors je veux bien faire un effort. Vous proposez quoi ?

– Eh bien nous pourrions vous donner une idée à la con géniale !

– De quel genre ?

– Du genre industriel. C’est en cela qu’il y a besoin d’un peu d’investissement personnel, et, c’est à craindre, une mise de départ personnelle.

– En plus de ce que je devrai vous donner si vous me donnez une idée à la con géniale ?

– C’est à craindre.

– Ah !… Si c’est une idée pour laquelle une banque est prête à me suivre, pourquoi pas ?

– Nous ne fournissons que des idées à la con géniales donc bancables !

– Vous pouvez m’en donner une gratuitement, pour que je puisse juger par moi-même ?

– Je crains que non ! Il faut ouvrir un compte conseil au préalable.

– Mais comment je peux juger de la valeur de vos conseils ?

– Eh bien je peux vous donner des exemples d’idées à la con géniales qui ont parfaitement satisfait les demandes de nos clients.

– Vous feriez cela ?

– Parfaitement. Ces idées se sont déjà concrétisées chez nos clients, vous ne pourrez donc rien en faire efficacement.

– Alors je vous écoute.

– Vous savez ce qu’est une palette ?

– Ben oui !

– Sachez qu’il en existe en bois, cas le plus courant, et désormais de nombreuses en aggloméré ou en plastique. Les trois peuvent être de plus ou moins bonne qualité mais dans les tous les cas, il est possible d’en fabriquer de très résistantes, notamment en plastique, le bois ayant l’avantage de la réparation et est plus écologique, le plastique et l’aggloméré permettent des formes favorables à l’empilage et au gain de place. C’est un vrai business la palette de qualité vous savez

– Oui je sais. Où voulez-vous en venir ?

– Qui dit business dit business parallèle. Voilà donc ce que nous avons proposé à un client qui voulait, comme vous, devenir riche sans forcer : nous avons imaginé pour lui une palette d’un nouveau genre : une palette faite de bois, de métal et de plastique.

– C’est quoi l’intérêt ?

– L’intérêt c’est de les vendre !

– Qui les achète ?

– Des gens qui veulent des palettes qu’on ne leur vole pas.

– Pourquoi elles ne sont pas volées ?

– Parce qu’elles sont beaucoup moins solides que celles de qualité en bois ou plastique. De plus elles sont conçues de manière à rebuter les ferrailleurs, pas assez de métal, et ceux qui volent les palettes pour se chauffer, trop compliquer de se débarrasser du plastique.

– Mais dans ce cas, pourquoi ne pas les faire solides ?

– Pour en changer plus souvent et aussi parce qu’une idée à la con doit pouvoir être rapidement mise en œuvre. Il faut éviter de faire des recherches trop poussées !

– OK !… Ben tant qu’à faire j’aimerais éviter de me lancer dans un business qui paraît totalement anti-écolo. Vous avez un autre exemple ?

– Parfaitement. Un truc qui existe depuis longtemps mais pour lequel le gros du marché restait à prendre : l’interphone parlant ! C’est complètement con donc absolument génial !

– Il parle. C’est à dire ? Il répond à la place des gens ?

– Pas du tout. Un interphone qui dit : « Nous sommes absents pour le moment ! » c’est possible mais c’est un peu un pousse au crime. Non ! L’idée à la con géniale c’est l’interphone qui dit : « Appel en cours ! Nous recherchons votre interlocuteur ! »

– Non mais ça c’est un téléphone du passé !

– Non non ! Vous prenez un immeuble de 4 étages et 8 logements et vous lui calez un interphone qui dit : « Appel en cours ! » C’est totalement idiot ! On a l’impression que le courant fait 30 fois le tour de la terre avant d’arriver à l’appart situé à moins de 30 mètres. Le type a qui on a vendu l’idée en a vendu plein ! Il est multimillionnaire !

– Mais qui achète ça ?

– Tout un tas de régies et de syndic pardi ! Il faut juste savoir vendre le truc ! Un interphone où on appuie sur un bouton et qui transmet l’appel instantanément comme une simple sonnerie de porte, ça fait pas moderne ! Ça existe depuis trop longtemps ! Là l’interphone parle ! Forcément ça plaît ! Et puis les régies aiment bien trouver des prétextes pour faire des travaux qu’elles surfacturent ensuite. Quand y aura des interphones qui parlent de partout, il sera temps de vendre l’interphone qui ferme sa gueule ! Vous en serez ?

– Ah ben si ça rapporte gros ! Je veux bien être de la partie !

– En attendant les idées à la con géniales c’est pas ce qui manque. Si vous vous lancez dans l’industrie… Allez, je fais une exception et je vous donne un demi-conseil gratuit, le filon qui dure depuis un bail et qui ne semble pas encore devoir s’épuiser, c’est la diode ! Le monde moderne ne souffre pas l’obscurité !

– Ah oui je pensais à ça l’autre jour ! J’y pensais en voyant mes détecteurs de fumée qui clignotaient depuis des années toutes les minutes ! C’est impressionnant le flash que ça fait ! Il est dit que cela permet de s’assurer du bon fonctionnement de l’appareil. Moi je pensais que lorsqu’il s’arrêterait de clignoter cela voudrait dire qu’il est à cours de batterie. Mais en fait non ! Pour dire qu’il est à cours de batterie il pousse des petits cris stridents insupportables et il clignote encore plus. Ma brosse à dent a le même genre de lubies !

– Voyez ! Donc il faut trouver des objets qui n’ont pas actuellement de diode et gagneraient à en avoir une !

– En termes utilitaristes ou commerciaux ?

– Commerciaux bien sûr ! Qu’est-ce qu’on s’en fout de l’utilité ? Au contraire, moins c’est justifié mieux ça se vend ! C’est d’autant plus vendeur quand ça tombe comme un cheveu sur la soupe ! Par exemple un frigo qui clignote chaque seconde en vert et passe au rouge pour dire qu’il se met en mode dégivrage. Ou mieux ! L’aspirateur qui a une diode orange permanente et se met à clignoter en vert pour qu’on lui vide son sac au beau milieu de la nuit alors que ça fait trois jours qu’on ne s’en est pas servi !

– Mais oui ! Ou alors pour remplacer les lampes de chevet qui ont des boutons fluo pour qu’on trouve l’interrupteur ! Le fluo c’est has been et dangereux pour la santé ! On met des diodes sur les interrupteurs !

– Ou la diode qui s’allume sur l’essoreuse à salade quand la salade a fait assez de tours !

– Ou le miroir qui clignote exactement là où on a un truc qui cloche ! Genre un raté dans le maquillage ou un bouton qui sort !

– Excellent mais ce serait un peu trop technologique pour nos conditions de gains rapides !

– Sinon… Des diodes sur les bouteilles ! Par exemple pour signaler si le vin ou la bière est à la bonne température ! Ou pour dire quand le coca n’a plus assez de gaz et qu’il faut le jeter ! Et des diodes sur les stylos pour dire qu’ils n’ont bientôt plus d’encre !

– Mais oui ! On ne fera que des stylos opaques ! Les gens anticiperont l’achat d’un nouveau stylo dès que la diode signalera un niveau d’encre bas ! Il suffira de régler le truc pour que les stylos ne soient jamais vraiment terminés ! Ainsi il y aura plus de vente de stylos !

– Mais oui !… Bon en même temps j’arrive jamais à en finir un de stylo, il tombe toujours en rade avant !

– Justement ! Si les gens achètent un stylo neuf pour remplacer celui qui est presque vide, ils laissent généralement de côté l’ancien et utilisent d’emblée le neuf. Mais cela leur donne une grande confiance en la marque ! Tandis que s’ils constatent d’eux-mêmes que le stylo est tombé en panne avant d’être vide, cela nuit à l’image de marque !

– C’est juste ! Cependant il faudrait vérifier que parmi toutes ces choses, certaines ne sont pas déjà en usage. Finalement ça a l’air assez facile d’avoir des idées à la con géniales.

– Détrompez-vous ! Détrompez-vous ! Là nous sommes sur le coup d’une émulation constructive ! D’ailleurs !... Oui j’en ai une super ! Une diode qui signale quand un robinet n’est pas bien fermé !

– Voilà un geste fort pour l’environnement !

– Mieux encore ! Toute une série de diodes allant de bleu-nuit à rouge-vif pour donner la température de l’eau !

– Mais oui ! En rangée sur le haut du robinet ! Tout le monde voudra avoir un robinet comme ça ! C’est un marché énorme ! Merci !

– Et on pourrait… Allô ?… Allô ?… Ben… Il a raccroché !… Il a raccroché ? L’enfoiré ! Pile au moment où j’allais lui donner l’idée à la con géniale du plafond de diodes qui imitent le ciel nocturne ! Ben je vais me la garder pour moi celle-là ! Petite bourse, la petite ourse ! Grande bourse, grande ourse ! Milliardaire, la sphère toute entiere !

Tutintintintin tintintintin tintintintin trrrrrrulululululu… Tutintintintin tintintintin tintintintin trrrrrrulululululu...

– Allô ?

– Rémy ? Tu crois pas qu’il serait temps qu’on installe une deuxième ligne dans cette salle ?

– Et alors ? Ça changerait quoi d’avoir deux lignes ? J’ai pas deux bouches !

– Ben quand t’es avec Jérôme au moins…

– Il passe son temps à fumer dans la rue. D’ailleurs… Ah ben non le revoilà !

– Ça tombe bien, y a monsieur Jean-Pierre Bick qui poireaute depuis cinq minutes. Il veut Jérôme !

– OK !… C’est pour toi petit génie !

– C’est qui ?

– Jean-Pierre Bick !

– Oh !… Allô monsieur Bick ?

– Non c’est toujours Jeanine !

– Et Bick ?

– Je te le passe !

– Allô ?… Monsieur Bick ? Cela faisait longtemps !

– Le temps de mettre en œuvre vos conseils !

– Vous en êtes satisfait ?

– Parfaitement ! Je crois que nous pourrons bientôt affirmer que nous sommes nous aussi une société sans usines ! Les marges explosent et les dividendes suivent !

– Laissez-moi deviner ! Vous cherchez les meilleures solutions pour pressurer la sous-traitance.

– Non, non ! On est bons là-dessus ! On voudrait juste passer à l’étape suivante mais au préalable on voudrait être sûrs de ne pas aller trop vite en besogne. C’est pour ça que je vous demande conseil.

– Dites-moi !

– J’ai mes centres d’appel dans des pays francophones à bas salaires, j’ai des sous-traitants dans toute l’Asie, j’ai optimisé ma fiscalité, j’ me dis que ça roule… Et puis le soir en sortant du bureau, je me retourne sur cette tour de 20 étages qui fait notre fierté et je me dis : « Tout ça pour ça ! »

– Tout ça pour ça ? C’est à dire ?

– Eh bien je me demande à quel montant je pourrais valoriser les 10 étages du bas si je les louais à une autre entreprise !

– Ah !… Ben écoutez ! L’immobilier c’est pas ma spécialité. Vous devriez demander cela à une agence.

– Vous me comprenez mal ! J’envisage de louer les dix étages d’en bas à une autre entreprise. Donc il reste dix étages à notre disposition. Vous voyez où je veux en venir ?

– Vous voulez des conseils pour réagencer vos bureaux et caser tout le monde dans deux fois moins de place ? Là aussi je crains que…

– Mais non ! J’ai viré tout le monde sauf le haut du panier qui est majoritairement employé dans cette tour. Soit ! Mais quand on a ôté le bas du panier, on se rend vite compte que le bas du haut du panier devient le bas du panier !

– Oui fatalement.

– J’aime pas les fonds de panier !

– Je le conçois mais il arrive un moment où la quantité résiduelle est incompressible.

– Ce moment n’est pas arrivé ! J’ai fait embaucher un neveu à moi spécialisé dans le massage et l’espionnage ! Sous sa couverture de masseur à toute heure qui passe de poste en poste pour proposer ses services à mes chers employés sur-tendus, il a en quelques mois parfaitement analysé leur productivité. Au final il s’avère que j’ai trop de tout ! Trop de monde aux ressources humaines, trop de monde au marketing, je crois que j’ai même trop de monde en recherche-développement tant ils passent de temps à boire des cafés !

– Ah mais vous savez ! Faut pas se fier aux impressions ! Pour beaucoup de gens le café est le carburant de l’esprit et du corps !

– La cocaïne a un bien meilleur rapport qualité-prix !

– C’est pas sûr !

– Si ! Du point de vue de l’employeur en tout cas ! Cela ne génère pas dix minutes de bavardage toutes les heures !

– Vous savez, souvent ces bavardages sont très utiles à…

– Le pire c’est le département informatique ! Ils sont d’une inefficacité notoire ! Je vais dégraisser méchamment ce mammouth !

– Vous ne pouvez pas vous priver de compétences informatiques ! C’est le nerf de la guerre !

– Qui parle de se priver de compétences ? Il paraît que l’Inde regorge d’informaticiens ! C’est bien le diable si je n’en trouve pas quelques centaines prêts à faire le boulot pour le tiers des salaires que je paye en France.

– Mais ils ne sont pas francophones en Inde !

– Mais y a pas besoin d’être francophones pour pondre des lignes de codes ! Au pire j’aurai juste besoin d’un petit département qui sert d’interface entre l’Inde et la France ! D’ailleurs, maintenant qu’on est une start-up nation, c’est bien le diable si y en a pas une qui conçoit des programmes à cette fin-là : délocaliser les informaticiens dans des pays du tiers-monde !

– Écoutez monsieur Bick ! Je ne dis pas que c’est un raisonnement qui ne tient pas la route mais là, vous la jouez un peu trop en solo !

– Comment cela ?

– Toutes ces grandes choses qui ont été possibles depuis quelques décennies, elles ne l’ont été que parce qu’il y a un code d’honneur !

– Voyez-vous ça !

– Pas un code écrit mais un code d’honneur tout de même ! Imaginez si toutes les entreprises faisaient comme vous !

– Grand bien leur fasse !

– Mais des gens qui ont fait de brillantes études supérieures se retrouveraient sans emploi et sans revenus ! Vous vous rendez compte des conséquences ?

– Réveillez-vous Jérôme ! On est dans un monde de concurrence !

– Mais pas à ce point-là ! Les gens brillants ont besoin d’avoir un emploi !

– Sinon quoi ?

– Sinon ils descendront massivement dans les rues !

– Et alors ? On a des CRS non ? A mon avis ils viendront facilement à bout d’une bande de Geeks biberonnés aux super-héros à la sauce Disney ! Le premier qui descend brailler dans la rue avec son slip Kangourou et sa cape rouge va se faire ratatiner par un Robocop républicain !

– Ah oui ? Et vous allez les vendre à qui vos produits ?

– A des chômeurs et des indiens ! Je vends pas des sacs Chanel !

– Non ! Non! Non ! Le système ne marche pas comme ça ! Cela ne peut pas marcher durablement comme cela ! On ne peut pas rompre l’alliance entre le capital et les cadres ! Il faut tenir compte des équilibres, des…

– Je tâtais juste le terrain ! Et une fois de plus je constate que la France n’est pas prête ! Elle n’est jamais prête la France ! C’est chiant !… Bon ! Merci quand même Jérôme !

– Allô ?… Allô ?… Il est fou lui ! N’importe quoi !

– Jérôme ! Débrief de Myriam dans l’Open space ! Ramène tes fesses !

– J’arrive !… J’ai le temps de fumer une clope ?

– Non !

– Fait chier ! On peut jamais fumer dans cette boite !

 

 

 

 

3 novembre 2019

Riton, Pigeon Spatial

Riton, Pigeon spatial !

Vous vous souvenez du jour de l’automne 2018 où Aïcha a théorisé sur les arbres. Ce jour-là, après avoir battu Grabel au concours de manger de mouches, je fis battre le rappel et tous ceux qui avaient écouté l’histoire de Aïcha (y compris elle-même) furent de retour. Philémon se joignit également à nous.
– Les amis, comprenez bien que l’hypothèse de Aïcha à propos des arbres est très intéressante mais elle a le défaut de ne pas avoir été validée scientifiquement par les humains.
– Et alors ? protesta Aïcha. Les humains ignorent plein de choses !
– Certes mais ce que j’aimerais signaler c’est que certaines choses qu’ils ont découvertes sont tout à fait extraordinaires et feraient presque passer tes théories comme parfaitement rationnelles en comparaison.
– Qui a dit qu’elles n’étaient pas rationnelles ?
– Ben, disons qu’ici même pas grand monde y croit n’est-ce pas ?
– C’est parce que vous n’avez pas la sensibilité qui permet de comprendre les choses invisibles à l’œil.
– Peut-être mais c’est justement là où je veux en venir. Chez les humains c’est un peu pareil, ils croient ce qu’ils voient ou ce qui a été ancré dans leur esprit collectif génération après génération. C’est si vrai que parfois les scientifiques qui font les plus grandes découvertes en doutent eux-mêmes. Souvent ils commencent par se dire : « Mais non ! Cela ne peut pas être ainsi ! » Alors ils refont leurs calculs et s’ils retrouvent à chaque fois le même résultat, ils finissent par se dire : « Mais si ! C’est bien ainsi que les choses se passent ! C’est fou !» Eh bien figurez-vous qu’à l’heure de Terre-nette ces choses qui ont fini par être admises par la majorité des scientifiques peuvent être facilement connues de tous et toutes. Avant, quand un type voyait tomber une pomme et en déduisait toute une théorie sur la chute des corps, cela révolutionnait la science mais la plupart de ses contemporains l’ignoraient. Désormais tous ceux qui ont Terre-nette peuvent, s’ils le veulent, essayer de comprendre les connaissances accumulées par les plus illustres des scientifiques à travers l’histoire. Et devinez quoi ?
– Quoi ?
– Tout le monde s’en fout !
– Comment cela tout le monde s’en fout ?
– Ce que je veux dire c’est que les scientifiques ont appris des choses s’y invraisemblables que pour le commun des mortels cela dépasse l’entendement. Les choses les plus rationnelles deviennent pratiquement les plus magiques, on pourrait dire divines et insaisissables. Et donc on pourrait aussi penser que tous ceux qui croient qu’il y a un dieu, quel qu’il soit, qu’il ait Pristi ou Luya assis à sa droite, s’intéressent de très près à toutes ces découvertes scientifiques qui, peut-être, nous rapprochent peu à peu du grand mystère de la vie et de l’univers. Eh bien ils s’en foutent !
– Comment cela ils s’en foutent ?
– Bon, j’exagère, ils ne s’en foutent pas tous. Certains s’y intéressent de près, d’autres d’un peu plus loin, d’autres ne veulent rien en savoir. Certains y entendent quelque chose, pour d’autres c’est plus difficile à comprendre même quand ils pensent que c’est digne d’intérêt. Tout cela mélangé nous permet d’arriver à la conclusion qu’en moyenne les humains passent plus de temps à se demander de quelle couleur il convient de choisir une Nissan Juke pour qu’elle passe la moins inaperçue qu’aux conséquences d’un voyage à la vitesse de la lumière !
– Pour ta gouverne Darwin ! On ne peut pas aller à la vitesse de la lumière !
– Très bien Biscuit. Explique-nous cela car c’est tout à fait mon propos !
– Je ne vais pas t’expliquer cela mais je le sais. Les chats et les chiens croient qu’ils sont les seuls à partager les connaissances des humains parce qu’ils passent le gros de leur temps à buller devant des télévisions toujours allumées. Mais on t’a déjà dit que chez nous l’information circule aussi très bien !
Tous les pigeons présents approuvèrent.
– Cela ne nous dit pas pourquoi l’on ne peut pas aller à la vitesse de la lumière.
– Pas besoin de savoir pourquoi, c’est juste un fait !
– Pour ta gouverne Biscuit, d’après ce que j’ai compris, une particule ayant une masse non nulle dans l’espace-temps ne peut pas atteindre la vitesse de la lumière dans ce même espace-temps car cela lui demanderait une énergie infinie. C’est ce que j’ai compris de la théorie.
– Peu importe, j’ai raison.
– Oui mais imaginons qu’on puisse aller à 10 % de la vitesse de la lumière en apportant suffisamment d’énergie à un vaisseau spatial.
– 10 %, pourquoi pas ? Mais 10 % ce n’est pas 100 % !
– Oui mais c’est déjà très rapide car la lumière va à la vitesse de…
– 300.000 kilomètres par seconde ! Tous les pigeons le savent !
– Plus précisément 299.792 kilomètres, 458 mètres et des poussières.
– Tu chipotes pour faire ton intéressant Darwin, ton égocentrisme te perdra !
– Je ne chipote pas car il est bien d’être précis. Au bout de mon raisonnement vous en saurez d’avantage sur la longévité des fées !
– Quel est le rapport avec la longévité des fées ?
– Patience. Sachez que mon intérêt pour ceci a commencé quand Odette a prétendu devoir me jeter dans un trou traversant la lune de part en part. Je lui ai assuré que c’était chose impossible car à l’évidence c’est impossible. Cependant je voulais compléter ma réflexion et formuler formellement la raison de cette impossibilité. Je suis allé regarder les livres sur les étagères de Grabelot et grâce à ma très bonne détente j’ai réussi à faire tomber un petit livre jaune qui m’a semblé traiter du sujet. Finalement sa lecture ne m’a rien appris des trous sur la lune quoiqu’il y soit beaucoup question de trous.
– Je me souviens très bien de ce livre ! a dit Grabel. Je l’ai pris sur la tête.
– Oui c’est vrai mais comme il était petit… Bref, si Mr Grabelot n’était guère un humain qu’un chat gagne à posséder, il avait au moins le mérite de posséder de bons livres. Grâce au petit livre jaune j’ai appris que les humains ne font pas trop les malins quand il s’agit de s’attaquer à des choses tout à fait minuscules, pas plus que quand il s’agit de s’attaquer à l’immensité de l’espace dans lequel ils se sentent, à juste titre, tout petits.
– Tout petits comment ? Comme des fourmis ?
– Encore beaucoup plus petits que ça. Notamment quand il s’agit de comparer la vitesse de leurs meilleures fusées par rapport à la vitesse de la lumière. A l’heure actuelle ils ont difficilement atteint les 14 kilomètres par seconde mais comme on dit qu’on est dans une aire de progrès formidablement rapide…
– Ah ça c’est sûr qu’ils progressent formidablement vite dans la destruction de la planète !
– Aussi, mais c’est une très bonne raison pour chercher une nouvelle planète habitable dans un autre système.
– N’importe quoi ! Le système le plus proche est à près de 5 années-lumière, tous les pigeons savent ça !
– Et alors ?
– Alors même s’ils avaient un vaisseau qui va à 10 % de la vitesse de la lumière, il leur faudrait un temps fou pour l’atteindre.
– Fort bien. Alors supposons qu’ils arrivent à construire un vaisseau qui va à 99,99 % de la vitesse de la lumière. Rien en théorie n’interdit de construire un tel vaisseau puisque 99,99 % ce n’est pas 100 %, n’est-ce pas ?
– Chipoteur !
– Chat chipoteur !
– A l’école des chorchiers !
– Vous ne m’aidez pas beaucoup à établir mon raisonnement, bande de rigolos !
– Parce qu’en plus il faut t’aider ?
– Oui ! Ou au moins ne pas m’empêcher de raisonner !
– Personne ne t’empêche de raisonner, on te signale juste quand tu déraisonnes !
– Est-ce que c’est déraisonner de dire qu’en théorie, s’ils apportent toujours plus d’énergie au moteur d’un vaisseau, alors les humains pourraient très bien atteindre 99,99 % de la vitesse de la lumière.
– Soit ! Mais à supposer que le système le plus proche possède une planète dont ils supposeraient qu’on peut y respirer, hypothèse douteuse, quels humains voudraient quitter la terre pour s’enfermer 5 ans dans un vaisseau ?
– Non pas 5 ans justement.
– Ben si !
– Ben non. Et puis au pire ils pourraient les passer à dormir, comme dans les films.
– Les mauvais films tu veux dire.
– Peu importe puisqu’ils n’auraient pas à dormir 5 ans.
– Ben si. C’est mathématique.
– Ni mathématique ni physique ! Je vous explique pourquoi si vous voulez bien imaginer que les humains trouveront dans l’année à venir un moyen révolutionnaire de construire un vaisseau spatial capable d’aller à 99,99 % de la vitesse de la lumière. Simple hypothèse. Vous voulez bien l’imaginer ?
– Si ça permet d’en finir plus vite. Et donc ?
– Ils ont un vaisseau mais comme ils ne sont pas toujours très courageux, peut-être qu’aucun humain n’osera faire le premier voyage à cette vitesse. Alors ils chercheront un désigné volontaire chez une espèce animale réputée pour son courage ; par exemple…
– Les pigeons ! Qui d’autre ?
– Oui possiblement les pigeons. Mais parmi les pigeons il faut encore en choisir un qui se distingue particulièrement par son courage.
– Comme moi !
– Non moi !
– Moi par exemple ! Qui d’autre ?
– Je précise que c’est possiblement un voyage sans retour !
– Ils n’ont pas prévu de retour ?
– Si bien sûr. Mais la conquête spatiale ne se passe pas toujours aussi bien qu’ils le souhaitent. Alors ? Un volontaire ?
– …
– …
– Tout le monde se dégonfle ?
– T’as qu’à y aller toi dans le vaisseau spatial !
– A l’aise que j’y vais ! D’ailleurs les chats sont sûrement plus courageux que les pigeons !
– Non je ne crois pas ! Avec ou sans retour, moi j’y vais dans le vaisseau !
– Très bien. Donc nous avons Riton comme volontaire pour voyager quasiment à la vitesse de la lumière.
– Qu’est-ce qu’il faudra que je fasse ?
– Quasiment rien. Les humains te mettront derrière un hublot pour que tu puisses admirer le paysage et ce sera parti ! La seule chose que tu devras faire c’est surveiller l’horloge !
– L’horloge ?
– Oui. Tiens-toi en forme car ce sera dans un an ! 29 septembre 2019, le vaisseau spatial décolle à zéro heure tout pile ! Le voyage doit durer 24h ! Quand l’horloge de bord te dira qu’il est midi pile le 29 septembre 2019, tu appuieras avec ton bec sur le bouton rouge qui sert à enclencher le voyage de retour.
– Très bien. Mais alors si je comprends bien dès que le voyage commence, direct je suis quasiment à la vitesse de la lumière ?
– Oui. Comme dans les mauvais films de science-fiction.
– Cela ne risque pas de secouer un peu ?
– Un peu beaucoup je pense mais pour faciliter les calculs on va dire que non. Hop ! A peine parti déjà à pleine vitesse. Un genre de vaisseau-catapulte !
– Très bien. Alors je vais où ?
– Peu importe, c’est juste un essai du vaisseau !
– Je peux quand même aller voir Jupiter de près ?
– Ah mais tu peux aller beaucoup plus loin que ça ! Tu verras toutes les planètes que tu veux. Tu pourras faire plusieurs fois le tour du système solaire d’ailleurs !
– C’est déjà pas mal.
– Oui ! Alors te voilà parti ! Après Rhésus le macaque, premier mammifère ayant expérimenté l’apesanteur, après Laïka la chienne, première terrienne dans l’espace, morte pour la cause…
– Elle est morte ? a demandé Aïcha.
– C’était prévu comme ça !
– Ah mais attends ! Mon vaisseau lumière il est prévu pour que je revienne intact ?
– Oui comme je te l’ai dit ! 24h après ton départ t’es de retour !
– Je préfère ça !
– Je reprends… Après Ficelette, première française en apesanteur, sacrifiée sur l’autel du progrès…
– Elle aussi ?
– C’était prévu comme ça !
– C’était une chienne ou une macaque ?
– Une chatte !
– Ah ben alors c’est moins grave !
– Mais non c’est dégueulasse au contraire ! Qu’est-ce qu’elle a eu ?
– Ils l’ont euthanasiée pour l’autopsier !
– Ah les salauds !
– Ah mais attends ! Moi ils ne vont pas m’euthanasier à mon retour, hein ?
– Depuis le temps les humains ont fait des progrès figure-toi ! Au pire ils te mettront dans un IRM, ça ne prendra que quelques minutes.
– Je préfère ça !
– Donc après Rhésus, Laïka, Ficelette et bien d’autres, Riton le Pigeon s’apprête à rentrer dans l’histoire en étant le premier terrien à s’affranchir réellement de l’attraction terrestre, à dépasser Mars et toutes les autres planètes, à voyager quasiment à la vitesse de la lumière, une pluie de records ! Riton le Pigeon, à jamais le premier !
– Dit comme ça, ça en jette !
– Un peu que ça en jette ! Donc te voilà parti et comme convenu tu enclenches le voyage retour quand l’horloge de bord te dit qu’il est midi ; d’accord ?
– Oui ben c’est bon ! Si y a que ça à faire c’est pas la peine de le répéter dix fois !
– Parfait ! Alors tout se passe comme prévu. Le 29 septembre 2019 à minuit, sous une nuit si claire qu’il te semble faire encore jour, tu atterris au beau milieu du stade de Gerland !
– Plutôt au stade des Lumières ! Cela me semble beaucoup plus à propos !
– Le stade des Lumières est devenu le Groupama stadium !
– Je sais mais beurk ! Quelle chiée ! Les humains n’ont vraiment honte de rien !
– Surtout pour des joueurs qui n’apportent aucune assurance.
– Cela dit ce ne sont pas des lumières non plus. Mais de toute façon mieux vaut atterrir à Gerland car tu seras plus près du pôle technologique où tu vas faire des analyses en rentrant. Et puis si ton vaisseau ravage la pelouse mieux vaut que ce soit sur un terrain de rugby.
– Pas faux.
– Donc après une petite séance d’IRM les humains te disent : « Riton le pigeon, mission accomplie ! Vous êtes en excellente santé et pouvez rentrer chez vous ! »
– C’est tout ? Je ne pars pas à New-York parader sur la 5ème avenue juché sur le pare-brise d’une Cadillac ?
– Non ! Ils réservent ça au premier humain qui fera le voyage maintenant qu’on sait que c’est sans danger pour un terrien !
– Ou pas.
– Bravo la gratitude !
– Mais pour te féliciter la fée Odette t’offre un an de farcie rien que pour toi ! Donc la première chose que tu dis en rentrant au bercail tandis que tous les habitants du toit t’assaillent de questions c’est : « Si quelqu’un a picoré ma farcie ça va chier ! »
– Un peu que ça va chier !
– Et voilà ! La preuve qu’on aura retrouvé notre Riton exactement comme il sera parti. Comme quoi les voyages dans l’espace sont totalement inoffensifs.
– Ou pas.
– Et ainsi la vie reprendra son cours !
– Et c’est tout ? Fin de l’histoire ?
– Apparemment !
– C’est nul !
– Attendez ! En apparence ce sera fini mais il y a une astuce. Car après s’être soucié de sa farcie, que croyez-vous qu’il dira Riton ?
– Eh bien peut-être qu’il daignera nous dire qu’est-ce que ça fait de voir Jupiter de près ?
– Je ne suis pas sûr que voyager à plus de 299.000 kilomètres par seconde soit la meilleure façon d’admirer Jupiter ; ou alors en prenant du recul.
– Alors ce serait pas mieux d’aller moins vite et de faire une seule fois le tour du système solaire ?
– Sans doute mais ce n’est pas cela qu’on veut ! Voilà ce que dira Riton après avoir pris sa ration de farcie. Il dira : « Bon sang ce que ça caille ! »
– Le 30 septembre 2019 ça va cailler ?
– Statistiquement guère plus que le 29. Mais il y a de très grandes chances que Riton ait froid peu après son retour.
– Pourquoi ? Ça rend frileux les voyages dans l’espace ?
– Pas nécessairement !
– Alors pourquoi il aura froid Riton ?
– Parce qu’il se croira le 30 septembre 2019 mais qu’on sera le 7 décembre ! Revenu pile à temps pour la fête des lumières !
– Tu viens de dire qu’il rentrait le 29 septembre à minuit !
– Quand le vaisseau s’arrêtera, Riton regardera son horloge de bord ; elle lui indiquera qu’on est le 29 septembre à minuit, la preuve qu’il aura bien voyagé durant 24h. Il reviendra dans la sous-pente sans plus se soucier de l’heure qu’il sera, mangera sa ration de farcie, puis il trouvera le fond de l’air vraiment frais. Simplement parce que durant son voyage de 24h nous aurons vu le soleil se lever et se coucher 70 fois et comme on sera le 7 décembre, il est fort probable qu’il fera froid même s’il est vrai qu’il n’y a plus de saisons !

Là il y a eu un petit instant de silence durant lequel oiseaux et chats se regardèrent en se demandant sans doute lequel allait le premier exprimer son point de vue. Ce fut Riton :
– Dis Darwin ! T’en as pas marre de raconter des conneries plus grosses que toi ?
– Ce n’est pas moi qui le dis mais les humains ! Et pas n’importe lesquels, ceux qui écrivent des petits livres jaunes, qui ont la tête dans les étoiles ou dans les particules, ce qui est souvent la même chose !
– La tête dans les particules ? Cela me fait vraiment penser où toi t’as la tête plus souvent qu’à ton tour !
– Figure-toi que la science des particules, donc de l’infiniment petit, rend aussi compte de l’infiniment grand ! Et ce depuis plus d’un siècle.
– Un siècle de 100 ans ou de 7.000 ans ? Gros malin !
– Gros malin toi-même ! Je te parle de 100 ans pour nous ici, posés sur le toit d’un immeuble posé sur la terre ! Un an c’est le temps qu’il faut à la terre pour faire le tour du soleil. Donc si tu t’en vas très loin de la terre tu n’auras plus aucune raison de te référer à la manière dont la terre tourne autour du soleil !
– Alors pourquoi ils vont me mettre une horloge dans mon vaisseau ?
– Mais cette horloge ne te servira pas à calculer l’heure qu’il sera à Lyon pendant que toi tu te tapes un énième tour de l’univers. Elle te servira à compter les secondes écoulées depuis ton départ. Avant les astronomes regardaient des objets célestes et ils savaient quand il s’était écoulé une journée entière ou une année entière. En se disant : « Ceci est une journée entière » je suppose qu’ils ont ensuite décidé de découper cette journée en 24, ce qui a donné les heures, puis ces heures ils les ont découpées en 60 parties, ce qui a donné les minutes, puis ces minutes ils les ont découpées en 60, ce qui a donné les secondes.
– Et pourquoi pas 30 ou 1.000 ?
– Ils ont fait des choix sans doute en fonction de très anciennes manières de faire de la géométrie, de calculer des distances, peu importe. Quand le soleil est au plus haut dans le ciel, on peut convenir qu’il est midi. En réalité les humains ont depuis longtemps cessé de regarder les ombres solaires pour savoir quand il est midi. Ils regardent les horloges et ils se disent ; « Tiens, il est midi ! » C’est pour cela qu’ils peuvent convenir d’avoir un midi d’horloge qui n’est même pas un midi du soleil, ce qui est important pour eux c’est de pouvoir se dire : « Il est midi d’horloge, je vais manger et je reviens dans deux heures pour voir si mes sous ont fait des petits durant mon repas ! » Mais même ainsi les choses ne sont pas si simples, car ce n’est pas facile de construire des horloges. Si par exemple on est capable de dire très précisément quand il est midi au soleil en regardant une ombre et qu’on met en route une horloge à cet instant précis et que cette horloge décompte chaque seconde les unes après les autres, si on ne change pas de place, quand elle aura décompté 24 fois 3.600 secondes, donc fait 43.200 fois Tic et 43.200 fois Tac, alors normalement on saura qu’il est de nouveau midi au soleil. Et partout sur la terre où l’on répétera l’opération, on aimerait qu’il en aille ainsi. Mais même si on était capable de construire des horloges qui soient toutes les mêmes et toutes de très bonne qualité, on se rendrait compte que parfois elles disent qu’il est midi alors que l’ombre dit qu’il n’est pas midi, que certaines sont en avance et d’autres en retard. Cela est normal car en plus des infimes défauts de fabrication des meilleures horloges, la rotation de la terre est loin d’être uniforme, elle dépend des tremblements de terre, des marées solaires et lunaires et de pleins de choses plus ou moins calculables. Donc les humains ont tenté et appris à remettre régulièrement les choses à plat de façon coordonnée ou individuelle. Ils font de leur mieux pour synchroniser les horloges. Il est évident que si l’horloge de quelqu’un finit par lui dire qu’il est midi alors que manifestement il fait nuit, il est temps pour lui de la remettre à l’heure en se référant à une autre horloge réputée être à l’heure ou d’en changer. Mais pour la communauté des humains c’est devenu de plus en plus important de pouvoir calculer le temps qui passe de manière réellement universelle et précise, surtout quand ils ont commencé à se déplacer avec des trains et des avions, puis à envoyer des satellites dans le ciel. Alors ils ont décidé de décompter le temps en secondes et de définir plus précisément ce qu’est une seconde grâce à leur connaissance des atomes. Bien sûr on peut encore dire que, globalement, une seconde est la 86.400ème partie d’une journée qui passe sur la terre, mais désormais les scientifiques la définissent à partir de la physique d’un atome de Césium 133.
– Un atome de quoi ?
– Peu importe, c’est un atome qui irradie ! Un truc tout à fait minuscule avec un noyau encore plus minuscule et des électrons minuscules qui tournent autour. Toujours est-il qu’avec des horloges atomiques les humains peuvent calculer un temps universel qui est d’une très grande précision, les horloges atomiques réparties sur la terre sont très très bien synchronisées entre elles. Et c’est grâce à elles qu’on peut en revenir à notre sujet. Car dans ton vaisseau, Riton, les humains vont mettre une de ces horloges atomiques. Le noyau d’un atome de Césium 133 est si instable qu’il envoie des milliards de radiations à chaque seconde qui passe. Or, si Riton se fie à son horloge atomique de bord, il voyagera durant 86.400 secondes et les atomes de Césium 133 qui sont à bord auront envoyé près de 800.000 milliards de radiations chacun !
– Nom d’un chat ! Je vais être contaminé !
– Mais pas du tout ! Ce que j’essaye de vous faire comprendre c’est que durant ce temps-là les atomes de Césium 133 des horloges atomiques restées sur terre auront envoyé plus de 56 millions de milliards de radiations chacun, près de 71 fois plus ! Donc sur la terre il se sera écoulé près de 71 jours ; plus précisément 70 jours 17 heures 5 minutes et 16 secondes. Pour le dire autrement Riton aura vieilli moins que nous.

De nouveau il y eut un instant de silence, le temps de quelques milliers de milliards de radiations de Césium 133. George s’exprima enfin :
– Well ! Ceci est difficilement croyable ! Quel rapport entre le Césium et Riton qui est un être vivant ?
– Constitué de particules ! Si le temps s’écoule moins vite pour les particules qui composent Riton, il doit aussi s’écouler moins vite pour Riton !
– Mais alors ! a dit Aïcha. Riton peut aller dans le futur ?
– Un peu que je vais aller dans le futur ! Ah ben merde alors ! En voilà un truc fameux ! Et encore plus loin dans le futur non ? C’est possible d’aller plus loin dans le futur Darwin ?
– Théoriquement tout est possible, il suffit de se rapprocher encore un peu plus de la vitesse de la lumière. Par exemple si tu voyages à 99,999 % de la vitesse de la lumière, à chaque seconde passée dans ton vaisseau il s’écoulera plus de 223 secondes sur la terre. Donc si tu voyages durant, disons un mois à cette vitesse, il s’écoulera 223 mois sur la terre, ce qui veut dire que tous autant que nous sommes, nous seront morts quand tu reviendras ! Sauf peut-être les plus jeunes chats d’entre nous !
– Non je ne crois pas ! a protesté Biscuit. Parce qu’avec sa farcie, Odette m’a promis que je battrai des records de longévité ! J’ai bien l’intention de voir la fin du monde !
– Au rythme où vont les choses, si Riton voyage un an à cette vitesse-là, soit il revient au milieu d’une ville en ruine peuplée de chats encore plus dégénérés qu’aujourd’hui, soit au milieu d’un vaste désert radioactif.
– Ou au milieu d’un champ de bataille de robots !
– Ou au milieu d’une civilisation dominée par les pigeons qui m’attendront comme le messie !
– Ou par des rats qui t’attendront de pied ferme !
– Ou peut-être que rien n’aura beaucoup changé sauf qu’on aura de nouveau ravalé la façade et que la rue sera envahie de trottinettes sans roulettes et de Nissan Juke électriques 7ème version qui auront la particularité d’être encore plus moches que les versions précédentes.
– Vu comme ça, mieux vaut ne pas s’éloigner plus d’un jour ou deux !
– Non mais vous vous entendez ? a dit Philémon. Darwin vous raconte une histoire à dormir debout et vous vous le croyez sur parole ! Tout ceci c’est n’importe quoi ! J’ai des humains figurez-vous ! Et ils sont très cultivés ! Si un truc comme ça était possible ils en auraient déjà parlé ! Ce serait même nécessairement un sujet assez commun de discussion. Darwin affabule par jeu ou par ignorance !
– J’ai lu cela dans un livre écrit par un grand scientifique et en outre je me suis renseigné sur Terre-nette. Donc tu ne peux pas dire que j’affabule.
– Soit tu as mal compris, soit ce livre était une farce. On ne peut pas voyager plus vite que la lumière de toute façon, donc ton histoire ne tient pas debout.
– On ne peut pas voyager plus vite que la lumière dans l’espace-temps c’est vrai. Mais je n’ai dit nulle-part que Riton allait voyager plus vite que la lumière.
– Mais tu as dit des choses totalement contradictoires ! Parce que selon toi Riton va voyager durant 24h à près de 300.000 kilomètres par seconde. Or son vaisseau sera construit ici sur la terre par des humains. S’ils arrivent à construire un vaisseau qui va presque à la vitesse de la lumière il dépassera l’orbite lunaire en moins de deux secondes…
– Oui ! Et celle de mars en un peu plus de 4 minutes ! Du moins si le vaisseau se dirige dans le plan orbital, rien ne l’interdit de partir tout droit vers le nord.
– Très bien. Donc il voyage comme ça, non pas durant 24h mais plus de 70 jours selon notre point de vue de terriens. Donc à la fin il aura parcouru non pas 86.400 fois 300.000 kilomètres, mais plus de 70 fois 86.400 fois 300.000 kilomètres.
– Précisément 1.831 milliards 352 millions et 101.002 kilomètres ! Soit plusieurs fois le tour du système solaire.
– Sauf que tu as dit que pour lui il s’écoulerait seulement 24h ! Ce qui veut dire que de son point de vue, il aura été 70 fois plus vite que la vitesse de la lumière ! Et voilà qui t’en mouche un groin !
– Euh… Laisse-moi réfléchir à cela deux minutes !
Ce que je fis sous le regard narquois de Philémon et interrogatif de tous les autres. Je ne sais pas s’il a bien réussi son coup mais durant quelques secondes je me sentis incapable de remettre les choses en place dans ma tête. Je ne voulais pas non plus laisser une occasion inattendue à cette bande toujours prompte à se moquer. Donc je rompis le silence avant d’avoir su quoi répondre :
– Je conviens que je n’avais pas pensé à cela mais il doit y avoir une explication rationnelle.
– Oh l’autre hé ! De toute évidence tu n’as rien compris à ce que tu as lu, voilà tout ! Ah ben il est beau le chat chavant ! Et en plus tu veux jouer les enseignants ! Abstiens-toi la prochaine fois !
– Je n’ai pas encore dit mon dernier mot. En fait… si on y réfléchit, Philémon, ce que tu dis semble plein de bon sens mais tu oublies une chose : pour que Riton aille plus vite que la lumière il faudrait qu’il aille effectivement plus vite que la lumière !
– C’est ta réponse ?
– Parfaitement !
– C’est nul ! Je crois que cela mérite une huée générale !
Plutôt qu’une huée, par ses paroles Philémon déclencha des rires moqueurs. Je ne me démontai pas :
– Et pourtant cette réponse est juste ! Car s’il est question de la distance parcourue en une seconde du point de vue de Riton, il convient de la comparer au point de vue de la lumière elle-même !
Il y eut à nouveau un petit silence que Riton brisa rapidement :
– Ah parce que maintenant la lumière à un point de vue ! De mieux en mieux Darwin !
– Certes elle n’en a pas mais supposons qu’elle en ait un. Ou bien si cela vous permet de mieux visualiser la chose, supposons que la lumière puisse transporter les esprits des êtres défunts, par exemple entre la terre et la planète Polgveaqolo qui est nécessairement dans un autre système puisqu’on ne l’a jamais détectée dans le système solaire.
– Voilà quelque chose que je peux supposer. a dit Aïcha. C’est même assez vraisemblable !
– Eh bien si Riton mettait le cap vers Polgveaqolo en même temps qu’une âme qui vient de quitter le corps qui l’abritait et qui voyage à la vitesse de la lumière, alors Riton n’arriverait pas sur cette planète avant l’âme. On peut donc en conclure que Riton ne peut pas aller plus vite que la lumière !
– C’est ta démonstration ?
– Oui.
– C’est nul ! A aucun moment tu n’as donné de solution au problème ! Dans son vaisseau Riton a quand même parcouru 70 fois 86.400 fois 300.000 kilomètres en 24h et ton histoire de course avec les âmes est simplement insensée !
– Et pourquoi donc ?
– Parce que si George attrape un poisson et qu’il le soulève dans les airs, que par manque de bol ou par distraction George relâche le poisson...
– Je lâche pas les poissons !
– Exceptionnellement George lâche le poisson qui tombe dans l’eau ; il se forme un rond qui va se diffuser dans toutes les directions. Imaginons que George a si bien serré sa proie que celle-ci rend l’âme étouffée au moment même où elle retrouve son élément préféré. Alors cette âme, au lieu d’être emportée par une onde lumineuse, la voilà emportée par l’onde qui se développe à la surface de l’eau. Et toi Aïcha, si tu as observé la scène du bord du toit du très grand bloc où tu sembles passer beaucoup de temps…
– Il est beaucoup mieux que ce bloc-là !
– Si tu le dis ! Ce qui ne change rien au fait que l’âme du poisson s’en va sur cette onde, qui est une vague puisqu’elle est à la surface de l’eau. En observant cela Aïcha se rend compte que la première vague, celle qui a probablement emporté l’âme du poisson, semble perdre de sa puissance au fur et à mesure qu’elle se diffuse dans toutes les directions. Mais quand même, au bout d’un instant la vague a touché la rive gauche et la rive droite tandis qu’en amont et en aval on finit par ne plus la distinguer. Donc la question est : « Où est l’âme du poisson maintenant si elle a été emportée par la vague ? » J’imagine que Darwin a la réponse !
– Ben bizarrement… non !
– Il ne l’a pas parce que l’évidence va à l’encontre de ses suppositions sur le transport des âmes par la lumière. En effet il y a toutes les raisons de supposer qu’en étant emportée par une onde qui se crée à l’endroit de la mort physique d’un être, une âme serait totalement dispersée dans l’espace au fur et à mesure que l’onde se développe et pour finir par être indétectable.
– Eh bien c’est peut-être exactement ce qui se passe !
– Alors dans ce cas pas de planète Polgveaqolo et la lumière ne transporte rien et surtout pas quelque chose qui pourrait lui donner un point de vue ! Le seul point de vue qui compte c’est celui de Riton et il est légitime de son point de vue d’affirmer qu’il va beaucoup plus vite que la lumière.
– Non je ne crois pas. Je suis même sûr d’avoir raison parce que je l’ai lu dans le livre. C’est juste que j’ai sûrement oublié un passage important et qu’on n’a pas bien abordé le problème.
– Parle pour toi !
– Reprenons à la base !
– Elle est où la base ?
– Bon! Disons pas vraiment à la base mais à l’époque de l’homme à la pomme. Mettons-nous à sa place. Comme à l’époque il n’y avait ni automobiles ni autobus, quand cet homme regardait passer au loin l’un de ses contemporains ce dernier allait assez souvent à pied ou à cheval. Eh bien imaginons qu’il regarde un autre humain aller à cheval et que soudainement, en passant sous un pommier, il cueille une pomme à la volée.
– Qui ? Le cheval ?
– Non! L’humain sur le cheval. Cet humain a bien l’intention de croquer la pomme mais avant cela il décide de s’amuser un peu avec. Il la jette en l’air et la rattrape plusieurs fois de suite. Observant cela de loin, l’homme à la pomme…
– Comment il peut être à la fois loin du cheval et sur le cheval ?
– Non mais l’homme à la pomme c’est le surnom de l’autre ! Celui qui observe !
– Tu nous embrouilles là, Darwin !
– Bon d’accord ! Alors appelons-le par son prénom : Isaac ! Donc Isaac est celui qui observe l’homme sur le cheval et il a remarqué une chose qui l’intrigue. Le cheval galope assez vite mais quand l’homme jette la pomme en l’air il remarque que la pomme retombe toujours dans sa main.
– C’est juste parce que l’humain sur le cheval vise toujours très bien !
– Certainement mais ce que sait faire l’humain sur le cheval c’est lancer toujours la pomme tout droit en l’air. Bien sûr s’il la lançait en arrière ou loin devant lui elle ne retomberait pas dans sa main. Mais l’humain sur le cheval lance sa pomme bien droit en l’air et comme il est joueur il veut savoir s’il pourra la lancer de plus en plus fort bien droit en l’air. Il la lance ainsi jusqu’à plusieurs mètres en l’air et elle retombe encore dans sa main. Au loin Isaac a bien observé cela et il se dit : « C’est étrange, entre le moment où l’homme sur le cheval a lancé la pomme et celui où il l’a rattrapée, le cheval a parcouru plus de dix mètres, donc la pomme aussi a parcouru plus de dix mètres. Cependant, si j’étais l’homme sur le cheval je penserais que la pomme est partie de ma main et est revenue dans ma main, c’est donc qu’elle n’a pas avancé d’un poil ! »
– C’est idiot ce que tu dis Darwin ! N’importe quel humain comprendrait que sa main aussi a parcouru dix mètres ! La main et la pomme ont parcouru dix mètres toutes les deux en même temps !
– Sans doute mais maintenant mets-lui un bandeau sur les yeux ! L’exercice devient beaucoup plus difficile mais si l’homme en question est un saltimbanque et qu’il a appris à lancer sa pomme toujours très droit, elle retombera dans sa main sous les applaudissements ! Le cheval peut galoper plus vite ou moins vite, se mettre à marcher doucement ou même s’arrêter. La seule chose qui compte c’est qu’entre le moment où l’homme lance la pomme et celui où il la rattrape, le cheval ne change ni de rythme ni de direction. Sous cette condition, si la pomme est lancée parfaitement droit, elle retombera dans sa main. Si le cheval s’arrête d’un coup juste après le lancer de la pomme, la pomme tombera devant le cheval mais il est possible qu’elle tombe tout de même dans la main de l’homme si l’homme ne s’accroche pas bien au cheval. Maintenant si l’homme voyage dans le futur et peut enfin quitter le cheval au profit du train, il monte dans un TGV postal sans fenêtre de sorte à ne rien savoir de la distance que le train parcourt pendant le temps où il lance sa pomme en l’air. Alors la seule chose qu’il sait c’est que s’il lance bien la pomme tout droit en l’air, elle retombe dans sa main. Comme il n’a aucune idée de la vitesse à laquelle va le train ni même si le train roule ou est à l’arrêt, il ne dira jamais que la pomme et sa main ont parcouru la même distance que le train, il dira : « J’ai lancé ma pomme bien droit sans bouger et elle est retombée dans ma main, ni elle ni moi n’avons avancé ! » Il peut faire tout un voyage assis sur un fauteuil à lancer sa pomme ou à la manger et à la fin, quand quelqu’un lui demandera combien de kilomètres il a fait, il aura bien le droit de dire : « Je n’ai pas fait un seul mètre car je n’ai pas bougé de mon siège ! » Et l’autre lui dira : « Mon vieux tu viens de faire près de 450 kilomètres en deux heures car ton train est allé de Paris à Lyon » Lui dira :« Si tu le dis… tout ce que je sais de mon point de vue c’est que je n’ai pas fait un mètre et ma pomme non plus ! » Puis un troisième larron qui a le sens de l’embrouille comme Philémon dira : « Ce n’est pas le train qui a roulé de Paris à Lyon ! C’est la terre qui s’est déplacée sous le train ! Le train lui n’a pas bougé d’un mètre ! » Lequel des trois aura raison ?
– Je ne suis pas un embrouilleur figure-toi mais un désembrouilleur ! Et je désembrouille direct ton embrouille de troisième larron car la terre ne peut certainement pas se déplacer sous le train !
– Les physiciens prétendraient pourtant que les trois hommes auraient raison. Le premier aurait bien le droit de dire que de son point de vue il n’a pas bougé d’un pouce. Le second aurait raison de lui dire qu’il a fait 450 kilomètres et le troisième de dire que c’est la terre qui a fait 450 kilomètres sous le train !
– Faux faux faux et archi-faux ! Si la terre se déplace sous un train qui va de Paris à Lyon alors il faudrait qu’elle se déplace en même temps dans l’autre sens et dans tous les sens puisqu’il y aussi des trains qui vont de Lyon à Paris, et d’autres de Paris à Brest ou à Bordeaux ! Donc c’est absurde et la terre ne se déplace pas sous les trains même si ton train va tout droit vers l’Est ou l’Ouest ! C’est comme si je me mettais à tourner sur moi-même en criant : « Regardez ça ! L’univers tout entier s’est mis à tourner autour de moi ! Je suis le centre du monde ! »
– Hum… Bon d’accord. C’est une position philosophiquement acceptable mais il reste que les deux premiers points de vue sont eux parfaitement aussi valables l’un que l’autre. Là tu ne peux pas dire le contraire. L’humain dans le TGV n’a pas bougé d’un pouce de son point de vue et a fait 450 kilomètres du point de vue de celui qui a regardé rouler le train.
– Oui si tu veux ! J’ai bien compris que cette histoire de point de vue était ton leitmotiv du jour ! Et donc ?
– Donc Isaac n’a même pas eu à attendre l’invention du train postal pour comprendre cela. Il a compris avant les autres qu’il n’y avait pas de localisation absolue ! Dire cela c’est dire que tout le monde ne peut pas être d’accord pour dire que la pomme a parcouru une distance précise entre le moment où elle a quitté la main et celui où elle y est retombée. Comme cette distance dépend du point de vue d’où on voit bouger la pomme, il s’ensuit qu’on devient incapable de dire à quelle vitesse se déplace la pomme puisque la vitesse ce n’est jamais que la distance parcourue divisée par le temps du parcours. Dans le petit livre jaune il est dit qu’Isaac était très chagriné par cette constatation car avant cela il croyait qu’il y avait bien une localisation absolue. Désormais il est clair que la localisation ou l’espace absolu, ce qui est la même chose, n’ont pas de sens car on ne saura jamais dire à quelle vitesse se déplace une pomme jetée en l’air par un humain. Cela dépend de quelle vitesse l’on parle. Est-ce la vitesse du point de vue de celui qui jette la pomme ? Est-ce la vitesse par rapport à la terre ? La vitesse par rapport au soleil ? Par rapport à la galaxie ? Toutes ces vitesses sont nécessairement différentes. Cependant, longtemps après la mort de Isaac les humains ont continué à avoir l’espoir de retrouver un espace absolu en se référant à une notion qu’ils ont imaginée il y a bien longtemps, cette notion s’appelle l’éther !
– Tu parles de ce liquide transparent qui pue et que mes humains utilisent trop souvent à mon goût ?
– Non ! L’éther c’est une substance que les humains imaginaient partout autour de nous et dans tout l’univers ! Un truc invisible aux propriétés bizarres ! Il fallait que ce soit une substance parfaitement élastique mais rigide et n’opposant aucune résistance pour qu’on puisse passer à travers elle sans même nous en rendre compte.
– Comme du vide quoi ?
– En quelque sorte.
– Ben à quoi à ça sert alors ?
– Eh bien les humains imaginaient que l’éther était aussi parfaitement immobile. Cela leur permettait d’imaginer que tout se déplaçait par rapport à cet éther et que même la lumière se déplaçait dans l’éther et grâce à lui !
– Ah ben on y vient ! C’est pas trop tôt !
– Conceptuellement cela aurait rassuré même les plus grands scientifiques de constater qu’il existait bien quelque chose comme l’éther dans lequel se mouvaient tous les vivants, les choses, les astres, les galaxies.
– Je ne vois pas bien ce que cela aurait changé au juste. Si c’est totalement invisible et qu’on ne le sent pas, qu’est-ce qu’on peut bien en faire ?
– Même sans cela on aurait pu faire des calculs indirectement ! Imaginons si cet éther avait existé. D’après leurs observations des planètes les humains pensaient que la lumière devait se déplacer toujours à la même vitesse dans cette substance invisible. Donc à partir de l’observation du déplacement de la lumière, ils pensaient qu’il était possible de calculer la vitesse de déplacement de la terre dans l’éther !
– Mais non puisque l’éther est invisible !
– Eh bien pour mieux comprendre imaginons que quelqu’un ait trouvé le moyen de peindre cet éther avec une substance magique…
– La fée Odette par exemple ?
– Oui par exemple. Elle pourrait peindre des boules de couleurs en différents endroits de l’éther. Bien sûr, comme les étoiles et les galaxies se déplacent aussi dans l’univers, et même assez rapidement, si l’éther était perlé de boules de couleurs on n’aurait même pas le temps de les voir passer ; ou plutôt on aurait sûrement l’impression de voir des traits dans le ciel. Mais pour mieux comprendre on ne va tenir compte que de la rotation de la terre autour du soleil et sur elle-même. A cause de cette rotation de la terre sur elle-même les habitants de l’équateur se déplacent en permanence à plus de 460 mètres par seconde. A Lyon on est plus proche de 300 mètres par seconde et aux pôles on n’avance presque pas. Si on tient compte du déplacement de la terre autour du soleil, tous les êtres vivants de la terre avancent à près de 30 kilomètres par seconde, même les habitants du pôle nord et du pôle sud qui sont, il est vrai, moins nombreux. Donc avec un éther perlé de points de couleurs, tout le monde verrait passer ces points dans le ciel. Les humains ne pensaient pas pouvoir peindre l’éther, par nature invisible, mais ils croyaient que son existence devait avoir certaines conséquences et certains d’entre eux se sont mis en tête de mesurer la vitesse à laquelle se déplaçait la terre dans l’éther par des expériences très différentes de celle de la fée Odette qui elle a le mérite d’être plus simple à comprendre. Imaginez que la fée Odette peigne une succession de très grosses boules dans l’éther. En fait ce serait comme de gros ballons de couleur mais l’éther est quelque chose de si particulier qu’on peut passer à travers sans rien sentir même quand il est peint. Alors disons qu’Odette peint trois alignements de ballons géants dans l’éther. Elle espace les centres de ces ballons les uns des autres de près de 300.000 kilomètres et elle peint un alignement de ballons en plein sur la trajectoire de la terre mais aussi sur une orbite située à 300.000 kilomètres plus près du soleil et sur une orbite à 300.000 kilomètres plus loin. Comme la terre avance à 30 kilomètres par seconde, elle passe à travers un nouveau ballon toutes les 10.000 secondes, il arrive donc régulièrement, un peu plus d’une fois toutes les trois heures et durant une fraction de seconde, qu’un ballon de couleur se trouve précisément au centre de la terre. À cet instant précis il y a aussi un ballon de couleur dont le centre se trouve à 300.000 kilomètres à gauche de la terre et un autre à la même distance à droite de la terre. Donc vous comprenez qu’il y a une différence entre les trois alignements de ballons peints. Les ballons peints dans la trajectoire de la terre peuvent toucher la terre et même être au centre de la terre, le centre des ballons peints sur les deux autres trajectoires ne peut jamais s’approcher à moins de 300.000 kilomètres de la terre. Imaginons que la fée Odette, non contente de seulement peindre des ballons dans l’éther, parvienne à l’aide de ses secrets de fée, à les faire clignoter. Elle le fait de manière très subtile car tous les ballons clignotent exactement en même temps et ils le font à l’instant même où l’un d’entre eux se trouve pile poil au centre de la terre. Imaginez quelles belles guirlandes cela ferait vu d’un vaisseau extraterrestre qui se balade dans le système solaire ! Si Odette a peint des ballons pour toute une année du parcours de la terre autour du soleil, cela ferait plus de 3.000 ballons clignotants par guirlande !
– Rien d’impressionnant ! J’ai déjà vu à la TV de simples maisons américaines avec des guirlandes bien plus dingues que ça !
– Oui mais pas visibles par des extraterrestres !
– C’est pas dit !
– Si tu veux mais ce qui nous intéresse c’est surtout de savoir ce qu’on voit depuis la terre. Même du côté du soleil le clignotement est assez puissant pour être distingué en plein jour, alors la question est : « Vu de la terre, de quel ballon verra-t-on en premier la lumière ? »
– C’est une question ?
– Ben oui !
– Il faut chercher une réponse ou tu nous la donnes ?
– Cherchez un peu, ça peut pas faire de mal.
– C’est évident. a dit Philémon, c’est le clignotement qui vient du ballon qui est au centre de la terre puisqu’il est beaucoup plus près de nous que n’importe quel autre !
– Euh… oui mais j’ai oublié de préciser qu’on ne peut pas voir le clignotement du ballon qui est au centre de la terre.
– Ah ben oui mais si t’es pas précis aussi… comment veux-tu avoir des réponses justes !
– Bon ben maintenant que tu le sais, trouve une autre réponse, on va dire que la première ne comptait pas.
– Alors c’est toujours aussi évident ! Il faut prendre en compte le rayon de la terre. Seulement comme tu n’es pas précis tu n’as pas dit comment les ballons étaient alignés ! Les ballons sont-ils alignés par rapport à l’équateur du soleil ou par rapport à l’équateur de la terre.
– Choisissons l’axe de l’équateur de la terre, ce sera plus simple !
– Alors c’est évident ! Les premiers lieux sur terre où l’on pourra apercevoir les clignotements seront situés sur l’équateur car c’est là qu’on peut trouver les distances avec les ballons les plus courtes. Le rayon de la terre étant d’environ 6.000 kilomètres, il y aura précisément quatre lieux sur l’équateur qui seront à l’instant du clignotement situés à 294.000 kilomètres du cœur d’un ballon puisqu’il y a un ballon à cette distance sur la droite, un sur la gauche, un devant, mais aussi vraisemblablement un derrière. Moins d’une seconde après le clignotement la lumière de ces ballons arrivera d’abord en ces points-là tandis qu’il faudra une seconde toute entière pour qu’elle arrive aux pôles.
– Ne serait-ce pas plutôt très près de ces points-là puisque durant cette portion de seconde tu oublies que sur la terre chaque endroit de l’équateur s’est déplacé de plusieurs centaines de mètres à cause de sa rotation sur elle-même.
– Oui mais là tu chipotes de nouveau ! Quelques centaines de mètres c’est négligeable par rapport à 300.000 kilomètres !
– Chat chipoteur !
– Si vous voulez. Mais est-ce que 30 kilomètres c’est toujours autant négligeable ?
– Oui car ce n’est jamais qu’un dix-millième ! Négligeable donc !
– Mais quand les humains cherchaient à mesurer le déplacement de la terre dans l’éther, c’est bien de ce genre de déplacement que vous trouvez négligeable dont il était question, même s’ils n’avaient pas une idée précise de la valeur qui en résulterait, et pour cause, l’éther n’existe pas ! Sauf que pour le savoir il a bien fallu qu’ils cherchent ces petites différences de mesure que vous trouvez négligeables. Oubliez que la terre est une grosse boule de plus de 6.000 kilomètres de rayon et imaginez à sa place une toute petite planète.
– Comme celle du petit prince ?
– Cela ressort plus de l’astéroïde mais pourquoi pas ? À la place d’un habitant de la terre vous êtes le petit prince sur son astéroïde, pour le reste rien n’est changé, il orbite à la place de la terre autour du soleil à la vitesse de 30 kilomètres par seconde et il y a toujours les ballons clignotants, devant, au centre, derrière, sur les côtés. L’astéroïde est si petit que pour le coup on peut réellement négliger certaines différences mais sans aller jusqu’à négliger un écart de 30 kilomètres. Au moment du clignotement il y a effectivement 4 ballons situés à 300.000 kilomètres du petit prince. Mais une seconde plus tard le ballon de devant sera à 299.970 kilomètres du petit prince, tandis que celui de derrière sera a 300.030 kilomètres, le ballon qui était au centre de l’astéroïde sera 30 kilomètres derrière et les ballons sur les côtés se seront éloignés d’un ou deux mètres seulement, ce qui est bien négligeable cette fois-ci. La seule chose qui compte c’est que la lumière du ballon provenant du ballon de derrière devrait être aperçue par le petit prince un peu après celle des ballons situés sur les côtés qui elle-même devrait être aperçue un peu après celle provenant du ballon de devant puisque la terre s’est approchée du ballon de devant durant le temps où la lumière a voyagé. Vous comprenez ?
– …
– Moi je comprends mais quel est le rapport avec l’éther ? Enlevons l’éther ! La terre se déplace quand même et si Odette a autant de pouvoirs qu’on le dit elle pourrait bien illuminer le vide, et alors, qu’est-ce que cela changerait si on part du principe que le vide est aussi immobile que l’éther ?
– Juste remarque Biscotte ! Le vide et l’éther sont un peu la même chose. Nommons cela le vide-éther si vous voulez bien. Ce qui nous importe c’est d’avoir des points de repères immuables ! Imaginons que la fée Odette aidée de toute la confrérie des fées…
– Ne serait-ce pas plutôt une sœurerie ?
– Ce mot-là n’existe pas !
– Maintenant il existe !
– Bon d’accord. Donc la sœurerie des fées toute entière se met au travail. Elle va créer ce qui ressemblera à une sorte de cage. Imaginez des émetteurs de rayons laser qui sont tous situés à la même distance les uns des autres et cela sur trois dimensions. Chaque émetteur envoie un rayon laser vers les 6 émetteurs les plus proches. De loin tous ces rayons qui se rejoignent forment comme un quadrillage fait de milliards de milliards de milliards de cubes imbriqués. Comme ces émetteurs sont parfaitement immobiles on peut parfaitement bien distinguer le vrai mouvement de tous les objets de l’univers. Au lieu de dire que durant un certain laps de temps la lune a tourné autour de la terre qui a tourné autour du soleil qui lui s’est déplacé dans la galaxie qui s’est déplacée dans le groupe local de galaxie… de sorte qu’on ne sait absolument pas quelle distance a parcourue la lune ; on regardera où était la lune au début et où elle est à la fin par rapport à notre quadrillage laser. Nous aurons donc des points de repère absolus et des distances parcourues absolues et tout sera plus simple à calculer !
– Fort bien! Quand est-ce qu’elles vont se mettre au boulot les fées ?
– Je l’ignore mais les humains n’ont pas eu la patience d’attendre. Ils ont dit : « Les fées sont en vacances et en attendant d’avoir un quadrillage lumineux tentons de savoir à quelle vitesse se déplace la terre dans l’éther ! » Deux américains très célèbres ont construit une machine à cette seule fin à la fin du 19ème siècle. À l’époque, rien qu’en observant les planètes et leurs satellites les humains avaient déjà une bonne idée de la vitesse de la lumière. Ils se disaient que la vitesse de la terre dans l’éther était sans doute assez faible par rapport à la vitesse de la lumière dans ce même éther, faible mais peut-être mesurable tout de même. Je vous explique succinctement l’idée qu’ils ont eue ! Il faut savoir que la lumière peut se décomposer parce qu’elle est faite de plein de longueurs d’ondes dont beaucoup sont invisibles aux yeux de tous les êtres de cette terre. Mais par exemple la pluie peut suffire à décomposer la lumière visible pour créer les arc-en-ciel. Les humains savent décomposer la lumière en la faisant passer par les matériaux appropriés. Et ils savent aussi créer des interférences d’ondes lumineuses même sur des trajets très courts. Au lieu de créer des arc-en-ciel ils peuvent par exemple dessiner des raies lumineuses sur un mur rien qu’en créant une interférence de deux rayons de lumière. En étudiant la forme de ces raies ils apprennent des choses sur ces rayons, par exemple celui qui a parcouru la plus grande distance même si cette distance n’est pas très grande et donc parcourue en un temps beaucoup trop court par la lumière pour être mesuré précisément à l’époque. C’est ainsi que ces deux américains célèbres prénommés Albert et Edward n’ont eu besoin que d’une machine assez petite pour être construite dans une cave et assez maniable pour être tournée dans tous les sens, ce qui était nécessaire pour leur expérience. Comme ils pensaient que l’éther était partout, donc même dans la cave et dans la machine, ils se disaient qu’ils arriveraient à voir une différence de vitesse de la lumière selon les côtés de la cave vers lesquels ils dirigeraient leurs rayons. Exactement comme on s’attendait à voir arriver plus vite la lumière du ballon lumineux d’Odette situé devant la terre puisque la terre avance vers ce ballon. Eux n’ayant pas les possibilités qu’ont les fées, ils ont utilisé des miroirs. Ils n’avaient aucune idée de la manière dont se déplaçait la terre dans l’éther. Mais ils supposaient que s’ils envoyaient une partie d’un rayon lumineux vers un miroir situé dans le sens de la marche de la terre dans l’éther, cette partie du rayon ne reviendrait pas en même temps qu’une autre partie du rayon envoyée vers un miroir situé perpendiculairement à la marche de la terre dans l’éther. Donc en tournant leur machine dans tous les sens, ils étaient à peu près sûrs de tomber à un moment ou un autre dans le sens de la marche de la terre dans l’éther. À partir de là ils pensaient pouvoir étudier les modifications dans les interférences créées et être capables de calculer la vitesse de la terre dans l’éther.
– Faux ! Faux ! Absolument faux ! Tu dis que c’est pareil que de regarder la lumière qui vient des ballons d’Odette mais c’est complètement faux ! Si à la place des ballons lumineux Odette disposait des miroirs géants et que le petit prince envoyait des rayons laser vers ces miroirs ce serait sûrement une expérience valable ; à condition que ces miroirs ne bougent pas en même temps que l’astéroïde du petit prince ! Sinon la distance est toujours la même entre n’importe quel miroir et la terre et donc le temps de parcours de la lumière sera toujours le même ! Or de ce que tu nous dis de cette expérience il est évident que les miroirs se déplacent en même temps que tout le reste de la machine ! Comment ont-ils pu observer une différence de vitesse dans ces conditions ?
– À vrai dire ils n’en ont jamais mesuré aucune quel que fut le sens dans lequel ils ont orienté la machine et quel que fut le moment de l’expérience !
– Fatalement !
– Non pas fatalement car la raison ne vient pas d’une erreur d’expérimentation. À priori j’aurais pensé comme toi Philémon mais j’ai trouvé une explication détaillée de cette expérience sur Terre-nette et celle-ci prouve que tu as tort. Cela me rappelle la seule fois où je me suis rendu sur les bas-port des quais de Saône en compagnie d’Odette. Je n’étais pas très chaud pour y aller mais c’était au retour d’une aventure, un jour et à une heure où les humains étaient particulièrement peu nombreux à traîner dans les rues. La lune, quasiment pleine, brillait sans nuage ; c’était l’occasion rêvée d’observer son reflet dans l’eau avec en prime la vue magnifique sur Fourvière dans ces conditions. Nous avons descendu la pente près de la passerelle du palais de justice, les quais étaient déserts et la vue effectivement fameuse. Odette s’est assise sur le rebord du quai et elle m’a enjoint de la rejoindre mais je n’osai pas trop m’approcher de l’eau.
– Trouillard !
– J’aurais voulu vous y voir… Donc je restai un peu en retrait tentant de profiter de l’instant même si j’étais assez disposé à l’abréger. Puis soudain j’entendis une petite voix semblant sortir de l’eau : « Bonsoir ! » « Bonsoir » répondit Odette. Je fis deux pas en avant pour voir qui parlait dans l’eau. C’est alors que j’aperçus dans le clair de lune une petite tortue qui me regarda fixement d’un air un peu contrarié. Le courant était faible est elle n’avait que peu d’efforts à faire pour se maintenir en place. Elle soutint mon regard quelques secondes puis préféra s’adresser de nouveau à Odette : « Je suis un peu perdue là ! Est-ce que tu pourrais m’indiquer le chemin des Galapagos ? » « Heu… c’est à dire que c’est pas la porte à côté. Le mieux c’est que tu descendes le Rhône jusqu’à la Méditerranée et puis là-bas tu demanderas à quelqu’un d’autre pour la suite du voyage.» « D’accord ! C’est par où le Rhône ? » Là Odette s’est contentée de pointer son bras gauche le long de la rivière en direction du sud-ouest. « D’accord ! Merci ! À la prochaine ! » a simplement dit la tortue. Et alors elle est partie vers l’ouest probablement pour rejoindre le milieu de la rivière et se laisser porter par les flots. Après un instant de silence je fis remarquer à Odette qu’elle s’était un peu contentée du service minimum : « Elle ne va jamais y arriver ! Tu ne lui as même pas dit qu’il y avait tout un tas de canaux et d’écluses ! On n’aurait jamais dû la laisser partir ! C’est criminel ! » « Que voulais-tu qu’on fasse ? La ramener chez Grabelot ? » « Pourquoi pas ? » « Parce que je n’ai jamais eu l’intention de créer une arche de Noé dans un appartement miteux d’un immeuble qui va s’écrouler au premier séisme d’envergure ! Cela te va comme réponse ou faut que je développe ? » « Non mais... » « Matou ! Cette tortue m’a demandé le chemin des Galapagos et j’ai fait ma part du boulot ! Pas la peine d’en faire tout un plat ! Allez viens ! Je te ramène au bercail ! » Voilà pour l’histoire de la tortue !
– Qu’est-ce que cette histoire de tortue vient faire dans le sujet du jour ?
– C’est juste que l’explication de l’expérience d’Albert et Edward m’a fait penser à cette tortue.
– Darwin ! Sans vouloir critiquer... t’as une fâcheuse tendance à la digression alors ne te plains pas si personne ne comprend ce que tu racontes !
– Oui je sais ! On me le dit souvent ! Cependant c’est grâce à cela que je peux envoyer à mes correspondants et correspondantes des courriers qui ont besoin de deux timbres !
– Et pourquoi tiens-tu à avoir des courriers à deux timbres ?
– Mais pour que Biscotte puisse continuer à accoler deux timbres sur les enveloppes de façon impeccable !
– C’est vrai que je suis la reine du collage de timbres bord à bord ! Et en un tour de bec !
– Digression ! Digression ! Revenons-en à tes chatons !
– A ma tortue plutôt car j’ai besoin d’elle pour une expérience dans la rivière !
– Oui ben elle est partie ta tortue ! Pas de bol ! Choisis quelqu’un d’autre !
– Un poisson ?
– Un canard plutôt ! Tu trouveras toujours de quoi étayer tes propos en choisissant parmi les oiseaux car à nous tous nous formons un ensemble des plus complets !
– Un canard fera parfaitement l’affaire pour la petite leçon de physique que je vais vous donner ! Imaginez un canard qui se balade sur la Saône en avançant toujours à la vitesse de 2 km/h. Si à ce canard part d’un quai en direction d’un autre à un endroit où la Saône fait exactement 200 mètres de large, nous calculons facilement que ces 200 mètres font 10 fois moins que 2 kilomètres. S’il fait 2 kilomètres en une heure, soit 60 minutes, il mettra 6 minutes pour traverser la Saône en cet endroit. Vous êtes d’accord ?
– Jusqu’ici c’est logique.
– Bien. Maintenant imaginez que la rivière a un courant de 1 km/h. Cela signifie que si Canard reste tranquillement sur l’eau sans rien faire, le courant de la rivière va l’emporter. Si au début de l’expérience il se situe sous la passerelle du palais de justice, une heure après, même s’il s’est endormi sur les flots, il sera en vue de Perrache.
– Ou haché menu par une péniche !
– Une éventualité à ne pas négliger !
– Qui digresse maintenant ? Bon ! On enlève les péniches et tout le toutim ! La rivière est disponible pour Canard !
– On pourrait l’appeler Coin-coin plutôt que Canard ?
– Si tu veux. Réveillons Coin-coin et demandons-lui de revenir vers le quai pour recommencer l’expérience de la traversée mais cette fois avec le courant de 1 km/h. Imaginons que la Saône est plus grosse qu’elle ne l’est en vrai et qu’elle fait exactement 200 mètres de large dans toute sa traversée de Lyon. L’objectif de Coin-coin est de partir de la rive gauche juste au sud de la passerelle et d’aller toucher le quai juste en face.
– Tu veux dire le parking ? Juste en face c’est le parking !
– Oui si tu veux. Coin-coin doit aller toucher le mur du parking puis revenir jusqu’au quai de la rive gauche. L’aller-retour fait en tout 400 m de long mais n’oubliez pas que Coin-coin doit se débrouiller pour contrebalancer l’effet du courant qui l’emporte en aval à la vitesse de 1 km/h. Une solution pour lui consisterait à avancer en biais. S’il va tout droit, c’est-à-dire perpendiculairement au courant, il n’aura pas à avancer plus de 400 mètres pour faire l’aller-retour, donc son parcours durera 12 minutes en tout mais quand il touchera le quai de la rive il aura dérivé constamment en aval à la vitesse de 1 km/h, soit 200 mètres durant ce laps de temps de 12 minutes. Ce qui fait qu’il sera pratiquement au niveau du pont Bonaparte et plus du tout au niveau de la passerelle.
– Ben qu’est-ce qui l’empêche ensuite de nager à contre-courant pour revenir vers la passerelle ?
– Il le peut mais cela va lui prendre du temps. Combien de temps exactement ? Quelqu’un peut faire le calcul ?
– Fastoche ! S’il avance à 2 km/h face à un courant de 1 km/h c’est exactement comme s’il avance à 1 km/h ! Donc s’il fait cela sur 200 mètres cela va lui prendre 12 minutes supplémentaires.
– J’ai une idée ! a dit Aïcha. Il n’a qu’à remonter sur le quai et revenir au point de départ en courant !
– Si on va par là il peut aussi le faire en volant. Mais ce qui nous intéresse c’est de voir ce qui se passe quand Coin-coin avance toujours à la même vitesse sur l’eau. Étudions la réponse de Philémon qui est sur la bonne voie pour comprendre l’expérience d’Albert et Edward. Si à chaque fois que vous avancez de 2 mètres le courant vous ramène 1 mètre en arrière, vous doublez effectivement la distance à parcourir. Nous constatons qu’en allant au plus simple, donc perpendiculairement au courant, Coin-coin revient au point de départ en 24 minutes alors que s’il n’y a pas de courant il fait l’aller-retour en 12 minutes seulement. Ce choix d’avancer perpendiculairement au sens de la rivière est juste le meilleur pour la traverser si on se moque de l’endroit où l’on arrive sur la rive. Mais dans notre exemple, où l’objectif était de lutter contre le courant en restant constamment juste au sud de la passerelle pour toucher le mur en face, Coin-coin a totalement échoué. Certes il est revenu au point de départ comme on le lui avait demandé mais il a en réalité doublé la distance à parcourir. Il est bien mieux pour lui de compenser en permanence le courant en avançant de travers. C’est naturellement ce que ferait n’importe quel être capable de nager ou d’avancer sur l’eau, il regarderait en permanence l’endroit qu’il doit toucher sur la rive et cela le conduirait à nager en biais par rapport au courant. Plus il nage vite par rapport au courant moins il a besoin d’aller de biais. S’il nage moins vite que le courant, il peut encore traverser la rivière mais il lui devient impossible de ne pas dériver en aval. C’est grâce au fameux théorème de Pythagore qu’on peut calculer le temps que mettra Coin-coin pour faire l’aller-retour en avançant de biais par rapport au courant et de la manière la plus efficace qui soit, c’est-à-dire en parcourant le moins de distance possible. En effet il faut bien comprendre qu’aller de biais pour compenser la dérive due au courant, cela revient à allonger la distance. On pourrait aider Coin-coin en tendant une ficelle entre les deux côtés de la rivière qu’il doit rejoindre, s’il essaye de toujours rester en contact avec la ficelle il avancera naturellement en faisant le moins de distance possible. Grâce à la tablette infernale je sais que Coin-coin peut réaliser l’aller-retour en rallongeant la distance de moins de 48 mètres. C’est beaucoup moins que les 200 mètres qu’il a dû faire en plus à la fin de la première expérience et qui équivalaient en réalité à 400 mètres puisqu’il a mis 12 minutes pour les parcourir. Grâce à la fin de la première expérience nous savons donc que remonter le courant fait perdre beaucoup de temps. Ainsi, si au lieu de demander à Coin-coin de traverser la rivière, on lui disait de remonter la rivière de 200 mètres puis de revenir au niveau de la passerelle, il devrait se rendre au niveau du vilain pont Alphonse Juin, ce qui lui prendrait donc 12 minutes rien que pour l’aller. Mais au retour il gagnera du temps car au lieu de lutter contre le courant il sera porté par celui-ci. À l’aller le courant de 1 km/h est contraire au sens du déplacement de Coin-coin qui va à 2 km/h. La vraie vitesse par rapport au quai de Coin-coin est donc de 2 - 1 = 1 km/h. Mais au retour il faut additionner les deux vitesses. Coin-coin bat des palmes toujours de la même manière mais vu du quai il semble aller beaucoup plus vite qu’à l’aller car il va à 2 + 1 = 3 km/h. Est-ce qu’à votre avis le gain de temps du retour permet de compenser la perte de temps de l’aller ?
– Ben oui ! Il a perdu 1km/h à l’aller et a gagné 1km/h au retour !
– C’est à cause de cela que tu crois que l’expérience d’Albert et Edward ne pouvait pas donner le moindre résultat. N’oublie pas que sans courant Coin-coin parcourt 200 mètres en 6 minutes que ce soit dans le sens de la rivière, ou perpendiculairement à la rivière, ou de biais. Avec un courant de 1 km/h il mettra 12 minutes pour faire 200 mètres à contre-courant, donc pour compenser cette perte de temps il faudrait qu’il puisse faire les 200 mètres en sens inverse en zéro seconde. Tu comprends bien que cela va être difficile ?
– Euh… Euh… Attends ! Tu m’embrouilles là !… Normalement le retour compense l’aller… c’est obligé… tu as dû te tromper…
– Philémon ! Cela ne compense pas pour une simple raison : le temps au retour n’est pas assez long pour compenser ! Au retour coin-coin va effectivement aller à 3 km/h par rapport au quai. Donc il parcourra les 200 mètres entre le pont et la passerelle en 4 minutes. Mais à l’aller il est allé à 1 km/h durant 12 minutes donc pour compenser il faudrait qu’il aille à 3 km/h durant 12 minutes aussi ! Alors on ne verra même plus Coin-coin car il aura parcouru 400 mètres de plus et sera derrière le pont Bonaparte ! Or nous on s’intéresse à comparer l’aller-retour vers le parking et celui vers le pont Alphonse Juin ! Notre expérience nous prouve qu’il est plus rapide d’avancer en biais en visant le point directement opposé sur l’autre rive que d’essayer d’avancer réellement à contre-courant. Dans le premier cas l’aller-retour est réalisable en moins de 13 minutes et 30 secondes, dans le second cas il faut 16 minutes. Or tout ce qu’on vient d’imaginer sur la rivière est très similaire à ce qui ce serait passé dans l’expérience d’Albert et Edward si l’éther avait existé !
– Je crois surtout que tu nous embrouilles de plus belle ! Moi tout ce que je vois c’est que Coin-coin bat des palmes toujours à la même vitesse et donc intrinsèquement, s’il y avait un éther, on verrait Coin-coin avoir une vitesse constante dans l’éther tout comme la lumière aurait une vitesse constante dans l’éther et probablement la terre aussi. Tout le reste n’est qu’apparence et Albert et Edward n’étaient pas en mesure de mesurer quoi que ce soit en utilisant des miroirs toujours situés à la même distance les uns des autres !
– Je viens de te prouver le contraire !
– Tu n’as rien prouvé du tout !
– C’est parce que tu refuses de comprendre que ce que cherchaient à voir Edward et Albert c’était justement des différences d’apparences dans les raies lumineuses ! Peut-être que l’exemple de la rivière n’est pas le plus parlant car si Philémon n’a toujours pas compris j’imagine que vous autres non plus.
– Euh… ben… si si. Enfin…
– Moi je crois que j’ai compris… Peut-être…
– Moi je comprends tout mais tu expliques mal ! C’est vrai que la rivière et cette soi-disant machine dans une cave… on voit pas bien le rapport !
– Le rapport c’est que si on remplace Coin-coin par la lumière et l’eau de la rivière par l’éther, on voit bien que même en se déplaçant toujours à la même vitesse entre deux points qui sont toujours espacés de la même distance, la lumière revient moins vite quand on l’envoie dans le sens du déplacement dans l’éther ! Comme on suppose que la lumière va toujours à la même vitesse dans l’éther, un temps plus long équivaut à une distance plus longue ! Or c’est bien à cela qu’Albert et Edward s’attendaient ! À voir s’allonger la distance quand ils enverraient une partie d’un rayon lumineux dans la direction du déplacement de la terre dans l’éther. Cette partie du rayon devait nécessairement revenir moins vite que la partie du rayon envoyée dans la direction perpendiculaire, ce qui aurait montré la direction du déplacement de la terre dans l’éther !
– Mais justement, tout à l’heure avec les ballons d’Odette, tu as dit que c’était la lumière de celui situé devant la terre qui arriverait en premier. Alors maintenant si ce ballon se déplace en même temps et à la même vitesse que la terre dans l’éther, c’est de celui qui est en face d’elle si on considère son déplacement dans l’éther que la lumière arrive en dernier ? Dis-moi si je me trompe ?
– Si tu parles bien d’un aller-retour tu as juste.
– Mais alors dans ce cas je ne comprends pas ce renversement total de situation.
– C’est tout simple Biscotte ! C’est parce que cette fois il est question d’un aller-retour, donc c’est comme si, au lieu d’un ballon lumineux, il y avait à la place un immense miroir vers lequel on enverrait un rayon laser ! Celui-ci serait renvoyé vers la terre et lors du voyage retour, grâce au déplacement de la terre dans l’éther, il irait en apparence plus vite grâce à l’addition de la vitesse de la lumière et de celui de la terre dans l’éther. Mais à l’aller il aurait fallu soustraire la vitesse de la terre à celle de la lumière dans l’éther. Or le temps du voyage aller étant supérieur à celui du retour, l’un ne compense pas l’autre et le rayon lumineux revient moins vite vers la terre que ceux qu’on envoie vers des miroirs situés perpendiculairement au déplacement dans l’éther.
– Ah !… Ah oui ?… D’accord… Oui je vois !
– Évidemment avec de tels miroirs cela aurait été plus facile de faire des mesures mais sur de très courtes distances comme celles dont on peut disposer dans une simple cave, il restait possible d’étudier les interférences, ou plutôt les changements dans les interférences. Alors quand ils ont découvert que ces interférences n’étaient jamais modifiées de manière probante quel que fut le sens dans lequel ils orientaient leur machine, ils ont dû admettre que l’éther n’existait pas et donc que non seulement la lumière avait la particularité surprenante de se déplacer dans le vide, mais qu’en plus elle le faisait toujours à la même vitesse, quelle que fut la vitesse à laquelle se déplaçait l’objet qui l’avait émise ! Ce qui prouve que le vide n’a pas les mêmes propriétés que l’éther et que la notion qu’on vient de créer de vide-éther peut être mise à la poubelle. La constatation de l’absence d’éther était largement incroyable et potentiellement révolutionnaire pour les physiciens de l’époque ! La révolution ne tarda pas à venir d’ailleurs et elle se prénommait Albert elle aussi !
– Très bien Darwin ! On tourne en rond là ! La lumière va toujours à la même vitesse ? En quoi est-ce un problème pour les humains ?
– Le problème c’est que Isaac avait déjà constaté bien auparavant que l’espace ne semblait pas absolu et qu’il était impossible pour un terrien de dire si la pomme avait parcouru zéro centimètre durant son saut droit dans les airs en allant de la main à la main de l’homme à cheval ou bien plusieurs mètres si l’on considérait le déplacement induit par le déplacement du cheval ! Avec la disparition de l’éther tout espoir d’un espace absolu disparaissait aussi.
– Mais non ! Il suffit d’attendre que les fées disposent leur quadrillage lumineux !
– Sans doute Aïcha, sans doute !
– Bon OK Darwin ! La lumière va toujours à la même vitesse ! Ce qu’on savait déjà ! À quel moment as-tu répondu au problème de la distance parcourue par un vaisseau qui a à son bord une horloge au ralenti ? Soit cette chose est juste impossible, ce que je crois, soit Riton va beaucoup plus vite que la lumière de son point de vue ? Choisis ton poison !
– Moi je choisirais bien mon poisson ! J’ai un creux !
– Moi aussi !
– Attendez ! Laissez-moi finir ma démonstration !
– Combien de temps ça va durer encore ?
– Je ne sais pas… sans doute moins d’une heure !… Ou deux.
– Une heure ?! Ah non ! C’est beaucoup trop long ! Abrège !
– Bon ben… Sinon… on a qu’à dire qu’on fait une pause casse-croûte et on se retrouve plus tard pour la suite. D’accord ?
Tout le monde acquiesça.
– N’en profite pas pour aller chercher sur Terre-nette de quoi nous embrouiller Darwin !

Comme de bien entendu le repas des pigeons dura plus longtemps que celui des chats malgré qu’on eut quelques difficultés à partager les maigres quantités trouvées chez mes pourvoyeurs habituels qui comptent pour moi et Grabel depuis qu’ils le voient traîner avec moi, mais pas pour Burbulle et Aïcha qui se nourrissent d’ordinaire sur le très grand bloc. Philémon eut comme à l’ordinaire une facilité déconcertante à se faire ouvrir le Velux de chez lui dans un sens puis dans l’autre, on ne devait pas compter sur lui pour nous ramener quelque chose. Du coup nous nous trouvâmes un long moment dans l’attente du retour de George, qui revint en premier, des quelques moineaux présents, revenus gavés de frites, puis enfin de ce troupeau de pigeons bienheureux et repus :
– Ah vraiment ! J’adore cette bonne femme !
– Parce qu’elle te le rend bien ?
– C’est donnant donnant !
– Ah bon ? Elle te donne des graines, et toi, tu lui donnes quoi ?
– De la beauté, très cher. Au-delà de tout ce qu’elle aurait pu espérer.
– Excellente réponse ! Mais dès lors que dire de MA beauté ?
– Qu’elle ne vaut pas la mienne ! J’ai gagné le concours du quartier figure-toi !
– C’était il y a deux ans P’pa ! Place aux jeunes !
– Vous faites pas d’illusions tas d’emplumés ! Elle ne fait pas cela pour récompenser votre beauté mais pour emmerder les habitants du quartier !
– Toujours le mot sympa Philémon !
– En tout cas moi je me sens d’attaque pour une bonne leçon de physique ! On en était où ?
– Au début de la fin ! Enfin… j’espère.
– Si vous voulez bien accepter les théories des humains au lieu de tout contester, normalement ça devrait aller vite.
– Oh mais nous on veut bien ! Mais visiblement tu ne les comprends pas toi-même ces théories !
– Et à la fin on connaîtra le secret d’Odette ?
– Oui ! Enfin ce n’est qu’une théorie hein ?
– Ah parce qu’en plus t’en es même pas sûr ?
– Non mais là n’est pas la question. Bon. Reprenons ! Est-ce que tout le monde a bien assimilé l’idée d’Isaac qui veut qu’il n’y ait pas de localisation absolue ?
Tout le monde acquiesça, sauf Aïcha :
– C’était quoi déjà ?
– La pomme Aïcha ! Qui semble ne pas avancer d’un pouce ou faire 450 kilomètres selon l’endroit d’où on la voit.
– Ah oui. Je me souviens maintenant. Mais c’est possible ça en vrai ?
– Mais oui Aïcha ! Oui !
– D’accord.
– Bon. Maintenant pensons au temps qui passe. Vous avez l’air tous très étonnés à l’idée que Riton pourrait, entre guillemets, voyager dans le futur. En réalité il est juste en voyage et le temps dans son vaisseau passe moins vite que sur terre. Donc si vous ne croyez pas à cela c’est que vous pensez que le temps s’écoule toujours à la même vitesse pour tout le monde, n’est-ce pas ?
Personne n’affirma le contraire.
– Donc si une pomme a fait plein de bonds dans la main d’un homme assis dans un train qui va de Paris à Lyon en deux heures, celui qui a regardé le train de l’extérieur et l’a vu faire 450 kilomètres dit que la pomme a fait 450 kilomètres en deux heures, c’est donc qu’elle a voyagé à 225 km/h. Pour celui qui a fait bondir la pomme dans sa main sans jamais se lever de son siège la pomme n’a pas bougé et a donc fait 0 km/h. Vous êtes d’accord avec ça ?
– Moi tout ce que je vois c’est que la pomme a fait du 225 km/h par rapport à la terre et du 0 km/h par rapport au train. Donc vu qu’on ne parle pas de la même chose, je ne vois pas quel est le problème ! En fait les deux bonhommes seront parfaitement d’accord que la pomme a fait du 225 km/h ou du 0 km/h quand on leur posera la question car les deux demanderont par rapport à quoi ? Si on leur dit « Par rapport à la terre. » les deux sauront que la pomme est allée de Paris à Lyon puisque l’un a vraisemblablement suivi le train tandis que l’autre est monté dedans à Paris et en est sorti avec sa pomme à Lyon. Si on leur dit « Par rapport au train »…
– Eh ben là ça ne marche pas Philémon !
– Ben si ! Celui qui était assis dans le train sait bien que la pomme n’a pas voyagé dans le train puisqu’il n’a pas quitté son siège, tandis que celui qui a vu le train de l’extérieur il a bien… il a… Bon ben on a qu’à dire que ton train il a des fenêtres et qu’on peut voir ce qui se passe dedans ! De quel droit tu as décidé qu’il n’avait pas de fenêtres ?
– Je n’ai rien décidé du tout ! J’ai juste choisi un cas de figure plausible qui prouve que parfois on ne dispose d’aucune information pour savoir de quelle manière un objet se déplace et donc on ne peut décider qu’à partir de ce qu’on a vu ou pu calculer par déduction. Si l’homme à la pomme a fait des allers-retours en marchant ou en courant dans le train durant tout le voyage, la pomme a pu faire plusieurs kilomètres et aucune personne qui ne peut pas voir ce qui se passe dans le train ne saura calculer sa vitesse réelle !
– Il y a une question que je me pose Darwin .
– Laquelle ?
– Est-ce qu’en l’absence de fenêtre on pourrait quand même faire un trou gros comme la pomme ?
– Dans quel but Biscotte ?
– Ben je me demande depuis tout à l’heure qu’est-ce qui se passe si l’homme dans le train fait passer la pomme par un trou pour la jeter hors du train.
– Eh bien c’est simple ! Dans le train la pomme est tenue par la main du bonhomme. S’il la lâche dans le train elle tombe à ses pieds. S’il en a marre de l’avoir dans le train et qu’il dispose d’un trou pour la mettre dehors, la pomme va tomber vers le sol puisqu’on est sur la terre et que tous les objets sont attirés vers le bas par la gravité. Donc la pomme tombe par-terre mais sur le bord de la voie.
– Oui ça j’avais bien compris qu’elle n’allait pas rester suspendue en l’air ! Mais où va-t-elle tomber sur le bord de la voie ?
– Là Biscotte le calcul risque d’être un peu compliqué. Ce serait beaucoup plus simple si on prenait une pomme que Riton aurait emmenée dans son vaisseau jusqu’au moment où il appuie sur un bouton qui fait sortir la pomme du vaisseau. Imaginez par exemple une pince mécanique qui tient la pomme pour la faire sortir du vaisseau puis qui se contente de desserrer son étreinte. Dans ce cas la pomme va simplement rester à côté du vaisseau. Vu du vaisseau Riton ne la verra pas tomber puisqu’elle est comme le vaisseau dans le vide loin des étoiles et des planètes. Elle continuera à aller à la même vitesse que le vaisseau est dans la même direction que lui tant que Riton n’appuiera pas sur un bouton qui fait accélérer le vaisseau ou lui fait changer de direction. Si sur la terre il n’y avait pas de gravité ce serait un peu le même principe, la pomme resterait à la hauteur du trou et irait à la même vitesse que le train. Sauf que comme il y a de l’air la pomme est ralentie par cet air. Le train aussi est ralenti par l’air mais lui il a un moteur qui tourne en permanence pour lui permettre de garder sa vitesse ; la pomme seule n’a pas de moteur et même sans gravité elle finirait pas être dépassée par le train. Rajoutons la gravité ! La pomme et le train sont tous les deux attirés vers le sol, les physiciens disent que toutes les choses et les êtres qui sont laissés à eux-mêmes aux environs de la terre sont en permanence en train de chuter, sauf que quand ils touchent le sol on ne s’aperçoit plus qu’ils chutent. Le train lui touche déjà le sol mais pas la pomme, donc elle va chuter jusqu’à ce qu’elle touche le sol. Il est presque impossible de savoir où elle va tomber car il faut prendre en compte toutes les résistances qui s’opposent à elle sitôt sortie du train. L’air est plus ou moins dense selon la météo et il peut aussi y avoir du vent qui va freiner ou augmenter sa vitesse. Mais si maintenant on imaginait que la terre est entourée de vide et non pas d’air alors le calcul serait beaucoup plus simple, dans ce cas-là, si on se contente de faire passer la pomme par le trou sans lui donner d’élan particulier, à la sortie du train la pomme aura la même vitesse que le train et elle gardera cette vitesse tant qu’elle n’aura pas touché le sol. Donc quand elle touchera le sol elle se situera toujours à l’aplomb du trou par lequel on l’aura fait sortir du train.
– Hum… c’est intéressant. J’aurais cru qu’elle serait tombée bien derrière le trou si c’est un TGV.
– On pourrait facilement observer cela du toit en étant patient. Il suffit d’attendre qu’un jeune filant à vive allure sur une planche à roulettes finisse de manger son Mc Do. Quand il aura fini son sandwich il va jeter le papier gras par-terre et vous verrez que le papier tombera à côté de la planche à roulettes et non pas derrière. S’il décide de lancer le papier vers l’avant, celui-ci tombera devant la planche à roulettes car les deux vitesses s’additionnent, celle de la planche à roulettes et celle générée par la force du bras du jeune.
– Si on allait au bord du toit pour bien vérifier la théorie ?
– On n’aura sûrement pas longtemps à attendre !
– Surtout si ça marche aussi avec les trottinettes !
– Pour sûr que ça marche avec les trottinettes ! La grande découverte d’Albert…
– Lequel ?
– Le second ! Sa grande découverte c’est que les lois de la physique doivent être les mêmes pour tous, que l’on se déplace à vol d’oiseau, en planche à roulettes ou en trottinette !
– Si ça marche à vol d’oiseau, si vous voulez je peux vous faire une démonstration des lois de la physique sur la tête de Kazelof quand il fera sa promenade demain matin !
– Pas bête mais n’allons pas trop vite en besogne. Imaginons deux humains que les physiciens appellent des observateurs et qui ont observé chacun des vitesses très différentes pour un même objet, à savoir, une pomme. Tout cela marche parfaitement avec n’importe quel objet, du plus petit qu’on puisse trouver à des trucs gros comme des éléphants, voire des paquebots, ou même franchement maousses comme des planètes, des étoiles, des galaxies ou des amas de galaxie ! Tout cela bouge tout le temps mais leur vitesse dépend du point de vue de l’observateur qui lui a tendance à penser que tout bouge sauf lui. Et puis un jour Albert et Edward constatent que la vitesse de la lumière est toujours la même quel que soit le point de vue de l’observateur alors que l’exemple de Coin-coin prouve que cela n’est pas possible !
– Excuse-moi Darwin mais il y a une chose que je ne comprends pas.
– Laquelle Biscotte ?
– Avec l’exemple de Coin-coin nous avons appris que si l’eau ne bouge pas on mesure toujours la même vitesse pour Coin-coin parce qu’il bat toujours des palmes au même rythme. Par contre, si l’eau se déplace, on mesurera une vitesse différente pour Coin-coin selon qu’il va dans le sens de l’eau, ou à contre-sens, ou perpendiculairement au déplacement de l’eau. C’est bien cela ?
– Parfaitement.
– Donc si l’on remplace l’eau par l’éther le raisonnement est le même.
– Oui.
– Mais s’il n’y a pas d’éther. Il n’y a plus de raison de penser qu’on devrait mesurer des vitesses différentes. Si un canard de l’espace se déplace toujours au même rythme entre deux endroits de l’espace qui sont, par exemple, distants de 200 mètres, pourquoi deux observateurs différents devraient mesurer deux vitesses différentes ?
– Euh… Laisse-moi réfléchir à cela...
– Non mais Darwin comprends-moi bien ! Imaginons qu’on a une ficelle longue de 200 mètres et qu’on la tend dans l’espace. Si on va d’un bout à l’autre de la ficelle en prenant toujours le même élan au départ, on peut bien tendre la ficelle dans tous les sens, que ce soit à un endroit situé entre la terre et la lune, ou entre Vénus et le soleil, peu importe l’endroit et la direction par rapport à tous les objets qu’on voit bouger au loin, 200 mètres c’est 200 mètres dans le vide et si le canard de l’espace peut décompter dans sa tête les secondes aussi bien qu’un chronomètre humain il tombera toujours sur le même nombre. Et nous si on regarde le canard de l’espace aller d’un bout à l’autre de la ficelle on tombera aussi sur le même nombre ! Puisqu’il n’y a pas d’éther l’anomalie ce serait plutôt de mesurer un temps de parcours différent. Alors je ne comprends pas pourquoi cela a autant étonné Albert et Edward ?
– Parce qu’ils croyaient fortement à l’existence de l’éther.
– Mais si leur expérience a prouvé que celui-ci n’existait pas ? Pourquoi n’en déduit-on pas qu’il est normal que la lumière mette toujours le même temps pour aller entre deux points qui sont toujours séparés de la même distance ? Or dans leur cave les miroirs étaient bien toujours à la même distance n’est-ce pas ?
– Oui. Il me semble que oui.
– Donc sans éther aucune raison de mesurer des vitesses différentes.
– Oui mais… C’est que… Tu oublies la pomme !
– Quel rapport avec la pomme ?
– Avec la pomme on a eu la preuve que deux observateurs différents devaient mesurer deux vitesses différentes pour un même objet selon le point de vue.
– Oui mais quel rapport avec Albert et Edward qui eux étaient dans leur cave à regarder leur machine ? Tu ne vas pas nous dire que l’un des deux a voyagé dans la machine au côté des rayons de lumière tout de même !
– Non. Bien sûr que non ! Peut-être qu’en fait Albert et Edward ont juste prouvé que l’éther n’existait pas et qu’ensuite d’autres expériences dont je n’ai pas entendu parler ont mis en évidence les incohérences des croyances que les physiciens de l’époque avaient. Dans l’expérience de la pomme dans le train on apprend qu’un objet peut sembler avoir plusieurs vitesses différentes selon le point de vue. Donc les gens pensaient que cela devait être la même chose avec la lumière.
– Pourquoi ?
– Parce qu’il n’y a à priori pas de raison de penser que la lumière n’obéit pas aux même lois que les objets.
– Pourquoi devrait-on penser que la lumière obéit aux même lois que les objets. Cela n’a rien à voir.
– Ben si ! Le son ce n’est pas un objet et pourtant cela obéit aux mêmes lois que les objets !
– T’es sûr ?
– Oui !… Enfin… je crois.
– Tu crois donc tu n’es pas sûr !
– Enfin non. C’est un mauvais exemple !
– Au contraire c’est donc sûrement un très bon exemple. a dit Biscuit. S’il prouve que tu as tort !
– Non mais c’est juste qu’on ne peut pas comparer avec la pomme ! La pomme qui monte dans le train à Paris arrive à Lyon avec le train mais si le bonhomme à la pomme se met à crier à Paris, personne à Lyon n’entendra ce qu’il a dit.
– Eh bien il suffit d’imaginer qu’il puisse crier très très fort ! Le son va sortir de sa bouche et il ira dans l’air jusqu’à Lyon. Arrivera-t-il avant le train ?
– Oui très probablement. Mais la vitesse du son, même si on ne considère son déplacement que dans l’air, c’est très variable selon la météo.
– D’accord mais si on fait abstraction de la météo ; imaginons un silence absolu sur la terre de sorte que sur toute la terre tout le monde finisse par entendre la très grosse voix de l’homme à la pomme quand il parle. Imaginons que je suis avec lui dans le train. Le train est à quai à la gare de Paris. Il fait 300 mètres de long, je suis à l’avant du train et le bonhomme à la pomme à l’arrière. S’il dit quelque chose je vais l’entendre une seconde plus tard n’est-ce pas ?
– Un peu moins. La valeur normale pour le son à une température normale et au niveau de la mer est admise à 340 mètres par seconde. Mais on a coutume de dire que le son fait 1.000 mètres toutes les 3 secondes.
– D’accord. Alors disons que le train fait 333 mètres de long et qu’il faut une seconde au son pour aller du bonhomme à la pomme jusqu’à moi. Dans ce cas si vous êtes restés à Lyon vous entendrez la voix du bonhomme à la pomme bien après moi puisque vous êtes à 450 kilomètres du train.
– Oui. Laisse-moi calculer cha !… À peu près 1.350 secondes après que le bonhomme à la pomme aura parlé. Un peu plus de vingt-deux minutes.
– Bien. Maintenant admettons que le train va à 300 km/h. Est-ce que quand le bonhomme à la pomme parle je l’entends toujours une seconde après ?
– Bonne question. Ben… J’imagine que oui.
– Et tu crois que ça change quelque chose si c’est moi qui suis à l’arrière du train et lui à l’avant ?
– Euh… J’imagine que non. Quelqu’un a déjà pris le train ?
– Oui moi ! a dit Philémon. Et c’était assez pénible !
– Parce qu’on entendait le son différemment ?
– Non ! Parce que j’étais dans une minuscule boite en plastique ! Mais je peux vous assurer qu’on entend les voix des humains tout pareil que dans un appartement !
– Mais est-ce que vous à Lyon vous entendrez la voix du bonhomme à la pomme différemment ?
– Oui ! Cela s’appelle l’effet Doppler Biscotte ! On expérimente cela tous les jours ! Il suffit d’écouter les sirènes des voitures de police ! On ne les entend pas pareil quand elles s’approchent et quand elles s’éloignent ! Le son est une onde, donc c’est comme une vague avec des sommets et des creux. Si celui qui émet le son se rapproche de nous, il y a plus de sommets et de creux qui arrivent jusqu’à nous en une seconde et cela modifie le son. Cela ne signifie pas qu’on ne comprendra pas ce que dit le bonhomme à la pomme s’il parle vraiment très fort. D’après l’expérience de Philémon dans le train, le son n’y est pas modifié, ce à quoi je m’attendais puisque les êtres qui émettent des sons dans le train ne s’éloignent pas les uns des autres ou alors très peu et doucement. Tout cela prouve que selon l’endroit d’où on entend un son, il y a des différences liées au mouvement relatif de celui qui émet le son par rapport à celui qui le reçoit. Donc le son se comporte comme un objet normal.
– Je ne crois pas que cela soit tout à fait comparable avec la pomme. Il est sûrement vrai que ceux qui sont restés à Lyon entendront le son différemment, mais commenceront-ils à l’entendre plus tôt ?
– C’est-à-dire ?
– Faut-il ajouter la vitesse du train à celle du son ?
– Ah ! Bonne question… Eh bien j’imagine que s’il y a un effet Doppler c’est justement parce qu’il ne faut pas ajouter la vitesse du train à celle du son… Ou bien est-ce le contraire ? Réfléchissons !
– Rien à voir mon pauvre Darwin ! L’effet Doppler c’est juste parce que le son est émis d’un endroit qui est de plus en plus près ou de plus en plus loin. Cela ne dit rien de la vitesse à laquelle il se déplace dans l’air.
– Hum… C’est juste Philémon. Prenons plutôt l’exemple des avions de chasse qui arrivent, je crois, à rattraper puis dépasser leur propre son. C’est donc que le son ne va pas plus vite quand l’avion va plus vite.
– Ce n’est pas une preuve mon pauvre Darwin ! Peut-être que le son qu’ils rattrapent c’est le son qu’ils ont émis avant d’aller vite. Peut-être que le son qu’ils émettent quand ils dépassent la vitesse du son, ils ne le rattrapent jamais !
– Hum… Dans ce cas je ne crois pas qu’il y aurait jamais eu un problème de mur du son, qui à une époque apparaissait presque infranchissable. S’il y a un mur c’est que l’avion rattrape tout un tas d’ondes en même temps et non pas les unes après les autres comme ce serait le cas si ce que tu dis était vrai. Alors j’en conclus que non, le son ne va pas plus vite quand il est émis par un objet ou un être en mouvement !
– Well. Je crois que je peux aider. J’ai déjà croisé ces avions très très rapides lors de mes voyages. Cela fait beaucoup peur. Et je peux vous assurer que l’avion arrive bien avant le son de l’avion, tellement qu’il est difficile de savoir où est l’avion dans le ciel.
– C’est bien la preuve que le son n’est pas comme une pomme ou un bout de papier. Sa vitesse ne dépend pas de la vitesse de l’objet ou de l’être qui émet le son. Et la lumière c’est donc pareil Darwin ! Quoi d’anormal à cela ?
– Vu sous cet angle. Hum… Laissez-moi réfléchir !
– Pendant que tu y es dis-nous si les humains avaient déjà été dans l’espace au temps d’Albert et Edward ?
– Non, c’était bien après.
– Alors à l’époque ils croyaient que l’espace était plein d’éther ?
– Oui.
– Mais pourquoi pensaient-ils que l’éther était partout ? Comment l’éther aurait pu être aussi à la surface de la terre là où il y a déjà de l’air et de l’eau ?
– Ben… En fait je ne sais pas s’ils pensaient vraiment cela.
– Mais si puisque l’expérience d’Albert et Edward consistait à faire une mesure du déplacement de la lumière dans l’éther ! Donc pas dans l’eau ni dans l’air. Et donc comment pouvaient-ils savoir que dans l’espace la lumière aurait la même vitesse que dans l’air ou dans l’eau s’ils n’étaient jamais allés dans l’espace ? L’éther aurait bien pu exister dans l’espace mais pas à la surface de la terre. Et puis une fois qu’ils sont allés dans l’espace ils ont vu qu’il y avait du vide n’est-ce pas ?
– C’est beaucoup de questions à la fois Biscotte. Mais effectivement je crois qu’ils estiment que l’espace est globalement fait de vide, c’est-à-dire qu’on y trouve très peu de matière faite de particules, d’atomes, de molécules.
– Mais c’est sûr ça ?
– Écoute… Je ne sais pas.
– Mais dans ce cas cela veut dire que les planètes et les étoiles se déplacent dans le vide. Alors pourquoi ça les a étonnés de voir que la lumière se déplaçait dans le vide ?
– Parce que la lumière est faite d’ondes et que les autres ondes qu’ils connaissaient avaient besoin de matière pour se déplacer. Comme les vagues ont besoin d’eau ou comme le son a besoin de faire vibrer l’air, ou l’eau, ou de la terre, du métal… le son a plein de possibilités !
– Pour ta gouverne Darwin, la terre aussi peut faire des vagues !
– Je sais Philémon. Il n’empêche que les ondes semblaient avoir besoin de matière et il n’y avait pas de raison qu’il en alla autrement pour la lumière.
– Résumons-nous Darwin ! Si Coin-coin se déplace sur l’eau immobile, tout le monde voit qu’il fait toujours un aller-retour de 400m à la même vitesse, quelle que soit la direction. Si l’eau se déplace sous Coin-coin, on ne mesure pas la même durée de parcours selon la direction de l’aller-retour, pourtant on peut croire que c’est toujours la même distance. C’est comme si dans l’espace il y avait une matière comme l’éther et qu’on envoyait un rayon lumineux qui se déplace dans l’éther vers un miroir puis revient vers nous. Si la lumière, la terre et le miroir se déplacent tous dans le même sens par rapport à l’éther, c’est comme si la distance entre la terre et le miroir s’agrandissait alors qu’il n’en est rien, tout comme le pont Alphonse Juin est toujours à la même distance de la passerelle. S’il n’y a pas d’éther on ne peut plus mesurer le déplacement par rapport à lui, donc c’est comme si l’eau ne bougeait pas sous Coin-coin, son déplacement semble toujours se faire à la même vitesse. Il n’y a donc pas de raison de croire qu’il puisse en aller autrement avec la lumière, elle doit faire l’aller-retour vers le miroir toujours à la même vitesse, que le miroir soit sur les côtés, derrière ou devant la terre si on considère sa marche autour du soleil, car le déplacement de la terre n’a rien à voir là-dedans tant que le miroir se déplace dans le même mouvement. Arrête-moi si je me trompe !
– Euh… Laisse-moi réfléchir !
– Par contre, si on envoie une fusée de la terre vers le miroir, elle aura la vitesse que ses moteurs lui permettent d’atteindre, plus la vitesse de la terre dans l’espace. Mais comme l’espace est vide, la terre n’a pas vraiment de vitesse absolue dans l’espace, elle a juste des déplacements relatifs par rapport aux autres planètes, au soleil ou aux autres étoiles. J’ai juste ?
– Oui, il me semble.
– Alors si on ne tient pas compte de la gravité, la fusée qui va toujours à la même vitesse par rapport à la terre devrait se comporter comme la lumière, si elle doit faire un aller-retour entre la terre et le miroir elle fera le retour à la même vitesse que l’aller !
– Euh… Ce n’est peut-être pas aussi simple.
– Alors imaginons qu’on tend une immense corde n’importe où dans l’espace. Tant que cette corde est tendue on sait que les deux bouts sont à la même distance n’est-ce pas ?
– Oui, ça je pense que c’est vraiment le cas.
– Alors dans ce cas, si c’est la lumière qui se déplace le long de la corde, elle va à la même vitesse quel que soit le bout de la corde duquel elle part et elle fait le trajet dans le même laps de temps ?
– Oui. J’imagine que oui.
– Et si c’est un canard de l’espace qui fait le trajet le long de la corde c’est exactement pareil ! Il n’y a pas de raison de croire qu’il ira plus vite dans un sens que dans l’autre quelle que soit l’orientation de la corde par rapport à la terre, au soleil ou aux galaxies tant que les effets de la gravité peuvent être négligés.
– Euh… Laisse-moi réfléchir !
– Vas-y Biscotte ! Il est dans les cordes !
– Donc si j’ai raison, pas d’éther égal pas de problème ! On peut parfaitement calculer des vitesses absolues sur lesquelles tous les observateurs sont d’accord ! La vitesse absolue c’est le temps qu’on met pour aller d’un bout à l’autre de la corde divisée par la longueur de la corde ! Et si la corde fait 300.000 kilomètres de long, la lumière va d’un bout à l’autre en une seconde… et le canard de l’espace en beaucoup plus de temps s’il fait du 2 km/h. Ainsi dans un espace vide il n’y a même pas de différence entre la lumière et les objets !
– Il subsistera toujours une différence Biscotte et elle est fondamentale.
– Laquelle ?
– Si durant son voyage le long de la corde le canard de l’espace recrache un petit poisson de l’espace qu’il a avalé, ce petit poisson de l’espace arrivera avant le canard de l’espace au bout de la corde car il ira à la vitesse du canard de l’espace plus la vitesse qu’il avait en sortant du bec du canard de l’espace. Par contre si le canard de l’espace a avalé une boule de lumière et qu’il ouvre le bec une fraction de seconde, de sorte qu’un éclat lumineux s’en échappe, cet éclat formera une onde qui se déplacera à 300.000 km/s et non pas à 300.000 km/s plus 2 km/h ! C’est cela que l’expérience d’Albert et Edward a mis en évidence : la constance de la vitesse de la lumière qui est donc indépendante de la vitesse de la source de la lumière ; car dans mon exemple le canard de l’espace est bien la source de la lumière et comme il se déplace le long de la corde, il a une vitesse calculable par rapport à la corde. Tout comme le poisson de l’espace à une vitesse calculable par rapport au canard de l’espace. Mais il a aussi une vitesse calculable par rapport à la corde, et cela suffit à dire qu’il s’agit de deux points de vue différents ! Deux distances différentes ou deux vitesses différentes pour un même objet c’est égal à deux points de vue différents ! Or pour la lumière on ne peut pas calculer deux vitesses différentes !
– Peut-être mais l’expérience d’Albert et Edward n’a certainement pas pu mettre en évidence une différence entre les objets et la lumière mon pauvre Darwin ! Elle a juste prouvé qu’il n’y avait pas d’éther sur la terre ! Donc quand ont-ils appris que la lumière avait toujours la même vitesse gros malin ?
– Écoute ! D’après le petit livre jaune quand il est devenu clair que l’éther n’existait pas alors les physiciens se sont dit : « Mince alors ! Toutes nos équations sont fausses ! » Et c’est un peu plus tard que Albert le second est arrivé en disant : « Aucun problème les copains ! Il suffit de considérer que le temps n’est pas absolu pour retrouver des équations qui ont des solutions ! » Et c’est depuis ce temps-là qu’il est possible de voyager dans le futur en allant suffisamment vite pour que le temps s’écoule plus doucement que sur la terre. Et cette donnée est tout simplement incontestable !
– Pourquoi ?
– Parce que c’est Albert le second, un des plus grands physiciens de tous les temps qui l’a dit et que depuis personne n’a pu prouver qu’il avait tort !
– Mais peut-être que sa théorie est moins solide qu’on ne le pense et que demain quelqu’un prouvera qu’il avait tort !
– Écoutez ! C’est une théorie vraiment vraiment vraiment très solide ! Parce qu’elle ne dit pas simplement : « Voici ce que nous avons constaté ! » Elle dit aussi : «  Si nous mettons deux horloges identiques, l’une dans la pièce d’à-côté et l’autre dans un avion qui va à telle vitesse et à telle altitude, au bout de tant de temps le décalage des deux horloges sera de tant de millièmes de seconde ! » Et s’ils font l’expérience à différentes altitudes et différentes vitesses, les humains découvrent que les prévisions qu’ils ont faites grâce à la théorie donnent toujours le bon chiffre concernant le décalage des deux horloges ! Voilà un truc presque imparable quoi que vous en pensiez !
Je pensais avoir mouché toute l’assistance avec cet argument imparable de la théorie imparable mais après un petit silence Biscotte revint à la charge :
– C’est bien beau tout ça Darwin mais moi je crois comme Philémon que c’est encore une confusion entre vitesse de la lumière et calcul de la vitesse de la lumière !
– On vient de dire que la lumière allait toujours à la même vitesse ! Donc l’erreur de calcul est encore moins possible que pour les objets !
– Justement !
– Mais à la fin vous allez admettre l’évidence ? Isaac a prouvé qu’il n’y avait pas d’espace absolu parce que deux observateurs différents ne sont pas d’accord sur la distance qu’a parcouru la pomme. Par contre ils sont d’accord sur le temps de parcours. Donc ils ne sont pas d’accord sur la vitesse de la pomme !
– Oui ben ça on avait compris !
– Bien. Prenez maintenant le cas de la lumière où tous les observateurs calculent qu’elle va toujours à la même vitesse ! Sauf que comme ils ne sont pas d’accord sur la distance qu’elle parcourt, la conclusion s’impose d’elle-même et c’est Albert le second qui l’a mise en évidence : si deux choses qui vont à la même vitesse ne parcourent pas la même distance durant un même laps de temps, c’est que ce laps de temps n’est le même qu’en apparence, en réalité la chose qui a parcouru une plus grande distance qu’une autre qui va à la même vitesse, elle n’a pu le faire que parce que le temps s’est écoulé moins vite pour elle !
– Mais là on ne parle pas de deux choses différentes mais d’une même chose : la lumière ! Comment la lumière pourrait avoir un parcours différent de la lumière ?
– Mais c’est juste une question de point de vue bon sang !
– Mais c’est toi Darwin qui ne comprend pas qu’il ne peut pas y avoir différents points de vue sur la distance que parcourt la lumière !
– Si ! Bien sûr qu’il y a différents points de vue !
– Si on tend une corde de 300.000 km de long, tout le monde voit bien qu’elle va d’un bout à l’autre en une seconde !
– Ah bon ? Et alors si je me mets à un bout de la corde et que j’attends qu’un éclat de lumière sorte du bec du canard de l’espace ! Je reçois l’éclat de lumière une seconde après mais je ne risque pas de le savoir ! Pour moi cela sera comme instantané !
– Oh l’autre hé ! Oh le gros malin ! Dans ce cas-là tu n’as rien calculé alors tu n’aurais pas le toupet de dire que la lumière va à 300.000 kilomètres par seconde ! Donne-nous un exemple de deux observateurs capables de calculer une même vitesse mais une distance différente pour la lumière sur un même laps de temps apparent ! Un truc qui marche, pas une astuce de gros malin !
– Bon d’accord. Imaginons que je me trouve à égale distance des deux bouts de la corde du canard de l’espace, par exemple à 300.000 kilomètres de chaque bout. L’éclat de lumière sort de son bec et il parvient au bout de la corde en une seconde, exactement au même instant il me parvient. Pour moi c’est le signe que l’évènement « voyage de la lumière le long de la corde » a commencé. Si au bout de la corde il y a un miroir qui me renvoie une partie de l’éclat de lumière, je recevrai cette lumière encore une seconde après, ce qui sera pour moi le signe que le voyage de la lumière le long de la corde s’est terminé. De mon point de vue ce voyage a duré en tout une seconde. Maintenant imaginons qu’au lieu d’être à 300.000 kilomètres de chaque bout, je sois à 450.000 kilomètres du début de la corde et à 300.000 kilomètres de la fin de la corde. Il faudra une seconde et demi pour que l’éclat de lumière sorti du bec du canard de l’espace m’atteigne, à cet instant je me dirai que le voyage de la lumière a commencé. Sauf qu’à cet instant l’éclat de lumière aura déjà rebondi sur le miroir du bout de la corde et ne sera plus qu’à 150 000 kilomètres de moi, il m’atteindra seulement une demi-seconde plus tard. Donc en tout j’aurai l’impression que le voyage de la lumière n’a duré qu’une demi-seconde alors que je sais qu’elle a parcouru 300.000 kilomètres si je connais la longueur de la corde !
– C’est ta démonstration ?
– Oui.
– C’est nul !
– Je crois aussi qu’il s’agit d’une nouvelle variante de la même astuce Darwin ! Tout ce que je vois dans ce cas-là c’est que tu mesures une vitesse de 600.000 km/s ! Tout le contraire de ce que tu entends prouver, à savoir qu’on mesure toujours une vitesse de 300.000 km/s. Nous ce qu’on veut c’est un exemple où tu mesures une vitesse de 300.000 km/s mais une distance différente durant un même laps de temps ! Or comment on pourrait mesurer une vitesse si on ne connaît pas la distance ?
– Euh… Laissez-moi réfléchir ! Mais vraiment là, s’il vous plaît !
– A ta guise.


– Rrrrrrrrrrrrrrr
– Burbulle ! Tu ronfles !
– Rrrrr… Hein ?…
– Tu ronfles ! J’ai besoin de me concentrer alors ronfle en silence !
– Excusez-moi !
– À la réflexion… C’est forcément une question de vitesse relative. Comme dans l’expérience d’Albert et Edward on mesure là même vitesse là où on s’attendait à mesurer deux vitesses différentes parce que dans un cas on a une vitesse relative et dans l’autre non !
– Mais nous on ne comprend justement pas pourquoi s’attendre à deux vitesses différentes s’il n’y a pas d’éther ! Au contraire ! S’ils avaient supposé que l’éther existât forcément malgré des mesures tendant à prouver le contraire, ils auraient dû en conclure que c’est le temps lui-même qui faisait des siennes. Non ?
– Je ne sais pas… Je ne sais plus, désolé. J’abdique !
– Tu abdiques ? Vraiment ? Tu nous donnes raison ?
– Si vous voulez.
L’acclamation fut générale.
– Ne vous emballez pas ! J’abdique seulement à essayer de vous faire comprendre mais je sais que vous avez tort. C’est juste qu’on a mal compris quelque chose dans le petit livre jaune.
– Parle pour toi ! On l’a même pas lu !
– Je vous en ferai lecture quand la fée Odette sera revenue et que je pourrais de nouveau aller dans l’appartement de Grabelot. Et alors vous serez forcément obligés d’admettre ces choses écrites noir sur blanc !
– Ou pas.
– Vous ne pouvez pas lutter contre Albert le second !
– Sans doute mais peut-être que ce que dit Albert le second n’a pas grand-chose à voir avec l’expérience d’Albert le premier.
– Il est fait état des deux dans le même chapitre ! C’est forcément lié !
– Alors ça se finit comme ça ? Et ta promesse alors ?
– Quelle promesse ?
– Celle de nous en dire plus sur la longévité des fées ! Moi c’est pour apprendre ça que je suis restée jusqu’à la fin !
– Eh bien si vous ne croyez pas que Riton peut voyager dans le futur, vous n’allez sûrement pas croire ma théorie sur la longévité des fées.
– Dis toujours !
– Eh bien je me suis dit qu’en fait, la fée Odette, elle est souvent loin de notre vue, n’est-ce pas ?
– Je croyais que vous aviez fait plein d’aventures ensemble.
– Oui certes, mais j’ai quand même passé beaucoup plus de temps à dormir dans ma vie qu’à fréquenter Odette.
– Et alors ?
– Alors si ça se trouve, durant tout le temps où on ne la voit pas, Odette est en fait en train de voyager à la vitesse de la lumière dans l’espace. Ce qui fait que tout ce temps est comme instantané pour elle selon la théorie d’Albert le second.
– On était d’accord pour dire qu’on ne pouvait pas voyager à la vitesse de la lumière.
– Sauf si les fées ont une masse nulle.
– Elle a l’air d’avoir une masse nulle ?
– Peut-être qu’elle sait masquer le fait qu’elle a une masse nulle. Du coup si elle passe le plus clair de son temps à voyager, d’une certaine façon, vers le futur, elle peut voir défiler les millénaires comme ça !
– Non je ne crois pas !
– Pourquoi pas ?
– D’abord parce que c’est encore une position très égocentrique de ta part, gros malin ! En supposant cela tu supposes que quand elle n’est pas avec toi, elle ne fait rien qu’un voyage dans l’espace.
– C’est peut-être ce qui lui plaît le plus.
– Alors comment tu expliquerais tous les autres chats, oiseaux, rats ou chiens qu’elle connaît ? Sans compter son humaine avec qui elle passe sans doute plus de temps qu’avec toi. Pour moi si les fées vivent longtemps c’est pour une raison beaucoup plus simple !
– Laquelle ?
– Les fées vivent longtemps parce qu’elles vivent longtemps !
– Euh…
– Cherche pas plus loin Darwin ! D’ailleurs je ne vois pas quel intérêt il y aurait à voyager à fond pour stopper le temps.
– Ben pour aller dans le futur.
– D’accord. Alors supposons qu’au lieu d’aller faire dix fois le tour du système solaire le vaisseau de Riton fasse des tours de la terre. Supposons par exemple qu’il est à une distance qui lui permet de faire un tour de la terre chaque seconde. Et toutes les secondes il passe à l’aplomb de Lyon et la fée Odette lui envoie une photo de nous qui passe sur son écran de contrôle. Alors il nous voit en train de dormir, ou de bavarder, ou de manger sa part de farcie…
– Ah non alors ! Sinon ça va chier !
– Et qu’est-ce que tu vas faire coincé dans ton vaisseau gros malin ? Donc voilà ! Durant des heures Riton voit comme nous on passe du bon temps sur la terre tandis que lui n’a rien d’autre à faire que de regarder nos photos défiler. Et puis un moment son voyage est censé se terminer et lui revenir avec l’air d’être resté jeune ; sauf que cet emplumé se trompe de bouton et crashe son vaisseau !
– Pourquoi veux-tu que je me trompe ?
– Parce que t’es qu’un emplumé ! Et pour la peine te voilà cané, peut-être avant tout le monde, sans même avoir profité de tous ces bons moments que nous on aura passés sans toi !
– J’hérite de sa farcie alors ?
– Non moi ! Qui d’autre ?
– Si c’est comme ça j’y vais pas dans le vaisseau !
– Si Odette ne revient pas, faites une croix sur la farcie !
– Si c’est comme ça j’y vais dans le vaisseau !
– Non moi !
– Moi plutôt ! Qui d’autre ?

Bon. Voilà comment s’est plus ou moins achevée cette histoire inachevée de l’espace. Depuis, comme vous le savez, Odette est revenue et on a tout de même reparlé d’espace et d’étoiles surtout après que j’ai fait une lecture du petit livre jaune à toute cette assemblée de tarés. Le résultat ne fut pas à la hauteur de mes espérances, j’ai l’impression de comprendre de moins en moins de quoi il retourne. Je me console en sachant que c’est pareil pour bien des humains.

Ah ben chalut !

Darwin.

20 octobre 2019

Le retour de Mr Réqual

Chalut !

 

Je reviens une nouvelle fois sur les entretiens citoyens de Loulou Léonard concernant les déplacements urbains. En piratant à nouveau son ordinateur Odette a trouvé un fichier plus récent qui semble quelque peu clôturer le dossier ; à moins qu’il n’y ait une nouvelle suite. Voici donc la retranscription d’un enregistrement des conversations ayant eu lieu dans le bureau de Loulou Léonard à la fin du mois de septembre 2019

 

« « « 

Oui Allô !

Loulou ? J’ai monsieur Réqual au bout du fil, vous vous souvenez ?

Difficile de l’oublier. Qu’est-ce qu’il veut ?

Juste vous parler. Il a juré que ce ne serait pas long.

Ok ! Passez-le moi !

Allô !

Allô ? Monsieur Léonard ?

En personne !

Monsieur Réqual ! Vous vous souvenez ?

Parfaitement. Comment allez-vous ?

Cela pourrait être pire ! Et vous-même ? J’ai le plaisir de constater que vous n’êtes toujours pas mort de honte !

Pourquoi serais-je mort de honte ?

Pour votre inaction chronique dans la guerre des trottinettes !

Qu’est-ce que vous voulez que j’y fasse ? Cette mode passera, voilà tout !

Voilà tout, voilà tout ! Cela vous écorcherait d’admettre que j’avais raison ?

Je ne pense toujours pas que vous aviez raison.

Bon sang ! Quel aveuglement ! Figurez-vous que je me suis un peu renseigné depuis le début de l’année ! Non seulement ces boites de trottinettes à la con nous pourrissent la vie mais en plus, comme je le soupçonnais, ce sont des escrocs ! Vous les laissez faire et en n’agissant pas vous vous rendez complice d’un système que vous dénoncez par ailleurs ! J’ai entendu parler de votre intervention à l’université d’été du JECLER mais visiblement il y a loin de la parole aux actes.

Je ne vois pas le rapport ! Je n’ai même pas mentionné le mot trottinette !

Vous auriez pu ! Et si vous vous intéressiez à cela de plus près vous sauriez que c’est tout à fait dans votre propos ! Figurez-vous que tout ceci n’est qu’une martingale géante orchestrée par des requins de la finance !

Une martingale ? Expliquez-moi cela !

J’ai lu un très bon article qui montrait que les boites de trottinettes ne sont absolument pas en train d’imaginer un mode de transport pour le développement durable ! Elles sont là pour pigeonner de petits actionnaires qui miroitent de gros profits !

Rien que cela ? Cela sonne un peu trop théorie du complot à mon oreille.

C’est pourtant une évidence ! Aucune boite ne va gagner de l’argent en louant des trottinettes qui sont démolies en moins de deux ou finissent dans les fleuves ! C’est un matériel absolument impossible à amortir au prix où il est loué.

Je trouve le prix assez cher.

Il faudrait qu’il le soit encore plus et cela annihilerait leur caractère attractif ! Donc ces entreprises savaient dès le départ que cela serait un business non rentable !

Pas nécessairement. Qui pouvait prévoir que la citoyenneté était tombée à un niveau si bas ?

Qui pouvait le prévoir ? Mais tout le monde sauf vous pardi ! Tout ! Absolument tout ce que j’ai prédit à propos des trottinettes est advenu ou adviendra mais seuls vous les politiques faites mine de ne rien voir ! Soit vous êtes complètement à la rue, soit vous êtes complice de cette gabegie ! A mon avis c’est un mélange des deux !

Si vous le dites.

Sachez monsieur le député qu’une fois que ces entreprises auront levé assez de fonds, elles mettront la clé sous la porte et mettront à la benne toutes les trottinettes qui n’ont pas été déjà démolies ou noyées ! Ah ben y a de quoi être fier d’avoir laissé faire cela !

Je veux bien croire que cette activité ne soit jamais rentable vu la casse mais expliquez-moi comment cela mérite d’être appelé une martingale… enfin, j’imagine que vous sous-entendez derrière ce terme une forme d’arnaque.

Parfaitement ! On vend le concept comme une technologie d’avenir alors qu’elle n’en a aucun et cela permet d’appâter une proportion de tous les abrutis de cette terre qui croient qu’on peut gagner des fortunes sans rien faire et sans user un seul de ses neurones ! Ce principe est vieux comme les sociétés par action ! Le business s’enflamme comme une traînée de poudre, en une année vous passez de presque aucune à des centaines de milliers de trottinettes dans les rues. Un business florissant ! Tous les cons veulent en croquer et achètent des actions. Les actions montent et montent et montent, ceux qui ont mis les actions sur le marché les vendent juste avant la faillite de l’activité ! C’est le jackpot pour eux ! Ceux qui ont acheté au prix fort posséderont des actions qui se casseront la gueule. Quand elles seront au plus bas ceux qui les ont mises sur le marché les rachèteront. C’est le monde d’aujourd’hui ! Physiquement les activités d’une entreprise peuvent disparaître par manque de rentabilité mais la holding financière qui possède ses actions s’est enrichie et peut se propulser vers une nouvelle arnaque.

Sans être un expert en bourse il me semble que vous me décrivez plus le monde du 19ème siècle que le monde d’aujourd’hui ! Franchement ? Qui aujourd’hui se précipite sur les actions d’une entreprise qui lance un nouveau concept ? N’importe quelle personne qui a quelques sous à miser en bourse passe par une société qui gère un portefeuille en minimisant les risques ! La quasi-totalité des petits investisseurs gagne ce que l’évolution du marché global permet de gagner, ce qui sur le long terme est plutôt un très bon calcul car malgré les crises les marchés remontent toujours plus hauts qu’ils n’ont jamais été. C’est bien pour cela que la tendance est à l’enrichissement de ceux qui ont du capital et à l’appauvrissement de ceux qui n’ont que leur travail ! Mais des petits actionnaires ruinés par un coup de martingale, vous en connaissez beaucoup ? Franchement ?

Parce que le Bitcoin c’en n’est pas une ?

Je ne le sais toujours pas.

N’empêche que ce sentiment qu’on peut gagner beaucoup avec rien, il s’incarne totalement dans cet attrait pour le Bitcoin.

Peut-être mais je n’ai entendu personne venir pleurer à propos d’actions d’entreprises de trottinettes. Au pire oui, c’est peut-être un moyen de lever rapidement des fonds, mais cela ne signifie pas que c’est dans l’idée de vendre ces actions au plus haut pour arnaquer les derniers acheteurs. J’imagine plus que c’est pour avoir un capital suffisant qui permettra de se lancer dans une nouvelle activité plus difficile à mettre en œuvre mais plus pérenne. Au final aucun boursicoteur ne sera perdant, pas d’arnaque donc.

Peut-être ! Mais qui vous dit que de très gros fonds d’investissement ne perdent pas parfois des millions de dollars sur des paris de ce genre qu’ils ont mal évalués. Ils perdent ces paris et en gagnent d’autres, donc globalement cela ne ressemble pas à un krach mais le fait est que des plus malins auront réussi entre temps à récupérer des sommes confortables en montant des business voués à disparaître !

Vous venez de dire que seuls des imbéciles de politiques ne pouvaient pas s’apercevoir que ces business n’avaient pas d’avenir. Visiblement même des boursicoteurs de haut-vol ne voient pas plus loin que moi si on suit votre raisonnement.

Vous savez quoi ? Cela ne m’étonnerait même pas tellement y a de gens assis dans de gros fauteuils qui ne mériteraient même pas une place sur un strapontin éjectable.

C’est un discours de jaloux.

Pas du tout ! Jaloux de quoi ? Ah non je suis pas jaloux ! Gardez-la votre place ! Si vous parvenez à vous faire réélire.

Chaque chose en son temps.

En attendant, la preuve que j’ai raison c’est qu’il y avait six ou sept boites de trottinettes sur Lyon au début de l’année et qu’aux dernières nouvelles elles ne sont plus que quatre ! Vous pariez qu’il en restera une seule ou zéro ? Moi je dis zéro ! Et vous ?

Eh ben je vais miser sur une alors !

Pari tenu ! Vous l’avez vu passer la vidéo du Rhône le jour où l’eau était limpide ?

Non mais j’en ai entendu parler.

Faut le voir pour le croire ! Y a des trottinettes noyées tout le long du quai. Et certains ont fait l’effort de leur donner un peu plus d’élan, un genre de concours de celui qui pisse le plus loin version con 2.0, deux fois plus con qu’avant ! Ah elle est belle la génération climat !

C’est peut-être des gens aigris comme vous qui les jettent.

Nan je crois pas. J’aurai toujours un brin de conscience pour retenir mon geste même si c’est pas l’envie qui me manque. J’avoue, je l’aurais peut-être fait avec une trottinette bien spécifique mais malheureusement c’était place Bellecour ! Vous vous souvenez quand je vous ai demandé contre qui je devrais porter plainte si je me cassais le coccyx en trébuchant sur une trottinette.

Très bien. Il était question du col du fémur au demeurant.

Peut-être. Vous m’avez répondu que j’étais censé regarder où je mettais les pieds. Laissez-moi vous dire que c’est assez souvent ce que je fais. Mais voilà que l’autre jour j’arrive place Bellecour près d’un immeuble en rénovation de façade. Il pleuvait. Je me présente devant un passage piéton, c’était rouge, je marque donc l’arrêt. J’avoue ne pas avoir prêté une attention très grande à la trottinette la plus proche mais après tout elle n’était pas exactement dans mon chemin. Le temps de l’attente vient un cycliste qui, non content d’avoir remonté la rue à contresens comme l’y autorise un décret municipal à la con, se croit aussi autorisé à venir patienter au niveau du passage piéton en attendant que la voie soit libre. Genre : « Pousse-toi de là que je m’y mette ! » Je sens son guidon dans mon dos. Comme le passage piéton s’étendait sur ma gauche je décide de faire un pas de côté pour m’éloigner du goujat en question. C’est alors qu’au lieu d’une pluie normale je me trouve à la verticale d’un petit ruisseau dégringolant de l’échafaudage. Je décide d’opérer un petit retrait en arrière pour m’abriter sous l’échafaudage… et là ! Patatras ! Je me retrouve le cul sur le trottoir ! Pourquoi ? A cause d’une trottinette à la con ! Oui ! Je ne me suis rien cassé mais j’aurais pu ! Tout ça parce qu’une espèce de con qui avait tout le loisir de pousser cette trottinette à la con un mètre plus loin a préféré la garer sur le passage piéton ! Non mais franchement ! Dites-moi ! Qu’est-ce qu’on peut faire avec des cons pareils ?

Pas grand-chose en effet.

Sauf interdire les trottinettes ! Où alors quand on voit un con garer une trottinette n’importe où on fait comme avec le chiot qu’a chié au milieu du salon, on lui fout le nez dans sa merde ! Faudrait les attraper par le colback et les pencher par-dessus l’objet du délit : « Tu crois que c’est un endroit pour garer une trottinette ? Tu veux qu’il ait des blessés ? Hein ! C’est ça que tu veux ? Tu vas voir si tu recommences ! »

Euh… Calmons-nous monsieur Réqual ! Vous prenez les choses un peu trop à cœur !

Je suis parfaitement calme !… Où en étais-je ? Tiens ! Aux dernières nouvelles la municipalité de Villeurbanne envisage d’interdire les trottinettes !

Oui je sais. Ce n’est pas à proprement parler une interdiction des trottinettes mais l’interdiction de laisser des trottinettes n’importe où sur les trottoirs. Les agents de la ville seraient autorisés à les mettre en fourrière, ce qui signifie peu ou proue la fin de l’activité telle qu’elle est pratiquée actuellement. Cela devrait passer le mois prochain d’ailleurs, d’après mes sources.

Eh ben voilà des politiques qui réagissent enfin ! Prenez-en de la graine monsieur le député ! Sur ce, j’ai parlé ! Bonne fin de journée !

A vous aussi ! Au rev… Ah ben ? Il est parti !

Yacine ? Quitte à revenir sur les sujets du début de l’année. J’avais promis de rappeler madame Hayon et je n’ai jamais pris le temps de le faire. Vous pouvez voir si elle est joignable et disponible ?

Je vous dis ça.

Loulou ? Madame Hayon en ligne.

Merci… Allô ? Madame Hayon ?

Oui. Bonjour monsieur le député ! Je pensais que vous ne tiendriez pas votre promesse.

J’aurais dû vous appeler plus tôt mais j’ai été très occupé.

Oui je sais. J’ai beaucoup aimé votre discours face au JECLER. Je m’attendais à quelque chose de plus lisse de votre part. Vous m’avez agréablement surprise.

Merci. Les citoyens qui viennent à mes entretiens en sortent souvent avec une idée un peu biaisée car j’y force un peu mon esprit de contradiction.

C’est une stratégie d’apprentissage politique ?

On peut dire ça ! Cependant je concède que j’ai un peu plus de mal à m’affirmer face à de vrais animaux politiques.

Je vous ai trouvé très bon au JECLER.

Oui mais c’était un discours écrit en collaboration avec mes assistants. C’est un peu plus facile qu’un débat. Ce qui m’amène à vous dire que je n’ai pas brillé quand il s’est agi de parler de vos projets d’infrastructures. Pour tout dire j’ai été renvoyé sèchement dans les cordes quand j’ai évoqué le réseau d’eau de source.

Ah bon ? Je suis pourtant convaincue que c’est une excellente idée.

Ce n’est pas un avis très partagé au palais Bourbon. D’abord j’ai eu l’impression d’être pris pour un bourgeois déconnecté des réalités de ce monde. On m’a rétorqué que c’était pathétique de se préoccuper de tels sujets dans un pays doté des meilleures infrastructures en matière d’eau courante.

J’imagine parfaitement ce qu’on vous a dit : « Si vous viviez dans un pays pauvre vous verriez l’eau du robinet comme le plus grand des luxes ! »

Y avait de ça ! Ce qui fondamentalement n’est pas faux.

Sûrement mais sur ce principe-là on peut tout justifier ! Si la municipalité décide de ne plus entretenir les rues elle pourra arguer longtemps que nos trottoirs bosselés et nos chaussées trouées sont un luxe que bien des gens qui vont sur des pistes poussiéreuses ou boueuses ne peuvent pas s’offrir.

Oui mais là c’est un peu plus compliqué. Comme j’en ai parlé avec des députés du Rhône la discussion a vite été ciblée sur l’eau de l’agglomération. Il paraît qu’elle est à 75 % d’un niveau exceptionnel car le gros de l’agglomération reçoit de l’eau puisée dans une nappe phréatique très pure.

Certainement. Et les produits chimiques qu’on déverse au-dessus et alentours s’arrêtent avant de contaminer la nappe comme le nuage de Tchernobyl s’est arrêté à la frontière française.

On m’a certifié que cette eau répondait haut la main à tous les critères d’analyses.

C’est ce qu’on dit. Mais primo si vous allez vous-même consulter les données en question vous tombez assez souvent sur des indications saugrenues du genre « données indisponibles » ou « non-mesurées », secundo, le jour où la plupart des nappes françaises ne répondront plus aux critères, soyez sûr qu’on changera les critères. Donc moi je me fie à un autre critère, celui de l’instinct primitif des gens qui les fait préférer l’eau en bouteille ou l’eau filtrée à l’eau qui sort du robinet, sent le chlore et donne un goût dégueulasse au thé, infusions et café.

Personne ne m’a contesté l’idée que le calcaire de l’eau pouvait dénaturer les boissons. Mais il ne s’agirait pas dans ce cas d’un problème de santé publique, simplement d’une coquetterie. Je crois que ce n’est pas faux et que moi-même j’en fais fréquemment l’expérience. Comme j’ai fait le gros de ma carrière professionnelle à Villeurbanne sans y avoir jamais vécu, j’ai toujours dit que j’y trouvais l’eau bien meilleure que chez moi. Il est donc possible que mon logement soit alimenté par une eau qui ne provient pas de cette nappe phréatique où l’eau est vraisemblablement de bonne qualité.

Ce serait assez facile à vérifier mais qu’il s’agisse d’un problème de goût ou de santé publique, le fait est que si vous n’aimez pas l’eau calcaire ou que vous la trouvez trop chlorée et que pour cette raison vous achetez de l’eau en bouteille, mon idée n’est pas caduque !

Oui mais de ce que j’en ai appris depuis, le chlore que l’on rajoute à l’eau du robinet n’a pas pour but de désinfecter l’eau elle-même dans l’état où elle est au point de captage. On met du chlore en raison du risque de contamination dans les réseaux de canalisation. Et visiblement on en met vraiment très peu sur Lyon, il paraît qu’une seule traversée d’une piscine de 50 mètres vous confronte à bien plus de chlore que des litres d’eau du robinet.

Peut-être. Mais pour les 20 ou 25 % de gens qui sont alimentés par des eaux plus douteuses. Qu’est-ce qu’on fait ?

Votre solution n’en serait pas une dans ce cas. D’abord vous serez confrontée à la nécessité de mettre aussi du chlore dans votre eau de source puisque vous n’avez sûrement pas l’intention de la transporter différemment.

Je n’ai pas entendu dire que les romains chlorait leur eau.

J’ignore ce qu’ils faisaient de leur eau mais eux n’ignoraient sans doute pas qu’il fallait un minimum de surveillance du réseau, ne serait-ce que pour s’épargner les conséquences d’un acte malveillant. On m’a aussi assuré que bien des eaux de sources ou minérales mises en bouteilles subissaient exactement la même pollution chimique que les points de captage des eaux du robinet. Sans compter les produits du plastique des bouteilles qui se diffusent dans l’eau.

Franchement je crois qu’il n’y a pas photo entre l’eau du robinet et la plupart des eaux de sources ou minérales côté gustatif ! Sinon personne ne les achèterait hormis ceux qui en ciblent certaines pour leurs apports en minéraux.

J’ai toujours entendu dire que les minéraux de l’eau étaient très difficilement assimilables et qu’une eau très minéralisée avait surtout le défaut de faire travailler inutilement les reins.

A ce que j’en sais 90% des minéraux de l’eau ne sont effectivement pas fixés par l’organisme. Ce qui n’empêche pas que pour des besoins particuliers certains particuliers puissent avoir intérêt à boire une eau particulière.

Je le conçois mais avec votre idée de réseau d’eau de source vous n’allez pas donner beaucoup de choix aux particuliers. Vous amènerez vraisemblablement une eau provenant de quelques sources du massif central.

C’est bien ce que j’imaginais. On pourrait faire en sorte de les mélanger d’ailleurs.

L’eau du robinet n’est jamais exempte de minéraux. On m’a dit que pour quelqu’un qui se disait écolo ce n’était pas très logique de filtrer l’eau du robinet, d’abord parce que les filtres sont polluants, qu’ils sont potentiellement dangereux pour la santé autant que le plastique des bouteilles et que…

J’avoue que j’ai été surprise par les derniers articles sortis sur le sujet. J’ai toujours cru que le plastique des bouteilles d’eau était le plus stable et sain des plastiques.

C’est peut-être le cas. Le plus sain mais pas sain pour autant.

Dans ce cas les filtres sont quand même une solution qui m’apparaît comme un moindre mal. Si vous trouvez que l’eau filtrée est bien meilleure que l’eau non-filtrée et que cela vous évite d’acheter des bouteilles d’eau, ce sera toujours plus écologique.

J’ai argué en ce sens mais on m’a dit que j’étais stupidement sous l’influence du matraquage publicitaire de Brita ! Là ça m’a passablement vexé. Ils font beaucoup de pub Brita ?

Pas mal en ce moment. Mais vous pourriez aussi acheter des filtres rechargeables et oublier Brita.

Ah bon ? Compatibles ?

Parfaitement.

Il n’empêche qu’on m’a déconseillé de filtrer l’eau justement parce que les filtres étaient principalement utiles contre le calcaire et donc le calcium, pratiquement pas contre les nitrates et pesticides, et un peu trop contre le chlore, ce qui fait que si vous laissez un litre d’eau dans une carafe et que cette eau est dépourvue de chlore, vous risquez une infection bactérienne.

Je croyais que le chlore servait à empêcher la contamination lors du transport. C’est ce que vous avez dit.

Oui mais il restera actif dans la carafe.

Suffit de bien nettoyer la carafe ! Ou bien de la boire immédiatement.

Tout le monde ne le fait pas !

Et alors ? Quel rapport avec l’approvisionnement en eau ? 95 % des gens ne se lavent pas correctement les mains, c’est leur problème ! Cela ne justifie pas de tripler le volume de chlore dans l’eau ! On vous accuse de tomber sous le coup de matraquage publicitaire mais le lobby des distributeurs d’eau du robinet ça semble exister aussi. Sinon on n’aurait pas chaque année les mêmes reportages visant à nous répéter inlassablement que notre eau du robinet est pure et sans danger. Si c’était tellement évident tout le monde en aurait parfaitement conscience.

Je ne sais pas… Je crois que pour ma part je suis assez enclin à me passer totalement de filtre.

Ben vous boirez du thé dégueulasse, voilà tout.

Un moindre mal.

Je ne trouve pas.

Concernant l’odeur du chlore on m’a donné une astuce que je trouve très efficace après essai.

Laquelle ?

Le chlore étant très volatile, ce qui explique que les piscines sentent si fort, il s’évapore très facilement. Donc il suffit de le mettre dans une bouteille en verre et sans bouchon dans le réfrigérateur ; Au bout de quelques heures le chlore se sera évaporé. C’est vrai que cela change bien le goût et au pire cela permet de désinfecter un peu le frigo.

C’est la personne qui vous a conseillé de ne pas filtrer l’eau qui vous a dit cela ?

Euh… Oui. Bon en effet cela peut paraître paradoxal mais si l’eau est au frais les microbes prolifèrent moins vite.

Je vois le genre. Ces têtes d’œuf je les connais comme si je les avais pondues ! Invitez-les chez vous, demandez-leur d’y récupérer les restes d’un plat qui n’ont pas été saucissonnés dans du film plastique, ils le regarderont avec une moue dubitative et proposeront de faire bouillir de l’eau pour un plat de pâtes. Et quand vous irez chez eux ne vous étonnez surtout pas d’y croiser 3 packs d’eau minérale dans le hall. Faites ce que je dis mais pas ce que je fais, maxime parfaite pour le fronton du palais Bourbon.

Si vous voulez. Toujours est-il que votre idée est un flop !

Ah oui ! Eh bien je suggère que vous retourniez voir ces énergumènes avec un projet de loi sous le coude !

Lequel ?

Notre eau du robinet est si pure et le gros de l’humanité aimerait en disposer aussi facilement que nous ? Dont acte ! Faisons une loi qui interdit la vente de l’eau en bouteille !

Ah ?… Euh… C’est une idée.

Une excellente idée ! Et l’argumentaire pour la transition écolo il est ficelé ! Vous imaginez qu’on fait faire des milliers de kilomètres à des bouteilles d’eau pour les vendre à des gens qui ont des sources et des nappes en nombres à proximité de chez eux ? Si ça c’est pas anti-écologique !

Je suis parfaitement d’accord. Le problème c’est que ces entreprises rajouteront une goutte de jus de fruit et diront que ce n’est pas de l’eau.

On interdit tout les liquides inutiles ! On voit de la pub partout pour des machines à soda ! Plus besoin de bouteilles de soda ! Coca et Pepsi reverront leur modèle industriel, voilà tout !

Ah oui… Bon… C’est pas moi que ça dérangerait. Mais la commission y verrait une manœuvre un peu grossière du lobby du vin. Vous ne voulez tout de même pas que les gens fabriquent leur vin dans leur baignoire ?

J’ai des amis qui font leur bière dans leur baignoire !

Ah ah ! Voilà qui est pas mal en effet. Cependant vos projets sont un peu… comment dire ? Trop grands ! C’est un peu comme votre idée de tramway de fret. Cela n’a pas soulevé un enthousiasme formidable.

Vous en avez parlé ? Vraiment ?

Ah oui oui ! Je vous assure ! Et là personne ne m’a ri au nez. On m’a plutôt regardé avec des yeux qui signifiaient qu’on me prenait pour un fou, ou quelqu’un complètement détaché de la réalité. De l’avis de tous c’est totalement irréalisable donc hors de propos !

C’est parfaitement réalisable ! Suffirait de le vouloir ! Après c’est sûr que le lobby du transport routier doit tirer les ficelles dans le dos d’un grand nombre des marionnettes qui siègent sur les bancs de l’assemblée. Si l’une d’entre elle a ouvert une grande bouche en vous disant : « Mais l’emploi de tous ces chauffeurs de camions, vous y avez pensé ? » vous pouvez être sûr que c’est le lobby du transport routier qui parle par sa bouche.

J’ai eu de ça oui.

Le lobby du transport saura bien oublier les chauffeurs quand la technologie du transport n’aura plus besoin de chauffeurs. Quand à moi je n’ai nullement l’intention de les mettre au chômage, ceux qui conduisent des camions conduiront des transpalettes, voilà tout !

J’avoue que j’ai été dubitatif quand vous m’avez exposé ce projet grandiose mais à la réflexion moi je serais prêt à y croire. Seulement s’il n’y a que vous et moi, vous comprenez bien que ce n’est pas très utile d’insister.

Ah c’est dommage ! Vraiment dommage !

Vous n’avez pas imaginé des choses moins ambitieuses ?

Ben… J’ai dessiné un caddie de marché à tiroirs, on m’a dit que cela existait déjà. J’en ai pourtant jamais vu sur le marché et les gens continuent à écraser les tomates et les pêches sous les patates. J’ai aussi dessiné un déambulateur-fauteuil très stable et pliable, on m’a dit que ça existait déjà.

Euh… je pensais à une ambition plus… intermédiaire.

Ben en ce moment je planche sur un modèle de tricycle de livraison. Comme vous m’y avez encouragée.

Ah oui. C’est une bonne idée. Faites-moi part du résultat le moment venu !

Je n’y manquerai pas.

Bon eh bien à bientôt ! Et désolé de ne pas avoir pu vous annoncer de bonnes nouvelles.

Ce n’est pas grave. Tant que vous avez essayé.

J’ai essayé. Au revoir madame Hayon.

Au revoir monsieur Léonard.

Toc Toc Toc

Entrez !

Tenez ! Le dossier climat avec les dernières mises à jour.

Merci. Dites Yacine ! Vous en pensez quoi des pots de fleurs de la presqu’île ?

C’est super moche !

Vous n’aimez pas les fleurs ?

Si ! Beaucoup même. Mais là c’est juste ridicule. Et c’est parfaitement antinomique avec le besoin de faire de la place aux transports collectifs et aux modes doux. Et en plus ça ne se marie absolument pas avec l’architecture de la ville. On serait cernés de chalets savoyards je dis pas mais là… Non franchement, je ne comprends pas ce qui leur est passé par la tête ! Surtout à quelques mois des municipales.

Ce sera peut-être un moyen de nous débarrasser de Colomb.

Aucun espoir, il rejettera la faute sur un autre ! D’ailleurs s’ils ont affiché partout des panneaux disant que ces pots étaient la concrétisation d’une concertation citoyenne, c’est bien pour laisser entendre : « C’est vous qui l’avez voulu ! »

Vous pensez que beaucoup de gens ont réclamé des alignements de bacs en bois de dix mètres de long sur plusieurs centaines de mètres ?

Aucune idée ! Les dessins sur le papier donnent parfois des réalisations décevantes.

Mais tout de même ! Ils pouvaient difficilement ignorer que les bus, les taxis et les cyclistes seraient désormais pris dans les bouchons. La ligne S1 n’aura bientôt plus un seul passager. Je me demande comment font les livreurs.

Ils bloquent les rues perpendiculaires. Mais il est prévu d’installer des caméras de verbalisation pour un meilleur respect des espaces réservés aux livraisons.

Bon sang. Le bordel en attendant que tout cela se mette en place. L’autre jour j’étais au Grand Café des Négociants…

Ah bon ? Vous vous embourgeoisez Loulou !

On m’y avait donné rendez-vous ! C’était, je pense, le samedi ayant suivi la pose des bacs dans le haut de la rue Herriot. Or à ce carrefour ils n’ont même pas laissé la place pour qu’un gros poids lourd ou un long bus puisse prendre le virage. Mais ce virage est sur le parcours d’un bus à étage qui propose une visite touristique de la ville. Vient donc un bus qui se trouve incapable de passer sauf au prix de longues manœuvres répétées. Bien sûr derrière-lui se crée un long bouchon tandis que les trottoirs sont aussi surchargés de piétons. A un moment un automobiliste impatient croit pouvoir se faufiler derrière le bus. Sauf qu’à cet instant le feu est vert pour les piétons. L’impatient s’avance brutalement alors qu’il y a une bonne trentaine de personnes engagées sur le passage. Il pile immédiatement mais une femme ne se prive pas pour lui faire savoir ce qu’elle pense de lui. Lui rétorque : « Tu vois pas que je suis planté là depuis 10 minutes ! » Et il rajoute un nom d’oiseau que les types grossiers réservent aux femmes. Ce qui ne plaît pas au mari de la femme. Je vous laisse imaginer la suite. Tout cela à cause de petites fleurs dans des grands bacs.

Des petites fleurs arrosées de bière et de pisse toutes les fins de semaine.

Alors on ne peut pas avoir de fleurs en ville ?

Je ne sais pas. Ils en ont planté dans un parterre devant une école aux Jacobins et c’est plus joli que dans ces gros bacs. Comme tout le monde comprend que ce parterre permet de faire une utile séparation entre le trottoir où stationnent régulièrement des écoliers et la chaussée où passe des voitures qui représentent un danger pour eux, ce parterre est peut-être mieux respecté que ces bacs qui emmerdent tout le monde. Enfin je vous dis ça mais j’en sais rien, peut-être qu’il faut replanter des fleurs tous les lundis là aussi.

C’est quand même malheureux un tel manque de respect du bien public !

J’avoue !

De tous ces entretiens concernant les transports urbains j’ai l’impression qu’il n’en est vraiment rien ressorti. Je ne trouve aucune idée viable qui puisse emporter l’adhésion d’une partie de mes pairs.

Mais c’est normal parce que c’est la guerre du chacun contre tous ! Lisez tous les sondages ! Vous allez trouver 80 % des gens qui disent vouloir moins de voitures en ville ! Mais y a pas un automobiliste sur cinq qui serait intéressé à l’idée d’abandonner sa voiture au profit de transports en commun même si l’offre de ceux-ci était largement améliorée.

Mais commençons par le commencement ! Comment améliorer cette offre justement ? Certainement pas en remettant les bus au milieu des voitures à cause de pots de fleurs !

J’avoue ! C’est très compliqué ! Vous avez vu l’expérience de piétonisation du centre-ville ?

Je n’ai pas vraiment eu l’occasion de m’y balader samedi. Vous avez eu des retours ?

Ce que j’ai trouvé intéressant c’est le retour de certains cyclistes. Pour ceux qui utilisent leur vélo dans l’optique de se déplacer aussi vite sinon plus qu’une voiture en ville, la piétonisation cela peut être vraiment perçu comme un fléau ! Les bons cyclistes préféreront souvent circuler vite au milieu des voitures en s’affranchissant parfois du respect des feux rouges que dans des rues où les piétons flânent au milieu de la chaussée. J’imagine que c’est pareil pour les trottinetteurs !

Trottinettistes ?

Je ne sais pas comment on dit. Trottineurs ?

Vous croyez que si on mettait une zone 30 partout comme je l’ai suggéré, il faudrait laisser les feux en place ? Car moi j’imaginais qu’à une telle vitesse on pourrait repasser toutes les rues en priorité à droite.

Mais justement la piétonisation prouve que c’est difficilement réalisable partout. Je veux bien qu’il soit utile de promouvoir un monde où l’on prend un peu plus son temps. Mais vous ne pouvez pas exiger de tout le monde qu’il calque son pas sur le pas de celui qui prend tout son temps. L’écologie politique ce n’est pas dire à celui capable de pédaler à 20 kilomètres heure : « Désolé, vous devrez vous contenter de dix car la priorité va aux piétons qui ont tout le loisir de traverser quand et où bon leur semble ! » Au contraire le cycliste doit pouvoir faire de plus grandes distances en moins de temps à l’avenir simplement en lui garantissant qu’il trouvera demain de plus grandes pistes sans feu rouge et sans piéton ! Y a-t-il un grand intérêt autre que touristique à « privatiser » tout le centre au profit des piétons ? Est-ce que cela ne conduit pas à reporter une partie de la circulation sur les quais et les arrondissements extérieurs ? Est-ce que cela ne va pas déséquilibrer le commerce de certaines zones ? Si oui, au détriment et au profit de qui ? C’est difficile à planifier tout cela car les zones vraiment piétonnes se prêtent bien à certains commerces et très peu à d’autres. Quant à supprimer les feux cela me paraît impossible dans les endroits où il y a une forte densité, que ce soit de piétons ou de véhicules. Cette zone de piétonisation du centre ils envisagent de la rendre pérenne en mettant des bornes qui s’activeront à partir de midi. Si vous n’êtes pas résident vous ne pourrez plus y circuler que le matin...

Oui je suis au courant.

Mais rien que pour le matin les feux resteront indispensables.

Vous croyez ? Les matins de semaine sont tout de même plus allégés en piétons que les samedis.

Moi je suis de l’avis de ceux qui pensent que si toute la priorité est donnée aux piétons, cela devient difficile à vivre pour tous les autres. Je sais que c’est pénible aussi pour les piétons et le citoyen que vous avez reçu et qui ne jurait que par la marche à pied n’avait pas totalement tort. Mais je crois que garder les feux permettra de maintenir une certaine fluidité pour ceux qui ne sont pas là pour flâner. L’important c’est surtout de faire baisser le nombre de véhicules encombrants ainsi que de devenir totalement intransigeant sur les limitations de vitesse dans les zones où il y a piétons et des utilisateurs de mode doux.

Vous avez sans doute raison Yacine. Vous savez, c’est marrant mais plus j’ai l’impression d’être à l’aise dans ma fonction au niveau relationnel et moins j’ai l’impression d’être en mesure de réfléchir. Vous croyez que c’est normal ?

J’imagine que oui. Allez, rassurez-vous ! Si comme vous l’avez dit vous ne comptez pas faire cela plus de dix ans, vous aurez le temps de vous remettre à réfléchir.

Dix ans ? Ce ne sera peut-être bien que cinq !

Moi j’essaye de faire en sorte que ce soit dix ! Me laissez pas tomber, hein ? 

 

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4 septembre 2019

Les délires de madame Hayon redessinés par Odette

Suite au piratage des entretiens de Loulou Léonard et comme nous ne comprenions rien à cette idée de transpalette imaginé par madame Hayon, Odette, après avoir clamé que nous étions trop idiots pour comprendre, a décidé de nous aider quand même à comprendre à l'aide d'un dessin et de quelques explications :

 

Vous devez comprendre que selon ce qu'elle a expliqué à Léonard, son transpalette doit être plus large qu'un transpalette ordinaire. Vous voyez bien ce que c'est, y en a tous les jours dans la rue.

Ce qu'est sûr c'est que c'est bruyant et pas toujours très stable.

Mais justement elle a l'air d'avoir voulu faire quelque chose de stable comme un transpalette tout terrain sans pour autant que cela prenne beaucoup de place. Parce qu'un vrai transpalette tout terrain ça stabilise le chargement par l'extérieur de la palette. Et donc c'est assez large. Mais comme elle parle d'un transpalette de 90 cm de large et que les roues doivent être sûrement plus grandes qu'un transpalette, je crois qu'elle ne pourrait pas soulever la palette avec sans envoyer d'abord un élément sous la palette pour la soulever. Vous voyez ? A mon avis ce transpalette a de vraies pneus pour rouler confortablement dans les rues.

Tout cela paraît bien alambiqué !

Pas tant que ça car avec l'hydraulique et un guidage électronique, cela me paraît tout à fait aisé à faire. Le verrouillage et le déverrouillage se feront en appuyant sur un simple bouton.

Ce qui me paraît simple pour toi c'est de faire des dessins en piratant les fichiers de madame Hayon et après de dire que tu as retranscrit sur le papier ce qu'elle dit dans sa discussion ! Pirate !

Con de chat !

 

Transpalette

1 septembre 2019

Loulou Léonard vs Pinaille

Les entretiens citoyens de Loulou Léonard, député de la 15ème circonscription du Rhône.

Objet : Déplacements urbains et écologie.

Citoyen : Madame Pinaille, citoyenne… un tout petit peu trop

Date : 1er février 2019.

 

– Alors madame Pinaille ! De quoi allons-nous parler ?

– De politesse, de courtoisie, de bienséance. Tout ce qui nous fait défaut !

– Je vois. Mais quel rapport avec les déplacements urbains ?

– Vous ne le voyez pas ?

– Désolé mais non !

– Dans notre pays tout le monde semble totalement irrité par les difficultés de déplacement. Pourtant nous sommes relativement moins nombreux au kilomètre carré que bon nombre de nos voisins européens. En réalité l’irritation provient surtout du fait que nous sommes devenus une nation d’irritables !

– Cela n’a pas toujours été le cas ? Du moins n’avons nous pas toujours été considérés comme des râleurs ?

– Ce n’est pas du tout la même chose ! Le râleur ne garde pas de ressentiment durable ! Au contraire, chez lui il y a une soupape qui permet d’évacuer en permanence la pression. Le râleur ne devient pas méchant au contraire de l’irritable ! Vous voyez la différence ?

– Oui sans doute. Mais alors ? Par quelle évolution malheureuse sommes-nous passés de râleurs à irritables ?

– Mais par l’éducation bien sûr ! La responsabilité en incombe avant tout à l’éducation nationale !

– Ah ? Ce ne serait pas un peu aussi celle des parents ?

– Moins qu’on ne le pense. Vous ne pouvez pas attendre de parents qui ne possèdent pas eux-mêmes les codes de la vie en commun dans une société évoluée qu’ils l’enseignent à leurs enfants.

– Allons bon ! A vous entendre on croirait qu’on vient de subir une invasion barbare !

– Nous en sommes arrivés à ce niveau d’inélégance pour diverses raisons et l’invasion barbare n’est pas la principale d’entre toutes. C’est la pensée libérale qui est la plus à blâmer ! Nous n’avons pas encore cessé de payer le prix de mai 68 !

– Mai 68 a rendu les gens irritables ?

– Mai 68 a rendu les gens égoïstes et impolis. Le moindre défaut de l’égoïste n’étant pas sa propension à ne pas supporter l’égoïsme des autres ! Sans se rendre compte qu’ils agissent exactement de la même manière les égoïstes s’irritent des égoïstes.  

– Je me sens parfaitement libéral et je ne suis ni égoïste ni impoli.

– Je ne parle pas de libéralisme économique !

– Moi non plus ! Je suis libéral au sens qui vous semble répréhensible. Je défends le droit des gens à ne pas vous dire bonjour s’ils ont envie de garder le silence, à ne pas ôter leur couvre-chef quand ils croisent un gradé, enfin vous voyez… ce genre de choses.

– Eh bien je ne vous félicite pas ! La responsabilité de ce foutoir vous incombe donc en partie !

– Non je ne crois pas car je ne défends pas le droit des gens à griller des feux rouges ou klaxonner de manière intempestive. Je suis un légaliste tout comme vous l’êtes sûrement, sauf que je ne soutiendrai jamais une loi qui obligerait les gens à dire bonjour.

– Je n’irais pas jusque-là non plus ! Mais vous êtes d’accord pour dire qu’une fois qu’on a décrété que les voitures devaient rouler à droite, il est normal qu’une personne qui persisterait à rouler à gauche soit considérée hors-la-loi.

– Cela va de soi !

– Mais si on faisait un projet de loi qui obligeait les piétons à marcher à droite, bien entendu vous ne le soutiendriez pas !

– Les piétons à marcher à droite ?

– Oui ! Les voitures roulent à droite, pourquoi les piétons ne marcheraient pas à droite ?

– Mais cela n’a rien à voir ! Les piétons ne se rendent pas dedans en l’absence d’une telle règle !

– Que vous dîtes ! C’est beaucoup plus fréquent que vous ne le croyez !

– Admettons ! Mais dans le lot des piétons morts en marchant, combien sont morts renversés par un véhicule et combien sont morts renversés par un piéton ?

– Je ne prétends pas qu’on en arrive à de telles extrémités mais je prétends que le fait qu’il n’y ait pas de règles d’usage des trottoirs participe grandement à l’irritabilité collective.

– Vous exagérez !

– Non je n’exagère pas ! Mais sans doute n’avez-vous guère besoin de vous déplacer à pied pour en mesurer la difficulté.

– Comme vous y allez ! Je marche sans doute un peu moins depuis 18 mois mais ce n’est que temporaire.

– Dans ce cas vous n’aurez pas manqué de constater que le chaos advint bien avant que l’affluence ne paraisse chaotique par elle-même.

– Je ne me souviens pas avoir été confronté à un empêchement total d’aller à pied. Même là où les trottoirs sont petits, et j’ai bien conscience qu’ils sont souvent trop petits.

– Vous n’êtes pas gênés parce que vous êtes d’un naturel libéral et égoïste. Voilà ce que sont les libéraux, des sans-gêne !

– Expliquez-moi cela !

– Tout est plus simple quand on ne se soucie pas des autres. Tant qu’on n’est pas totalement entourés d’autres sans-gêne on est facilement amené à ne pas se rendre compte de l’entropie que l’on génère par absence de sens collectif. La communauté fonctionne encore grâce aux efforts de ceux qui ont gardé le sens commun.

– J’ignore où vous voulez en venir mais vous pouvez vous vanter d’être la personne qui m’a le plus rapidement égaré en route depuis que j’organise ces rendez-vous. Donnez-moi un exemple concret parce que là c’est du chinois ce que vous me dites !

– Un exemple ? J’en ai un tout prêt ! Par exemple, dites-moi, quand vous marchez sur un trottoir très fréquenté, combien de fois vous arrive-t-il de descendre dans le caniveau pour faciliter le passage des piétons arrivant en face ?

– Dans le caniveau ? Vous voulez dire sur la chaussée ?

– C’est peu ou proue la même chose, vous n’allez tout de même pas vous jeter au milieu de la chaussée si des voitures y roulent ?

– Dans ce cas j’éviterais de descendre du trottoir. Je préfère éviter de me retrouver à l’hôpital plutôt qu’avoir l’air d’un gentleman.

– C’est un risque assez facile à maîtriser et votre réponse prouve que ce n’est pas trop dans vos habitudes.

– Vous en avez de bonnes vous ! Combien de fois je descends du trottoir… Je n’en sais rien au juste, j’imagine que l’on fait ces choses-là de manière inconsciente. A mon sens c’est même à cela qu’on reconnaît une personne bien éduquée, c’est une personne qui se comporte correctement sans avoir à y penser. Je préfère quelqu’un qui, ne m’ayant pas vu dans son dos, omet de me tenir la porte que quelqu’un qui le fait par souci de respecter un code de conduite mais pense en réalité, excusez ma vulgarité : «  Bouge un peu ton cul connard ! »

– Pourquoi penserait-il une chose pareille ?

– Ce qui est valable pour les automobilistes doit l’être assez souvent pour les piétons.

– Je ne vois pas le rapport !

– Moi si.

– Mon exemple vous prouve pourtant qu’on est justement obligé de penser ses actes quand on veut faire preuve d’esprit communautaire. Et penser ses actes suppose un socle éducatif que beaucoup n’ont pas ! Comme le laxisme de trop de parents ne laisse plus espérer l’acquisition précoce d’un socle éducatif commun, c’est à l’école de palier à cette lacune. Mais la mentalité du personnel éducatif n’est guère réjouissante, trop imprégnée des idées de mai 68 ! La volonté d’inculquer un réel code de conduite c’est autre chose que de vagues considérations sur la manière de ne pas passer pour un infréquentable. C’est tout de même étrange qu’à l’heure actuelle il faille attendre que les jeunes gens atteignent leur majorité pour apprendre un code de conduite ! Mais c’est plus par intérêt personnel que par sens du commun qu’on cherche à obtenir un permis d’aller en voiture. On a compris que l’usage d’une automobile nécessitait quelques précautions si on ne voulait pas vivre des drames à répétition. Mais on n’en a jamais déduit que des règles précises pour l’utilisation de l’espace public dans d’autres circonstances pourraient s’avérer fort profitables au bien commun !

– C’est sans doute parce que nul autre que vous ne semble penser que marcher à droite sur les trottoirs puisse améliorer la vie des gens.

– Je ne dis pas qu’il faille marcher à droite sur les trottoirs, je dis seulement qu’enseigner à l’école la manière de se comporter sur un trottoir serait un réel bénéfice pour la société ! Évidemment cela ne peut pas vous sauter aux yeux puisque vous faites partie de ceux qui pensent faire les choses correctement par automatisme ! Mais la réalité c’est que vous bénéficiez sans vous en rendre compte des actes de ceux qui les pensent !

– Je ne sais pas quoi répondre à ça. A vous entendre j’ai l’impression qu’on ne parle simplement pas la même langue.

– Ce n’est pas français ce que je dis ?

– Sans doute, mais  cela ne fait pas sens dans mon cerveau.

– Vous me décevez monsieur le député !

– Désolé.

– Pourtant ce n’est tout de même pas difficile à comprendre. Vous marchez sur un trottoir qui n’est pas très large et sur lequel il est difficile de se croiser à trois. Quel est selon vous le bon code de conduite ?

– Mais je n’en sais fichtre rien ! Tant qu’on ne se rentre pas dedans frontalement, on ne va tout de même pas s’inventer des problèmes !

– Si on ne se rentre pas dedans frontalement c’est d’abord grâce aux personnes qui continuent à penser leurs actes dans ce monde d’égoïstes.

– La preuve que non ! Il arrive immanquablement que deux égoïstes se croisent, et devinez quoi ! Ils n’ont pas d’accident.

– Je le conçois car à la vitesse moyenne de la marche à pied les réflexes humains sont suffisants pour éviter les heurts graves. Je vais même vous dire une chose qui vous surprendra, en général il est souvent plus difficile de se croiser pour deux personnes qui pensent leurs actes que pour deux personnes qui ne les pensent pas. Et vous savez pourquoi ?

– Non ! Bien sûr que non !

– Parce que les personnes qui pensent leurs actes sont devenues si minoritaires qu’elles en sont venues à les penser en fonction de la majorité qui est égoïste. La personne bien éduquée s’attend à croiser principalement des personnes qui ne le sont pas. Donc par exemple quand elle marche sur un trottoir un peu étroit, elle ne peut pas s’attendre à ce que des personnes arrivant en face lui cèdent le passage même quand une règle d’usage mieux répandue lui donnerait la priorité. Pour la facilité de tous, y compris de l’égoïste qui arrive en face, elle aura tendance à toujours descendre du trottoir ou marquer un arrêt en se faisant la plus petite possible pour la laisser passer. Ainsi, quand elle n’a plus affaire à un égoïste mais à une personne comme elle, elle se retrouve comme face à un miroir. Elle descend du trottoir mais la personne en face fait la même chose en même temps. Souvent cela donne lieu à des situations cocasses, c’est comme un pas de deux où chacun se retrouve toujours dans la route de l’autre quand chacun voudrait laisser la priorité à l’autre.

– Trop de politesse tue la politesse ? Cela va peut-être vous surprendre mais ça m’est arrivé assez souvent.

– Moi cela m’arrive presque quotidiennement.

– La preuve que cette société n’est pas aussi individualiste que vous voulez bien le dire !

– Cela m’arrive rarement en croisant des moins de quarante ans figurez-vous ! Toutes ces générations sans éducation. Comprenez que les difficultés des gens bien éduqués tiennent avant tout dans l’absence de règles dont la connaissance serait plus répandue dans la population. Dans bien des domaines de la vie courante les gens bien éduqués ont pour guide de conduite la nécessité de faire attention aux autres. Mais ils manquent eux aussi d’un code plus précis qui leur permettrait de ne plus se sentir isolés dans leurs efforts. Par exemple aucune règle ne disant de quel côté du trottoir il faut marcher, personne n’est en mesure de prétendre qu’il marche dans les règles de l’art. Or ces règles seraient parfaitement aisées à établir et à enseigner dans les écoles.

– Ah bon ?

– Mais bien sûr puisqu’elles tombent sous le sens ! Je vais vous donner des exemples tous simples. Vous êtes sur un trottoir si étroit que deux personnes ne peuvent pas s’y croiser. Imaginez qu’une personne arrive en face de vous. Il faudra nécessairement que vous ou cette personne fasse l’effort de descendre du trottoir. Qui doit être cette personne ?

– Eh bien j’imagine que vous allez me sortir un argument vieille école faisant état d’un droit d’aînesse ou je ne sait quelle considération ayant trait au code d’honneur des gentilshommes. Si vous étiez nazi vous pourriez penser que la personne portant étoile jaune doit céder le passage à celui portant un brassard SS ! Je préfère un peu d’anarchie !

– N’importe quoi ! Non mais vous dites absolument n’importe quoi ! J’espère bien qu’il reste encore une majorité de personnes pour penser qu’un vieillard en déambulateur a le droit de garder le haut du pavé quand bien même ce serait le pape qui arriverait en face !

– Sauf si c’est le pape en déambulateur. Une situation difficile à exclure, hé hé !

– Vous trouvez ça drôle ?

– Hem… Continuez !

– Mettez-vous dans la situation où il s’agit de deux personnes du même sexe et du même âge !

– Le petit maigre s’efface devant le grand costaud ?

– C’est peut-être ce qui finira par se passer si ce pays sombre dans l’incivilité la plus totale ! Comme vous êtes décidé à me faire tourner en bourrique on n’a qu’à imaginer que ces deux personnes ont a peu près la même silhouette ! Eh bien même dans ce cas-là la règle de conduite est tout à fait évidente ! Si elle ne vous saute pas aux yeux c’est que vous êtes aveugle !

– Désolé, je ne vois pas !

– Décidément. Bon ! Pensez sécurité, ça vous aidera.

– Sécurité ? Vous voulez dire que s’il y a un flot de voitures sur la chaussée, les deux personnes restent gentiment sur le trottoir et taillent une bavette ?

– Mais arrêtez de dire n’importe quoi ! C’est sûr que si on fait des trottoirs de 50 cm de large dans des rues très passantes, il faudrait peut-être songer à mettre ces trottoirs en sens unique. Mais la sécurité sur un trottoir doit être pensée comme on pense la sécurité sur une route de campagne. A un piéton sur une telle route on conseille de marcher du côté qui lui permet de faire face aux voitures qui passent à côté de lui. Ainsi, il a une chance de pouvoir se jeter dans le talus s’il a un doute quant à la proximité d’une voiture.

– A mon avis il vaut souvent mieux se jeter dans le talus à chaque fois vu que le danger lié à cette proximité me semble difficilement évaluable !

– Elle l’est parce qu’il y a beaucoup trop de personnes qui ne pigent même pas les choses élémentaires du code de la route ! Souvent un automobiliste pensera qu’il faut mettre son clignotant quand on dépasse un cycliste ou un piéton pour prévenir les véhicules de derrière. Beaucoup ne jugent même pas utile de le faire quand il s’agit de piétons qui n’empiètent pas vraiment sur la chaussée, mais plus encore jugent que c’est totalement inutile de le faire quand eux-mêmes ne sont pas suivis par d’autres automobilistes. Pourquoi prévenir qu’on double alors qu’on est tout seul ?

– Eh oui ! Pourquoi ?

– Mais bon sang ! Mais si vous croisez quelqu’un, ne serait-ce qu’un piéton, c’est bien que vous n’êtes pas seul ! Et c’est aussi pour cela que le piéton doit marcher du côté de la file qui lui fait face, pour voir le clignotant que met l’automobiliste qui lui signifie ainsi « Soyez sans crainte, je vous ai vu ! » Il est évident dès lors que si plein d’automobilistes oublient de mettre leur clignotant, cela perd beaucoup de son sens de marcher face aux voitures, où alors à se jeter effectivement bien souvent dans le talus !

– Vu sous cet angle… Tiens voilà une chose à laquelle je n’avais pas pensé. C’est assez juste ce que vous dites.

– Bien sûr que c’est juste. Mais pour en revenir à nos piétons en ville, on ne peut guère s’attendre à ce que les automobilistes mettent leur clignotant à chaque fois qu’une personne descend du trottoir, dans certaines rues ils auraient leur clignotant en permanence. Mais dans ces rues-là on ne s’attend guère à voir des voitures rouler à fond, il y règne une forme d’anarchie qui est autant imputable au manque de savoir-vivre de bon nombre de nos concitoyens qu’au fait que bien souvent les trottoirs y sont totalement inadaptés. En pratique c’est tout de même moins dangereux que de vouloir marcher le long d’une nationale mais cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas d’accidents. Et donc cela tombe sous le sens ! Quand cela est nécessaire la personne qui doit descendre du trottoir est celle qui fait face à la circulation ! Eh bien maintenant que vous savez cela je vous encourage à prêter un peu plus attention à ce qui se passe dans la rue. Les personnes qui pensent leurs actes sont assez faciles à reconnaître. Vous les verrez beaucoup plus souvent qu’à leur tour marcher sur la chaussée. Pourquoi ? Parce qu’elles aiment à rendre les choses plus faciles même à des gens qu’elles ne connaissent pas. Ainsi elles estiment qu’il n’est agréable pour personne de devoir se mettre complètement de travers pour se croiser sur un trottoir trop étroit. Alors elles prennent le parti d’en descendre le plus souvent possible afin de se rendre agréables à la personne arrivant en face qui aura le loisir d’aller droit. Mais c’est alors souvent à la personne qui fait l’effort de descendre de se contorsionner car si elle-même ne fait pas face à la circulation, il faudra bien qu’elle regarde dans son dos pour voir s’il est possible de descendre sans danger du trottoir. Et depuis qu’il y a des véhicules très silencieux c’est même une nécessité absolue !

– Donc vous vous faites partie de ceux qui sont souvent sur la chaussée pour faciliter la vie d’autrui. Cela ne vous ennuie pas de penser qu’en face de vous la plupart des gens ne remarquera jamais cet effort.

– Figurez-vous qu’une fois un couple l’a remarqué et m’a dit merci !

– Une seule fois ?

– Oui ! Mais quand je dis « merci » c’était plutôt « thank you ! » car c’était un couple d’américains ! Y a pas de hasard !

– Soit. Mais par ailleurs, même s’ils ne vous ont pas roulé dessus, de nombreux automobilistes doivent maugréer car ils estiment que les piétons n’ont rien à faire sur la chaussée.

– Oh j’en ai bien conscience mais j’essaye aussi de faire en sorte de ne pas gêner les automobilistes. Donc assez souvent je reste sur le trottoir par force et c’est bien là que je me rends compte du sans-gêne de mes concitoyens. Parce qu’en effet, quand on ne peut pas descendre du trottoir parce que cela irait contre la sécurité, on est bien obligé de se croiser dans des espaces souvent trop étroits ou qui le deviennent parce que des malotrus en occupent une part supérieure à celle qu’ils s’accorderaient s’ils voulaient respecter les règles de bienséance. Non mais je vous jure ! Parfois je me demande si j’ai revêtu une cape d’invisibilité pour qu’on fasse aussi peu de cas de ma présence ! Non mais c’est limite si certains ne vous poussent pas de l’épaule dans le caniveau ! Parfois j’aimerais être une femme gigantesque et large d’épaules. Je m’assurerais de ne pas occuper plus de la moitié du trottoir et je ne ferais pas un effort de plus, histoire de voir combien de personnes viennent se fracasser sur moi. Il y en aurait sûrement beaucoup et presque autant pour s’en plaindre. Et moi je leur dirais : « J’occupe la moitié du trottoir, si vous en faisiez de même vous auriez l’épaule moins douloureuse présentement ! » Les gens sont d’une incorrection, je vous jure !

– Chacun voit midi à sa porte ! Je pense qu’en face de vous il y a souvent des personnes qui ont l’impression qu’elles se sont plus contorsionnées que vous afin qui vous puissiez vous croiser.

– Non je ne crois pas ou alors c’est qu’elles sont de totale mauvaise foi ! Je vous donne un exemple tout simple. Vous êtes sur un trottoir assez large pour deux personnes. Arrivent face à vous deux autres personnes. La moindre des règles de politesse c’est que ces personnes-là, en vous apercevant, arrêtent de marcher côte à côte pour se ranger l’une derrière l’autre afin que vous vous puissiez occuper une moitié du trottoir comme il se doit ! Mais vous croyez qu’il reste combien de français qui comprennent une chose pareille au jour d’aujourd’hui ? Eh bien très peu ! Et alors assez souvent ces personnes qui persistent à rester côte à côte arrivent finalement à votre hauteur et celle qui est la plus proche de vous daigne tout de même faire un effort pour se faire un peu plus petite tandis que vous vous faîtes encore plus petite qu’elle pour ne pas risquer d’être éjectée du trottoir ou scotchée au mur ! Mais c’est à peine si elle ne vous reproche pas d’être dans ses pattes ! Voilà la réalité ! Et voilà pourquoi je marche sur la chaussée aussi souvent que possible ! Pour éviter d’avoir à supporter ces malotrus !

– Je croyais que c’était par esprit citoyen !

– Aussi mais accordez-moi que la citoyenneté devrait être partagée par tous ceux qui aspirent au droit de vote !

– Oui d’accord. Mais de tous temps il y a eu des gens plus ou moins conscients de ce que cela peut signifie de vivre ensemble.

– Mais cette conscience serait bien plus répandue si on enseignait les règles de bonne conduite à l’école.

– Figurez-vous qu’à ce sujet les élèves ont des cours désormais bien plus explicites qu’à mon époque. Moi je n’ai pas été en cours d’enseignement moral et civique.

– Eh bien je me demande ce que ces tarés de ministres qui orientent les programmes et en changent à peu près aussi souvent qu’il y a de rentrées scolaires font rentrer dans ce cours-là ! Autant dire que le résultat ne s’est pas encore manifesté dans l’espace public ! Remarquez qu’avec un peu de chance les enfants finiront par y apprendre quelque chose et pourront enfin apprendre quelques règles élémentaires à leurs parents ! Des règles de sécurité par exemple, comme la manière dont on se balade avec un gamin de trois ans dans la rue !

– Il y a une manière pour cela ?

– Il devrait ! Quand on est en compagnie d’un gosse on le fait marcher du côté du mur, pas du côté de la chaussée ! Mais pour avoir conscience de ces choses basiques encore faut-il penser ses actes ! Je vois tellement de gens inconscients des dangers que je me dis qu’il faudrait un permis pour avoir le droit de faire des enfants.

– Voilà une vieille rengaine particulièrement réactionnaire. Certains parents pensent qu’il faut laisser un peu de liberté aux enfants pour qu’ils grandissent normalement et sans appréhension. Cela ne veut pas dire qu’ils ne les surveillent pas, prêts à réagir si un danger réel se présente.

– Je me demande qu’elle réaction est possible quand le gamin joue les équilibristes sur le bord du trottoir tandis que la maman fait une fixette sur la vitrine d’un magasin de chaussures ? Et bizarrement, plus les gamins sont libres, plus on fabrique des adultes qui, en plus de n’avoir aucun esprit communautaire, sont de vrais empotés !

– Toutes les générations ont leurs lots d’empotés et de personnes brillantes ! Naturellement les critères d’évaluation sont amenés à changer un peu, le monde n’est pas immuable !

– Il ne doit pas changer au point de ne plus se donner de règles à respecter. Aucune civilisation ne peut survivre sans règles !

– Et vous pensez que des règles de conduite concernant la marche sur les trottoirs changeront la face du monde ?

– Il ne s’agit pas seulement de cela ! Il s’agit d’établir des règles qui permettent de rester civilisés dans des lieux où l’on vivra de plus en plus les uns sur les autres ! Il est essentiel que chacun y mette du sien et repense courtoisie, bienséance et politesse comme des nécessités. Il y a plein de choses qu’on devrait s’interdire de faire.

– Comme ?

– Sortir de chez soi ou d’un magasin comme si l’on était prioritaire ! En voiture vous ne passez pas de votre garage à la rue sans vous assurer que la voie est libre ! Eh bien à pied ce devrait-être la même chose ! Quand on arrive à un angle de rue sans visibilité c’est la même chose ! Quand on porte un parapluie et qu’on croise ou double une personne, on doit le lever clairement au-dessus de la tête de cette personne, on ne se dit pas que de lui fourrer un coup dans les cheveux c’est moins grave que de l’éborgner ! Sur un trottoir encombré on ne dépasse pas une personne un peu lente en gênant l’avancée des personnes arrivant en face. A contrario quand on est un peu lent, on ne fait pas comme si les autres ne comptaient pas en restant nonchalamment au beau milieu du trottoir. Idem quand on fait partie d’un petit groupe qui flâne et prend beaucoup de place, on doit rester attentif à laisser passer les gens et toujours penser qu’ils ont aussi le droit d’être un peu pressés. On ne doit pas s’arrêter tout net sans se soucier des gens venant derrière parce que soudainement un article en vitrine s’est imprimé sur notre rétine. On ne doit pas couper la route à une personne que l’on croise de manière perpendiculaire, on passe dans son dos ou si besoin on marque un arrêt et on lui cède le passage…

– Selon le principe de la priorité à droite ?

– Pourquoi pas ? Quand on promène un chien en laisse on ramène son chien près de soi dès que nécessaire, on n’attend pas que la personne arrivant en face ou nous dépassant soit empêchée dans son avancée. Quand on attend à un feu on ne s’avance pas sur la chaussée tant qu’on ne s’est pas assuré qu’il n’y a plus aucun véhicule en approche. Quand on est dans une aire où les piétons peuvent se sentir toujours prioritaires, on ne doit pas s’interdire de laisser parfois la priorité aux voitures. On doit faire preuve d’empathie et se mettre à la place d’un conducteur qui est obligé de traverser la rue de la République un samedi après-midi ! A contrario quand on est en voiture on respecte absolument les limitations de vitesse et on conduit avec souplesse ! Les conduites brutales des crétins m’as-tu-vu et des énervés sont parmi les principaux générateurs de stress et d’animosité. Et quand je parle de souplesse celle-ci va bien au-delà de ce que les conducteurs comprennent généralement. Conduire avec souplesse ce n’est pas qu’une conduite qui donne une sensation de souplesse à ses passagers, c’est avant tout une conduite qui ne laisse pas de doute aux piétons ! Par exemple quand on arrive à proximité d’un passage piéton on anticipe suffisamment pour faire comprendre aux piétons qu’on va vraiment leur céder le passage. Trop souvent les piétons sont dans l’expectative et hésitent à traverser parce qu’un véhicule arrive un peu vite. Et puis le conducteur finit par s’arrêter et se fend d’un geste princier pour signifier qu’il se plie gracieusement à la règle donnant la priorité aux piétons en l’absence de feux tricolores. Mais il aurait été mieux pour tous qu’il soit moins princier et simplement plus citoyen en ne laissant aucun doute sur ses intentions dès le départ !

– Et moi qui ai failli vous prendre pour une royaliste… Mais dites-moi ! Vous en avez beaucoup des règles comme cela ? La vie doit finir par être un peu fatigante si vous vous forcez à penser tous vos actes !     

– Le simple bon sens suffit à en éditer d’autres. On ne se gare en aucun cas sur le trottoir ! On rentre les bacs à ordures de son immeuble si on est le premier à y pénétrer après le passage des éboueurs, même si on estime que c’est le travail de quelqu’un d’autre. On attache son vélo dans des espaces dédiés à cet usage.

– Je suis étonné que vous ne m’ayez pas encore parlé des trottinettes, tout le monde m’en parle !

– Les trottinettes ne sont un problème que parce qu’elles sont majoritairement utilisées par des personnes qui n’ont pas reçu cette éducation propre au vivre ensemble ! Si vous avez reçu cette éducation il est évident qu’en aucun cas vous n’allez poser une trottinette à un endroit où elle est susceptible de gêner le passage ! Et vous vous en servirez comme si elle vous appartenait dans un total respect du code de la route.

– Si vous connaissez ce code.

– Je suis tout à fait favorable à ce qu’un code des déplacements à l’usage des non-automobiliste soit enseigné dans les écoles.

– C’est un peu déjà le cas je crois.

– Je ne parle pas de faire du tricycle avec des panneaux au milieu de la cour de l’école, je parle d’enseigner toutes ces règles que j’ai édictées ainsi que tout ce qui dans le code de la route concerne également les piétons, les cyclistes et les trottinetteurs ?

– Trottinettistes ? Non ?

– Je n’en sais rien au juste.

– Trottineurs ?

– Peu importe, le code est le même !

– Bien. Alors vous pensez que ces quelques règles suffiraient à rendre la ville plus fluide.

– Parfaitement.

– Mais vous n’avez pas la prétention d’en faire une ville plus écologique par ce biais ?

– L’éducation est la clé de tout ! Et comme je vous l’ai déjà dit trop de parents sont complètements laxistes quand il ne sont pas simplement abrutis. Comment voulez-vous qu’un enfant se sente concerné par l’écologie quand ses parents n’ont toujours pas compris, des décennies après sa mise en place, le principe du tri sélectif.

– Sans vouloir passer pour un abruti, moi-même je ne l’ai toujours pas compris.

– C’est pourtant simple ! Le verre vous l’amenez dans les bacs à verre, vous ne le mettez pas dans la poubelle jaune !

– Le verre oui mais quel verre ? Il est spécifié qu’on ne doit pas y mettre les verres dans lesquels ont boit, comme les verres à pied. Pourquoi ?

– Je ne sais pas pourquoi mais je sais qu’il ne faut pas le faire. Donc je ne le fais pas !

– Moi je sais pourquoi mais je testais votre esprit de curiosité.

– Pourquoi aller chercher midi à quatorze heures ? Si c’est marqué qu’il ne faut pas le faire ne le faites pas !

– Je ne suis pas d’accord. Je pense que les enfants ont besoin de comprendre les choses. En apparence un verre à pied ne se différencie guère de celui d’un pot de confiture. Sauf qu’il fond à une température plus élevée que le verre qu’on appelle verre d’emballage, celui des pots et des bouteilles. Donc on ne peut pas les faire fondre ensemble sinon ! Si on n’explique pas pourquoi l’un se met dans la benne de recyclage et pas l’autre, on doit s’attendre à ce que le recyclage ne soit pas fait dans les règles qu’on édite. Tenez ! Je vous donne un exemple ! Vous voyez ce verre en plastique qui me sert de porte-stylo ? A votre avis, si je décide de le jeter un jour, devrai-je le mettre dans la poubelle grise ou dans la poubelle jaune ?

– Faites-moi toucher !

– Tenez !

– Cela me semble être un plastique à mettre dans la poubelle jaune. Je crois qu’il faut surtout éviter de mettre les plastiques trop fins ou trop épais.

– En réalité presque tous les plastiques pourraient trouver nouvel usage par le biais du recyclage, surtout lorsqu’ils ne sont pas imbriqués dans d’autres matériaux comme sur des pièces complexes. A priori ce gobelet est recyclable, sera-t-il recyclé ? Eh bien il faut se fier non pas à son apparence mais au numéro qu’il comporte et indique de quel genre de plastique il s’agit. Ce numéro est indiqué dans un triangle… il doit être en-dessous… attendez…. Non. Il doit être dedans… Ah… Ben voilà un exemple parfaitement mal choisi car ce gobelet n’a aucune indication sinon sur ça provenance fort fort lointaine. Parfois vous pouvez avoir des indications sur la nature du plastique en toutes lettres mais tout ce que je sais c’est que les numéros permettent d’avoir des certitudes sur les possibilités de recyclage.

– Vous venez de dire que tous les plastiques pourraient être recyclés.

– La différence entre pouvoir et être fait toute la différence. Si vous mettez dans la poubelle jaune des plastiques qui, une fois dans l’usine de retraitement seront mis dans une grande benne destinée à l’incinérateur ou une décharge géante, votre geste n’a servi à rien sinon faire rouler inutilement des camions.

– Je le conçois bien donc quand j’ai un doute je m’abstiens.

– Mais ce verre en plastique vous l’auriez mis dans la poubelle jaune.

– Oui, sans doute. Mais s’il n’a pas de numéro cela signifie peut-être qu’il est recyclable.

– Je l’ignore. Tout ce que je sais, ou plus modestement, crois savoir, c’est qu’en France on ne recycle systématiquement que les plastiques portant les numéros 1 et 2. Il paraît que dans d’autres pays d’autres numéros sont recyclés mais en France on se contente de ceux-là car pour les autres le jeu n’en vaut pas la chandelle.

– C’est à dire ?

– Le coût de revient du processus de recyclage est trop élevé. Autrement dit c’est une activité qui ne rapporte pas d’argent. Vous obtiendrez une masse de matière plastique que personne ne vous achètera au prix que vous pourrez proposer, cette matière ou l’équivalent pouvant être produite moins chère directement à partir de dérivés du pétrole.

– Ce n’est pas toujours le cas ?

– J’imagine que non.

– Ah ? Moi je pensais qu’on s’obligeait à recycler en subventionnant le plus souvent la filière de recyclage. D’abord en lui donnant la matière première, la ville récupère le contenu des poubelles jaunes et l’apporte aux entreprises qui recyclent.

– Même les déchets cela s’achète vous savez. C’est même potentiellement un sacré business d’avenir. 

– Mais si ce que vous dites est vrai. Alors pour ce qui concerne les plastiques, toute la filière serait en permanence menacée par la fluctuation des cours du pétrole. Quand le prix du pétrole est haut cela vaut la peine de recycler plus de plastique mais s’il devient très bas, alors plus personne ne veut recycler ? C’est absurde comme raisonnement puisque vous voyez bien qu’on recycle toujours au moins les bouteilles en plastique. Alors imaginez que demain on découvre encore de nouveaux gisements de pétroles gigantesques au point de se dire qu’on ne va jamais en manquer ! Alors son prix dégringole et on ne fait plus aucun effort de recyclage ! On finira par vivre au milieu de montagnes de déchets !

– Mais non ! On jette tout dans le Rhône et vogue la galère, le plastique ça flotte souvent très bien ! J’ironise mais vous avez sans doute raison sur un point. J’ignore encore les tenants et aboutissants de l’industrie du recyclage mais mon assistant doit m’organiser une rencontre bientôt avec un cadre supérieur de la filière. Par contre j’imagine que si on veut s’en tenir à des mécanismes d’économie de marché pour régler les problèmes écologiques, et croyez bien que ce n’est pas la position que je défends…

– Oui, ça j’avais bien compris !

– Eh bien même dans ce cadre-là, je ne connais aucun chef d’entreprise qui rechigne à se gaver de subventions et d’aides en tout genre si on propose de lui en-donner quand bien même il ne cesserait de clamer : « Que le meilleur gagne ! » Donc en effet, on peut massivement subventionner la filière de recyclage afin qu’il devienne plus rentable de recycler les plastiques qui portent les numéros 3, 4, 5, 6, 7… Mais vous savez je ne crois pas que cela puisse suffire à nous sortir d’affaire. Vous avez déjà vu les îles de plastique à la surface des océans ?

– Oui bien entendu… du moins à la télé.

– Il paraît que ce plastique ne représente qu’une infime proportion du plastique que l’on consomme. Une bien plus grosse partie finit dans les décharges ou les incinérateurs. Les fumées qui s’en dégagent ne sont sûrement pas très recommandées pour notre santé mais ceux qui ne finissent pas en fumée auront peut-être des conséquences encore plus graves dans les décennies à venir. Alors pour ma part je suis plutôt partisan de la solution qui est de l’autre côté de la balance.

– Qui est ?

– Estimer autrement ce qu’il en coûte en matière de santé publique d’avoir extrait autant de pétrole de la terre et fabriqué autant de plastique ; puis le taxer à la hauteur des réparations à mettre en œuvre.

– C’est pas des bataillons de gilets jaunes que vous aurez mais des armées !

– Sans doute la politique pour se passer des voitures à essence est une affaire ardue ; mais ne me faites pas croire que les français sont si accrocs à leur bouteille jetable en plastique qu’ils ne la troqueraient pour rien au monde contre des gourdes en métal ou des bouteilles en verre consigné ! Donc on va discriminer ! On va relancer comme beaucoup le demandent la filière du verre consigné pour les particuliers comme elle n’a jamais cessé d’exister pour les débits de boisson. Et on va taxer massivement la vente de produits sous plastique. J’ai déjà travaillé un peu sur ce sujet avec deux ou trois élus.

– Face à l’armée violette je ne vois pas quelle proposition vous êtes en mesure de faire avec une chance qu’elle aboutisse.

– Oh mais j’ai déjà repéré parmi les marcheurs ceux qui sont prêts à marcher de travers, et puis ce n’est pas parce qu’on est minoritaire qu’on doit s’interdire de faire.

– Oui mais vous vous êtes une bande de vioque à vous tout seul !

– Oh ben c’est sympa ça ! Je suis moins près de la retraite que vous figurez-vous !

– C’est à craindre !

– Tout cela pour dire que beaucoup de gens sont encore pleins d’incertitudes quand ils se retrouvent devant une poubelle jaune ! Et cela après des décennies de pratique ! Donc imaginez ce que cela donne quand quelqu’un qui se moque totalement d’écologie arrive avec un déchet en main près de deux poubelles aux couvercles différents.

– Moi je peux vous dire qui est responsable de cela !

– Dites-moi !

– Les antipatriotes qui n’ont cessé d’œuvrer pour la décentralisation ! Cette massive connerie qui fait que chacun décide d’organiser les choses à sa sauce selon les idées médiocres des potentats locaux !

– Vous exagérez ! Rien que notre région est plus peuplée que de nombreux pays en Europe ! On est quand même capable de faire des choses à ce niveau-là sans demander l’aval de hauts-fonctionnaires installés à Paris ! Et la décentralisation s’accompagne de plus en plus d’une centralisation si on s’en tient au niveau des communes qui sont de plus en plus regroupées pour les décisions qui nous intéressent comme la gestion des déchets !

– Quand vous dites « notre région », vous parlez de celle que François Flanby, soudain investi d’une mission divine, a tracé avec sa petite gomme et son petit crayon ? Vous ne pensez tout de même pas qu’une seule bonne idée ait pu germé un jour dans un tel cerveau ?

– Oui ben c’est un autre problème ! Et d’ailleurs faire des régions plus grandes c’est un peu une forme de recentralisation.

– Tout dépend de ce dont on parle ! On est encore assez d’accord pour que les enfants français bénéficient du même programme scolaire dans toute la France, ou sinon autant arrêter de se prendre pour une nation. Si la question des déchets vous semble importante alors vous devriez militer pour que partout en France on applique les mêmes procédures ! Alors on pourrait avoir un cours national sur le tri sélectif qui serait clair, net, précis et pratique et qui n’éluderait pas les questions d’ordre financier que vous avez soulevées !      

– Je ne suis pas contre.

– Si on n’avait cessé de penser les choses à l’échelle de notre pays on pourrait faire bien mieux sur de nombreux sujets relatifs au transport et à l’écologie. Nous avons laissé aux maires le droit de se prendre pour les chantres du développement durable parce qu’ils pensent toujours que leurs décisions sont meilleures que celles du maire d’à-côté ! Ou bien quand manifestement ce n’est pas le cas ils font valoir leur déficit de moyens !

– Ce qui n’est pas forcément faux !

– Eh bien c’est là que l’état serait en mesure d’agir pour rééquilibrer les choses quand la région, elle, pense que ce n’est pas son problème ! Si on avait compté dès le départ sur les régions pour développer nos réseaux de communications et télécommunications la France aurait l’air d’être totalement arriérée dans un paquet d’endroits !

– C’est pas dit !

– Oh si croyez-moi ! Ce n’est ni l’agglomération ni la région qui vont un jour faire en sorte que les déchets finissent là où il doivent finir ! Si un jour j’achète un produit assez toxique dont j’ai un usage ponctuel et sur lequel il est marqué « Pot et contenu à déposer en déchetterie. » Si le pot n’est pas vide, ou croyez-vous que le résidu ira ?

– Eh bien j’imagine que vous le porterez en déchetterie.

– Je le viderai dans le lavabo ! Voilà tout !

– Ah bon ? Eh bien je ne vous félicite pas ! Où est passé votre esprit communautaire ?  

– Je fais pour la communauté ce que la communauté me donne les moyens de faire ! Au lieu de me rappeler sans cesse que je dois me débarrasser de mes encombrants et de mes produits chimiques à la déchetterie la plus proche, soit à quatre kilomètres de chez moi, ouverte à des heures où je travaille alors que je n’ai pas de véhicule pour m’y rendre !

– Vous pouvez louer les services d’un collecteurs de déchets, il y en a plein et cela ne vous ruinera pas.

– Mais oui bien sûr ! Si vous en connaissez un qui travaille après 20h faites-moi signe ! Je ne comprends tout simplement pas pourquoi, alors qu’on parle de reléguer les voitures loin des centre-ville, rien n’est prévu pour donner aux gens les moyens de s’en passer ? Ceux qui n’ont jamais eu de voitures peuvent témoigner à quel point ils ont souvent regretté de ne pas en avoir une.

– On est vendredi et vous n’êtes pas au travail. Donc vous voyez que vous avez bien des occasions de vous occuper de vos déchets polluants !

– Je suis en vacances et pendant mes vacances j’ai d’autres chats à fouetter !

– Alors faites-le le samedi !

– Je vous répète que je n’ai pas de voiture !

– Vous savez qu’il y a une barge faisant office de déchetterie qui est amarrée tous les samedis sur la Saône au niveau de Perrache ? Vous n'êtes pas si loin que ça !

– Je ne le savais pas mais j’attendrai qu’ils l'amarrent sur les quais du Rhône si vous le permettez !

– Soit. En tout cas, à défaut d’avoir un cours clair, net et précis à l’école, on peut toujours faire l’effort de se renseigner sur internet ! Mais pour ma part je pense que le vrai problème des déchets c’est leur production. Si vous faites des travaux ou des réparations, vous avez peut-être ponctuellement besoin d’une peinture résistante au intempéries, d’un dissolvant puissant, d’un tube de joint de salle de bain. Bon, déjà on peut essayer de réfléchir aux alternatives qui offrent un bon compromis entre efficacité et moindre impact écologique. Mais une fois qu’on a fait cela, le plus dur est souvent d’évaluer la quantité nécessaire. La plupart des bricoleurs du dimanche connaît trop bien la valse des aller-retour au magasin, quand on bricole beaucoup on est rarement regardant sur sa consommation d’essence. De toute façon, même si on savait parfaitement évaluer la quantité nécessaire d’un produit, on ne pourrait pas l’acheter en cette quantité-là. En réalité bien souvent on se dit qu’on a besoin de 16 litres, on en achète 20, autant par sécurité que parce qu’il n’existe que des bidons de 5 ou 10 litres, au final on en utilise 14 et les 6 restants finiront par sécher dans le grenier. C’est un luxe anti-écolo que seule une société qui fonctionne comme la nôtre croit pouvoir se permettre. En réalité il y a bien longtemps qu’elle aurait dû comprendre qu’elle ne pouvait pas se le permettre. Sans doute il vaut mieux finir par emmener les 6 litres restants à la déchetterie, mais on voit tellement de choses à la TV qu’on peut à raison douter que cette déchetterie génère au final moins de pollution qu’un rejet sauvage dans le siphon de la baignoire ! La seule bonne méthode serait de pouvoir acheter les quantités dont on a besoin, ou à défaut de pouvoir ramener le surplus. Vous m’accorderez qu’on a peu de chances de voir cela dans un système qui est fait d’un côté d’enfants gâtés et pressés et de l’autre de commerçants encore plus pressés. Les premiers ne veulent pas acheter un pot de peinture qui aurait déjà été entamé par un autre client, les seconds sont des géants du bricolage installés à la périphérie des villes qui ne font pas du neuf avec du vieux. Rien dans tout cela ne nous oriente vers une économie de la sobriété quand bien même la peinture ou le tube de joint que vous achetez serait déclaré « A++++++ » Ce fameux tube de joint au gabarit standard de 400g qu’il faut utiliser avec un pistolet prévu à cet effet. Vous avez fini votre travail mais peut-être que d’ici un an ou deux vous aurez besoin de reprendre un joint, vous ressortirez le tube du grenier dans l’espoir qu’il soit encore utilisable mais rien à faire, la pointe est complètement sèche. Durant cette période des milliers de personnes auront fait la même chose, il y a même sûrement quelques-unes qui habitent près de chez vous. Vous qui n’avez jamais été faire un tour à la maison de le jeunesse et de la culture du quartier parce qu’on dit qu’il n’y a que des vieux, vous qui trouvez les vide-grenier désuets, vous pensez soudainement qu’une maison de quartier où l’on pourrait trouver à louer une perceuse 7 jours sur 7, à déposer gracieusement un tube de colle non terminé qui pourrait servir à un voisin, à acheter à prix dérisoire un boulon donné par un autre voisin, à déposer une machine à laver hors d’usage voire à trouver quelqu’un pour vous aider à la porter, serait une maison de quartier digne d’un certain intérêt pour le bricoleur écolo que vous êtes !

– Vous voulez créer des Emmaüs pour les bricoleurs ?

– Si vous voulez mais ce n’est pas à cela que je pense. Mon bricoleur trouverait sans doute qu’Emmaüs a le côté désuet du vide-grenier. Moi je parle d’un endroit avec des fonctionnaires dans l’air du temps, c’est à dire pas avec les horaires d’ouverture du secrétariat de mairie mais plutôt sur la plage 7h-22h! Un vrai pôle de services mais orienté sur l’écologie. Honnêtement, pour avoir fréquenté pas mal les enseignes qui ont des batteries de photocopieuses prises d’assaut par les étudiants qui préparent leur mémoire, je conçois qu’elles évitent la tentation de s’acheter une photocopieuse. Mais elles évitent déjà beaucoup moins la tentation de s’acheter une imprimante car les imprimantes sont relativement bon marché alors qu’elles ne sont pas négligeables dans le tas hallucinant de déchets électroniques que nous produisons. Typiquement l’imprimante professionnelle d’une maison de quartier devrait remplacer des centaines d’imprimantes nulles qui n’imprimeront jamais plus que quelques milliers de feuilles avant d’être mises au rebut. Et je pourrais multiplier les exemples tant je sais que les foyers possèdent des objets qu’ils n’utilisent que très occasionnellement. Bien sûr il faut une révolution des mentalités et que les gens comprennent qu’ils n’ont pas besoin de posséder autant.

– Le problème avec votre idée c’est que justement vos collègues de l’assemblée pensent que c’est à Kiloutou de louer la perceuse et à Corep de faire les photocopies !

– C’est ouvert le dimanche ?

– Oulala ! Vous avancez sur un terrain glissant là ! Votre aile gauche ne vous pardonnera pas une telle idée parce que peut-être que justement Kiloutou et Corep n’attendent que cette opportunité pour élargir leurs plages d’ouverture.

– Ils ne seront pas forcément plus compétitifs. D’abord ils seront face à un pôle de services à but non lucratif ! Ensuite il va sans dire que cela s’inscrit dans une démarche écologique qui se donne les moyens de lutter contre toute forme de gaspillage, donc encore une fois cela n’est réalisable que dans une société qui a pris conscience de la non résilience du capitalisme libéral, une société qui aura donc retrouvé le goût de la chose commune. Le travail le dimanche n’y serait pas perçu comme un recul des droits des salariés au profit du patronat. Il y a bien des gens qui s’engagent le dimanche, parce qu’ils sont membres de clubs, d’associations, ou même volontaires pour la permanence d’Emmaüs.

– Entre un dimanche travaillé volontairement et un dimanche travaillé sur ordre ce n’est pas vraiment la même chose.

– Il est vrai qu’à l’heure actuelle je ne laisserais pas rentrer le loup dans la bergerie si j’étais salarié du privé. Mais si je m’engageais dans une mission de service public cela serait différent.

–  J’en parlerai à ma fille ! Elle est infirmière au CHU !

– Oui d’accord… Je comprends bien qu’à l’heure actuelle le management du public semble presque pire que dans le privé. Mais ce n’est pas ma politique ! Et puis avant il y en avait qui travaillaient le dimanche au guichet de nombreuses gares, sont-ils si satisfaits que cela d’avoir leur dimanche maintenant que seuls les distributeurs répondent présent le jour du seigneur ?

– Faudrait leur demander !

– Par ailleurs ce n’est pas tant Kiloutou qui aurait du souci à se faire que Quiventou.

– Vous croyez que si les gens se décident à louer plutôt que posséder, c’est déjà un pas en avant ? Pour en revenir aux trottinettes moi je pense que si tous ceux qui en font possédaient la leur au lieu de la louer, ce ne serait pas écologiquement pire et surtout cela poserait moins de soucis ! Ils ne les abandonneraient pas n’importe où !

– Oui d’accord. C’est pour cela que je dis qu’il faut un changement de mentalité. Évidemment je ne décèlerais pas le début d’un tel changement chez un couple de jeunes qui s’installe et décide de ne pas avoir de vaisselle parce qu’il entend se faire livrer tous ses repas par Deliveroo, qui n’a pas de voiture parce qu’il entend faire tous ses très nombreux déplacements en trottinette de location, en Uber, cars Macron ou vol charter, qui n’est pas propriétaire du gigantesque écran plat qu’il a dans son salon parce que le leasing permet d’avoir toujours le dernier cri sans risque. D’abord sa consommation personnelle reste dans ce cas une consommation hyper-énergivore, et de plus elle sert les intérêts d’actionnaires dont la consommation personnelle est en moyenne à minima une injure à la planète.

– Je vais vous dire, votre couple de jeunes, il a sûrement des grands-parents qui ont fait mai 68 ! Ils ont réclamé le chacun pour soi et ils l’ont eu ! Allez donc réparer cela maintenant ! 

25 août 2019

Loulou Léonard vs Hayon

Les entretiens citoyens de Loulou Léonard, député de la 15ème circonscription du Rhône.

Objet : Déplacements urbains et écologie.

Citoyen : Madame Hayon, conceptrice d’un système de transport inconcevable.

Date : 1er février 2019.

 

– Alors Madame Hayon ? Quelles idées avez-vous pour améliorer notre bonne ville de Lyon ?

– J’en n'ai qu’une, mais elle change tout !

– Ah ! Voilà qui est intéressant ! Exposez-moi cela !

– C’est très simple, cela tient en trois mots : supprimer – les – camions !

– Supprimer les camions. Laissez-moi réfléchir…

– C’est tout réfléchi ! J’ai bien observé la chose ! Je suis en mesure d’assurer qu’à l’origine de 90 % des bouchons, il y a un poids-lourd.

– Un poids-lourd… donc potentiellement c’est un bus. Vous voulez supprimer les bus aussi ?

– Pas du tout ! Je parle des camions de livraison ! A l’origine de 90 % des retards de bus il y a un camion de livraison ! Un camion posé au milieu de la rue et qui bloque la circulation !

– D’accord… Mais alors ? Admettons qu’on supprime les camions ! Comment va-t-on livrer les magasins ? Ou même évacuer les poubelles ?

– Avec des petits camions !

– Ah ! Donc vous ne voulez supprimer que les gros camions ?

– Non pas que ! Aussi les petits camions qui créent des bouchons ! C’est une question de système ! La ville ne subit pas partout les mêmes contraintes. Dans certaines rues le ramassage des ordures peut très bien avoir lieu en fin de matinée sans que cela entraîne de grandes perturbations. Mais dans d’autres il est difficile d’envisager le passage de camions qui s’arrêtent à chaque numéro de porte dès après 8h du matin. Sans marquer autant d’arrêts que les éboueurs certains livreurs provoquent des pagailles sans nom, même ceux qui ne livrent que quelques colis légers. Ils sont si nombreux que même dans les rues à voies multiples ils les bloquent toutes quand ils ne s’arrêtent pas sans vergogne sur le trottoir. Alors quand ils livrent carrément des palettes entières cela devient réellement infernal !

– Oui j’entends bien, mais s’il y a des commerces il faut bien qu’on les livre. Vous ne voulez tout de même pas qu’ils soient livrés au milieu de la nuit ?

– Non, bien sûr que non !

– Ils ne peuvent pas l’être non plus tous en même temps entre 6h et 8h du matin ! Il faut bien que les livreurs fassent leur journée !

– Je vous parle d’un changement de système !

– Mais encore ?

– Les utilitaires des services de messagerie font au moins 2 mètres de large ! Et un camion porteur fait plus de 2m50 de large ! Or une palette standard fait 1m20 de long et 80 cm de large ! Vous voyez où je veux en venir ?

– Pas du tout !

– A ça !

– ………………… C’est quoi ?

– La base d’un nouveau système !

– D’accord mais c’est quoi ?

– C’est un transpalette tout terrain ! Un truc existant et performant ! Rien qu’avec ça j’instaure un nouveau système. Et voici mon propre transpalette encore mieux adapté à mon système ! C’est un prototype bien sûr !

– Vous voulez dire le dessin d’un prototype !

– Oh mais le jour où on le fabriquera, croyez bien qu’il sera parfaitement fonctionnel.

– Si vous le dites.

– Vous voyez le schéma d’ensemble ?

– Toujours pas.

– Ce transpalette va remplacer la très grande majorité des camions dans les secteurs où ils seront bannis. Vous voyez ?

– Euh… Mais les palettes, d’où elles sortent si ce n’est des camions ?

– Elles pourront sortir de camions garés loin des artères où ils seront bannis ; ou bien elles sortiront de ça !

– ………………… C’est quoi ?

– Le métro de Fret !

– Ah carrément ! Un truc qui n’existe pas donc.

– C’est un truc à creuser ! Disons plutôt un tunnel à creuser.

– Cela ne me paraît pas très réaliste.

– Vous les politiques vous avez vraiment la vue courte ! Il faudrait penser à vous échapper du giron du lobby du transport routier, sinon c’est certain que rien ne changera jamais !

– Très bien ! Allez jusqu’au bout de votre idée ! Exposez-moi votre projet grandiose !

– Très bien ! Quand je vous parle de métro il peut aussi s’agir de lignes de tramway puisque le tramway est à la mode. Le terminus de ces lignes jouxtera des plateformes logistiques qui permettront le transfert des palettes descendues de trains ou de camions et chargées dans des tramways ou des métros. S’il s’agit d’un tramway vous pouvez imaginer des stations qui pourront être espacées de quelques centaines de mètres, disons en moyenne une tous les 500 mètres. A contrario d’un tramway de passagers vous n’allez pas avoir des arrêts à chaque station. Regardez à quoi ressemblera une station !

– …………….. Cela demanderait plus de place qu’une station de passagers.

– Pas beaucoup plus, voire même pas du tout plus. Cela dépend de la manière dont on décharge les tramways. Moi j’ai voulu dessiner un tramway qu’on pourrait décharger avec mon transpalette tout terrain. Mais on pourrait aussi le décharger avec un transpalette tout simple et déposer les palettes sur le quai dans un ordre prédéterminé en amont. Vous pourrez dès lors les emmener avec mon transpalette tout terrain en restant dans l’axe du quai qui n’aura pas besoin d’être plus large qu’un quai de passagers. Et pas besoin de deux quais, à la place du deuxième on aura une voie de déchargement. A la limite, avec une bonne gestion du trafic et un déchargement efficace, on pourrait décharger sans créer une troisième voie, si un autre tramway arrive pendant qu’on décharge il passera sur la seconde voie qui sera le plus souvent dévolue au retour des tramway vers le terminus. Il y a bien des lignes de chemin de fer qui n’ont qu’une seule voie et où les trains se croisent seulement en gare.

– Oui mais ça ne marche que là où le trafic est faible. Pour remplacer des centaines de camions il faudrait un certain débit tout de même.

– C’est pour cela que j’ai envisagé trois voies et un quai mais cela ne nécessite pas plus de place qu’un tramway ordinaire. Dans l’absolu les possibilités sont multiples car au contraire des lignes de passagers vous n’avez pas forcément besoin de mettre le quai de déchargement le long de la ligne. Vous pouvez très bien le mettre dans une rue perpendiculaire puisque le tramway ne continue pas sa route, il s’arrête et repart dans l’autre sens une fois le déchargement terminé.

– Soit. Et ensuite ?

– Ensuite, on embarque les palettes avec un transpalette tout terrain de ma fabrication.

– De votre imagination vous voulez dire. D’ailleurs je vois bien la différence visuelle avec le vrai transpalette tout terrain mais je ne vois guère ce que le votre apporte.

– 90cm de large hors-tout pour cette version, 1m20 pour celle-ci.

– Sur ce dessin c’est quoi là ?

– Une rampe. Pour monter sur les trottoirs. Voire les marches à l’entrée des magasins.

– Il me semble qu’ils sont tenus de s’assurer eux-mêmes qu’on peut les livrer au moins devant leur porte.

– Oui mais dans quelles conditions ? J’imagine que si vous les politiques preniez des dispositions pour qu’ils ne créent pas de bouchons, ils feraient un effort. Mais tant qu’il n’y aura pas de risques de sanctions financières ils continueront à perturber la circulation en squattant illégalement la rue et les trottoirs.

– A part mettre des amendes pour stationnement illégal, qu’est-ce qu’on peut faire ?

– Encore faut-il les mettre ! Un camion qui reste seulement cinq minutes en stationnement peut engendrer de sérieux bouchons mais il a peu de chances d’avoir une amende dans l’intervalle.

– Mais si c’était le cas, certaines boutiques ne seraient simplement plus livrables. Ce n’est pas la solution.

– Non effectivement, c’est pour cela que j’en propose une autre. Mais elle m’est venue justement parce que j’ai eu à faire des audits dans ce domaine. A la base je suis coordinatrice logistique et je suis en mesure d’affirmer que les réflexions en matière d’approvisionnements passent encore trop souvent au second plan. Avant d’accorder des permis les pouvoirs publics seraient bien avisés de s’intéresser de près à la manière dont les commerçants prévoient de se faire livrer. Or ils ne font guère cet effort et les commerçants eux s’intéressent le plus souvent à l’aspect purement commercial, ils veulent un beau magasin et surtout qu’on n’ampute pas leur précieuse surface de vente par des considérations d’ordre logistique. Si un transporteur les livre avec un semi-remorque quand un fourgon serait plus judicieux, ils disent que ce n’est pas leur problème mais celui du transporteur ou du fournisseur qui l’affrète. Et puis ils ressortent toujours le même argument que vous : il faut bien livrer la marchandise si vous voulez un centre-ville vivant ! Donc ils estiment que c’est aux pouvoirs publics de faire en sorte que les camions puissent trouver des places de stationnement ! Et ils ont beau jeu pour affirmer que c’est rarement le cas. Les ères de livraisons sont trop peu nombreuses, rarement accessibles ou jugées trop éloignées des points de livraison par les livreurs. Tenez ! Prenez l’exemple de la rue Grenette ! Vous n’avez jamais remarqué qu’elle est considérée comme une ère de livraison sur l’ensemble de sa longueur ?

– Non. J’avoue que non mais ce n’est pas forcément une rue que j’arpente souvent.

– La mairie a décidé d’y peindre des traits jaunes sur toute sa moitié sud ! Pourquoi ? Parce qu’ainsi elle peut affirmer aux commerçants et transporteurs qu’ils ont toute la place qu’ils veulent pour stationner et aucune raison de le faire dans les rues où cela gêne.

– Cela ne gêne pas dans la rue Grenette ?

– Non car elle a deux larges voies dans un seul sens, est assez peu passante et surtout n’est traversée par aucune ligne de bus. Comme aucune voie n’est à réserver aux transports en commun, on a décidé qu’on laisserait aux camions le loisir de stationner là ! Comme si les livreurs livrant entre les Terreaux et Bellecour allaient se garer là !

– Si vous pensez que ce n’est pas possible de faire plusieurs centaines de mètres avec des transpalettes pourquoi proposer exactement la même chose avec votre projet de tramway ?

– Mais c’est totalement différent ! Bien sûr qu’il est possible de faire des centaines de mètres avec un transpalette adapté ! Bien sûr qu’il est possible de livrer beaucoup plus de choses à l’aide la traction humaine !…

– La traction humaine ?

– Le vélo ! Enfin plus précisément le tricycle ! On en voit de plus en plus mais si on interdisait même aux fourgons l’accès au centre-ville, vous verriez qu’ils sont en mesure de livrer des volumes bien supérieurs à ceux qu’on leur confie actuellement, surtout s’ils ont une assistance électrique !

– Ce n’est donc plus tout à fait de la traction humaine.

– Peu importe ! Ce qui compte c’est que le tricycle est maniable et pas très large. Il a besoin de peu de place pour stationner donc sa généralisation permettrait de faire plus de zones de livraisons de tailles modestes au lieu d’en avoir en petits nombres aptes à recevoir des camions de dix mètres de long !

– Pas besoin de transpalettes tout terrain donc !

– Mais si ! Pour la livraison des gros volumes ! Il est évident que les gros commerces ont besoin de livrer des palettes entières ! Une palette compte en général pour un colis et elle doit arriver dans le magasin telle qu’elle a été préparée en entrepôt.

– Oui, oui, je sais tout ça.

– Tout ce que je veux dire c’est que livrer sans créer des bouchons et de manière plus écologique est tout à fait possible. Mais pas dans le système actuel où tout est axé sur la nécessité de faire tout à l’arrache ! Jamais aucun livreur livrant une palette aux Jacobins ne garera son camion rue Grenette, d’une part parce qu’il ne  dispose que d’un transpalette inadapté à ce genre de trajet, d’autre part parce que même s’il en avait un de ma conception, il n’aurait absolument pas le temps pour se permettre de faire cet allez-retour ! 

– Je sais. D’ailleurs, à ce propos, à quel vitesse irait votre transpalette ?

– Il n’y a pas de pure limite technique mais disons qu’une vingtaine de kilomètres heure me semble assez pertinente pour limiter à la fois les risques d’accident et l’impact écologique sans pour autant perturber la circulation. Il ne faut pas oublier que les transpalettes circuleront au milieu des voitures, vélos et trottinettes.

– Et tricycles ! Vous savez que j’ai reçu des concitoyens qui n’imaginent absolument pas qu’on puisse instaurer une zone 30 dans toute l’agglomération, alors si vous leur dites qu’un jour ils seront gênés par des transpalettes qui vont à 20 à l’heure, attendez-vous à une levée de boucliers !

– Écoutez ! Tout cela s’inscrit dans une vision d’avenir ! Les mentalités vont changer. Pour l’heure, si vous obligiez les camions à ne jamais stationner même de manière très courte sur une voie de circulation, cela finirait par avoir un surcoût. Les transporteurs trouveraient peut-être que le tricycle est aussi une solution, ou bien ils diraient à leurs chauffeurs : « Ainsi soit-il ! Gare-toi rue Grenette pour aller livrer au Jacobins ! » Et le livreur se baladerait avec sa palette en allant largement moins vite qu’avec le transpalette de ma conception, il gênerait d’autant plus la circulation, ce qui serait l’inverse du but recherché.

– Oui, c’est certain. Et le transporteur dirait ensuite au commerçant que les livraisons sont désormais plus chères, le commerçant irait voir le maire pour lui dire qu’avec ses dispositions il va tuer le commerce de centre-ville au profit des hypermarchés de l’extérieur et au détriment du bilan carbone de la cité toute entière !

– Eh ben on va finir par s’entendre vous et moi ! Vous m’accorderez donc que c’est d’un projet global, réfléchi et surtout expliqué, dont on a besoin. Il faut qu’il soit soutenu non pas de tous, mais du moins de la majorité. Ce sera possible quand une majorité de citoyens aura conscience de la nécessité du changement.

– Je suis d’avis qu’il faut de très gros changements mais de votre côté vous devez accepter qu’un projet tel le votre puisse apparaître à la majorité comme légèrement douteux.

– J’ai beaucoup réfléchi à la question et franchement… non, je crois vraiment que c’est une solution réellement viable.

– Je ne me prononcerai par sur le sujet car à l’heure actuelle j’ai beaucoup de difficultés à trouver des données statistiques dont j’aurais la certitude qu’elles ne sont pas biaisées par la volonté de confirmer un postulat idéologique. Par exemple certains de nos concitoyens m’affirment que la trottinette électrique à tous comptes faits un bilan carbone négatif. Ils n’apportent pas de chiffres, c’est juste qu’ils n’aiment pas la trottinette. Sauf que ce qu’ils disent pourrait s’avérer vrai contre toute attente. D’autres personnes me disent qu’elles aiment commander sur internet parce qu’ainsi elles utilisent moins leur voiture et ménagent leur bilan carbone.

– Ménagent leur compte en banque m’apparaît être plus conforme à la réalité ! Pour cela le calcul est beaucoup plus direct ! S’ils achètent sur internet des produits dont ils pourraient trouver l’équivalent dans les commerces du coin, c’est nécessairement par souci d’économie. Car en effet, si en les ayant cherchées vous ne trouvez pas d’études chiffrées et non partisanes sur l’impact des différents modes de transport, je ne vois pas comment une personne qui ne les a pas cherchées pourrait savoir quoi que ce soit sur l’amélioration de son bilan carbone suite à une moindre fréquentation des commerces physiques au profit des commerces en ligne.

– Oui mais les gens aiment aussi à conforter psychologiquement leur mode de vie. La culpabilité qu’on ressent en tant qu’occidentaux est réelle hormis chez les gens qui n’en ont simplement rien à foutre. Il est facile de soulager un peu sa conscience en s’appuyant sur une réflexion dont on se dit qu’elle est le fruit du bon sens. Imaginez que vous habitiez un petit village à 10 kilomètres d’une petite ville que vous aviez l’habitude de fréquenter quasi-quotidiennement. Un jour vous vous mettez à faire des achats sur internet et grâce à cela vous allez un peu moins souvent en ville. Alors régulièrement un fourgon vous livre des colis, souvent moins de 24 heures après la commande, c’est magnifique et d’autant plus qu’il arrive que le livreur ne se contente pas de vous apporter des colis, il en apporte aussi à votre voisin !

– Tout ce que fait un facteur depuis des lustres en somme !

– Oui certes, et vous avez raison d’ironiser. Mais là par exemple il peut aussi s’agir de paniers de courses tout entiers.

– Un peu comme quand l’épicier ambulant faisait la tournée des villages.

– Oui certes. Mais c’est une époque révolue et cet épicier n’avait pas la force de vente apte à le rendre compétitif en comparaison de l’hypermarché de la petite ville d’à-côté. Avec internet c’est potentiellement une multinationale géante qui vous livre. Si vous ne voyez pas au-delà, c’est à dire tout ce que cela peut signifier en terme d’écologie d’être dans un monde construit par et pour les multinationales…

– Vous voulez dire : « Si vous êtes sourd et aveugle » ?

– En quelque sorte… Je peux finir ma phrase ? Sans vous déranger ?

– Faites !

– Donc si vous ne voyez pas au-delà vous vous dites simplement : « J’allais presque tous les jours en voiture à la ville, mon voisin faisait de même, désormais un seul véhicule nous livre régulièrement tous les deux en même temps. Mathématiquement un seul véhicule en remplace deux et même beaucoup plus puisqu’il poursuit sa tournée vers d’autres villages. »

– Oui c’est possiblement vrai même si le véhicule du livreur a des chances d’être plus gros et de rouler à fond !

– Dans le tas de ceux qui commandent sur internet il y en a sûrement aussi quelques-uns qui roulent à fond. Donc à priori, si on ne s’intéresse qu’à la partie finale de la chaîne, celle qui fait passer le produit du dernier entrepôt par lequel il transite à nos placards, que des gens vivants dans des villages se fassent livrer plutôt qu’aller chacun et chaque jour à la ville d’à-côté, le bon sens nous dit que c’est vertueux d’un point de vue écologique.

– Oui cela s’entend. Mais on peut aussi se demander à quel moment les gens sont devenus si accrochés à la conduite et à leur liberté d’aller où bon leur semble quand bon leur semble au point de ne jamais envisager  l’idée de faire leur course avec leur voisin. Si vous allez tous les jours faire des courses ne me dites pas que vous avez besoin à chaque fois d’un coffre pour vous seul !

– A mon avis c’est arrivé au moment où l’épicier du village a mis la clé sous la porte, tué par la concurrence de l’hypermarché de la ville d’à-côté. Et c’est là où je veux en venir. Quel est le réel impact de la livraison à domicile ? Est-il positif d’un point de vue écologique ? Peut-on l’étudier réellement en tenant compte de toutes ses composantes. A priori l’exemple que je vous ai donné plaide en sa faveur, non pas si on le compare à la situation du temps jadis où même les petits villages avaient des commerces, mais du moins si on le compare aux dernières décennies qui ont vu la grande majorité des français se ruer en voiture vers les hypermarchés souvent installés à plusieurs kilomètres de chez eux quand ce n’était pas des dizaines de kilomètres. Nous pourrions dès lors considérer l’achat sur internet comme un retour de la raison.

– Je vous ai déjà dit que ce j’en pense ! C’est un calcul purement pratique et financier ! Maintenant je ne dis pas que cela ne peut pas avoir quelque impact positif mais cela sera fortuit.

– Justement, à défaut d’avoir sous nos yeux une étude pertinente on peut essayer d’y voir de plus près. Transposons l’achat sur internet de la campagne à la ville ! Comme vous le soulignez cela a aussi un côté pratique. Plutôt que d’aller chercher dans les rayons la présence hypothétique d’un livre, vous le cherchez sur internet. C’est parfait car plein de monde le vend ! Vous n’avez que l’embarras du choix et en plus grâce au dispositions culturelles françaises tout le monde le vend au même prix. Bien sûr Google vous indique en premier lieu le meilleur endroit pour l’acheter.

– Alibaba ?…  Je plaisante.

– Eh oui, mais pourquoi pas Alibaba d’ailleurs ? Toujours est-il que si vous êtes né sous le signe du mouton…

– Méfiez-vous de ce que vous allez dire, je suis bélier !…  Je plaisante…   Mais c’est vrai que je suis bélier.

– Bon. Disons que si vous avez tendance à suivre le troupeau, vous n’allez pas chercher plus loin, vous prenez ce que vous propose Google.

– Moi j’utilise DuckDuckGo mais pour un cas pareil le premier résultat serait le même !

– Certes. Mais vous pourriez aussi décider que vous préférez faire travailler un peu la librairie du coin qui est à moins d’un kilomètre de chez vous. Elle n’a pas le livre en stock mais elle propose aussi des commandes sur internet et la livraison à domicile, certes en 24h de plus que la géante multinationale mais depuis quand est-on incapable d’attendre 24h de plus ? On n’est tout de même pas rendu à l’état d’impatience d’un gamin de 5 ans un soir de Noël !

– Ah si si ! Je vous assure ! La moitié de l’occident en est rendue à cette impatience-là ! Et il est à craindre que ce soit pareil en Chine.

– Alors imaginons que vous faites partie de l’autre moitié. Vous décidez de faire travailler la librairie du coin mais vous avez encore un choix à faire car vous avez aussi la possibilité de faire livrer le livre directement à la librairie. Auquel cas vous devrez faire le kilomètre qui vous sépare d’elle pour aller le chercher durant ses heures d’ouverture. Des deux, quelle est la solution la plus écologique ?

– Eh bien j’imagine que cela dépend de votre façon de parcourir ce kilomètre. Si vous en profitez pour vous oxygéner les neurones par une petite marche à pied, c’est presque neutre de votre point de vue.

– On est dans une ville saturée de véhicules donc l’oxygénation sera réduite mais peu de chances de vouloir y aller en voiture.

– Alors je peux vous affirmer à coup sûr que dans ces conditions, il est sûrement plus écolo de se faire livrer à la librairie. Et même si elle n’existait pas il vaudrait mieux passer par un point relais que se faire livrer à domicile en ville. Comme je vous l’ai dit les services de messageries participent beaucoup au désordre urbain. Les véhicules qui multiplient les arrêts dans des zones encombrés ne peuvent pas se targuer d’être écolos ! Ils génèrent leur propre pollution et sont responsables de bouchons qui génèrent aussi de la pollution. Il est donc mieux que ces services posent de nombreux colis dans un seul commerce plutôt que d’aller à des dizaines d’adresses différentes livrer un ou deux colis à chaque fois. S’ils livraient tous en tricycle cela serait plus discutable mais on n’en est pas-là. Même si les entreprises de transport étaient d’une organisation irréprochable il vaudrait toujours mieux livrer dans un point relais accessible à pied que chez l’habitant. Mais leur organisation est vraiment loin d’être irréprochable.

– Je le sais. J’ai été longtemps dans le commerce de détail.

– C’est assez étrange d’ailleurs un tel bordel. Moi j’ai été dans des entreprises qui cherchaient à améliorer leur processus logistique et toutes celles livrées par de nombreux transporteurs n’en pensaient jamais du bien. Or c’est un secteur assez concurrentiel et la théorie économique nous dit que cela devrait conduire à une meilleure qualité de service.

– Il est assez facile de voir pourquoi ce n’est pas le cas. La concurrence joue à plein sur le facteur prix ! Si vous aviez un petit commerce vous constateriez rapidement que même vos meilleurs amis vont en cachette chez votre concurrent si celui-ci propose des prix plus bas. Je me demande si la peur de payer trop cher n‘est pas une maladie universelle, en tout cas elle est gravement contagieuse. Donc en tant que commerçant menacé par la concurrence vous cherchez à rester compétitif et quelque soit le volume que vous achetez vous cherchez à acheter au prix le plus bas. Certains fournisseurs incontournables vous imposent des conditions non négociables mais d’autres sont comme vous confrontés à un environnement très concurrentiel, ils ont besoin d’être présents dans votre échoppe et vous pouvez choisir de travailler avec d’autres marques présentant des produits équivalents. Le fournisseur vous livre franco de port à la porte de votre magasin, c’est lui qui choisit le transporteur et ayant l’embarras du choix, il fait lui aussi le choix du meilleur prix d’autant plus qu’aucun transporteur ne va lui dire qu’avec lui la marchandise arrivera cassée, ou en retard. Tout le monde promet de faire le boulot mais la promesse est loin d’être toujours promise. Le problème c’est que la promesse non promise aboutit rarement a des pénalités financières.

– Et pourquoi donc ?

– Parce qu’on est dans une économie où le besoin de faire vite l’emporte sur le besoin de faire bien. Si vous commandez quelque chose sur internet vous vous attendez à ce qu’elle arrive en bon état de marche et si ce n’est pas le cas, vous porterez réclamation auprès de l’entreprise qui vous l’a vendue. Quand vous êtes un commerçant vous finissez par voir les choses différemment. Vous fréquentez régulièrement les mêmes livreurs et même si vous n’êtes pas toujours dupe, vous ne cherchez pas plus loin quand ils vous expliquent que les problèmes sont de la faute d’un autre en amont sur la chaîne logistique. Au final, la casse vous vous en accommodez plutôt du moment que vous pouvez porter les réserves qui vous permettront de ne pas payer la facture. De toute façon aucun commerce ne s’offre le luxe d’ouvrir tous les cartons en présence des livreurs et un carton semblant intact peut très bien contenir de la marchandise invendable. A quel moment a-t-elle été cassée, personne ne peut le dire sauf celui qui a jeté comme un bourrin le carton et a entendu un bruit suspect, on ne va pas compter sur lui pour le signaler ! Donc en général le fournisseur finit par rembourser toute la marchandise qu’on déclare cassée. J’ai travaillé dans des secteurs où certains fournisseurs, après vous avoir poussé à acheter au-delà du raisonnable mais au prix le plus bas qu’il pouvait vous offrir, était parfaitement disposés à vous rembourser tous les invendus. De telles entreprises calculent une part de gaspillage acceptable et elles y incluent la casse durant le transport. Cela finit par laisser entendre que c’est absolument normal, qu’on ne fait pas d’omelette sans casser les œufs.

– D’accord. Mais certains auraient sûrement intérêt à travailler avec des transporteurs qui garantissent un travail de qualité quitte à payer un peu plus cher. Si vous déménagez et que vous ne posséder que de la vaisselle et des meubles en plastique, vous prenez sans doute le déménageur le moins cher, mais si vous avez un piano à queue, une commode Louis XV et de la porcelaine, j’imagine que vous attendez quelques garanties supplémentaires et cela a un coût !

– Oui mais globalement c’est la guerre des prix qui l’emporte. Bien sûr au bout du compte il faut bien que quelqu’un paie pour ce gaspillage.

– Et donc ? Qui paie ?

– Tout ceux qui ne gagnent rien au change. Une bonne partie des consommateurs en particulier même si dans son acte de consommation une personne a toujours l’impression de faire une bonne affaire quand elle paie moins cher. Imaginez que vous soyez caissière dans un magasin. Un concurrent dénommé Pareuche s’installe à quelques kilomètres ; chez lui tout est posé en gros volumes sur des palettes et les caissières ont été remplacées par des caisses automatiques. Les prix sont plus bas et votre propre patron dit que c’est la crise et qu’il va devoir baisser votre salaire. Vous y consentez pour ne pas perdre votre travail mais le magasin qui vous emploie reste tout de même plus cher que l’autre. Comme vous avez un salaire amoindri, vous décidez à votre tour d’aller faire vos courses chez le concurrent qui rencontre un tel succès qu’un jour votre employeur met la clé sous la porte. Vous voilà au chômage, c’est ballot mais vous vous dites qu’heureusement qu’il y a Pareuche qui offre des prix de 25 % inférieurs à ceux que votre patron pratiquait, 25 % c’est exactement la baisse de vos revenus depuis que vous vivez des minimas sociaux. Comme vous n’êtes pas du genre à vous plaindre, vous voyez le bon côté des choses et vous vous dites que vous n’auriez même plus à vous lever le matin si Macron n’avait pas dans l’idée de vous envoyer régulièrement de l’autre côté de la rue ou du département postuler à un emploi appelé à disparaître bientôt et pour lequel vous n’êtes pas qualifiée. En plus vous ne voulez pas paraître être contre le progrès et le progrès est sans doute incarné par ce magasin innovant qui a réussi à faire chuter les prix par un système efficace. Après tout il est vrai que la société peut très bien se passer de caissières dès lors que les produits peuvent être scannés à la volée par une machine ou par le client lui-même, cela vaut sans doute mieux que de le voir les bras croisés à ronchonner à l’idée que vous n’allez pas assez vite. Quant au magasin proprement dit, qui ressemble plus à un gigantesque entrepôt qu’à un supermarché avec toutes ces palettes alignées, après tout, qu’est-ce que ça apporte comme bonheur aux gens d’avoir des étagères remplies de bouteilles de Coca ? Elles sont aussi bien à même le sol et cela ne change rien au goût. On pourrait même affirmer que c’est un peu ridicule d’en être arrivé à faire des boutiques dirigées par le souci du détail et l’apparence, avec des rayons qu’une myriades de petites mains remplissent guère plus vite qu’ils ne se vident, comme si l’humain n’avait pas autre chose à faire de sa vie que d’empiler des boîtes au lieu de lire, d’apprendre à jouer de la musique, à faire de la sculpture, à entretenir des monuments historiques. Sans compter que ces magasins qui misent sur l’apparence ont toujours la crainte de paraître vieillis. Alors il faut régulièrement intervertir les rayons, voire changer tout le mobilier, l’ancien partant à la casse alors qu’il aurait pu encore servir des années. Tout cela semble empreint de matérialisme alors qu’un entrepôt contenant des rangées de palettes remplit parfaitement la fonction qui lui incombe : être un endroit pour faire ses courses ! Finalement Pareuche et son magasin-entrepôt vous semble initier une forme de société libératrice et moins gourmande en ressources, où l’homme se défait de la contrainte du travail et réduit son impact sur l’environnement. C’est pour cela qu’au bout de quelques années de chômage, alors que vous sombrez peu à peu dans la déprime malgré votre temps libre, vous vous étonnez un jour de voir que Pareuche est devenu un vrai hypermarché, avec des gondoles en lieu et place des palettes. Il y a même des gens qui font de la mise en rayon, c’est ballot, si vous n’aviez pas fêté vos 40 ans au printemps précédent vous auriez pu postuler. Mais vous trouvez que Pareuche n’est plus aussi intéressant qu’avant, les prix ayant peu à peu grimpé. Heureusement la chaîne mondialement connue « MicroPrice » vient de racheter 100 hectares des meilleures terres du coin pour y planter un entrepôt géant afin de faire de la livraison à domicile à des prix défiant toute concurrence. Vous vous dîtes que Pareuche a du souci à se faire mais il y a quelque chose qui vous intrigue : pourquoi diable Pareuche, qui, en allant à l’essentiel, avait trouvé un moyen d’offrir des prix bas et du temps libre à la communauté tout en ayant un moindre impact sur l’environnent, a-t-il changé de modèle au risque de laisser la concurrence lui tailler des croupières ?

– Eh oui ! Pourquoi diable ?

– Le jour où un détaillant aura comme objectif principal la lutte pour l’environnement, il trouvera peut-être qu’avoir des palettes en lieu et place d’étagères qui vieillissent mal est une excellente solution. Mais ce n’est certainement pas chez lui que vous devrez vous attendre à trouver des prix bas parce que l’économie en main d’œuvre ainsi réalisée ne compensera jamais les surcoûts en amont qu’il aura pour proposer des produits au meilleur bilan écologique possible. A la limite il aura des prix plus bas qu’un détaillant ayant la même logique d’approvisionnement que lui mais qui a, à l’inverse, le souci du détail dans sa boutique. Une enseigne qui enclenche une guerre des prix n’a qu’un seul but en tête : la conquête de parts de marché ! C’est un processus hyper-offensif qui ne passe que partiellement par l’innovation technique, managériale et logistique. Il faut surtout mettre sous pression l’ensemble de la chaîne en amont. Vous me direz que la chasse au gaspillage pourrait faire partie du processus de réduction des coûts mais cela supposerait une expérience et des capacités d’analyses que ces entreprises n’ont pas en réalité. La guerre des prix ne suffit pas à bouffer la concurrence si vous n’êtes pas en mesure de fournir les produits que les consommateurs attendent. Pour limiter le gaspillage dans des secteurs fortement impactés par la saisonnalité les détaillants devraient être pratiquement en flux-tendu permanent sur de nombreux produits. On entend souvent parler de stock-zéro ou de juste-à-temps mais ce sont des concepts qui sont déjà par essence difficilement applicables dans les secteurs justement accusés de générer du gaspillage. Et comment pourriez-vous soutenir une guerre des prix sans acheter ou produire plus ? Ou sans vous faire connaître ? Donc sans des budgets publicitaires conséquents ? Même si un jour vous êtes le maître absolu d’un secteur vous n’allez jamais cesser de dépenser toujours plus en publicité. Si les choses n’allaient pas ainsi dites-moi pourquoi Amazon et Mc Donald’s s’incrustent dans presque toutes les pages de pub télévisées ?

– Sans doute parce qu’ils ont le flip d’Alibaba et Burger King ! 

– Amazon en voudra toujours plus, quant à Mc Donald’s c’est un très bon exemple. Bien sûr vu de France on ne perçoit pas cette enseigne comme une succes story consécutive à une guerre des prix. C’est plutôt l’image de l’innovation qu’on a en tête. Après tout on ne mangeait pas de hamburgers assemblés à la chaîne par des étudiants plein de fun et de jeunesse d’esprit. Soit. Mais si on regarde de près la filière bovine qui alimente ce genre de chaînes, on comprend pourquoi ils paient un kilo de viande bien moins cher que vous ne trouverez à acheter un kilo de cerises à un maraîcher bio de la Drôme. Lequel des deux kilos a le bilan carbone le plus désastreux, pas besoin de vous faire un dessin ! Avec son mélange de fun, de jeunesse d’esprit et de désastre écologique Mc Do a conquit le monde. Dans certains pays comme en France c’est une chaîne qui n’envisage plus les mêmes taux de croissance qu’il y a dix ou vingt ans. Que fait-elle pour continuer à aller de l’avant ?

– Je l’ignore parfaitement. Je ne fréquente pas cette enseigne !

– Elle monte en gamme ! Exactement comme Pareuche, mon détaillant fictif. Mc Donald’s aimerait que d’ici à quelques années le commun des mortels ait oublié qu’on associait son nom à la malbouffe. Ils veulent même qu’on oublie d’associer ce nom au terme de Fast-food.

– Bon courage !

– Faut pas vous en faire pour eux.

– Oh je m’en fais pas !

– Tout ça pour dire que la course aux parts de marché donne au consommateur l’apparence d’une vie meilleure marché mais il faut bien payer pour le gaspillage et la publicité.

– Vous voulez dire que sans cela on pourrait avoir des prix encore plus bas ?

– Non ce n’est pas ce que je veux dire. Parce que cela signifierait qu’on serait capable d’avoir le même niveau de production et de consommation sans le gaspillage et la publicité. Non ! Sans cela on serait dans un autre schéma ! Or incontestablement ce schéma-là nous met à l’abri de la pénurie, on ne voit pas des gens faire la queue devant des épiceries ! On est même dans un grave état de surconsommation ! Quand je parle de prix à payer il n’est évidemment pas le même selon que vous êtes une caissière mise au chômage ou un cadre dans une agence de pub. Les employés peu qualifiés sont soumis au chômage et un déclassement salarial progressif, la recherche des prix bas pour eux n’est pas seulement la quête du meilleur prix pour un produit de qualité correcte, ils doivent aussi se satisfaire de produits bas de gamme.

– Personnellement je refuse de dédouaner une personne sous prétexte qu’elle a un faible pouvoir d’achat. Trop de gens sont rentrés dans la folie consumériste et ont décidé d’eux-mêmes d’aller vers le bas de gamme pour pouvoir consacrer une part de leur revenu à des choses dont ils auraient très bien pu se passer. Donc si on produit autant de merdes c’est aussi grandement en partie de leur faute !

– Je le conçois mais vous vous rendez bien compte que beaucoup subissent aujourd’hui une forme de double-peine et qu’il ne faut guère compter sur les grands médias pour expliciter la logique à l’œuvre. Il y a une certaine frange de la population qui, en apparences, a beaucoup d’intérêts à ce qu’un tel système perdure le plus longtemps possible.

– Les cadres des agences de pub ?

– Par exemple. Mais la perception de cet intérêt pourrait être amenée à rapidement évoluer si on considère l’impact désastreux que ce système économique a sur l’écosystème. On a beaucoup dit que l’argent permettait de se protéger de certains fléaux. On peut estimer que manger des produits de qualité peut avoir un impact positif sur la santé. Si comme moi vous croyez que les pesticides sont désastreux pour la santé publique…

– Ne lâchez rien sur la glyphosate !

– Comptez sur moi mais la partie n’est pas gagnée.

– Cerné comme vous l’êtes de corrompus, je veux bien vous croire.

– Je n’irais pas jusque-là mais bon…  Donc si vos revenus vous le permettent, où à défaut si vous êtes prêt à certains sacrifices, vous pouvez juger utiles de ne manger que des produits bio. Vous le faites et puis un jour quelqu’un vous propose de faire des analyses toxicologiques et vous vous rendez compte que vous êtes totalement infestés de saloperies. Vos gamins sont aussi malades que les autres, ils ont des allergies à gogo, respirent mal. Que vous soyez en ville, à la campagne, à la montagne, votre environnement a été totalement contaminé par les poisons persistants déversés par des décennies de pratiques agricoles et industrielles délétères. C’est ballot !

– Vous êtes en train de me dire qu’il ne faut pas manger bio ?

– Non je ne suis pas en train de vous dire cela. J’encourage même l’intégralité de la population à demander du bio et pas du bio labellisé par tous ceux qui ont le mieux manié le poison jusqu’ici ! Mais que chacun ne le demande pas pour sa santé personnelle mais pour la santé de tous ! Le faire pour sa propre santé est égoïste et peu efficace. Mais si nous refusons en masse de continuer à laisser pourrir notre environnement au profit de certains comptes en banque, il y a quelque chance que la contamination ralentisse enfin. J’entrevois un faible espoir et quelque justice en ce bas monde du fait que l’empoisonnement n’épouse pas tout à fait les frontières de l’argent. Un très très faible espoir devrais-je dire. Depuis que je suis élu j’ai encore plus qu’avant l’impression que les lignes sont immuables… On s’est un peu écarté du sujet là, non ?

– Un peu.

– De quoi parlait-on avant ?

– De guerre des prix.

– Ah oui… Donc ce que je voulais dire c’est que les fournisseurs générant le plus gros gaspillage produisent en gros volume et ont le pouvoir de garder des marges élevées en pressurisant leurs propres fournisseurs. A qualité égale les gros restent moins chers que les autres même avec des pratiques commerciales dont ils savent qu’elles favorisent le gaspillage. Leurs méthodes logistiques ont tendance à s’imposer aux autres. Tenez, j’ai eu un fournisseur qui faisait plutôt du haut de gamme. Comme il m’arrivait parfois de recevoir de la marchandise cassée je me plaignais directement auprès de lui. Le commercial demanda un jour qu’on contrôle un peu mieux le contenu des cartons lors de la réception de la marchandise et de nous plaindre directement auprès du transporteur en cas de casse. Il m’expliqua que le transporteur recevait de leur part un surplus financier censé compenser la casse et que c’était donc à lui de la payer. Vous voyez le truc ? Il ne m’a pas dit : « Le transporteur reçoit un surplus censé compenser le surcoût qu’il aura en s’assurant de ne générer aucune casse. »

– La bonne méthode ce serait plutôt d’imputer tout le coût de la casse au transporteur !

– Comment vous allez prouver que c’est lui qui l’a cassée ? Il faudrait qu’il contrôle lui-même chaque contenu de carton à la prise en charge de la marchandise. Sans compter que la marchandise peut d’abord passer par divers transporteurs nationaux ou internationaux avant d’arriver dans les camions du transporteur final. Non croyez-moi ! Cette idée qu’on accepte une part de casse entretien l’idée qu’on peut faire vite et mal sans trop en payer les conséquences, ce qui contribue en retour à renforcer l’idée qu’on accepte une part de casse. C’est un cercle vicieux. 

–  En ce sens proposer les délais les plus courts possibles pour les livraisons à domicile ne risque pas de nous faire passer du vice à la vertu.

– Certainement. J’imagine que si on mettait des traceurs dans les véhicules qui font de la messagerie on pourrait reconstituer des parcours vraiment étranges du point de vue de la logique, du moins si notre volonté était de faire des économies de carburant. Il faut bien admettre que ce n’est pas facile, justement parce que les villes sont soumises à tous ces aléas de circulation. Un livreur doit se démerder et prendre des décisions pour tenter de respecter les délais, s’il avait comme objectif principal de minimiser la consommation d’énergie il ne pourrait pas prendre les mêmes décisions. Mais même si l’énergie est loin d’être gratuite c’est une dépense trop souvent perçue comme un mal nécessaire. Jusqu’au jour où elle sera si chère qu’elle fera l’objet d’un axe de réflexion plus poussé.

– Mais d’où vous tirez l’idée qu’elle puisse être plus chère ? Notre surconsommation d’énergie est en train de conduire le monde vers un avenir totalement incertain et carrément anxiogène ! Si on veut bien admettre que la cause « surconsommation d’énergies fossiles » produit bien l’effet « dérèglement climatique et pollution » cela fait longtemps que le prix du kilowatt ou du litre d’essence devraient avoir grimpé en flèche ! Cela fait longtemps qu’on aurait mis fin aux accords internationaux qui favorisent le transport aérien et donc les vacances à l’autre bout du monde ! Cela ferait longtemps que Lyon serait envahi de bicyclettes !

– Et de tricycles.

– Parfaitement !

– Vous devriez dessiner un modèle de tricycle, il aura beaucoup plus de chances de voir le jour que votre transpalette tout terrain.    

– C’est bien dommage. Des tramways de fret ce serait super cool ! Mais sinon j’ai aussi cela comme invention… ou réinvention !

– Faites voir !…  C’est… le pont du Gard ?

– Parfaitement !

– Vous voulez réinventer le pont du Gard ?

– Non ! Je veux réinventer l’aqueduc ! Façon de parler !

– Euh…  Vous voulez amener de l’eau en ville ? Tout ce qu’on sait parfaitement faire, certes de façon souvent moins élégante que les romains, mais non moins efficace.

– Vous ne comprenez pas de quoi il s’agit exactement ! Vous savez que les autorités ne cessent de clamer que nous avons au robinet une eau potable tout à fait pure.

– Oui, enfin… elle est buvable.

– Tant et tant que personne ne la boit !

– N’exagérons rien ! Moi je la bois !

– Et vous la trouvez bonne ?

– Pas vraiment mais une fois filtrée c’est déjà mieux.

– Vous utilisez une carafe filtrante ?

– Voilà !

– Vous savez que c’est controversé autant au niveau de la santé que de l’écologie ?

– Oui je sais. Mais je pense que c’est toujours moins pire que d’acheter de l’eau en bouteille niveau écologie. Quant à ma santé j’imagine que l’eau du robinet est de toute façon totalement saturée de saloperies qui ne la rendent pas impropre à la consommation mais nous tue à petit feu. Mais c’est moins pire que de crever de soif n’est-ce pas ?

– Donc pendant que vous buvez de l’eau dégueulasse du robinet, d’autres préfèrent ne pas prendre ce risque et choisissent d’acheter de l’eau de source ou minérale. Imaginons que chaque lyonnais fasse cela et qu’il consomme en moyenne deux litres par jour d’eau en bouteille. Nous aurions donc sur l’agglomération la nécessité de transporter par camion environ deux millions de litres d’eau en bouteille par jour, soit deux milles mètres cubes, soit une piscine de 50 mètres de long par 20 mètres de large et 2 mètres de fond ! Combien de kilos de courses rentrent chez vous chaque jour ?

– Alors là ! Vous m’en demandez trop ! Je n’en sais fichtre rien !

– Vous buvez du lait ?

– Non.

– Des sodas ?

– De l’alcool ?

– Un peu.

– Des jus de fruits ?

– A l’occasion mais le plus souvent je presse moi-même les fruits.

– Bon globalement si vous buviez toutes ces choses-là vous devriez quand même boire assez peu d’eau. Mais sinon ces deux litres d’eau représenteraient une part non négligeable de ce qui rentre chez vous, du moins en ce qui concerne votre alimentation. Bien sûr si vous achetez des tonnes de fringues, des armoires normandes, que vous aimez consommer tout et n’importe quoi, surtout ce qui ne dure pas, deux kilos cela peut paraître faible.

– Oui certes. Cela fait plus de 700 kilos par an. Je me demande si je mange pour plus de 700 kilos par an ?… Je concède que j’ai un bon coup de fourchette et je mange quand même pas mal de fruits et légumes, ça pèse !

– Mais ça peut baisser votre consommation d’eau.

– Je crois qu’en moyenne les lyonnais jettent pas loin de deux kilos de déchets par jour et par personne tout compris. Donc j’imagine qu’en rajoutant ce qu’ils mangent et boivent, on doit plutôt approcher les quatre ou cinq kilos à transporter par la route pour chaque habitant dans un sens, plus donc le poids des déchets dans l’autre sens.    

– Là-dedans on compte le poids des voitures qui partent à la casse ?

– Bonne question ! J’imagine que oui.

– Toujours est-il qu’il serait assez facile de remplacer les bouteilles d’eau en créant un réseau de canalisations spécialement dédié à l’eau que l’on boit. Les romains allaient chercher l’eau loin de la ville et nous ferons pareil en reprenant le contrôle de sources qui sont actuellement exploitées par des entreprises privées. Au lieu que cette eau de source soit embouteillée elle sera emmenée directement sur le lieu de sa consommation. Bien sûr on ne va pas adjoindre un réseau d’eau à celui existant dans les habitations. Nous créerons un réseau qui aura comme points d’arrivée quelques centaines de robinets installés dans les épiceries ou les boulangeries par exemple. Les gens viendront avec leur bouteilles non jetables et auront de l’eau vraiment potable pour un prix modique servant à rémunérer le service rendu par le commerçant et l’entretien du réseau.

– Ah ben tiens! Voilà une idée qui plaît bien ! Je vous promets de poser tout cela sur le papier et de proposer à des députés bien choisis de me suivre sur ce coup !

– A défaut que cela aboutisse sur quelque chose, vous pourrez savoir ceux qui ont des intérêts dans l’eau de source !

– J’en connais beaucoup plus qui ont des intérêts non dissimulés dans le Champagne ! Surtout accompagné de petits fours !

25 août 2019

Loulou Léonard vs Godillot

Les entretiens citoyens de Loulou Léonard, député de la 15ème circonscription du Rhône.

Objet : Déplacements urbains et écologie.

Citoyen : Monsieur Godillot, piéton.

Date : 25 janvier 2019.

 

– Alors Mr Godillot, qu’est-ce qui vous amène ?

– La peur, c’est à craindre.

– La peur ?

– Mais oui ! Je vis dans une peur permanente à cause des autres !

– Les autres ?… Tous les autres ?

– Non pas tous les autres. J’ai surtout peur des camions, des voitures, des motos, des scooters, des vélos, des trottinettes, des planches à roulettes, des poubelles, des fauteuils roulants, des poussettes, des caddies, des chiens en laisse…  mais de certains piétons aussi,

– Rien que ça ? Mais alors vous vivez dans la peur… depuis toujours ?

– Oh non ! Avant la peur était intermittente ! Quand il s’agissait de traverser quelques carrefours infranchissables par exemple.

– Des carrefours infranchissables ? Je ne vois pas. Vous n’essayiez tout de même pas d’aller à pied sur des échangeurs d’autoroute ?

– Oh non ! Je vous parle de carrefours avec des passages piétons !

– Comment pourraient-ils être infranchissables s’ils ont des passages piétons ?

– Mais parce que les véhicules ne s’arrêtent pas pour vous laisser passer pardi !

– Ah !… Oui je vois ce que vous voulez dire. Mais enfin, il faut se lancer vous savez, si les automobilistes n’ont pas la courtoisie de s’arrêter cela ne veut pas dire qu’ils vont vous rouler dessus une fois que vous vous serez engagé.

– Bien sûr qu’ils vont me rouler dessus ! Vous savez combien de mètres il faut pour qu’un simple scooter s’arrête lorsqu’il est lancé à 50 km/h ? Sachant qu’en plus aucun ne respecte les limitations de vitesse !

– Vous exagérez !

– Non je n’exagère pas !

– Bon. Au pire, si les voitures et les scooters ne s’arrêtent pas vous pouvez toujours attendre l’instant où il n’y a plus de circulation. On n’est pas non plus dans une mégapole de 10 millions d’habitants.

– Ah ben vous en avez de bonnes vous ! Alors en plus c’est moi qui devrait attendre de longues minutes l’arrivée d’un instant où j’ai une chance d’arriver vivant de l’autre côté !

– Je pense que vous avez une notion du danger un peu particulière.

– Pas du tout ! Les gens sont inconscients tandis que je suis prudent. Qui a raison ?

– Là n’est pas le problème ! Je ne vois simplement pas comment vous pouvez vous retrouver apeuré à l’idée de traverser une rue… ou un carrefour comme vous dites. Je tiens à vous rappeler qu’on ne traverse pas les carrefours en diagonale ! C’est la première chose qu’on apprend aux enfants !

– Mais carrefour ou rue c’est pareil ! Et je ne traverse certainement pas en dehors des clous ! Mais comment voulez-vous traverser quand les gens grillent les feux ?

– Les gens grillent les feux ? Voilà autre chose !

– Ils grillent les feux piétons !

– Les feux piétons ? A ma connaissance quand le feu piéton est vert, le feu pour les véhicules est rouge ! Là en théorie vous pouvez traverser sans danger !

– Mais pas du tout ! Ce n’est pas du tout ce qui se passe ! Figurez-vous qu’un carrefour c’est un endroit ou plusieurs rues se croisent !

– Vous m’en direz tant !

– Et donc des conducteurs qui ont le feu vert en profitent pour tourner à gauche ou à droite ! Et alors ils roulent sur un autre passage piéton, pour lequel le feu piéton est vert. Et là ils sont tenus de s’arrêter ! Mais ils ne s’arrêtent pas !

– Vous exagérez ! La plupart s’arrête !

– Mais non! Pas du tout ! A certains carrefours aucun ne s’arrête ! Allez sur les quais ! Allez-y ! On ne peut pas traverser sans risquer sa vie ! Le feu piéton passe au vert, vous vous lancez sur le passage mais avant que vous n’ayez fait la moitié du chemin, des voitures qui étaient en face et tournent vers ce passage vous grillent la politesse ! Et là vous ne savez que faire ! Peut-être que la voiture d’après va s’arrêter en freinant brusquement, vous signifiant ainsi à quel point votre présence l’irrite ; ou peut-être qu’elle va forcer le passage ! Alors vous ne savez jamais quelle est la bonne attitude, faut-il marcher vite ou doucement ? Faut-il marquer un temps d’arrêt au milieu de la rue ? Faut-il garder son rythme coûte ?

– A mon avis oui ! Il ne vous arrivera rien ! La peur n’évite pas le danger mais dans votre cas je dirais que la peur a de grandes chances de provoquer le danger !

– Ah non ! Je ne peux pas vous laisser dire cela ! Ah certes je peux décréter que si le feu est vert pour moi je n’ai qu’à traverser sans me soucier des véhicules ! Mais moi je peux vous assurer que si j’avais toujours fait cela je serais mort depuis longtemps !

– Non je ne pense pas.

– Prudence est mère de vertu !  

– Si vous voulez.

– Alors vous trouvez cela normal qu’on ne puisse même pas traverser tranquillement à un passage piéton ? Pourquoi on ne règle pas les feux afin de laisser le temps aux piétons de traverser ces carrefours qui posent autant de problèmes ?

– Écoutez ! J’imagine que dans la mesure du possible ces choses-là ont déjà été réfléchies. Régler la circulation est une affaire qui demande des calculs complexes !

– Si je comprends bien vous faites des consultations citoyennes sur les déplacements urbains en ayant des idées préconçues et comme simple réponse aux problèmes qu’on vous expose, vous dites que tout a déjà été réfléchi par plus intelligent que moi ou vous ! Ah ben bravo ! Vous les politiques vous admettez que vous ne servez à rien au juste ! Je me demande pourquoi je suis venu.

– Ne le prenez pas comme cela ! Je suis là pour écouter les problèmes des gens mais en ce qui vous concerne j’ai l’impression que vous avez tendance à les amplifier un peu.

– Je suis un grand marcheur figurez-vous ! Je connais très bien les problèmes des piétons que ce soit en ville ou à la campagne !

– Très bien. Parlons-en !

– La marche c’est bon pour la santé n’est-ce pas ?

– On le dit !

– La marche c’est incommensurablement moins polluant que la voiture n’est-ce pas ?

– Fatalement.

– Et ça l’est sans doute moins que le vélo également. Le vélo il faut l’usiner !

– Nonobstant l’usure de vos chaussures, le vélo est sans doute en effet plus polluant. Mais en vélo on va plus loin.

– Oui mais globalement on peut dire que le marcheur préserve sa santé sans beaucoup polluer ! Et ne dit-on pas qu’un jour nos lointains ancêtres se sont mis debout, ont marché et que cela a changé beaucoup de choses ?

– Je ne suis pas un grand spécialiste de ces questions-là.

– Eh bien moi je vous dis que la marche est le mouvement le plus naturel à l’homme et qu’on ne devrait jamais l’entraver ! L’homme est né pour marcher et partout il est à l’arrêt !

– Un slogan pour la République en marche ?

– Non je paraphrasais un philosophe célèbre si vous voyez qui je veux dire ?

– Certainement.

– L’homme qui marche…

– Après Rousseau, Giacometti ?

– Non ! L’homme qui marche... disons qu’il marche sur le pont Wilson en direction de la Presqu’île ; il marche jusqu’au moment où il arrive au niveau du quai Jules Courmont, quai qu’il veut traverser. Avec un peu de chance il tombe sur un feu piéton vert, avec moins de chance il est rouge. Dans ce cas l’homme qui marche doit arrêter de marcher et faire le poireau ! Il poireaute parfois plus d’une minute avant d’avoir le feu vert ! Enfin il va pouvoir traverser le quai ? Que nenni car quelle solution a-t-on trouvée pour résoudre le problème des piétons qui entravent la circulation des véhicules ? On oblige l’homme qui marche à rejoindre un terre-plein central où il tombe sur un second feu piéton irrémédiablement rouge ! L’homme qui marche poireaute de nouveau ! L’homme est né pour marcher et partout il est un poireau qui regarde passer les voitures ! Tout tout tout, absolument tout a été fait en fonction de la voiture !

– Nonobstant les rues piétonnes !

– Qui sont combien en proportion… en dehors des quartiers construits au moyen-âge ?

– Certes il y en a peu mais la tendance des zones dédiées à la marche est à la hausse !

– A la marche ? Comme vous y allez ! L’homme est né pour marcher, il devrait pouvoir le faire partout, pas uniquement dans des rues piétonnes !

– On va peut-être éviter d’aller marcher sur les voies de TGV ou les autoroutes !

– Vous n’imaginez pas à quel point vous soulevez un vrai problème !

– Non je vous assure, si vous voulez voir des piétons là où il y a des TGV, vous en arrivez forcément à la conclusion qu’on ne peut pas faire de TGV !

– Je pense exactement le contraire ! Évidemment je ne dis pas que les gens doivent marcher sur les voies ! Seulement, quand on construit une ligne à grande vitesse, vous savez bien qu’on réserve une bande plus large que celle nécessaire pour la construction des voies proprement dites. Il y a un espace de plusieurs mètres entre guillemets « végétalisé », puis on plante un grillage pour éviter que des gens viennent s’égarer sur les voies. Quitte à exproprier des milliers d’hectares de terres agricoles et faire du terrassement sur de très grandes lignes droites, vous croyez pas qu’on aurait pu y adjoindre des pistes pour les piétons et les cyclistes ?

– En bordure de TGV ? Vous croyez vraiment que des gens voudraient se balader à quelques mètres de trains qui roulent à 300 km/h ?

– Et pourquoi pas ? Au moins les trains ne vous crachent pas du CO2 à la gueule !

– Je ne sais pas… Pourquoi pas en effet ? Je pense qu’on veut aussi éviter de voir trop de promeneurs à proximité des voies. Il y aura toujours des abrutis avec la tentation de jeter des pierres sur les trains.

– Vous êtes sérieux ? Si quelqu’un veut le faire il trouvera toujours le moyen de le faire !

– Oui mais bien souvent c’est l’occasion qui fait le larron. En plus ce serait un peu ridicule d’élargir des viaducs et des tunnels au-delà du strict nécessaire pour y ajouter une piste cyclable ou un chemin piétonnier.

– Je ne prétends pas qu’on doive aller jusque-là ! Le piéton ou le cycliste aura un chemin dans la vallée ou contournant la montagne. Je dis juste qu’on a raté de nombreuses occasions de redonner le droit aux gens de se déplacer à pied ou à vélo sur des distances importantes sans risquer d’être renversés par des véhicules ! A ceux qui veulent se déplacer vite on dédie des milliards, à ceux qui veulent retrouver le sens du déplacement naturel à l’homme, peanuts ! Le plus symptomatique de ce problème c’est justement à la campagne ! Il y a de très vieux chemins qui peu à peu sont devenus des pistes pour les attelages de chevaux. Pour le piéton la sécurité n’était déjà pas toujours assurée, les attelages de chevaux ont fait des victimes mais globalement on avait encore le temps de se décaler dans le fossé. Ensuite est venu le temps de l’automobile, d’abord guère plus rapide que le cheval, les pistes sont devenus des routes sur lesquelles on pouvait encore marcher sans trop de risques. Et puis les voitures sont allées de plus en plus vite, ont été de plus en plus nombreuses, on a amélioré les routes, on les a élargies, mais pas pour garder un espace pour les piétons, non, juste pour que des voitures de plus en plus larges puissent se croiser de plus en plus vite. Ainsi sur ces chemins ancestraux plus aucun piéton ne peut marcher sans crainte ! Et vous seriez bien en peine de trouver le nouveau chemin dédié à la marche, il n’existe pas ! C’est bien simple, il y a partout en France des villages distants de quelques kilomètres que personne ne s’imagine franchir en toute sérénité à pied. L’homme est né pour marcher et il ne le peut pas ! Vous trouvez cela normal ?

– Non mais mon propos c’est surtout le transport urbain.

– Mais en ville le danger est encore plus grand ! Les piétons sont nombreux mais l’espace qui leur est dédié est souvent ridicule ! Le matin les trottoirs sont encombrés des bacs à ordures ! Sans compter les innombrables commerces qui font mines d’oublier qu’il s’agit d’un espace public ! Là où le trottoir est large vous trouvez toujours quelqu’un pour le rétrécir par une occupation plus ou moins légale ! Tenez ! Exemple typique ! Je me suis engueulé durant des années avec le tenancier d’un bar de mon quartier qui mettait deux rangées de tables sur le trottoir en ne laissant entre les deux qu’un espace restreint pour les piétons…

– S’il le faisait c’est qu’il avait l’autorisation de la municipalité.

– Ah mais je n’en doute pas ! Sauf que ce trottoir n’était pas si large et assez passant ! Avec les serveurs au milieu de tout cela, c’est limite si vous ne deviez pas vous excuser pour passer ! Un vrai goulet d’étranglement ! Puis un jour la municipalité a décidé de supprimer les places de stationnement adjacentes et le trottoir est devenu plus large de deux mètres ; Alléluia ! La municipalité aurait très bien pu en profiter pour allouer un espace vraiment séparé pour que ce bar ait une terrasse à travers laquelle on ne passe pas ; côté rue il y aurait alors eu un espace bien large pour les passants et sans les serveurs au milieu ! Mais non ! On préfère faire dans le ni-ni ! On ne veut pas que le tenancier pense que l’espace devant chez lui appartient, mais on ne veut pas non plus entraver le commerce. Alors on l’autorise à rajouter des tables du côté de la rue ! Résultat : on passe encore entre les rangées de tables, au milieu de ses emmerdeurs de serveurs qui se croient prioritaires parce qu’ils sont au travail ! Et puisqu’il y a plus de tables il y a plus de serveurs et le goulet d’étranglement est encore pire qu’avant ! J’enrage ! Tout cela est tellement typique du monde politique actuel ! C’est comme ce con de maire qui récupère des hectares de terrains liés à la désindustrialisation du centre-ville mais n’a pas planifié d’y planter un arbre parce que ça gâche la vue sur les beautés architecturales dont on s’enorgueillit, puis à l’orée des années 2020 apprend dans la presse l’existence d’un phénomène appelé réchauffement climatique et celle d’un autre phénomène qui dit que la végétation apporte beaucoup plus de fraîcheur que le béton ! Que faire ? pense-t-il alors en son fort faible for intérieur. Alors lui vient l’idée géniale, par le biais d’un souffleur bien entendu, de semer des bacs à arbustes plein les trottoirs ! Voici le programme à venir de végétalisation de cette ville de bétonneurs : des bacs à arbustes, à arroser tous les jours en cas de canicule ! Et là où on aurait pu raisonnablement espérer l’émergence d’un tronc d’un demi-mètre carré surplombé d’un gros feuillage on aura dans son chemin un bac d’un mètre carré et demi faisant de l’ombre à un arbuste minable.

– Vous exagérez ! Il y a des projets de bacs à arbustes dans des rues qui n’avaient déjà pas d’arbres au début du siècle dernier, un temps où l’urgence climatique était somme toute moins prégnante ! C’est pas de la faute du maire si la ville a été faite ainsi.

– Mais c’est de sa faute si à la place d’un parc boisé la confluence s’est dotée d’une marina à la con pour y garer les yachts des meilleurs pollueurs d’entre-nous !

– Oui si vous voulez. C’est pas non plus le seul à blâmer dans l’histoire.

– C’est lui qui se tresse la couronne pour ce qu’il considère être une œuvre très réussie, je rends à César ce qui lui appartient.

– Pour ce qui est de la végétalisation vous devriez surtout vous réjouir car au contraire de ce que vous dîtes beaucoup de bacs prennent la place des voitures, ils ne sont pas mis sur les trottoirs mais sur les places de stationnement. Cela va donc dans le sens d’une moindre circulation.

– Verrons-nous !

– A propos de maire, celui du deuxième a la volonté d’aller vers une interdiction totale du stationnement en surface. Donc d’une manière ou d’une autre on va réellement vers une remise en question du modèle actuel et vous verrez que ce sera forcément en faveur des piétons

– Oui, j’imagine que pour lui c’est facile de décréter cela ! Il a sûrement la certitude de pouvoir garer sa propre voiture à l’abri dans un garage proche de chez lui. Mais l’ensemble de ceux qui votent pour lui n’ont pas tous cette possibilité !

– J’ai l’impression que vous n’êtes jamais content. Maintenant vous allez vous soucier des difficultés de ceux que vous vous êtes évertué à critiquer dans leurs choix !

– Je dis simplement que j’attends de le voir pour le croire ! Car pour le moment je marche surtout sur des trottoirs sur lesquels on ne peut même pas se croiser sans se contorsionner ! Et je ne vous parle pas d’y croiser un fauteuil roulant et une poussette ! C’est infernal !

– Il y a déjà de nombreux progrès ! Justement à destination des fauteuils et poussettes. Les trottoirs sont mis à niveau de la chaussée là où…

– Ne m’en parlez pas ! Il y a des endroits où l’on ne fait même plus la distinction entre la chaussée et le trottoir ! Mais c’est complètement flippant ! Si je ne fais plus la différence, pourquoi les automobilistes la feraient ?

– Vous exagérez !

– Et puis c’est devenu l’enfer ! Avant quand je sortais de chez moi je m’avançais sur le trottoir et je regardais à gauche pour voir si une voiture arrivait ! Mais désormais j’ai toutes les chances d’être percuté ou de tomber à peine ai-je franchi le palier !

– Comment cela ?

– Parce qu’une fois sur deux il y a une trottinette qui me barre la route ! Quand ce n’est pas une rangée entière de trottinettes ! C’est un monde tout de même ! Quelqu’un pose cinq ou six trottinettes en rang d’oignons là où bon lui semble, il s’en va sans se soucier de la météo, et au moindre coup de vent la rangée tout entière dégringole comme des dominos. Si je n’ai pas affaire à des trottinettes en stationnement sauvage il en est une en mouvement qui arrive à pleine vitesse sans se soucier le moins du monde de ma présence ! Et si j’arrive entier à hauteur de la chaussée je ne dois plus jamais perdre de vue la possibilité de voir surgir un vélo qui remonte la rue à sens unique parce que vous les politiques, vous pensez qu’il est raisonnable d’autoriser les cyclistes à emprunter des rues étroites à contresens !

– Décidément.

– Ah non c’est devenu impossible ! Tout cela finira par me rendre fou !

– Vous ne croyez pas que c’est plus une question d’affluence que de moyens de transports ?

– C’est à dire ?

– Vous vivez dans l’hyper-centre à ce que je vois.

– Certains prétendent que le centre est à Bellecour, moi je dis effectivement qu’il est à l’Hôtel de ville.

– Que faites-vous durant la fête des lumières ?

– Je m’enferme chez moi durant quatre jours ! C’est trop infernal !

– Donc vous le marcheur, durant les jours où les véhicules sont interdits de séjour dans les rues du centre, vous décidez de ne pas marcher ?

– Marcher ? Vous appelez cela marcher ? On ne peut pas mettre un pied devant l’autre !

– Eh bien si à la place de ces centaines de milliers de piétons il n’y avait en centre-ville que quelques camions, quelques voitures, quelques motos, quelques vélos, quelques trottinettes, quelques poussettes… je pense que vous sortiriez sans crainte.

– C’est la faute à qui si tout le monde vient au centre ?

– Pas la mienne !

– Mais bien sûr que si ! Vous les politiques vous avez décrété que les gens ne devaient plus jamais avoir un travail, des commerces, des loisirs et de la culture à proximité de l’endroit où ils habitent !

– Ces choses-là ne se décrètent pas sur un claquement de doigts ! Qu’est-ce qu’on y peut si les gens veulent voir de la vieille pierre ?

– Il ne veulent pas tant voir de la vieille pierre que fuir des endroits sans âme ! Personne ne se demande plus de quelle façon on construit des endroits qui ont de l’âme !

– Si, on se le demande justement, mais cela ne veut pas dire que le fruit de notre réflexion aboutit à quelque chose. Quand vous visitez le quartier Saint-Jean dites-vous que ceux qui l’ont habité à l’époque de sa construction n’ont certainement pas pensé qu’ils vivaient au cœur d’une merveille architecturale où il faisait bon vivre !

– Peut-être ! Mais quand on a décidé de poser des boites à sardines géantes dans des champs à la périphérie des villes pour y entasser des tonnes de choses, vous allez me dire qu’on ne savait pas que cela tuerait les épiceries des centre-ville !

– Oh vous savez ? Il paraît que les hypermarchés attirent de moins en moins de gens !

– Voire !… De toute façon le mal est fait ! On a construit des milliers de quartiers, qu’ils soient faits de tours ou pavillonnaires où les gens n’iront jamais faire leurs courses à pied ! Ils n’iront pas non plus au cinéma à pied mais à l’hypercomplexe de la communauté de communes à qui vous les politiques, vous avez donné le droit de s’implanter ! Ils n’iront pas non plus à pied dans une base de loisir attractive, quand ils en auront marre de la balançoire du minuscule square d’à-côté, ils iront en voiture à Euro-Disney ! Ils ne travailleront pas de chez eux ou dans des fab lab dont on nous a dit il y a dix piges qu’ils allaient tout changer ! Non ! Ils iront à l’autre bout de l’agglomération enchaîner des contrats précaires pour ne pas perdre leurs droits au chômage, les plus ingénieux iront dans des pépinières géantes de start-up, car il faut créer de l’émulation vous savez, ne pas laisser le génie se perdre dans son coin ! Ils ne cultiveront pas non plus des légumes dans le champ d’à-côté, le champ a été bétonné depuis longtemps et celui qu’on aperçoit au loin est en sursit !

– Oui, oui, je comprends ce que vous voulez dire. Mais enfin… il y a des choses sur lesquelles il est difficile de revenir en arrière.

– Alors elles servent à quoi vos consultations ?

– A explorer des pistes !

– Pas besoins de pistes ! Explorez la manière dont on pourrait faire un maximum de choses à pied sans être obligé de marcher dans le caniveau, le chemin est là !

1 juillet 2019

Loulou Léonard vs Mme Debusse

Les entretiens citoyens de Loulou Léonard, député de la 15ème circonscription du Rhône.

Objet : déplacements urbains.

Citoyen : madame Debusse, usagère des transports en commun.

Date : 25 janvier 2019.

 

– J’espère que vous ne venez pas faire l’apologie de l’automobile parce que je viens de rencontrer un concitoyen figé dans le passé !

– Vous voulez dire de l’époque où l’on a pensé qu’on pouvait transformer tous les abords de nos fleuves en doubles-voies ou en parking ?

– Oui.

– Cette douce époque où l’on a construit en plein centre-ville ce si magnifique échangeur de Perrache que le monde entier nous envie ?

– Voilà.

– Remarquez qu’on ne s’en sort pas si mal. Il me semble que certains pays ont construit des villes entières basées directement sur ce modèle-là. Et en plus on a sauvé Saint-Jean !

– Sauvé de quoi ?

– Des mégalos qui ont pensé faire du passé table-rase. Pour être honnête il n’a pas été utile d’attendre le règne du tout automobile pour que certains se croient autorisés à penser que des rues et bâtiments vieux de plusieurs siècles étaient nécessairement une entrave à une monde d’échanges ! Enfin… s’il est vrai qu’on ne peut pas tout garder du passé, on devrait quand même s’interdire de tout détruire.

– Certes. Et alors vous du coup ? Vous êtes plutôt marche à pied ? Vélo ?

– Ah non ! Comme vous l’avez peut-être remarqué j’ai un petit handicap.

– J’ai vu que vous boitiez un peu. C’est permanent ?

– Oui et j’ai cela depuis très longtemps. Pour moi la marche et le vélo ne sont pas impossible mais c’est moins simple que pour le commun des mortels. Alors j’utilise énormément les transports en commun. D’autant plus que j’habite au centre et travaille en banlieue.

– C’est plutôt mieux que l’inverse non ?

– A quel point de vue ?

– Pour les transports. J’imagine qu’il y a plus de monde qui voyage vers le centre le matin et vers la banlieue le soir.

– Je ne sais pas. S’ils sont moins bien lotis que moi dans l’autre sens, laissez-moi les plaindre parce que ce n’est déjà pas bien simple !

– Vous prenez le métro ?

– Deux métros et un tramway les lundis et mardis. Un métro et un bus les jeudis et vendredis. Je suis assistante administrative mais sur deux sites différents.

– Et comment ça se passe ?

– Quand cela se passe bien c’est pénible. Quand cela se passe mal c’est très très pénible.

– Ah !… Mais en moyenne est-ce que les horaires sont respectés ?

– Le matin ça va en ce qui me concerne parce que je pars avant l’heure de pointe. J’ai même remarqué que bien souvent les métros sont d’une exactitude qui est de l’ordre de la poignée de secondes le matin.

– Vous parlez du métro automatique ?

– L’un ou l’autre ! Je prends la B et la A ou la D mais le fait qu’il y ait un conducteur ou non ne change rien. Les métros sont à l’heure tant qu’ils n’ont ni problème mécanique ni problème lié au comportement des usagers. Or plus on approche la limite de capacité plus les problèmes mécaniques sont susceptibles d’arriver et plus il y a de contretemps liés à l’attitude des passagers. Il y a évidemment plus de chances que des gens empêchent la fermeture des portes quand le métro est plein. Et rien que le temps de laisser descendre et monter les gens devient plus aléatoire.

– Donc concrètement il paraît difficile d’échapper à ces contretemps.

– C’est difficile dans la mesure où le développement de la ville n’a pas été réfléchi il y a 40 ans sur le très long terme et qu’apparemment, vous les politiques d’aujourd’hui, vous ne réfléchissez pas plus sur le très long terme. Je dirais même qu’en raison de l’état déplorable des finances publiques, les décisions prises actuellement conduisent inévitablement à la saturation rapide du réseau.

– Qu’est-ce qui vous fait dire cela ?

– Ce qui me fait dire cela ? Paris ! Paris c’est l’exemple parfait !

– On n’est pas du tout à la même échelle ! C’est dix fois plus grand que Lyon !

– Mais le réseau aussi est dix fois plus grand ! Mais toutes les erreurs faites à Paris vous pouvez les calquer en proportion à Lyon. Ils peuvent faire ce qu’ils veulent du Grand Paris, rajouter ici et là des lignes de métro, à mon avis c’est de toute façon trop tard, ils sont régulièrement saturés et le seront toujours plus, tout ce qui est fait pour désengorger s’accompagnera de constructions et de nouveaux flux qui ré-engorgeront les lignes nouvelles en presque aussi peu de temps qu’il n’en faut pour le dire. Or Paris semble dédier des moyens proportionnellement bien supérieurs à Lyon à la problématique des transports.

– Qu’est-ce qui vous fait dire cela ? Pour ma part j’ai toujours estimé que nous avions un réseau de transports en commun très bien développé. C’est même quelque chose que je vante.

– On verra bien ce que vous en direz dans vingt ans ! Vous allez déchanter à mon avis si la tendance des humains à s’agglomérer autour des gros centres urbains se poursuit. On nage déjà en pleine schizophrénie en tentant de gommer les erreurs faites il y a 40 ou 50 ans alors que dans les faits nous sommes encore totalement prisonniers de la logique qui prévalait à l’époque. Je dis encore alors que je devrais dire encore plus. Vous savez combien il y avait d’habitants en France en 1960 ?

– Une quarantaine de millions ?

– Non plus ! 45. Il y en avait une cinquantaine en 1970 et 53 en 1980. Dans le même temps le nombre de véhicules immatriculés est passé de 6 millions en 1960 à près de 14 millions dix ans plus tard pour atteindre près de 21 millions en 1980.

– Tout compris ? Voitures, poids lourds ?

– Oui mais de toute façon la part des véhicules individuels représente aujourd’hui plus de 80 % des immatriculations et à-priori cela représente depuis longtemps la grosse majorité. Donc vous voyez qu’en 1960 il y avait un véhicule immatriculé pour plus de 7 habitants. En 1970 il y avait un pour moins de 3,5 habitants. Puis on est passé à 1 pour 2,5 habitants en 1980. Alors vous comprenez pourquoi les hommes politiques des années 60 et 70 avaient des projets pour lesquels l’automobile était tout et le tramway plus rien du tout.

– Sans vouloir vous contredire, à ma connaissance le tramway a disparu de Lyon en 1956, donc bien avant le tout bagnole !

– Oui mais c’était aussi au profit des bus et trolley-bus. Le trolley-bus ça a un peu le même usage que le tramway, une forme de souplesse en plus, le trolley-bus ça monte à la Croix-Rousse, pas le tramway. Tout ça pour dire que depuis les années 90 on a décidé qu’il était temps de reprendre un peu de l’espace concédé au voitures, donc le tramway a fait son grand retour. A première vue c’est plutôt réussi puisque toutes lignes confondues il y aura bientôt plus de 100 millions de voyageurs par an. C’est beaucoup n’est-ce pas ?

– Il faudrait comparer par rapport au nombre de voyages faits en voiture.

– Ce qui est surtout intéressant c’est de comparer avec l’avant-guerre, quand le tramway était à son apogée. Dites-vous qu’à l’époque le tramway comptabilisait 160 millions de voyageurs par an. Il y avait bien sûr beaucoup plus de lignes et puis guère de modes de transport alternatifs. Mais j’imagine que les gens avaient moins la bougeotte qu’aujourd’hui.

– Ils étaient sans doute moins nombreux aussi.

– Cela dépend de quoi on parle. Sur le territoire de l’agglomération actuelle il y avait certes moins de monde mais dans les arrondissements lyonnais proprement dits, cela ne semble pas avoir beaucoup bougé. Disons même que cela a baissé avant de remonter depuis les années 90. Mais c’est un autre sujet ! L’histoire du tramway nous apprend surtout que si au lieu de le supprimer au profit des bus puis de l’automobile, si on n’avait jamais cessé de le développer en le préférant à tout autre moyen de transport en surface partout où la topologie s’y prête, il serait à mon sens capable de transporter des centaines de millions de voyageurs par an. Aujourd’hui on lui a refait un peu de place mais il est condamné à rester secondaire par rapport aux bus et à la voiture. Les chiffres parlent d’eux-mêmes !

– Quels chiffres ?

– On dit souvent que les années 70 sont celles du tout bagnole. Mais à ce compte là on peut en dire autant des années 60 et que dire des décennies suivantes. Je vous ai dit qu’il y avait un véhicule pour 2,5 habitants en 1980. Mais en 1990 c’était un pour 2 habitants ! En 2000 un pour 1,8 habitants ! En 2010 un pour 1,7 habitants ! Et en 2018, je vous le donne en mille…

– Un pour 1,6 ?

– Presque. Alors quoi ? Le tout bagnole c’était les années 1970 ou les années 2010 ? Tout le monde veut sa bagnole ! Et y a même presque un ménage sur trois qui a deux voitures ! Il est où l’effet dans les chiffres de ces fameuses voitures en temps partagé ? De ces quelques places de parking dédiées à des voitures électriques qu’on loue de façon commode pour quelques minutes ou quelques heures ? C’est dérisoire ! En 2020 tout le monde veut sa propre bagnole et tout le monde veut vous en vendre ! Vous avez déjà pris le temps de regarder une page de pub à la TV ?

– C’est difficile d’y échapper !

– Non mais vous avez vu le nombre de bagnoles qu’on veut vous vendre ? Et pas que des bagnoles pour petits budgets ! Alors dites-vous bien que l’ère des transports collectifs n’est pas près d’advenir. Et du fait qu’elle n’adviendra pas, je vous laisse imaginer ce que je pense de l’avenir de la planète.

– Ce que j’imagine c’est que vous n’avez vous-même pas d’automobile.

– Dans de rares occasions j’en loue une. Globalement c’est tout de même incommensurablement moins cher que d’en acheter une pour qui n’en a qu’un usage ponctuel.

– Oui mais il faudrait s’entendre sur ce que vous appelez ponctuel. Car je comprends bien ce que vous suggérez. Vous suggérez que, du fait que les voitures passent la majorité de leur temps en stationnement...

– Vous pouvez dire la quasi-totalité de leur temps, vous serez plus proche de la réalité ! Et c’est réellement absurde. C’est comme si les compagnies aériennes achetaient des avions pour les faire voler une heure par jour ! Ce serait un non-sens économique ! On entend souvent dire que les ménages qui ont les comptes dans le rouge doivent apprendre à gérer leur budget, comme une entreprise. Mais comment comparer un ménage à une entreprise alors qu’on les incite sans cesse à posséder des objets qui représentent un non-sens économique pour eux ?

– Vous jouez sur les mots là ! Personne ne pense qu’une famille et une entreprise ont quelque chose de comparable, ce n’est qu’une façon de parler. A ce compte là vous n’achèteriez pas grand-chose ! Pourquoi avoir une brosse à dents si c’est pour vous en servir six minutes par jour ?

– Parce que vous pouvez difficilement la partager avec votre voisin ! Mais par contre au lieu d’avoir une brosse à dents pour chaque membre de la famille vous pourriez avoir une tête de brosse à dents pour chaque membre de la famille et un seul manche de brosse à dents pour toute la famille. La réalité c’est que si vous vouliez vraiment penser de manière écologique, dès lors que vous estimez qu’il y a urgence à agir en ce domaine, vous finiriez par voir beaucoup de choses de ce point de vue. Or les voitures peuvent être très facilement partagées.

– Partagées de quelle manière ?

– Eh bien de n’importe quelle manière ! En propriété collective, ou appartenant à une entreprise, à la ville ou à l’état. Peu importe à qui elles appartiennent ! Ce qui compte c’est la manière d’y accéder. Pour que cela fonctionne il faut beaucoup de souplesse. On a réservé des places de stationnement pour ces voitures électriques là, les Bluely. C’est un tout petit pas en avant, vraiment tout petit, parce qu’on n’est pas vraiment capable d’imaginer un monde différent. Il faut un changement radical ! Et le changement radical c’est revenir à un nombre de voitures par habitant bien inférieur à ce qu’il est aujourd’hui alors qu’il continue d’augmenter année après année !

– Bon en fait, vous suggérez que tout le monde prenne le taxi ?

– Mais pas du tout ! Je vous parle de souplesse et de choses viables économiquement et écologiquement. Vous prenez un taxi traditionnel, vous y laissez votre chemise, vous prenez un Uber, vous encouragez  le système qui nous conduit dans le mur encore plus vite qu’avant ! Avoir un chauffeur pour soi tout seul, je ne vois pas en quoi cela peut être économiquement et écologiquement viable.

– Et moi je ne vois pas du tout ce que cela change ! Il y a 6 millions de demandeurs d’emplois en France, alors que certains soient chez eux à en attendre un ou qu’ils s’occupent à vous conduire quelque part, je ne vois vraiment pas la différence. Vous serez deux dans la voiture au lieu d’être tout seul, voilà tout.

– Cela fait toujours 60 kilos de moins à transporter, ce n’est pas si négligeable ! Et vous m’interrompez trop pour comprendre mon raisonnement ! Je sais parfaitement qu’on peut louer à l’ancienne des voitures ou appeler un taxi ! Mais cela s’inscrit dans le vieux modèle qu’il faut dépasser ! Et l’unique chance de le dépasser c’est de proposer des alternatives qui peuvent être comprises et acceptées par les gens parce qu’elles changeront les choses sans qu’ils aient l’impression d’être confrontés à des difficultés insurmontables. Louer une voiture quand c’est nécessaire au lieu d’en avoir une c’est bien mais pour que beaucoup plus de gens y viennent, il faut qu’il y ait des voitures à louer partout et de façon très aisée. Si vous en avez besoin à trois heures du matin vous n’allez pas attendre huit heures qu’une agence de location s’ouvre !

– C’est bien le principe des Bluely ! Vous la prenez, roulez et la reposez à une borne de recharge ! Combien de gens ont vendu leur voiture depuis que cela existe, à mon avis pas des masses. Alors ?

– Pas des masses parce qu’on n’a pas fait l’effort massif pour que cela advienne ! Vous prenez une Bluely, d’accord, mais c’est comme le Vélo’v ! Il faut d’abord aller à l’endroit le plus proche où elles sont garées..

– Oui ben c’est pareil pour votre voiture ! Vous ne trouvez pas forcément une place près de chez vous !

– Peut-être mais il y a des chances que votre voiture soit à l’endroit où vous l’avez garée. Des aires de Bluely qui sont vides j’en vois tout le temps ! Cela ne m’encouragerait pas à me débarrasser de ma voiture si j’en avais une. Il faut qu’il y ait des voitures disponibles ! Il faut que les gens aient une probabilité proche de 100 % de trouver facilement le véhicule qu’il leur faut, pour la durée qu’il leur sied et à des tarifs cohérents ! Il faut à la fois de la souplesse et également la moduler selon les objectifs qu’on veut atteindre. Parce qu’en réalité moi je conçois la grande ville comme étant l’espace du vrai transport en commun et des modes doux. A terme l’espace de la voiture partagée devrait être la petite ville et la campagne, là où il est plus difficile d’organiser des transports en communs efficaces. Évidemment, si vous vivez au bout d’un chemin perdu, vous pouvez difficilement vous passer de votre propre véhicule. Mais dès lors qu’il y a autour de vous quelques dizaines d’autres habitants, il y a de la place pour des voitures partagées.

– Vous idéalisez les choses ! Je vais vous donner des exemples pour vous montrer que cela ne peut pas être aussi simple. Premièrement il ne vous aura pas échappé que les gens partent en vacances un peu tous en même temps. Passez la semaine du 15 août à Lyon, la ville semble avoir perdu la moitié de ses habitants. A supposer que tous ceux qui ont voulu embarquer les pelles, les seaux et les matelas gonflables vers les plages aient trouvé une voiture à louer pour cela, il va en rester combien pour ceux qui ne sont pas en vacances ? Secondement, c’est dimanche, il pleut, pas de problème ; c’est dimanche, grand beau temps après un mois maussade, c’est le moment où tout le monde veut une voiture pour partir à la campagne. Troisièmement, s’il y a des heures de pointes pour les transports en commun, quand les enfants partent à l’école et les parents au travail, aucune raison que ce ne soit pas pareil pour les voitures, d’ailleurs c’est bien pour cela qu’il y a autant de bouchons ! Et plus rebutant encore pour la personne qui penserait échanger sa voiture personnelle contre une auto partagée : son emploi est situé au fin fond d’une zone d’activité, si elle a garé là le matin une voiture partagée, il y a des chances que personne d’autre ne l’utilise le reste de la journée puisque la plupart des gens qui travaillent là ont les mêmes horaires. Donc c’est un peu comme si elle était venue avec sa propre voiture, ce qui n’est pas le but recherché. Et de plus, si par hasard quelqu’un d’autre venu à pied décide de repartir en voiture, la personne qui sort un peu tard du travail se retrouve sans véhicule pour rentrer chez elle !

– J’ai bien conscience que cela peut générer des difficultés mais si on vous écoute alors on ne change rien ! Mais ce n’est pas comme cela que ça va se passer. On ne change rien ! Très bien ! Et les gens continuent à perdre des heures de leur vie dans des transports en commun inadaptés ou des bouchons interminables. Et puis un jours les new-yorkais et les hollandais ont les pieds dans l’eau.. vous savez, à cause de la fonte des glaces. J’ai bien dit les new-yorkais et les hollandais ! Bien sûr un tsunami pourrait emporter la moitié du Bangladesh, on aurait une pénurie de tee-shirt pendant un temps mais on oublierait vite cet incident. Mais les new-yorkais et les hollandais, ainsi que pas mal d’autres dont on pense qu’ils nous ressemblent un peu, ceux-là, le jour où ils seront contraints de quitter leur territoire, eh bien…  en fait j’ignore ce qu’il se passera exactement mais je sais que les choses changeront d’elles-mêmes, pour le meilleur et plus probablement le pire. Et pour ce qui vous concerne, quel sera le bilan de votre action ?

– On le fera en temps voulu si vous voulez bien.

– C’est maintenant qu’il faut agir ! On ne peut pas faire l’économie de la mise en avant des biens communs.

– Je veux bien mais dans ce que vous m’avez dit je ne vois pas réellement où sera l’avancée. Les gens prennent une voiture qui ne leur appartient pas et que d’autres utilisent aussi. Au final vous dites que si tout cela est très bien organisé les gens y trouveront leur compte. Dans l’idéal ils auront le véhicule qu’il leur faut toujours facilement à disposition. Donc ils feront toujours autant de kilomètres, sinon plus. Donc cela ne changera rien écologiquement.

– Vous avez une drôle de manière de compter.

– Ne venez pas me dire que ce sera des voitures propres ! J’imagine que vous pensez que toutes ces voitures seront électriques mais jusqu’à preuve du contraire l’électricité est majoritairement produite à l’aide d’énergies fossiles. Je veux bien croire que les moteurs électriques puissent être plus efficaces et durer plus longtemps mais si vous considérez que globalement c’est le fait de rouler qui use les voitures et consomme de l’énergie, il y a des chances que les voitures partagées fassent beaucoup plus de kilomètres par an que les autres. Donc elles partiront aussi bien plus vite à la casse ! Où est le progrès ?

– Eh bien déjà vous pouvez considérer que cela permettra de bénéficier plus rapidement des progrès technologiques. On pousse les gens à jeter leurs voitures qui sont anciennes et jugées polluantes. Mais tous comptes faits ce n’est jamais écologique de jeter quelque chose encore en état de marche. En partageant les objets on les use et jette plus vite mais globalement ils auront servi plus efficacement et seront remplacés par des objets aux nouvelles normes écologiques.

– Mais pas du tout ! Si vous avez une entreprise qui met des voitures à louer en grandes quantités à disposition de tout un chacun, vous pouvez être sûre qu’elles partiront à la casse bien avant d’être réellement usées ! Prenez l’exemple des Vélo’v ! Ils en ont changé plusieurs milliers d’un coup l’an passé ! Mais les anciens étaient encore capables de rouler des années ! Une entreprise commerciale a une image de marque à défendre et doit apporter sans cesse des améliorations aux yeux de ses clients. Si on reste dans le domaine du vélo je suis convaincu que malgré ses avancées Lyon est complètement à côté de la plaque par rapport à une ville comme Amsterdam.

– Oui mais l’avantage du partage c’est que vous pouvez adapter sans cesse les véhicules loués à votre usage. Dans l’idéal les gens qui partent seuls au travail devraient utiliser une voiture une place. Si le soir il faut passer récupérer les gosses que votre conjoint a déposé le matin, vous pouvez louer une trois ou quatre places alors que le matin vous êtes parti en Twizzy. En moyenne nous ferons un usage bien plus cohérent du parc disponible surtout si l’on joue sur le portefeuille. La location d’un gros 4X4 sera très largement taxée quand celle d’un scooter le sera moins. Je ne crois évidemment pas que les nouvelles technologies puissent résoudre la crise climatique, sinon on n’en serait pas là. Mais tout de même, cela peut aider d’avoir une auto qui détecte le nombre de passagers d’un véhicule, parce que celui qui s’évertuera à rouler seul dans une cinq places pourra voir s’envoler ses taxes locatives. Cependant il ne faut pas perdre de vue que c’est vers le transport collectif qu’il faut pousser les gens. Vous voyez bien qu’il n’est pas simple d’imposer une taxe sur les carburants parce que vous ne donnez aucune solution alternative à des gens qui ont déjà du mal à faire face. Il faut commencer par s’attaquer aux grandes villes mais pas comme vous le faites vous, les politiques. Pic de pollution, celui qui a les moyens d’avoir une voiture neuve roule encore et celui qui ne les a pas enrage. Si vous rendez les stationnements hors de prix en  ville vous faites la même politique. Ils n’ont pas à être hors de prix ! Ils peuvent être limités en nombre et limités dans le temps mais pas hors de prix. Ce sera dur de se garer et de plus en plus dur pour les véhicules individuels mais ce ne sera pas une question de prix, juste de places. Les places seront pour les véhicules partagés. Parallèlement on investit massivement dans les métros, tramway, bus, pistes cyclables. On ne fait pas comme à Lyon où l’idée est de remettre des tramways parce que le métro c’est trop cher à construire ! Si les générations précédentes avaient fait pareil le métro n’existerait même pas ! C’est pas métro ou tramway mais l’un et l’autre en même temps qui peuvent faire reculer l’auto. Et évidemment vous donnez aux gens la possibilité de se déplacer en transports en commun la nuit, du moins beaucoup plus facilement qu’à l’heure actuelle. Quand de moins en moins d’habitants des grandes villes auront leur propre voiture, le modèle s’étendra aux petites villes et aux campagnes.

– Peut-être. Mais outre le fait que vous n’avez pas donné de solutions aux problèmes que j’ai soulevés, je crois que vous êtes un peu plantée au milieu du gué. Vous imaginez des choses pour résoudre le problème de l’engorgement des villes tout en pensant œuvrer pour l’écologie, mais il y a quelques minutes de cela vous m’avez fait part de votre pessimisme. En réalité j’ai bien compris que vous n’y croyiez pas vous-même à ce que vous dites.

– Ah mais je sais parfaitement que cela ne va pas arriver. J’essaye juste d’imaginer une voie qui pourrait être acceptable par les gens. Je pense d’ailleurs que ce serait loin d’être suffisant. Je pense qu’il ne suffira pas de mieux se déplacer mais qu’il faudrait surtout beaucoup moins se déplacer, moins déplacer les humains, moins déplacer les choses… et puis moins vite.

– La décroissance en somme.

– Parfaitement ! Mais c’est tout le contraire qui obsède le monde. Il faut aller toujours plus loin et plus vite.

– Et de plus en plus nombreux.

– Cela n’aide pas mais c’est un peu facile de se cacher derrière la surpopulation. Prenez tous les pays occidentaux, rajoutez-y la Russie, la Chine, le Japon et les pays du Golfe, enlevez les autres, cela réduit déjà bien la population mondiale, du moins cela nous ramènerait au niveau d’il y a quelques décennies, à une époque où l’on avait moins conscience des problèmes écologiques. Vous croyez qu’avec ces pays en moins la situation serait bien plus brillante ? Moi je ne crois pas ! Ce qui est en question aujourd’hui c’est notre mode de vie, pas celui de l’africain ou de l’indien moyen !

– Certains prétendent le contraire !

– Ah bon ? Eh bien ce sont de fieffés menteurs !

– Sans doute mais par exemple si vous prenez le cas de Haïti dont on dit qu’elle souffre d’une grave déforestation, on a typiquement là une population pauvre qui détruit son écosystème. Et cela fait longtemps que des scientifiques s’interrogent sur les pratiques agricoles qui sont ancestrales comme les brûlis.

– Vous n’allez tout de même pas me faire croire que les problèmes d’Haïti sont liés à autre chose que le rapport de domination capitalistique que ce pays a subi depuis son indépendance et bien avant ! Quant à la culture sur brûlis c’est sûrement un sujet polémique mais on peut l’aborder sous différents angles ! J’avais vu une fois un reportage qui faisait grand cas du peu de respect que les aborigènes australiens ont eu de l’écosystème du continent quand ils ont commencé à pratiquer massivement les brûlis il y a quelques dizaines de milliers d’années. On ressentait dans ce reportage une forme d’accusation concernant la disparition de la mégafaune et l'aridité de certaines régions. Mais quand j’ai voulu avoir confirmation de cela je suis allée sur Wikipédia et si j’y ai lu la confirmation des transformations liées aux pratiques aborigènes ; cela semble avoir été une transformation mettant en péril la vie de nombreuses espèces mais en apportant une autre biodiversité à la place. Et il était assez clair que les transformations liées au passage à une économie capitalistique et au recul de la culture aborigène étaient autrement plus problématiques et rapides. Actuellement comme bien d’autres pays l'Australie subit une déforestation à marche forcée et elle n’est pas liée à la culture aborigène.

– Oui vous avez sans doute raison mais je pense qu’il serait justement très intéressant de mesurer précisément ces choses-là !   

– Précisément ces choses-là sont difficilement mesurables à mon avis. Vous pourrez toujours accuser de pauvres paysans dont les pratiques ancestrales sont contestables et passer sous silence le fait qu’elles n’ont guère posé de problèmes durant des millénaires ! Il n’y a absolument plus personne au monde qui ne soit soumis de près ou de loin à l’influence des économies capitalistes !

– Certes mais je dois concéder que j’ai toujours été un peu malthusien. Enfin non ! Je suis loin de la pensée de ce type assez peu recommandable mais en tout cas j’ai toujours eu l’idée que la surpopulation ne pouvait qu’être source de problèmes. Je me souviens avoir eu une prof qui répétait à l’envi que faire des enfants ne saurait jamais être un problème. J’avais 13 ans et une forme de respect envers cette prof sympathique et cultivée mais cela, viscéralement je crois, me faisait tiquer ! Cela a toujours été une évidence pour moi que l'humanité prise dans son ensemble n'a guère d’intérêt à croître et croître et croître. Un groupe d’individus peut avoir cet intérêt dans la mesure où il se compare à un autre groupe avec lequel il rentre en compétition. Mais s’il cherchait simplement à garder le même nombre d’individus, il devrait tenir compte de sa fertilité et de son espérance de vie. Or il ne vous aura pas échappé que malgré des conflits majeurs, l'ère de l’avènement du capitalisme est aussi celle de l’explosion démographique et des gains en espérance de vie un peu partout dans le monde ! Le fait est que dans bien des endroits la logique reproductive est celle qui servait tout juste à reproduire le groupe à l’identique.

– Oui ben dans d’autres endroits c'est l'inverse désormais. Comme en Europe ou au Japon qui se dépeupleront sans apport extérieur.

– Certainement ; c’est une autre forme de problème. Mais pour ce qui est de la surpopulation, doit on également accuser le capitalisme de permettre ces gains d’espérance de vie ? D'après les projections, en 2050 l'Afrique pourrait avoir décuplé sa population par rapport à 1950 !

– D’abord il faut s’entendre sur ce qui est nécessairement le fait du capitalisme. Les progrès sanitaires qui ont plus particulièrement fait dégringoler la mortalité infantile peuvent aussi être perçus comme des progrès scientifiques humains. Progrès qui ne seraient peut-être pas à ce stade sans l’accumulation d’un savoir au fil des siècles. Et puis vous cela peut paraître inouï de décupler sa population en un siècle mais ramené à une année c’est une progression de 2 à 3%. Avec moins d’individus qui meurent avant d’avoir atteint l’âge de se reproduire et une progression lente mais continue de l’espérance de vie on y est vite. Si cela vous désespère de constater qu’en Afrique les femmes donnent encore naissance à 4 à 6 enfants, ben qu’est-ce que vous voulez que je vous dise ?

– Cela ne me désespère absolument pas ! Je relève simplement que des pratiques ancestrales qui paraissent parfaitement viables sur un continent gigantesque peuplé de quelques centaines de millions d’habitants, pourraient ne plus l’être du tout pour un même continent peuplé de deux milliards et demi d’habitants. Et ce sont aussi des choses à anticiper sans systématiquement faire porter tout le poids de la culpabilité sur les occidentaux.

– Moi ce qui m’intéresse c’est de savoir pourquoi l’on passe de six enfants par femme à moins de deux ! On ne va pas reprocher aux africains une fertilité qui a été celle de tous les continents jusqu’à un temps pas si lointain ! Il est instructif de ne pas seulement tenir compte de l’espérance de vie à la naissance mais aussi de l’espérance de vie à 25 ans ! Il y a moins de 200 ans la moitié des gosses mourraient avant d’avoir 10 ans et vous aviez sans doute une meilleure espérance de vie à 25 ans qu’à la naissance ! Vous comprenez qu’il était difficile pour une femme de se contenter d’avoir deux enfants ! Maintenant on peut faire semblant de ne pas se rendre compte que la dénatalité est fortement liée à la progression du niveau de vie avec un nécessaire temps de décalage et se réveiller un jour entouré d’enfants à la peau noire… Que les racistes crient au nègre ! Il n’ont pas fini de crier ! Peut-être qu’ils auraient dû y penser avant et se dire qu’il y avait sans doute autre chose à faire pour la pureté de leur race que de s’en aller conquérir et piller l’Afrique !     

– Oh mais je suis d’accord avec vous sur ce point ! Mais cela n’enlèvera rien à la problématique de la surpopulation même dans des zones qui penseraient rester à l’écart de notre folie consumériste !

– Le vrai problème c’est que personne ne veut rester à l’écart de cette folie-là ! Notre mode de vie c’est justement celui que tout le monde voudrait copier, et ça c’est totalement impossible que cela arrive vu qu’on est déjà à saturation. Si on est un modèle pour les autres, l’unique solution c’est de changer de modèle ! Mais je sais parfaitement que cela ne va pas arriver non plus. Je n’attends pas des constructeurs de voitures qu’ils fassent soudainement l’apologie de voitures imaginées pour être partagées, roulant moins vite, moins loin, en moins grand nombre. Non, ils feront l’apologie des produits que mes contemporains attendent, des voitures d’une technicité folle, plus sûres, roulant plus propres à défaut d’être plus propres à construire, des voitures qui avanceront seules dans les bouchons de sorte qu’ils pourront vraiment dormir au volant, des voitures qui vous amèneront vers les immenses parkings à la porte des centre-ville, où tout le monde rêvera de travailler mais ne pourra plus jamais habiter. Alors on consentira à faire le reste en métro ou en trottinette parce qu’on a bien conscience que la ville est de plus en plus grande et le centre toujours aussi petit. Problème ! Ces immenses parkings n’existent pas et ne semblent pas dans les cartons, pas plus que les lignes de métro. On fait des tours à la Part-Dieu, personne ne sait réellement comment on ira là mais on ira, dans des transports en commun surchargés, mal conçus, des voitures individuelles prises dans des bouchons invraisemblables. Les mieux lotis iront de tour en tour par la voies des airs, ils regarderont tout cela d’en haut, faudra pas leur demander de trouver une solution, pourquoi la chercheraient-ils ?

– Moi je la cherche.

– Et vous pensez la trouver ?

– Pas plus que vous.

1 juillet 2019

Loulou Léonard vs Mr Pignon

Les entretiens citoyens de Loulou Léonard, député de la 15ème circonscription du Rhône.

Objet : Déplacements urbains et écologie.

Citoyen : Monsieur Pignon, militant anti-vélo.

Date : 25 janvier 2019.

 

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– J’espère que vous n’êtes pas un cycliste extrémiste parce qu’hier j’en ai reçu un qui…

– Un cycliste ? Sûrement pas ! Les cyclistes sont les néo-cons !

– Ah !… C’est un peu extrême comme jugement.

– Pas du tout ! C’est tout à fait factuel ! Allons à la fenêtre, regardons la rue 5 minutes et nous en conclurons ensemble que le vélo rend con !

– Vous exagérez !

– Pas du tout ! Ah qu’est-ce que je donnerais pour revenir trente ans en arrière quand les rares cyclistes avaient au moins l’idée de s’intéresser au code de la route ! Aujourd’hui un cycliste vous pourriez lui mettre trois feux rouges géants et clignotants, la probabilité qu’il en tienne compte est proche de zéro ! Le cycliste est seul au monde, voilà tout. Le feu est vert, il trace sa route en insultant les piétons aussi peu soucieux du code de la route que lui. Le feu est rouge, il jette un œil à droite et à gauche, évalue, mal, le danger que représente les véhicules arrivant perpendiculairement et dans leur bon droit, et le plus souvent il traverse, quitte à forcer les automobilistes à ralentir. Quant aux piétons qui traversent très normalement au passage protégé, il leur passe allègrement devant le nez à toute berzingue ! Vous trouvez cela normal !

– Vous généralisez là !

– Et vous trouvez cela normal qu’on soit autorisé à rouler sur la voie publique sans même avoir besoin de passer le code de la route ?

– Non mais vous n’allez tout de même pas demander aux gens de passer le code de la route pour faire du vélo !

– Et pourquoi pas ? Comment voulez-vous respecter le code de la route si vous ne le connaissez pas.

– Oui, enfin bon, les cyclistes représentent tout de même un danger mineur au regard des véhicules motorisés.

– C’est vous qui le dites ! Moi je pense au contraire qu’ils sont des dangers publics !

– S’ils sont des dangers, c’est surtout pour eux-mêmes. Je ne nie pas qu’ils puissent provoquer des accidents comme je le relevais hier à monsieur Salottino mais…

– Qui est monsieur Salottino ?

– Le cycliste que j’ai reçu hier.

– J’espère que vous l’avez remis à sa place !

– Qui est ?

– A pied sur un trottoir si vous me demandez mon avis !

– Je vais garder le mien alors. Donc comme je le disais à Salottino, il est sûrement vrai que quelques accidents peuvent être provoqués par les erreurs de cyclistes. Mais même quand c’est le cas ce sont eux qui en sont les principales victimes.

– C’est vite dit ! Si je roule sur un cycliste qui a tout fait pour se faire écraser, il est possible que je m’en sorte sans une égratignure, mais quid de la blessure morale ? Vous croyez que c’est facile à porter psychologiquement, d’écraser quelqu’un, même un con ? Sans compter qu’on passe inévitablement pour un imprudent alors même qu’on est un très bon conducteur.

– Jusqu’à preuve du contraire je pense que la grande majorité des accidents sont le fait de conducteurs qui sont justement de mauvais conducteurs. Et quand je dis mauvais conducteurs cela ne veut pas dire qu’ils ne sont de mauvais pilotes mais qu’ils s’arrangent un peu trop avec le code de la route ! Les principales causes des accidents impliquant deux voitures, ou une voiture et un cycliste, ou une voiture et un piéton, ça reste la le manque de concentration, l’alcoolémie et la vitesse.

– Peut-être, mais l’alcoolémie des cyclistes, on en parle ?

– C’est anecdotique !

– C’est vous qui le dites !

– Écoutez ! Avant d’avoir convié des citoyens pour parler de transport vous pensez bien que je me suis un peu penché sur les statistiques de la sécurité routière. La moitié du temps les automobilistes qui ont des accidents font simplement des sorties de route sans raison apparente le plus souvent en rase campagne et sur des lignes droites. Ils sont alcoolisés, ou roulent trop vite, souvent les deux, ou ils s’endorment. Ou même ils regardent leurs SMS, cela représente maintenant 10 % des accidents, c’est quand même pas rien alors qu’on ne cesse de leur répéter qu’il ne faut absolument pas le faire ! Donc vous voyez bien que si ces comportements suffisent à vous envoyer dans le décor quand vous êtes presque seul sur la route, si vous faites pareil en ville c’est proprement criminel ! Apportez-moi les statistiques qui disent que les piétons et cyclistes mettent plus souvent en danger les automobilistes que l’inverse et j’abonderai dans votre sens. Mais jusqu’à preuve du contraire le principal danger pour l’automobiliste c’est lui-même, ou un autre automobiliste, ou bien celui qui conduit un engin encore plus gros. Tenez ! 6 % des accidents de voitures sont dus à un non respect des distances de sécurité. Si vous êtes embouté par l’arrière par une auto ou un camion ça peut être très grave, mais je vous mets au défi de trouver un automobiliste blessé par un cycliste qui aurait percuté son pare-choc arrière ! Par contre l’inverse est sûrement plus fréquent !

– Peut-être mais admettez que même pour un automobiliste qui respecte parfaitement le code de la route et est parfaitement concentré, tout est fait pour qu’il finisse par avoir un accident !

– Comment cela ?

– Vous les politiques vous vous lancez dans des trucs sans réfléchir aux conséquences ! Comment vous pouvez décider d’autoriser les cyclistes à rouler à contresens dans des rues où un vélo et une voiture n’ont même pas la place pour se croiser ? Allez vous plaindre qu’il y a des cyclistes écrasés après cela ! Les cyclistes sont des cons et vous vous les encouragez dans leur connerie ! Quand on est en voiture et qu’on est engagé dans une rue étroite à sens unique et que tout d’un coup déboule un cycliste qui croit que la rue lui appartient, inévitablement les choses s’enveniment !

– Arrêtez de m’inclure dans le tas de ceux qui ont pris ces décisions ! Pour ma part je trouve cela effectivement souvent inadéquat et pas très utile dans la mesure où un vélo peut facilement emprunter la rue d’à-coté sans perdre beaucoup de temps.

– A la bonne heure ! Pour ma part c’est bien simple ! Le vélo et la voiture ne sont pas faits pour cohabiter simplement parce qu’un vélo roule le plus souvent en-dessous de trente kilomètres heure alors que la voiture est autorisée à rouler jusqu’à 90 kilomètres heure sur les routes ordinaires ! C’est aberrant d’autoriser des cyclistes à aller sur des départementales ou des nationales !

– Où voulez-vous qu’ils roulent ?

– Mais sur des pistes qui leur sont réservées pardi !

– Et quand il n’y en a pas ?

– Mais il n’y a qu’à en faire !

– C’est plus facile à dire qu’à faire justement ; surtout à la campagne. Par contre en ville…

– Ah non ! C’est bon ! Des pistes cyclables en ville il y en a assez ! Y aura bientôt plus moyen de se garer  ! Non mais cela devient vraiment infernal ! Tout leur est dû aux cyclistes et quand vous leur faites des pistes cyclables, ils roulent quand même au milieu des voitures !

– Vous exagérez ! Vous allez finir par me dire que les vélos sont mieux traités que la voiture mais si vous deviez vous contenter des vraies pistes cyclables, il faudrait le plus souvent que vous fassiez de sacrés détours pour aller d’un point A à un point B comme me le signifiait justement monsieur Salottino. Vous dites qu’il est problématique d’avoir des véhicules qui ne vont pas tous à la même vitesse sur les mêmes voies, soit ! Eh bien figurez-vous que je suis tout à fait décidé à remédier à cela ! Zone 30 dans toute l’agglomération !

– Quoi ?! Non mais vous perdez la tête ! 70 à l’heure sur le périphérique ! Et bientôt 50 ? Et vous vous voudriez qu’on soit limités à 30 en ville ! Ah non mais je vous le dis tout net ! Cela ne va pas se passer comme ça ! Vous vous êtes là tranquille dans votre bureau, j’imagine que vous habitez pas bien loin ! Mais moi c’est plus de 50000 kilomètres par an que je me tape ! Vous croyez que je vais me taper deux heures de route au lieu d’une parce que vous les politiques vous perdez tout sens de la mesure ?

– Vous ferez comme tout le monde ! Ou alors élisez des gens qui s’opposent à cette idée ! Pour ma part j’y suis tout à fait favorable et je ne m’en suis jamais caché. C’est une mesure tout à fait pertinente et en phase avec son époque. Elle est pertinente d’un point de vue écologique, et pertinente pour la cohabitation des anciens et nouveaux modes de transport. Et sauf votre respect, ceux qui pensent qu’ils mettront deux fois plus de temps pour traverser la ville sont soit des nuls en calcul soit des chauffards !

– Je ne suis pas un chauffard figurez-vous !

– Alors admettez premièrement que 30 ce n’est pas la moitié de 50 ! Ensuite, ce sera peut-être difficile à voir de la fenêtre mais on peut monter sur le toit si vous voulez pour observer un peu les comportements des automobilistes. L’âne indécrottable c’est celui qui persiste à accélérer à fond quand le feu passe au vert pour finir par freiner au feu suivant alors que s’il avait pris son temps le feu suivant aurait été vert. Les bouchons sont inévitables quand il y a effectivement trop de véhicules, mais ils sont largement accentués par les mauvais conducteurs. On ne s’engage pas sur un carrefour non dégagé et pourtant plein d’automobilistes continuent à le faire, soit parce qu’ils sont des ânes eux-mêmes, soit parce que les ânes de derrière klaxonnent comme des ânes.

– Figurez-vous que je suis tout à fait d’accord avec vous, aussi étonnant que cela puisse paraître ! Et pour ma part, l’âne de derrière, je m’en bats les flancs ! Il peut klaxonner autant qu’il veut !

– C’est tout à votre honneur ! Mais malheureusement la plupart n’agit pas comme vous.

– Parce que les flics aiment bien mettre des contraventions pour un dépassement d’horaire sur une place de stationnement mais je n’en ai jamais vu qui verbalisaient les automobilistes s’engageant sur un carrefour encombré. Et encore moins qui verbalisaient des cyclistes grillant des feux !

– Moi j’ai vu des cyclistes verbalisés. Tout cela pour dire qu’en définitive, si tout le monde respectait le code de la route, je suis convaincu que même en limitant la vitesse à 30, vous seriez loin de doubler votre temps de parcours sur une même distance. De plus cela rendrait la rue plus sûre et favoriserait la pratique du vélo et des autres modes doux. Plus de vélos c’est moins d’autos, et moins d’autos c’est sûrement un avantage pour ceux qui sont contraints à prendre leur voiture parce qu’il y a moins de bouchons.

– Que vous dites ! Moins il y aura de voitures, moins elles rouleront vite et moins elles seront respectées ! Les piétons traverseront encore plus n’importe où parce qu’ils auront moins la crainte de se faire renverser ! Et les cyclistes seront encore plus cons ! Ah non ! Parlez pas de malheur !

– C’est vous qui parlez de malheur ! Je pense que pour une grande majorité des citadins cela serait sûrement un peu de bonheur en plus.

– Pff ! De toute façon une telle réglementation ne passera jamais ! Si vous mettez des zones 30 partout et verbalisez les automobilistes qui ne les respectent pas, la moitié des conducteurs va se retrouver rapidement sans permis !

– Eh bien ils s’achèteront un vélo !

– Ah ben c’est bien une réaction de politique ça ! Vous les politiques vous décidez d’un truc et pour les autres c’est marche ou crève ! Cela ne vous viendrait pas à l’esprit que bien souvent les gens ne peuvent tout simplement pas respecter la loi parce qu’ils sont pris entre le marteau et l’enclume ? Vous croyez que les types qui vous livrent vos paquets peuvent respecter les limites de vitesse ? Les pouvoirs publics leur intime de les respecter mais en même temps ils font tout pour encourager la plus féroce des concurrences. Il y a des dizaines d’entreprises qui font de la messagerie désormais mais pour gagner des parts de marché il faut livrer toujours plus vite. Même les facteurs sont obligés d’aller pied au plancher désormais !

– Ma foi, quand leurs livreurs n’auront plus de permis, ces entreprises seront bien obligées de changer leurs méthodes.

– Ah ben c’est bien une réaction de politique ça ! Vous êtes au courant du nombre de chômeurs qu’il y a ? Si un livreur perd son permis et son travail, l’entreprise qui l’emploie prendra quelqu’un d’autre à sa place !

– C’est possible mais il y a bien des solutions pour éviter cela !

– Laquelle par exemple ?

– Par exemple si un employé est pris en excès de vitesse alors qu’il est au volant d’un véhicule d’entreprise ou bien simplement en déplacement professionnel avec son propre véhicule, on verbalise à la fois l’individu et l’entreprise. Quand cela leur coûtera beaucoup plus cher que de respecter la loi, elles changeront de méthode. A terme ce sera bénéfique pour toute le monde et en premier lieu pour les livreurs eux-mêmes car ils auront des tournées allégées. Et aussi les entreprises se rendront compte qu’elles font de grosses économies de carburant.

– Balivernes ! Je n’y crois pas une seconde ! La vérité c’est que vous les politiques vous nous annoncez le monde des bisounours tout en fabriquant le monde du tous contre tous ! La concurrence ! La concurrence ! La concurrence ! Il n’y a que ça qui compte ! Il suffirait qu’on aille ensemble au centre ville sur les coups des 18 20 heures pour que je vous en apporte la preuve ! Vous verrez la multitude des livreurs à vélo là, ces soi-disant autoentrepreneurs ; je vous prends le pari qu’en choisissant le bon carrefour, en moins d’une heure on aura relevé de leur part de multiples infractions au code de la route !

– Vous venez de me dire qu’aucun cycliste ne respectait le code de la route, pourquoi eux le feraient ?

– Mais eux c’est encore pire ! En plus ils sont de plus souvent en scooter ! Ah ben c’était bien la peine de nous vendre le miracle des livreurs à vélo de la nouvelle économie ! Soi-disant ça apporte de nouveaux services très écologiques alors que bientôt ils seront tous en scooter pour pouvoir arriver les premiers ! Ah elle est belle la nouvelle économie ! Ça fait des dizaines d’années que les pizzerias livrent à scooter ! Vous parlez d’une nouveauté !

– Oui ben c’est un autre sujet là ! Où voulez-vous en venir ?

– Tout ça pour dire qu’on peut rester des plombes à ce carrefour à observer ces livreurs faire n’importe quoi, à nous rouler limite sur les pieds, la probabilité de voir un flic dresser un procès verbal à un livreur est proche de zéro ! Les flics ont la consigne de ne surtout pas entraver la bonne marche de la concurrence économique !

– Vous exagérez ! C’est totalement n’importe quoi ce que vous dites !

– Non je n’exagère pas ! Et je ne vois pas pourquoi moi je devrais respecter des lois impossibles en tant qu’individu tandis que d’autres les bravent ouvertement sous prétexte qu’ils sont dans le cadre d’une activité professionnelle ! Alors vos zones 30 que seuls les citoyens honnêtes comme moi s’obligeront à respecter, vous pouvez vous les mettre où je pense ; sauf votre respect. 

– Très bien ! Alors on ne fait rien ?

– C’était très bien avant !

– Quand on était 4 milliards sur terre et non 7 ?

– Pff !

–  Quand la planète était moins chaude ?

– Pff !

 

1 juillet 2019

Loulou Léonard vs Réqual

Les entretiens citoyens de Loulou Léonard, député de la 15ème circonscription du Rhône.

Objet : Déplacements urbains et écologie.

Citoyen : Monsieur Réqual, militant anti-trottinette.

Date : 25 janvier 2019.

 

Alors Mr Réqual ! Qu’avez-vous à me proposer ?

Un juste retour des choses !

Ah !… L’idée c’est plutôt d’envisager le futur.

Ah mais je veux bien l’imaginer ! Mais à des années lumière du présent !

C’est à dire ?

C’est à dire sans le truc le plus insensé qui soit et qui prouve à quel point, vous les politiques, vous avez perdu la raison.

Allons bon ! Cela va encore être de ma faute !

N’y voyez pas une attaque personnelle !

Bon. Alors quel est le problème ?

Le problème ? Mais c’est les trottinettes voyons !

Les trottinettes ? Ah oui ! Je vois. Vous trouvez qu’il y en a trop ?

Trop ? Ah ben pour le coup c’est rien de le dire ! Non mais une seule c’est déjà trop ! Non mais c’est un truc de malade ! Non mais on marche sur la tête là !

Vous exagérez ! La trottinette existe depuis des lustres. Ce n’est pas tout d’un coup devenu l’objet le plus maléfique de la terre !

Mais je vous parle de la trottinette électrique ! C’est pas que je voyais d’un bon œil les gamins qui trottinent à côté de vous en oubliant que vous avez des chevilles, mais enfin, cela restait supportable ! Non mais la trottinette électrique, c’est juste insupportable !… C’est… Je sais pas… J’arrive pas à comprendre comment on peut accepter cela. Comment les politiques peuvent être tombés si bas. Quelle médiocrité !

Quel est le rapport ?

Quel est le rapport ? Mais qui laisse faire cela sinon les politiques ?

Laisser faire… Laisser faire… Ce n’est pas une question de laisser faire. On ne peut pas tout interdire. Pour quelle raison devrait-on interdire la trottinette électrique ?

Ah ben ça c’est la meilleure ! Ah vous ne voyez pas de raison vous ! Ah ben de mieux en mieux ! J’hallucine !

Remettons les choses dans l’ordre ! Imaginez-vous en possession d’une trottinette ! Parce que vous êtes très ingénieux vous parvenez un jour à y adjoindre un moteur électrique. Vous l’utilisez dans la rue et soudainement un agent de police vous arrête et vous dit que vous n’avez pas le droit de rouler avec cela. Pendant qu’il vous dresse procès verbal un individu en vélo électrique passe à côté, l’agent de police ne lui dit rien. Allez-vous penser que cela est tout à fait normal ?

Cela dépend ! Qu’entendez-vous par « utiliser dans la rue » ? C’est une utilisation à 10 à l’heure sur le trottoir ? A 20 à l’heure sur la chaussée ? A 30 à l’heure sur le trottoir ? Parce qu’aux dernières nouvelles, les vélos sont interdits sur les trottoirs ! Je ne dis pas que les cyclistes respectent toujours cette interdiction mais ceux qui ne le font pas ont quand même conscience qu’ils sont en tort. Le trottinettiste lui n’a conscience de rien sinon de lui-même ! Poussez-vous de là que je m’y mette ! J’ai priorité sur le trottoir ! Si je vous rentre dedans c’est vous qui aurez mal ! J’ai priorité dans la rue ! Si une voiture me rentre dedans elle sera forcément en tort ! Laissez-moi poser ma trottinette où bon me semble ! Devant la porte de votre immeuble ! Dans votre jardin ! Sur votre paillasson ! Je fais ce que je veux ! Je suis dangereux pour moi et pour les autres et je vous emmerde !

Vous exagérez !

Non je n’exagère pas ! Je n’ai jamais vu un tel ramassis de débiles de toute ma vie ! Et pourtant je pensais en avoir côtoyé pas mal ! Non mais où on va ? Et vous vous trouvez cela normal ? Je rêve !

Je ne dis pas qu’il n’y a pas de problèmes lié à ce niveau mode de transport, mais enfin, il faut bien un temps d’adaptation, c’est comme toute chose.

Oulala ! Oulala ! Le délai est passé monsieur le député ! On attend encore un peu ? On réagira quand il y aura 100 morts ? La vérité c’est que vous les politiques vous n’en avez rien à foutre !

Vous ne pouvez pas dire cela ! C’est un sujet parmi d’autres. On va s’adapter, il y aura des évolutions, des propositions de lois.

Tu parles Charles ! En parlant de Charles, du temps de De Gaulle ça risquait pas d’arriver un truc pareil !

Que vous dites ! Les rues sont sûrement plus sûres aujourd’hui qu’au temps de De Gaulle !

Non je crois pas ! Et vous allez faire quoi pour arrêter cette anarchie ?

Écoutez, je ne fais que vous répéter ce que j’entends, cela reste des bruits de couloir mais je sais que certains envisagent d’obliger les entreprises de trottinettes à les brider. Si vous les bridez en-dessous de 10 kilomètres heure vous pouvez considérer qu’elles sont aptes à rouler sur le trottoir car elles ne seront pas plus dangereuses qu’un coureur à pied ou quelqu’un qui fait de la trottinette classique. Ou bien vous les laissez à pleine vitesse avec la même règle que les cyclistes : interdiction de rouler sur les trottoirs.

Bravo ! Vous parlez d’un progrès ! Rajoutez sur la chaussée des gens qui n’ont aucune idée du code de la route, font absolument n’importe quoi, prennent les carrefours en diagonale… Bravo ! J’applaudis le sens de l’irresponsabilité !

Non mais vous êtes drôle vous ! Comment voulez-vous qu’on traite les trottinettes différemment des cyclistes ? Si l’un et l’autre vont entre 15 et 30 kilomètres heure, on est bien obligés d’avoir les mêmes règles pour les deux ! Et c’est pas simple dans la mesure où il est souvent justifié pour quelqu’un d’emprunter le trottoir pour sa propre sécurité. Il est légitime d’emmener ses enfants faire du vélo mais il y a bien des endroits où vous hésiteriez à passer en vélo avec eux. Pour la trottinette c’est pareil ! Encore plus depuis qu’il y a une vraie différence de vitesse entre celle qui a un moteur et celle qui n’en a pas.

Oui oui je vois ! Je vois qu’on va trouver toutes les excuses possibles pour ne pas verbaliser les trottinettistes.

Non c’est faux ! Il finira par y avoir des contraventions qui auront valeur d’exemple car ceux qui utilisent des trottinettes n’ont aucune raison d’enfreindre la loi plus que les autres. J’ai même entendu des députés émettre l’idée qu’on pourrait les obliger à porter un casque !

Et qu’est-ce que cela changerait ?

Cela pourrait éviter quelques morts !

Parce que si un trottinettiste me rentre dedans, vous pensez que j’aurais moins mal s’il a un casque ? Ou bien vous envisagez d’obliger aussi les piétons à en porter ?

Mais non bien sûr. Mais cela entre dans le cadre d’une interdiction de rouler sur les trottoirs. Accessoirement, s’il devenait obligatoire de porter un casque en trottinette, cela réduirait considérablement son usage. Il paraît en effet difficile de fournir un casque avec chaque trottinette mise en location. Et même si c’était le cas les gens auraient peur d’attraper des poux où je ne sais quoi.

Alors je suis tout à fait favorable à l’obligation de porter un casque en trottinette ! C’est exactement la loi qu’il nous faut ! Soutenez cette idée et la prochaine fois je voterai pour vous !

J’en conclus que vous n’avez pas voté pour moi en 2017.

Pourquoi j’aurais fait ça ? Personne ne vous connaissait. Mais s’il faut avoir voté pour vous pour avoir droit à un entretien, dites-le tout de suite, je m’en vais !

Ce n’est pas ce que je voulais dire… Mais pensez bien que je ne peux pas soutenir un projet de loi en faveur du casque à trottinette.

Vous préférez que les gens se tuent ? Bravo ! C’est très responsable !

On n’a pas obligé les cyclistes à porter le casque donc on ne peut pas le faire pour les trottinettes ! Ce serait de la discrimination ! A ce compte-là on peut aussi estimer que le port du casque en voiture éviterait aussi bien des blessures en cas d’accident. Mais à un moment il faut quand même garder le sens de la mesure !

Obliger les cyclistes à porter un casque ne me semble pas être une manière de passer les bornes ! Et ainsi on pourra obliger les trottinettistes à porter aussi un casque et il y en aura moins.

Écoutez ! Quand il a été question de l’obligation du casque à vélo, les systèmes de location de vélo comme le vélib et le vélo’v prenaient de l’ampleur. Je pense qu’il était difficile d’imposer le port du casque parce que ces systèmes de location auraient perdu une grosse partie de leurs clients. Ces pareils pour les trottinettes, vous ne pouvez pas tuer l’activité de ces entreprises sur une décision arbitraire !

Et pourquoi on se gênerait ? Personne ne leur a demandé de venir ! On vivait très bien sans elles et pour ma part beaucoup mieux ! Mais qu’elles disparaissent aussi vite qu’elles sont apparues, qu’est-ce que vous voulez que ça me fasse ?

Je ne vois pas en quoi c’est souhaitable ! La trottinette électrique c’est un moyen de transport très intéressant.

Un moyen de transport ? Non mais vous croyez que les gens ont mis de côté leur moto ou leur voiture pour aller bosser en trottinette de location ? La quasi-totalité de ces débiles, parce que bon sang ce qu’ils ont l’air débiles juchés sur leur monture, debout sur leurs grands chevaux, droits comme des i, roides comme Don Quichotte, hautains, débiles… au moins ceux qu’ont des trottinettes pas électriques ils ont l’air un minimum de faire un effort, ça leur donne un peu d’allure. Donc ces débiles disais-je, sont l’archétype de cette génération de débiles ! Avant vous les retrouviez le cul posé sur un banc de pierre place Bellecour ou à la terrasse d’un Mc Do, les yeux rivés sur un smartphone à chercher la meilleure façon de ne rien faire de leur vie. C’était même pas des usagers du vélo’v non, trop compliqué, faut pédaler, plutôt du genre à encombrer le métro pour éviter de marcher un kilomètre. Et ces gens-là vous leur montrez un truc qui roule tout seul, un truc qu’ils n’auront pas à entretenir vu que cela appartient à quelqu’un d’autre, un truc avec lequel on peut faire tout et n’importe quoi sans en payer le prix…

Ah si le prix ils le payent ! Vu ce que cela coûte à la minute.

Laissez-moi finir ! Donc ces gens là, qui passaient le gros de leur temps le cul posé sur un banc ou une chaise, sans dépenser trop d’énergie, eh bien vous les voyez à 30 kilomètres heure, sans but autre que de sauter du trottoir à la rue, pour se donner une chance de ressentir le petit frisson de la petite vitesse et de faire rendre l’âme plus vite à leur monture. Ensuite ils la posent n’importe où, charge à quelqu’un d’autre de panser ses plaies et de la nourrir. C’était pas mon propos de vous parler d’écologie mais comme vous avez bien saoulé le monde avec cela durant votre campagne, je vous ferai remarquer qu’entre passer sa journée à ne rien faire sur un banc et vider des batteries en pure perte, la position la plus écologique c’est la première ! La trottinette ça n’apporte strictement rien en termes de déplacements préexistants, ce n’est qu’un prétexte pour créer des déplacements qui n’existaient pas auparavant ! C’est anti-écologique !

En vous prenant au second degré je vous trouverais presque sympathique. J’aime assez quand on force le trait jusqu’à la caricature mais au-delà de ça je pense que votre analyse repose sur des présupposés et qu’en réalité vous n’en savez absolument rien ! Vous dites que le vélo’v c’est trop dur pour certains, mais ce n’est pas forcément une question de faire un effort. Il y a des gens qui ne sont pas du tout à l’aise sur un vélo et encore moins sur un skate ou des patins. Que ces gens là puissent avoir enfin un mode de transport doux à leur disposition, je pense que c’est une bonne chose et que globalement, oui, cela finira par participer à désengorger la ville. Moi je suis convaincu que la trottinette peut finir par remplacer de nombreux voyages en voiture. Entre une voiture à essence ou électrique et une trottinette électrique sur un même trajet, y a pas photo, la trottinette bat haut la main l’auto en termes écologiques.

Si c’est le cas ce ne le sera jamais avec des trottinettes de location ! D’ailleurs pour celui qui voudrait faire dix kilomètres par jour en trottinette le calcul est vite fait, il a tout intérêt à s’en acheter une ! Ces boites à la con à qui vous les politiques avez donné l’autorisation de squatter l’espace publique sans contrepartie, elles se contrefichent de l’écologie, elles viennent en rapaces créer un besoin qui n’existait pas. En plus de n’offrir que des emplois précaires pour de pauvres types mis au service de gens débiles elles nous pourrissent la vie !

Vous exagérez ! Moi elles me vont très bien.

Parce qu’en tant que député vous ne faites peut-être pas grand usage de la rue !

Plus que vous ne l’imaginez ! Je ne suis pas très connu comme vous l’avez souligné. Mon seul vrai problème avec les trottinettes c’est que beaucoup d’entre elles finissent dans le Rhône ou la Saône, avec les batteries c’est pas super pour la qualité de l’eau !

Et moi je suis assez convaincu que ce sont les mêmes débiles qui utilisent les trottinettes et les jettent ensuite dans le Rhône ! C’est la génération Kleenex ! Mais pour ma part je les encourage fortement à le faire ! Cela précipitera leur disparition. D’ailleurs je me demande qu’est-ce qui m’empêche moi-même de les jeter dans le Rhône ?

C’est illégal !

En quel honneur ?

Vous n’avez pas le droit de jeter quoique ce soit dans le fleuve et encore moins quelque chose qui ne vous appartient pas !

Un truc abandonné sur la voie publique n’appartient à personne !

Ah bon ? A supposer que vous trouviez une voiture ouverte avec les clés sur le contact, vous n’avez pas le droit de partir avec. A supposer que vous trouviez un vélo non attaché vous n’avez pas le droit de partir avec.

Pas si sûr. Parce qu’on peut réfléchir la chose de manière inversée. Si je laisse la porte de mon appartement ouverte et que je me fais cambrioler, que va me demander mon assureur ? « Avez-vous bien fermé tous les verrous à double-tour ? » « Euh non j’ai même laissé la porte ouverte. » « Alors désolé, pas d’effraction pas de délit ! »

La police d’assurance et la police tout court sont deux choses très différentes.

Pas si sûr. Et si, parce qu’un débile a pensé que le meilleur endroit pour abandonner sa trottinette de location c’était devant la porte de mon hall, je me prends les pieds dedans et je me casse un bras ou le col du fémur, je dois porter plainte contre qui ?

Cela je n’en sais fichtre rien. J’imagine que vous êtes tenu de regarder là où vous mettez les pieds !

Ah ben c’est la meilleure celle-là ! Et voilà que ce serait de ma faute ! Non mais j’hallucine ! Tout cela parce que vous les politiques vous êtes incapables d’assumer votre nullité absolue !

Écoutez ! Je ne dis pas que ce n’est pas un problème ! Pour ma part j’ai suggéré qu’on puisse obliger les usagers à déposer les trottinettes dans des endroits qui leur seront réservés. Comme il existe des parcs à vélo il peut exister des parcs à trottinettes. Les gens devront marcher un peu pour prendre et déposer une trottinette mais cela enlèvera cette impression d’anarchie dont j’ai parfaitement conscience. Mais tout cela prendra du temps. Soyez patient !

Mais bien sûr ! Pour pondre des arrêtés qui finiront par nous interdire d’avoir des boules de pétanque ou un couteau dans notre coffre sous prétexte de lutte contre l’insécurité, ah ça y a du monde et ça réagit au quart de tour ! Mais pour lutter contre l’invasion des trottinettes faut attendre des lustres ! Que cela passe par l’assemblée, le sénat, le premier ministre, le président ! Je vais vous dire ! Je ne sais pas qui possède ces entreprises de trottinettes à la con mais ça m’étonnerait pas que ce soit des sous-filiales de groupes appartenant à des fonds de pensions gigantesques. Et pour le coup, on en viendrait à croire que ça arrose les partis politiques à tout va. Allez ! On est entre nous ! Vous pouvez me le dire ! Combien ils vous ont donné pour que vous vendiez la trottinette comme le Nec plus ultra de la lutte contre le réchauffement climatique ? En toute franchise !

Arrêtez un peu ! Je vous rappelle que je suis non-inscrit et au demeurant je n’essaye pas de vous faire aimer la trottinette. C’est juste que je trouve ce moyen de transport sympa et en phase avec son époque. Ce que j’adore par-dessus tout c’est que des gens se sont creusé la tête pour inventer le gyropode en lui donnant un pseudo-look futuriste mais qui au final m’apparaît beaucoup plus ringard et prétentieux que la trottinette. Puis d’autres ont pris un objet existant depuis des lustres, lui ont collé une batterie et un petit moteur et bingo ! Là où vous croisez un gyropode il y a 1000 trottinettes ! Voilà une histoire que je trouve assez fun ! Alors moi je dis vive la trottinette !

Et mort aux cons ! Ça vous parle ?

11 mai 2019

Loulou Léonard vs Salottino

Chalut

 

Devant mon insistance et comme la météo est en mai 2019 aussi favorable qu’en mai 2018 pour de longs séjours dans l’appartement de Mr Grabelot, Odette a consenti à essayer de pirater de nouveau l’ordinateur du député Léonard. Je voulais vraiment remettre la patte sur la suite de l’histoire concernant le linky et je crois que Odette pourrait parfaitement le faire. Sauf que bien sûr elle n’en fait qu’à sa tête ! Voyez donc :

– Ah dis donc ! Il y a des fichiers audio ! Ce qu’on va faire matous…  vous écoutez ça et vous me ferez un résumé !

– Mais Odette ! Moi ce que je veux c’est le fichier qui parle du linky ! Rien ne dit qu’il s’agit d’un fichier audio !

– Rien ne dit qu’il ne s’agit pas d’un fichier audio !

– Oui mais rien ne dit que c’est ce fichier là le cas échéant !

– Comment tu pourrais le savoir avant d’avoir écouté ?

– Déjà il s’appelle comment ce fichier ?

– RDVCITY0001.

– Y en a d’autres des fichiers audio ?

– Oui ! Une quarantaine ! Ils s’appellent tous RDVCITY quelque chose !

– Il y a un RDVCITY0020 ?

– Exactement matou.

– Alors si je dois en écouter un je préfère que ce soit celui-là !

– Et pourquoi donc ?

– Parce que j’aime bien le 20. Vu que je suis né le 20 mars.

– OK ! A ta guise ! C’est une raison comme une autre ! Si tu tombes pas sur le linky au moins t’auras qu’à t’en prendre à toi-même.

– Ben si on tombe pas sur le linky on essayera un autre fichier.

– Matou ! Je télécharge le fichier et je coupe la connexion ! Alors tu choisis RDVCITY0020 ?

– Oui !

– C’est ton dernier mot ?

– Oui oui !

– Allez zou !

 

Alors voyez. Je crois que j’aurais surtout dû choisir un critère de taille parce que non seulement ce fichier audio ne parle pas du linky mais en plus, il est franchement long ! Tellement que Grabel s’est endormi pratiquement dès le début de l’écoute tandis que moi j’ai tenu bon, et même deux fois puisque, pour vous faire part du contenu de ce fichier et sachant que Odette n’a pas voulu prendre le temps de le retranscrire, j’ai dû recourir aux services de George et j’en ai profité pour le réécouter. Alors voilà ! Il s’agit, de toute évidence, d’une discussion entre le député Léonard et un citoyen lambda dénommé Salottino qui démarre sur des problématiques de cycliste en ville mais dévie immanquablement de son sujet. Ça devrait vous prendre plus d’une heure à lire !

 

 

Les entretiens citoyens de Loulou Léonard, député de la 15ème circonscription du Rhône.

Objet : Déplacements urbains et écologie.

Citoyen : Monsieur Salentino, militant pro-vélo et pro-rail.

Date : 24 janvier 2019.

 

« « « 

– J’espère que vous n’attendez pas de moi que j’abonde dans votre sens.

– Je n’attends rien de vous. J’essaye juste d’écouter ce que les citoyens ont à dire.

– Les citoyens ont a dire qu’ils ne sont pas très contents de la tournure des choses.

– J’imagine que c’est tout de même assez variable.

– Je peux vous assurer que concernant le développement des modes doux, l’avis négatif est très largement partagé !

– Ah bon ? Pourtant il me semble que les choses ont radicalement évolué en ce domaine.

– Alors vous les politiques vous croyez qu’il suffit de quelques pots de peinture pour dire que vous œuvrez en faveur des modes doux ?

– Personnellement je n’ai rien peint !

– Vous voyez très bien ce que je veux dire !

– Non.

– C’est pourtant pas dur à comprendre ! Combien il y a de kilomètres de rues à Lyon ?

– Mais comment voulez-vous que je le sache ?

– Un député pourrait savoir ce genre de chose ! Ce n’est pas incompatible avec la fonction !

– Si un jour je postule à la mairie, je me renseignerai, promis ! 

– Bon. Disons que s’il y a mille kilomètres de rues, avec des pots de peinture vous comprenez qu’il est facile de faire mille kilomètres de pistes cyclables !

– Certes. Et c’est mal ?

– Je ne dis pas que c’est mal ! Moi je suis favorable à ce que les vélos soient prioritaires dans toutes les rues ! Mais peindre un vélo sur le sol cela ne fait pas d’une rue un axe favorable aux vélos !

– Cela a au moins le mérite de rappeler aux automobilistes qu’ils ne sont pas seuls.

– La belle affaire ! Ils passent leur temps à rouler sur des vélos peints au milieu de la route ! Jusqu’au jour où ils ne font plus la différence entre un vélo peint et un vrai cycliste !

– N’exagérons rien !

– J’exagère ? Vraiment ? La vérité c’est que les temps restent très favorables aux pollueurs ! Tout leur est dû ! Les voitures sont devenues obèses ! Pourquoi ? Pour la sécurité des automobilistes !

– Certes. Et c’est mal ?

– Je ne dis pas que c’est mal ! Je dis seulement qu’aujourd’hui une voiture de petite taille prend plus de place qu’une berline des années 80 ! Mais cette place en plus que prennent les voitures c’est de la place en moins pour les vélos !

– Il vaut peut-être mieux une voiture un peu plus grosse mais qui détecte la présence d’un cycliste dans un angle mort.

– C’est du gadget et ça le restera tant qu’il y aura un humain derrière le volant ! A force de renforcer la sécurité des automobiles, les automobilistes se croient invulnérables ! Faut avoir de la chance pour tomber sur celui encore capable de faire la différence entre les infos à la radio, Tom Tom qui braille « Dans 20 mètres tournez à droite ! », les enfants qu’appellent au téléphone pour demander à papa de ne pas oublier les Kinder, et tous les signaux sonores qu’émet la voiture, « Bip ! Attention à droite ! Bup ! Attention devant ! Bop ! Attention à gauche ! Ding Ding ! Pensez à faire le plein, la prochaine station Total vous offre 10 points de bonus fidélité pour tout achat de dix paquets de chips. » Moi sur mon vélo ça ne me viendrait pas à l’idée de téléphoner ou même d’écouter de la musique ! Pas d’airbag, pas de carrosserie, pas de ceinture, voilà qui incite à la prudence !

– C’est pas l’idée générale que je me fais des cyclistes ! Qu’ils commencent par mettre un casque !

– Parce que vous pensez que je ne porte pas de casque ? Évidemment que je porte un casque !

– Vous peut-être, mais ne prenez pas votre cas pour une généralité ! 

– N’inversez pas la situation ! Que les cyclistes aient ou non des casques, c’est pas eux qui tuent des automobilistes !

– C’est pas dit !

– Comment ça c’est pas dit ? Vous croyez qu’il se passe quoi quand une voiture percute un vélo ? Que la voiture dit « Aïe ! » ?

– Non mais il peut aussi arriver qu’une voiture aille dans le décor simplement parce que son conducteur a voulu éviter un cycliste se croyant seul sur la route !

– Oui, oui ! Bien sûr ! Bien sûr ! Un cycliste, un chien, un chat qui traverse ! Mais l’automobiliste n’est-il pas tenu d’avoir la maîtrise de son véhicule ? Or visiblement c’est loin d’être toujours le cas ! Les cyclistes sont de plus en plus en danger parce que vous, les politiques, vous croyez qu’il suffit de peindre des vélos sur la route !

– Encore une fois je n’ai rien peint !

– Alors ne peignez rien ! Je vous file une truelle et un seau et vous irez faire de vraies pistes cyclables  où les cyclistes peuvent avancer sans craindre pour leur vie à chaque instant !

– Comme si l’agglomération n’avait pas fait de vraies pistes cyclables ! Y en a plein !

– Trop peu, trop courtes ! J’habite à cinq kilomètres de mon travail par la voie la plus directe, plein Est ! C’est exactement la distance dont on dit qu’elle est idéale pour le vélo. Sauf que si je veux vraiment prendre des pistes cyclables sécurisées, il faut que je mette le cap au sud, puis que j’aille à l’est, avant de remonter au nord. Au total c’est sept kilomètres et c’est plus tout à fait la même chose ! Vous comprenez ?

– Mais oui mais bon, Rome ne s’est pas faite en un jour ! On ne peut pas transformer du jour ou lendemain toutes les rues de Lyon !

– C’est pourtant exactement ce qu’on fait en peignant dans tous les sens des vélos dans toutes les rues ! Tout cela est parfaitement annonciateur d’un manque flagrant d’ambition parce que Lyon n’arrive pas à dépasser l’ère de l’individualisme automobiliste ! Si on avait vraiment de l’ambition pour des modes de transport écolos, on supprimerait des rangées entières de places de stationnement pour créer des pistes cyclables.

– C’est exactement ce qu’on a fait dans ma rue.

– Eh bien il faut le faire dans beaucoup plus de rues !

– Personnellement je n’ai rien contre mais quand on le fera dans votre rue, il faudra accepter quelques aléas !

– Lesquels ?

– Par exemple l’impossibilité de garer un véhicule sans bloquer totalement la rue, ni donc de déménager avec un monte-meuble, ou toute chose occasionnellement utile. Je peux vous assurer que c’est très contrariant quand l’occasion se présente !

– Ça c’est parce qu’on a pris l’habitude de tout organiser en fonction de l’automobile ! Si vous habitiez à Venise cela ne vous empêcherait pas d’avoir des meubles !

– C’est plus facile à dire quand on n’est pas concerné directement. De plus, quand vous aurez supprimé toutes les places de parking, vous allez les garer où les voitures ?

– Quelles voitures ?

– Toutes les voitures qui sont garées dans les rues ! Suffit de jeter un œil par la fenêtre !

– Quand tout le monde ira à vélo, nécessairement, il y aura moins de voitures !

– Tout le monde ne peut pas aller à vélo et aller à vélo ne signifie pas qu’on ne possède pas de voiture.

– Peut-être mais vous ne pouvez pas nier que la ville a été largement remodelée au siècle dernier pour le développement d’un mode de transport individualiste et polluant ! On est même allé jusqu’à supprimer les tramways ! Aujourd’hui on les remet partout ! Donc globalement cela signifie le retour en force des transports en commun ou bien de moyens individuels qui prennent moins de place et polluent moins. Dans ce schéma là ce n’est pas à moi de dire où on va garer les voitures de ceux qui persistent à en avoir une en la laissant 95 % du temps stationnée sur l’espace public ! Qu’ils s’achètent un garage ! Non mais sérieusement ! Ma rue est relativement commerçante mais vous ne croisez pas deux poussettes sur les trottoirs tellement ils sont étroits ! Mais pour l’automobile on a fait deux voies de circulation et deux rangées de places de stationnement ! Les samedis vous pouvez compter une automobile qui passe pour plus de cent piétons. Vous trouvez cela normal qu’on consacre autant d’argent et d’espace à la voiture ? Pourquoi moi je devrais payer pour la bagnole en plus de subir ses nuisances à longueur de journée ?

– Sur vos cent piétons y en a peut-être plus de la moitié qui ont tourné pendant une demi-heure pour chercher une place de parking ! Supprimer des places de parking ne fera qu’accentuer le problème !

– Quand cela deviendra vraiment l’enfer pour se garer, les gens réfléchiront à la nécessité de se déplacer autrement !

– Je crois que votre façon de voir est des plus autoritaires. En plus c’est très inégalitaire dans la mesure où effectivement les plus riches pourront toujours se payer des parkings privés très chers et garderont leur voiture tandis que tous les autres seront contraints d’y renoncer ou devront faire de gros sacrifices financiers ! Vous êtes quand même capable de comprendre que certaines personnes ont besoin de leur voiture tous les jours parce qu’elles travaillent loin de chez elles dans des zones mal desservies ! Vous croyez que c’est marrant de se taper des correspondances de métro et de bus ? Ben non ! 

– Ah mais moi je vous le dis tout net ! Je pense que beaucoup de gens en sont venus à faire des choix sous la contrainte et qu’il n’y a rien d’insupportable à l’idée de les contraindre désormais à faire des choix en sens inverse. Appelez-ça comme vous voulez ! De l’écolo-fascisme comme disent certains qui sont souvent les premiers défenseurs de ce que moi j’appelle l’économico-fascisme ! Et si c’est l’égalité qui vous importe plus que l’écologie, il y a bien d’autres moyens d’avoir une société plus égalitaire qu’en permettant à tout un chacun d’avoir une bagnole qu’il peut poser où il veut quand il veut sur l’espace public !

– Oui enfin, c’est pas gratuit non plus !

– Encore heureux ! Vous pensez égalité alors que la bagnole est un fléau pour les pauvres ! Toute notre économie s’est articulée autour de la possibilité de faire des dizaines de kilomètres par jour pour aller bosser ! Sans cette possibilité l’aménagement du territoire serait très différent et les gens travailleraient plus près de chez eux ! Tout le monde y trouverait son compte !

– Je ne vois vraiment pas comment vous pouvez affirmer cela ! Il y a bien des pays où peu de gens ont des voitures et ça ne les empêche pas de construire des villes tentaculaires où la misère et les inégalités font rage !

– Mais nous on n’est pas un pays du tiers-monde ! On se tiers-mondise justement à cause des déséquilibres territoriaux créés par la toute-puissance de la bagnole !

– C’est très contestable comme point de vue ! Je déplore personnellement la manière dont des zones se désertifient et d’autres deviennent surpeuplées mais je ne pense pas que cela soit la faute des réseaux routiers. Au contraire les pays du tiers-monde sont sous-équipés en infrastructures. Les raisons sont à chercher ailleurs. Si le charbon avait encore le vent en poupe en Europe il y aurait peut-être moins de monde à Lyon et plus à Saint-Étienne ; l’économie a ses impondérables.

– Balivernes ! L’économie n’a plus ses impondérables dès lors que tout se joue sur la course aux bas salaires ! On a décidé que le prix du transport devait compter pour un minimum et le prix des gens pour un maximum ! C’est sûrement plus facile d’amener des tonnes de trucs made in China à Bordeaux qu’à Paris mais c’est pas pour cela que Bordeaux va croître plus vite que Paris ! L’aménagement du territoire actuel et massivement le fruit de choix politiques qui ont été faits ou pas faits ! Il y a des trous perdus dans le nord-est de la France où on pourrait très bien faire pousser une mégapole de cinq millions d’habitants à proximité de dynamiques Länder allemands qu’on envie tant !

– Certes, et Paris pourrait être à plus au centre de la France mais dans ce domaine c’est un presque un phénomène naturel que de voir les gros devenirs obèses et les minces maigrir. Difficile de lutter contre une forme de synergie.

– Ah bon ? Je crois personnellement que c’est tout à fait possible de lutter dès lors qu’on ne croit pas utile de dessiner des toiles d’araignées en bitume autour des points où l’on a décidé d’entasser le bas peuple ! Des autoroutes à six voies qui s’entremêlent, on peut toujours arguer qu’on les fait parce que c’est nécessaire au vu de la répartition de la population mais elles participent beaucoup plus à cette répartition, justement, qu’elles n’en sont la conséquence inéluctable !

– Ça se défend… enfin oui, il y a nécessairement une forme de synergie mais il n’empêche que les autoroutes c’est tout de même indispensable !

– Pourquoi ?

– En premier lieu pour la sécurité ! Et secondairement parce qu’un pays sans autoroutes aurait bien du mal à exister dans l’économie actuelle ! Entre une région bien desservie et une autre mal desservie le choix des investisseurs est vite fait !

– Mais pourquoi diable ramener sans cesse ces questions au choix de supposés investisseurs ?

– Que nous le voulions ou non, ainsi va la marche du monde ! 

– Et le résultat ? Vous en êtes content ?

– C’est à dire ?

– C’est à dire qu’effectivement s’il y a des manières de ne pas rebuter les détenteurs de pognons, l’âne a tendance à ravager sa pâture ! Je ne suis pas un grand voyageur alors j’ignore si tous les pays riches ou en fort développement construisent des autoroutes à tour de bras ; mais je suis bien convaincu que l’obsession de l’investissement est la même partout. Du coup vous avez plutôt l’impression que l’innovation a tendance à s’accélérer ou à ralentir ?

– Difficile en profane de voir le moindre signe de ralentissement en ce domaine. Mais encore faudrait-il savoir ce que l’on mesure.

– La seule chose qu’on mesure à coup sûr c’est la croissance ! Et vu qu’il y a que ça qui compte, pour faire bonne figure on la mesure à l’échelle du monde histoire de mettre en sourdine les piètres résultats des pays déjà saturés d’un trop plein de choses inutiles ! Évidemment, quand on est déjà à la surface, la seule façon de monter c’est de rajouter de l’eau ! N’en jetez plus la coupe est pleine ! Les trois quarts de l’humanité n’ont pas atteint un confort que nous jugerions inférieur à celui dont jouissaient nos grands-parents. Alors il faut investir, investir encore pour que notre confort s’améliore et que celui du monde entier suive le rythme. C’est pas grave si en quelques décennies de cette logique notre écosystème est tout simplement menacé d’effondrement ! Non c’est pas grave ! C’est pas grave si l’humanité se donne les moyens pour son confort de faire disparaître en quelques années plus d’espèces animales et végétales qu’un météorite géant s’abattant sur la terre. C’est pas grave si l’on suffoque, si l’on tousse, si l’on a les yeux qui pleurent, en hiver, au printemps, en été, à l’automne, du moment qu’on investit suffisamment pour faire émerger et vendre à bon prix les molécules qui calment la toux et assèchent les yeux tant et si bien qu’il en faut d’autres pour les réhumidifier. C’est pas grave si l’homme qui n’a jamais plus chaud, ni froid, ni faim et ne craint guère pour son intégrité physique se sent obligé de se gaver de pilules pour espérer trouver le sommeil ou simplement entrer en contact avec son prochain sans être submergé par l’angoisse. Tout cela n’est pas grave tant le résultat est patent ! Nos aïeux pas si lointains vivaient jusqu’à 50 ans et nous jusqu’à 80, certes souvent apeurés et branchés sur le secteur, mais avec un cœur qui bat à défaut d’un cerveau qui résonne !

– Écoutez ! Je suis tout à fait d’accord avec vous...

– Non c’est faux ! Vous n’êtes en aucun cas d’accord avec moi ! Sinon vous ne sortiriez pas des phrases du genre :«L’économie a ses impondérables ! »En toute sincérité j’ai plus de respect pour un type comme Trump aussi idiot soit-il que pour 99 % de notre assemblée nationale, vous y compris.

– Ce n’est pas très fair-play de venir dans mon bureau pour me dire cela. J’imagine que vous avez aussi plus de respect pour Macron que p…

– Chut ! Ne prononcez pas ce nom devant moi !

– Ah !

– Quoiqu’il ait le mérite de dire tout haut ce que beaucoup de vos congénères pensent tout bas, surtout quand il oublie qu’il est entouré de micros, je concède que je ne peux vraiment pas le saquer !

– Et Trump non ?

– Pareil mais il est moins manichéen ! Je crois qu’il est réellement assez idiot pour penser ce qu’il dit à propos du réchauffement climatique ! Donc il y a une forme d’honnêteté chez lui. Je préfère le genre de type qui annonce qu’il veut manier du bâton plutôt que celui qui dit qu’il faut ménager la chèvre et le chou alors qu’il a clairement l’intention de tabasser la chèvre avant même qu’elle soit en vue du chou ! Et vous vous êtes le troisième larron, celui qui caresse la chèvre mais la laisse se faire tabasser et finit par se faire inviter à la table du planteur de choux !

– Laissez-moi réfléchir !   Hum…  Non je ne crois pas ! D’ailleurs si vous avez l’intention de me corrompre un jour, levez-vous de bonne heure !

– En politique la simple abdication est une forme de corruption ! Peu importe si vous n’acceptez pas de valises de billets mal blanchis ou des pots de vins ! Quand on rentre dans une posture de reniement de ses engagements avec en tête le scrutin suivant, on entre illégitimement dans la carrière en se justifiant par des maximes imbéciles du genre « Y a que les imbéciles qui ne changent pas d’avis ! » Et c’est, selon moi, tout à fait assimilable à une forme de corruption dès lors que les mandatures s’accompagnent d’un niveau de vie des plus confortables !

– Comme vous y allez ! D’abord je tiens à vous signaler que ce n’est pas une partie de plaisir et que c’est même un travail plutôt harassant ; ensuite je vous rappelle que je n’en suis même pas à la moitié de ce qui est jusqu’ici mon premier et unique mandat ! Alors c’est un bien vilain procès que vous me faites là !

– Ne le prenez pas comme une attaque personnelle !

– Excusez ma susceptibilité !

– Ce que je veux dire c’est qu’on n’avance pas d’un poil pour la simple raison qu’il y a toujours un argument relatif à la concurrence internationale ! Au bout du compte la droite n’a même plus besoin de se référer à ses auteurs principaux, ou bien pour la forme ! Les théories concernant la nature humaine qui ont construit l’homme économique trouvent toujours leur justification dans la réalité mais, manque de bol, les différents comportements observables permettent de construire tout aussi bien l’anti-homme économique ! Ces théories n’auraient pas suffit à façonner le monde sans leur mise en œuvre par ceux qui affirment ne pas y adhérer ! Faire la politique de son adversaire en disant que si on ne le fait pas un autre le fera de manière plus brutale, c’est une belle connerie !

– Pragmatiquement ce n’est pas non plus une contre-vérité !

– C’est une contre-vérité de dire que la droite mène sa politique de manière plus brutale que la pseudo gauche pressée de l’imiter ! La pseudo-alternance c’est de la merde ! La meilleure chose qu’il aurait pu nous arriver c’est que ceux qui s’affirment vraiment en tant qu’extrême-droite financière ne lâche jamais le pouvoir dans tous les pays qui comptent au rang de puissance économique. Au moins elle serait forcée de prendre à son compte le désastre qu’elle amène au lieu de brailler sans cesse que les problèmes viennent de ce qu’on n’a pas appliqué à 100 % ses idées !

– L’extrême-droite financière ?

– Vous ne comprenez pas le terme ?

– C’est à dire que… Je ne suis pas sûr de vous suivre tout à fait.

– Si vous je vous disais que je milite dans un parti qui veut abolir totalement la propriété privée et entend soumettre toute l’activité économique au contrôle de l’état. Que parallèlement je sois pour ou contre le mariage gay, que je sois pour ou contre l’égalité des femmes, que je sois pour ou contre l’abolition des frontières, qu’est-ce que vous retiendriez de mon programme ? Qu’il est un programme de la gauche la plus extrême ! Alors le soi-disant progressisme moral dont voudrait se parer le président Macron et par lequel il a cru devoir positionner ses petits soldats à gauche des Républicains ou du Rassemblement National dans l’hémicycle où vous siégez, permettez-moi de vous dire que dans l’urgence qui est la nôtre, on en a un peu rien à carrer ! La vérité c’est que si l’on s’en réfère à des critères purement économiques, les violets mènent une politique d’extrême-droite à faire pâlir de jalousie les bleus et les bleus-marine qui sont autant d’extrémistes en puissance malgré qu’ils s’en défendent pour mieux capter l’électorat sans cervelle ! J’ai pas raison ?

– Je ne vous donnerai pas tout à fait tort sur le sujet.

– A la bonne heure ! Ce qui m’étonne c’est que l’on ne cesse de dire qu’actuellement les frontières politiques sont brouillées et poreuses alors qu’un simple petit exercice intellectuel permet de bien replacer les choses. Imaginez que nous n’ayons pas une assemblée mais deux assemblées élues en même temps mais dont les champs législatifs sont bien distincts !

– Bien distincts ? Cela me paraît déjà être un vœu pieu ! Quels seraient vos critères ?

– Eh bien ma foi, on ne les choisirait pas selon des vérités absolues mais on les définirait aussi bien qu’on définit le champ d’exercice des ministères !

– Mauvais exemple tant les ministères sont changeants à travers l’histoire !

– Ces choses-là pourraient très bien être définies constitutionnellement si on souhaitait de la stabilité. Mais peu importe ! L’important c’est que chaque candidat pour une assemblée sache quelles sont les limites de son domaine de législation et se positionne sur ce domaine-là. Bien entendu on ne pourra pas être à la fois élu dans l’une et dans l’autre assemblée. Il est possible et probable que les couleurs des deux assemblées ne soient pas exactement les mêmes. Mais chaque assemblée fera paire avec un certain nombre de ministères et la répartition de l’enveloppe budgétaire globale ne pourra pas être modifiée sinon par référendum. C’est à dire que si le budget global de l’État est en baisse, sa répartition en pourcentage pour les deux blocs de ministères ne sera pas modifiée. Un ministère ressortissant d’une assemblée pourra voir une partie de son budget allouée à un autre ministère ressortissant de la même assemblée. Par exemple on pourra avoir d’un côté les ministères de l’intérieur, de la défense, de la justice, de l’éducation nationale, de la culture, des sports. De l’autre ceux de l’économie et des finances, du travail, de la santé, de l’agriculture. Le président devra choisir des ministres représentant la majorité de l’assemblée en question même si son parti n’est majoritaire que dans l’autre. Cela peut conduire à une forme de cohabitation partielle mais de toute façon on peut également envisager un régime réellement parlementaire avec un président au pouvoir amoindri et élu par les deux assemblées.

– C’est un poil alambiqué. Je crois comprendre que vous faites le tri par rapport à une forme de morale. Vous supposez que la morale devrait moins entrer en compte en ce qui concerne le travail qu’en ce qui concerne la défense ?

– En quelque sorte oui ! Mais je vous ai donné cela pour l’exemple ! Dans le travail il pourrait y avoir des pans législatifs qui sont débattus par l’assemblée traitant du droit des gens. Je préfère l’idée de droit à celle de morale même si ceux qui voudraient expurger l’idée de morale font de la sémantique individualiste. Le droit et la morale ne peuvent pas s’exclure l’un l’autre. Pour moi il est naturel de considérer que les modes d’action de nos forces de l’ordre et de défense soient dans le champ de la morale. C’est une autre façon de dire que les modes d’action des forces de l’ordre doivent être encadrés par la volonté de préserver les droits individuels de la violence collective tout comme la collectivité cherche à se prémunir de la violence des individus. Cela ne signifiera pas que les décisions d’une assemblée traitant du droit des gens et de la violence collective seront plus morales au sens de ma propre morale ! Cela permettra simplement de mieux cerner nos élus, donc de mieux les élire en quelque sorte. Prenez un élu de l’assemblée traitant plus spécifiquement de chiffres que de droit et de morale et qui vote manifestement en faveur de la finance d’extrême-droite, cet élu ne sera plus en mesure de fanfaronner qu’il a, en tant qu’élu, des positions pleines de mesure et progressistes parce que par ailleurs il est pour le mariage gay et pour le droit des enfants à coucher avec leur maîtresse d’école ! Non ! Il sera considéré comme un élu d’extrême-droite dans son domaine de législation !

– Je ne suis pas sûr que l’ensemble des français partage vos points de vue sur ce que cela signifie d’être d’extrême-droite en matière de finance et d’économie !

– Croyez-moi deux assemblées ainsi constituées seraient très formatrices à ce sujet dès lors que la soi-disant porosité des frontières deviendrait bien moindre. J’en reviens à mon exemple d’une économie totalement communiste et totalement centralisée ! Positionnons-nous d’un point de vue libéral et admettons qu’on appelle cette économie une horrible dictature communiste !

– Le terme ne m’apparaîtrait pas usurpé.

– Moi non plus ! C’est pas comme si je portais l’URSS et la Chine dans mon cœur. Or une logique d’opposition entre lois du marché débridées et dirigisme étatique semble assez pertinente pour positionner les élus sur un hémicycle traitant majoritairement de questions d’ordre économique. Nos partisans d’un tel communisme seraient inévitablement placés à l’extrême gauche, quoiqu’à l’heure actuelle il est peu probable qu’ils trouvent à se faire élire.

– Peu probable et peu souhaitable.

– Oui mais dès lors on est en droit de réfléchir à ce que cela signifie d’être simplement de gauche, ou bien centriste, ou bien de droite, et surtout d’être d’extrême-droite dans une telle assemblée ! Est-ce que par exemple considérer que les individus ont le droit d’entreprendre mais que ce droit d’entreprendre ne s’applique pas à certains domaines dans lequel l’État s’arroge un droit de monopole par l’entremise d’entreprises publiques, est-ce que cela ferait de vous un affreux gauchiste ou bien un centriste ?

– Eh bien j’imagine que cela pourrait dépendre du nombre de domaines ainsi réservés considérés.

– Certes, mais à priori, un État qui cherche à soustraire ses routes, son énergie, son rail ou même sa fabrication d’armes de la loi du marché ne devient pas une dictature communiste dans la mesure où il laisse l’accès à la propriété privée, autorise les gens à se faire paysans, commerçants, artisans, libéraux, entrepreneurs. De mon point de vue c’est une position qui peut très bien se situer quelque part entre la droite de la gauche et la gauche de la droite. Cela n’est en aucun cas extrémiste. Et il y a de multiples formes d’interventionnisme d’État qui sont plus ou moins considérées comme anti-libérales mais ne transforment en aucun cas une nation en dictature communiste. Maintenant positionnons-nous de l’autre côté de l’échiquier… ou de l’hémicycle pour rester cohérent. L’opposé de la dictature communiste c’est l’anti-dictature ultra-libérale ? C’est donc la liberté absolue ?

– Euh… La question est complexe. La liberté absolue ne peut pas exister même en termes purement économiques. Ou alors il faut prouver qu’elle conduit nécessairement à une forme d’équilibre harmonieux. C’est pour cela que le libéral convaincu ne peut pas se considérer comme un extrémiste même sur un point de vue économique et même si vous tenez à le placer en opposition au communisme supposé dictatorial. Lui il se considère comme un homme mesuré dès lors qu’il pense que le système qu’il défend conduit à l’équilibre donnant la meilleure quantité de bonheur global.

– Oh mais j’entends bien les prétentions dogmatiques ou utopiques ! Mais il se trouve que dans les hémicycles il y a potentiellement deux extrêmes qui se font face et non pas un extrémisme intolérant faisant face à des anges faits hommes. Si les nazis ont détestés autant que les américains l’URSS c’est peut-être que ces deux-là avaient quelque chose en commun et que ce quelque chose était exacerbé chez les nazis ! Pourtant ce n’est pas le non-interventionnisme d’état que l’on louerait chez les nazis. Alors à contrario en viendrait-on à supposer que les soviétiques et les nazis seraient du même côté d’un hémicycle ne traitant que de questions économiques ? Vous y croiriez ?

– C’est peut-être cette idée qui autorise les libéraux idéalistes à se considérer comme des individus pleins de mesure.

– Sans doute mais regardent-ils la vérité en face ?

– Vous me faites de plus en plus penser à un de nos concitoyens que j’ai reçu il y a peu. Mr Boudard. Vous êtes de sa famille ?

– Non mais cet homme doit être très intéressant ! La vérité c’est que dans les affaires humaines il n’y a rien qui approche de près ou de loin un ordre naturel ou je ne sais quel concept incongru ! On peut comme beaucoup se livrer à moult exercices pour tenter d’ancrer le fantasme dans la réalité mais pour ne pas finir par admettre la limite de la méthode, il faut avoir de sacrées œillères !

– De quoi parlez-vous au juste ?

– De l’idée de main invisible, d’équilibre général, de marché auto-régulé, tout ça tout ça !

– Je ne sais pas. N’y a t-il pas au moins un exemple de marché qui a été relativement efficient et, en quelque sorte, équilibré et auto-régulé ?

– A quelle marché pensez-vous ?

– Je pense plus généralement aux meilleurs siècles de l’Islam. On peut considérer que c’est une économie de marché avec peu d’interventionnisme d’état concernant le fonctionnement du marché. Mais un marché de marchands, pas un marché de capitalistes.

– J’ignore à peu près tout de cette époque et surtout comment on empêche des marchands de devenir des capitalistes. Mais j’imagine moins le résultat d’une main invisible qu’un équilibre né de garde-fous empêchant l’accaparement de la richesse par quelques-uns au détriment des autres. En outre il faut se méfier des analyses concernant les ères économiques en expansion soutenue par des conquêtes militaires.

– Sans doute.  

– Pour moi s’il était possible de définir un état naturel on ne pourrait le déduire que d’une économie en autarcie ou totalement globalisée, ce qui devrait revenir au même sauf qu’on est d’autant moins capable d’expliquer l’économie quand elle est plus vaste et complexe. Les économistes repartent toujours des mêmes concepts issus de la micro-économie eux-mêmes conçus à partir des hypothèses les plus douteuses. Aujourd’hui on parle de monde globalisé mais ce n’est pas le cas tant que le processus est en cours. Un processus d’ouverture en cours ne dit rien sur un état naturel sous-jacent, et encore moins lorsque la dynamique ressort principalement des déséquilibres entre deux économies s’ouvrant l’une à l’autre. Je ne prétends pas que le commerce entre deux zones ne puisse pas être profitable à l’une et à l’autre, simplement qu’il est antinomique de tenter de démontrer que les gains mutuels sont automatiques tout en s’appuyant sur des supposées lois naturelles. S’il y avait des lois naturelles capables d’expliciter le comportement d’individus au cœur d’une cellule familiale, on ne tenterait pas d’en faire la démonstration en prenant exemple sur l’interaction entre deux familles ! Mais j’en reviens à mon sujet…

– Le vélo ?

– Non, pas déjà, l’assemblée économique ! Quoiqu’en disent les meilleurs siècles de l’Islam, l’idée d’un non-interventionnisme d’État me semble assez fallacieuse. Il y a toujours intervention, soit de l’État, soit d’une entité supérieure, un État ingérant, une entité supranationale. Il me semble que quelque soit le pays que l’on choisisse, quand on le juge économiquement interventionniste c’est qu’il a quelques prétentions redistributrices, donc qu’il intervient ou qu’il prétend intervenir dans l’intérêt d’une proportion conséquente de la population. A contrario quand on le juge libéral c’est à mon sens qu’il intervient expressément en faveur du sommet de la pyramide.

– Oui mais l’intervention dans ce dernier cas sera moins sûrement économique. Quand le pouvoir économique est entre quelques mains il a surtout besoin de sécuriser son environnement. Donc c’est plutôt sur des dispositions législatives que l’État va intervenir, comme par exemple affaiblir le droit du travail ou les normes environnementales.

– Oui, ou envoyer ses flics pour mater les grévistes. Mais pas que ! Parce que même des États jugés peu interventionnistes sont des machines à dépenser du fric. Faudrait que le Pentagone fasse systématiquement des appels d’offre internationaux non biaisés pour qu’on ait l’ombre d’un doute concernant la réalité du libéralisme occidental. Mais l’idée que les masses s’en font est nécessairement très variable d’un pays à l’autre. Dans une économie dominante le système génère suffisamment de revenus pour nourrir des pans entiers de la population. Qu’importe dès lors si les pays libéraux ont toujours une frange de la population dans le quart-monde, le système est massivement appuyé par tous ceux qui ont l’intuition qu’ils sont mieux lotis que la moyenne. Le libéralisme économique dans des pays moins avancés ou en déclin a nécessairement plus de mal à sauver les apparences parce que moins il y a à partager plus les écarts se creusent. Dans ce contexte l’autoritarisme étatique, à défaut de l’interventionnisme économique, doit contrecarrer toute velléité de changement politique. Hormis chez les vrais puristes à la vue déficiente le libéralisme économique est bien souvent un discours de façade car en arrière-plan tout est acceptable du moment que les milieux d’affaires y trouvent leur compte. Prenez l’Algérie ! A bien des égards tout le monde peut s’accorder pour dire que ce pays aurait peu à faire pour être plus performant et qu’il ne forme pas un modèle de gouvernance libérale quand bien même il n’est pas totalement rétif aux injonctions du FMI et de la Banque Mondiale. Mais quoiqu’il advienne du revenu moyen et de sa répartition dans ce pays, les puissances dominantes s’en accommoderont toujours tant que certaines de leurs entreprises y font leur beurre. Aux États peu puissants, peu démocratiques et peu libéraux, la seule chose qui importe pour leur survie c’est d’être suffisamment libéral vis-à-vis des investissements étrangers. Toutes les ingérences occidentales dans les pays émergents ou ceux du tiers-monde sont guidés par cette idée. Le libéralisme économique ce n’est jamais « laisser faire, laisser aller », c’est une œuvre permanente de déconstructions et de constructions officielles ou officieuses. D’abord parce qu’au départ les entraves commerciales existent et qu’il faut être bon comédien pour laisser entendre qu’elles sont toujours un frein au développement. Si dans mon assemblée économique vous pensez siéger au centre, vous savez que les réglementations commerciales sont des leviers dont il est possible de se servir à bon escient. Elles ne sont ni bonnes ni mauvaises par principe, il est aussi absurde de dire qu’il ne faut rien laisser passer que de dire qu’il faut tout laisser passer, n’admettre aucune norme restrictive, ne penser qu’il n’y a aucun secteur stratégique méritant quelque protection.

– Si vous êtes dans une vraie union douanière, vous êtes bien dans le second cas.

– Vous en avez une en tête qui ressemble à une réussite fantastique ? Même l’Europe est en proie à des problèmes qui font douter de sa pérennité ! A vrai dire j’aurais aimé voir ce que cela aurait donné si on était resté à six ou douze mais les puissances financières avaient tout intérêt à amener du déséquilibre car c’est sur celui-ci qu’elles font le mieux leur beurre. La puissance financière et les écarts technologiques sont avant tout des héritages de violences guerrières et guère la résultante d’une plus ou moins grande aptitude au commerce. Adam Smith était bien convaincu que le commerce était amplement supérieur à la conquête guerrière pour le bonheur des hommes, mais il n’empêche que si chacun avait toujours préféré le commerce à la guerre, la répartition des richesses sur la terre serait bien différente. Il est alors très facile de se positionner en héritier des valeurs libérales quand on est d’abord des héritiers tout court. Je ne dis pas que tout héritier trouvera ses intérêts dans la promotion d’un libéralisme commercial ; il y a bien des fortunes qui se sont faites grâce à l’absence de concurrence internationale sur des marchés protégés par le concours de l’État. Mais dans un monde dominé par la possession de titres financiers et la possibilité de transférer rapidement des usines entières dans des pays où la main d’œuvre est bon marché, il faut être notoirement incompétent pour devenir pauvre quand on est né riche. Ce n’est pas tant de l’avantage des nations à l’ouverture commerciale dont il faut traiter mais de l’avantage des individus qui rentrent dans la course avec des kilomètres d’avance.

– Vous ne croyez pas que le réel argument en faveur du libre-échange c’est justement l’investissement direct étranger et les possibilités de transfert technologique qui en découlent ? Que ces écarts technologiques soient des héritages qui doivent peu au commerce ne change rien à la donne. Comment, seul, pourriez-vous être en mesure de les combler en partant de tout en bas ?

– Vous pourriez trouver un pays développé sympathique disposé à vous transférer amicalement son savoir-faire !

– Trêve de plaisanterie ! Il me semble que les libéraux n’ont jamais dit qu’il fallait compter sur la générosité d’autrui mais sur son égoïsme. En ce point la pensée libérale reste cohérente. 

– Je sais. Tout comme je ne sais pas trop quoi penser de la réalité des transferts de technologie. Je pense qu’on peut convenir que la Chine est le meilleur exemple en ce domaine mais le processus par lequel c’est advenu rentre-t-il dans le cadre de la rhétorique libérale ? Pas vraiment ! En premier lieu par que c’est tout le contraire d’un État non-interventionniste puisque c’est un État planificateur en plus d’être un État autoritaire et, sous bien des aspects, dictatorial. S’il avait été un État non-interventionniste gageons qu’il ne serait pas actuellement en mesure de faire flipper autant nos amis américains concernant leur prééminence.

– Un libéral prétendra que la Chine aurait déjà dépassé largement les USA si elle avait joué le jeu du libre-échange intégral.

– Il peut prétendre ce qu’il veut, apporter les preuves de ce qu’il avance est une autre paire de manches ! J’ai parfois entendu des libéraux déballer des arguments à faire rougir de honte un acharné de la théorie du complot tant ils montaient haut la barre de la mauvaise foi. Par exemple, considérant la décennie des années 30, qui fut économiquement catastrophique notamment aux USA, un libéral pointera du doigt la responsabilité du New-Deal et ses échecs. Il cible un truc intervenu tardivement dans la période à l’exclusion de tout le reste, oubliant jusqu’à l’évocation de la crise de 29, un détail de l’histoire tant qu’il n’est pas en mesure de mettre en avant la responsabilité manifeste de l’État en la matière. Cette manière de faire, qui consiste à mettre toutes les réussites au compte de la mise en œuvre de ses idées et tous les échecs au compte de celles de ses adversaires, ça me dépasse. Merde alors ! Si vous avez un esprit porté sur le collectivisme et que vous n’êtes pas fichu de penser l’URSS ou même les déviances de simples coopératives comme des échecs à méditer, vous êtes du même acabit que ces libéraux-là ! Alors moi je crois que si la Chine avait simplement décidé de s’ouvrir à tout vent, et en supposant que les occidentaux aient fait de même, une bien plus grande part des fruits de sa croissance serait entre les mains d’actionnaires occidentaux. Ce qui se serait passé précisément je n’en sais rien, mais le fait est que si elle considère le chemin parcouru en tant que nation, elle est dores et déjà en mesure de s’inviter dans toutes les discussions importantes alors qu’elle comptait pour partie négligeable il y a 40 ans ! Et elle l’a fait sans menacer qui que ce soit militairement !

– Mais un vrai libéral n’est-il pas dans l’attente d’un monde réellement sans frontières ? En ce sens la réussite n’est pas à mesurer sur la base de la nation mais de la somme des bonheurs individuels.

– Certes, mais si j’ai la conviction que les théories libérales sont truffées d’ethnocentrisme, à contrario je doute que la vocation du libéralisme économique soit la lutte contre le nationalisme.

– Cela peut tout de même y participer. Ce qui ne serait pas un mal.

– Peut-être mais si l’esprit libéral au sens large est une valeur occidentale, en quel honneur devrions-nous nous attendre à ce qu’il soit partagé par le monde entier ? Et s’il est une valeur universelle, pourquoi ceux qui sont si pressés de mettre en place des traités de libre-échange sont les mêmes que ceux qui postent des flics et posent des barbelés aux frontières ? Pourquoi les pays invoquant le mieux l’esprit libéral sont souvent ceux qui hissent le plus souvent leur drapeau en beuglant leur hymne national ! Les communistes ont leur internationale, à plus forte raison les libéraux devraient avoir un hymne à la liberté universelle si elle leur importait autant que ça !

– Y en a peut-être un.  

– Qui le connaît ?

– Pas moi. Mais je ne connais pas non plus l’internationale !

– En tout cas, la leçon de la réussite de la Chine en tant que nation et non pas en tant qu’espace de liberté individuelle serait donc plutôt : « Surtout ne soyez pas trop libéraux, ni économiquement ni moralement ! Soyez-le selon vos intérêts ! Ouvrez-vos frontières au rythme où vous le déciderez vous ! » Je doute néanmoins que cela soit reproductible, sinon peut-être pour l’Inde, comparable en terme de puissance démographique mais enfermée dans des carcans culturels qui ne sont pas ceux d’une dictature dite communiste. En un sens elle pourra représenter un meilleur modèle de développement libéral en termes purement économiques, mais le fait est que pour l’instant elle est à la traîne. Mais prenez des processus de développement s’amorçant comme en Chine, par la mise en branle d’industries gourmandes en main d’œuvre peu qualifiée, telle l’industrie textile. Quand on voit au Bangladesh des immeubles pourris avec des rangées entières de simples machines à coudre, on ne voit guère en quoi un pays aurait besoin d’investissements directs étrangers pour cela et quels transferts de technologie s’opèrent.

– Dans ce cas là la technologie est dans l’innovation textile.

– Faut le dire vite ! Dans ces millions de tonnes d’exportations y a quand même un sacré paquet de simples fringues en coton ou polyester ! L’avantage acquis des pays occidentaux importateurs est surtout dans la notoriété des marques et leur puissance de feu commerciale. C’est un bon exemple de déséquilibre indépassable. Le pays produit des choses dont il n’a pas besoin mais dont il retire une proportion infime de la valeur ajoutée. Tout cela pour que chaque occidental possède trois fois plus de fringues qu’il ne lui en faut. Et pour espérer rester dans le jeu quand on n’a pas la puissance démographique de la Chine, il faut vraiment être aux ordres des pays riches et des multinationales. Faut dira Amen à tout ! Au fond le Bangladesh, le Vietnam, le Cambodge et tous les autres à la queue-leu-leu ressemblent à une bien meilleure affaire que la Chine sauf s’ils décident un jour d’être ses obligés au sein d’une union douanière avec elle et de nous dire d’aller nous faire mettre. En attendant si leur seul avantage c’est le faible coût de leur main d’œuvre, donc le fait d’être des pays pauvres, leurs seules armes c’est comme vous l’avez souligné la lutte acharnée contre les droits sociaux et les normes environnementales ! Or ça c’est partout le pendant du libéralisme économique dans un monde en cours d’ouverture et en total déséquilibre : la lutte contre les droits sociaux et les normes environnementales. Évidemment c’est bien plus exacerbé dans les pays pauvres mais dans mon assemblée économique, qui serait celle d’un pays encore riche, c’est à cela qu’on reconnaîtrait un député d’extrême-droite : celui qui lutte contre les droits sociaux et les normes environnementales ! Et je mets dans le même camp celui qui fait obstruction au développement des droits sociaux et des normes environnementales puisque l’état d’esprit est le même. Vous comprenez bien qu’à l’heure actuelle il est plus facile de noyer des paysans chinois ou brésiliens que leurs homologues européens sous des tonnes de glyphosate ! Les populations d’Europe sont plus informées et plus en position de se préoccuper des conséquences.

– Sans doute parce qu’elles sont plus libérales !

– Vous cherchez à me provoquer ?

– A peine à vous titiller !

– Mais évidemment qu’elles sont plus libérales ! Elles ont plus le loisir de l’être en tant qu’héritières d’économies qui ont dominé le monde par la conquête militaire ! Mais voilà la nouvelle ironie ! L’esprit de l’occident, soi-disant celui qui incarne des valeurs libérales qui feraient notre terreau commun et notre différence, par lequel nous aurions le devoir de réclamer notre union, d’en être fier et même de nous barricader pour éviter l’invasion des illibéraux… pas de bol, cet esprit là est le plus enclin à contredire les excès du libéralisme économique ! Alors il faut batailler contre cet esprit ! Mettre un lobbyiste derrière chaque député d’une assemblée unique qui traitera d’état d’urgence le matin, de mariage gay l’après-midi, de pesticides le soir et du budget la nuit !

– Dites donc ! Vous avez un problème avec le mariage gay ! Vous êtes homophobe ?

– Non pas du tout. Mais le terme sonne mieux que PMA…  Alors maintenant on a une bonne idée des  députés qui siègent à l’extrême-droite de mon assemblée économique. Et je pense que leurs rangs dépassent allègrement le centre tant ils sont nombreux ! A moins de les empiler les uns sur les autres pour qu’on n’oublie pas qu’ils sont en fait d’extrême-droite ! Ils ont voté en pleine conscience, là-bas pour l’Alena, ici pour Maastricht, pour l’Euro, pour Lisbonne. Ils ont voté ici et là-bas pour le Ceta, pour le Tafta ! Ils veulent imposer des traités iniques à l’Afrique pour encore mieux la piller ! Ils sont ces représentants de l’État soi-disant au service de l’État qui veulent que l’État soit au service de l’entreprise, ils veulent un État d’extrême-droite économique, ils sont l’extrême-droite de mon assemblée économique qui finira par se voir en miroir dans mon assemblée morale ! Vous voulez savoir pourquoi ?

– Je suis tout ouïe !

– Parce que s’il y a un fond commun à la plupart des hommes, il a peut-être quelque chose à voir avec un sentiment d’injustice. Bien sûr le curseur se déplace beaucoup d’un individu à l’autre mais jouer comme les libéraux sur les vertus de l’égoïsme, c’est comme jouer avec un couteau à double-lame. Au fond même si mon voisin se soucie peu de la maladie développée par le paysan chinois qui a respiré trop de saloperies, le fait qu’il se soucie de sa propre santé peut suffire à en faire un individu dangereusement réfractaire pour le monde des affaires ! Je ne mets pas sur le compte du libéralisme la somme des désastres qui incombent à l’humain, mais le capitalisme sous toutes ses formes tout comme le communisme ont cela de particulier d’avoir mis à mal les écosystèmes de la planète tout entière en un temps record ! Alors la révolte est inéluctable ! Elle va s’étendre mais elle peut aussi s’éteindre si l’extrême-droite de mon assemblée économique se regarde en miroir dans mon assemblée morale. Or il ne vous aura pas échappé qu’il n’y a qu’une seule assemblée et que le volet économique impose son agenda. Certes le terrorisme justifie un état d’urgence mais c’est un mouvement relatif à l’économie qui en fait le mieux les frais. Tout ce qui peut menacer la construction de l’ordre libéral économique trouvera cette réponse. La menace anti-système ira grandissante et la réponse ira fascisante. L’Europe économique libérale sera tôt ou tard une Europe fasciste !

– L’issue n’est pas encore écrite.

– Presque. La Chine, encore elle, envoie de sacrés signaux concernant l’avenir. Pour moi l’avenir c’est ça, un peuple sous contrôle soumis au diktat de l’économie. Les occidentaux détestent l’idée que la Chine pourrait leur damer le pion mais ce n’est pas en allant à l’encontre de ses process totalitaires qu’elle entend s’opposer à elle. Ils vont faire exactement comme elle.

– Vous venez pourtant d’affirmer que ce n’était pas un exemple de libéralisme ! Pourquoi penser qu’il puisse y avoir une convergence à partir de deux chemins différents ?

– Mais le résultat sera le même structurellement ! Cela finira par être un pays dirigé par des puissances financières concentrées sur un très faible pourcentage de la population ! La différence c’est que leurs dirigeants battent les nôtres non seulement au jeu de Go mais également au jeu d’échecs ! Ils ne se mettent pas des bâtons dans les roues par idéalisme libéral.

– En même temps c’est plus facile quand on part d’un état purement autoritaire.

– Certes. Vous savez que beaucoup ont justifié leur appui à des dictatures latines par l’espoir qu’elles suscitaient en occident quant à leurs possibilités de se transformer d’elles-mêmes en gouvernements libéraux. On minimisait leurs exactions ou, quand on était prétendument attaché à la démocratie, on disait que c’était un mal nécessaire pour éviter la voie de la dictature du prolétariat. Des penseurs influents ont donc pu théoriser sur la manière de passer de la dictature militaire à la démocratie, mais je crois qu’il convient surtout désormais de théoriser sur la manière dont un gouvernement libéral peut se transformer de lui-même en dictature. Je crains que ce soit le seul chemin envisagé pour contrecarrer la Chine !

– Je partage votre pessimisme mais à mon sens cela sera le fruit du « progrès scientifique » entre guillemets plutôt que la volonté farouche de contrecarrer la Chine. Mais tout cela nous éloigne passablement des pistes cyclables.

– Il est à craindre que les nouvelles routes de la soie ne se fassent pas à vélo mais je n’ai pas l’intention de pédaler si loin !

– Vous pédalez déjà beaucoup ! Du moins en pensée !

– Pas dans la choucroute j’espère !

– Ce n’est pas ce que j’ai voulu dire.

– Vous savez, moi je me suis toujours défini comme plutôt centriste, du moins relativement à toutes les idées qui circulent. Or il est clair que je me sens beaucoup plus à gauche que Macron. En même temps je me considère aussi beaucoup plus libéral que lui à bien des égards, notamment en matière de défense des libertés individuelles qui vont pour moi bien au-delà de la liberté d’entreprendre. Fatalement, Macron incarne, sinon tout ce que je déteste, du moins une grande partie. C’est assez riche d’enseignement parce qu’il est assez probable que lui et moi avons lu certains auteurs sans en faire une interprétation similaire. Les économistes libéraux célèbres sont bien souvent plus que des économistes. La liberté économique peut être un simple aspect d’une réflexion plus générale sur la liberté individuelle mais il ne suffit pas de vouloir minimiser le rôle de l’État sur les questions économiques pour se passer de l’État. Donc l’État libéral doit être construit et de telle sorte qu’il soit stable. Si vous allumez votre télé vous verrez toujours les mêmes chiens de garde du système qui recrachent inlassablement les mêmes justifications à partir de théories auxquelles ils n’ont eux-mêmes rien apporté de nouveau. Mais le penseur libéral influent peut être à l’origine de réflexions sur l’organisation de la société qu’il serait stupide de rejeter en bloc sous prétexte qu’on a une meilleure opinion que lui de l’action collective ; et même quand ce penseur devient des plus décriés parce que ses idées sont relayées par des ennemis politiques comme justification de leurs actions. Comme bien souvent le penseur en question a passé l’arme à gauche depuis longtemps, il n’est de toute façon jamais sûr qu’il s’y reconnaîtrait. Prenez l’exemple d’Adam Smith et de son célèbre ouvrage : « La richesse des Nations. » Vous l’avez lu ?

– Je crains que non mais j’en ai étudié quelques concepts à l’école. C’est très lointain au demeurant.  

– Peu de ceux qui en parlent l’ont lu de toute façon, comme beaucoup de célèbres livres d’économie. Mais il est notoire que vous trouverez des économistes anti-libéraux qui pensent que ce livre a eu une influence majeure et désastreuse sur la marche du monde ! C’est limite s’il ne serait pas à mettre au feu en place publique. Je suis totalement opposé à cette idée là parce que c’est une œuvre tout de même remarquable pour toute personne qui est en mesure de ne pas se laisser abuser. C’est magnifiquement bien écrit, très didactique et c’est aussi un livre d’un très grand intérêt historique. Si vous ne perdez pas de vue que vous êtes en droit de vous interroger sur tout ce qu’il présuppose concernant la nature humaine et la mécanique sous-jacente aux rapports entre individus, selon moi, c’est un livre qu’on peut lire et relire. Savoir quelle influence sur le monde il a pu avoir est une autre histoire, elle est probablement surestimée car ses idées étaient de toute façon dans l’air du temps. Moi ce qui m’intéresse c’est l’interprétation qu’on peut en faire ainsi que d’essayer d’imaginer ce que penserait Adam Smith de l’état du libéralisme actuel. Pas que du bien à mon avis ! Même si je conçois parfaitement que c’est un homme qui défendait avant tout les intérêts de sa classe et qui cherchait à élaborer les justifications morales au fonctionnement d’une société qui ne l’était pas vraiment, cette démarche n’était pas nécessairement dénuée de sincérité. La façon dont on perçoit un homme cela compte tout de même. Par exemple je suis intimement convaincu qu’un néoclassique comme Pigou était un type bien plus sympathique et soucieux de justice que Keynes. Mais il suffit que le second soit classé parmi les défenseurs d’un fort interventionnisme pour trouver grâce dans les rangs de la gauche alors que le propos de Keynes n’était pas autre chose que de sauver le capitalisme en crise. Tenez ! Autre exemple ! Devinez qui m’a inspiré cette idée de deux assemblées ?

– Je ne vois pas trop comment je pourrais le savoir.  

– Cela m’est venu en lisant du Friedrich Von Hayek ? Vous connaissez ?

– J’en ai entendu parlé il y a peu. Il paraît qu’il a inspiré Reagan et Thatcher.

– Et Édouard Philippe !

– C’est prometteur ! 

– Je suis très très éloigné de ses présupposés et ses conclusions en matière de libéralisme économique mais au moins c’était un libéral pour qui la conception de liberté individuelle dépassait largement le cadre de l’économie. Il était totalement anti-constructiviste. Vous voyez ?

– Pas exactement. Du moins pas dans le champ économique.

­– C’est l’idée qu’on peut construire une société dans un sens déterminé par l’action collective. Hayek croyait à un ordre spontané né de l’action de chacun, donc à l’individualisme. Cela dépasse complètement les notions de droite ou de gauche. Hayek était vigoureusement anti-nazi et anti-communiste et l’économie de marché lui semblait être la seule à même d’être conforme à la liberté individuelle. A priori j’ai une conception du droit individuel qui me ferait plutôt pencher en défaveur du constructivisme mais une fois qu’on a dit cela, on n’a rien dit. Ce qui est important c’est ce qu’il adviendrait réellement du droit individuel si on était dans une société telle que l’a imaginée Hayek. Ce serait peut-être une marche forcée vers un totalitarisme qui n’est ni une dictature communiste ni le nazisme mais qui serait tout aussi sinistre. Et rien ne dit que le capitalisme ou le marché s’affranchissent du constructivisme, j’ignore même s’il est possible d’imaginer les marchés aussi liquides que les bourses d’échange comme réellement hors-champ du constructivisme. Même si vous croyez en cette spontanéité née du droit de l’individu, même si vous êtes le plus libertarien des libertariens, à moins d’aller vivre seul dans la jungle, vous concevez que le respect du droit individuel passe par une forme d’État dont il faut élaborer les institutions. Hayek pensait qu’il fallait une assemblée chargée d’élaborer les lois en représentation de l’opinion des gens et une assemblée gouvernementale.

– Quel est le rapport avec votre assemblée coupée en deux ?

– Ce n’est pas un rapport direct sauf si l’on considère que mon assemblée, entre guillemets « morale », ressemble à sa première assemblée. Mon assemblée économique ressemble un peu à son assemblée gouvernementale dans le sens où elle décide du budget global mais je n’ai pas à imaginer comme lui tout ce qui pourrait la prémunir de choix jugés trop collectivistes par un libéral pur jus. C’est plutôt qu’en le lisant je me suis mis à penser aux problématiques de notre propre assemblée que je trouve assez peu représentative de l’opinion des gens.

– C’est vous qui le dites.

– Oui je le dis ! Haut et fort d’ailleurs !... Et c’est alors que j’ai pensé que les positions confuses entre l’économie, le droit et la morale étaient lourdes de conséquences et que deux assemblées pourraient clarifier tout cela. Bon après tout moi je ne prétends pas avoir l’influence de Hayek ou de ses opposants les plus talentueux.

– Et au final vous êtes plutôt l’un de ses opposants ?

– Je ne crois ni au laisser-faire ni à la toute puissance de l’État ! Je crois à des formes intermédiaires dont il reste à prouver qu’elles sont nécessairement moins bonnes que les formes extrêmes. 

– Oui mais vous estimez qu’on est entré dans une forme d’extrémisme et je ne saisis pas bien s’il s’agit d’un extrémisme du laisser-faire ou de l’interventionnisme !

– C’est un extrémisme du laisser-faire dans mon assemblée économique, quoiqu’il soit totalement organisé puisqu’il doit se construire sur quelque chose qui n’était pas du laisser-faire. D’un autre côté c’est un extrémisme de l’interventionnisme en matière de libertés individuelles, ce qui ressort de mon assemblée qui traite plus spécifiquement du droit et de la morale. Moi je suis centriste dans les deux assemblées !

– C’est parce que n’avez pas confiance dans les formes économiques émergentes pour favoriser le développement des pistes cyclables ?

– C’est une blague ?

– Juste un trait d’esprit.

– Est-ce que j’ai confiance qu’un type qui a les moyens de se construire un stade de 60000 places va tout faire pour qu’on puisse s’y rendre en vélo ? Non ! Et je ne crois pas que des vélos ou des trottinettes posées anarchiquement dans les rues servent l’organisation des transports doux ! Le seul soucis de ces boites qui envahissent la ville c’est de fondre sur un marché qui sera juteux pour celui qui tuera la concurrence grâce à low-cost social plus poussé et le meilleur plan com ! A la limite le Vélo’v, ça ça a servi ! Justement parce que les pouvoirs publics ont pris les choses en mains tout en confiant la gestion au privé ! Donc en la matière je crois juste à l’interventionnisme en réparation des interventionnismes précédents qui ont donné lieu à cette situation désastreuse où tout le monde respire mal mais n’attend qu’une seule chose : que des efforts soit faits par le voisin ! A chacun son tour de faire des efforts alors on enlève des places de stationnement et on y met des pistes cyclables ! La force publique sera mal vécue par beaucoup mais en quoi serait-elle illégitime ? A ce que je sache, même les pays les plus libéraux du monde ne sont pas connus pour être recouverts de routes et de rues privées par lesquelles il est possible de passer en payant des subsides au propriétaire ! Ce n’est pas le cas, ce qui prouve assez que ce modèle-là n’a jamais été le mieux à même d’être plus efficace que des routes et rues construites par l’impôt et assez souvent gratuites d’accès ! Et à ce propos il est tout de même assez étonnant qu’il n’en aille pas de même pour les lignes de chemin de fer !

– Vous voudriez que le train soit gratuit ?

– Pas du tout ! Je considère simplement que toutes les dépenses afférentes au réseau ferré proprement dit n’aurait jamais dû être imputées comme charge à une entreprise exploitante. Dès lors qu’on avait décidé de racheter les lignes privées existantes, on aurait dû les traiter comme des routes privées qui seraient devenues communales, départementales ou nationales. C’est juste une question d’équité entre le rail et la route.

– En même temps il est de notoriété publique que les pouvoirs publics ont mis la main à la poche en permanence et continuent à le faire.

– Ils n’auraient peut-être pas eu à la faire si la route et le rail avaient été regardés sous le même angle ! Bien sûr je ne suis pas en mesure de dire quel équilibre il en aurait résulté. Rien n’est simple dès lors que les choix d’une génération influent directement sur ceux des générations suivantes, que l’efficience d’un jour n’est pas celle du lendemain, que l’efficience et les sentiments de liberté, de justice ou d’égalité sont difficilement conciliables. Si vous viviez dans un monde sans limites de ressources naturelles et polluable à souhait sans conséquence sur la santé, le choix entre le rail et la route serait vite fait. La route… ou plutôt l’automobile individuelle, c’est la liberté ! Le réseau ferré cela se prête difficilement à l’individualisme. L’idéal étant évidemment l’hélicoptère pour tous ou la soucoupe volante ! Mais si on s’en tient à l’équilibre né des décennies passées, ou à mon sens au déséquilibre, vous ne pouvez pas simplement dire que la voiture c’est mieux que le rail. Vous ne pouvez même pas dire que la voiture c’est mieux que le bus. Vous pouvez juste dire que c’est mieux pour vous de prendre une voiture en bas de chez vous et aller où bon vous semble avec la certitude que vous pourrez vous garer facilement. Mais cela ne vous donne pas beaucoup d’indications sur l’effort collectif qui a été mis en branle pour que vous puissiez faire cela ; ni ce qu’il vous en coûterait directement si chaque centimètre carré de terrain sur lesquels vous roulez devait donner lieu à des droits d’usage monnayables auprès de son propriétaire ; ni ce qu’il en coûtera aux générations futures de vivre dans un monde façonné pour la liberté de rouler de celles qui les ont précédées. Si ce dernier coût avait pu être calculé et intégré dans une forme de taxe compensatrice telle qu’on tente de la faire dans le principe du pollueur-payeur, une telle taxe aurait sans doute déprimé les achats d’automobiles et réhaussé l’attrait des déplacements en transports en commun. Or il va s’en dire qu’il fut un temps où le train avait un très net avantage sur l’autocar ou le camion en ce qui concerne les déplacements au long cours. De nombreuses lignes de chemin de fer ayant été à l’initiative d’entrepreneurs privés, on a peu de chances de se tromper si on prétend que durant des décennies le train apparaissait comme performant à la fois techniquement et économiquement. Au vu de la progression de la vitesse des trains j’imagine que sur les longues distances l’autocar seul n’aurait guère pu rivaliser avec le train sans le concours de l’automobile.

– Je dirais plutôt que l’automobile est le rival de l’autocar puisque de nombreuses lignes de cars ont été supprimées ou allégées à la suite de l’équipement des foyers en auto !

– C’est vrai mais en même temps les déplacements individuels ont largement participé à l’urgence de renforcer les infrastructures routières, notamment les autoroutes s’étalant sur plusieurs centaines de kilomètres. Le confort apporté par ces infrastructures donne une viabilité à l’autocar qui peut lui permettre de rivaliser avec le train sur la longue distance notamment parce qu’il apporte plus de souplesse.

– Qu’essayez-vous de prouver ? Qu’en fait on ne peut rien comparer puisque tout dépend de tout ?

– Oui et non. J’essaye de trouver des manières de comparer en tentant à la fois de voir ce qu’il en irait sans le biais de l’héritage historique, ou avec un biais différent si on avait pris en compte toutes les conséquences de nos choix. En tant qu’individu ayant besoin de vous déplacer sur des distances difficiles à faire en vélo ou à pied, vous prenez en compte la vitesse, la souplesse, le coût financier, peut-être le critère écologique si vous faites partie de la minorité qui s’en soucie. La souplesse et assez souvent la vitesse sont plutôt l’apanage de l’automobile sauf si vous êtes confrontés à de très nombreux bouchons ou d’énormes difficultés pour vous garer. Nécessairement le campagnard et le citadin avec des revenus similaires pourraient ne pas faire le même choix donc, même avec des individus qu’on pourrait penser proches sur de simples critères économiques, on ne sait rien dire des qualités intrinsèques de différents modes de transport. Mais imaginons que vous vouliez relier deux villes distantes de 500 kilomètres pour le transport de marchandises ou de personnes. Au départ il n’y a rien, pas de route, pas de voie ferrée. Vous représentez le pouvoir public, pas des intérêts privés même si la liaison est destinée à des usages privés. Ce que vous allez prendre en compte c’est une forme de rapport qualité-prix sur le long terme. Les prix à payer c’est le coût de l’infrastructure, coût de réalisation, coût d’entretien. Cela comprend bien sûr les impacts en termes fonciers. Si une autoroute à 4 voies demande une bande de terrain deux fois plus large qu’une ligne de chemin de fer à 2 voies, c’est autant d’expropriations en plus, autant de terrain en moins pour d’autres usages, notamment agricoles. Vous pouvez estimer qu’il y a une forme d’indifférence entre le fait de se déplacer en train ou en bus ou automobile. Mais si vous construisez une ligne à grande vitesse destinée au simple transport de voyageurs l’indifférence n’a plus cours, l’avantage de la rapidité allant au train mais le surcoût de construction étant conséquent. Quoiqu’il en soit la comparaison intègre nécessairement le moment de saturation de l’axe ! Si votre ligne de chemin de fer ne permet de transporter que la moitié des usagers relativement à votre autoroute, à coût de construction égal et pour une même vitesse de déplacement, son rapport qualité-prix serait deux fois moindre. Mais peut-être que l’entretien d’une voie ferrée sera moindre…

– Ce qui m’étonnerait vu la masse des engins qui passent dessus !

– Certes mais j’essaye de simplifier les choses. Pour le moment je ne fais pas entrer en ligne de compte la question du matériel dédié au transport. Il va de soi qu’en construisant une ligne de TGV on ne s’est pas dit qu’on verrait plus tard quel type de train serait à même de rouler dessus. Mais pour ma démonstration je fais comme si c’était le cas avec les trains aptes à rouler tout comme il existe des cars, des camions et des autos aptes à rouler. Ce qui m’intéresse c’est d’envisager qu’en ces termes, si on partait de rien du tout, il serait bien possible d’estimer qu’un des axes a un avantage économique sur l’autre. Autrement dit que l’autoroute a un meilleur rapport qualité-prix que la voie ferrée ou bien l’inverse.

– Pas évident que cela soit possible à estimer ! Justement vous ne savez rien de votre autoroute dans la mesure où vous y faites rouler tout et n’importe quoi ! Tout le monde a expérimenté des retards de train puisque le simple problème sur un seul train peut engendrer des retards sur tout un tas de trains à sa suite ou en correspondance. Mais également tout le monde a pu expérimenter des bouchons sur les autoroutes ! Des bouchons qui peuvent durer des plombes puisque tout le monde est en droit de s’élancer sur les routes même quand elles sont saturées. Si vous avez un bouchon de 20 bornes avec majoritairement des voitures individuelles enfilées les unes derrière les autres, rien ne dit que ce serait le cas si toutes les personnes installées dans ces voitures avaient entrepris le voyage dans des bus qu’on a rempli au maximum ! Pour moi l’automobile et le train sont plus difficilement comparables que le bus et le train. Ce qui signifie qu’on pourrait tenter de comparer s’il vaut mieux faire rouler des trains pleins sur des rails que des bus pleins sur des routes. Mais quel intérêt dans la mesure où personne n’aurait l’idée de construire une autoroute réservée aux bus ! D’ailleurs les bus n’auraient pas besoin d’une autoroute à quatre voies puisqu’ils ont des limitations de vitesse suffisamment basses pour qu’on exige d’eux qu’ils roulent tous à la même vitesse sur autoroutes ! Pas de dépassement donc juste besoin d’un muret central et d’une bande d’arrêt d’urgence pour la sécurité. Est-ce que cela serait plus viable que le train ? Plus souple, sans doute, plus écolo j’en doute ; mais on s’en moque un peu puisque cela ne va pas arriver.

– Je trouve au contraire que c’est un très bon exercice de comparaison et tout à fait dans mon propos ! Au final, en partant de rien, peut-être qu’on pourrait calculer qu’il est plus viable de se contenter d’une autoroute pour autobus et qu’il n’est pas utile d’avoir à la fois un chemin de fer et une autoroute. Ou du moins qu’on perd alors en qualité-prix.

– Sauf qu’on peut faire Paris-Lyon en 2h si on construit un TGV.

– Là n’est pas la question ! Ce qui m’intéresse c’est qu’à ce niveau de réflexion les pouvoirs publics n’auraient pas fait leurs calculs en se disant :« Il faut prendre en compte le fait qu’on devra avoir une ou des sociétés ayant le privilège de l’usage du réseau si on choisit de construire une voie ferrée plutôt qu’une autoroute ! » Il est évident qu’on ne peut pas individuellement prendre la file sur la voie de chemin de fer comme on le fait sur l’autoroute. Mais le calcul d’une valeur d’usage et qu’on met en relation avec le coût de construction et d’entretien ne doit pas être différent dans un cas ou dans l’autre. Les pouvoirs publics vont mettre en œuvre le chantier et le financer par les moyens qui sont les leurs : l’impôt, l’emprunt. Ensuite qu’ils décident de confier la gestion du trafic à une société publique ou privée, et même s’ils décident du monopole de l’exploitation commerciale par une société nationale, il n’y a aucune raison que cette société soit tenue de gérer le coût financier de la construction et de l’entretien de l’infrastructure. Par contre elle paiera un droit d’usage qui pourra correspondre sur la longue durée au coût de construction et d’entretien majoré du prix de l’emprunt.

– Je ne vous suis pas ! Qu’est-ce que cela change ?

– Je dis que cela pourra correspondre pas que cela va correspondre ! Simplement, si cela doit correspondre dans le cas où vous avez opté pour la construction d’une voie ferrée, cela doit correspondre aussi dans le cas où vous avez opté pour la construction d’une autoroute. Et comme manifestement les pays construisent à la fois des voies ferrées et des autoroutes, il serait normal que la même logique s’applique aux deux !

– Et ce n’est pas le cas ?

– Je viens de vous démontrer le contraire !

– Ah bon ? Vous m’avez surtout perdu en route !

– Vous avez conscience que pour construire des autoroutes l’État a avancé de l’argent !

– Certes.

– Pour construire de lignes de trains il faut aussi avancer de l’argent ! Dans le premier cas on ne parle jamais de l’endettement autoroutier, c’est l’endettement de l’État qui est sous-jacent ! Par contre on parle d’endettement de la SNCF ! Qui est très massivement une dette liée à la construction et à l’entretien du réseau ! Peu importe si les pouvoirs publics mettent la main à la poche. Le fait est qu’on ne traite pas le rail et la route sur un point d’égalité ! Et c’est le cas dans beaucoup de pays pour la raison principale que le rail y a perturbé l’esprit libéral en ayant été souvent soustrait à la loi du marché. L’Europe commissionnaire…

– Comment vous avez dit ?

– L’Europe commissionnaire.

– C’est pas possible ! Vous êtes le frère de Mr Boudard ! C’est exactement le terme qu’il emploie !

– Il n’y a pas que lui et moi... Donc l’Europe commissionnaire, la dogmatique Europe commissionnaire qui ne supporte pas l’idée de service public, a rapidement jugé insupportable celle qu’un mode de transport puisse être soustrait à une pure logique de concurrence commerciale. Le rail, en France particulièrement en raison du développement du TGV mais aussi ailleurs, était géré par des entreprises d’État parfois déjà très endettées au moment où l’on s’enfonçait un peu plus dans le dogme avec Maastricht. Qu’a demandé l’Europe commissionnaire : de réduire l’endettement de ces sociétés ! De quoi je me mêle ?

– La phobie des déficits n’est pas spécifique au rail !

– Détrompez-vous ! C’est une manière détournée de s’en prendre à un monopole d’État ! Pour ce qui n’est pas spécifiquement monopolistique l’Europe s’est toujours montrée moins regardante. Par exemple elle se mêle assez peu de l’efficacité des ministères de la défense et de l’intérieur. Après tout entretenir des armées surdimensionnées pour l’usage qu’on en fait et la menace fantôme de nos ennemis, l’Europe commissionnaire pourrait bien juger que cela participe d’un peu trop au déficit de l’État ! Mais ces ministères publics font des fortunes privées ! Le surcoût de la santé, oui ça l’intéresse ! Mais plutôt du point de vue du salaire de l’infirmière que du prix du médicament du grand laboratoire !  L’endettement des collectivités locales ça l’intéresse mais ça l’intéresse plus de savoir si les fonctionnaires sont trop nombreux ou mal managés que de s’interroger sur le bien-fondé de la construction d’une énième rond-point au milieu de nulle-part, surtout quand elle vient de prendre l’apéro avec le lobby du béton ! Le déficit de la SNCF, oui ça l’intéresse.

– Mais à ce que j’en sais l’Europe n’a pas interdit à l’État d’éponger la dette de la SNCF ! C’est un choix que d’autres pays ont fait, on n’avait qu’à le faire.

– On aurait pu et dû mais cela ne change rien au fait qu’il y a deux poids deux mesures. De toute façon en continuant à développer le TGV avec la même logique on serait reparti de zéro mais on n’aurait pas évité une grosse partie de la dette qui a eu lieu depuis. Les lignes à grande vitesse et les autoroutes sont un choix de société, qui à mon sens est très contestable mais qui est notre choix. Ce n’est pas de l’Europe commissionnaire qu’il faut attendre un avertissement quant à la valeur d’usage très douteuse de la ligne Lyon-Turin ! Elle n’aura rien à en dire parce qu’elle sait que son exploitation se fera dans le régime concurrentiel qu’elle nous impose ! Si vous restez avec une entreprise nationale qui construit et exploite le réseau, nécessairement déficitaire…

– Pourquoi nécessairement ? On pourrait tabler sur une hausse des prix.

– La majorité des trains roule déjà avec très peu de voyageurs, on ne va pas les rebuter d’avantage ! Quant au TGV il est déjà bien cher et ça ne l’empêche pas d’avoir largement participé à l’endettement de la SNCF ! Essayez de comprendre ! Le but de ma démonstration c’est que le rail ne peut historiquement pas rivaliser avec la route en tant que réseau global puisqu’on voudrait d’un côté demander des comptes à l’équilibre alors que le réseau routier est globalement un gouffre financier largement soutenu par l’impôt !

– Oui, oui, je vois bien ce que vous voulez dire ! Mais la route et le rail n’ont pas exactement la même valeur d’usage !

– C’est vous qui le dites ! Vous n’avez peut-être pas un train garé devant chez vous mais c’est quand même le moyen de se rendre d’un point A vers un point B.

– Oui mais alors la comparaison doit rester dans le cadre de ce que vous avez défini avant. Le rail se compare surtout à l’autoroute. Or justement les autoroutes sont financées par ceux qui y circulent ! C’est même ce qui fait râler les français, de constater que les autoroutes sont toujours aussi chères après tant d’années où elles sont censées être amorties !

– Amorties ? Sérieusement ? Parce que les entretenir ça ne coûte rien ? Faut peut-être y penser si on veut éviter de voir s’effondrer des ponts ! Si vous les faites construire par des concessionnaires il faut déjà que eux puissent rembourser leurs emprunts, ce qui pour le coup les met dans une situation plus proche de celle de la SNCF à une légère différence près : le concessionnaire est relié directement à une partie du réseau qui lui amène ses clients et que ni lui ni ses clients ne financent directement. Ce financement c’est l’impôt de tout un chacun qui l’assure. Il ne vous aura pas échappé non plus qu’il y a de grosses portions des axes rapides qui sont gratuites à proximité immédiate des agglomérations. Franchement les automobilistes devraient arrêter de se plaindre, globalement les kilomètres parcourus sont pas cher payés, même sur l’autoroute !

– Vous n’avez jamais dû prendre le périphérique nord !

– C’est tout à fait dans l’air du temps ! On veut continuer à développer les axes rapides mais nécessairement, plus on va de l’avant, plus les endroits où c’est facile d’en faire se font rares. C’est pour cela qu’on a instauré le principe de l’adossement qui consistait à récupérer une partie des péages des plus anciennes autoroutes pour financer les nouvelles sur lesquelles le kilomètre de construction est généralement plus cher. L’Europe commissionnaire a interdit le système de l’adossement, toujours selon l’état d’esprit maastrichien.

– C’était peut-être dans l’idée d’éviter le développement anarchique d’autoroutes ! Un geste de protection de l’environnement !

– J’en doute beaucoup ! D’ailleurs cela n’a guère ralenti les bétonneurs ! Sauf que l’État a encore moins de moyens qu’avant. Donc dans les sections d’autoroutes où le kilomètre construit monte en flèche, il peut passer par un privé qui fait ses petits calculs et trouve une banque pour le suivre grâce au flot de pognon gratuit que lui file la BCE. Sachant que l’air du temps est aussi au développement des inégalités, le privé table sur suffisamment d’automobilistes prêts à payer un tarif exorbitant pour s’éviter les bouchons. Mon avis est qu’on ferait mieux de faire des pistes cyclables pour tous !

– Globalement les autres automobilistes ne sont pas perdants si ça désengorge les axes qui restent dans leurs moyens.

– C’est surtout une manière de plus de continuer dans le tout-bagnole et de filer des marchés sans risque à des privés ! A ma connaissance l’État reprendra de toute façon l’emprunt si le concessionnaire se casse la gueule.

– Certes mais le risque est faible ! A propos de péages, à ma connaissance plus de 10 % des péages autoroutiers servent à combler le trou de la SNCF. Signe que l’État compense tout de même ce que vous appelez une inégalité de traitement.

– Ce n’est pas tout à fait exact à ma connaissance ! A ma connaissance la taxe d’aménagement du territoire sert au financement d’infrastructures de transport, pas uniquement au rail mais aussi à la construction d’autres autoroutes ! Et une partie de ce qui revient à la SNCF est définie comme une compensation de l’affaiblissement des lignes de trains corail en raison du développement autoroutier. Si la SNCF n’avait aucune contrainte plein de trains seraient simplement supprimés ! Autant faire une croix sur une partie de notre réseau !

– C’est donc bien ce que je dis ! Une compensation !

– Pas entièrement et en plus vous le dites de manière péjorative ! Si le rail était traité à égalité avec la route vous croyez que les camions ne payeraient que cinq ou six fois le prix d’une moto ?

– Je n’en sais fichtre rien étant donné que je n’ai aucune idée du prix qu’on demande à une entreprise pour mettre un camion sur un wagon au regard d’un billet de train pour le péquin moyen !

– Même s’il est seul dans le wagon le péquin moyen plus le wagon ça pèse déjà pas mal de tonnes ! L’impact sur les voies relativement à une remorque posée sur une plate-forme n’est pas aussi différent que l’impact sur les routes d’une moto relativement à celui d’un poids-lourd ! La moto a un impact limité et en plus il en faut pas mal pour engorger totalement une autoroute ! Il est tout à fait clair que globalement sur le réseau routier les poids-lourds sont subventionnés par l’impôt et les péages demandés aux automobilistes et motards.

– Cela dit les camions transportent des choses pour l’intégralité de la population !

– Mais peut-être mais cela ne change rien à la donne, bon sang ! Si vous vous positionnez d’un point de vue libéral comme l’Europe commissionnaire, vous comprenez bien que cette subvention indirecte est totalement inadmissible économiquement puisqu’elle fausse le jeu ! Non seulement il apparaît normal de financer globalement les réseaux routiers par l’impôt mais ses coûts de construction et d’usure sont poussés à la hausse par des poids-lourds, donc des intérêts le plus souvent privés, qui sont très loin de payer leur quote-part en terme d’impôt ou de péage ! Et de son côté il faudrait que le rail soit à l’équilibre ? Mais l’Europe commissionnaire tellement attachée à sa concurrence libre et non-faussée ne demandera jamais aux États membres d’arrêter de fausser cette concurrence-là ! Il ne faut surtout pas nuire à la circulation des marchandises alors qu’il serait tout à fait légitime d’y nuire même par simples convictions libérales ! On devrait aller faire une expérience dans un pays semi-désertique, donner deux concessions à des entreprises avec charge à l’une de construire une route et l’autre une voie ferrée à seule fin de transporter des marchandises. Vu qu’elles auraient à supporter chacune tous les coûts de construction et d’exploitation, à acheter leur matériel roulant, à l’entretenir et lui fournir l’énergie nécessaire, on pourrait alors avoir une petite idée de l’avantage d’un mode de transport sur l’autre. Sans même considérer la composante écologique !

– Si vos trains roulent au diesel…

– Non mais la tendance c’est quand même des trains électriques !

– Ce qui augmente sensiblement le prix de la ligne.

– Les moteurs électriques sont très efficaces figurez-vous ! C’est un investissement très facile à rentabiliser si le trafic est suffisant !

– Ah mais vous savez que j’ai vu qu’il existait des portions de route avec des caténaires pour camions ! Comme les trolley-bus !

– Non mais arrêtez ! J’essaye de vous donner des exemples pour comparer les choses ! Donc on suppose d’être en phase avec la technique actuelle la plus répandue ! Parce que si vous allez par-là vous pouvez aussi considérer qu’une entreprise ayant une autoroute à elle toute seule pourra y mettre des poids lourds avec cinq ou six remorques comme en Australie ! Mais ce qui nous intéresse c’est la condition moyenne en Europe où l’on fait voyager des millions de camions sur des autoroutes ouvertes à tous et où le ferroutage est en déroute malgré les vertus qu’on lui porte ! Est-ce qu’en termes purement économiques le ferroutage est réellement à la ramasse, c’est possible, ou bien est-ce le fruit d’une concurrence déloyale, ce que je crois ? Moi je pense, même si je n’y connais rien, qu’un long train tiré par deux ou trois motrices, doit pouvoir concurrencer les dizaines de camions qu’il remplace. Parce que j’ai l’intuition qu’il doit être globalement plus performant, en terme énergétique, en terme de matériel surtout car il est plus robuste, fini moins vite à la casse, en terme de sécurité aussi, les camions sur les routes c’est souvent la hantise de l’automobiliste non ? Ces choses-là seraient d’autant mieux mesurables si on voulait bien considérer des modes de financement parfaitement identiques pour la construction et l’entretien des routes et des chemins de fer. Et alors peut-être que les études me donneraient tort ! Peut-être que le camion est juste plus efficace que le train une fois tout pris en compte !

– Il est de toute évidence plus souple. Le camion sur l’autoroute livre en bas de chez vous, pas le train !

– Pff ! Vous rigolez ou quoi ? Je ne dis pas que cela n’arrive pas mais c’est plutôt l’exception qui confirme la règle ! Tenez, vous n’avez qu’à prendre un train vers Bourgoin pour voir par où transitent les camions ! On a saccagé la campagne environnante en la tapissant d’entrepôts dégueulasses ! Puisqu’on les voit du train y aurait peu à faire pour les relier au train. Tous les livreurs qui font les bouchons en ville, ils voient pas souvent un péage croyez-moi ! Y a presque pas une marchandise qui va directement d’un point A à un point B alors ça changerait pas grand-chose si elle faisait une partie du chemin en train, suffirait de le vouloir et de faire les aménagements en conséquence. Non vraiment, tout ça c’est du flan !

– Si vous le dites !

– Mais de toute façon moi je ne suis pas par principe pour le train contre le camion ! Si on peut me prouver par A plus B que le camion est plus écolo que le train je dirai vive le camion ! Sauf que ce que je dis plus sûrement c’est : « Mort au transport ! » Je crois que si on était capable de faire des calculs imputant tous les coûts réels du transport, si on pouvait intégrer toutes ses externalités, que ce soit à propos de l’environnement, de la santé… il apparaîtrait en premier lieu que le train gagne en compétitivité, non pas parce que lui-même est moins cher qu’on ne le dit, mais parce que le transport routier l’est beaucoup plus que les péages d’autoroutes ne le reflètent ! Et cela vous êtes quand même capable de comprendre que ça change beaucoup, mais alors beaucoup de choses, concernant les manières dont on conçoit la division spatiale du travail et les aménagements du territoire qui sont largement dépendants de cette division spatiale du travail.   

– Je le conçois, je le conçois! Mais cela ne me dit toujours pas comment on va transformer Lyon en Amsterdam pour satisfaire vos desiderata et malheureusement vous n’allez pas pouvoir me faire un dessin plus précis car nous avons été bavards ! Je suis désolé mais je vais devoir y aller !

– Ah ? Oh !…  Ah oui c’est dommage !... Oui c’est vrai, c’est passé vite faut dire !

– Mais j’ai été ravi de cette discussion ! C’était très riche et instructif même si on s’est un peu éloigné du sujet de ma consultation !

– Oui. Enfin non ! Tout est lié non ?

– Certainement ! On pourra en reparler une autre fois si vous voulez !

– Oui, oui ! Avec grand plaisir !

– Je vous raccompagne !

– Dites ! J’ai une question plus personnelle. Vous avez quelque chose à voir avec l’ancien député de Charente-Maritime ?

 

– Pas du tout !

 

– Ah, je me disais… Loulou ça fait un peu penser à Jean-Louis donc vous auriez pu vous appeler Jean-Louis Léonard Junior.

 

– En fait Loulou c’est vraiment mon prénom.

 

– C’était des originaux vos parents, non ?

 

– Un peu.

…..

– Au revoir Mr Salottino !

– Au revoir Mr Léonard ! 

 

»»»

 

Ainsi s’achève cette longue discussion qui est malheureusement partie dans tous les sens et dont il y a peu de leçons à tirer. Mais enfin cela aura permis à George de prouver qu’il est toujours aussi efficace avec son bec sur le clavier. C’était si long que ça l’a un peu fatigué quand même.

 

Darwin.

11 mai 2019

Loulou Léonard ! Député raté ?

L’année passée les Saints de glace étaient au rendez-vous à Lyon, du moins pour deux d‘entre eux. Un temps assez idéal pour squatter l‘appartement de Mr. Grabelot dont nous étions toujours sans nouvelles et dans l‘espérance que cela dure. L‘actualité de cet appartement fut dictée par Odette qui prétendit être un excellent pirate informatique et, comme Grabel, George et moi n‘étions guère disposés à la croire sur parole, elle a bien dû nous en faire la démonstration. Mais alors ce fut le moment où elle brandit de nouveau son fameux code des fées en prétendant qu‘elle était censée respecter une certaine éthique. Cela me fit bondir :

– Si tu es un excellent pirate informatique alors ça veut dire que tu t‘es déjà bien exercée ! Donc ton éthique, hein !… tu vois ce que je veux dire ?

– Moi j‘ai le droit de pirater mais je ne peux pas partager le fruit de mes piratages avec des hurluberlus dans votre genre !

– Parce qu‘en fait c‘est du flan ! En vérité tu t‘introduis chez les gens en douce pour voler leurs mots de passe ou même regarder directement dans leur ordinateur comme nous le faisons avec celui de Grabel. Mais cela n‘a rien à voir avec le fait de savoir prendre contrôle à distance.

– Bon d‘accord. Je vous fais une démonstration mais avec une seule personne. Choisissez-en une ! Il faut que cela soit une personne publique, cela sera moins en infraction avec le code. Choisissez !

– D‘accord ! Je choisis Loulou Léonard !

– Loulou Léonard ! Personne ne le connaît ! Son élection est passée totalement inaperçue ! Tiens ! Je suis sûre que même tes lecteurs n‘en ont jamais entendu parler.

 

Comme c‘est sans doute vrai, je vous fais le topo. Loulou Léonard est un député du Rhône qui a déjoué tous les pronostics puisque il prétendait concourir sous l‘étiquette sans étiquette au milieu des cadors de droite comme de gauche. Mais alors que le candidat des républicains s‘est vu rattrapé par une affaire de pédophilie et que, lors d‘un débat houleux, celui de la France Insoumise en est venu aux mains avec celui de la république en marche, les deux lavant salement leur linge sale en public, eux qui se connaissaient depuis longue date pour avoir participé à nombre des parties fines et très déshabillées (au sortir de la messe et non pas dans l‘église comme les mauvaises langues le disent) qui font la renommée de la bourgeoisie lyonnaise, Loulou Léonard s‘est retrouvé propulsé dans une triangulaire face à un candidat du Front National et un candidat à la rose. Ce dernier a été sali entre les deux tours par une accusation de fraude fiscale assez bien documentée et cette ville ayant horreur des extrêmes, n‘importe quel couillon l‘aurait emporté dans ces conditions. Loulou Léonard est désormais réputé être le député couillon du palais Bourbon. Mais il n‘est peut-être pas si couillon qu‘on le dit même s‘il se pose un peu trop de questions pour pouvoir répondre à quelque problème. En effet Odette n‘eut aucun mal à prendre le contrôle de l‘ordinateur de Loulou Léonard ce qui nous permet d‘être désormais assez bien documentés sur le personnage qui a en outre la très bonne idée d‘avoir mis à l‘écrit bon nombre de ses impressions concernant sa première année de mandature et ce dans un style qui m‘est assez familier. Voici le début du premier fichier que Odette pirata, cela vous donnera un aperçu de son niveau d’influence.

 

« 

– Dites donc Leonard ! Y a Grouillot qu’a lâché la commission « Que savoir ? ».

– Que savoir ?

– Quadrillage de l’Urgence Educative : Soumission aux Volontés de l’Ordre Irréductible Républicain ». Il intègre la commission « Quel pognon ? ».

– Quel pognon ?

– Quadrillage de l’Urgence Economique : Promotion de l’Ordo-libéralisme et Grilles Numériques pour l’Oligarchie Nationale. Ça vous dirait de prendre sa place ?

– Ah ! Euh… pourquoi pas ?

– Demain on reçoit les experts à propos du Linky ! Pour le rapport d’orientation de décisions pré-orientées qu’on doit remettre à la CNIL. Alors faudrait venir avec une ou deux questions.

– Ah !

– Tracassez-vous pas mon vieux ! Si vous n’en avez pas je vous en prêterai une, histoire que vous n’ayez pas l’air idiot comme l’autre jour.

– Je trouve que je m’en suis pas si mal sorti pour une première fois.

– Les fleurs ne sont pas chères. L’ensemble de l’hémicycle a pensé que vous étiez bègue.

– Ce n’est qu’une question d’habitude. En ce qui concerne le Linky, je devrais pouvoir me débrouiller seul.

– Demandez tout de même conseil à vos attachés ! Au prix où vous les payez !

– Comment savez-vous combien je les paye ?

– Tout se sait Léonard ! C’est un monde clos ici ! A ce prix là vous auriez pu en avoir de plus expérimentés.

– Je les trouve pas si mal. Jeunes certes mais pas si mal. C’est pas votre parti qui a axé sa campagne sur le renouveau de la classe politique ?

– Si mais c’est pas parce que les élus sont renouvelés…

– Pas tous visiblement…

– Je ne vous aime déjà pas beaucoup Léonard alors allez-y mollo quand même !… Je disais quoi ?

– Je ne sais plus.

– Ah oui ! Les élus c’est une chose mais le bagage technique c’en est une autre ! A chacun son boulot.

– Mais moi je pense qu’il faut parfois voyager léger. Et c’est ce que je compte faire à propos du Linky.

– Allez pas vous foutre en tête toutes les conneries des complotistes et autres écologistes décérébrés. En résumé on est en train de changer un peu plus de 30 millions de compteurs désuets pour les remplacer par des compteurs qui vont permettre d’établir les factures à distance.

– Oui, oui ; je sais.

– C’est aussi indispensable pour gérer la transition énergétique.

– Si vous le dites.

– Je le dis parce que c’est factuel ! En résumé le gouvernement a pris des engagements très forts et très courageux pour la réduction des émissions de gaz à effet de serre. Donc il va falloir utiliser moins d’énergie fossile et plus d’énergies renouvelables telles l’énergie solaire ou le vent dans les voiles.

– J’y suis tout à fait favorable.

– L’ennui c’est que c’est pas des trucs qu’on gère comme une ampoule de salon ! Vous comprenez qu’il y a un problème quand on s’engage à utiliser massivement des énergies dont le rendement est aléatoire et que dans un même élan on s’apprête à voir grimper en flèche la consommation du fait de l’arrivée massive des véhicules électriques.

– Oui ça je peux l’entendre. J’ai pas fait Math Sup mais ça me paraît ressortir d’une arithmétique plutôt basique.

– Bon bien sûr, tout ça c’est en attendant qu’on aie des batteries réellement efficaces et écologiques et qui vont solutionner pas mal de choses ! Ça pourrait arriver plus vite que prévu d’ailleurs.

– Bonne nouvelle. C’est prévu pour quand ?

– Pour d’en plus longtemps que ça ne pourrait arriver en vrai.

– D’accord. Bon ben je n’ai pas encore en tête la question que je vais poser mais comme on dit : « La nuit porte conseil ! »

– Demandez-leur un truc neutre du genre : « Quelle quantité de kilowatts heure va-t-on pouvoir facturer en plus grâce à l’inviolabilité des compteurs ? » Ils adorent ce genre de question ! Eh ben bonne nuit Leonard !

– Elle sera courte. Je dois rentrer à Lyon.

– Oui mais faudrait être là à 15h ! Hein Léonard ?

– Aucun problème.

– Bon voyage dans la capitale des gnomes alors !

24 avril 2019

Cormorans, gilets jaunes, matraques et président.

Chalut !

 

La semaine passée je me suis expatrié un temps sur le très gros bloc, ce à seule fin de voir de mes propres yeux une affaire qui fait grand bruit chez les pigeons : l’arrivée de nouveaux hôtes dans la ville. En l’occurrence l’hospitalité laisse à désirer, comme vous allez le constater. Je me suis rendu avec Aïcha, Burbulle et mon frère au bout du bloc pour voir de quoi il retournait. Au premier abord je n’ai rien vu sinon une tripotée de mouettes qui s’excitait au sud du pont Napoléon parce qu’un type leur balançait à manger. Sur le quai proprement dit il y a avait plus de pigeons qu’à l’accoutumée. On était en semaine et les jours de semaine le marché ne descend pas jusqu’au pont, les pigeons présents là n’y étaient pas pour se nourrir sur les restes des humains et d’ailleurs c’était encore un peu trop tôt dans la matinée pour cela. Non, il était clair qu’ils bavassaient comme des poules ! Je tentais de repérer les pigeons de mon toit parmi ceux-là mais d’où j’étais, malgré que ma vue soit bien meilleure que ne le dit Odette, c’était quand même un peu difficile de distinguer un pigeon d’un autre assez semblable. Ce n’est qu’au bout de quelques minutes que j’ai repéré une Mouette et un pigeon partageant un même lampadaire. Là j’ai compris que c’était George et Riton. George en a eu vite assez de cette promiscuité et, après avoir jeté un œil vers le toit où nous étions, c’est tout naturellement qu’il est venu vers nous. Bien sûr Riton n’a pas tardé à venir à son tour, suivi de près par une dizaine de ses congénères, tous désireux de nous prendre à témoins. Au départ je n’ai vraiment rien compris puisqu’ils parlaient tous en même temps. George paraissait totalement stoïque, disposé à laisser passer l’orage. L’orage passa… enfin pas tout à fait, il se fit simplement moins assourdissant, il faisait très beau d’ailleurs. Je finis par y entendre quelque chose quand les pigeons tombèrent d’accord pour que l’un d’entre eux nous explique la teneur du problème :

– Mais c’est George ! C’est de sa faute ! Il leur a donné des certificats d’établissement ! Hein George ? Hein ? Pourquoi t’as fait ça ?

– Well ! Où est le problème ?

– Le problème c’est que tu ne nous as pas demandé notre avis ! Voilà le problème !

– So what ?

– So what ? So what ? On te signale que les autochtones, ici, c’est nous ! Alors t’es censé nous demander notre avis ! Des oies ! Des mouettes ! Sans compter le retour en nombre d’espèces qui traînaient plus trop dans les parages ! Et maintenant ces… ces… comment t’as dit que ça s’appelait ces choses moches déjà ?

– Des cormorans !

– Des cormorans ! Manquait plus que ça ! A croire que l'océan n'est pas assez grand !

– Possible.

– Non mais t’as vu leur tronche ? Affreux ! On est en ville ici ! Faut avoir un minimum d’allure pour avoir le droit de s’établir ! Un pigeon, un cygne, oui ! A la rigueur une mouette ! Mais ça ! Non non non !

– Je trouve beaux.

– C’est pas parce que tu as mauvais goût que tu dois donner des certificats à tort et à travers !

– Écoute ! J’ai donné cela pour la forme. Un peu pour dire je suis là. La Gull International n’a pas de réel pouvoir sur les cormorans. Donc si je donne pas de certificats, ils s’en passent.

– Ah les affreux ! Et ils friment en plus ! Non mais regardez-le celui-là ! Il se la joue là ! Fanfaronner comme ça au beau milieu de la rivière quand on vient de débarquer !

Je ne voyais vraiment pas de qui ils parlaient et comme j’avais l’air d’être le seul dans ce cas-là j’ai soufflé un mot à Burbulle :

– Mais il est où cet oiseau ?

– Sur les câbles de la passerelle !

En effet il y avait un oiseau noir d’assez grande taille posé sur un câble de la passerelle. Un endroit assez peu commun puisque ces câbles sont, par force, très inclinés et que la position doit être inconfortable. Mais l’oiseau en question ne semblait pas posé là dans l’idée de se reposer. Il était tout ailes dehors, comme s’il cherchait à se laisser emporter par le vent :

– Il fait quoi ce cormoran ?

– Je crois qu’il est en train de se sécher les ailes.

– Ah bon ? Pourquoi ne fait-il pas cela sur une cheminée ?

– Il a peut-être peur des chats ! Hé hé !

 

Alors voilà ! Apparemment on a des cormorans à Lyon, et personnellement je les trouve plutôt intéressants à regarder. Je n’aurai pas l’occasion de vous dire s’ils sont intéressants à goûter en raison de l’interdiction formulée par Odette même si je ne suis pas sûr que j’oserais m’attaquer à ces oiseaux là si j’en avais l’occasion. Bref, c’est un peu de diversité à une époque où l’on prétend que les colonies d’oiseaux rapetissent à grande vitesse. Les pigeons se plaignent, sans doute parce qu’ils voient venir des espèces plus grosses qu’eux, tandis que les moineaux se plaignent du trop grand nombre de pigeons qui ferait que eux sont de moins en moins nombreux. Les temps sont durs pour tout le monde.

 

Les temps sont durs pour tout le monde y compris chez les humains. Chez les humains les temps sont durs pour les manifestants et les temps sont durs pour la police. A vrai dire le quartier n'a connu que quelques échauffourées, rien de bien méchant. Il semble que ce soit un peu différent dans la capitale de la France. Cependant c'est à propos de ce mouvement de gilets que nous avons peut-être retrouvé la trace de Mr Grabelot ! En tout cas c'est ce que prétend Odette qui, en utilisant l'ordinateur de l'humain de Grabel, pense être tombée sur une page internet mise à jour récemment par Grabelot en personne. Je vais ci-après vous faire copie du long message dont elle prétend qu'il vient de lui, mais avant cela je tiens à vous faire part de mes doutes comme j'en fis part à Odette :

– Vois-tu Odette ? Je ne crois pas que Grabelot a écrit cela. Si cela me rappelle quelque chose, c'est plutôt les déclamations soudaines d'Atlas !

– Pas du tout matou ! Et même si c'était le cas, cela prouverait seulement que Grabelot et Atlas ne font qu'un !

– Comment cela ?

– Réfléchis un peu ! Quand avons-nous rencontré Atlas ?

– Lors de la grande aventure dans les sous-sols !

– Oui mais c'était juste avant d'apprendre la disparition de Grabelot ! Donc Grabelot s'est réincarné en Atlas, ce qui explique pourquoi ils étaient tous les deux aussi tarés l'un que l'autre !

– Cela n'explique pas comment Atlas aurait mis à jour cette page internet !

– Atlas est mort !

– Ah bon ?

– Je te l'ai pas dit ?

– Ben non.

– Bon ben il est mort !

– Oh ! C'est triste !

– Ouep ! Donc Grabelot est retourné à son apparence humaine voilà tout ! Mais comme il a constaté qu'on squattait son appartement, il est sûrement parti s'installer dans la Creuse ou dans un maquis corse !

– Oui mais... là cela voudrait dire pas mal de choses concernant la réincarnation et on n'a même pas statué sur le fait qu'on croyait ou non à la réincarnation. Alors une réincarnation avec voyage aller-retour...

– Ben j'ai envie de statuer là-dessus maintenant ! T'as quelque chose à dire ?

– Non mais...

– Chut ! La preuve que c'est Grabelot qui a écrit ce texte c'est qu'il est clair que cela est le fait d'un type qui a un frère dans les compagnies républicaines de sécurité ! Ce qui est le cas de Grabelot ! Ce n'est ni un hasard ni une coïncidence !

– Grabelot a un frère chez les CRS ? Mais non !

– Aussi étonnant que cela paraisse ! N'est-ce pas Grabel ?

– A ce qui paraît. Mais il le fréquentait plus trop je crois.

– Il ne fréquentait plus trop personne cet ours !

 

Vous allez pouvoir constater par vous-même que dans un style taré à la façon d'Atlas, ce Grabelot réfugié quelque part ou réincarné en je-ne-sais-quoi se débrouille pas mal.

 

« 

Qu’on se le dise… Ou bien voulez-vous que je vous le dise ? Je vais vous le dire !

 

Jeune, mon frère, avait un rêve qu’il transforma un jour en vœu après une période de sévères prises de bec avec le paternel. Ce dont mon frère rêva, et qui devint ensuite réalité, c'était de se faire garant de l’ordre républicain. Républicain !

 

Non pas démocratique ! On parle peu d’ordre démocratique d’ailleurs, j’en supposerais qu’il n’a point d’ordre, ou bien précis, allant de soi. De celui-là, pour cet état, se pouvait-il marcher au pas ? Son idéal républicain, un idéal démocratique ? Cela s’entend mais il se force, c’est une entorse à ses principes, il la dissipera dans la force, c’est son bouclier, son écorce, elle est d’ici, elle est d’ailleurs, elle est d’ailleurs universelle, républicaine, manichéenne, assez souvent républicaine, le champ des présidents tyrans, le temps des républiques iniques, point d’idéal démocratique, point d’idéal ou bien violent, une république démocratique, une république, une condition, ni nécessaire, ni suffisante.

 

Quand même il la défend, contre lui-même, contre les gens, traçant sa route coûte que coûte, gagnant sa croûte.

 

Mais l’idéal politique pour un flic, est-ce un état policier ? Et que pense-t-il de cet état, qui tend peu à peu vers cela. Je crois qu’il pense en sens inverse, que c’est l’anarchie qui s’immisce, dans tous les coins, les interstices, qu’il manque de moyens d’action, déformation de la fonction. Alors rien, non rien ne lui dit, que la liberté s’affaiblit !

 

« Ce n’est pas ça ! Non vraiment pas ! Regardez voir un peu là-bas, on vous abat pour moins que ça ! » Ce n’est pas ça mais c’est un pas, de pas en pas, des petits pas ; « Des petits pas, des petits pas, ça suffira, ça suffira ! » à vous dire qu’on ne fait plus ça, défiler avec un cache-nez, et sans contrôle d’identité ! « Mais qu’avez-vous donc à cacher ? Vous êtes si fiers de vos gilets, soyez donc fiers de vos idées ! » Eh bien j’ai beaucoup à cacher, depuis qu’on convie des lobby (ou bien qu’on les élit, car c’est tout comme, en somme) sur le perron de l’Élysée. J’ai à cacher, j’ai un métier, et des dirigeants décidés, à enterrer l’adversité, à décimer ceux qui s’allient, les remontés, les syndiqués, à prétendre qu’ainsi on salit, la société, les sociétés, aujourd’hui fortes d’identité, comme un gamin né d’un humain.

 

J’ai à cacher, j’aimerais parler, j’aimerais porter ma voix pour toi, au cœur du pouvoir et des choix, là où ta vie se joue aux dés, lancés d’un pion sur l’échiquier. J’ai à cacher, j’aimerais parler, je ne veux ni brûler ni casser, je veux rester dans la pénombre, juste me rajouter au nombre, pour me signifier au banquier, cet homme qui ne sait que compter, qui ne recule s’il ne calcule, qui nous encule mieux qu’on l’encule, car soudard est son vrai métier. J’aimerais lui faire tort, je l’avoue, puisqu’aux gémonies je le voue, tout en pensées l’acte est tabou, nous si l’on rendait coup pour coup, il ne serait déjà plus debout !

 

Mon frère, patriote et droit dans ses bottes, engagé et assermenté, depuis de bien longues années, mon frère donc, a toujours su faire chier son père, par un métier moins que quelconque. Aujourd’hui que fait-il ? Homme au service de la nation ! Aujourd’hui que dit-t-il ? Qu’il n’est pas l’homme d’une opinion ! Ah bon ?

 

Servir !

État de l’État. Conception. Au commencement était l’État. Crapuleux comme il se doit, plus envers l’autre qu’envers toi. L’autre c’est l’autre, à peine humain peut-être rien, né du continent des sans droits. Toi c’est toi, bon sang sur sol européen, côté drapeau américain. Dis-le toi ! Très peu de ta vie vient de toi, tu es le fruit de vieux combats, conflits de connards, paix des rois, Japon-Corée plus deux ou trois, oxyde Europe cela va de soi, tu es né là tant mieux pour toi ! État : européen ! Spécificité : français ! Ici la grandeur on y croit ! Fiers du passé, et pis y a de quoi ! Patrie des droits de l’homme, rien que ça ! De têtes sur une pique on hérite ? Si ainsi naquit le mérite, visez l’X, Mines en technique, ENA devenez l’État dans l’État. Pour un esprit moins en effort, il y reste encore d’autres corps, pensez-y ! Il est dit qu’un moindre QI, le genre génie raz des pâquerettes, compensera cette tragédie, ses échecs en mathématiques, par un physique de statue grecque : un vrai mec ! Ça, ça peut toujours servir.

 

Servir !

État de l’État. Illusion. Se fit la France après le drame, la trahison des infâmes, se penser belle âme et s’y voir, se savoir nazis deuxième lame... ça fout les boules ! Roule ! Non pas la tête dans le panier, allez, on va leur pardonner, peut-être même les aider ! Ton nom qui signifiait patron, devient l’emblème d’une communion, solution nationale, c’est pas banal. Punition ? Le proprio sorti des locaux, garde un œil sur le portefeuille. Mr X a pris son fauteuil, (parfois même un énarque, gnark, gnark, gnark !), on s’en sort sans aucun écueil. L’époque était propice, née sous de bons hospices, le partage ? la justice ?... les riches un peu moins riches ? Vices et vers ça l’avenir nous tend les bras, bientôt les coups bas mais voilà, on s’est imprégné de l’idée, d’une certaine égalité, d’une certaine fraternité, de corps de métiers tout entiers, dédiés au public plus qu’au fric, chic ! Voilà le hic ! Mon frère, c’était ça, n’est-ce pas, ce pays, ta fierté, l’État pour lequel tu criais « Servir ! »

 

Servir !

État de l’État. Transition. Tout juste après l’évolution ; mœurs nouvelles mais c’est déjà la fin, la fin des fruits le début des ennuis, des bras des bras des bras, moins que ça ! ou bien des portugais, les autres en pis-aller, ils parlent de rester et de se regrouper, quand tout vient à manquer, la croissance oubliée, demain le pain ? ça craint ! Communauté versus communautés, je n’embrasserai plus tout, seulement le petit bout, qui fera ma fierté, un être identifié, us, habitus, habits, je suis donc je suis, je me suis libéré des carcans du passé, pour mieux me rapprocher de ma prison dorée. Aussi, j’aime mon pays, car on y vit, des mois de mai fleuris. L’espoir est permis, oui, j’ose, demain je peins mon quotidien aux couleurs de la rose et jusqu’à l’overdose, car je ne sais plus très bien quel sens ont les communs, les vrais, ceux qui font société au-delà de mon nez. Qu’est-ce que cela veut dire ? A quoi ça pourrait ME servir ?

 

Servir !

État de l’État. Rémission. Grand soir ! Mes chers concitoyens, vous allez voir ! L’esprit de naguère est dans l’air, c’est clair mais, que faire ? Je dis : « Du capital sauvons le capital ! », ils râlent ! Eh quoi ? Parfois, de bourgeois à bourgeois, on voit pointer des doigts ; mais c’est un entre-soi et puis, désormais on est trois. C’est l’invité du bal, c’est lui Kapital, lui qui ne rend point compte, lui qui conspire et pompe, c’est marre ! J’étais mal embarqué et pourtant je l’ai fait, j’ai dit « J’y vais ! » Où serais-je arrivé, à ne point m’arrêter, pile au milieu du gué, si j’avais, les amarres largué ? J’aurais fini sûrement, dans un contre-courant, encore plus puissant, alors vraiment, je crois que j’ai bien fait, bien fait de renoncer. Sur la rive, quelques-uns m’invectivent, mais j’ai moins peur, et je m’en moque, à la rigueur, elle a, ses acteurs, mes frères et mes sœurs, qui sont de langue d’Oc, moins sûrement qu’allemands, anglais ou bien vivant, par-delà l’océan. Mais, en dressant le bilan, de ces 4 ou 5 ans, je ne fus pas qu’un pion, car j’étais dans l’action, j’ai nourri les pigeons, en égrainant le temps, retraite à 60 ans, avec ou sans argent, j’ai dit à la nation, de changer de notion, Paris vous a trop pris, avec ou sans pognon, décentralisation ! Et puis, j’ai rendu ma copie, fier de l’œuvre accomplie, fier de ce que mon parti, ait pu enfin Servir.

 

Servir !

État de l’État. Démission !

Suis-je encore un état, sais-je encore qui je suis ? Je suis un parmi 20, et 40 demain, je n’ai pas compris qu’un mur, que je voulais moins sûr, formait comme une digue, face aux flots de la ligue. Bigre ! Une vraie déconfiture ! D’une simple rature, on a rayé mon nom, du concert des nations chez qui le compte est bon. J’ai péché, c’est vrai ! J’allais panier percé, sur un terrain miné, et tout ce que j’ai semé, d’autres l’ont récolté. J’ai voulu sauver l’essentiel, les apparences et les écuelles, du commun des mortels, en disant encore « Mon modèle ! » C’était seulement facile à dire, car j’avais confié ma tirelire, à cette ligue et à ses sbires, qui ne jurent que par mon déficit, de notoriété et d’idées, pour me dire comment avancer, ou à défaut me suicider. Il le fallait, m’abandonner, devenir autrui, rester en vie ; allez, je dois le concéder, ils n’ont guère eu à insister, la ligue est un peu mon idée, et, définitivement j’ai choisi, une autre épaule pour mon fusil, le peuple a dit NON j’ai dit OUI, pour sauver la démocratie ! J’ai dû compter tous mes énarques, pour ce schéma, cette arnaque, j’ai dû rallier les oligarques, pour leur prouver que je m’adapte, j’ai dû soumettre à qui de droit, ma constitution et mes lois, lige d’une ligue et de ses sbires, pour le meilleur et pour le pire, je me suis surpris à les servir !

 

Servir.

État de l’État. Macron.

Servir. Rien n’a changé tu vois, le temps étant sans prise sur l’engagement. Homme en bleu ton sur ton, homme en bleu temps des roses, homme en bleu violence et violettes, homme en bleu bleu-marine ?

 

Tu devanceras l’appel, si on en croit l’enquête, quand l’extrême est en tête, c’est ton corps de métier, le mieux représenté. Est-ce une question d’état ? De l’État de l’État ? Tu ne t’y reconnais pas, mais marches quand même au pas. Et face à toi, il y a ceux-là, qui ne s’y reconnaissent pas, mais ne marchent pas au pas. Et moi, je ne me reconnais pas, à travers cet État, dans lequel je te vois, toi qui autrefois, pensais souvent comme moi.

 

Je suis sûrement fautif, un cynique, un fainéant, figé dans le passé, je n’ai qu’une opinion, liée à mes ratés, d’employé, d’ouvrier, ou même petit patron, on s’engueule, on hausse le ton, mais on est seuls, nul besoin d’une feuille, ni d’un listing à la con, chié d’un fion donneur de leçons, qui nous empeste pis nous encrasse. Il fallait vite tirer la chasse, et pas dire « Fuck me in the ass ! » à l’oreille du premier de la classe ! Macron ! Élevons, les corps intermédiaires, à quatre pattes et la queue en l’air, les souchiens attachés en laisse, seront libres d’aboyer sans cesse. Basse besogne, il faut bien qu’on s’y cogne, mais quand l’humain se rappelle au chien, le premier devient un ivrogne, ou rachète sa conduite infecte, dans des sachets, des psy, des amphètes, plus personne n’a sa propre tête. Voilà tout ce qu’on aura gagné, des portables, des écrans télés, de la bouffe déjà dégueulée, récompense du boulot bien fait, savoir saquer son prochain, savoir tuer son voisin, prendre la place de qui de guerre lasse, prendre la trace de la meute en chasse, chasse à tout ce qui coûte un sou, c’est à dire toi-moi-vous et nous ! Pour éviter d’être gibier, d’être tiré comme un lapin, à mon tour j’ai mis mon gilet... jaune. Piètre fronde aux contours de la ronde du zoo public, plané de vautours, sur le Kangourou, la poche est moins vide pour les vrais avides. Partage des Pertes et Profits « PPP », les deux moitiés du coup parfait, l’option préférée des sans-risque, éleveurs de pognon loin du fisc. On ne fait plus du sale à Marshall, le contournement est légal, car l’actionnaire et son dealer, les technocrates dans les bagages, voyagent à deux en classe affaire, gabegie publique, personne ne tique, tant tous les partis sont plastiques. Allons enfants ! Continuons ! Allons enfants ! Macron ! Macron ! Mettons La République En Miettes! Chacun (si affilié Medef) aura son rond de serviette, au grand banquet des pique-assiette ! A la bonne franquette ! l’État ne faisant plus recette, ou bien par des moyens sur le menu-fretin, CSG, TVA, tout ce qui ne cible pas, la classe des grands radins ! Malin ! Mais… ne faisons pas injure, à la réputation de notre homme étalon, Macron, c’est comme un puits sans fond, presque un anglo-saxon, en terme de culture, à mettre au vide-ordures, homo-economicus… le gus ! Voyez ! Un homme vraiment génial pense international ! Le bossu de Notre Dame, qui pleurait des torrents de larmes, que le CICE n’était pas une manne, suffisante pour que France s’arme, est tombé sur un os, formant une autre bosse, car le Boss, finira bien par avouer, qu’il ne s’est jamais senti français, tout comme il su concéder, qu’il a toujours été droitier. Ainsi, que vous vous appeliez Blanc, Bonnet ou Blanc-Bonnet, l’appel d’offre n’est pas gagné face à Chong, Hoffmann ou Williams. Moi président, je vends ! Je vends nos champs à Monsanto, je vends nos centrales à TEPCO, je vends tout même le loto, puisque ça me rapporte trop ; je crée des rond-points pour Mc Do, je cède mes routes après travaux, les bornes à vélo à Decaux. Je ne suis pas seulement banquier, je suis représentant-placier, je vends Paris par pans entiers, ses aéroports à prix d’or, mais très loin du prix de marché, un jour je vendrai l’Élysée, à Versailles j’irai m’installer, si la Chine ne l’a pas acheté. Je vends pour nos investissements, je vends un train, j’en achète un, appelez-moi super-malin ; je vends je vends et puis je mens, je vends des euros pour des francs, je vends je vends et puis je prends, je prends mes ordres chez les allemands, et toutes leurs idées aux anglais, c’est pour l’avenir de nos enfants !

 

L’avenir, une chose à écrire ? Mon frère donna ses doléances, pour un avenir pour ses enfants, fait de bleu, de rouge et de blanc, mais surtout de bleu et de blanc. Mais ce sont mes neveux, mon frère, qui défileront panneaux (verts) en l’air, pour demander comptes au banquier, devant leur horizon bouché ! T’auras l’air fin gourdin en main, ou sur tes gosses à coups de crosse, t’auras toujours ton lien divin, envers l’esprit républicain. Ou tu seras chômeur avant l’heure, t’auras changé de camp pour du beurre, quand le sillon du sang impur, sera greffé sur ta coupure. Jure ! Jure que ton serment n’est pas que vent ! Qu’il n’est pas vécu comme un pacte, mais qu’il est l’acte d’un démocrate. Défendre, la démocratie c’est aussi, comprendre, qu’être bouclier d’un pouvoir, qui veut tuer jusqu’à l’espoir, est un manquement à tes devoirs ! Y a qu’à voir ! Juché sur une poubelle, Macron, le bel, lance son appel à la nation ! Faudrait qu’on bêle comme des moutons, pour condamner à l’unisson, le rituel des électrons, libres, qui croient faire la révolution, par le feu et la destruction ! Compagnie, compagnons, un rempart contre un front, fissure, quasi-rupture, blessures, compatissons ! Mais des deux côtés du bâton, pour les doigts, les mains arrachées, les yeux crevés, les corps choqués, par les objets qu’on a lancés. Lanceurs alertes, lanceurs d’alerte, toutes les unités en alerte, j’envoie 10000 bleus sur les champs, face à 100 000 manifestants ! Nan ! Fausse nouvelle aux infos télé, c’est BFM qui s’est trompé, les manants ne sont pas tant, on en voit 2000 à l’écran ! Vraiment ? Explication aux incrédules : d’abord j’interdis qu’on circule ; ensuite j’ordonne que l’on recule ; il est temps de faire mes calculs ! Fin des emmerdes avant longtemps, le préfet confirme ce fait, et le ministre dit qu’ils sont faits, que le mouvement est bien mourant, mais qu’il faudrait qu’il meurt violent ! Vraiment ? Explication de ce calcul ! Euh… c’est mieux ! C’est comme un pari fait à deux, et moi je parie qu’à ce jeu, ce que l’on juge condamnable, et parfois même impardonnable, sera dommage collatéral, si c’est ma faction la coupable. Et aussi ainsi je parie, que pour les cons, les indécis, qui changent d’opinion comme de slips, et font l’alternance en principe, le souvenir de pions qui s’étripent, aura fonction de discrédit. Je veux ! Mais alors il faut que j’explique, pourquoi à cinq contre un mes flics, ont tout l’air d’être pathétiques. Pas de panique ! On me prénomme République, ça dit ce que ça dit, ça rassure, car si j’étais une dictature, et sans le sens de la mesure, l’affaire se ferait en un clic, je donnerais l’ordre tragique, de rafaler cette raclure ! Mais soyez sans crainte, soyez sûrs, que je ne veux que votre bien, la démocratie en mes mains, est promise à un grand destin, demain est un monde de paix, fait d’ordre et de sécurité. Nous devons renforcer la garde, contre les ruées de la harde, que l’on agisse, que l’on ne tarde, à prendre mesure du danger. Liberté, liberté chérie, combats avec tes défenseurs ! Liberté, liberté chérie, octroie-leur de nouveaux crédits ! Équipons la gendarmerie, et la police en dernier cri, il faut qu’elles sachent de jour de nuit, tout ce qui fait que l’on nous nuit. La liberté est à ce prix, il faut dépenser sans compter, il faut traquer sans répit, le moindre suspect, le moindre bruit, il est urgent de pouvoir voir, le territoire dans un miroir, il faut poser dans tous les coins, des caméras zoomant de loin, il faut pouvoir identifier, tout élément à chaque instant, il faut interdire tout paiement, ne donnant pas le nom des gens, il faut des drones et des pylônes, il faut être l’œil du cyclone, il faut être pays silicone, il faut rendre tout le monde aphone, interdire tout rassemblement, de plus d’une personne en même temps, il faut pouvoir anticiper, le moindre geste, le moindre pet, il faut faire ce que je vous dis, pour construire notre paradis, pour que Liberté soit sauvée et la démocratie bénie. Démocratie, démocratie chérie !

 

A ton serment, frère, mon frère…

 

»

 

Chers chats lecteurs, chères chattes lectrices, voilà une preuve supplémentaire que ce Grabelot, si c’est lui, est vraiment dérangé du ciboulot. Cependant il n’a pas l’air décidé à rentrer au bercail et tant que Odette paye le loyer, cela fait bien nos affaires à Grabel et à moi.

 

Ah ben chalut !

 

Darwin.

15 janvier 2019

Le Coincoin du coin du 12 décembre 2018

Chalut !

Sachez que Odette a réapparu l'air de rien au mois de novembre, ce qui, à l'approche de l'hiver, rassura Grabel. En un sens je dois concéder que je fus rassuré moi aussi. Ce retour se fit sans aucun commentaire de sa part, elle est revenue d'humeur plutôt neutre. Depuis il faut dire que la vie a été surtout marquée par les superbes animations du samedi grâce au mouvement des gilets jaunes. Nous n'en avons pas manqué une miette ! Pour vous donner un aperçu du climat ambiant, surtout si vous n'êtes pas en France, le mieux pour moi est de vous poster ci-après des liens vers les pages d'un hebdomadaire local. Son édition du 12 décembre porte vraiment la marque du mouvement des gilets jaunes. 

 

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15 janvier 2019

Qui sème le vent ?

Qui sème le vent ?

J’en reviens à cette journée vouée dans un premier temps aux boites aux lettres récalcitrante. Donc dans un second temps le vent se leva. La discussion porta rapidement sur cette constatation incontestable que le vent souffle de plus en plus souvent à Lyon. La théorie d’Aïcha sur ce sujet fit prendre à la discussion une tournure inattendue.

– C’est normal qu’il y ait de plus en plus de vent car les arbres sont très en colère.

– Les arbres sont très en colère ?

– Oui ! Et c’est normal puisque l’humain ne respecte pas la nature ! Alors les arbres, qui sont une partie de la nature, manifestent leur mécontentement. Et si ça continue ils seront tellement en colère qu’ils feront se lever un vent apte à détruire tout ce que l’humain a créé.

– Allons bon ! Voilà autre chose ! Après les égarements des boîtes aux lettres, nous voilà soumis au caprice des arbres !

– Il ne s’agit pas d’un caprice mais d’une juste révolte !

– Voyez-vous cha ? Sauf qu’aux dernières nouvelles le vent ne vient pas des arbres mais… disons des interactions entre la mer, la terre et le ciel. Les arbres ont une influence sur la météorologie mais ils ne créent pas le vent par caprice !

– Ils créent le vent mais pas par caprice ! Le vent est signe que les arbres ne sont pas satisfaits de la manière dont vont les choses. Comme ils n’ont pas l’usage de la parole, ils s’expriment corporellement, de cette expression corporelle né le vent quand elle est concertée et synchronisée.

– Synchronisée ? Explique-nous cela, histoire qu’on rigole un peu !

– Il n’y a absolument rien de drôle à cela ! C’est une question d’essence !

– Ah non ! On ne va pas se remettre à parler de voitures !

– Quand je dis « essence » c’est dans le sens de « essentiel » ! Voyez-vous ? Les hommes se sont inventé quelque chose qu’ils appellent dieu et qui est surtout une réduction à leur échelle de quelque chose de beaucoup plus grand. Puisqu’ils se prennent pour la merveille de l’univers, dans leur imaginaire, dieu étant leur créateur et leur berger, il est tout. C’est doublement une erreur puisque dieu n’existe pas et qu’il n’est en aucun cas un berger.

– Nécessairement… s’il n’existe pas, il n’est pas un berger.

– Il n’est pas un berger car il est un semeur !

– C’est donc qu’il existe.

– Non ! Il n’existe pas en tant que dieu mais en tant qu’être essentiel.

– Un être essentiel ? Et c’est quoi donc cette chose-là ?

– C’est un semeur !

– Mais encore ?

– Eh bien il sème !

– Il sème quoi ?

– Je l’ignore !

– On est bien avancés alors !

– Tout ce qu’il faut comprendre c’est qu’il sème puis il attend de voir ce qui pousse.

– Et qu’est-ce qui pousse ?

– Cha dépend. Assez souvent il ne pousse rien. Presque tout le temps en fait.

– C’est pas hyper excitant comme boulot alors !

– Ce n’est en rien un boulot.

– Oui mais au final… que récolte-t-il ce semeur ?

– Eh bien la vie ! La vie des chats et des pigeons par exemple.

– Ah ?… En fait ce que tu veux dire c’est que ce semeur sème des molécules élémentaires sur des planètes pour voir ce que cela donne.

– Je l’ignore.

– Ou peut-être même qu’il sème des planètes entières.

– C’est possible mais je l’ignore.

– Si cha se trouve il sème carrément des galaxies entières !

– C’est possible mais je l’ignore.

– Si cha se trouve il sème carrément des univers tout entiers ! Ce qui expliquerait ces histoires d’univers parallèles.

– C’est possible mais je l’ignore.

– Tu ignores tout en fait !

– Ce que je chais c’est qu’il n’y a pas de dieu qui aurait créé ex-nihilo les êtres humains à son image.

– Ah oui euh… je le chavais aussi, foi de Darwin !

– Ce que tu ne chavais sûrement pas, c’est qu’au hasard de ses semences, l’être essentiel voit parfois pousser des êtres qui, eux, sont vraiment à son image.

– Ah ! Voilà qui devient intéressant. J’espère que tu ne vas pas nous dire que tu ignores quels sont ces êtres !

– Non je ne l’ignore pas ! Il s’agit des végétaux et les arbres étant les plus majestueux des végétaux, ils sont encore plus à l’image de l’être essentiel.

– Plus que qui ? Que les herbes à chat ?

– Plus que les herbes à chat et surtout plus que les chats !

– Me voilà fort marri de ce que tu nous dis.

– Moi aussi. Mais dis-nous Aïcha ! Maintenant qu’on sait que les chats valent moins qu’un idiot d’arbre incapable de prendre la poudre d’escampette quand un type à chemise à carreaux débarque avec une hache… est-ce que ce monde-là est à l’envers au point de considérer que les pigeons valent moins que les chats ?

– Dans ce monde-là, et il n’y en a pas d’autre que celui-là auquel nous puissions avoir accès, les chats et les pigeons sont strictement à égalité. Ce qui les différencie des végétaux par contre, c’est qu’ils ne sont pas à l’image de l’être essentiel !

– En fait, si je te suis bien, la vertu essentielle de ton être essentiel c’est l’immobilisme. Ce qui me semble assez contraignant pour un genre de super dieu !

– Ce n’est pas un dieu ! Tu ne comprends rien !

– Ce que je comprends c’est qu’il ne doit pas avoir beaucoup de pouvoir pour un super dieu.

– Mais heureusement parce que sinon il risquerait de toujours tout recommencer à zéro ! Or justement, il est comme un arbre qui ne peut pas grand-chose hormis laisser s’envoler ses graines au gré du vent qu’il crée.

– Je croyais que le vent était créé par mécontentement, faut savoir ce que tu veux !

– Le vent sert à beaucoup de choses pour les êtres immobiles. Il est porteur des stratégies distantes qu’il ne faut pas confondre avec les stratégies de proximité.

– Les stratégies de proximité ?

– Oui. Par exemple c’est quand un arbre se sert d’un écureuil pour transmettre quelque chose à un autre arbre alors que l’écureuil, totalement obnubilé par son estomac, pense œuvrer dans son seul intérêt. Ou encore c’est quand des arbres de différentes sortes s’arrangent pour pousser les uns à côtés des autres pour profiter des qualités de chacun.

– C’est possible ça ?

– Mais bien sûr ! Mais comme chez les êtres mobiles il y en a qui se croient trop forts et qui préfèrent vivre entre individus de la même espèce.

– Euh Aïcha… sans vouloir te contredire… si tu vois des centaines d’arbres d’une même espèce alignés en rangs d’oignons, ce n’est pas parce qu’ils préfèrent vivre entre eux mais parce que des humains spécialisés dans l’exploitation forestière préfèrent qu’il en soit ainsi par souci de rentabilité. D’ailleurs c’est bien simple, il n’y a pratiquement pas un arbre dans ce pays qui ne soit issu d’une volonté humaine plus ou moins lointaine. Or la volonté humaine se ramène absolument et exclusivement à un terme de rentabilité !

– Ah ouais c’est comme les races de chats en fait !

– Un peu oui, mais vois-tu Riton ? A ce qu’on dit, moi je suis tout à fait proche de l’état dans lequel on a trouvé mes aïeux à l’état naturel !

– Certainement… à ce qu’on dit.

– Oui ! A ce qu’on dit !

– Il n’empêche que cela se retourne contre l’humain car les alignements forcés d’arbres leur permettent d’avoir une meilleure synchronisation quand ils veulent créer le vent !

– Ah bon ? Eh bien j’aimerais bien savoir comment ils font !

– Oh mais c’est que tu n’es pas très observateur Darwin. Si tu étais observateur tu saurais comment font les arbres pour créer le vent. Ils se penchent d’abord d’un côté puis de l’autre, et puis ils recommencent de l’autre côté et ainsi de suite. Et alors, s’ils sont des centaines ou des milliers à faire cela en même temps, ils peuvent créer un vent apte à décorner les bœufs comme on dit.

– Fort bien Aïcha. Il y a néanmoins un petit problème à ta théorie. Je n’ai pas souvent vu des arbres se pencher d’un côté puis de l’autre. En général ils se penchent tous d’un même côté, signe qu’ils sont soumis à un vent qui préexistait à leur propre penchée ! Et je dois dire que je suis désolé d’en arriver à cette conclusion puisque j’aimais beaucoup cette idée d’arbre à vent !

– Oh mais ne conclus pas trop hâtivement Darwin ! Il est possible qu’à Lyon les arbres soient tous penchés dans le même sens, mais penses-tu qu’ils soient très nombreux ces arbres lyonnais ?

– Certes non, ce n’est pas une forêt !

– Eh bien justement, ils sont soumis à un vent qui préexiste parce qu’il a été créé par des arbres beaucoup plus nombreux.

– Il est à craindre que dans les forêts la constatation soit la même.

– Comment tu peux le savoir puisque tu n’as jamais vu de forêt de près ?

– Je peux le savoir de nombreuses façons. Et par exemple par le témoignage de certains individus qui ont des ailes et peuvent facilement rejoindre la forêt la plus proche. N’est-ce pas les pigeons ?

– N’est-ce pas quoi ?

– N’est-ce pas vrai que les arbres ne se penchent pas d’un côté puis de l’autre dans les forêts ?

– Quelle forêt ?

– Mais n’importe laquelle ? Il y a bien des forêts pas bien loin ! J’en vois d’ici !

– Ben si tu les vois d’ici ! Pourquoi tu demandes ?

– Mais parce que je ne les vois pas assez bien pour savoir si les arbres se penchent tous dans le même sens ou alternativement d’un côté puis de l’autre comme le suggère Aïcha.

– Ben ça mon vieux… j’en sais pas plus que toi ! Biscotte ? T’es déjà allée jusqu’à la forêt ?

– Je ne vois pas vraiment ce que j’aurais à y faire.

– Et toi Biscuit ?

– Moi j’ai voulu aller à Fourvière une fois quand Darwin y était et tu m’as déconseillé d’y aller à cause des faucons et des corbeaux !

– A Fourvière y a pas de forêt ! Juste un petit bois !

– Et pourquoi y a des faucons et des corbeaux alors ?

– T’as qu’à y aller leur demander !

– C’est tout de même incroyable que des prétentieux dans votre genre, qui se vantent sans cesse d’être des voleurs hors-pair, n’aient jamais quitté la ville ! A quoi elles vous servent vos ailes ?

– T’as qu’à sauter du toit ! T’auras une meilleure idée !

– Hin hin !… Mais j’ai une meilleure idée justement ! Je vais attendre le retour de George et je lui demanderai. Lui au moins on est sûr qu’il a vu du pays ! Enfin ! c’est tout de même étrange de devoir passer par un oiseau marin pour avoir un témoignage sur les forêts !

– Et oui mon vieux, mais que veux-tu ? Les invasions barbares passent toujours par les fleuves et les forêts !

– Maintenant que j’y pense, il ne sera peut-être pas utile d’en passer par George. Car vois-tu Aïcha ? Même s’il est vrai que je ne connais pas plus l’océan que la forêt, s’il y a bien quelque chose qui est de notoriété publique, c’est que nulle-part ailleurs sur la terre les vents ne soufflent plus fort que sur l’océan, là-même où naissent les ouragans ! Or il est également de notoriété publique qu’il n’y a pas beaucoup d’arbres dans l’océan ! Conclusion ?

– Conclusion ? La flore marine se balance de droite à gauche et de gauche à droite et ainsi crée les vagues et les courants océaniques qui à leur tour créent le vent.

– Ah… Et elle est en colère aussi la flore marine ?

– Visiblement puisque les ouragans sont de plus en plus violents.

– Et pourquoi elle est en colère ?

– A cause du changement climatique !

– Hum… cha se tient. C’est tout en rotondité, j’aime bien.

– La rotondité c’est ma position préférentielle.

– Moi aussi. Surtout l’hiver.

– Y a plus de saisons Darwin !

 

Un peu après, Grabel et moi nous retrouvâmes seuls. Nous en profitâmes pour dormir un peu au soleil afin de profiter de ce début d’automne si chaleureux. Puis Grabel suggéra de profiter de ce début d’automne si chaleureux pour faire un concours de manger de mouches tant qu’il y en avait. Je gagnai assez facilement sous le regard sceptique de Riton.

– Au final si tu t’entends si peu avec les hirondelles c’est qu’elles empiètent ton terrain de chasse.

– Pas du tout ! Les hirondelles sont des pestes et profitent des règles éditées par Odette pour s’empester encore un peu plus. Au demeurant j’aime beaucoup les mouches... mais je préfère quand même les pigeons.

– Et oui… mais y a des règles.

– C’est pas dit qu’elles aient cours encore très longtemps…

Ce disant je m’approchai nonchalamment de Riton.

– …des fois que la fée Odette ne revienne jamais ! Si tu vois ce que je veux dire !

Riton s’envola prudemment vers la cheminée la plus proche.

– Dis donc !… Au cas où… Comme on est nombreux, tu pourrais peut-être éviter de t’en prendre à un ami.

– Effectivement je ne m’en prendrai ni à Biscuit ni à Biscotte.

– Hem… Et sinon, euh… la petite Aïcha… elle est toujours autant frappadingue non ?

– Personnellement j’ai décidé d’en retenir une chose. Je ne sais pas à qui elle a volé cette idée d’être essentiel mais je veux bien la considérer comme une hypothèse intéressante.

– Ah bon ? a dit Grabel. Mais alors, du coup il n’y a plus de dieu ?

– Plus de dieu à l’image des humains !

– Oui mais alors, dans tout cela, que deviennent Pristi et Luya ?

– On les oublie aussi, ce qui n’est pas plus mal car le cas échéant nous pourrons boire tout le lait qu’on veut !

– Oui mais si c’est le prêtre qui amène le lait ? Nous n’allons tout de même pas voler un prêtre.

– Non, tout de même pas. Eh bien tant pis, nous mangerons des mouches puisque la semence de l’être essentiel a fini par donner des mouches en veux-tu en voilà !

– Mais alors du coup ? S’il y a un être essentiel, alors c’est donc bien des arbres que naît le vent ?

– Non point Grabel ! Ou alors il faudrait considérer que les arbres sont soit suicidaires soit des assassins avec circonstances aggravantes. Je n’avais pas l’intention de contredire Aïcha outre mesure mais… laisse-moi te raconter une histoire !

– Je t’écoute.

– Non attends ! Comme je ne vais pas la raconter deux fois, je crois qu’il conviendrait de convier Philémon et les autres pigeons.

 

Nous nous rassemblâmes assez nombreux dans la sous-pente et je leur contai une longue histoire, juste à des fins éducatives. Je vous la conterai sûrement un jour.

 

Darwin.

12 janvier 2019

Pigeon Postal

Pigeon Postal.

Ce que j’aime bien quand je suis sur mon toit c’est que j’ai un point de vue sur un objet qui m’intéresse particulièrement. Il est assez facile d’apercevoir la boîte aux lettres de la Poste qui se trouve à l’un des angles de la place des Jacobins. Enfin disons tout de même qu’il est plus facile de l’apercevoir en hiver qu’en été car ils ont planté un arbuste il y a trois ans et celui-ci a bien profité des deux mètres cubes de terre qu’on lui a alloués en pleine propriété et de l’air pur et renommé dans lequel baigne notre belle cité de Lyon. Donc il est déjà suffisamment touffu pour faire de l’ombre à cette fameuse boîte aux lettres et quand il a toute ses feuilles, on ne peut voir que le bas de la boîte aux lettres. Quand il y a une lettre à poster je la confie d’ordinaire à Odette mais à cause de son sale caractère, il est parfois utile de se passer de ses services, surtout quand on n’a pas le choix comme durant sa longue absence. Que l’on soit sur mon bloc ou le très grand bloc je confie la lettre à Biscotte puisqu’elle n’a pas son pareil pour glisser le pli dans la fente d’un seul tour de cou. Je lui confiai donc la dernière lettre qui était adressée à l'une de mes correspondantes sans oublier de lui rappeler les précautions d’usage :

– Tu restes bien concentrée d’accord ? Tu ne fais pas comme ton père qui se laisse distraire par tout et n’importe quoi !

– Oui ben ça va ! J’en ai pour moins de vingt secondes !

– Cette lettre va à Palaiseau alors tu la mets dans la fente… ?

– Évidemment que je la mets dans la fente !

– Oui mais quelle fente ?

– La fente de la boîte aux lettres ! Tu me prends pour une idiote ?

– Oui mais la fente estampillée « Autres départements. »

– Ben oui comme d’habitude ! De toutes façons tous tes correspondants sont sur Paris ou Outre-Atlantique ! A croire que les lyonnais ne sont pas assez bien pour toi ! Espèce de snob !

– Est-ce que c’est ma faute si cette histoire de castor mort m’a rapporté autant de notoriété ?

– Ça non, c’est celle d’Herbert ! Paix à son âme !

– Ben voilà. Donc tu la mets dans la fente… ?

– Autres départements ! C’est bon ? Je peux y aller avant que les humains ne sortent de leur léthargie ? Je me lève aux aurores pour te rendre service, pas pour me faire remarquer par un deux pattes qui balade son chien !

Tenez ! à propos de se lever aux aurores, moi je ne le fais qu’en cas de force majeure. S’il m’arrive de voir le soleil se lever c’est plus souvent à la suite d’une nuit blanche et autant dire que je me rattrape bien dans la journée suivante question dodo. Je me doute que vous avez le loisir d’observer beaucoup de pigeons. Je crois qu’ils fréquentent surtout les villes qui ont totalement des allures de villes, c’est à dire avec beaucoup beaucoup de béton ou de goudron par terre, pas trop fournies en arbre quoiqu’ils soient assez sensibles à la présence de parcs urbains du moment qu’il y a des bancs publics. Donc pour ça, on peut dire que les villes se ressemblent. Les pigeons sont, comme on dit, les rats des toits, sauf qu’eux, je n’ai pas le droit de les manger à cause de l’interdiction formulée par Odette. Je les trouve particulièrement déconcertants notamment dans leurs habitudes personnelles. Certains se lèvent bien avant les autres sans que cela soit toujours systématique. Pas moyen de savoir pourquoi. Si on le leur demande la réponse est invariablement la même :

– Vous les chats, vous ne faites pas tous la même chose en même temps n’est-ce pas ? Ben nous c’est pareil !

Revenons à nos chatons. Biscotte s’apprêtait enfin à prendre la lettre dans son bec mais par précaution je lui posai une dernière question :

– Rappelle-moi de quel côté est la fente « Autres départements » ?

– A droite !

– T’es sûre ?

– Il est certain en tout cas que mes certitudes à ce sujet dépassent sûrement les tiennes ! Au pire je vais vérifier à nouveau si ça peut te rassurer.

– Ce serait gentil de ta part.

Elle s’envola donc jusqu’à la boîte aux lettres, se posa sur le sol, regarda deux secondes la boîte, revint vers moi à tire-d’aile, prit la lettre dans son bec sans mot dire, et repartit en direction de la boîte. Comme elle alla directement se poser sur la boîte afin de glisser le pli dans la fente par en-dessus, je ne la vis plus durant un court instant, cachée qu’elle était par les feuilles de l’arbre. Mais alors que je pensais le pli dans la boîte, je le vis soudainement tomber sur le sol.

– Ma lettre ! m’exclamai-je en mon for intérieur.

Je vis Biscotte sauter sur le sol à côté de la lettre, s’en saisir, remonter sur la boîte, du moins le supposai-je, puis, quelques secondes plus tard, la même scène exactement se reproduisit. Il s’écoula ensuite une bonne vingtaine de secondes avant que je ne visse Biscotte revenir vers moi passablement contrariée :

– Non mais qu’est-ce qu’elle a cette boîte aux lettres ? C’est la première fois que je vois ça !

– Allons bon ! C’est de la faute de la boîte maintenant ! Tu m’avais pourtant promis.

– Mais j’ai fait exactement la même chose que d’habitude ! Je glisse la lettre dans la fente, je m’apprête à mettre les voiles, et voilà que la boîte me la recrache ! Je la ramasse, je retente ma chance : rebelote ! Au troisième coup j’ai tenté de lui donner un peu plus d’élan et ça semble avoir fonctionné. Je l’ai matée on dirait.

– Écarte-toi un peu !… Bon, oui, elle ne semble pas être retombée.

– Au pire un passant la remettra dedans tu sais.

– Oui mais j’ai l’impression que le sol est encore humide. J’espère que la lettre n’était pas trop abîmée !

– Non ça va.

Il faisait très beau ce jour-là et il avait fait très beau les jours précédents. Seulement il vous faut savoir que je vis dans un excellent quartier au goût des humains, ce qui en fait un quartier pas toujours facile à vivre pour les chats de gouttières comme vous avez pu le constater à travers mes aventures. Alors puisqu’il s’agit de l’un des plus beaux quartiers de Lyon et que les gens de passage aiment à y faire un passage, la municipalité le nettoie tous les jours, plutôt la nuit en fait, au jet d’eau. Lyon est une ville très très propre, surtout dans ce quartier. D’après ce qu’en disent les pigeons, si on s’éloigne un peu vers l’Est, on trouve des endroits souvent propres où la municipalité nettoie toutes les semaines. Et si on s’éloigne un peu plus vers l’Est, on trouve des endroits parfois propres où la municipalité nettoie tous les mois. Et si on s’éloigne un peu plus vers l’Est, on trouve des endroits une fois propres où une autre municipalité nettoie tous les ans à l’occasion de ce qu’elle appelle un nettoyage de printemps ; là il faut un jet d’eau très puissant comme ceux des pompiers, du moins assez puissant pour faire rouler un rond en forme de pneu ou un carré en forme de machine à laver. Et si on s’éloigne un peu plus vers l’Est, là une autre municipalité a décidé de laisser la nature suivre son cours. Alors cet endroit fort éloigné pour un chat du centre-ville de Lyon est parfois très propre s’il est fort éloigné d’un panneau avec marqué dessus « Aire de pique-nique » et s’il est fort éloigné d’un cours d’eau que les humains ont confondu avec une décharge et s’il est très fort éloigné d’une décharge que les humains ont confondu avec une décharge de plus grande taille et moins exposée au vent. Et quand toutes ces conditions sont réunies, cet endroit très propre en apparence est parfois très sale de saleté invisible. Et parfois un humain prévenant, signe que les humains font les choses bien, a planté un panneau avec marqué dessus : « Pique-nique interdit. » ou encore « Il est déconseillé d’avaler ou respirer toute substance issue de ce sol durant les 200 000 années à venir. »

Donc voilà, maintenant vous savez pourquoi la phobie de la saleté engendre des lettres mouillées. Et dans un prochain billet vous en saurez un peu plus, ou pas, sur le vent qui souffle sur les décharges ou ailleurs. Mais en attendant laissez-moi vous raconter la suite de cette journée où la lettre que normalement ma correspondante a reçue a normalement fini dans la boîte. Biscotte était assez contrariée par cette mésaventure et décréta que la journée était mal engagée :

– Cette journée est mal engagée ! Je crois que je vais retourner me coucher.

– Je ne sais pas si cette journée est mal engagée mais j’avais de toute façon prévu de retourner me coucher.

Je ne sais pas combien de temps a duré le somme de Biscotte mais personnellement, quand je me suis levé, le soleil était déjà en phase descendante depuis longtemps. Grabel a dormi aussi longtemps que moi. Il se peut que notre réveil ait été un peu précipité parce Burbulle et Aïcha nous ont rendu visite ce jour-là. Je trouve que Biscotte est un peu aux pigeonnes ce que Aïcha est aux chattes, elles ne craignent ni l’une ni l’autre d’affirmer leurs positions quitte à avoir raison, ou tort, seules contre tous. Biscotte n’avait apparemment toujours pas digéré l’affront de la boîte aux lettres et décida de raconter cette mésaventure qui fit beaucoup rire Burbulle, Grabel et Riton. Aïcha ne rit pas et dit le plus sérieusement du monde :

– La boîte aux lettres a refusé cette lettre parce que celle-ci ne lui plaisait pas !

Burbulle, Grabel et Riton rirent de plus belle. D’autres pigeons vinrent partager ce moment de gaieté.

– Et en quel honneur ma lettre lui aurait déplu ?

– Peut-être qu’elle n’aimait pas l’enveloppe.

– Allons bon ! J’ai déjà utilisé ce genre d’enveloppes des dizaines de fois et cette boîte les as toujours acceptées.

– Alors c’est à cause du timbrage ! Peut-être qu’elle a jugé que ta lettre était trop lourde pour un seul timbre.

– J’ai mis deux timbres.

– Tu veux dire que J’AI mis deux timbres !

– Oui… Biscotte a mis deux timbres.

– Au cordeau je dois dire. Je suis devenue plutôt hyperdouée.

– Excuse-moi de ne pas avoir les équipements requis !… Toujours est-il que deux timbres suffisaient amplement pour un tel pli !

– Quel genre de timbres as-tu choisis ?

– Des timbres représentant Mickey. Tout à fait bien choisis.

– Cette boîte aux lettres n’aime pas Mickey voilà tout !

– Ah oui ? Alors explique-nous pourquoi elle a accepté la lettre au troisième essai.

– Parce que quand quelque chose ne lui plaît pas elle renâcle ! Mais elle sait aussi que c’est son travail de garder les lettres alors si on insiste un peu elle comprend qu’elle ne peut pas insister de son côté. Les travailleurs n’aiment jamais trop être accusés de ne pas faire leur travail.

– Tout cela c’est bien joli, a dit Riton, mais cette boîte n’a pas refusé cette lettre pour une simple raison : une boîte aux lettres est un objet et un objet ne pense pas !

– Comment cela un objet ne pense pas ! s’est offusquée Aïcha. Il ne pense peut-être pas comme toi et moi mais à sa façon un objet saura toujours te faire passer ses messages !

Burbulle et Grabel tentaient de dominer leur envie d’hilarité tandis que les pigeons présents, Biscotte mise à part, ne se dominaient pas du tout. Aïcha ne sembla pas s’en émouvoir et rajouta :

– Puisque vous êtes si malins, expliquez-moi pourquoi cette lettre a été refusée deux fois par la boîte si la boîte n’a pas voulu la refuser ?

– Je vais te l’expliquer le plus simplement du monde. répondit Riton. Cette boîte était presque pleine et la lettre est tombée toute seule. Quand Biscotte l’a poussée un peu plus fort, elle a réussi à la coincer derrière d’autres lettres, voilà tout. Et je rajoute que si un jour une boîte refuse d’elle-même les lettres, c’est que les humains lui ont greffé un ordinateur et une balance pour faire un tri directement à la source. Pas le bon timbre, hop ! Refusée ! Adresse illisible ou incohérente, hop ! Refusée ! Je suis même étonné qu’ils ne l’aient pas déjà fait. Moi à leur place c’est ce que je ferais.

– Ça m’étonne à peine de toi. Mauvais que tu es !

– Ah ah ! Voilà une chose qui te pend au nez Darwin ! Un jour les boîtes refuseront vraiment tes lettres !

– Ça m’étonnerait puisque je mets toujours suffisamment de timbres.

– Tu veux dire que JE mets toujours suffisamment de timbres. a dit Biscotte.

– Un jour chaque timbre aura un code unique et tous les timbres issus de carnets volés par une fée voleuse seront décrétés caduques et les boîtes aux lettres toutes équipées de faisceaux laser refuseront les lettres timbrées avec ! Et tu feras comment à ce moment-là, gros malin ?

– J’utiliserai des pigeons voyageurs à la place, petit malin !

– Il y a quelque chose qui ne tient pas dans ton histoire Riton. a dit Aïcha revenant à la charge. Depuis quand cette boîte aux lettres, qui est relevée tous les jours, déborde de courrier ?

– Depuis qu’ils ont supprimé celle de la rue des Archers !

– Ils ont supprimé la boîte de la rue des Archers ? Pourquoi ?

– Sûrement parce qu’elle gênait !

– Elle gênait qui ? Le trottoir est très large comparé à ceux de cette rue.

– Elle gênait parce qu’une boîte aux lettres aux couleurs de la Poste ça fait mauvais genre sur le mur d’une boutique Louis Vuitton !

– Oh ! Blague à part ?

– J’ai l’air de blaguer ?

– Oh !… Non, il doit y avoir une autre explication !

– Je ne crois pas, non !

– Je pense plutôt que c’est à cause du fait que les gens n’ont plus de correspondants. Alors il y a moins de courrier et la Poste essaye de faire des économies.

– Ben alors ça ne change rien, c’est toujours une question d’argent !

– Moi j’ai la vraie explication ! a dit Aïcha. Cette boîte a été supprimée parce qu’elle refusait trop de courrier.

Est-il utile de préciser que les rires repartirent de plus belle ? Moi je ne ris pas car cette idée d’objets animés n’est pas qu’une lubie née dans l’esprit d’Aïcha. C’est une croyance que bien des humains ont eu avant elle et toute croyance est digne d’un certain intérêt. Bien sûr je pense que Riton a raison concernant la lettre que ma correspondante a reçue ou peut-être pas reçue. C’est comme un vase que l’on remplit d’eau, il y a bien un moment où il va déborder. C’est évidemment mieux de disposer de deux verres quand la quantité de liquide qu’on veut y déverser ne rentre pas dans un.

 

Dans mon prochain billet je vous raconterai comment Aïcha nous entraîna plus loin dans ses pensées dès après que les rires se sont éteints et que le vent s’est levé.

12 janvier 2019

Darwin est dans la lune !

Début octobre nous étions toujours sans nouvelle de la fée Odette. Comme je le disais dans un précédent billet Odette a commencé à être de plus en plus souvent mal lunée dès le printemps et avant même le fameux jour où elle a mis les voiles, elle avait déjà émis plusieurs fois l’idée que ma vie n’était rien sans elle et qu’il en allait de même pour celle des pigeons. Je dois concéder que malgré sa mauvaise humeur réccurrente, à l'approche de l'automne nous étions tous dans l'attente de retrouver les avantages que nous procurent sa présence ; mais il n’empêche que j’ai passé un excellent été même sans elle. Donc ma vie n’est pas nulle du tout et je dois dire que si c’est pour revenir avec la lubie de me jeter dans un trou, je préfère autant qu’elle reste là où elle est. Vous allez comprendre !


Un matin d’avril je sortais de mon sommeil, un sommeil bien mérité je dois dire, Odette se tenait devant moi d’un air enjoué et m’agressa d’emblée avec une histoire de chocolats qu'elle avait volé la veille dans un boite aux lettres de l'immeuble :
– Tiens toi bien Darwin ! Il n’y a pas de numéro 13 en Belgique !
– De numéro 13 ?
– Chez les belges ! Il n’y a pas de numéro 13.
– Désolé, je ne te suis pas.
– J’ai été chez Jeff de Bruges et il n’y a pas de chocolat numéro 13 !
– Et alors ? C’est sûrement par superstition.
– C’est exactement ce que je me suis dit !
– Alors ?
– Alors cela veut dire qu’il n’y a pas de n°13 en Belgique !
– En Belgique je ne sais pas mais chez Jeff de Bruges, j’imagine que c’est par souci commercial.
– Non non matou ! Les belges ont banni le n°13 !
– N’importe quoi !
– Je t’assure !
– C’est impossible Odette ! On ne peut enlever aucun nombre sinon tout le système arithmétique est faussé !
– Et pourquoi donc ?
– S’il n’y a plus de 13 il ne peut pas y avoir de 14 non plus puisque tu ne peux plus faire 13 + 1 = 14.
– Il suffit de faire 12 + 2 et le tour est joué.
– Certes. Mais alors que devient la somme 12 + 1 !
– Elle est bannie !
– N’importe quoi !
– Je t’assure ! Il est tout à fait possible de se passer du n°13.
– Mais bien sûr… Alors quand un carrefour est situé à 13 km d’une ville, que dit le panneau ?
– Aucune ville n’est située à 13 kilomètres de quoi que ce soit puisque c’est banni ! Tout est à 12 + 1 kilomètres ! Quand Napoléon a vu l’indication « Waterloo 12 + 1 kilomètres » il a pensé que c’était son jour de chance.
– Ok ! Tu m’as redonné sommeil là ! Mais du coup, le meilleur chocolat c’est quel numéro ?
– En tout cas c’est pas le 11 !
– Il est à quoi le 11 ?
– Il n’y a pas de numéro 11 en Belgique !
– Oh !
– Tout est une question d’équilibre Darwin ! Pas de 13, pas de 11. Par souci de symétrie ! Mais tu es trop bête pour le comprendre !
– Allons donc ! Cette journée s’annonce vraiment longue et fastidieuse.
– Non je ne crois pas car j’ai l’intention de faire une expérience avec ton vilain corps de chat !
– Du genre ?
– Si je te jette du toit tu retombes sur tes pattes n’est-ce pas ?
– Arrête avec ça !
– Peu importe d’ailleurs. Même si tu retombes sur la tête l’essentiel c’est qu’on a la certitude de te retrouver sur le sol.
– Ah ben chat, c’est sûr que je ne vais pas m’envoler. Dure loi de la gravité !
– Mais admettons que je creuse un trou partant d’ici et qui traverse la terre en passant par son centre pour aboutir je ne sais où aux antipodes.
– Ce je ne sais où est très facile à calculer mais le problème c’est que tu ne peux pas creuser un trou qui passe par le centre de la terre !
– Tu crois que je n’ai pas assez de pouvoir pour ça ?
– Toi ? Une petite fée ? Tu ferais le poids de Vénus que ça ne changerait rien à l’affaire puisque, à supposer que tu sois capable de percer le noyau interne qui est solide mais à 6000 degrés, personne ne peut faire un trou dans le noyau externe puisqu’il est en fusion. C’est comme vouloir faire un trou dans la mer !
– Bon d’accord ! Alors on n’a qu’à dire que mon trou je le fais sur la lune et…
– C’est pareil ! Une partie du noyau de la lune est supposée en fusion !
– Supposée ? Et bien admettons que ce ne soit pas le cas et qu’on puisse y faire un trou ! Tu peux l’admettre ou bien tu es décidé à m’énerver pour de bon ?
– D’accord, admettons. Et alors ?
– Alors je troue la lune de part en part et comme dans le film j’y emmène Darwin Le Chat.
– Dans le film ? Quel film ?
– Le film avec Darwin Le Chat ! Dis-moi pas que tu ne l’as jamais vu !
– Jamais entendu parler de ce film.
– Et moi qui croyais que c’est toi qui l’avait écrit. Déception.
– Tu blagues là !
– Peu importe ! Donc Darwin Le Chat est sur la lune et se tient au bord du trou que j’ai percé. Tu vois le genre de trou ? T’es du côté de la face cachée et tu peux mirer la terre rien qu’en jetant un coup d’œil à travers le trou ! Enfin pas toi vu que t’es myope comme un chat !
– Hin hin. Parce que toi tu crois que tu peux regarder à travers un trou de plusieurs milliers de kilomètres ?
– Exactement matou ! Alors voilà ! Quand j’ai fini ma contemplation je te pousse dans le trou et tu tombes ! Loi de la gravité !
– Super sympa !
– Donc tu tombes vers le centre de la lune, tu tombes, tu tombes. Mais qu’est-ce qui se passe au bout d’un moment ? Tu ne va pas te retrouver de l’autre côté du trou vu que si je t’avais jeté par l’autre bout tu serais tombé quand même.
– Pas faux. Alors j’imagine que je vais m’arrêter de tomber quand je serai pile au centre de la lune.
– D’accord mais comment ?
– Comment ça comment ?
– Est-ce que tu vas t’arrêter en décélérant peu à peu ou bien vas-tu t’arrêter tout net comme si tu t’écrasais sur une énorme plaque de verre ?
– Je pense que je vais décélérer peu à peu et m’arrêter au centre de la lune.
– Bon d’accord. Mais alors, dans quelle position tu vas te retrouver une fois à l’arrêt ? Moi je pense que tu auras les quatre pattes écartées et que tu ressembleras à une descente de lit ! Tu sais comme les peaux de tigres chez les gens qui ont beaucoup beaucoup d’argent et encore plus de mauvais goût !
– Je ne vois pas à partir de quel phénomène physique tu en arrives à cette conclusion !
– Alors dis-moi dans quelle position tu seras puisque t’es si malin ! 
– Mais je n’en sais rien! T’as qu’à sauter dans le trou, tu verras par toi-même !
– Je suis déçue de toi Darwin ! Je pensais que tu aurais une théorie pour me décrire exactement ce phénomène.
– Ben non. Désolé !
– Alors je crois qu’en fait tu seras plutôt dans une position proche de ta position préférentielle. Genre en boule ! A peu près comme quand tu dors gros fainéant de chat ! Sauf que tu seras plus ratatiné ! T’auras l’air franchement débile ! Tes moustaches seront collées à tes joues et les pointes de tes oreilles seront retournées vers l’intérieur ! Et je t’assure que tu feras beaucoup moins le malin ! Voilà ce qui arrive à ceux qui passent leur temps à dormir ! Quand on les jette dans un trou ils finissent en position de dormeur mais vraiment, vraiment inconfortable !
– Maintenant que tu le dis je pense que tu viens d’apporter la preuve que ton histoire de trou est invraisemblable, même à travers une planète complètement dure !
– Et pourquoi donc ?
– Eh bien effectivement il n’y a aucune raison qu’au centre de la lune j’aie les pattes dans un sens plutôt que dans l’autre. Il est plus probable que les forces de la gravité me compriment le corps et de manière un peu moins romantique que celle que tu as décrite à propos des chats qui dormiraient trop. Mais en vérité si moi je suis compressé, toute la matière qui est autour de moi l’est aussi. Et elle l’est bien avant que je n’atteigne le centre de la lune. Donc tu ne peux pas creuser un trou à travers la lune même en supposant qu’elle soit faite d’une roche dure, la roche va s’effondrer sur elle-même ! Il y aura toujours de la roche pour prendre la place de celle que tu auras enlevée en creusant un trou ! 
– C’est pas dit !
– Si !
– Non !
– Si ! 
– Alors dans ce cas pourquoi il y a des tunnels ?
– Il n’y a pas de tunnels là où la force de la gravité est plus forte que les forces de cohésion de la roche dans laquelle tu cherches à creuser un tunnel !
– Donc toi tu penses que je ne peux pas creuser un trou dans lequel toi tu finiras comprimé sans toucher quoique ce soit !
– Exactement.
– Donc tu te crois plus solide que de la roche !
– Ce n’est pas ce que j’ai dit.
– Si ! Si je creuse un trou dans lequel tu tombes c’est qu’il y a de la gravité. Et comme tu es moins solide que de la roche je peux continuer à creuser jusqu’au point où toi tu ne supporteras pas la gravité tandis que la roche la supportera encore. 
– Sans doute, mais pas un trou sans fond !
– Si un jour les astrophysiciens te montrent une photo d’un astre géant qu’a la forme d’un donut, tu fermeras bien ta bouche !
– Ça ne prouvera pas que tu peux trouer la terre à la manière d’un donut. A la limite tu peux prendre ta pelle et ton seau et tenter d’aller creuser un trou à travers la première comète qui passe dans les parages.
– C’est exactement ce que je vais faire ! Et puis je te jetterai dedans !
– Sauf que je ne vais pas vraiment tomber parce que la gravité ne sera pas très forte !
– Dis donc monsieur matou-j’ai-réponse-à-tout ! Moi j’ te dis qu’il y a dans l’univers forcément un endroit et une matière telle qu’ont peut y creuser un trou sans fond et jeter un chat dedans jusqu’à ce qu’il finisse ratatiné par la seule force de la gravité ! As-tu l’outrecuidance de prétendre le contraire ?
– Je n’irai pas jusque-là ! Je ne suis pas physicien !
Vous le savez, quand Odette commence à monter dans les tours, il vaut mieux lâcher l’affaire plutôt que de la fâcher pour de bon. Mais si comme elle, vous voulez savoir dans quelle mesure il est possible de creuser un trou passant par le centre d’une planète à seule fin d’y jeter un chat histoire de savoir dans quel sens vont friser ses moustaches, commencez à creusez dès que possible, ça risque d’être long. 

12 janvier 2019

Fée fâchée !

A la fin du printemps Odette finit par se fâcher pour de bon mais au départ, nous, les habitants du toit, nous ne fûmes pas vraiment fâchés de la voir fâchée. Je dois dire qu'elle n'a pas vraiment volé la somme de remarques désagréables qu'elle a reçues puisque, au préalable, elle ne s'était pas privée pour nous offenser. Après tout une fée est un être absolument déconcertant d’un point de vue physique contrairement à l’élégance toute naturelle que possède un chat, même un chat mal fichu. Tout cela est parti d’une banale discussion à propos d’une lettre reçue dans laquelle il était question de remerciements, remerciements qui, me semblait-il, auraient dus m’être adressés. De proche en proche Odette a fini par s’attribuer tout le mérite en arguant au passage que ma vie aurait vraiment été nullissime sans elle et qu’elle était en quelque sorte mon Deus Ex-Machina ! Ce à quoi j’ai rétorqué que je ne l’avais pas attendue pour avoir des correspondants et, les pigeons témoignant en ma faveur, la discussion a rapidement pris une tournure désagréable quand Odette s’en ai prise aussi à la vie des pigeons. Là je crois qu’elle aurait mieux fait de se taire car ils en avaient en réserve plus que je ne le soupçonnais. Alors voilà, elle s'est fâchée et nous, quoique soulagés au départ, nous nous sommes rapidement dit que la vie avec une fée avait tout de même quelques avantages. Nous avons cependant dû nous débrouiller de longues semaines sans elle et, lorsque la canicule a frappé la région, j'ai pris le parti de m'échapper avec Grabel dans un endroit un peu plus frais que ma sous-pente, le cimetière de Loyasse en l'occurence. Je passai un mois là-haut, un mois reposant et axé sur la contemplation. Début septembre je rentrai en ville mais Odette n'avait toujours pas réapparue. Je décidai de passer quelques temps sur le très grand bloc en compagnie de Burbulle, P'tit Gris et Aïcha. Burbulle prétend que je perds beaucoup à m’évertuer à vivre sur mon petit bloc qui n’offre pas les mêmes point de vue que le très grand bloc bordé par la place Bellecour d’un côté. Mon endroit préféré reste néanmoins le bâtiment adossé au quai des Célestins. On y croise régulièrement une bande de pigeons particulièrement doués à jouer les commères mais aussi transformer la contemplation des humains en évènements ou en jeux. L’un des jeux les plus prisés et qui, étonnement, arrive plus souvent que je ne l’aurais cru, consiste à faire des paris sur la capacité des gens à attraper leur bus. Il se trouve que les quais sont à sens unique et ceux qui vont vers le nord doivent aller attraper leur bus à l’arrêt d’en face. Comme du pont on a une bonne visibilité sur plusieurs centaines de mètres de ce quai, on voit les bus arriver de loin. Mais selon la couleur des feux les bus arrivent plus ou moins vite et les humains traversent plus ou moins facilement. C’est il est vrai assez drôle de voir une personne constater que son bus arrive et qu’en se hâtant un peu elle pourra l’avoir et économiser dix minutes ou plus de son temps. Certaines sont lestes et athlétiques et traversent le pont à grandes enjambées. Cela ne suffit cependant pas toujours si le bus est trop avancé. Les pigeons font des paris sur l’issue de la course au bus mais aussi sur la réaction du coureur quand le bus s’éclipse juste avant son arrivée et malgré les appels de bras désespérés : « Attendez-moi ! Attendez-moi ! » Peine perdue le plus souvent. Du côté des pigeons les commentaires ressemblent à ce qui suit :

– Allez ! Allez ! Allez !

– Elle l’aura jamais cette grosse vache !

– Dix graines que si !

– Tenu !

– Allez ! Allez la grosse !

– Balance ton sac dans la Saône connasse !

– Elle ferait mieux d’arrêter de bouffer ! Regardez-moi ce derrière ! Quand elle l’aura raté je parie qu’elle va trépigner en tapant du pied !

– Elle va l’avoir. Cours connasse ! Y a des graines en jeu !

– Je parie qu’elle va lui faire un bras d’honneur !

– Bordel ! Avec des écrase-merde pareils, c’est sûr que ça aide pas !

– Tiens ! Les mains sur les genoux ! Un doigt aurait été justifié à minima !

– D’ici là que le chauffeur s’arrête et descende lui péter la gueule ! T’imagines ?

– Ça s’est jamais vu ça !

– N’empêche que ce chauffeur est un trou du cul ! Il était pas à deux secondes près !

– Vous exagérez ! Un chauffeur peut ne pas s’arrêter à 18h et le faire à 23h ! 

– Pourquoi ? Un trouduc est un trouduc !

– Les chauffeurs ont aussi un timing à respecter ! Et s’ils savent qu’un autre bus suit quelques minutes plus tard ils ont raison de tracer leur route ! Celui qui conduit le dernier bus de la soirée ne va pas laisser en plan quelqu’un qui lui fait signe dans le rétro !

Faut tout leur expliquer à ces pigeons ! Et aussi, il ne faut peut-être pas leur faire confiance. Ça vous allez pouvoir me le dire. Bien sûr les premiers pigeons venus me voir à mon retour sur le grand bloc furent Riton, Biscuit et Biscotte. A croire que je leur ai manqué ! Ils auraient pu venir me voir à Loyasse puisque cela reste beaucoup plus facile d’accès aux pigeons qu’aux chats. Mais voyez-vous, il n’y a pas de pigeons à Loyasse. Ils ont la trouille des faucons et peut-être même des corneilles. En plus ça manque cruellement de béton et y a trop de verdure pour eux ! Décidément les pigeons sont une énigme de la nature. Je vais commencer à m’intéresser à une théorie qui dirait que chaque pigeon porte une partie de la conscience (la mauvaise) des humains qui vivent en-dessous d’eux ! On dit qu’il y a un rat pour chaque citadin, je crois que les pigeons sont aussi nombreux. Il faut donc s’intéresser au trio rat-humain-pigeon qui au fond, peut-être, ne fait qu’un !

 

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