Chalut.
Aujourd’hui je vous transmets une conversation que j’ai pu entendre à la fin de l’année 2017. Cette conversation émane d’une salle au sein d’une entreprise qui est installée dans la rue mais malheureusement du côté du très grand bloc. J’y passe à l’occasion et je ne manque jamais d’aller vers un tuyau d’aération qui présente l’avantage de renvoyer le son d’une salle comme si on y était. Cette salle appartient donc au Cabinet de conseil « Toucons » qui donne des conseils en tout, absolument tout, c’est du moins ce qu’il prétend. La meilleure conversation que j’ai entendue fut donc à la fin de 2017, deux salariés de cette entreprise y ayant passé de longues minutes et reçu plusieurs appels téléphoniques. Comme ils ont la bonne habitude de toujours mettre le haut-parleur, tout est parfaitement intelligible ! Voyez par vous-même !
Tutintintintin tintintintin tintintintin trrrrrrulululululu… Tutintintintin tintintintin tintintintin trrrrrrulululululu...
– Allô ?
– Rémy ? La ministre de la santé au téléphone !
– Oh ? Attends je prends une grande respiration !… OK c’est bon !… Allô ?
– Monsieur Desnoyaux ?
– Bonjour madame la ministre ! Que puis-je pour vous ?
– J’ai besoin d’idées !
– Euh… C’est à dire ?
– Vous n’imaginez pas la pression que nous met le président pour changer la France ! Si je veux durer il me faut une annonce phare par mois. On m’a conseillée de vous demander conseil.
– Et vous m’en voyez honoré ! En toute indiscrétion, quel cabinet vous a suggéré de passer le nombre de vaccins obligatoires de trois à onze ?
– Ah ! là, c’était mon idée ! Le président voulait des propositions fortes et rapides, j’ai pensé que c’était très approprié !
– Moi j’aurais choisi 13, mais 11 c’est bien aussi !
– Non, 11 c’est mieux, je vous assure. Bon ! J’ai ce qu’il faut pour tenir l’affiche jusqu’à la fin de l’année ! Mais je n’aime pas être prise de court et je veux booker l’année 2018 rapidement. On va voir si vous êtes à la hauteur de votre réputation ! Je vous rappelle dans 5 minutes et d’ici-là vous me trouvez un financement dans un domaine de la santé, n’importe lequel, on a besoin d’argent partout. Attention ! Quand je parle de financement c’est sur l’assiette la plus large possible ! Ne me sortez pas un truc qui va faire fuir les investisseurs !
– Soit ! Inutile de rappeler dans 5 minutes ! J’ai ce qu’il vous faut !
– Je vous écoute !
– Une seconde journée de solidarité ! Proposez au président une seconde journée de solidarité ! Je suis sûr que ça va lui plaire !
– Je finance quoi avec ça ?
– Ben la même chose que Rafarin ! De toute façon du fric pour la cause des petits vieux y en aura jamais assez non ?
– Effectivement !... Laissez-moi réfléchir… On va gratter quoi avec ça ? 1 milliard ?
– Le double au minimum !
– Hum… Cela pourrait suffire pour que je ne me retrouve pas avec une grève de la part de tous ces fainéants dans les Ephad.
– Certainement.
– Hum… Je vais amener cela discrètement sous la table pour tâter le terrain. Si l’idée prend je vous recontacte. Merci !
– A votre service madame la ministre ! Au rev…
…
– Elle m’a raccroché au nez, dis !
– Une femme pressée ! T’étais pas obligé de lui filer une idée pourrie pour pot de balle !
– Pourquoi pourrie ?
– Elle a dit « assiette large » mais ça veut pas dire qu’il faut emmerder tout le monde ; à commencer par moi !
– Il est où le problème ?
– Au cas où t’aurais pas remarqué je me tape des journées de dix à douze heures par jour alors mes jours fériés je crois pouvoir affirmer que je les mérite !
– Non mais ça va quoi ? Douze heures ? En comptant les jours où t’arrives en retard ?
– Je pars aussi en retard !
– En comptant la pause déjeuner ?
– Je bouffe sur le pouce !
– Sauf quand t’es à la brasserie ! De plus en plus souvent !
– J’ai besoin de varier mon régime alimentaire. C’est mon médecin qui me l’a dit !
– Et les pauses café ? Les pauses clopes ? Tu les comptes ?
– C’est mon carburant figure-toi ! Sans quoi je deviens inefficace !
– Parlons-en de ton efficacité. Ta fâcheuse tendance à la procrastination est de plus en plus patente.
– Chaque chose en son temps. Si quelqu’un pense trouver meilleur que moi sur le marché, qu’il me le dise !
– J’ai pas dit qu’on devait se mettre en concurrence, on n’est pas des manœuvres et les affaires vont bien. Mais je ne crois pas qu’il y ait lieu de te plaindre.
– Je ne veux pas qu’on me supprime mes jours fériés !
– Qui a parlé de supprimer tes jours fériés ?
– Mais toi ! Tu viens de donner cette idée à la con à la ministre !
– Mais en quoi ça te concerne ? Quand est-ce que Rafarin a eu cette idée ?
– A la suite de la canicule de 2003 !
– Et depuis ? Combien de lundis de Pentecôte t’as travaillé ?
– Euh… je ne sais pas. En 2003 j’étais au collège !
– Zéro ! Pas la peine de chercher, la réponse est zéro ! Tu l’as jamais faite la journée de solidarité !Et moi non plus d’ailleurs ! On pause une RTT !
– Mais alors ?… Comment ça peut rapporter tant de fric si personne ne la fait cette journée ?
– L’important c’est pas que tu la fasses, quoiqu’il advienne ton entreprise donne l’équivalent d’une journée de travail.
– Mais alors… c’est le boss qui risque de finir par s’en plaindre ! Et s’il décidait d’ouvrir les bureaux ce jour-là ?
– RTT ! Y aura toujours assez de RTT ! Si tu savais le nombre d’heures qu’il me doit ! Si t’as pas assez de RTT t’as qu’à prendre huit pauses café au lieu de six ! La pointeuse fera le reste !
– Oui enfin bon, j’ai pas non plus envie de rentrer à minuit chez moi !
– On ne peut pas tout avoir dans la vie !
– Mais alors ? Ceux qui n’ont pas de RTT ? Ils font comment ?
– Ben, ils bossent un jour de plus, j’imagine.
– A l’œil ?
– Faut croire !
– C’est pas un peu bizarre comme truc ? Ça fait moyenâgeux non ?
– Mais qu’est-ce que ça peut te foutre ? Depuis quand tu te soucies de ceux qui n’ont rien glandé à l’école ? Ils avaient qu’à être cadres !
– Oui mais s’ils avaient bossé, ils seraient cadres non ?
– Faut croire !
– Alors tout le monde serait cadre ?
– Sans doute !
– C’est pas un peu bizarre comme truc ?
– Pourquoi ? Regarde ici ! On est trente-deux et tout le monde est cadre ! Sauf le boss !
– Elle est cadre Jeanine ?
– Bien sûr !
– Mais si tout le monde était cadre, plus personne ne ferait la journée de solidarité !
– Et alors ?
– Alors ce serait encore plus une idée à la con !
Tutintintintin tintintintin tintintintin trrrrrrulululululu… Tutintintintin tintintintin tintintintin trrrrrrulululululu...
– Tiens ! Réponds ! Tu raconteras moins de conneries !
Tutintintintin tintin...
– Allô ?
– Jérôme ! Le magasin Mille-couche de Lyon en ligne ! Tu prends ?
– Affaire locale ? Pff… Bon OK !… … Allô ?
– Euh, bonjour ! Olivier De Quart-saison de chez Mille Couches dans le premier !
– J’en ai entendu parler. Vous venez d’ouvrir non ?
– Il y a deux mois.
– Le chiffre d’affaire est bon ?
– Passablement. Nous avons quelques soucis d’accessibilité. C’est à ce sujet-là que je vous appelle d’ailleurs. Vous savez que nous sommes en plein secteur classé à l’Unesco ?
– Difficile de l’ignorer.
– Bon. Nous avions prévu de faire une petite modification du trottoir afin de faciliter l’accès aux handicapés. Cela paraissait relativement anecdotique au regard des travaux que nous avons mis en œuvre. Sauf qu’à notre grande surprise, il apparaît que nous avons l’interdiction de toucher ce pas de porte sous prétexte que le quartier est classé à l’Unesco !
– C’est l’un des aléas d’un tel classement !
– Oui j’entends bien mais cela paraît tout de même abscons ! D’après le propriétaire des murs ce pas de porte est dans cette configuration depuis 1994 ! C’est fait avec un granit tout ce qu’il y a de plus commun, absolument rien d’historique ! Comment peut-on se voir interdit de modifier cela alors qu’on veut juste faciliter l’accès aux personnes à mobilité réduite ?
– Oui j’avoue que cela peut paraître bizarre. Vous n’êtes pas le premier commerce en proie à ces difficultés. Mais par ailleurs le classement à l’Unesco est globalement favorable au commerce.
– J’entends bien mais enfin… Il y a sûrement des commerces qui ont eu gain de cause ! Moi j’ai besoin de l’adresse d’un avocat spécialiste du sujet qui va me permettre de leur faire entendre raison !
– Oula ! Vous vous attaquez à un sujet délicat là ! Je doute qu’on puisse vous aider chez Toucons ! J’ai d’ailleurs mon collègue en face de moi qui fait une moue dubitative.
– Mais ce n’est pas possible ! C’est juste un bout de granit à raboter !
– Oui je sais, mais là… Honnêtement je ne vois pas qui va pouvoir vous aider.
– Eh ben ça alors ! Bon… Sinon, dans le même ordre d’idée, on aimerait améliorer notre visuel en mettant dans nos vitrines trois écrans plats de deux mètres par trois, histoire que les passants puissent voir de loin tous nos modèles de couches. Vous pensez que ce classement à l’Unesco va poser problème ? On voudrait être sûrs de ne pas investir en pure perte !
– Écoutez, je crois que cela ne devrait pas poser de problème, du moment que vous ne touchez pas à la forme de la vitrine.
– Et sinon... désolé si je vous abreuve de questions mais je suis nouvellement débarqué à Lyon ; est-ce qu’il y a des règles locales quant à l’usage de ces écrans publicitaires ? Je veux dire… y a-t-il des heures légales de diffusion ?
– A ma connaissance non ! Vous pouvez diffuser H24 si vous avez des sous à perdre. Au milieu de la nuit vous ne risquez pas de toucher grand public, on n’est pas à Broadway !
– C’est bon à savoir ! Et sinon, comme on est sur 3 niveaux hors sous-sol, on aimerait montrer qu’on est vraiment une grande surface. On a nos couleurs au rez-de-chaussée mais les étages ne sont pas différenciés par rapport au reste de l’immeuble. Vous avez une idée ?
– Oui bien sûr ! Mettez des covering aux fenêtres !
– Des quoi ?
– Des covering ! Des adhésifs transparents aux couleurs de votre entreprise !
– C’est autorisé ça ? Même dans un quartier classé à l’Unesco ?
– Parfaitement. Des transparents colorés avec le nom de votre marque, je peux vous assurer que personne n’y trouvera à redire.
– Cela risque de modifier un peu la luminosité quand même.
– Certes. Si vous voulez jouer sur la lumière du jour ce n’est pas une chose à faire.
– A vrai dire c’est plutôt tout feu tout flamme chez nous. On a une facture d’électricité étonnamment haute pour notre secteur d’activité. Bien ! Si je résume on a dit : raboter 5 cm de granit non, avoir 3 écrans géants allumés H24 pour diffuser de la pub de couches et colorer les fenêtres oui !
– Voilà !
– Bien. Je transmets à mes supérieurs, transmettez-moi la facture !
– Je n’y manquerai pas. C’est quoi votre couleur au fait ?
– Vert stéphanois ! Le vert c’est à la mode non ?
– Oui. Enfin… pour des couches jetables...
– Raison de plus non ?
– Certainement.
– Au revoir Jérôme, et merci pour vos bons conseils !
– Merci à vous ! Au revoir !
Tutintintintin tintintintin tintintintin trrrrrrulululululu…
– Oh mais merde ! Quand est-ce que je fume moi ?…
Tutintint...
– Allô !
– Jérôme ! Les magasins Titi en ligne !
– Bordel ! Ils se sont donné le mot !
– Oui mais c’est le big boss là ! Une fortune !
– Ah !… Je prends !… Oui allô ?
– Allô ! Ronan Le Boss !
– Monsieur le président ! Que puis-je pour vous ?
– Nous cherchons à renouveler notre image de marque ! J’ai dit à mes collaborateurs que je choisirais moi-même notre nouveau slogan ! Vous avez une idée ?
– Vous abandonnez « Titi les tous petits prix » ?
– Ce slogan a fait son temps ! Vous avez déjà acheté chez nous ?
– Euh… à vrai dire je dois concéder que non.
– Oh mais ne soyez pas gêné ! Vous ne croyez tout de même pas que moi-même j’achète ce que je vends ?
– Oui… disons que c’est un peu pour, comment dire ?… Les petites bourses ?
– Vous savez quelle est ma seconde activité ?
– Désolé, non.
– Je vends des crédits à la consommation ! Cela va de paire ! Vous visez les petites bourses mais dès lors que vous vendez de la merde, la nécessité de remplacer les objets les ramène souvent chez vous. Il faut donc leur donner les moyens d’acheter et en tirer quelque chose. Nos prix sont petits mais nos taux sont hauts !
– Pourquoi changer de slogans maintenant ?
– Baisse de la fréquentation, la concurrence est rude !
– Il faudrait quand même que nous allions faire un tour dans une de vos boutiques pour nous faire une meilleure idée.
– Olala c’est pas la peine ! Je veux juste la formule qui tape à l’oreille ! Chez nous c’est simple ! C’est l’empire du plastique de mauvaise qualité mais pas que ! On vend de tout et expressément des choses dont les gens n’ont pas besoin ! Ils ont besoin d’une chaise de jardin, on a ça en rayon ! Elle durera pas longtemps mais l’essentiel c’est que le jour de l’achat le client pense à acheter un jouet pour le chien, des bonbons qui dissolvent les dents pour les gosses, une brosse à chiottes farce et attrape, un déguisement pour Halloween qui donne de l’eczéma, une crème anti-eczéma qui donne des boutons ; vous voyez l’idée ? Que de la merde mais pas chère et les gens repartent avec des sacs bien garnis ! Ça les rassure ! Un pauvre, hein ? Mettez deux assiettes dont l’une contient le meilleur macaron du monde et l’autre un kilo de choucroute en boite premier prix, il va pas choisir le macaron ! C’est ça la société d’abondance ! Je pourrais avoir un slogan du genre « Titi œuvre pour le bien public » mais ça sonne pas !
– C’est vrai mais y a de l’idée ! Si on abandonne la référence aux petits prix tentons le pari inverse ! Faisons référence à quelque chose de… smart !
– Certainement mais quoi ?
– Eh bien… Ce qui caractérise votre clientèle, ce n’est pas son talent créatif n’est-ce pas ? Elle ne fait globalement pas partie des gens performants et innovants ?
– C’est à craindre !
– Laissons-lui supposer le contraire ! Laissons-lui croire qu’à défaut d’être performante dans son travail, elle est performante dans ses achats ! Qu’elle achète des choses smart !
– Oui mais un truc qui sonne à l’oreille hein ?
– Attendez !… Attendez !… Je sens que je l’ai !… Bon sang ! Mais c’est bien sûr !
– Dites-moi !
– Titi, des idées de Génie !
– Titi des idées de génie ?… Mais c’est ça ! Absolument ! C’est ça ! Titi des idées de génie !
– Pour les visuels vous écrirez le G de génie en majuscule !
– Mais oui ! Tout à fait ! J’adore l’idée ! Une vraie idée de Génie ! Jérôme ! Vous êtes un Génie !
– Venant de vous, ça me touche monsieur Le Boss !
– J’achète ! Combien ?
– Je vous laisse négocier cela avec mon président !
– Parfait ! Merci Jérôme et au plaisir !
– Au revoir !… Bon je vais fumer ! A ton tour de bosser !
– Traîne pas ! La réunion avec Notre boss est dans 5 minutes !
Tutintintintin tintintintin tintintintin trrrrrrulululululu… Tutintintintin tintintintin tintintintin trrrrrrulululululu…
– Allô ?
– Rémy ? Les Terriens de la terre au bout du fil !
– Jeanine ! J’ t’ai déjà dit que le fil s’arrête à ton bureau !
– Façon de parler ! Tu prends ?
– Je prends !… Oui allô ?
– Bonjour Rémy ! Florence Tourteau des Terriens de la terre, vous vous souvenez ?
– Oui, oui, parfaitement. Comment allez-vous ?
– Très bien, merci. Avant tout je voulais vérifier avec vous. D’après l’application on n’a plus que 682 euros de crédit chez vous ; pourtant la dernière fois j’ai demandé que 5 slogans et le dernier débit n’est pas du tout ce qui était convenu.
– C’est sûrement à cause de la clause diffusion média national ! Si une pancarte est passée en gros plan au JT de la 1 ou sur BFM, forcément c’est plus cher. Faudrait que je vérifie mais c’est pas moi qui m’occupe de ces choses-là !
– OK, j’aimerais bien avoir le lien images dans ce cas. Du coup pour la prochaine manif je vais prendre que 3 slogans, histoire d’être sûre de ne pas dépasser.
– Ou faites des pancartes petites, la probabilité est moindre !
– Non ! A la limite si vous me trouvez un truc énorme, j’en prends qu’un et je le peins sur 10 mètres de long !
– C’est vous qui voyez.
– Bon. Vous avez quelque chose pour moi ?
– Du coup on va pour trois ?
– Oui, trois c’est bien.
– Vous avez de quoi noter ? On a fait un peu long cette fois-ci.
– J’ai une excellente mémoire.
– Comme vous voulez. Alors en 1 j’ai : « Les clima-Taupes sceptiques sont-elles de plus en plus myopes ?". En 2 : "Gaz à effet de cerfs ! Seuls les chasseurs se frottent les mains !"
– J’ai pas compris là !
– Serre écrit c-e-r-f-s.
– OK !… Bof.
– Et en 3 : "Réchauffement climatique > chute des ventes de fourrures à pétasses ! Les crocodiles ont du souci à se faire !"
– Trop long et franchement machiste !
– C’est une manif pour le climat ou l’égalité homme-femme ?
– Ça laisse suggérer que les femmes participent plus au réchauffement que les mecs !
– Y a une étude qu’est sortie là-dessus qui…
– Vous fatiguez pas ! Je prends les 3 ! C’est pas terrible mais peu probable que quelqu’un d’autre ait les mêmes idées à la con, c’est tout ce qui compte !
– OK je valide le débit. 300 euros tout rond sauf surcote médiatique !… Ah ! Attendez ! Cela vient de déclencher une promotion ! Vous avez droit à une idée gratuite !
– Dites toujours !
– Il s’agit d’un dessin ! Un énorme taon est posé sur le globe terrestre et le suce substantiellement, le globe a des allures de ballon dégonflé. La légende dit « Sale taon pour la planète !»
– C’est tout ?
– Dans notre croquis le taon porte une perruque jaune mais vous pouvez aussi lui dessiner la tronche à Macron.
– Ah ?… Bon OK ! Si c’est gratuit...
– Eh oui ! Avec nous on en a pour son argent.
– Voire !
– Rappelez quand vous…. Mais qu’est-ce qu’ils ont tous aujourd’hui ?
Tutintintintin tintintintin tintintintin trrrrrrulululululu…
– Allô ?
– Il arrive !
– Tu peux appeler Jérôme par la fenêtre ? Il est descendu fumer !
– OK !
…
– Au boulot Rémy ! J’ai pas beaucoup de temps ! Il est où Jérôme ?
– Il arrive !
…
– Il fume beaucoup non ?
– Oh non ! Très peu !
…
…
– Je suis juste venu pour les clips pub… Ah !… J’ai failli attendre ! Dites donc Jérôme, vous roulez en quoi ?
– En Audi !
– Diesel ?
– Essence ! Pourquoi ?
– Y a un mec haut placé qui m’a demandé de lui donner une définition du mec ringard au 21ème siècle ! Je lui ai répondu sans réfléchir : « Le mec qui fume des clopes et roule en diesel ! »
– Je vois pas le rapport ! Vous fumez bien vous !
– Que des cigares !
– Oui ben c’est facile alors ! Je remplace clope par cigare et ça change quoi ?
– Ça change qu’il paye pas pour cigare mais paye pour clope parce que le cigare c’est pas ringard ! Et je suis sûr qu’il va la placer dans l’année !
– C’est qui ?
– Vous le saurez en temps voulu !
– Du coup je me demandais si le petit génie allait être complètement ringardisé dès 2018.
– Pff.
– Bon. Au boulot ! On commence par qui ?
– BforBank.
…
...
– « Si j’ai réussi, c’est grâce aux conseils de ma femme, alors quand elle m’a recommandé sa banque en ligne, j’ n’ai pas hésité. »
– C’est court, concis, sans imagination superflue. Bon boulot non ?
– Faut le dire vite ! Qu’est-ce que vous diriez si je débarquais avec mon vélo dans l’Open Space ?
– Vous êtes trop ringard pour rouler en vélo petit génie !
– Et vous en connaissez beaucoup des mecs qui disent « Si j’ai réussi c’est grâce aux conseils de ma femme ? »
– On est en 2017 Jérôme ! Mettez-vous à la page !
– Dans ce cas faut y aller franco ! Un truc du genre : « Si j’ai réussi c’est grâce au travail de ma femme ! » Au début du clip le mec qui parle a les pieds sur son bureau, il boit un café. Sur une moitié de l’écran y a sa femme qu’amène les gosses à l’école. Ensuite on la voit au taf sous les ordres d’un patron acariâtre ! A midi elle bouffe une légère salade sur un coin de son bureau tandis que son mari est attablé devant un plat gastronomique. Puis la nana récupère les gosses à l’école tandis que le mec discute à la machine à café. La nana prépare à manger tandis que le type boit un verre dans un after work. La nana étend le linge, tandis que le type conduit sa berline… essence. Ainsi de suite jusqu’à ce qu’ils se foutent au pieu !
– Et il la viole pendant que vous y êtes ?
– Non mais quitte à dire : « Si j’ai réussi c’est grâce à ma femme ! » autant donner des raisons valables !
– Qu’est-ce que vous pourriez en savoir ? Vous n’êtes même pas marié !
– J’aime vous prendre en exemple.
Toc toc toc.
– Monsieur Le Blévic, votre femme est passée déposer votre costume. Elle vous fait dire d’aller au théâtre sans elle, elle aura du retard !
– Bon sang ! Elle est pénible ! Merci Jeanine !… Bon Jérôme, moi ce qui m’intéresse c’est de savoir s’ils ont répondu au cahier des charges. C’est pour ça qu’ils nous consultent prioritairement, pas pour tout critiquer !
– Oui ben là ils n’ont pas pris grand risque ! On checke ça si ça peut vous rassurer.
– Mais oui ! Allez ! Allez !
– « Ne pas mentionner le fait que la multiplication des banques n’apporte rien, que tout compte fait les innovations potentielles finiront de toute façon copiées par les géantes du secteur aux mêmes tarifs. » Y a bon ?
– Ben là ! Rien à redire !
– La banque en ligne ! Quelle connerie ! Comme si ma banque n’était pas en ligne !
– Continuons !
– « Ne pas laisser supposer que de toutes les activités lucratives, il en est une dont tout homme d’affaire ayant horreur de perdre aimerait obtenir l’agrément : la banque ! » Ah ben ça c’est sûr que ce couillon qui parle de sa femme, il va pas donner un cours de finance au commun des mortels ! C’est validé ?
– Qu’est-ce que vous en dites Rémy ?
– Je suis un peu de l’avis de Jérôme alors je pense qu’on devrait juste leur dire de rajouter « aussi » entre « c’est » et « grâce ». « C’est aussi grâce à ma femme. » c’est vraiment mieux que « C’est grâce à ma femme. »
– OK ! C’est bon pour moi ! La suivante ?
– La nouvelle pub Mc Do sur le service à table cartonne paraît-il.
– Normal, elle est complètement con ! J’ai rarement vu un truc aussi débile et exaspérant de ma vie ! Auditivement surtout ! Ils l’ont massacrée la chanson !
– Ils veulent préparer l’épisode II.
– C’est juste un appel à candidater, on tente quelque chose Yves ? Répondez pas non parce que j’ai déjà bien bossé dessus !
– Vous avez l’épisode I ?
– Je vous montre la version courte, celle qui passe en ce moment est franchement trop longue.
– Ben faut croire que non.
...
« Ils sont à table, depuis qu’ils sont assis ils rient ils parlent ensemble, et on n’existe plus pour eux. Ils sont à table, chez Mc Do, et voilà qu’on dépose les plateaux. Ils n’ont plus besoin de nous, ils nous ont largués pour de vrai, ils s’amusent mieux sans nous. Mc Donald’s propose le service à table, pour se retrouver ensemble... à table. »
– C’est une reprise de qui déjà ?
– Bonnie Tyler.
– Ah oui, j’aimais bien. Vous êtes déjà allés au Mc Do ?
– Pas vous ?
– Je n’en ai pas le souvenir. Mais alors ? Avant y avait pas de table ?
– Ben si ! Sauf qu’ils servaient pas à table !
– Mais ça change quoi au juste ?
– Ben maintenant on commande, on trouve une table libre et on attend qu’on nous amène la bouffe.
– Mais du coup, c’est servi dans des assiettes ?
– Mais non ! C’est comme avant mais quelqu’un apporte les plateaux !
– Donc… si je comprends bien… avant les gens mangeaient à table et maintenant ils mangent à table.
– Oui mais on amène les plateaux !
– Je comprends pas cette pub.
– Y a rien à comprendre Yves ! Ils veulent juste éliminer peu à peu leur image de roi de la malbouffe puisque dans ce domaine tout le monde arrive à rivaliser ! Donc ils essayent de se faire passer pour de vrais restaurants. C’est en ce sens que cette pub fonctionne. Ce n’est pas réellement une référence à l’ancien fonctionnement de Mc Do puisque le changement est très relatif dans bien des cas. L’idée c’est de dire qu’ils sont dans un restaurant où on prend le temps de manger. Et si on prend le temps de manger, tout le temps qu’on gagnait en mangeant à la va-vite est perdu. D’où la complainte de la TV qui se sent délaissée ! Mais en fait rien n’empêchait avant de squatter tout un après-midi une table de Mc Do ! Cela a même toujours été réputé pour ça, un endroit où on vous met pas trop la pression si vous ne consommez pas ! Parfait pour attirer les basses classes !
– Et donc, bientôt cela ne devrait plus être le cas ?
– Ah ben ça, j’imagine que s’ils cherchent à monter en gamme, il va falloir faire un peu le ménage.
– Mais la bouffe en elle-même ?
– Toujours pareille !
– Hum… Une pub qui laisse penser à un changement qui n’en est pas un. Malin… très malin.
– Vous croyez qu’il faudrait rester dans ce schéma-là ?
– Certainement. Vous aviez une autre idée ?
– Je pensais prendre le côté totalement opposé. Mais c’est sans doute trop subjectif. Cette pub m’exaspère tellement !
– Dites toujours !
– Comme la parodie de Bonnie Tyler a assuré le succès de l’épisode 1, je pense qu’il faudrait tout de même rester sur la même bande son. L’idée serait par contre d’axer le clip sur le vrai confort apporté par le service à table. Avant vous arriviez chez Mc Do, vous faisiez la queue un bon moment aux heures de pointe, vous en profitiez pour choisir, puis vous passiez commande et ils tentaient de vous l’assembler en un temps record vu que tout était déjà prêt en amont ! Après fallait s’extirper du comptoir en se faufilant au milieu de la foule avec un plateau chargé. Le coca renversé chez Mc Do c’était presque une signature maison. Maintenant qu’ils ont mis des écrans de commande partout, on arrive et on peut probablement passer commande immédiatement. Puis on choisit une table et on attend d’être servi. Forcément c’est du confort en plus ! Alors je propose de marquer clairement la différence avant-après en forçant le trait et en montrant une file d’attente à l’ancienne où tout dégénère ! Pas d’état d’âme mais un vrai mea-culpa ! Avant nous étions des barbares et nous sommes désormais civilisés ! Plateaux qui tombent ! Racailles qui squeezent la file d’attente au détriment de gentilles familles. Bagarres. Commandes incomplètes. Manager qui hurle sur les équipiers. Comptoir dégueulasse avec un gros plan sur le seul être paisible de la salle : une souris qui grignote un sachet de cacahuètes ! Seulement à la fin du clip on perçoit la différence avec le monde d’aujourd’hui où tout n’est qu’ordre et beauté, luxe calme et volupté.
– Intéressant.
– Attendez ! J’ai bien travaillé mon sujet et je peux vous la faire en Live ! J’ai la musique!Attendez !… Voilà ! Attention ! Bonnie Tyler, Total Eclipse Of The Heart, réécrite et interprétée par Jérôme Jourdain pour Mc Donald’s ! Place à l’artiste ! C’est parti !
Prends la file
Chez Mc Do s’égrène en tête le bruit du tic honni, et ces cons qui tournent en rond
Prends la file
Chez Mc Do se prennent la tête des flics et des barges, c’est un ring où seules les secondes s’étirent
Prends la file
Chez Mc Do ta peine c’est d’être une frite dans du couscous, on y parle mieux l’arabe qu’au Kebab
Prends la file
Chez Mc Do ta peine c’est d’être un hérétique sans courage, une galaxie dessous les nuages
Prends la file, on partage !
Tous les maux, les peines, les faux départs !
Prends la file, on partage !
Tous les maux, les peines, les faux départs !
Prends la file
Chez Mc Do ta peine c’est d’ faire un trip dans le tas d’ graisses
Et ta prime c’est les mains sales
Prends la file
Chez Mc Do ta peine c’est d‘ faire les frais de ses promesses
Dans sa cuisine même le congelé rend l’âme
Prends la file
Chez Mc Do ta peine c’est d’être un cardiaque en sursis
Le Mc Do, le spot des alarmes qui braillent
Prends la file
Chez Mc Do la haine te jette ta petite frite sur la dalle
Ta peine, souffrir mille coups pour une paille
Prends la file, on partage !
Chez Mc Do la gêne c’est un faux pas !
Prends la file, on partage !
Chez Mc Do la gêne c’est un faux pas !
J’ai pas pris un coca light
Et j’ n’ai pris ni porc et ni pneu
Je n’ mange ni souris ni rates
Est-ce du pudding ou bien des œufs ?
Y a un esprit Burger King en moi
Car il vous met dans l’ombre
Tous ces bœufs qui sont steaks [frites ?] la mort deux fois dans l’âme
Désossés par des crados sortis tout droit du bagne (tout droit du bagne)
Mais j’en voudrais un bout sans même passer par le parc
Le morning à toute heure, egg et muffin hors -sac
J’en ai ma claque de ce Mac !
J’ voudrais être servi à table !
J’ voudrais être servi à table !
Il était une table où Mc Donald’s innove
Où on se sent comme dans son appart
On n’attend plus debout
Plus personne ne glisse sur son shirt
Il était une table où Mc Donald’s innove
Où on se sent comme dans son appart
On n’attend plus debout
Plus personne ne glisse sur son shirt
Clap Clap Clap
– Alors là ! Chapeau ! J’ignorais que vous aviez un si joli brin de voix ! Vous passez vos week-end dans les karaokés ?
– Mais non ! Guitar Hero voyons !
– Connais pas. Bon ben c’est parfait ! On ne va pas candidater pour cette pub !
– Ben pourquoi ?
– Non mais Jérôme, voyons ! Qu’est-ce qu’elle vous a fait cette boite ? Vous avez bossé chez eux ou quoi ?
– Mais pas du tout ! C’est conceptuel !
– Allez, entre nous ! Vous avez des griefs !
– Mais pas du tout. J’y vais tout le temps ! Bon, c’est vrai que des fois c’est abusé hein ! L’autre fois je vais à la Mc Express et je demande bien à la greluche si tout est bien dans le sac ! Elle me dit que oui et j’arrive ici, qu’est-ce que je constate ? Ni paille ni serviettes !
– Et alors ? Y en a de partout ici des pailles et des serviettes Mc Do ! Cela commence à me gonfler d’ailleurs !
– C’est pas la question ! J’achète un menu, j’ai droit à une paille et deux serviettes bordel !
– Bref ! La prochaine fois vous lancez pas dans un gros travail avec des états d’âme ! La meilleure façon de se faire recaler et je vous paye pas à faire des projets foireux !
– J’ai fait ça de chez moi figurez-vous !
– Oui ben ça risque pas de compenser toutes vos pauses illicites !
– C’est pas dit !
– Bon. Le débat est clos ! Sachez que j’ai eu un type de LREM tout à l’heure. Enfin… un deuxième.
– Parce que l’autre c’en était un aussi ?
– Chut ! C’est un secret !
– C’est drôle ! La ministre de la santé nous a demandé conseil sans même vous demander. Et vous, c’était qui le deuxième ?
– Je vous rappelle que ceux qui ont mon téléphone personnel ont droit à l’anonymat. Il m’a demandé conseil pour faire une loi qui apparaisse être un geste fort en faveur des entreprises et du commerce.
– Encore ?
– C’est leur credo et je trouve aussi que ça commence à se voir un peu trop et que cela risque de devenir contre-productif.
– Vous lui avez conseillé quoi ?
– Je lui ai suggéré de faire un geste fort pour l’environnement ! Enfin… plus précisément il s’agit d’un geste censé noyer le poisson !
– Dites-nous en plus !
– Je lui ai dit de programmer la fin obligatoire des tickets de caisse en prétextant qu’il s’agit d’une source majeure de destruction forestière et de pollution. De nombreux magasins proposent l’envoi d’un ticket dématérialisé vers une adresse mail mais d’autres ne franchissent pas le pas car ils craignent de voir la part la moins fidèle de leur clientèle partir à la concurrence. Il reste donc possible pour les gens de faire leur course de manière relativement anonyme. Pour que les enseignes puissent avoir un fichier client plus pertinent et mieux cibler leurs attaques publicitaires, certains envisagent de rendre le paiement en liquide illégal. C’est largement moins efficace que de passer par les tickets de caisse ! Lorsque vous payez par des moyens numériques votre banque finit par en savoir beaucoup sur vos habitudes, mais pour ce qui de rentrer plus dans le détail, elle en saura moins que l’enseigne qui a des clients enregistrés chez elle. Imaginez-vous à la place d’une très grande surface qui a su rendre captive une grosse proportion des habitants des environs. Elle peut leur vendre pratiquement tout ce dont ils ont besoin ! Des voyages, des forfaits téléphoniques, des prêts divers, en plus de tout ce qu’ils mangent ou consomment au quotidien. Le consommateur d’une telle enseigne se sent valorisé et pense faire des affaires en évitant au maximum de lui être infidèle. C’est bien, mais l’ambition doit être de ramener dans le droit chemin les réfractaires au progrès. Si demain vous interdisez les tickets de caisse, celui qui refuse de donner son adresse mail pour qu’on lui envoie un ticket électronique n’aura aucun recours en cas d’erreur. Naturellement la plupart des consommateur préférera décliner son identité numérique !
– Il y a un biais dans votre raisonnement Yves ! Vous parlez de grandes enseignes comme un Carrefour ou un Leclerc, dont on suppose qu’ils en savent déjà beaucoup sur une part conséquente de leur clientèle. Cependant vous oubliez que les gens qui font vraiment de la consommation un art de vivre, au point de ne rien envisager sous un autre angle, sont aussi les plus susceptibles d’aller d’un commerce à l’autre. Or on n’a pas inventé un truc à la con comme le paiement sans contact en faisant miroiter aux gens qu’ils allaient gagner un temps fou dans leur vie grâce à cela, et ainsi en consacrer plus à la lecture ou au jardinage, pour finir par leur dire qu’à chaque fois qu’ils entreraient dans une boutique on leur demanderait désormais : « Vous avez un compte-client ? » « Non pas du tout ! C’est la première fois que je viens, mais j’adore, vraiment ! » « Je peux vous demander une adresse mail ? Pour le ticket de caisse ? » « Oui parfaitement ! » « Je vous écoute. » « Alors c’est « Jesuisunpigeonainsiqueledidondelafarce, arobase, crétin.com » « Pigeon ça prend deux g ? » « Non, un seul. » « Parfait, merci ! Oh ! Attendez ! Vous êtes le deux millionième client enregistré dans notre fichier ! Vous aurez droit à cinq euros de bon d’achat la prochaine fois ! Pensez à bien activer votre compte en cliquant sur tous les liens qu’on vous enverra ! » « Super ! Merci ! » Vous comprenez que ça ne va pas tellement favoriser la fluidité des files d’attente !
– Ne pensez pas me prendre au dépourvu petit génie ! Si vous avez la vue courte comprenez que ce n’est pas mon cas, raison sans doute pour laquelle c’est moi le chef ! Ce que vous soulignez est effectivement problématique, et c’est justement cela qui rend la chose fantastique ! Tenez ! Donnez-moi votre numéro de sécu !
– Et puis quoi encore ?
– Vous pensez bien que j’en dispose à mon aise ! Je suis votre employeur !
– Ben alors, pourquoi vous demandez ?
– Pour vous démontrer qu’à partir de lui on vous décline une identité de citoyen et qu’il suffit de rajouter une clé, ou bien même ne rien rajouter du tout, pour que ce numéro de sécurité sociale devienne un numéro de consommateur ! Vous avez une carte de sécurité sociale, vous aurez une carte de consommateur ! Vous n’aurez pas le choix de toute façon, pour tout achat vous devrez présenter cette carte, mais en fait ce sera la même que la carte de paiement, ou ce sera votre téléphone, et plus certainement à la longue un implant sous-cutané.
– Oui effectivement vu comme ça… C’est sûr que ce sera forcément très efficace. Mais enfin… je sais pas si j’ai vraiment envie que mes gosses grandissent dans un tel monde !
– Vos gosses ? Vous n’avez même pas de femme !
– J’ai pas dit que je n’en aurai jamais. Votre projet, là, c’est quand même un peu…
– C’est un peu quoi ?
– Totalitaire !
– Mais voyons Jérôme ! On serait en Chine ou dans un pays communiste, je comprendrais vos inquiétudes mais quand même ! Ici c’est le capitalisme occidental ! Le monde libre par qui tout est devenu possible quand nos ancêtres pas si lointains crevaient de faim en jeune âge, trimaient comme des chevaux de trait, se pelaient les miches et s’éclairaient à la bougie. Ayez confiance en la résilience de nos institutions !
– Oui, enfin, elles n’ont pas non plus traversé des millénaires.
– Peut-être mais je suis intimement convaincu que nous avons construit en occident la forme ultime de gouvernement de sorte que les institutions capitalistes dureront bien plus longtemps que la civilisation égyptienne
– J’en suis pas si sûr.
– Vous en pensez quoi Rémy ?
– Je suis un peu de l’avis de Jérôme.
– Et après c’est moi le vieux rétrograde. Vivez avec votre temps !
– Oui ben pour l’instant vous êtes en train de fabriquer l’avenir ! On a le droit de l’envisager autrement aussi !
– Vous ne voyez que le mauvais côté des choses ! Vous pensez qu’on va vous abreuver de publicité jusqu’à la lobotomie ! Mais regardez autour de vous ! La pub est déjà partout et c’est grâce à elle que vous avez des revenus aussi confortables ! Mais comme l’a montré Jérôme, certaines publicités qui passent en boucle sont insupportables aux uns quand elles paraissent géniales aux autres. La publicité ciblée c’est le droit d’avoir les publicités qui vous correspondent et c’est votre meilleure chance de récupérer une part de cerveau disponible pour faire autre chose que consommer. La publicité ciblée c’est un monde moins consommateur et plus citoyen.
– Moins consommateur… Hum… Admettons ! Mais à votre élu vous lui avez vendu ça comment ? Faut quand même que ça paraisse crédible en termes de geste fort pour l’environnement.
– C’est du papier en moins et de plus les encres utilisées ont mauvaise réputation.
– Cela me paraît relativement anecdotique tout de même.
– Ah mais ça l’est ! D’autant plus si on compte la consommation énergétique des data centers. En termes d’action environnementale on est totalement au raz des pâquerettes mais on s’en fout ! Suffit de savoir le vendre !
– C’est quand même plus facile quand y a un fond de vérité.
– J’ai conseillé à cet élu d’appuyer aussi le côté économique. Les gens se plaignent sans cesse que la vie est de plus en plus chère quand l’Insee calcule des indices d’inflation proche de zéro. Mais souvent on n’a qu’une mémoire approximative des prix passés et ceux qui ont gardé les tickets à travers les années constatent qu’ils sont faits d’une encre aussi peu durable qu’elle est écolo. Avec un numéro de consommateur chacun aura une trace fiable de ses consommations passées. On créera des applications qui permettront à chacun de calculer son propre indice des prix selon ce qu’il consomme réellement et non pas selon le panier moyen du consommateur moyen. Le citoyen n’aura plus l’impression que le gouvernement lui raconte des sornettes !
– Oui, ça peut marcher.
– En tout cas je peux vous assurer qu’il était tout à fait convaincu ! Alors ? C’est qui le patron ?
– C’est vous.
– Bon. Bon boulot tout de même. On se voit demain ! Remuez vos méninges !
…
...
Tutintintintin tintintintin tintintintin trrrrrrulululululu…
– Quand est-ce qu’on change de sonnerie ! Elle est tarée celle-là !
Tutintintintin tintintin…
– Allô ?
– J’ai vu que le boss était sorti alors je te passe une maman inquiète !
– OK !… Oui allô ?
– Bonjour ! Catherine Bachot, j’ai un compte famille chez vous.
– Oui. Que puis-je pour vous aujourd’hui madame Bachot ?
– Eh bien j’ai suivi vos premiers conseils à la lettre.
– Rafraîchissez-moi la mémoire !
– J’ai tout acheté comme vous m’avez dit ! Le téléphone et la tablette !
– Pour ?
– Ben pour le petit ! Vous ne vous souvenez pas ? Celui de deux ans qui nous pourrissait la vie parce qu’il pleurait tout le temps. On lui a pris un téléphone 4G et une tablette comme vous nous avez conseillé et on est très content du résultat ! Le gosse est littéralement captivé et on ne l’entend plus ! Comme mon mari est assez bricoleur il a réussi à fixer la tablette de manière à ce que le gamin puisse l’utiliser sans peine dans son lit.
– Astucieux.
– Comme j’ai encore du crédit j’aimerais un conseil pour sa grande sœur de quatre ans.
– Elle vous embête aussi ?
– Oh pas trop. C’est une petite fille bizarre mais plutôt facile et nous mettons tous nos espoirs en elle. Seulement les temps sont difficiles pour les parents et nous voulons être sûrs de lui donner des habitudes qui lui permettront d’être parfaitement adaptée au monde à venir.
– Oh mais pour cela je ne saurais trop vous conseiller, et je le ferai à titre gracieux, d’adopter la même méthode qu’avec le petit : des écrans, des écrans, des écrans ! Seulement, si c’est une petite fille intelligente, il faut nourrir sa curiosité en achetant les meilleurs jeux d’éveil. J’ai d’ailleurs vu une publicité d’un jeu qui semble très intéressant : « Je gère mon premier compte en banque comme un grand. » C’est à partir de trois ans.
– Je l’ai déjà ! Elle est très douée pour les jeux ma fille. Non ce qui m’inquiète, c’est qu’elle semble aussi très à l’aise avec des crayons. J’ai peur qu’elle prenne des habitudes archaïques qui pourraient à terme inhiber le développement de sa personnalité numérique.
– Je ne crois pas qu’il y ait lieu de vous inquiéter ! On a beau être civilisés, nous gardons les instincts primaires de nos lointains ancêtres. Bien sûr, si elle passait ses journées avec un crayon en main, il faudrait rapidement consulter le pédiatre, voire même le psychiatre. Un enfant normal ne devrait de toute façon pas rester concentré plus de cinq minutes sur une même activité. Il a beaucoup de trop de choses à apprendre et découvrir pour se focaliser sur un seul sujet, c’est très enfermant. Grâce aux tablettes et téléphones connectés vous vous assurez de lui ouvrir le monde en grand. Finalement vous n’avez pas vraiment besoin de conseils, vous faites déjà tout très bien.
– Oui mais… ce qui m’inquiète c’est qu’elle adore les fruits et les légumes !
– Ah ! Voilà qui est plus embêtant. Quand vous dites qu’elle adore ça, c’est à quel point ?
– Au point de préférer une pomme à un Kinder Bueno !
– Oh ? Pas au point de préférer des blettes à des bonbons Haribo tout de même ?
– Si si !
– Oulala ! C’est bizarre quand même !
– Vous croyez que c’est grave ?
– Il y a cent ans je vous aurais donné une toute autre réponse mais l’ennui c’est que les projections actuelles ne sont pas très engageantes pour les adeptes de nourriture non-transformée. Procédons par étape ! Comme elle est encore petite, il est encore temps d’agir pour faire en sorte que son corps ne s’habitue pas à des choses vouées à disparaître. Déjà… quand vous parlez de fruits et légumes, c’est du Bio ?
– Oh non ! Nous on n’est pas là-dedans !
– C’est déjà un moindre mal. La terre sera bientôt intégralement contaminée par les pesticides et les OGM, donc les humains les plus à même de s’adapter seront sûrement ceux qui ont été exposés le plus précocement à ces substances. Si votre fille se bute devant les aliments transformés, vous pouvez tenter d’acheter des fruits et légumes dont on sait qu’ils viennent de pays en avance sur leur temps. Des fruits chinois seront sûrement plus riches en pesticides, des légumes brésiliens sans doute OGM. Si elle est si frugivore, elle verra sûrement d’un bon œil ce qui est exotique.
– Oui c’est pas bête.
– Et pour l’amener à ingérer des produits transformés vous pouvez la feinter un peu.
– Comment cela ?
– Vous avez un mixeur ?
– Bien sûr ! J’en ai trois même !
– Préparez-lui des jus avec ses fruits et légumes préférés ! Mettez tout ce qu’elle préfère dans le mixeur quand elle vous regarde ! Mais rajoutez discrètement des substances chimiques qui imitent le goût de ses aliments préférés. Au préalable elle ne verra pas la différence et peu à peu vous pourrez rééduquer son goût en penchant de plus en plus vers la chimie. Cela vous permettra dans un premier temps de vous assurer qu’elle ne grandit pas avec des carences. Si elle ne mange pas de céréales enrichies elle risque de très graves déficits en vitamines et minéraux. On ne peut pas se nourrir de fruits et légumes dans les conditions agricoles actuelles ! Il faut des vitamines de synthèse, c’est absolument indispensable ! Le mixage est parfait pour ça !
– Vous me faites peur là ! Vous croyez qu’il est déjà trop tard ?
– Non non ! Quatre ans, il est encore temps d’agir ! Surtout si elle a un poids et une taille normale.
– Ben étonnamment elle est même au-delà de la moyenne. De toute façon cette gamine ne fait rien comme les autres. Parfois j’ai même l’impression que je me suis trompée de bébé à la maternité, elle me ferait presque honte !
– Comment cela ?
– Elle dit bonjour et merci à des étrangers dans la rue !
– Ah oui ! C’est pour le moins original !
– Vous la mettez sur un tricycle, elle fait attention où elle va, elle s’arrête pour laisser passer ceux qui arrivent en face. Elle semble se soucier de tout un chacun.
– Ah oui… c’est… euh… Disons que si dans les mois à venir cet altruisme exagéré n’a pas tendance à se résorber, je me demande s’il ne faudra pas consulter tout de même.
– Vous croyez ?
– Certainement, car c’est un défaut qui pourrait devenir franchement handicapant à l’avenir. Un enfant qui ne fait pas sienne la devise « Chacun pour soi, tous contre tous et tous contre un ! » hypothèque gravement son avenir.
– Ah mais c’est ma devise préférée ! Seulement j’ai parfois du mal à inculquer mes valeurs à ma propre fille. Vous comprenez mon désarroi ?
– Parfaitement. Mais vous savez, il y a des moyens de faire passer indirectement des messages !
– Comment cela ?
– En présélectionnant ce qu’elle est amenée à consulter sur le net. Il faut bien sûr lui laisser croire que le choix vient d’elle-même. Vous pouvez aussi faire appel à la société « My Child Mind » qui développera à votre intention des annonces truffées de messages subliminaux.
– Cela doit être hors de prix !
– Oui mais il faut voir cela comme un investissement sur l’avenir. Il y a des banques qui prêtent pour cela !
– Quand même…
– Sinon, pour un budget plus modeste… cela peut paraître là aussi archaïque mais peut être redoutablement efficace : il y a l’hypnose !
– L’hypnose ? Pour une gamine de quatre ans ?
– Parfaitement ! C’est tout à fait à propos dans votre situation. Si vous faites un troisième enfant il pourra peut-être bénéficier d’un programme de lobotomie technologique mais d’ici quelques années votre fille ne sera déjà plus éducable. Donc il faut agir vite et l’hypnose pourrait vous rendre de grands services pour un prix modique.
– Bon. … En parlant de prix, j’en suis où là ?
– Attendez ! Je regarde !… Temps. Coef de pertinence des conseils. Valeur sociale future. Le logiciel calcule ça à 237 euros ! Il vous reste 165 euros ! On continue ?
– Non non ! C’est assez pour aujourd’hui ! Merci pour vos bons conseil Rémy !
– A votre service.
– Au revoir et à bientôt !
– Au plaisir !
Tutintintintin tintintintin tintintintin trrrrrrulululululu…
– Allô ?
– Rémy ? Un certain Titouan Lamisou au bout du fil ! Pas client chez nous mais qui pourrait l’être si tu es convaincant !
– OK ! Je prends !… Toucons, Rémy Desnoyaux, que puis-je pour vous ?
– Bonjour monsieur Desnoyaux. Titouan Lamisou. On m’a donné votre numéro parce qu’il paraît que vous pourrez m’aider.
– C’est fort possible ! Quel est votre problème ?
– Mon problème c’est que j’aimerais être riche sans rien foutre !
– Ah ? Vous savez que ça ne tombe pas du ciel, il faut toujours un minimum d’investissement personnel.
– Si c’est un minimum alors je veux bien faire un effort. Vous proposez quoi ?
– Eh bien nous pourrions vous donner une idée à la con géniale !
– De quel genre ?
– Du genre industriel. C’est en cela qu’il y a besoin d’un peu d’investissement personnel, et, c’est à craindre, une mise de départ personnelle.
– En plus de ce que je devrai vous donner si vous me donnez une idée à la con géniale ?
– C’est à craindre.
– Ah !… Si c’est une idée pour laquelle une banque est prête à me suivre, pourquoi pas ?
– Nous ne fournissons que des idées à la con géniales donc bancables !
– Vous pouvez m’en donner une gratuitement, pour que je puisse juger par moi-même ?
– Je crains que non ! Il faut ouvrir un compte conseil au préalable.
– Mais comment je peux juger de la valeur de vos conseils ?
– Eh bien je peux vous donner des exemples d’idées à la con géniales qui ont parfaitement satisfait les demandes de nos clients.
– Vous feriez cela ?
– Parfaitement. Ces idées se sont déjà concrétisées chez nos clients, vous ne pourrez donc rien en faire efficacement.
– Alors je vous écoute.
– Vous savez ce qu’est une palette ?
– Ben oui !
– Sachez qu’il en existe en bois, cas le plus courant, et désormais de nombreuses en aggloméré ou en plastique. Les trois peuvent être de plus ou moins bonne qualité mais dans les tous les cas, il est possible d’en fabriquer de très résistantes, notamment en plastique, le bois ayant l’avantage de la réparation et est plus écologique, le plastique et l’aggloméré permettent des formes favorables à l’empilage et au gain de place. C’est un vrai business la palette de qualité vous savez
– Oui je sais. Où voulez-vous en venir ?
– Qui dit business dit business parallèle. Voilà donc ce que nous avons proposé à un client qui voulait, comme vous, devenir riche sans forcer : nous avons imaginé pour lui une palette d’un nouveau genre : une palette faite de bois, de métal et de plastique.
– C’est quoi l’intérêt ?
– L’intérêt c’est de les vendre !
– Qui les achète ?
– Des gens qui veulent des palettes qu’on ne leur vole pas.
– Pourquoi elles ne sont pas volées ?
– Parce qu’elles sont beaucoup moins solides que celles de qualité en bois ou plastique. De plus elles sont conçues de manière à rebuter les ferrailleurs, pas assez de métal, et ceux qui volent les palettes pour se chauffer, trop compliquer de se débarrasser du plastique.
– Mais dans ce cas, pourquoi ne pas les faire solides ?
– Pour en changer plus souvent et aussi parce qu’une idée à la con doit pouvoir être rapidement mise en œuvre. Il faut éviter de faire des recherches trop poussées !
– OK !… Ben tant qu’à faire j’aimerais éviter de me lancer dans un business qui paraît totalement anti-écolo. Vous avez un autre exemple ?
– Parfaitement. Un truc qui existe depuis longtemps mais pour lequel le gros du marché restait à prendre : l’interphone parlant ! C’est complètement con donc absolument génial !
– Il parle. C’est à dire ? Il répond à la place des gens ?
– Pas du tout. Un interphone qui dit : « Nous sommes absents pour le moment ! » c’est possible mais c’est un peu un pousse au crime. Non ! L’idée à la con géniale c’est l’interphone qui dit : « Appel en cours ! Nous recherchons votre interlocuteur ! »
– Non mais ça c’est un téléphone du passé !
– Non non ! Vous prenez un immeuble de 4 étages et 8 logements et vous lui calez un interphone qui dit : « Appel en cours ! » C’est totalement idiot ! On a l’impression que le courant fait 30 fois le tour de la terre avant d’arriver à l’appart situé à moins de 30 mètres. Le type a qui on a vendu l’idée en a vendu plein ! Il est multimillionnaire !
– Mais qui achète ça ?
– Tout un tas de régies et de syndic pardi ! Il faut juste savoir vendre le truc ! Un interphone où on appuie sur un bouton et qui transmet l’appel instantanément comme une simple sonnerie de porte, ça fait pas moderne ! Ça existe depuis trop longtemps ! Là l’interphone parle ! Forcément ça plaît ! Et puis les régies aiment bien trouver des prétextes pour faire des travaux qu’elles surfacturent ensuite. Quand y aura des interphones qui parlent de partout, il sera temps de vendre l’interphone qui ferme sa gueule ! Vous en serez ?
– Ah ben si ça rapporte gros ! Je veux bien être de la partie !
– En attendant les idées à la con géniales c’est pas ce qui manque. Si vous vous lancez dans l’industrie… Allez, je fais une exception et je vous donne un demi-conseil gratuit, le filon qui dure depuis un bail et qui ne semble pas encore devoir s’épuiser, c’est la diode ! Le monde moderne ne souffre pas l’obscurité !
– Ah oui je pensais à ça l’autre jour ! J’y pensais en voyant mes détecteurs de fumée qui clignotaient depuis des années toutes les minutes ! C’est impressionnant le flash que ça fait ! Il est dit que cela permet de s’assurer du bon fonctionnement de l’appareil. Moi je pensais que lorsqu’il s’arrêterait de clignoter cela voudrait dire qu’il est à cours de batterie. Mais en fait non ! Pour dire qu’il est à cours de batterie il pousse des petits cris stridents insupportables et il clignote encore plus. Ma brosse à dent a le même genre de lubies !
– Voyez ! Donc il faut trouver des objets qui n’ont pas actuellement de diode et gagneraient à en avoir une !
– En termes utilitaristes ou commerciaux ?
– Commerciaux bien sûr ! Qu’est-ce qu’on s’en fout de l’utilité ? Au contraire, moins c’est justifié mieux ça se vend ! C’est d’autant plus vendeur quand ça tombe comme un cheveu sur la soupe ! Par exemple un frigo qui clignote chaque seconde en vert et passe au rouge pour dire qu’il se met en mode dégivrage. Ou mieux ! L’aspirateur qui a une diode orange permanente et se met à clignoter en vert pour qu’on lui vide son sac au beau milieu de la nuit alors que ça fait trois jours qu’on ne s’en est pas servi !
– Mais oui ! Ou alors pour remplacer les lampes de chevet qui ont des boutons fluo pour qu’on trouve l’interrupteur ! Le fluo c’est has been et dangereux pour la santé ! On met des diodes sur les interrupteurs !
– Ou la diode qui s’allume sur l’essoreuse à salade quand la salade a fait assez de tours !
– Ou le miroir qui clignote exactement là où on a un truc qui cloche ! Genre un raté dans le maquillage ou un bouton qui sort !
– Excellent mais ce serait un peu trop technologique pour nos conditions de gains rapides !
– Sinon… Des diodes sur les bouteilles ! Par exemple pour signaler si le vin ou la bière est à la bonne température ! Ou pour dire quand le coca n’a plus assez de gaz et qu’il faut le jeter ! Et des diodes sur les stylos pour dire qu’ils n’ont bientôt plus d’encre !
– Mais oui ! On ne fera que des stylos opaques ! Les gens anticiperont l’achat d’un nouveau stylo dès que la diode signalera un niveau d’encre bas ! Il suffira de régler le truc pour que les stylos ne soient jamais vraiment terminés ! Ainsi il y aura plus de vente de stylos !
– Mais oui !… Bon en même temps j’arrive jamais à en finir un de stylo, il tombe toujours en rade avant !
– Justement ! Si les gens achètent un stylo neuf pour remplacer celui qui est presque vide, ils laissent généralement de côté l’ancien et utilisent d’emblée le neuf. Mais cela leur donne une grande confiance en la marque ! Tandis que s’ils constatent d’eux-mêmes que le stylo est tombé en panne avant d’être vide, cela nuit à l’image de marque !
– C’est juste ! Cependant il faudrait vérifier que parmi toutes ces choses, certaines ne sont pas déjà en usage. Finalement ça a l’air assez facile d’avoir des idées à la con géniales.
– Détrompez-vous ! Détrompez-vous ! Là nous sommes sur le coup d’une émulation constructive ! D’ailleurs !... Oui j’en ai une super ! Une diode qui signale quand un robinet n’est pas bien fermé !
– Voilà un geste fort pour l’environnement !
– Mieux encore ! Toute une série de diodes allant de bleu-nuit à rouge-vif pour donner la température de l’eau !
– Mais oui ! En rangée sur le haut du robinet ! Tout le monde voudra avoir un robinet comme ça ! C’est un marché énorme ! Merci !
– Et on pourrait… Allô ?… Allô ?… Ben… Il a raccroché !… Il a raccroché ? L’enfoiré ! Pile au moment où j’allais lui donner l’idée à la con géniale du plafond de diodes qui imitent le ciel nocturne ! Ben je vais me la garder pour moi celle-là ! Petite bourse, la petite ourse ! Grande bourse, grande ourse ! Milliardaire, la sphère toute entiere !
Tutintintintin tintintintin tintintintin trrrrrrulululululu… Tutintintintin tintintintin tintintintin trrrrrrulululululu...
– Allô ?
– Rémy ? Tu crois pas qu’il serait temps qu’on installe une deuxième ligne dans cette salle ?
– Et alors ? Ça changerait quoi d’avoir deux lignes ? J’ai pas deux bouches !
– Ben quand t’es avec Jérôme au moins…
– Il passe son temps à fumer dans la rue. D’ailleurs… Ah ben non le revoilà !
– Ça tombe bien, y a monsieur Jean-Pierre Bick qui poireaute depuis cinq minutes. Il veut Jérôme !
– OK !… C’est pour toi petit génie !
– C’est qui ?
– Jean-Pierre Bick !
– Oh !… Allô monsieur Bick ?
– Non c’est toujours Jeanine !
– Et Bick ?
– Je te le passe !
– Allô ?… Monsieur Bick ? Cela faisait longtemps !
– Le temps de mettre en œuvre vos conseils !
– Vous en êtes satisfait ?
– Parfaitement ! Je crois que nous pourrons bientôt affirmer que nous sommes nous aussi une société sans usines ! Les marges explosent et les dividendes suivent !
– Laissez-moi deviner ! Vous cherchez les meilleures solutions pour pressurer la sous-traitance.
– Non, non ! On est bons là-dessus ! On voudrait juste passer à l’étape suivante mais au préalable on voudrait être sûrs de ne pas aller trop vite en besogne. C’est pour ça que je vous demande conseil.
– Dites-moi !
– J’ai mes centres d’appel dans des pays francophones à bas salaires, j’ai des sous-traitants dans toute l’Asie, j’ai optimisé ma fiscalité, j’ me dis que ça roule… Et puis le soir en sortant du bureau, je me retourne sur cette tour de 20 étages qui fait notre fierté et je me dis : « Tout ça pour ça ! »
– Tout ça pour ça ? C’est à dire ?
– Eh bien je me demande à quel montant je pourrais valoriser les 10 étages du bas si je les louais à une autre entreprise !
– Ah !… Ben écoutez ! L’immobilier c’est pas ma spécialité. Vous devriez demander cela à une agence.
– Vous me comprenez mal ! J’envisage de louer les dix étages d’en bas à une autre entreprise. Donc il reste dix étages à notre disposition. Vous voyez où je veux en venir ?
– Vous voulez des conseils pour réagencer vos bureaux et caser tout le monde dans deux fois moins de place ? Là aussi je crains que…
– Mais non ! J’ai viré tout le monde sauf le haut du panier qui est majoritairement employé dans cette tour. Soit ! Mais quand on a ôté le bas du panier, on se rend vite compte que le bas du haut du panier devient le bas du panier !
– Oui fatalement.
– J’aime pas les fonds de panier !
– Je le conçois mais il arrive un moment où la quantité résiduelle est incompressible.
– Ce moment n’est pas arrivé ! J’ai fait embaucher un neveu à moi spécialisé dans le massage et l’espionnage ! Sous sa couverture de masseur à toute heure qui passe de poste en poste pour proposer ses services à mes chers employés sur-tendus, il a en quelques mois parfaitement analysé leur productivité. Au final il s’avère que j’ai trop de tout ! Trop de monde aux ressources humaines, trop de monde au marketing, je crois que j’ai même trop de monde en recherche-développement tant ils passent de temps à boire des cafés !
– Ah mais vous savez ! Faut pas se fier aux impressions ! Pour beaucoup de gens le café est le carburant de l’esprit et du corps !
– La cocaïne a un bien meilleur rapport qualité-prix !
– C’est pas sûr !
– Si ! Du point de vue de l’employeur en tout cas ! Cela ne génère pas dix minutes de bavardage toutes les heures !
– Vous savez, souvent ces bavardages sont très utiles à…
– Le pire c’est le département informatique ! Ils sont d’une inefficacité notoire ! Je vais dégraisser méchamment ce mammouth !
– Vous ne pouvez pas vous priver de compétences informatiques ! C’est le nerf de la guerre !
– Qui parle de se priver de compétences ? Il paraît que l’Inde regorge d’informaticiens ! C’est bien le diable si je n’en trouve pas quelques centaines prêts à faire le boulot pour le tiers des salaires que je paye en France.
– Mais ils ne sont pas francophones en Inde !
– Mais y a pas besoin d’être francophones pour pondre des lignes de codes ! Au pire j’aurai juste besoin d’un petit département qui sert d’interface entre l’Inde et la France ! D’ailleurs, maintenant qu’on est une start-up nation, c’est bien le diable si y en a pas une qui conçoit des programmes à cette fin-là : délocaliser les informaticiens dans des pays du tiers-monde !
– Écoutez monsieur Bick ! Je ne dis pas que c’est un raisonnement qui ne tient pas la route mais là, vous la jouez un peu trop en solo !
– Comment cela ?
– Toutes ces grandes choses qui ont été possibles depuis quelques décennies, elles ne l’ont été que parce qu’il y a un code d’honneur !
– Voyez-vous ça !
– Pas un code écrit mais un code d’honneur tout de même ! Imaginez si toutes les entreprises faisaient comme vous !
– Grand bien leur fasse !
– Mais des gens qui ont fait de brillantes études supérieures se retrouveraient sans emploi et sans revenus ! Vous vous rendez compte des conséquences ?
– Réveillez-vous Jérôme ! On est dans un monde de concurrence !
– Mais pas à ce point-là ! Les gens brillants ont besoin d’avoir un emploi !
– Sinon quoi ?
– Sinon ils descendront massivement dans les rues !
– Et alors ? On a des CRS non ? A mon avis ils viendront facilement à bout d’une bande de Geeks biberonnés aux super-héros à la sauce Disney ! Le premier qui descend brailler dans la rue avec son slip Kangourou et sa cape rouge va se faire ratatiner par un Robocop républicain !
– Ah oui ? Et vous allez les vendre à qui vos produits ?
– A des chômeurs et des indiens ! Je vends pas des sacs Chanel !
– Non ! Non! Non ! Le système ne marche pas comme ça ! Cela ne peut pas marcher durablement comme cela ! On ne peut pas rompre l’alliance entre le capital et les cadres ! Il faut tenir compte des équilibres, des…
– Je tâtais juste le terrain ! Et une fois de plus je constate que la France n’est pas prête ! Elle n’est jamais prête la France ! C’est chiant !… Bon ! Merci quand même Jérôme !
– Allô ?… Allô ?… Il est fou lui ! N’importe quoi !
– Jérôme ! Débrief de Myriam dans l’Open space ! Ramène tes fesses !
– J’arrive !… J’ai le temps de fumer une clope ?
– Non !
– Fait chier ! On peut jamais fumer dans cette boite !