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Darwin Le Chat
3 octobre 2015

Matière agricole.

Chalut.

 

Ayant quitté Grumpy je suivis Odette, mon guide. George vola à ses occupations. Nous allâmes jusqu’au cimetière de Loyasse sans pour autant y pénétrer, puis nous descendîmes les escaliers de la montée de la Sarra. C’est dans une propriété séparée de ces escaliers par un haut mur que nous trouvâmes les chèvres quelques moments avant l’aurore. Deux chèvres blanches parquées dans un petit enclos sis lui-même dans quelques centaines de mètres carrés parsemés d’arbres et visiblement déjà bien soumis aux dents voraces de ces jardiniers particuliers. Elles virent arriver Odette avec satisfaction et s’empressèrent de solliciter ses services :

– Ah ! Odette ! Te voilà ! Ouvre-nous vite, il va bientôt faire jour !

Odette ouvrit rapidement l’enclos avec la dextérité d’une habituée des lieux. Puis elle ouvrit la porte du parc et les chèvres se précipitèrent dans un petit bois étalant sa verdure un peu plus haut. Voilà les caprins très occupés à se remplir la panse et ne prêtant guère attention à moi, certes peu visible dans la pénombre. Mais quand Odette vint à mes côtés l’une des chèvres s’intéressa enfin à savoir qui j’étais :

– Qui est ce chat à tes côtés Odette ?

– C’est Darwin Le Chat De Gouttière. Je vous ai déjà parlé de lui.

– Ah ! Peut-être bien !… Et que fait-il là ?

– Il est venu pour vous voir ?

– Ah ! bon ? Et que nous vaut l’honneur de cette visite ?

– Eh bien il se trouve que j’aimerai en savoir plus sur la vie des chèvres.

– Ça se comprend.

– Ce afin d’enrichir ma connaissance.

– Ah ! Mais rends-toi compte que globalement les chèvres n’ont pas grand chose à voir avec nous. Nous sommes des chèvres paysagistes et accompagnatrices vois-tu ? Et que font les chèvres en général ?

– Du lait.

– Bonne réponse ! Elles sont du type fromager, section du domaine plus général qu’est l’agriculture. C’est ton jour de chance !

– Pourquoi ?

– Parce que nous sommes de grandes connaisseuses de l’agriculture grâce aux livres que nous a donnés Odette.

– Odette vous a donné des livres ?

– Odette nous a donné des livres.

– Odette ! Tu leur as donné des livres ?

– Ben oui.

– Comment as-tu fait pour porter des livres ?

– Je ne les ai pas portés.

– Comment les as-tu amenés alors ?

– Je les ai fait voler, pardi !

– Tu peux faire voler des livres ?

– Evidemment !

– Pourquoi ne m’as-tu pas dit que tu savais faire voler des livres ?

– Parce que tu ne m’as pas demandé si je savais faire voler des livres.

– Comment pouvais-je savoir que tu sais faire voler des livres ?

– J’ouvre bien des portes… c’est basé sur le même principe.

– Hum ! Pas faux. Et donc tu leur as donné des livres d’agriculture ?

– J’en sais rien, je ne les ai pas lus moi-même.

– Mais parfaitement. Nous connaissons beaucoup de choses sur l’agriculture. N’est-ce pas ma très chèvre amie ?

– Parfaitement très chèvre amie.

– Hé ! bien vous seriez fort aimables de partager un peu votre savoir avec moi.

– Rien de plus simple, nous avons dévoré tous ces livres avec délectation. Autant dire que nous les connaissons par cœur.

Je cite le premier d’entre eux : « Placez sur les hauteurs des gens avec des fourches pendant la moisson. Lorsque la pluie emmènera tous ses remèdes placez deux olives de Campanie au fond d’un trou avec des balais. Jetez-y quatre livres de gramens et de mauvaises herbes. Il faut écarter les rigoles d’un demi-travers de doigt quelque part avec vos pieds. Procédez de même avec le chou et les cyprès, arrosez doucement avec les voies urinaires au point que la terre s’infiltre dans l’eau. Il faut arroser chaque fois que le besoin s’en fait sentir, cela relâche le ventre si vous avez l’épigastre embarrassé. Pendant l’hiver ou l’automne il faut se débarrasser des moutons, ficelez-les au milieu des futailles et laissez sur le feu. Quand il pleuvra sur la ferme, fermez votre cuve à vin, boire largement de l’eau dans une coupe en terre de la contenance d’un culleus. Débarrassez-vous du repas qui s’oppose à son écoulement. Faire une élévation des champs. Vous aplanirez la surface avec une planche afin d’avoir des terres arables pendant l’hiver. Vous retournerez le sol, vous incorporerez l’engrais avec un bâton. On sème au printemps. Passer par le crible la semaille. Distribuer sur le terrain des plantes adventices, un grain de lentille, du cumin, les blés et les choux. Il faut détourner l’appétit de l’acheteur de chèvre, surtout à l’entrée de tous les bâtiments. Manière commode : percez la terre d’un trou avec le bident ou des sarcloirs, disposez un paillis ou des ramilles sèches prises sur un orme. Vous ménagerez un sentier. Mettez ensuite les acheteurs dans une marmite pleine d’eau et d’une espèce de chou et fermée par un robinet. Dès que les acheteurs commencent à germer, retirez-les, pilez-les et faire macérer dans du vinaigre pendant les trente jours qui suivent. Remplissez le pressoir et exprimez-en le suc. Il se digère à merveille, et c’est dans tous les cas une nourriture saine. Vous recouvrirez le gros sel d’une bonne couche de fumier. Manière de mesurer les mains à la méthode de Manlius et Memius… » Tiens c’est joliment dit cela, n’est-ce pas ce que l’on nomme une amplification ma très chèvre amie ?

– Non ma chèvre ! C’est tout au plus une allitération, mais faiblarde au demeurant.

– Faiblarde ? Taratata ! Si tu t’avances sur ce versant verbeux terreux aussitôt je t’arrête, espèce d’étiquetée entêtée tarée!

– Oh ! oh ! oh ! Garde ton calme ! Chèvre, qui de chaque mouche se pique ! Chèvre, nul chic à monter sur tes grands chevaux ! Chèvre, ou bien carne munie de l’esprit d’un chevreau !

– Tu crois avoir fait une allitération là ?

– Pas du tout ! C’est une anaphore.

– Bizarre, je ne ressens aucunement l’envie d’en découdre.

– C’est de l’ironie ? Moi je n’ai rien contre.

– Alors ta vie sera brève ma chèvre ! Voudrais-tu savoir ce qu’il se passera ?

– Je suis tout ouïe !

– Je me recule de cinq pas, feins le désintérêt, concentre ma raison, réserve mes vertèbres, mobilise ma devise. Puis d’un coup, d’un geste, je jaillis, je bondis, je touche, mouche. Ma très chèvre amie aura vécu !

– J’aimerais bien voir cela en pratique.

– Vraiment ?

– J’en meurs d’envie !

 

Croyez-moi si vous voulez mais elle a sauté les premières étapes de sa figure de style et lui est rentré dans le lard de la manière la plus directe possible. A cet instant commença un vilain combat tête contre tête dont nous ne vîmes pas la fin tant il semblait parti pour durer. Je m’en désintéressai rapidement pour repenser à ce livre d’agriculture.

– Dis-moi Odette. L’agriculture à l’air d’être quelque chose d’un peu compliqué. Il me semble que le passage récité était un poil obscur.

– Hé ! bien c’est sans doute parce qu’il n’est tout à fait dans le bon ordre. Quand je leur amène un livre ces deux là se précipitent dessus et chaque fois que l’une veut manger une page, l’autre veut la même. Elles finissent par la déchiqueter, ce qui naturellement les conduit à avaler des pages incomplètes.

– Tu veux dire qu’elles dévorent littéralement les livres ?

– Mais bien sûr ! C’est ainsi que les chèvres apprennent. Mais le problème c’est qu’elles doivent analyser les passages lors de la rumination. Cela laisse beaucoup de place à l’imagination.

– Oh ! mais alors il faudrait que je lise moi-même ce livre. Te rappelles-tu duquel il s’agit ?

– Pas vraiment. Sûrement l’un de ces vieux livres d’auteurs grecs ou romains que je prends dans la grande bibliothèque.

– Tu donnes de vieux livres à manger aux chèvres ?

– Elles disent que le papier est plus digeste.

– Oh !… Ma foi…

– A mon avis tu n’apprendras pas grand chose de ces chèvres là mais celles d’à côté sont plus sages et plus douées pour la littérature.

– Il y a d’autres chèvres à-côté ?

– Oui, deux autres.

 

Ainsi nous laissâmes les deux chèvres blanches à leur combat épique pour aller voir les chèvres d’à-côté. La rencontre fut plus digne d’intérêt et je vous la conterai bientôt.

 

Darwin.

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3 octobre 2015

Darwin vs Grumpy

Chalut.

 

Nous étions en juin et j’étais sur mon toit, non pas à roupiller mais à me baigner d’un chaud soleil retombant doucement entre la basilique et la tour Eiffel lyonnaise. Les hirondelles multipliaient les acrobaties dans les airs en se lançant des défis insensés tandis que les pigeons bavassaient dans leur sous-pente. Soudain je crus apercevoir une silhouette connue venant vers moi en provenance de la Saône. Je me dressais sur mes pattes : « Bon sang mais c’est… George ! » Oui ! Il revenait ! Je le fêtais comme jamais je n’aurais pensé fêter un oiseau : « Oh George ! George ! Te revoilà enfin ! » Il se posa à mes côtés.

– Hello Darwin ! How are you ?

– Bien ! Oui bien ! Et heureux de te revoir !

– As-tu reçu ma carte postale ?

– Oui merci ! Merci George !

– Et quoi de neuf ici ?

– J’ai rencontré quelques chats. Mais toi ? En as-tu croisé ?

– Des dizaines Darwin. Maintenant que je te connais je fréquente un peu plus les toits et un peu moins les bords des fleuves. Je leur ai beaucoup parlé de toi et ils aimeraient bien lire tes aventures un jour. Il faudrait que tu tiennes un blog.

– Oh oui c’est vrai ! Deviendrai-je célèbre ? Peut-être bien.

– Peut-être. En passant par Paris j’ai remarqué tu étais un peu l’archétype d’un De Gouttière parisien, du moins dans sa représentation artistique.

– En plus beau et plus costaud sans doute.

– Pour dire vrai, il y a plus de variété chez les De Gouttière que l’imagerie ne le laisse voir et la plupart des chats flânant sur les toits ne sont pas des De Gouttière mais d’heureux jouisseurs d’appartements bien situés.

– Comme partout George. Tout cela traduit sans doute l’évolution de la société car lorsque les derniers étages étaient dévolus à de misérables chambres de bonnes, la population féline des hauteurs était plus indépendante. Mais dis-moi George ! Ce soir le temps est clément et j’ai un service à te demander. Je voudrais bien retourner du côté de Fourvière car, d’après ce que m’a dit Odette, j’ai la possibilité d’y rencontrer des chèvres. Saurais-tu avec elle assurer une surveillance aérienne de mon chemin ?

– No problem ! Où est Odette ?

– Oh ! elle va venir ! Elle t’aura sûrement vu survoler la Saône si elle est chez Andrea.

 

Comme je le pensais Odette nous retrouva un peu plus tard dans la soirée. J’allai m’avitailler un peu chez un bon pourvoyeur pour ne pas partir le ventre trop léger , puis George nous fit le récit de son voyage et de ses activités pour le compte de la Gull Internationale. Vers trois heures, comme nous étions en début de semaine, la ville était déjà assez calme. Nous nous mîmes en route et je n’avais pas trop d’appréhension. J’allais devenir un De Gouttière De La Presqu’île aillant franchi trois fois la Saône dans les deux sens ! Bon c’est vrai que Passe-passe l’a déjà fait des centaines de fois mais il est un cas très particulier. Alors après avoir profité quelques instants du jardin du Rosaire, je proposai à mes camarades d’aller réveiller Grumpy pour le titiller un peu. Je crois qu’il nous a sentis venir de loin car il s’est caché en croyant nous surprendre. Malheureusement pour lui, Odette le débusqua facilement :

– Sors de derrière ce buisson cabot !

De prime abord je suis plus cordial qu’Odette, il me semble. Je ne voulais pas l’énerver d’emblée mais démarrer une discussion sur un ton presque normal tout en me maintenant sur le mur d’enceinte, hors de sa portée :

– Bonjour Grumpy ! Je suis bien content de te revoir.

– Je ne te renvoie pas le compliment !

– Ce serait pourtant fort sympathique de ta part.

– Pourquoi devrais-je être sympathique ?

– Bon après tout… Allez demander cela à un chien ! Pas étonnant que les humains vous méprisent autant !

– Les humains ne nous méprisent pas du tout ! Bien au contraire !

– Oh ! que si ! D’ailleurs leurs éléments de langage ne laissent de le souligner. Ne dit-on pas : « Un temps de chien. » pour désigner un temps pourri ?

– C’est idiot ce que tu dis ! Un temps de chien est un temps qui convient aux chiens mais pas aux humains simplement parce que les chiens sont des êtres très vaillants capables d’affronter les éléments mieux que les humains.

– Hum… Mais mener une vie de chien n’est-ce pas mener une vie dont personne ne veut ?

– Chacun ses goûts !

– Quand c’est bon à donner au chien c’est sûrement dégueulasse.

– Vu ce que vous bouffez tu pourrais allègrement remplacer chien par chat.

– Etre chien !

– A quoi je te réponds : « Avoir du chien ! »

– Ne pas jeter sa part au chien !

– Qui m’aime aime mon chien !

– Arriver comme un chien dans un jeu de quille !

– Bon chien chasse de race ! Allez du vent ! J’ai d’autres chats à fouetter ! Ah ! ah !

– Se regarder en chiens de faïence !

– Du vent j’ai dit ! Sinon je te rends la monnaie de ta pièce ! Je paye en chats et en rats ! Ah ! ah !

– Aucun problème, moi j’achète chat en poche !

– Certes,… puis tu te rends compte que c’est du pipi de chat !

– Appelons un chat un chat ! N’admettras-tu pas que le péjoratif penche côté chien ?

– Oh ! oh ! Pour être honnête je crois qu’il y a match mais pour te voir débarrasser le plancher je veux bien te donner raison.

– Ah ! Parfait ! A la prochaine alors !

– Ouais c’est ça !

Je m’éloignai tranquillement en marchant sur le mur, pas tout à fait convaincu de ma victoire. J’entendis Odette souffler à George : « Ces deux là s’entendront toujours comme chat et chien ! » Je m’apprêtais à sauter du mur pour rejoindre le chemin menant à la passerelle des quatre vents quand Grumpy m’interpella :

– Hé Darwin ! Le meilleur ami de l’homme te salue ! Hé oui mon vieux ! Bon allez ! Vas t’en avec ta mine de chat fâché ! Oh ! oh ! oh ! oh !

 

J’espère pour vous que si vous avez un chien il est moins pénible que ce Grumpy là ! Il ne m’a pas mis dans les meilleures dispositions pour allez voir les chèvres mais ça je vous le conterai dans mon prochain courrier.

 

Darwin.

3 octobre 2015

Avanti Roploplos !

Chalut.

 

Parfois George s’en va longuement pour son travail et à chaque fois nous lui demandons de nous envoyer une carte postale qu’il adresse à un habitant du bloc qu’on appelle Petit Bonhomme et qui se trouve être le biographe d’Andrea, la fille de qui Odette est la fée attitrée, ce qui explique sans doute pourquoi elle traînait souvent dans le quartier avant de se manifester à moi. On se connaît aussi un peu lui et moi parce que j’ai passé pas mal de temps à l’observer par sa fenêtre à distance raisonnable. Il se trouve qu’un jour je l’ai croisé dans l’escalier. Il était minuit et je descendais dans l’idée de rejoindre Burbulle et P’tit Gris sur le très très gros bloc. Là je tombe nez à nez avec lui. Je rase le mur, passe à ses côtés tandis qu’il me regarde l’air incrédule. J’accélère le pas mais lui m’interpelle : « Hé ! Monsieur Darwin Félix ! Je sors tout juste du cinéma ! Je viens de voir Gasby le Magnifique. Tu sais quoi ? C’est l’histoire d’un type qui a attendu cinq ans l’amour de sa vie et qui en fait tout un plat ! Ah ! ah ! Cinq ans… Petit joueur !… Passons ! J’ai deux mots à te dire Félix ! Toi et la fée arrêtez de mettre le bordel dans ma boite aux lettres !… Sa boite aux lettres, nous étions bien obligés de la fouiller pour intercepter la carte postale de George !

 

J’ignore si la voix de mes zéro lectrices humaines à quelque ressemblance avec celle d’Odette mais si c’est le cas, cela doit être assez pince-oreille pour leurs amoureux. Je ne dirais pas qu’elle chante mal, mais certainement elle chante trop. Quoique son sens de l’improvisation soit louable, son sens de la parodie tourne un peu à l’obsession. Remarquez qu’étant moi-même rarement au fait des versions originales, je ne peux pas toujours juger de sa réussite artistique. Mais alors quand elle est lancée… Elle venait de se réconcilier avec Boobi, du moins je le crois, et revint vers moi avec une idée en tête :

– Tout cela m’a bien chauffé la voix. Tu veux que je te chante une chanson ?

– Ça dépend.

– De quoi ?

– Du style de la chanson.

– Tu connais les Bérurier Noir ?

– Non. Mais je connais bien le dernier album de Rihanna parce qu’il y a une jeune fille sous ma sous-pente qui l’écoute souvent.

– C’est nul ! Mieux vaut que je te chante les Bérus… Disons plutôt ma version de l’Empereur Tomato-Ketchup.

– Qui est-il ?

– On s’en fout ! Ma version s’appelle « Avanti Roploplos ! » et c’est une chanson féministe ! T’as quelque chose contre les féministes ?

– Pas vraiment.

– Tant mieux parce que nous les matous machos on les envoie se faire foutre au Machu Picchu.

– Ah ! oui, le Machu Picchu que l’Empereur Pachacutec fit…

– Silence le chat ! Ni Ketchup ni Pachacutec ! Rois Roploplos ! Attention j’y vais !… Un, deux.

 

Avis à la Population !

Au pays des erreurs du macho « Kès T’as ? »

Les filles sont reines et voici leur règne

Tournicoti, tournicoton…

C’est l’année zéro de la rébellion

L’heure de la révolte a enfin sonné…

L’action féminine est partout enclenchée

Palampalam… Pam Palam Pam Palampalam

Pam Palam Pam Palampalam

Pa palam Pam Pam

 

Les travaux forcés pour les prédicateurs

Qui ont des avis de braquemards en fleur

Dans la capitale une action générale

On est en mission contre tous ces crotales

Un jour les machos qui se croyaient si beaux

S ‘ront ceux qui racolent dans le caniveau

Partout dans les villes, les nanas poursuivent

Les garçons qui bourrent comme des lapins débiles !

 

Palampalam… Pam Palam Pam Palampalam

Pam Palam Pam Palampalam

Pa palam Pam Pam

La chorale des Mômes

 

Et tous ces cochons n ‘pourront plus disposer

De plusieurs femmes pour se faire aimer

Mais toutes les filles pourront se marier

A qui leur plaira et pourront même divorcer

Les garçons violeurs seront pendus par les couilles !

Les zizis-flingueurs seront réduits en nouille !

Aux grands cavaleurs la bite en vadrouille !

Le drapeau en berne devant la patrouille !

 

Palampalam… Pam Palam Pam Palampalam

Pam Palam Pam Palampalam

Pa palam Pam Pam

Les chœurs de la Sagesse des Belles

 

Alors les garçons il faut bien vous tenir

La colère des filles est vraiment terrible

Alors les garçons, il faudra être sages

Si vous voulez pas vous r ‘trouver en cage

Mais combien y a-t-il de filles ligotées ?

Le scotch sur la bouche et les mains liées ?

Mais combien y a-t-il de filles enfermées ?

Et dans les placards, elles crient dans le noir !

 

Palampalam… Pam Palam Pam Palampalam

Pam Palam Pam Palampalam

Pa palam Pam Pam

Les chœurs des Nanas-Soldats

 

Les filles sont armées et sont bien décidées

A zigouiller tous ces glands patentés

A couper l ‘zizi du satyre du lycée

A faire ce qu’elles veulent d ‘leur sexualité

Et à se faire ouvrir toutes les portes du plaisir

Des tas de chatouilles, des cures de désir

En courant toutes nues dans toutes les rues

Drapeau Rose au vent en criant « En avant »

 

Palampalam… Pam Palam Pam Palampalam

Pam Palam Pam Palampalam

Pa palam Pam Pam

La chorale des filles en mission

 

Viva la Révolucion !

Avanti Roploplos !

Hasta la Vittoria !

Las chicas unidas jamas serán vencidas !

Hay, viva las nanas !

Hay viva mes nibards !

Haribo gros lolos, hasta la Vittoria !

Géniale Marie Brizard, quando se bebe aqui ?

Como sé pastis aussi ?

Olé ! Olé ! Olé !

 

Imaginez bien qu’elle ne s’est pas contentée de chanter, elle a beaucoup virevolté aussi sans jamais perdre le contrôle de sa voix, avantage des fées sans doute. Alors vous serez tout de même d’accord pour dire que cette fée là est un peu trop paillarde et je m’excuse pour elle si elle vous choque.

– Ça t’as plu ?

– Un peu.

– Comment ça un peu ? Dis-moi oui ou dis-moi merde ! Hypocrite !

– C’est, comment dire ? Energique !

– Hum… Forcément, tu peux pas comprendre toi ! T’es un garçon ! Je l’ai chantée aux chèvres l’autre jour et je peux te dire qu’elles ont trouvé ça génial !

– Aux chèvres ? Quelles chèvres ?

– Ben les chèvres ! Celles qui vivent pas loin de chez Andrea.

– Il y a des chèvres pas loin de chez Andrea ? Mais pourquoi ne me l’as-tu pas dit ?

– Pourquoi ne m’as-tu pas demandé s’il y avait des chèvres pas loin de chez Andrea ?

– Mais parce que j’ignorais qu’il y avait des chèvres pas loin de chez Andrea !

– Et pis ça fait quoi d’abord ?

– Mais Odette ! Voyons ! En tant que citadin tu comprends bien qu’il me paraisse très intéressant de rencontrer des chèvres !

– Si tu le dis.

– Il faut que j’aille les voir ! Allons les voir dis ?

– Si tu veux… Mais crois-tu pouvoir traverser la Saône sans George ?

– Ah ! oui c’est vrai… George n’est pas là.

– D’autant plus que la Saône est encore très haute en ce moment et… TERRIFIANTE pour les peureux dans ton genre !

– Je ne suis pas peureux ! C’est juste que les fleuves… Si on me noyait !

– Pourquoi on te noierait ?

– On noie les chats Odette ! C’est connu !

– Pas les chats adultes !

– T’es sûre ?

– Evidemment ! Pourquoi noyer les chats quand on peut les manger ?

– ….

– Je blague matou. Vous vous en sortez pas mal, crois-moi !

– Bon… De toute façon George ne devrait pas tarder maintenant.

– Je pense aussi.

– Alors attendons.

– Oui voilà… Tu permets que j’aille m’occuper en attendant ? A moins que je tu veuilles une autre chanson ?

– Oui. Enfin non ! Je veux dire… Occupe-toi si tu veux.

 

La prochaine fois je vous raconterai cette aventure qui me conduisit vers les chèvres.

 

Darwin.

3 octobre 2015

Odette clashe Boobi le chat chatteur de chip-chop

Aventure n°13 / Odette clashe Boobi le chat chatteur de chip-chop.
Chalut.
Cha va ? Moi oui, bien, merci. Dans cette aventure je vais vous raconter ma rencontre avec Boobi. J’étais avec Odette et l’on bavardait de tout et de rien quand soudain vint un jeune chat bizarrement arrangé. Il était noir avec un peu de blanc aux pattes et sur les oreilles, jusque-là rien d’anormal. Sauf qu’il avait aussi des tâches de peintures blanches et rouges sur le dos, arrivées là de manière accidentelle pensais-je avant de connaître le gus. De plus il avait un collier fait d’une chaîne métallique dont les deux bouts étaient reliés par un petit cadenas et à laquelle pendouillait une montre imitation or aux aiguilles cassées. Il marchait au sommet du toit en se dandinant exagérément de gauche à droite. A un moment il s’est arrêté, a pissé de manière ostentatoire puis s’est remis en route pour s’arrêter deux mètres plus loin. Là il s’est couché sur le dos et, tout en se maintenant en équilibre, a fait un tour sur lui-même en jetant deux fois ses pattes vers le ciel. Il s’est relevé et est venu tout près de la cheminée toujours en se dandinant. Je pus constater qu’il avait le poil très rêche et qu’il ne sentait pas la rose mais un mélange de déodorant pour homme et d’eaux usées. Il s’est présenté :

– Chalut ! J ‘m’appelle Boobi.
– Chalut ! D’où t’arrives ?
– D’en bas. Là où j ‘vis quoi !
– Des caves ?
– Des caves et d’ailleurs. Rues, parkings, métro ; égouts surtout.
– Ah ! Alors à part pisser sur mon toit, qu’est-ce qui t’amène Boobi ?
– C’est toi Darwin ?
– Présentement. Et elle c’est la fée Odette.
– Ouais chalut ! Alors c’est ça une fée ? Je voyais pas ça comme cha ?
– Hé matou ! Tourne sept fois ta langue dans ta bouche avant de dire une connerie ça vaudra mieux. J ‘suis pas d’humeur !
– Bon Boobi. T’as pas répondu à ma question. Qu’est-ce qui t’amène ?
– Paraît que t’as un blog de chat.
– Ça se pourrait.
– Alors je me suis dit que tu pourrais parler de moi.
– Ah ! Et en quel honneur ?
– Ben… Chuis un artiste. Chuis chatteur, j ‘fais du chip-chop quoi !
– Ah ! du chip-chop ! Je vois, je vois, je vois…
– Moi je vois pas. Je connais le hip-hop mais le chip-chop…
– Ben c’est pareil mais pour les chats quoi !
– Et t’es doué ?
– Ben ouais quoi ! Ben le meilleur au moins ! Vous voulez que je vous chante un truc ?
– Non !
– Mais si Odette ! Hein ? Ce jeune chat est monté jusqu’ici… Ecoutons-le voyons !
– Ben ouais, cool quoi ! Alors j’y vais quoi !… One ! Two !
Chuis chat noir à toute heure, tu sais j ‘porte pas bonheur
Dis-toi bien qu’ j’ai pas peur, est-ce que j’ai l’air d’un chien en laisse ?
Dessous j ‘fais mon beurre, dessous j fais mon beurre
Beurre, passion du beurre, j’ mets ma tête dans ta plaquette
Passe-moi du lait, casse-moi pas les couilles !
J’ kiffe la langue de bœuf tu me connais, y a pas d’ dégoût
Catman dans ces putains d’égouts, pas ceux d’ Paname
Fuck les félins d’ Paris, 69 gravé sur la dalle
Drague, luttes et vigueur, fuck le félin siffleur
Ramolli comme un fruit confit, moi j’ai niqué sa sœur
La Rue j ‘la connais par cœur
C’est crache ou crève, retiens ta chienne et ferme ta gueule
Mister Retriever, ici personne n’a peur des loups loosers
Un gato + dos gatos : deux chats en trop à mon compteur
Yoda m’a dit « Tu m’as fait peur »
Comme depuis j ‘suis devenu chatteur
Chat d’ici ou d’ailleurs, le bitume a l ‘goût d ‘ma sueur

On mord jeunes, on se mord les lèvres
Trop la dalle, les ascaris
Longs comme des spaghettis
Plus jamais on perd ses vers
J ‘tiens ces putes en laisse
J’reviens d ‘loin, j ‘vis sous terre
L’égout tout ce qu’il me reste
Je vis dans l’égout tout ce qu’il me reste

Couplet d ‘gato, la fée peut pas piger !
Bréék ! bréék
Chop ! Chop ! Yo ! Chip ! Chop !
Cy chicha crrr cy chaco chet
Frrruuu fruu cy frrrrii cha
Fruck a crri frou ffrrr frrrr
Aaaahh chachachachachacha Aaaahh
Aahmi Aahmi Aahmimimiouaouaouuuu !
Aaaahh cha ! Aaaahh cha ! Aaaahh chachachachachacha !
Frrrr frrr frrr !
Bréék bréék
Chop ! Chop ! Yo ! Chip ! Chop !
Chip ! Chop ! Yo ! Yo !

– J’ai très bien pigé ducon ! Si jeune et si mal poli !
– Elle parle le chat ? Tu pouvais pas m’ le dire ?
– Elle bluffe.
– Pas du tout ! Entre autres choses aimables il a dit que les fées étaient toutes des putes.
– Ah ! Bon c’est vrai que t’as l’insulte un peu facile tout de même ! Mais tu chantes pas mal.
– Ne t ‘fais pas d’illusion Bibou ! Darwin est un rien hypocrite ! Je peux te clasher ?
– Me clasher ? Moi ? Tu peux pas test la fée !
– Bien ! Alors toi ! Clashe-moi !
– Ok ! T’as un mouchoir ?
– J’ai tout ce qu’il faut ! T’inquiète !
– Yo ! Chip ! Chop ! Yo ! Yo !
Hé ! La fée ! Ton prénom c’est Odette ?
Aussi moche que ta tête !
Je vais t ‘mettre les ailes en miettes !
Après j ‘vais te faire ta fête !
Chuis chatteur de compète !
Faut qu’ t’arrêtes de t ‘la pète !
Tu crois qu ‘tu peux d t’ permettre ?
De défier un esthète,
Dans l’art de la conquête.
Ta défaite s ’ra complète
Délestée d ’tes pépettes
T’auras plus qu’à t ‘faire mettre
Pour rembourser tes dettes !
– Hum… Intéressant. Monorime ? Voyons voir… Alors Bibou…
– Boobi !
– Boobi… Ah ! Boobi Boobi ! Bi bop, bi bap boup…
Six phrasés sous l’caillou, ça veut donner des coups ?
Tout doux, mon minou, laisse-moi tourner l’écrou
Maigre comme un clou, le chien Milou, aurait niqué ton crew
Tu rappes, en voyou, faudrait s ‘mettre à genoux ?
T’es pas fou ? Tes miaou, ça fait gueuler les loups
Boobi ou Bibou, on n’entend que des Bouhhhhh !
Car ton art, entre nous, me déroute à l’écoute
Des relents, dans la toux, du trente-sixième dessous
Ton talent, fut soufflé, par un coup de grisou
Sans bagout, chat-minou, t’as trop bouffé du mou
Après tout, on s’en fout, tu dégages, allez zou !
Le matou et ses poux, s’en retournent à l’égout.

– Akkrrr Akkrrr frrrr frrrr. Achachachachachacha… pfrrrr… Ah…
– T’es pas très gentille Odette !
– Il va s’en remettre.
– Akkrrr… Quoi ? Tu crois qu’ tu m’as clashé là ? Attends ! Yo !
Hé ! Oh ! Yo ! Chip ! Chop ! Hé !
Yo la fée ! Yo !
Tu t’appelles fée Odette ?
En fait que dalle !
Retourne vite dans ta malle !
Ton rap est féodal !
Décédé d ‘puis un bail
Appelle le FBI !
Avant de crier « Aïe ! »
Quand j ‘t’aurais mise à mal
Tu seras la fée des râles !
Ou bien est-ce la fée selles ?
Car ton flow s’ fait la belle
Du côté du trou de balle
Ôte-moi vite ce futal !
Une fois déculottée
On t’appellera fée C !
Oh ! Oh ! Arfff ! Arfff ! Pfrrr ! Pfrrr ! Arfff ! Arfff !…

Boobi était parti dans un méchant fou-rire et Odette le regardait l’air consternée. Je me suis contenu, son rire étant contagieux, je ne voulais pas me fâcher avec Odette. Elle l’a laissé reprendre ses esprits avant d’en remettre une couche :

– Bibou, Bibou… Mon petit Bibou
Tu vises aux disques d’or
Quand tu rappes, j’ m’endors
Ni or ni platine, toi tu côtoies l’abîme
Bling-bling sans standing car dans tes chimères
On n’a vu que la pierre de ta mise en bière
Ta rime est vulgaire mais surtout d’hier
T’as fourbi tes armes, y a rien qui t’alarme ?
Tout ce que tu balances, des couteaux sans lame
Ca sent la carrière éclair à la Diam’s
Chut !...
J’ l’entends déjà qui rend l’âme
Mâche du vent, aucun relent d’IAM !
Vraiment…
T’es chat noir à toute heure, es-tu noir sur le cœur ?
Tes yeux montrent ta pâleur
T’as une montre mais pas l’heure
Une breloque dont tout le monde se moque
Même le mac avec qui t’as fait du troc
Qui se pique d’un tas de bestioles en stock
Tiques et toc sont les Chakras du chat crade
L’époque pathétique est au pire en pratique
Le chic est au moche et sans rire a ses rites
Des shoots aux médocs et du peint sur la poche
Les neurones en loques à trop chopper des loches
Chip-chop pas de potes mais ça poque et se poke
Pour des pitchs indécis et des speechs imbéciles
Plus rien n ‘me choque…
Psssit ! Viens par ici que j ‘t’explique !
Pssshit m’a fait le rap gangchat
J’fais pas la queue des petites chattes qui prennent bas
Celles qui triquent à l’Amérique Bullshit
Nommées « Ronger Rabbit » à trop sucer des bites
Là, tu vois, j’en ai autant pour toi
Tu rappes mais c’est pas ça
Désolée si j ‘bande pas !

Boobi a ouvert de grands yeux furieux, s’est retourné et s’en est allé, toujours en se dandinant et pissant ça et là au gré de sa marche, ce qui fit brailler Odette :
– Et les gouttières ? C’est pour les chiens ?
Boobi a tracé sa route.
– Odette, Ce n’était pas la peine d’être aussi cruelle !
– Qu’est-ce qu’on s’en fout ? C’est une caille-rat ! Beaucoup plus rat que caille, j ‘te l’accorde ; ça vole pas haut !
– Tu te trompes Odette. Il est juste un peu perdu. Et s’il est vrai qu’il vit dans les égouts, alors il a bien du courage.
– C’est bien ce que je dis, c’est un rat. N’y vois aucun jugement de valeur !
– Non c’est un chat. Mais qui s’en sort dans un milieu hostile. Il n’est pas très poli, c’est vrai, mais il ne faut pas prendre les paroles du chip-chop pour argent comptant. C’est un mode d’expression avec ses excès de langage. Il ne pense pas tout ce qu’il dit.
– Moi non plus je ne pensais pas tout ce que je disais.
– Eh bien tu devrais aller le lui dire et t’excuser.
– En quel honneur ?
– Mais pour qu’il ne se sente pas rejeté pardi ! Comment veux-tu qu’on évolue si chacun rumine dans son coin ?
– C’est pas mon problème !
– Que tu crois ! Aller… va donc lui demander pardon !
– Tu devrais savoir que je déteste faire ce qu’on me dit !
– Ah !… Alors reste là et ne demande surtout pas pardon !
– C’est exactement ce que je comptais faire. Ravie de te l’entendre dire.
Elle est restée bras croisés, suspendue dans les airs un bon moment, triomphante. Enfin elle est partie en disant :
– Aller, j ‘te charrie ! M’en vais te le remettre sur les bons rails ce Bibou !

Je ne sais pas ce qu’elle lui a dit mais je l’ai revu ensuite et les choses étaient arrangées.

Darwin.

3 octobre 2015

Khan, chat persan

Chalut.

 

Un jour j’ai repéré une famille de chats sur le bloc sis de l’autre côté de la rue des Archers… pas le très gros bloc, le moyen gros bloc. Trois chats, deux adultes et un encore très jeune, très proches physiquement, de race persane si je puis utiliser une catégorisation trop humaine à mon goût. Hélas il faut bien l’admettre, la variété actuelle du monde du chat est largement due à l’intervention humaine mais nous ne nous interdirons guère de remettre tout cela à plat lorsque vous aurez disparu de la surface de la terre. Pour votre information sachez que je me considère d’ailleurs issu d’une race réputée naturelle, le chat européen, bien qu’ayant vraisemblablement aussi un autre lignage dont j’ai nécessairement tiré le meilleur. Il faut le dire, je suis d’une très grande beauté et ma robe noir de jais est absolument splendide. Au fait, je me suis pesé dernièrement sur une balance électronique lors d’une petite exploration d’appartement et si elle est fiable, ce que je crois, il semblerait que je pèse actuellement 6 kilos et 200 grammes. Donc si je fais 6,2 kilos, cela fait pas mal de kilos de grammes pour un européen. Revenons à nos chatons. Donc les persans d’en face sortent parfois sur le toit par un Velux. Les deux adultes ne restent jamais trop longtemps, le jeune semble plus intéressé par l’extérieur bien que manifestant un profond ennui si j’en crois ses mimiques. Un certain mardi le temps ne se prêtait guère à un petit roupillon sur une cheminée, je décidai de passer en face pour bavarder un peu avec ce jeune dépressif. Ce fut fait, non sans difficultés. Une fois sur le toit, je m’avançai vers lui en feignant de passer tranquillement par-là. Il m’a regardé venir avec un peu d’inquiétude dans le regard mais n’a pas bougé.

– Chalut !

– Chalut !

– Je m’appelle Darwin. Du toit d’en face.

– Oui oui. Je vous ai reconnu. Moi c’est Khan.

– Depuis quand vis-tu là ?

– Septembre dernier. Mais, un chat là, on ne restera pas longtemps, un chat là !

– C’est un appartement très bien situé… et avec Velux, que demander de mieux ?

– Que demander de mieux ? Mais monsieur ! Mes parents sont du pays du soleil. Un chat là, on y retournera bientôt, un chat là !

– Oui c’est vrai que le soleil se fait souvent désirer. Mais ce n’est pas tous les ans comme ça. Cependant, l’an dernier, ce mardi-là il pleuvait aussi.

– Ah ! vous voyez !

– Oui mais le samedi suivant il faisait 28 degrés !

– Vous vous rappelez de la météo de chaque jour ?

– Oui bien sûr.

– Eh bien je vous parie qu’il pleuvra samedi. Un chat là !

– Soit ! Et donc ? Est-ce une raison pour être morose ?

– Oui.

– Tu es vraiment baromatique. Pourtant il y a plein de choses à faire quand il pleut. Voudrais-tu me suivre pour te balader ?

– Non car j’ai froid.

– Quoi ? Avec tous les poils que tu as. Si tu as froid c’est parce que tu restes là tout recroquevillé.

– De toute façon je ne peux guère m’éloigner car les autres chats de ce toit ne m’aiment pas. Ils se moquent de moi !

– Ça m’étonne beaucoup ce que tu me dis là.

– Mais si monsieur ! Ils me traitent d’étranger à face plate !

– Oh !

– Vous trouvez que j’ai la face plate ?

– C’est à dire que… je…

– J’en étais sûr ! Les chats d’ici sont racistes !

– Mais pas du tout ! Ça n’a rien à voir ! C’est juste affaire de goût.

– Dites que je suis moche pendant que vous y êtes !

– Ce n’est pas ce que j’ai dit. Et je serais curieux de savoir qui t’a traité d’étranger.

– Le deux européens du troisième Velux vers le sud. L’un est tigré et l’autre noir et blanc.

– Je vois. Voudrais-tu qu’on aille leur dire notre façon de penser ?

– Non.

– Pourquoi ?

– Parce que quand vous serez parti ce sera pire.

– C’est mal connaître le pouvoir de persuasion des chats de gouttière. Et puis tu ne dois laisser quiconque te traiter d’étranger ! N’es-tu pas né ici ?

– Si.

– Et n’as-tu jamais entendu parler du droit du sol ?

– N’essayez pas de me faire avaler des couleuvres, monsieur ! Ah ! vivement que nos humains s’en retournent au pays !

– Que font-ils vos humains ?

– L’homme est diplomate et sa femme le suit là où il va. Un chat là, il y aura de nouveaux bouleversements politiques et il sera rappelé au pays. Un chat là !

– Au fond, toi tu n’as jamais été plus loin que le troisième Velux.

– Par force.

– Mais peut-être que si tes humains s’en retournent au pays, il n’y aura pas même un toit sur lequel sortir.

– Il y aura beaucoup mieux ! Nous avons une grande maison avec un grand jardin ! Et de grands arbres ! Et le soleil brille plus de trois cents jours par an ! Un chat là, je le verrai le pays du soleil, un chat là !

– Alors c’est tout le mal que je te souhaite. Mais tu sais… peut-être que cela n’arrivera pas de sitôt et tu ne peux pas passer tes plus belles années à te morfondre. Tu ne peux pas laisser les autres te traiter d’étranger et t’empêcher de te promener sur le bloc ! Ne laisse jamais personne, mais vraiment personne, te traiter d’étranger !

– Facile à dire ! Déjà qu’on me traite de face plate, si en plus je me fais raboter le portrait.

– C’est un risque à courir. Mais s’il ne s’agit que de faire ton chemin sur ce bloc de chats embourgeoisés, dis-toi que le risque est minime… tant que tu ne cours pas après les minettes bien sûr.

– Oh ! cela n’est pas près d’arriver.

– Pourquoi ?

– Parce qu’à ma connaissance il n’y a pas de persane ici.

– Mais si ! Il y a Dentelle. Elle vit au fond du bloc.

– Dentelle ? Oui je vois. Mais elle est mélangée.

– Oh ! Pourtant elle te ressemble beaucoup.

– Vous n’êtes peut-être pas capable de reconnaître une pure persane mais moi oui !

– Et qu’est-ce que ça change ? Dentelle est très belle et sympathique et elle ne te traitera jamais d’étranger.

– Je vous l’accorde. Elle est venue une fois nous amener du foie.

– Eh bien voilà ! Tu as donc une amie.

– Non car mes parents l’ont chassée.

– Et pourquoi donc ?

– Mais monsieur ! Chez nous nous ne mangeons pas de foie !

– Vous ne savez pas ce que vous perdez mais après tout, c’est votre problème. Lève-toi et suis-moi ! Qu’on te voie en balade avec un De Gouttière sera déjà un gage de tranquillité pour toi. Les De Gouttière sont une famille respectée… sinon par les humains du moins par les chats.

– J’aimerais mieux pas car vous m’avez l’air un peu casse-cou. D’ailleurs, comment avez-vous fait pour monter jusqu’ici ?

– J’ai pris par un trou de rats, puis par les égouts, puis par un trou de rats, puis par une gaine, puis par un escalier, puis une gaine de nouveau. Ah ! il est vrai que c’est de plus en plus compliqué, fors les échafaudages qui sont aux chats ce que l’ascenseur est aux humains, toutes ces réfections d’immeubles nous ferment beaucoup de chemins d’accès. Heureusement nous vivons une époque de gens pressés. Ils veulent de beaux immeubles mais ils veulent du vite fait bien fait. Le fait est que c’est souvent bien fait en apparence. Qui se soucie vraiment de l’intérieur d’une gaine que personne ne voit jamais sinon des techniciens de télécommunication ? Alors assez souvent je me huche dans une gaine, ce qui demande néanmoins quelque aptitude physique.

– Et comment rentrez-vous dans la gaine ?

– Eh bien désormais j’ai une fée qui m’aide beaucoup en ce sens. Sinon je fais comme tous les chats, je fais appelle au service des rats.

– Des rats !

– Oui car ils savent creuser des trous… surtout dans les matériaux faussement solides. Vive le placoplâtre et le contreplaqué !

– Et ils demandent quoi en échange ?

– La paix.

– Vous croyez que je saurais me hucher dans une gaine moi ?

– Sans doute… mais de toute façon, pour un chat d’appartement, les escaliers sont souvent plus faciles d’accès. Veux-tu que je te montre comment on se huche sur cette cheminée de briques ?

– Je veux bien.

– Il faut s’aider avec l’antenne… regarde !

Je lui fis l’étalage de mes talents de grimpeur.

– Tu devrais monter, on voit mieux d’ici.

– Je ne crois pas que je saurai faire ça.

– Simple question d’entraînement. Pour autant je n’arrive pas à monter partout.

Je redescendis vers lui d’un bond.

– Alors ? Viens-tu ?

– Non car ma mère ne veut pas.

– Elle ne veut pas quoi ?

– Que je traîne avec des étrangers.

 

Croyez-moi ! J’en suis resté couillon.

 

Darwin.

 

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3 octobre 2015

La plus chatte des javas

Chalut !

 

J’ai rapidement trouvé une certaine utilité à la présence envahissante de la fée Odette. Elle m’est très utile car elle est une ouvreuse de boites aux lettres et de portes hors-pair. Il faut la voir apposer ses mains sur une serrure et avoir le plus souvent raison d’elle d’un mouvement à peine perceptible. Encore faut-il pouvoir les tirer ou les pousser, si c’est aisé pour une boite aux lettres ça l’est moins pour les portes cochères. Elle prétend que ce genre d’efforts la fatigue et je lui connais trois façons de « recharger les batteries » comme elle dit. Elle peut les recharger en se faisant dorer la pilule au soleil, ou bien en mangeant des bonbons, ou, choix le plus discutable, en se mettant directement à proximité d’un champ électrique puissant quand ce n’est pas en mettant les doigts directement dans la prise. Cette dernière option a l’heur de la rendre particulièrement surexcitée et pénible !

 

Bien, revenons à nos chattons puisque j’ai quelques minutes de tranquillité devant moi, un ordinateur qui marche et mon fidèle dactylo à mes côtés. J’étais donc avec cette belle chatte, bien leste et agile, traçant sa route aussi bien que moi, de nouveau en direction du cimetière. Chemin faisant elle me lança :

– Au fait. Je m’appelle Leina. Tu aimes ?

– Pas plus que ça. Où va-t-on ? Pas chez les archivistes j’espère.

– Non mais pas loin. Dans une autre partie du fort.

 

Effectivement nous allâmes jusqu’au cimetière avant de repartir en direction de la Saône. Quelques obstacles furent facilement franchis, nous arrivâmes devant une entrée de l’ancien fort et nous y pénétrâmes. Il faisait bien sombre mais je me fiai à la connaissance du terrain de Leina. Il ne fut pas longtemps avant que nous arrivassions dans une salle bien éclairée par la simple présence de la fée. Elle se tenait en l’air au-dessus d’un amas de papier et de petits morceaux de bois. Autour de cet amas se trouvaient trois chattes et quatre chats dont l’un m’était déjà bien connu : Passe-passe. Il me chalua assez chaleureusement. « Voilà Darwin ! », « Ah le fameux Darwin ! » Les commentaires allèrent bon train, ma réputation m’avait précédé. Odette, toute à son affaire, me regarda à peine : « Reculez-vous un peu les amis ! » Le cercle fut agrandi. Odette frotta deux petites aiguilles l’une contre l’autre et une gerbe d’étincelles jaillit. « Pff ! ça n’a pas suffi ! » Elle s’approcha un peu plus d’un morceau de papier et renouvela l’opération. Cette fois-ci une flammèche apparut. « Souffle ! souffle ! Nom d’un chien ! Non écarte-toi plutôt ! » Il faut dire que nous les chats, sommes de piètres souffleurs. Odette trouva meilleur parti dans l’utilisation de son ventilo dorsal, le feu prit bien. « Rends-toi utile Darwin ! Aide-moi ! » L’ordre venait de Passe-passe qui plongea tête la première dans un grand sac en papier contenant du charbon de bois et que de petits humains aventuriers avaient dû laisser là. Je servis de relais entre les pattes arrière de Passe-passe et le feu, prouvant ainsi que malgré mon caractère intellectuel et solitaire je ne suis pas revêche aux efforts collectifs. D’ailleurs, qui aurait osé demander ce service à Leina dont la blancheur en eut été ternie tandis que moi, si magnifiquement noir, j’ai moins à craindre des effets colorants du charbon ? Ainsi nous eûmes un feu facile d’entretien quoique mes coussinets en furent un poil échauffés. L’ambiance devint alors très festive, chacun ayant une bonne histoire à raconter avec Odette en maîtresse de cérémonie. Elle voulut la soirée plus musicale : « Voudriez-vous que j’aille chercher mon accordéon ? » Un oui quasi-unanime retentit. Odette s’éclipsa et fut de retour moins de cinq minutes plus tard avec un accordéon gros comme un paquet de cigarettes mais sonnant bien aussi fort que celui d’un humain taille nature. « Par quoi commence-t-on ? » « Une java ! Une java ! Une java ! Une java ! » « La plus chatte des javas ? » « Oui ! Oui ! En plus tout le monde la connaît par cœur ! » « Non pas moi ! » « Correction… excepté Darwin. Mais s’il est si chavant, il l’apprendra vite ! » « Voilà donc la plus chatte des javas. Adaptation très personnelle d’un vieux classique. C’est parti ! »

 

Je vais vous raconter

Une histoire arrivée

A Nana et Julot Chat Racé

Pour vous raconter ça

Il fallait une java

J´en ai fait une chouette écoutez-la

Mais j´ vous préviens surtout

J´ suis pas poète du tout

Mes couplets n´ riment pas bien

Mais j´ men fous!

 

L´ grand Julot et Nana

Sur un air de java

S´ connurent à la sauvette

A l’arrière d’une charrette

Elle lui dit : J´ai l´ béguin

Sur un air de chat bien

Il répondit : Tant mieux

Sur un air de chat vieux

 

Ah! Ah! Ah! Ah!

Écoutez chats si c´est chouette !

Ah! Ah! Ah! Ah!

C´est la plus chatte des javas

 

Ils vécurent tous les deux

Comme des amoureux

Dans un coin poussiéreux et miteux

Chaque jour, le grand Julot

Disait : J´ t´ai dans la peau

Et il lui griffait le bas du dos

Elle lui dit : J´ai compris

Mais moi j’ai faim, chéri

Et comment nourrirai-je nos petits ?

 

Alors il s´en alla

Sur un air de « Cha va ! »

Pour gonfler ses mamelles

A manière de chamelle

Il s´offrit en décor

Et joua les chats morts

Pour gagner sa pitance

Sur un air de carence

 

Ah! Ah! Ah! Ah!

Écoutez chats si c´est chouette!

Ah! Ah! Ah! Ah!

C´est la plus chatte des javas

 

Sa dame pendant ce temps

Ayant besoin urgent

De se mettre quelque chose sous la dent

Il chipa… lui, Julot

A une femme un morceau

Au beau milieu d’un plat d’osso bucco

Le coup était bien fait

Mais juste quand il partait

Il entendit qu’on l’appelait minet.

 

Alors il laissa là

Ses manières de sherpa

Et partit ventre à terre

A travers la chatière

Cependant la vielle bique

Lui passa tous ses tics

Car elle était bravache

Dans ses coups de cravache

 

Ah! Ah! Ah! Ah!

Écoutez chats si c´est chouette!

Ah! Ah! Ah! Ah!

C´est la plus chatte des javas

 

Nana, ne sachant rien

Continuait d’avoir faim

Six heures se sont passées… Rien ne vient

Elle ressent des frissons

Et elle a des visions

Une arrête ne fait pas le poisson

Les chats faux n’ se dressent pas

Au boulot n’ s’en font pas

Son Julot a les pattes Angora

 

Julot vient à p´tits pas

Sur un air de « Cha va ? »

Mais elle n’est pas séduite

Par son air de chattemite

Il n’a rien dans le gosier

Même pas l’air de chat C

Et rentre encore bredouille

Sur un air de chatouilles

 

Ah! Ah! Ah! Ah!

Écoutez chats si c´est chouette!

Ah! Ah! Ah! Ah!

C´est la plus chatte des javas

 

Ah ! madame ! Je n’avais jamais vécu une telle soirée ! Heureux comme un poisson dans l’eau ! Nous avons chanté et dansé jusqu’à en tomber de sommeil. Je dormis un peu, blotti contre mes camarades autour du feu qui se mourrait petit à petit. Puis Odette me réveilla pour me dire que George m’attendait dehors pour me raccompagner jusqu’à chez moi. Brave George, ce fut fait sans frayeur. Ainsi s’acheva ma grande aventure à Loyasse sur la colline de Fourvière.

 

Darwin.

 

3 octobre 2015

La messe est dite

Chalut.

 

Dans mon dernier billet je vous parlai de mon attention de passer toute une journée dans le cimetière de Loyasse. George s’en était allé pour son travail mais j’eus bien le loisir de contempler quelques monuments et de retenir quelques noms de familles lyonnaises prétendument célèbres. Je piquai également un petit roupillon dans un endroit tranquille mais une fois de plus la fée Odette me sortit de mes rêves.

– Allons-y matou !

– J’attends la nuit.

– Que nenni ! Allons plutôt retrouver Grumpy !

– Pour quoi faire ?

– Viens et tu verras ! Ce sera bien !

– Trop de monde à cette heure-ci.

– Nous passerons par le bois des maristes. Aucun danger.

– Juré ?

– Déstresse un peu matou ! En route !

 

Nous prîmes effectivement un chemin assez tranquille hormis le besoin de traverser une route et une propriété infestée de l’odeur d’un chien heureusement absent. Nous passâmes la Sarra, le bois des établissements scolaires maristes, atterrîmes sous la passerelle des quatre vents et je sautai sur le muret déjà évoqué dans une précédente aventure. J’appelle muret ce que vous appelleriez sans doute mur en vous référent au point de vue qu’il vous laisse, moi je ne me réfère pas au point de vue mais au saut nécessaire pour le gravir, étant données mes qualités athlétiques autant dire qu’au-dessous de deux mètres c’est un muret. Eh bien voyez donc ce que je trouvai sur ce muret, deux petits chatons de trois mois à peine en grande discussion avec Grumpy, lui resté au bas du muret par force nature. Odette s’annonça à sa façon :

– Salut cabot ! Bonjour mirons !

– Nom d’un chat ! Les revoilà !

– Pour ton plus grand plaisir.

– Que tu dis ! Ne venez pas saccager mon travail éducatif !

– Voire. En quoi consiste-t-il ?

– Au respect de Dieu, et de ses représentants sur terre, à commencer par leurs propriétés. Ainsi je les enjoins de toujours bien rester sur le mur afin de ne pas transgresser le droit divin, auquel cas je me verrais dans l’obligation de les rosser.

– Ah ! ah ! Elle est bien bonne celle-là ! C’est dire le peu d’omnipotence du dieu des humains, des chiens et toute autre espèce handicapée du genre.

– Qu’est-ce à dire justement ?

– Ce mur censé t’aider dans ta besogne mais qui au fond assure surtout que tu ne t’échapperas pas… ce mur empêcherait sans doute l’intrusion d’un cheval ou d’un bœuf. Plus douteux serait son statut de rempart face à un éléphant mais si, comme tu peux le constater, de tout petits mirons sont parvenus à grimper dessus, qu’en sera-t-il de tous ceux qui se déplacent aussi bien la tête en haut que la tête en bas, je veux parler des insectes et des arachnides, sans même avoir besoin d’évoquer ceux et celles qui comme moi ont des ailes et se moquent éperdument de ton droit de propriété à la con ? Pourquoi interdis-tu aux chats ce que tu ne peux pas interdire aux puces, sac à puces ?

– Si dieu a voulu que les murs ne soient utiles que contre les humains, chevaux et bœufs, ainsi soit-il ! Si dieu a voulu que les chiens soient efficaces contre les chats, ainsi soit-il ! Moi je me targue d’être efficace contre les humains malfaisants et les chats récalcitrants et vice et versa on ne passe pas !

– Pff !

– Oh ! mais Grumpy, je veux bien croire que tu es très bon dans ton travail sans jamais en manquer toutefois. Car vois-tu ? Nous les chats sommes faits pour sauter les murets comme les chiens pour mordre le monde. Chatons, voudriez-vous que je vous conte l’une des plaies historiques de cette ville ? Le fléau des enragés !

– Oh ! oui ! Oh ! oui !

– Ne l’écoutez pas les petits ! C’est un matou voyou, un dégoûtant de gouttière !

– Bien, bien. Ecoutez ! Il était une fois un être écervelé mû par la seule volonté de ses dents. Il se plaisait à mordre tout ce qu’il lui était possible de prendre en gueule. De ce mode de vie il en avait retiré une hygiène des plus douteuses, réputé porteur des pires contagions de ce monde et très désireux de les transmettre par sa manie ci-avant racontée. Peu délicat, il ne s’embarrassait guère pour satisfaire ses pulsions et mordait dans son environnement immédiat. Quand il ne s’acharnait pas sur ses propres parties intimes, il mordait ses congénères ou bien la main nourricière, car il n’avait certes pas appris à se nourrir de lui-même. Ainsi cet être aimait à mordre la gente et une fois qu’il y avait goûté, il y revenait sans cesse tant il trouvait bon la gente. Il brayait sans cesse « La gente ! La gente ! » Cela s’appelle « avoir la rage » et porteurs de rage sont grande menace pour la civilisation des gens de bien. Ici à Lyon la menace se fit très tôt pressante en raison du nombre considérable de représentants de cette espèce enragée. Vous voudriez sûrement savoir pourquoi cette ville fut particulièrement propice aux enragés ? Eh bien parce que c’est une ville marchande et n’est-il pas vrai que marchant et aboyant se font les serfs d’un même élan ? Ainsi les enragés croissaient et multipliaient à tel point que les gens de bien s’en émurent. « Le nombre d’enragés est devenu excessif… l’on en voit errer dans les rues sans balises à seul fin de se repaître. Que deviendrons-nous si de plus en plus de dents veulent mordre la gente ? Nous devons prendre des dispositions et conséquemment nous enjoignons à tout être susceptible de compter au nombre des enragés de porter un collier faisant état de sa volonté de mordre la gente ou pas. » Les colliers fleurirent, donnant de bonnes indications sur le pouvoir de nuisance de leurs porteurs, on en vit certains tout d’or, d’autres ornés des plus beaux diamants. Pourtant le constat resta le même, le 30 avril 1788 un texte de police souligna la quantité étonnante d’enragés en cette ville. A l’aube de la révolution il fut rappelé que la devise de la cité n’était certes pas « deuil pour deuil et dent pour dent » et en conséquence il fut fait défense à quiconque d’agacer les enragés, de les faire battre ou de leur attacher quelque chose à la queue. On préféra ensuite instituer un droit à mordre la gente en contrepartie du paiement d’une taxe dont le montant fait toujours débat aujourd’hui. Bref, les enragés sont parmi nous bien que l’on fut souvent tenté de les museler sans jamais y parvenir. Le type vénéré dans cette cité sous le nom de Pasteur et qui a prétendument trouvé un vaccin contre les enragés est donc un fieffé menteur.

– Du grand n’importe quoi !

– Voyez petits, l’idiome disant que chien qui aboie ne mord pas est une figure ayant trait à l’humain, car concernant ce Grumpy-là, je suppute qu’il pourrait bien faire les deux à la fois. Ce qui vous encouragera à bien respecter ses consignes et ne pas transgresser son droit de propriété.

– Oui ! Vous ferez bien ! Pour une fois je suis d’accord.

 

Je passai ensuite un long moment à m’entretenir de choses diverses et variées avec les chatons. Entre chien et loup, l’un des chats m’ayant quelques heures plus tôt permis d’échapper à Grumpy se joignit à nous et nous convia à un office. Vers huit heures quelques poignées de chats affluèrent de tous côtés et se rassemblèrent sous des pins non loin du muret mais pas du côté de Grumpy. S’y trouvaient déjà les deux chats de l’évêché assis de part et d’autre d’une écuelle contenant du lait. Enfin débarqua un vieux chat revêtu d’une sorte de petite cape sombre et portant un collier duquel pendait une petite croix fluorescente. Il prit place derrière l’écuelle et demanda le silence. Au même moment l’un de ses compères se dressa sur ses pattes arrière et se mit à faire des signes inintelligibles avec ses pattes avant. Je crus d’abord qu’il faisait le chat pitre et il me fallut plusieurs minutes pour comprendre qu’il traduisait en langage des signes ce que disait le chat prêtre. D’ailleurs ce dernier ne prêtait pas à rire tant son ton était sérieux. Je ne retins qu’une partie de son allocution, absorbé que j’étais par la gestuelle de son acolyte. Enfin cela dû ressembler à quelque chose comme cela :

– Prions notre seigneur Risti, fidèle entre les fidèles de Jésus le Christ ressuscité qui, lui-même assis à la droite de Dieu, tient chat heureusement sur ses genoux…

 

A cet instant le prêtre fut coupé par la grosse voix de Grumpy émanant de l’autre côté du muret :

– Comment Luya pourrait-il supporter la proximité de Risti sachant que Jésus caresse Luya de sa main droite ? Car le chien étant le meilleur ami de l’homme en ce bas monde, il en va nécessairement de même aux cieux ! Gloire et honneur à l’esprit chien !

Vague de protestation dans les rangs des chats :

– Chut ! Silence ! Honteux ! Comment ose-t-il ?…

 

Le prêtre ne se démonta pas :

Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné, insouciant de me sauver malgré les mots que je rugis ?

Mon Dieu, la nuit j’appelle et tu ne réponds pas, le jour, point de silence pour moi.

 

Des chiens nombreux me cernent, une bande de vauriens m’entoure ;

Comme pour déchiqueter mes pattes ?

Je peux compter sur tous mes os, les chiens me voient, ils me regardent ;

Ils me savent beau et m’envient, et tirent au sort ma peau.

 

Mais toi, Risti, ne sois pas loin, ô ma force, vite à mon aide ;

Délivre l’épais de mon âme, de la patte du chien, ma personne ;

Sauve-moi de la gueule du chiot, de l’infâme cabot, ma pauvre vie.

– Allez Luya !

– Silence !

Les psaumes se succédèrent et rares furent ceux où le mal ne prit pas la forme d’un chien, ce qui somme toute est juste et compréhensible. Grumpy ramena sa fraise régulièrement avec des « Allez Luya » intempestifs. Enfin nous arrivâmes à la fin de l’office :

– Nous célébrons maintenant le chat Risti, vierge de tout péché, par ce lait immaculé. La pureté est en lui, la pureté passe en nous, venez et buvez-en tous !

Alors un à un les chats de l’assemblée allèrent boire à l’écuelle puis s’en retournèrent d’où ils étaient venus sans plus de cérémonie. Quand il n’en resta plus qu’un je décidai de passer à sa suite. Oh ! madame ! C’était du vrai lait ! Pas du lait de vache, ni de chèvre, ni de brebis, ni de truie, de riz, de soja ou autre ! Non pas de ça ! Du lait ! Du vrai lait ! Par la mère Dieu je n’en croyais pas mes papilles. De ma première lampée je m’imprégnai longuement, puis ce fut plus fort que moi ; je plongeai le museau dans l’écuelle pour en laper le plus possible le plus vite possible. Immédiatement je sentis des griffes sur ma tête et la relevai. Le prêtre avait un air sévère et réprobateur :

– Dis-donc toi ! Es-tu baptisé au moins ?

Je fis un gros mensonge plein d’assurance pour ne pas laisser de place au doute :

– Bien sûr que oui !

– Et penses-tu être si proche du seigneur pour avoir droit à une part augmentée ?

– Non pas du tout. Mais puisque je suis le dernier…

– Le dernier des chats j’entends bien. Mais as-tu pensé à la part de Mercure ?

– De Mercure ? Quel marché de dupe ! D’ailleurs on est jeudi !

– Restons humbles !

Alors le prêtre a plongé violemment ses deux pattes avant dans l’écuelle et celle-ci s’est renversée, laissant échapper son précieux breuvage. J’ai senti frétiller mes moustaches, comme une envie soudaine d’en découdre, pour tout dire je fus à deux griffes de lui arracher la tête. Je me contenais en détournant le regard de cet antipathique prieur. J’aperçus les silhouettes de plusieurs chats aux fenêtres de l’hospice voisin, chats auxquels était sans doute destiné le langage des signes. Puis, faisant quelques dizaines de pas le long du muret sans but, j’entendis une voix que je crus tout d’abord réprobatrice à mon égard :

– Lamentable ! Vraiment lamentable !

Je levai la tête, une belle chatte blanche me regardait fixement. Je croyais devoir me justifier immédiatement mais elle ne m’en laissa pas le loisir :

– Crois-tu que si tu avais bu tout le lait tu serais soudainement entré en lévitation ?

– Certes non.

– Tu aurais simplement épanché la soif qui te tiraille. D’ailleurs tu sembles avoir très soif pour un chat.

– J’ai surtout faim car j’ai très peu mangé depuis vingt-quatre heures et ce lait était du vrai lait.

– Au lieu de cela, derrière la référence idiote et qui plus est païenne à Mercure, c’est la terre qui a bu ce si bon lait. Il m’est d’avis qu’elle n’en a cure.

– Je le partage.

– Cela dit la gourmandise peut être un vilain défaut.

– Ou pas.

– Hum ! Où est passée cette belle assemblée ?

– Je l’ignore.

– Eh bien elle s’est dispersée. A chacun son chemin, chacun chez soi, chaque chat pour soi. Où est le dialogue, où est le lien, où est l’amour dans tout cela ?

– Ce n’était peut-être pas le but.

– Quel but alors ?

– Je l’ignore.

– Voudrais-tu que je te conduise dans un endroit où dialogue, lien et amour sont réels.

– Je ne sais pas. Ton dialogue il a pour but de m’inculquer ta façon de voir ou bien de t’imprégner un peu de la mienne ?

– Tu m’as prise pour une très loin de Jéhochat ?

– Je suis du genre méfiant. Et puis je n’ose pas trop m’éloigner car je suis venu avec une fée et j’ai convenu de retrouver George ici à minuit.

– Cela nous laisse quelques heures devant nous. D’ailleurs Odette est sûrement déjà là-bas.

– Tu connais Odette ?

– Il faut croire. Sûr qu’elle a mis les voiles, la messe n’a jamais été son truc.

 

Cher improbable lecteur, chère improbable lectrice, je vous conterai dans un prochain billet comment je passai quelques heures en bonne compagnie.

 

Votre dévoué serviteur, Darwin Le Chat.

 

3 octobre 2015

Carnets souterrains ou la vie dissolue d’Adamour Bibi de Dardelili.

Chalut

 

Petite digression. Sachez que je suis un chat né avec le printemps, ce dont vous vous doutiez sans doute car les chats de printemps sont plus vigoureux que les autres. Certes mes premiers mois furent un peu difficiles car j’étais glouton mais, volant pourtant souvent la part de lait de P’tit Gris, je n’étais jamais rassasié. Puis notre mère disparue soudainement et nous crûmes mourir de faim, surtout moi. Heureusement Burbulle nous trouva et nous apporta de quoi survivre et s’empressa de nous apprendre à trouver notre pitance et à affronter les épreuves. Je n’étais pas très doué pour ça et ne profitai guère. Je restai chétif jusqu’à mon septième mois, c’était très handicapant pour un chat de gouttière et je manquais d’assurance, notamment lorsque j’eus à traverser la passerelle. Puis l’occasion qui me fit dévorer de la viande plus que de raison agit comme un révélateur. Je pus satisfaire mon côté glouton, et désormais bien au fait des bons coins où trouver de la viande, je ne fis que manger. Entre mon huitième et douzième mois je grandis et grossis bien au-delà des attentes ; je rattrapai P’tit Gris puis le dépassai, une poussée tardive qui paraît inexplicable pour un chat de gouttière car nous sommes réputés grandir plus vite et moins longtemps que les chats d’appartement. En vérité nous ne sommes pas de vrais chats de gouttière, plutôt une génération spontanée, notre mère s’étant réfugiée sur les toits par certitude qu’on se débarrasserait de nous sitôt nés. Cela explique sans doute pourquoi je suis ce que je suis. J’incarne il est vrai une sorte de perfection n’ayant pris que le meilleur de chaque côté. Revenons à nos chatons ! Le besoin de manger sans cesse ne me passa que tardivement, justement lorsque je découvris mes aptitudes intellectuelles, appris prestement à lire et cherchai dès lors la nourriture intellectuelle plutôt que celle du corps (j’avoue aussi que la mise au régime me fut un peu commandée par le fait que je ne passais plus au travers de certains trous qui me sont utiles pour aller d’un bâtiment à l’autre). Je me suis affiné, je me suis musclé à la faveur d’escalades que peu d’autres chats parviennent à effectuer. Si je dépasse encore allègrement les six kilos, ils sont tout en grâce et majesté, et m’évitent bien des tourments par l’effet dissuasif qu’ils ont sur mes congénères. Au prochain printemps, pensez au plus beau chat que vous avez jamais vu, ce sera là une manière honnête de me rendre hommage.

 


J’en reviens à nos fantômes. Odette dormit très bien la tête sur mon ventre, mais sachez qu’elle parle en dormant dans un jargon incompréhensible. Nous fûmes éveillés par le tintement des clochettes du collier du chat roux. Odette et moi nous étirâmes d’un même élan et nous portâmes en baillant vers le coin du rouquin.

 

– Dépêchez-vous ! Je vais bientôt fermer !
– Tu viens à peine d’ouvrir.
– Comment vous pourriez le savoir ? Ronfleurs !
– Pff…
– Bon. J’ai cherché et je crois avoir trouvé ce que vous cherchez sans pouvoir le trouver.
– Voire.
– Vous voulez la lecture des documents ou simplement être désagréables ?
– Il nous serait agréable de l’ouïr très cher archi archiviste.
– Bon. Alors écoutez ! « Adamour Bibi estoit filz de Jean Bibi, marcheand à Lyon, venut riche à sohet, son sohet fust d’estre plus riche il vint plus riche, tant et tant se fist seigneur de Dardelili. Jean passa et Adamour, qui estoit sans frère ni sœur, herita a sa fortune. Adamour estoit très advenent, blond de cheveux, bien peigné et testoné, beau de visage, le nez ionique, les yeux bleus, galland, hault, gaillard, aigu, subtil, hardy, vestut à la mode, bragard, la braguette longue et ample. Estoit bon vivant et aimoit mieux tenir goubelest que plume en main, mais moins goubelest que mentile qui avaist vu plus d’un trou mais poinct celui de sainct Patrice. Beuvant il eust un soir révélation de construire un convent sur sa terre afin d’estre tant bien aulprès des dames que de dieu. Cest convent le voulust interdist aux hommes afin que l’endroit ne fust poinct souillé en pensées inspures avoit ja expérimenté en luy. Vrayement, n’estoit point chattemitte car il fust fest selon son bon voloir et il est duyt que oncque homme n’y vinst. Ce connust il fust estably que femmes non religieuses y estoient repceuz si le vouloient, affin que y prooient le temps que voudroient. Selon les registres, vinrent en cest convent, mesdames : De Lailieu, Magret, Duchaussoir de Filibredin, De Rubins, De Tourte, Le Prist, De Chassemotte, Lamarre, Larançon, Salé, De Longe, Gendre, Depierre, Greffe, Lesargues, Chantier, Beaulapin…
– Excuse-moi mais… elles sont nombreuses comme ça ?
– Une centaine et des brouettes.
– Je suggère qu’on aille directement à la fin de la liste.
– Ah !… Bon. Ben voilà, je ne sais plus où j’en suis. Laissez-moi réfléchir une minute.
Ce qu’il fit.
– Laissez-moi vous donner lecture d’un passage de la lettre que fit madame De Chassemotte à madame De Vuvle Vulpin !
– Qui est madame De Vuvle Vulpin ?
– Si vous m’aviez laissé aller au bout de la liste vous le sauriez. Ecoutez ! « Je m’estois mins en dévotion es soubz terre du convent, en une salle que n’avoit rien sinon une cheminée sans feu. Sobdain la terre et la cheminée s’ovrirent en deux et parust un luciferece qui me manda de le suivre. J’allais un quart de demi lieue jusques davant une grande salle richement meublée et j’y vist dieu feit homme. Vrayement estoit dieu car estoit très advenent, jeune, blond de cheveux, bien peigné et testoné, beau de visage, le nez ionique, les yeux bleus, galland, hault, gaillard, aigu, subtil, hardy, vestut à la mode, bragard, la braguette longue et ample. Estoit bon averlant et m’ofrist deux goubelest de l’eaue béniste de cave. Cependent que je beuvois, il mist bas ses chausses. Avoist de belles griefves et la braguette n’estoit poinct goureuse car sa couille estoit d’un empan et ses triquebilles d’un marc chascune. Il entreprint venir au dessus de moi Maistre Jean Foutre en l’air et mist sa main contre mes cuisses. Me diz : « Cist la vodroit jouer du serrecropierre ! » A quoy mist les mains a ma poictrine au grand interest de ma robbe. Ah ! non ! Ah ! non ! non ! non ! Une robbe tolt satin et veloux ! Je m’airoie de moi mesme sans instance ny hayt. Ce que fut faict, m’abouchast sur la table affin qu’il frottast son lart. Dame ! J’y fust quelque meschante heure cependent que me moulinoit du mouchenez en archidiacre, m’enfonçoyt son berfroi, m’abreuvoit le soliflore, me bouliguoit la gouliche, me braquemardoit le braion, me belinoyt la beloce, me bezinoyt le braizin, me maraudoyt la framboise, me mitainoyt le minoit, me calibroyt le callibistris… Mamye, si je soy femme, par sainct Georges ! dieu n’est pas bougre car a cest ouvrage n’avoit ni fin ni canon ! Je m’escrioie : « Asperge me Domine ! » Tandis que me transcouloyt je fus bien eschauffée du penil et vinst hors d’haleine et toute resudante. Je cuyd avoir tourné on convent sans toucher terre puis, tourné ez Lyon, je vinst grosse. Je voulust l’enfant nommer Jésus. « Voyre, repondist mon mari. Devray je te nommer Marie ? » Mainstenant que mon chier filz a six ans, vrayement estoit très advenenent, blond de cheveux, beau de visage, le nez ionique, les yeux bleus, galland, hault, gaillard, aigu, subtil, hardy… comme bien des enfantz en ceste cité »
– Hum, hum. Tout cela me laisse perplexe.
– Chut ! Ecoutez donc l’extrait de cet autre document ! « Par décret du roi, fust ordonné que seroient destruitz en la seigneurie de Dardelili, le convent, le chasteau et le passaige soubz terre, ceste terre rendust au roi et le nom de Dardelili oblié à tout mai. »
– Cela ne nous dit ce qu’il fait là.
– Je pourrais vous le conter aussi mais, fors le style, ça ferait redondant avec ce que je vous contai hier.
– Vrayement ?
– Oui dea ! Un très bon coin à cadavres pour les siècles des siècles !
– Bien. Si j’ai bien compris, malgré les approximations grammaticales… grosso-modo cet homme fut éliminé pour avoir donné du plaisir aux dames.
– Id quod plerumque accidit.
– Pourquoi ont-ils fait une chose pareille ?
– Malum prohibitum.
– Voilà une singulière injustice.
– Canis canem edit !
– Baisoyt-il les nones ? a dit Odette.
– Nemo igitur vir magnus sine aliquo adflatu divino umquam fuit.

 

Le roux semblant bien décidé à m’énerver et puisqu’on en savait assez , nous prîmes congé de lui. Nous retrouvâmes le tunnel principal et Odette volait de ses propres ailes juste devant moi.

 

– On dirait qu’on a trouvé un chat plus savant que toi matou !
– Non pas du tout Odette ! Car vois-tu ?… son chavoir ne sert aucunement sa réflexion. Tandis que moi je…

 

A cet instant Odette s’est exclamée : « Voyons voir ! » Puis elle a pris la poudre d’escampette. Cher lecteur, chère lectrice, êtes-vous du genre à sauter du coq à l’âne quand la conversation ne vous intéresse pas ? Odette oui. Donc elle a filé à grande vitesse vers le bout du tunnel sa lueur s’est affaiblie avant de disparaître totalement. Noir d’encre, j’en suis resté couillon. J’ai passé deux minutes à me demander si elle allait revenir, ce qu’elle fit.

 

– Ben t’en fais une tête matou !
– Tu trouves ça drôle ? Je n’y voyais plus rien.
– Je croyais que les chats voyaient bien dans le noir.
– N’importe quoi ! Dans le noir total on voit du noir total tandis que dans la pén…
– Sais-tu ce qu’il y a à l’autre au bout de ce tunnel matou ?
– Non.
– Une pierre.
– Une pierre comment ?
– Grosse comme le tunnel.
– C’est bouché, quoi.
– Bouché oui.
– Aucun intérêt donc. Alors sortons !

 

Dehors il faisait jour et les chats gardiens avaient mis les voiles pour la plupart. Ils n’en restaient que deux, en grande discussion avec George. L’ambiance semblait au beau fixe, pas comme le temps, très nuageux avec un mercure passant timidement le zéro en ce début d’après-midi. Sitôt dehors Odette m’a de nouveau laissé en plan.

 

– Hello Darwin ! Alors ? Ce fantôme ?
– Un séducteur ! Pauvre hère ! Il fut bien peu récompensé de ses services. Je te raconterai.
– Well. J’ai pris du poisson et nous t’en avons gardé.

 

J’ai regardé le poisson posé à ses côtés.

 

– Il n’est pas gros dis !
– Il est ce qu’il est. Frais pour le moins. Ça te changera.
– C‘est rien de le dire. Et le journal ?
– Forgot it. Sorry !

 

Ainsi commença cette nouvelle journée. Assez peu rassasié je décidai d’attendre la nuit à explorer un peu plus le cimetière. Les fantômes n’étant pas visibles en plein jour, je croisai de rares humains, agents de la ville, badauds ou familiers des lieux. Dans mes prochains courriers je vous raconterai la fin de mon aventure.

 

 

 

Darwin.

 

3 octobre 2015

Sulunc le veement a Darwin, il fust secle sezisme fantosme

Chalut

 

Après un rapide trajet sur une piste large et tranquille (durant lequel Odette m’expliqua qu’elle aurait bien pu abréger la discussion avec Grumpy si tel avait été mon bon désir) nous sommes parvenus au cimetière de Loyasse. Bien avant d’en admirer les monuments nos regards se portèrent naturellement sur les fantômes. Par fantômes j’entends bien sûr des fantômes d’humains. Il m’arrive occasionnellement de voir des fantômes d’autres espèces, notamment un qui m’attriste beaucoup, mais c’est une peuplade avant tout humaine et je vous expliquerai peut-être pourquoi si j’expose un jour ma théorie à ce sujet. Il est également notoire que seuls les humains ne voient pas les fantômes, quoique certains prétendent abusivement le contraire ; par contre beaucoup ont semble-t-il la capacité de ressentir leur présence. J’ignore la raison de ce phénomène, tout comme j’ignore pourquoi certains fantômes errent sur le lieu de leur inhumation ou crémation et d’autres sur le lieu de leur mort corporelle. Je n’avais jamais visité aucun cimetière, mais comme je vis près de la place des Jacobins, dont une partie fut jadis occupée par un cimetière attenant à l’ancienne église et ancien couvent Notre-Dame de Confort, les âmes en peine me sont assez familières. Connaissant le cimetière de Loyasse de par mes lectures, je m’attendais à plus d’agitation. Comme vous ne le savez peut-être pas, le cimetière de Loyasse est à Lyon ce que le Père Lachaise est à Paris. A l’instar de ce dernier il date du début du 19ème siècle et contient d’imposants tombeaux, quoiqu’en moyenne moins monumentaux et dans un cadre moins extraordinaire. Il faut dire que Lyon contient moins de mégalomaniaques que Paris, non pas en proportion mais en quantité, par force, et que les grandes fortunes y sont généralement moins grandes que dans la Capitale. Alors si Lyon c’est comme Paris en moins moins moins, tout de même, cela donne une carte postale saisissante. Nuit sans lune et ciel chargé de nuages, la visibilité restait bonne et les lumières de la ville me suffisaient pour embrasser le cimetière autant que le relief me le permettait. Il y avait là une poignée de fantômes, deux assis sur des sépultures et les autres se baladant, apparemment sans but, sauf un. Je ne sais pas trop comment vous représenter la vision d’un fantôme mais je puis au moins vous assurer que ce n’est pas un drap flottant avec deux trous pour les yeux. D’ailleurs si vous pouviez apercevoir le fantôme d’un personnage célèbre disparu, vous le reconnaîtriez immédiatement. Il en était donc un qui semblait parfaitement occupé. Il était vêtu d’une cape à col plat, d’un pourpoint col officier, de trousses et de souliers à pied d’ours. Nous le vîmes tout d’abord à quelques mètres de nous, arrêté devant une tombe et semblant parler doucement. Ensuite il a remonté l’allée latérale pour s’en aller longeant le carré des prêtres. Je sautai du mur pour lui emboîter le pas et le suivis jusqu’au centre du cimetière où il s’arrêta devant un gros tombeau. Là il a brandi un bras rageur et paru vociférer des insanités. Il a recommencé plusieurs fois à proximité d’autres tombeaux avant de disparaître soudainement. Tandis qu’Odette, George et moi restions interrogatifs, une voix s’est élevée sur ma gauche :

– Etonnant n’est-ce pas ?

C’était un gros vieux chat aux oreilles abîmées, paisiblement installé entre deux monuments.

– Certes oui. Que faisait-il ?

– Eh bien à vrai dire, quoique je vive ici depuis longtemps, je ne connais pas précisément son histoire. Il y a pourtant un moyen de le savoir.

– Lequel ?

– Il faudrait pouvoir accéder aux archives.

– Quelles archives ?

– Mais les archives fantômes, voyons !

– Et où se trouvent-elles ?

– Où elles sont précisément je n’en sais rien, c’est un tel dédale. Mais vous trouverez un archiviste à son poste si les gardiens veulent bien vous laisser passer. Moi je pourrais vous conduire jusqu’aux gardiens mais ça vous desservirait.

– Pourquoi ?

– Parce que je suis gatto non grato chez les archivistes. Raison pour laquelle je n’en sais pas plus sur ce fantôme là. Ce n’est pas faute d’avoir essayé.

– Et où se trouvent-t-ils ces gardiens ?

– Dans le fort. Retournez en arrière, à la sortie de la rotonde c’est tout droit à gauche. Vous trouverez.

 

Reste des fortifications lyonnaises, le fort de Loyasse a laissé quelques beaux vestiges qui font le bonheur des jeunes explorateurs en mal de sensations. Dans l’enceinte même du cimetière subsiste un bâtiment abandonné par les humains à qui en avait l’usage : les chats archivistes. Ils en font un usage réduit d’ailleurs, ne figure là qu’un poste avancé occupé par une tripotée de félins aux aguets. Nous nous sommes dirigés vers l’un d’eux qui nous a questionnés a distance :

– C’est pour une consultation ?

– Oui.

– La mouette… je doute que cet endroit soit fait pour toi. La fée… si tu peux marcher et te faire petite, à la rigueur.

– Well. De toute façon je n’escomptais jouer les chauves-souris. Je vais pêcher en attendant.

 

Odette et moi avons suivi ce chat gardien jusqu’à un trou surveillé par un autre chat en faction et qui ressemblait à l’entrée d’un terrier de lapin (le trou, pas le chat.) Avant de nous y laisser pénétrer le gardien a dit :

– Au début c’est assez étroit mais ça s’agrandit par la suite. A l’embranchement ce n’est pas à droite. D’ordinaire ça se fait à tâtons… j’en voudrais bien un éclairage comme ça !

 

Odette s’avança bille en tête. M’arrivant à peu près au garrot, elle avait la juste taille pour marcher dans le boyau mais ses ailes raclaient les parois en se courbant selon les aspérités rencontrées. Au bout d’une vingtaine de mètres le boyau passa de terreux à pierreux et la pente s’adoucit. Nous allâmes encore quelques dizaines de mètres avant de déboucher sur un tunnel d’un bon mètre de large et de haut. Je regardai les pierres des parois, parfaitement agencées mais semblant ne pas avoir été posées de la veille. Prenant d’emblée sur la gauche Odette ne me laissa pas le loisir de voir ce qu’il y avait à droite. Je la suivais tout en observant le sol sur lequel s’était déposée une légère couche de terre sèche maculée de traces de pattes de chats. Soudainement Odette s’arrêta et fit remarquer qu’elle n’en voyait pas le bout :

– Si j’avais un ami il me porterait.

– Hé ! oui. Si tu avais un ami.

Elle s’est parée d’une moue boudeuse.

– Si tu ne veux pas marcher, vole ! L’espace est suffisant il me semble.

– Oui mais moi j’ai envie qu’on me porte !

– Ok ! ok ! Grimpe !

Elle fut sur mon dos d’un geste révélant une cavalière aguerrie et d’emblée « m’éperonna » en criant :

– Hue chacha !

– Si tu commences comme ça tu vas redescendre tout de suite ! Tiens-toi tranquille !

– Daccodac matou ! Je me demande où nous sommes.

– Je crois que nous sommes dans un ancien aqueduc romain. Et d’après mes connaissances, qui sont vastes, ce tronçon n’a pas été référencé par les historiens et archéologues.

– Nous montons, non ?

– Tout doucement.

Nous sommes allés sur une bonne longueur, peut-être cinq cents mètres, pratiquement en ligne droite. Enfin nous sommes parvenus à une petite salle dans laquelle débouchaient plusieurs autres tunnels. Les parois de l’un d’eux reflétaient une légère lueur bleutée :

– Je crois que nous touchons au but.

Dans ce tunnel nous avons trouvé un chat roux endormi à côté d’une petite vasque enflammée et d’un collier muni de petites clochettes. J’ai bougé le collier, le chat à ouvert un œil.

– Mmmm… Quelle agitation ! Pas moyen de passer trois jours tranquilles. Votre requête ?

– Eh bien nous ne savons pas précisément.

– Je ne peux pas le savoir à votre place.

– Il s’agirait d’un cas datant d’avant l’ouverture du cimetière.

– Quel cimetière ?

– Celui de Loyasse bien sûr.

– Bien sûr, bien sûr. Nous archivons ici tous les fantômes de la ville depuis des lustres. Vous avez l’année du décès ?

– Non.

– La décennie ? Le siècle ?

– 16ème je crois. Mais la mort serait localisée à Loyasse.

– Bon. Ça réduit déjà l’éventail. Laissez-moi réfléchir une minute !

Ce qu’il fit.

– Je crois que j’ai ce que vous recherchez. Le début du document est endommagé mais l’essentiel y est. Ecoutez : « …enstre vigne et vigne, le cors dum omne, mortes a tou mais, d’environ trente annels, vesti seul chainse, ne cappel, ne casure, ne braie, ne chausse, ne sollers, ne borse, ne desniers, ne espee, ne braquet. Le Gentis Omne dist : « Chapitles sarons qe faire », « Quil conduira ? Sire. », « Vos. A chanoines contors irez. » Volrent veoir soe Saintee et l’oir, point ne vehu. Le moinen a Saint Just, ne reciurent audience. Le moinen a Saint Irenee, memement. A Saint Jean, ne pooir avant. A Saint Paul, memement A saint Nicet, furunt venut burgeis et marcheands volontifs de voier le cors. Sulunc le veement a cez humaines gents il fust mors de celle bleceure al cuer. Volrent saveir se fust omne lyonnois, unques ne connu. Fust queste a savoir se estoit truant, vague, meiteir, soudar, burgei, marcheand, clerge o chevalier. Le gardirent la boche, avoit joliettes dents qui fuirent nombrez a trente et deus. Le gardirent les pieds, estoit pieds a sollers. A cez humaines gents paruit que estoit Gentis Omne. Tou ce pendant, vinvet rumors a eglise porture. L’un dist : « Il estoient treis peestres en aproismement de Lyon. Sodain icelui, oiant cloches, volut estraindre a ses compaings. Cist pensunt : « A diavle ou cors. Il est desvet e pesme peoir qe pestilance. » Il le corrent sus mainnemain et de juste empeinte le estroerent. Por ce que li diavle se retorne ent le feu il fierent, maintenant le desviestirent. Por ce que devant Dieu ne fust tot nu, ne prinrent le chainse. » Oiant ceci burgeis et marcheands le bruslerent le cors maintenant. Unques ne vist ses compaings, oncques fust connu lui non cest Gentis Omne. »

 

Odette en est restée béate.

– Tu connais tout ça par cœur matou ?

– Evidemment !

J’étais moi-même impressionné mais pas satisfait.

– Désolé mais ce n’est pas ce que nous cherchons. Un document du 16ème ne serait certes pas écrit en ancien français mais en moyen français.

Le roux m’a fixé furieusement.

– Peut-être n’est-il pas du 16ème siècle !

– Quel fantôme du 13ème porte la mode du 16ème ?

– Mmmm… Laissez-moi réfléchir.

Il a fermé les yeux et une minute après j’ai compris qu’il retombait dans son sommeil. J’ai secoué le collier et le chat a réouvert un œil.

– Désolé mais c’est l’heure de dormir.

– Comment sais-tu l’heure qu’il est ?

– Je ne le sais pas.

– Alors comment sais-tu que c’est l’heure de dormir ?

– Parce que j’ai sommeil ! Revenez plus tard ! Si vous ressortez à l’air libre sachez que vous ne pourrez pas revenir avant un mois.

– Pourquoi ?

– C’est la règle.

– Alors nous attendrons là la fin de ton somme.

– Non car la lumière de la fée me dérange.

– Pff !

Nous nous sommes éloignés dans un autre tunnel pour nous reposer à notre tour. Je me suis mis en boule et Odette a posé sa tête sur mon ventre. Je lui ai fait part de mon sentiment sur le texte déclamé par le chat archiviste :

– Vois-tu Odette ? Je crois que l’homme dont il nous a parlé n’était pas un vagabond.

– Personnellement je n’ai pas compris grand chose

– Ah !… Eh bien je fais une hypothèse. A mon avis il s’agissait d’un homme pris dans les conflits entre l’archevêché et les chapitres. Peut-être envoyé par le Vatican auprès de Pierre de Tarentaise pour briser l’autorité du chapitre cathédral, ce qui n’aurait pas manqué de susciter l’animosité de chanoines jaloux de leurs prérogatives. L’histoire du diable n’aurait été que pure invention…

 

Pendant que je parlais la luminosité d’Odette s’est affaiblie peu à peu au point de s’éteindre totalement et bizarrement ses ailes sont devenues toutes molles. Elle dormait et je décidai d’en faire autant. Je vous dirai bientôt ce que nous apprîmes par la suite sur notre fantôme.

Chalut

 

 

3 octobre 2015

Grumpy

 

Chalut.

Comme je crois vous l’avoir déjà dit, je n’ai pas été un grand voyageur lors de mes premiers mois d’existence, notamment par peur de passer par-dessus les fleuves qui font le charme de cette ville. Je passais donc le plus clair de mon temps sur mon pâté de maison à chercher les moyens de cultiver mon grand potentiel intellectuel qui n’a guère pu vous échapper. Ce mode de vie m’allait très bien jusqu’à ce fameux jour du mois dernier où la fée Odette a débarqué en plein milieu d’une discussion que je tenais avec George :

– Salut le dingue et la rieuse ! Quoi de neuf ?
– Une entrée plus polie serait une nouveauté appréciable !
– Pff ! Quel grincheux tu fais matou ! Heureusement que je suis là !
– Pour ?
– Pour te dérider un peu ! J’ai des projets pour toi !
– Du genre ?
– Du genre culturel. Nous irons ce soir visiter le cimetière de Loyasse. Tout refus me fâcherait grandement !
– Fâche-toi autant que tu veux ! Je n’ai aucune intention de traverser la Saône !
– Quel trouillard tu fais matou !
– Facile à dire quand on a des ailes !
– Justement. Avec George et moi pour surveiller les alentours, quel danger peut-il y avoir ? Hein George ?
– Possible. A quelle vitesse peux-tu aller Darwin ?
– Sur une telle distance je ne battrai pas Usain Bolt bien que, comme vous pouvez le constater, je sois superbement bâti.
– Certes. Mais c’est guère difficile trouver une minute sans humain sur la passerelle. Il suffit d’attendre le milieu de la nuit. Je surveillerai un côté et Odette l’autre.
– Si nous partons au milieu de la nuit nous n’aurons jamais le temps de revenir avant l’éveil des humains !
– Eh bien nous ne reviendrons que la nuit d’après.
– La nuit d’après ? Je ne peux tout de même pas passer 24 heures sans manger ni dormir ?
– Ah ! mais quel anxieux tu fais matou ! Comme si c’était chose difficile de trouver un endroit pour dormir et de quoi se nourrir !

Après moult palabres je me laissai convaincre, en route pour l’aventure ! C’était en février, il faisait un peu froid et Odette était salement emmitouflée. Comme convenu nous nous mîmes en route tardivement et la traversée de la passerelle fut rendue aisée par les aptitudes de mes amis ailés. Afin d’éviter une mauvaise rencontre nous empruntâmes le petit bois qui jouxte la montée des Chazeaux et résulte de l’éboulement tragique du 13 novembre 1930. Parvenus dans le jardin du Rosaire nous fîmes une halte au lieu déjà évoqué dans un billet précédent et qui donne ce fameux point de vue sur la ville. Nous allâmes ensuite vers le cimetière mais un petit pêché d’orgueil de ma part nous coûta un fâcheux contretemps. Je voulus bien montrer à Odette et George que mes performances physiques n’ont rien à envier à celles de Passe-passe. Voyant le moyen de gravir un haut mur je me fis soudain deux fois bondissant et me retrouvai dans un jardin arboré. Je gardai le cap à l’ouest mais dans la pénombre je vis venir vers moi une silhouette rugissante que je reconnus immédiatement comme appartenant à un chien. Réflexe instantané, je griffai le premier arbre à ma portée et me hissai hors de portée de la bête pour l’observer d’en haut. C’était un chien beige et blanc, très trapu, apparenté bulldog mais probablement mélangé, en tout cas vraiment vociférant. Son vocabulaire était redondant et passablement offensant. Il voulait savoir qui j’étais, d’où je venais et ce que je faisais sur son domaine ; mais il ne me laissait pas en placer une en réponse. Enfin, au bout de longues minutes il a fini par se taire et a arrêté de gesticuler :

– Chien ! Inutile de te mettre dans tous tes états car je ne fais que passer !
– Que tu crois ! Justement j’ai un mot d’ordre : « On ne passe pas ! » Ne sais-tu pas que cette propriété est privée ?
– Ta propriété ?
– Celle dont je suis en charge et qui appartient au grandissime archevêché de Lyon !
– Il m’est d’avis que ton sens de l’hospitalité a quelque chose de pas très catholique.
– Cette hospitalité dont tu parles ne s’adresse pas aux parasites ! Ce qui exclut d’emblée tous les chats de ce monde.
– Je ne suis pas un parasite.
– Oh que si ! Comme tous ceux de ta race ! Tu ne fais rien ! Tu ne sers à rien ! Tu manges et tu dors ! Un parasite, ni plus ni moins !
– Pour ta gouverne sache que je sers beaucoup !
– Oh ! oh ! De mieux en mieux ! Dois-je comprendre que monsieur se sent partie prenante à l’avancée du monde.
– Je n’ai certes pas dit cha mais enfin… j’ai de bonnes raisons de croire que mon utilité vaut bien la tienne.
– Oh ! oh ! Moi monsieur, j’appréhende, je vilipende, je réprimande ; je garde, je nasarde, je larde ; je veille, je surveille, j’éveille ; je guette, j’enquête, j’alerte ; je lorgne, je grogne, je cogne ; je renifle, je niche, je griffe ; j’appâte, je frappe, je mate ; toutes choses pour lesquelles je ne demande que deux rations par jour et une paillasse pour mon repos. Je mérite ma pitance moi monsieur ! Tandis que toi tu passes tes journées sur un canapé à attendre qu’on remplisse la gamelle dont on te fait grâce et dont tu ne te satisfais guère car bien sûr tu ne sais rien faire mais critique tout.
– Pour ta gouverne chache que je suis de gouttière et par force je n’attends rien de personne.
– Oh ! oh ! Nous y voilà ! Un beau spécimen de chat de gouttière ! Un exterminateur de muridés, famille qui à mon avis, bien que parasitaire dans son intégralité, vaut cent fois la tienne.
– Tu fais bien de rappeler que grâce à nous les humains se trouvent bienheureux d’apaiser l’une de leurs plus improbables phobies. Cependant moi-même je ne chasse qu’en ultime recours.
– Autrement dit ton unique moyen de subsistance est le vol !
– Je ne suis pas un voleur mais un glaneur !

– Voyez-vous ça ? Un de ses félins maléfiques qui sèment la pagaille dans les locaux à poubelles ! Pas de quoi se vanter ! Les glaneurs sont à l’égal des voleurs depuis la nuit des temps. Il en allait déjà ainsi lorsque le gros des habitants de ce pays s’occupait à cultiver la terre. Alors les gens bien au fait des cycles de la nature, savaient lui retourner le minimum vital. Je parle en connaissance de cause car ici nous avons un potager qui attise bien des convoitises. Le glaneur… prenons l’exemple d’un lapin glaneur ; le glaneur donc, s’autorise à penser que s’il reste une salade après le passage du propriétaire du potager cette salade lui est due. Quid de l’humus ? Quid du terreau fertile ? Quid des minéraux ? Vois-tu, l’humain est dans sa majorité bête comme chat, cette majorité qu’on appelle le peuple a engendré bien des glaneurs inconséquents qui, par le besoin d’avoir tout, tout de suite et gratuitement, ont appauvri les sols et compromis les récoltes des années suivantes. Voilà pourquoi le glaneur est à l’égal des voleurs et des braconniers, ceux-là même qui, si on les laissait faire, décimeraient la faune d’un domaine en moins d’une génération. Ne sais-tu pas que si Dieu n’avait pas donné pouvoir à la noblesse et au clergé d’administrer les domaines, ce pays ne serait plus qu’une large steppe déboisée ? Ne sais-tu pas que si la chasse ne leur avait pas été réservée dans bien des forêts qui subsistent, il n’y aurait plus en France ni cerf, ni sanglier, ni renard et j’en passe ? Toi chat, tu es comme ce vil peuple : stupide et imprévoyant ! Glaneur égal voleur !
– Théorie défendable. Mais permets-moi la défense d’une autre ! La mienne parle d’un homme de ce peuple si bien accroché à la terre qu’il a une petite idée de la façon dont on lui parle. De la vue d’un nuage il vous prédit le temps qu’il fera demain, d’un coup de froid au printemps il en déduit l’été à venir. Il a son compost, son fumier, sa chaux. Il sait l’assolement et la jachère. Oh ! certes il ne connaît pas tout ce qu’il y aurait à connaître, il est simplement en phase avec le savoir de son pays, de son époque. Sur la terre qu’il cultive s’élèvent un château, un monastère, passent des soldats, des hommes en prière. Les uns ont fait vœu de pauvreté, les autres pas, mais les premiers mangent bien autant que les seconds, ils mangent de plus en plus. La récolte a été mauvaise ? Qu’importe si le droit du métayage dit ce qu’il dit, on accuse le paysan d’en avoir gardé sous le coude. Le métayage devient de fait un fermage, mais un fermage de spoliation de l’exploitant. Le paysan va mourir de faim. Qu’il veuille s’expatrier, c’est plein de barrages sur les chemins. Qu’il veuille manger un lièvre, on lui interdit de poser ses pièges. Il n’a dès lors d’autres choix que de retourner la terre en quête de la dernière patate, ou bien il s’en va braconner à ses risques et périls. De toute façon le paysan ne fait pas de vieux os.
– Tais-toi donc imbécile !
– Va au diable ! Qui de nous deux est le plus stupide en évoquant ainsi des temps immémoriaux ? Le glaneur n’était pas un voleur hier et l’est moins encore aujourd’hui où trente pour cent de ce qui sort de terre va à vau-l’eau. Pardonne la faiblesse de la métaphore mais l’Eve du 21ème siècle ne se serait jamais rendue coupable du péché originel avec une pomme précédant l’ère de l’homme. Pas assez brillante, trop peu uniforme, tachée… aujourd’hui Eve est du genre délicafoireux !
– A d’autres manant ! Je…

A cet instant Odette, qui tout comme George ne s’était pas signalée depuis mon entrée dans le jardin, a fait irruption dans toute sa luminosité, s’est plantée devant le museau du chien et a hurlé :

– Ferme ta gueule cabot !

Le chien a fait un bond en arrière, surpris par la manœuvre et la présence d’un être qu’il n’avait sûrement jamais eu le loisir de rencontrer. Cependant, de par son métier de gardien il n’était pas facile à effrayer et s’est vite ressaisi. Il a repris le terrain concédé dans une vaine tentative d’attraper Odette entre ses crocs. Peine perdue, cette fée, agile comme une hirondelle, savait se tenir juste hors de portée de son assaillant, ce qui naturellement a eu le don de l’énerver. Mon contradicteur s’est démené, a sauté en l’air tant et tant qu’il a fini par se fatiguer et en a pris son parti. Il s’est accroupi au pied de l’arbre dans lequel j’avais grimpé et a décidé qu’il avait tout son temps :

– Soit. Puisque la fée me prend de haut j’attendrai ici que toi le chat, tiraillé par le froid et la faim, tu redeviennes plus terre à terre.
– Et puis ?
– Et puis je te rosserai !
– Pourquoi ?
– Pourquoi pas ?
– Pff ! Idiot de clebs ! On a des choses à faire nous ! Laisse-le descendre !
– George ? George t’es là ?
– Au-dessus de toi !
– Je crois que j’ai besoin de ton aide.
– I know but… C’est molosse anglais ce chien-là. Veux-tu que j’aille chercher les pigeons ?
– Sûrement pas ! Je ne veux pas leur être redevable.

J’ai regardé le chien en espérant déceler en lui les signes d’un endormissement à venir. Il avait l’air à nouveau en pleine forme et m’a souri très ironiquement. Quelques minutes ont passé dans un grand silence durant lequel chacun de nous réfléchissait à une solution. Soudain deux chats sont apparus dans le jardin et se sont avancés tranquillement.
– Alors Grumpy ! Encore en train de torturer l’un de nos hôtes ?
– De une, ce n’est pas notre hôte mais un intrus ! De deux : mêlez-vous de vos oignons !
– De trois : devine qui a actuellement les pattes dans ton assiette de pâtes ?
– Nom d’un chat !

Grumpy est parti en courant vers le bâtiment le plus proche et je ne me suis pas fait prier pour sauter de mon perchoir. Je m’apprêtais à tracer vers l’ouest quand l’un mes deux congénères m’a interpellé :

– Habebimus Papam ?
– Quoi ?
– Aurons-nous un pape ?
– Qui ? Nous les chats ? Le même que les humains non ?
– Benoît XVI a démissionné.
– Ah bon ? Je l’ignorais, pourtant je suis assez chavant mais j’éprouve en ce moment quelques difficultés d’accès à mes médias.
– La question est : « Avait-il le droit de le faire ? ». Je veux dire… au regard de la communauté des croyants.
– Je l’ignore et n’entends pas attendre le retour du crétin canin pour l’apprendre.
– Oh ! ne vous en faites pas trop pour cha ! Il est tout en bouche. Si vous êtes dans les parages dans deux heures, joignez-vous à nous pour les mâtines.
– J’y penserai… Mais au cas où… adieu !

Je ne traînai pas, courrai à travers le potager suivant les indications d’Odette, passai un mur, un nouveau jardin arboré, pris par la gauche d’un hospice, revins sur ma droite, traversai un terrain de sport, une rue déserte, sautai sur un muret : le cimetière de Loyasse ! Vous voudriez sûrement savoir ce que j’y vis. Eh bien soyez un peu patients car je vous le dirai dans une prochaine aventure.

Darwin.

3 octobre 2015

Odette

Chalut.

Vous avez sûrement l’impression que je vous abreuve de messages. Cependant n’en prenez pas trop l’habitude, j’aurai des périodes moins fastes. Puisque je vous ai déjà présenté certaines de mes connaissances, il est temps de vous parler un peu de quelqu’un (si je puis dire) qui est entré dans ma vie et semble décidé à y prendre une certaine place quand bien même je ne voudrais la lui concéder. Vous vous dites peut-être que c’est exactement ce qui se passe entre vous et moi mais ce n’est pas très honnête de votre part dans la mesure où vous restez libre de ne pas lire mon blog. J’aime bien les êtres honnêtes alors tenez-le vous pour dit !

Il était Noël et comme il faisait anormalement chaud, je décidai de piquer un petit roupillon de trois ou quatre heures sur une cheminée du toit. J’étais serein et m’endormais d’un bienheureux sommeil. Je croyais m’éveiller de moi-même, à la manière dont j’aime pouvoir le faire, en sortant doucement du sommeil et en prenant tout mon temps avant d’ouvrir les yeux. Mais dans le flou d’un esprit passant du rêve à la réalité, de prime abord je ne me rendis pas compte du caractère forcé de cet éveil. Mes moustaches avaient frémi, un vent fort y suffit parfois, je ne m’inquiétai pas. Soudain je sentis une présence, puis un léger choc derrière mon oreille droite, j’ouvrai l’œil gauche, puis le droit, regardai tout autour de moi, rien. Je décidai de rêvasser encore un peu et refermai les yeux. Il ne s’écoula pas deux minutes avant qu’on ne me frappe légèrement le museau.

– Debout matou !

Elle était là ! Juste devant moi ! La fée Odette ! La fée d’Andrea, exactement comme la décrite petit bonhomme (dans le livre que vous n’avez pas lu) hormis dans ses attributs vestimentaires et ailés. Elle n’était pas en turquoise et crème mais aux couleurs de Lyon, portant un léger pull raz du cou blanc, des bottines à l’unisson, un bermuda bleu par-dessus collants rouges. Ses ailes étaient nervurées rouges et bleues autour de cellules blanches également. Je la regardai très étonné tandis qu’elle me fixait avec un petit sourire malicieux.

– Quel dormeur tu fais matou !

Je ne répondis pas.

– Qu’est-ce qui a des bottes, une moustache et ne sait pas dire non ?
– Oublie cha ! Je la connais déjà.
– Eh bien il fallait faire semblant de ne pas la connaître !
– Pourquoi ?
– Par politesse gros tas de poils !
– Ce n’est pas cha la politesse.
– Qu’en sais-tu l’impoli ?
– Je ne suis pas impoli.
– Bien sûr que si monsieur sans gêne ! Monsieur je visite tous les appartements même quand on ne m’a pas invité !
– Je ne les visite pas tous.
– Pas tous c’est déjà trop ! Alors comme ça tu es un chat chavant ?
– Parfaitement.
– Pfff. T’es chavant autant que moi je suis féeline ! Ecrire ne fait pas de toi un érudit.
– Tu m’espionnes ?
– Possiblement matou !

Durant ce petit dialogue elle s’était tenue suspendue devant moi. A cet instant elle m’a tourné brusquement le dos, a cessé de battre des ailes pour sauter sur le sommet du toit, a tiré un ruban bleu et un ruban rouge des poches de son bermuda, et s’en est allée en les agitant de part et d’autre tout en se maintenant en équilibre sur le faîte et en entonnant sa chanson avec un accent gonesque prononcé :

Avant, Avant… Avant
Bougeon bon vivant
Sa dent dîne et ça s’entend
Dans les bouchons de Saint Jean

Avant, Allant… Allant
Lyon militant
Fibre rouge et fil blanc
Mais sur les nappes seulement

Allant, Allons… Allons
Mâchons sur le pont
Grattons la couâne au caillon
Fêtons Noël au cardon

Allons, Ami… Ami
Fais-toi pas souci
Des catolles aux jalousies
La bachole est ben cafie

Ami, A moi… A moi
Les éclats de voix
Les liens tissés dans la joie
La foi dans un verre à soi
A boire, A boire… A boire
Entre Saône et Loire
Tout le sang de ce terroir
Gamay noir boule au trottoir
A boire ! A boire ! A boire !

Ah ! elle avait l’air d’avoir son caractère et j’étais assez satisfait de la voir partir. Cependant, comme je vous l’ai dit, elle n’entendait pas me laisser tranquille et s’évertue depuis à débarquer sans crier gare. La seconde fois que je l’ai vue j’étais avec George et il en fut très étonné car si nous côtoyons souvent les fantômes, c’est bien la première fée qui nous apparaît. Cette nouvelle apparition fut toute en délicatesse comme vous pourrez en juger :

– Salut la rieuse et le dingue ! Tudjuuuu !
– Voilà autre chose !
– Relax Max ! C’est juste qu’avec vos gueules vous me faites penser à Gaston !
– Gaston ?
– Gaston !… Gaston Lagaffe duo d’idiots ! Ne me dites pas que vous ne connaissez pas Gaston Lagaffe !
– Ben non !
– Jamais entendu ce nom-là.
– Pfff ! Et ça se prétend chavant !

J’ai depuis eu un petit aperçu de ce Gaston sur l’1 Terre-nette. Voyez le niveau culturel dans lequel on s’embarque.

Darwin.

3 octobre 2015

George Le Mouet

Chalut.

Quand George vint me voir j'étais en train de prendre un petit bain de soleil sur le toit. George se posa de manière à ce que son ombre couvre mon visage, ce qui naturellement me poussa à ouvrir l'œil. Notez que l'expression me convient assez bien car, hormis lorsqu'un danger manifeste se manifeste et étant d'avis que tout effort superflu est superflu, j'ouvre rarement les deux yeux en même temps au sortir d'une somnolence. J'ouvris l'œil donc, le gauche, et je vis George le Mouet, l'air rieur :

– Il paraît que tu veux me parler Darwin. C'est bien Darwin, isn't it ?

Je refermai l'œil gauche tout en lui répondant :

– Rien ne presse.

Je me rendormais presque aussitôt. J'ignore s'il s'écoula une minute, ou dix, ou bien même vingt secondes, la mesure de la patience de George m'échappant totalement sur le coup. Quoi qu'il en fut, je sentis une pression au niveau de ma colonne vertébrale tandis que George faisait valoir son droit à audience :
– Hey ! Wake up !

Je me redressai lentement sur mes pattes, m'étirai de tout mon long, bâillai à m'en décrocher la mâchoire, j'avais enfin les yeux en face des trous.

– Vilaine entrée en matière George.
– Chat ! Mon temps n'est pas si précieux que le tien mais ce n'est peut-être qu'une question d'unité de mesure.
– Remballe tes pouces et tes yards George ! Et ne viens surtout pas me dire que les chats ont plus d'une vie !
– Autant ne pas la passer à dormir.
– Autant la passer à faire ce qu'on aime.
– Certes. Que veux-tu ?
– Rien de spécial. Je crois simplement que nous sommes faits pour nous entendre.
– Hum... Possible. Si tu es aussi chavant que tu le prétends, il se pourrait que nous saurons être utile l'un pour l'autre.
– Il se pourrait que je te sois plus utile que Riton.
– Rien n'est moins sûr. En tout cas pas par le même registre.
– Je me demande bien à quoi il peut t'être utile.
– Là je suis déçu de toi Darwin. C'est un pigeon et je suis ici en poste pour la Gull International. L'as-tu déjà oublié ?
– Absolument pas. Cependant je ne vois pas le rapport.
– C'est un pigeon. Un pigeon de patte longue. De toi à moi, le meilleur intermédiaire jamais eu. Si tu crois que la mouette peut facilement sortir des voyageurs du giron des humains...
– Ah je vois ! Oublie les voyageurs ! J'ai tous les mots de passe de petit bonhomme, et bien d'autres encore, pour accéder à l'1-Terre-nette.
– Qui est petit bonhomme ?
– Peu t'importe. Grâce à lui il te suffit de trouver d'autres chats comme moi à proximité de tes correspondants. Ainsi tu pourras supprimer tous tes pigeons intermédiaires.
– Pourquoi voudrais-je faire cela ?
– Par souci d'efficacité.
– Nous sommes bien assez efficaces. Au profit de qui faudrait-il être plus efficace ?
– Au profit du temps libre.
– Et les pigeons ? Que deviennent-ils dans cela ?
– Ils auront du temps libre aussi.
– Darwin, tu es peut-être chavant mais pas très psychologue. Ce qu'aime le pigeon voyageur c'est être voyageur. Et pigeon voyageur ne voyage pas sans but.
– Oh si tu savais comme les pigeons sont ingrats, tu y réfléchirais à deux fois.
– Ah je vois... Ils sont ingrats... Mais pas les chats... Donc, admettons que nous sommes en affaire ; admettons que je trouve d'autres chats comme toi aux quatre coins du monde et ainsi, n'ayant plus recours aux pigeons voyageurs, la Gull International perd tout contact avec ce réseau-là. Que se passera-t-il le jour où les chats diront qu'ils ne veulent plus transmettre nos messages ?
– Pourquoi les chats feraient cela ?
– Parce que les pigeons disent que les chats sont ingrats. Et d'ailleurs pas que les pigeons disent cela, les chiens aussi.
– Les chiens ? Ben voyons.
– Bon, disons que les chiens comptent pas. Mais que dis-tu de cela ? Les humains pensent que les chats sont ingrats.
– Les humains pensent cela ?
– C'est notoriété publique.
– Tu dis peut-être vrai mais tu oublies une chose, c'est qu'il y a plusieurs sortes de chats ; les chats d'appartement, les chats de maison, les chats de ferme, les chats sauvages, les chats de gouttière... Si les chats d'appartements sont ingrats alors les chats de gouttière, qui sont tout leur inverse, ne le sont pas ! Et toc !
– Hum... ça se tient. Cependant je n'entends pas oublier mes pigeons voyageurs. Je n'ai guère besoin de toi pour mon travail mais... c'est grand comment dans ta sous-pente ? J'aimerais rassembler mes affaires dans un coin sec et sûr.
– Pour sûr c'est sec et sûr. Et ça doit bien faire six yards de long pour douze pieds de large.

Je me demandais tout de même ce qu'il entendait par « mes affaires ». En réalité un fatras de bout de crayons et de morceaux de papiers qu'il ramena de je ne sais où en plusieurs voyages. Ainsi commença notre cohabitation et bien que les allers et venues de George perturbent parfois mon sommeil, je dois admettre que j'y ai trouvé mon compte. Il m'est très utile pour l'écriture. J'ai moi-même une incapacité chronique à utiliser un stylo bien que je puisse tracer des semblants de lettres en tenant un petit crayon en bouche. Je m'en sors mieux avec les ordinateurs, surtout avec celui du maître d'un chat domestique avec lequel je suis en affaire et dont je vous parlerai peut-être un jour. Toujours est-il que j'ai un accès par une chatière à un appartement et ses outils bureautiques. Vous voudriez sûrement savoir comment on appelle un texte imprimé par un chat. Ce n'est donc point un manuscrit, serait-ce un tapuscrit ? Que nenni, c'est un pattuscrit ! Cependant, depuis que George a réussi à me rejoindre dans l'appartement en passant par une fenêtre ouverte, je me suis rendu compte que j'étais d'une lenteur affligeante par rapport à lui. Je chavais que certains oiseaux avaient une certaine dextérité dans l'usage de leur tête, mais croyez-moi, ce Mouet-là dépasse l'entendement.

Darwin.

3 octobre 2015

Evasive invasion

Chalut.

 

Vous voudriez sûrement savoir ce qu’il advint après ma première rencontre avec George le Mouet ; je m’empresse donc de vous le conter. Je rentrai dans ma sous-pente (je dors assez souvent sous le toit) et il vous faut savoir qu’il y a une fine cloison qui me sépare d’une autre sous-pente où niche quelques pigeons que je fréquente à l’occasion et dont aucune discussion ne m’échappe. Je dois dire que j’avais un peu la flemme et que j’aurais bien pu garder les yeux fermés une quinzaine d’heures si je ne m’étais trouvé éveillé par un bruyant conciliabule peu avant midi. Je tendis l’oreille et compris rapidement que les pigeons n’étaient pas seuls. Le sujet de la discussion ne m’échappa pas non plus très longtemps, il était question du passage des mouettes et celui-ci semblait avoir semé un peu le trouble chez les oiseaux du cru. Quelques voix m’étaient connues mais je vous fais simplement part de la discussion telle que je l’entendis :

– Moi je dis qu’on ne peut pas laisser faire ça ! Voilà ce que je dis !

– Ne cédons pas à la panique ! Après tout elles n’ont fait que stationner quelques heures durant !

– Mais elles stationnent toujours quelques heures durant ! Le problème n’est pas là ! Le problème c’est que la première fois elles étaient vingt et que petit à petit, l’air de rien, elles ont dépassé allègrement le millier et dieu seul sait où ça va s’arrêter.

– Moi je dis qu’un jour elles ne feront pas qu’y passer à Lyon ! Voilà ce que je dis !

– Scandaleux !

– Oui ! Elles finiront par nous voler le grain sous le bec !

– N’exagérons rien ! Pour l’instant elles ne font que se nourrir de poissons saturés en PCB et des déchets des humains !

– Eh ben nous aussi on s’en nourrit des déchets des humains ! Et s’il n’y en avait plus assez pour tous ?

– Sérieusement ? Tu t’inquiètes vraiment pour ton estomac ? Toi ? Un moineau ? Vous bouffez à toutes les mangeoires, vous survivrez à tous.

– Et alors ? S’il leur prend l’envie de faire la manche devant le fast-food, je peux y dire adieu à ma ration de frites quotidienne !

– Ne crions pas à l’aigle avant d’avoir vu l’aigle !

– Mais si ! Crions ! Crions avant qu’il ne soit trop tard !

– Moi je dis qu’il faut occuper en nombre les abords des fleuves ! Voilà ce que je dis !

– Quand vous aurez poireauté trois jours dans l’attente d’un passage hypothétique, vous retournerez vite fait à vos occupations.

– Y suffit d’avoir quelques guetteurs qui se relayent en amont et en aval pour donner l’alerte. Pour ça il nous faudrait un escadron rapide. On pourrait demander aux faucons de nous aider.

– Soit… Allez donc le leur demander ! De préférences après leur déjeuner.

 

A cet instant il y eut un blanc d’une trentaine de secondes puis une petite voix aigüe relança la mécanique :

– Déjà qu’avec le réchauffement climatique, rien ne dit que les hirondelles ne finiront pas par passer l’hiver ici.

– Et alors ? En quoi elles te dérangent les hirondelles ? Elles ont un régime alimentaire qui leur est propre.

– Parle pour toi !

– Oui.., enfin tu me comprends. Le jour où elles passeront toute l’année ici c’est que tu pourras gober des mouches toute l’année. L’un dans l’autre ce sera pas plus mal ; t’auras pas l’air de tripler de volume à l’arrivée des mauvais jours. T’as l’air Fat comme ça !

– T’occupes pas de quoi j’ai l’air !

– Vous savez quoi ? Y paraît qu’une escadrille d’oies sauvages a squatté le lac du parc durant deux semaines cet automne ! Où va-t-on ?

– Scandaleux ! Absolument scandaleux !

– Allez donc ! C’est une légende urbaine ton histoire ! Quelle escadrille viendrait se serrer la panse au parc alors qu’il est à vol d’oiseau des milles étang de la Dombes ?

– Et pourquoi qu’elles y vont pas dans les Dombes les mouettes ?

– Qu’est-ce qui te dit qu’elles y vont pas ?

– Oh ! mais là-bas, elles y trouvent à qui parler, c’est sûr ! Y s’y laissent pas envahir les campagnards ! Mais nous, bien sûr, on n’est pas unis !

 

Bien ; vous aurez compris que ce remue-ménage aurait pu durer des heures. Je décidai d’intervenir histoire de retrouver un peu de quiétude, j’allais donc dans l’antre des pigeons. Ces derniers réagirent à peine à mon arrivée, au contraire de la poignée de moineaux qui se trouvaient là et, pris de panique, gagnèrent tant bien que mal la sortie. Un couple de tourterelles rieuses, une pie bavarde, deux geais des chênes et autant de merles noirs me fixèrent un instant avec hostilité avant de sortir un à un par l’ouverture la plus large. Je restai avec cinq pigeons et leur montrait ma mine des mauvais jours :

– Mettez-là un peu en veilleuse ! Je dors !

Ils se jetèrent des petits coups d’œil entendus, je savais bien ce qu’ils pensaient. J’avais d’ailleurs à peine tourné le dos que l’un ne put retenir sa langue :

– Il dort tout le temps de toute façon.

Je revins sur mes pas, non pas tant pour le plaisir de faire comprendre que j’avais très bien entendu mais parce que j’avais quelque chose à dire à celui que je considère un peu comme le chef de la bande :

– Dis donc Riton ! Faudra que je te parle !

– Aucun problème. Reviens quand tu veux.

Je retournai à mon précieux sommeil. Quelques heures plus tard j’étais ragaillardi et traçai direct chez les pigeons. Riton ne s’y trouvait pas mais l’un des siens jabota trois fois et Riton rappliqua peu après. Je l’entraînai sur le toit histoire d’avoir une conversation plus personnelle :

– Alors Riton, te voilà devenu avocat d’une bande de mouettes ?

– Bah…, tu sais comment certains ont tendance à paniquer pour rien.

– Oui je sais, je sais… Mais surtout je te connais un peu trop bien pour croire que tout cela est tout à fait désintéressé.

– Où veux-tu en venir ?

– T’as des billes chez les mouettes ?

– Pas précisément.

– George le Mouet, cha te dit quelque chose ?

– George ça me dit. Le Mouet j’imagine que c’est une invention de ta part.

– Bien ! C’est tout ce que je voulais savoir. Trouve-le et dis-lui que j’aimerais le voir !

 

Riton n’ayant eu aucun mal à transmettre mon message, la prochaine fois je vous parlerai donc de l’entretien que j’eus avec George.

 

Darwin.

3 octobre 2015

L'envol des mouettes.

Chalut.

Il est grand temps que je vous parle un peu plus en détail de George le Mouet. Voici comment je vins à le rencontrer. Comme je vous le contais dernièrement, il se trouve un endroit sur les quais qui nous est relativement accessible quoique je ne m’y risquerais pas seul. Je dois dire qu’une fois admiré le pont moche, je ne pensais pas y avoir grand-chose à faire. Mais un beau soir Burbulle vint me trouver dans un état d’excitation avancé et arguant qu’il me fallait le suivre car je ne pouvais pas « rater cha. » Il ne daigna pas m’en dire plus et je le suivis non sans rechigner un peu. Comme lors de l’expédition à la place du Pont nous empruntâmes tout d’abord la rue Emile Zola avant de traverser une partie de la place Bellecour dans sa diagonale et passer devant la grande poste. Il était plus de trois heures, une nuit de semaine, nous étions assez tranquilles. Chemin faisant, et voyant la direction que Burbulle prenait, je me disais que le pont moche s’était peut-être abousé à son tour dans le fleuve et qu’effectivement le spectacle se pouvait être saisissant. En passant sur la trémie je compris qu’il ne s’agissait pas de cela ; un brouhaha de conciliabules vint à mes tympans juste avant que je ne découvre cet alignement inouï d’oiseaux blancs aux ailes grises sur le muret du quai. Il y en avait des centaines, sans mentir, et d’où j’étais ma vue de chat ne suffisait pas à en embrasser la fin ni le début. Cela allait peut-être de Perrache à la Croix Rousse, qu’en savais-je ? Une armée de mouettes venues du sud et bavardes comme des pies. Elles jacassaient les unes avec les autres, les unes à propos des autres, avec leur accent chantant de Marseille. Au milieu de tout cela j’en vis quelques-unes en grande discussion avec Passe-passe et P’tit Gris. Burbulle et moi nous approchâmes et Passe-passe m’accueillit en ces termes :
– Alors gone ! C’est t’y pas des beaux zoiseaux ?
Certes, de très beaux oiseaux, mais j’en avais le tournis rien que de les entendre. Quelques-uns de ces oiseaux me regardaient tout en se parlant entre eux ou en m’interrogeant. Je distinguai des morceaux de phrases par-ci par-là : « …autre chat. », «…tu t’appelles ? », « … complet ! » Je m’assis face au muret pour entamer une discussion avec deux de ces énergumènes :
– Que faites-vous là oiseaux ?
– On attend !
– Vous attendez quoi ?
– De redescendre vers la méditerranée.
– Et vous redescendez quand ?
– Dès que le vent du nord arrive.
– Et s’il n’arrive pas ?
– On peut faire sans lui mais crois-moi, il arrive ! Ce n’est plus qu’une question de minutes.
A cet instant une mouette venant du sud en rase-mottes passa par-dessus nos têtes en criant :
– Fada en approche ! Fada en approche !
Il y eut dès lors un drôle de manège. En aval des dizaines de mouettes prenaient leur envol tandis qu’un humain venait vers nous en promenant sa main sur le muret. Sitôt l’humain passé, les mouettes envolées revenaient se poser à la place qu’elles occupaient auparavant (pour autant que je pouvais en juger). J’étais quelque peu sidéré par ce spectacle et l’humain s’approchait nonchalamment mais inexorablement. Voyant que je ne bougeais pas, Burbulle finit par passer à mes côtés en prenant bien soin de me bousculer : « Barre-toi de là Darwin ! » Je retrouvai mes esprits et partis me cacher avec lui et P’tit Gris derrière le muret surplombant la trémie. L’humain passa son chemin, nous retournâmes à nos mouettes, admirant au passage l’agilité de Passe-passe descendant du platane dans lequel il était monté. Je demandai à mes interlocutrices… notez que selon ma logique orthographique, le féminin doit l’emporter dans ce cas-là car l’on dit « des mouettes », sauf s’il est acquis que l’ensemble n’est constitué que de mâles et je dois vous avouer que je n’étais pas en mesure d’affirmer quoi que ce soit concernant leur genre. Je demandai donc à mes interlocutrices pourquoi un si imposant groupe se laissait déranger par un seul humain.
– Eh bien, si la première sur sa route ne faisait pas place nette, elle aurait toutes les chances de prendre un vilain coup. L’effet domino fait le reste.
– Moi je crois plutôt que cet homme se garderait bien de balader son bras ainsi si la première des mouettes ne s’ôtait pas de sa route. Et s’il le faisait, vous auriez tôt fait de lui en passer l’envie, une seule d’entre vous étant assez armée pour le faire fuir et l’ensemble apte à le mettre en charpie sans coup férir.
– Certes… Mais qui voudrait se mettre à dos la race des hommes ?
C’était juste et cependant je ne pouvais m’empêcher de penser qu’il y avait une anomalie à cet état de fait. Juste un peu après une autre mouette venant en rase-mottes, mais cette fois en provenance du pont de la Guillotière hurla son information :
– Vent du nord ! Vent du nord !

Un majestueux envol s’ensuivit, l’une après l’autre les mouettes sautèrent du muret pour s’en aller former un nuage gris-blanc par-dessus le lit du fleuve. Nous admirâmes le spectacle le plus longtemps possible. Ce n’était que cris de joie et excitation. Quand le calme fut venu nous nous rendîmes compte que Passe-passe avait tracé sa route et qu’une mouette était restée sur le muret, une seule, à une cinquantaine de mètres de nous. Nous marchâmes jusqu’à elle et Burbulle engagea la discussion :
– Pourquoi ne t’envoles-tu pas ? Tu es blessée ?
– Well ! I’ m as healty as I could possibly be, I guess.
– Plait-il ?
Alors en français mais avec un méchant accent d’outre-manche :
– Je dis je suis en parfait santé ! Et vous même Sir ?
– Chat va chat vient. English ?
– Yes Sir ! Racist ?
– Pas plus que ça.
– Perfect ! Je suis George ! Sans s à la fin.
– George ? Très bien George. Moi c’est Burbulle et les deux frangins là, c’est P’tit Gris et Darwin.
– Enchanté.
– Pareillement. Alors comme ça tu joues les solitaires.
– No, je suis en poste ici.
– En poste ?
– En poste pour la Gull International. Je suis agent de négociation et de transmission pour les vols intérieurs.
– Et cha consiste en quoi ?
– A s’assurer que nos nuées peuvent passer et se ravitailler sans trop de souci. Je fournis même parfois des droits d’établissement, mais pour l’heure au compte-goutte et surtout à celles trop fatiguées pour voyager.
– Et c’est intéressant ?
– C’est le business. Et vous-même ? Vous faites quoi ?
– Nous ? Rien de spécial, comme tout chat qui se respecte. Darwin se prétend chavant mais on ne voit pas trop à quoi ça lui sert.
George le Mouet me fixa un instant avant de répondre en gentleman :
– Vrai qu’il a l’air assez chavant.

George nous fit la discussion cinq minutes, avant de prétendre avoir un rapport à transmettre. Il nous laissa en plan mais l’histoire ne s’arrête pas là car j’eus l’occasion de le retrouver peu après. Vous voudriez sûrement savoir comment mais je vous le conterai dans un prochain épisode.

Darwin.

3 octobre 2015

Le Pont de la Guille.

Chalut.

 

Je vous contais il y a peu l’aventure qui me mena dans le jardin du rosaire, accomplissant ainsi l’un des devoirs d’un chat de gouttière de la presqu’île. Aussi vous saviez que je me devais de passer également l’autre fleuve, ceci fut chose faite peu de temps après. J’ignore pourquoi je n’en ai pas gardé le souvenir d’une trouille aussi tenace, car comme vous le constaterez à la lecture de ce nouvel opus, le danger n’était pas moindre. Sans doute, le fait d’avoir été nombreux apporta quelque sérénité, quoiqu’il fut bien un instant où je n’en menais pas large. Ce fut encore Burbulle l’instigateur de ce périple. Il vous faut savoir que Burbulle a une année de plus que moi, comme l’on se doit de passer les fleuves avant sa deuxième année, il connaissait déjà la voie à suivre. Cependant il n’avait pas l’expérience suffisante pour guider un groupe de huit jeunes chats et la présence d’un passeur était requise.

 

Nous étions huit, donc, issus de trois portées différentes, tous du quartier, P’tit Gris faisant partie du nombre. Il n’était pas minuit, nous nous rassemblâmes sous un fourgon garé rue des Archers et Burbulle nous mis immédiatement dans le rythme : « Ne tergiversons pas ! Suivez-moi ! » Il se mit à courir, nous allâmes alternativement sous des voitures, des pots de fleurs, parfois dans le caniveau, ainsi jusqu’au bout de la rue Emile Zola. Burbulle s’avança seul sur le trottoir de la place Bellecour pour s’enquérir d’un danger éventuel, il nous fit signe au moment opportun et peu après je me trouvai à galoper sur cette place immense que je n’avais vu que d’en haut jusqu’alors. Nous allâmes droit vers la statue du roi Louis avant de plonger dans une cage d’escalier, quel ne fut pas mon étonnement arrivés en bas, je n’avais jamais vu un tel rassemblement d’automobiles ; et que de lumière ! Burbulle avait fixé le rendez-vous avec le passeur quelque part au milieu de ce délire bétonné et mécanique. Le passeur, connu sous le sobriquet de « Passe-passe », un chat sans âge, fin mais élancé, tout en muscle, aux oreilles déchiquetées, la mine chat-fouine, il n’inspirait guère la confiance. Son œil malicieux fit un tour rapide du groupe de novices que nous composions, cinq mâles et trois femelles ; sur moi il s’arrêta, à l’époque j’étais chétif, je paraissais aussi sûrement craintif. Il ne m’épargna pas l’offense en s’adressant à Burbulle : « Cha va tenir le coup, cha ? ». « J’en réponds ! » dit Burbulle, bon camarade. Cela ne suffit pas à convaincre Passe-passe : « Il a une tête à faire des rats » Il me fixa encore un moment, d’un air songeur, puis il revint à lui et donna ses consignes : « Toujours l’un après l’autre ! Quand je l’ordonne, stoppez net et acacabozonez-vous comme ça ! » Il m’est d’avis que son parler lyonnais passablement argotique était quelque peu inadéquat car il prit la position d’attente des félins à l’affût avant de se relever prestement : « Allons ! rondo ! » D’emblée le rythme fut soutenu, nous courûmes jusqu’à un trou ressemblant à une bouche d’égout puis rampâmes quelques mètres dans un tube humide. Il fallut ensuite se hisser dans un second tube bien propre, en plastique, je n’y vis plus rien. J’avais également perdu le nord, à trop bifurquer. Je reconnu ensuite une odeur de cave puis nous plongeâmes dans un nouveau tunnel terreux. Soudainement, une raie de lumière frappa ma rétine. Quelques secondes plus tard j’étais dans un tunnel que je sais désormais être celui de la ligne A du métro. J’étais heureux de me sentir moins à l’étroit mais il fallut accélérer le pas, nous courûmes le long de la voie, escaladâmes quelques marches, le quai était désert à cette heure. Nous dévalâmes ensuite des escaliers, croisant là quelques humains, j’entendis distinctement : « Oh ! regarde ! Les chats ! » Le quai du métro D fut franchi tout aussi rapidement et nous nous enfonçâmes dans le tunnel du métro D. Passe-passe ordonna une halte : « Nous sommes ici à l’abri, reprenons notre souffle ! » Le repos fut de courte durée, de nouveau un pas soutenu. « Ne vous écartez pas du mur ! » Quelques minutes plus tard, Passe-passe nous fit stopper à nouveau. Il vrombissait, diabolique, venant pour nous dévorer tous autant que nous étions, un dragon ! J’eus un instant de sidération, je me crus bientôt mort. Le bruit s’amplifia, je vivais mes derniers instants, dieu que la vie est courte ! Ce œil maléfique, gigantesque, on m’avale, je reste tétanisé sur place et puis… encore la vie. La vie toute entière, elle vous traverse le corps, dans son vacarme, ses vibrations magnifiques, il passe le dragon lumineux, le serpent métallique, je vis ! Je vis ! Il est déjà parti ! Reviens dragon ! Mais déjà Passe-passe a repris sa marche en avant. Quelques minutes à peine et il est déjà temps de se faufiler dans un trou tels des rats. On rampe, on se faufile, on grimpe une échelle, je rate le second barreau, bouscule mes suivants, on râle, je me ressaisis, il faut ramper à nouveau, passer un soupirail, nous voilà au grand air. « Place du pont ! » s’écrie Passe-passe. Pas d’arrêt, nous pénétrons une petite rue sombre, passons une porte défoncée, prenons un couloir ; terminus dans une cour intérieure peu engageante où plusieurs sacs poubelles bien garnis sont posés sur le sol. Passe-passe s’acharne d’emblée sur le premier d’entre eux, l’ouvre de ses griffes aiguisées : « Bon appétit ! » Madame, quelle orgie de viandes ! Et cuite qui plus est, juste comme je l’aime ! Je me suis rempli la panse pour trois jours et je crois pouvoir affirmer que mes camarades en firent de même car aucun ne mouftait. Enfin Passe-passe sonna le rappel : « Sacrés mirons pioteurs ! Il est temps de prendre du souci ! D’avoir tant mâchonné pourrait vous donner la lourde. Retraboulons ! » Ainsi, nous reprîmes la route en sens inverse, le pas moins leste. Sur la place du pont traînaient quelques revendeurs sans patente guère préoccupés de notre présence. Je fis une remarque que je ne croyais pas si risible : « C’est la place Dupont avec un T ou Dupond avec un D ? » Passe-passe et Burbulle se rirent de moi. « En réalité c’est la place Gabriel Péri, appelée aussi place du pont… place avec un pont dessus. » J’en restai bête comme foin et tandis que Passe-passe repartait déjà vers le soupirail, je l’interrogeai encore : « Mais où est le pont ? » Il ne me répondit pas, et le retour se fit en marchant et en un silence qui ne fut brisé qu’à mi-chemin par Burbulle : « Nous sommes ici précisément au milieu du fleuve. Sachez l’apprécier car de sa source à son embouchure, il est peu d’endroit où passer sous le Rhône ! » Ce à quoi le passeur ajouta : « Et ci avant, la même sous la Saône ! » Ceci me fit bondir. J’osai protester un peu : « S’il est possible de passer sous la Saône, pourquoi alors s’obliger à emprunter cette stupide passerelle ? » « Pour la gloire ! » Répondit Burbulle. « Et arrivé à Saint-Jean, mon petit bugnon, je voudrais t’y voir te hucher jusqu’en haut ! » rajouta Passe-passe. Plus rien ne fut dit ensuite, j’espérais presque le retour du dragon mais il dormait à cette heure. Nous quittâmes le métro D à l’entrée de la station pour emprunter un tunnel de rat qui me parut interminable et particulièrement pentu. De nouveau une odeur de cave, on communique, on ne se perd pas, on marche encore un peu à la queue le leu, enfin un peu de lumière ! Il faut faire valoir quelques qualités athlétiques pour bondir vers un soupirail aux barreaux suffisamment larges. Enfin le grand air ! « Gones, il est encore beaucoup du temps avant la pique du jour. Suivez-moi ! Je tenais à vous montrer ce fameux pont ! » Nous étions quai Gailleton, nous passâmes dessus la trémie, et sautâmes sur le muret. « Voici le pont. Arragardez voir comme il est beau ! » Mes compagnons et moi, nous nous regardâmes, aucun décidé à abonder dans son sens, aucun n’osant contredire le passeur. Mais lui-même en rit : « Evidemment qu’il est moche ! Merde c ’qu’il est moche ! » Il fit une pose, me regarda et, voyant ma mine incrédule, rajouta : « Si tu cherches la place du pont, elle est 200 mètres après le pont. » Je ne changeai pas de mine. « C’est simple. C’te pont fait 205 mètres, c’tui-là d’avant en avait 526. C’est longtemps qu’on a passé ce fleuve à gué ou en barlut ; pis quand on faisait un pont… il s’abouchait entièrement ou partie dans l’eau. Enfin, voilà qu’en 1700, le pont de la Guillotière est tout dans sa longueur longue et fort comme un tigre. Des bas-ports y en avait pas, en place c’était le milieu du fleuve, d’un côté le lyonnais, de l’autre la Savoie. Pour avoir les arpions au sec fallait dépasser la place du pont, presque trois septaines d’arches… et de la beauté, avec une superbe tonnelle dressée au centre et une chapelle côté presqu’île où s ‘planquaient les gapians… c’est pour ça que la rue de la Barre s’appelle rue de la Barre d’ailleurs… Ah ! oui c’était du solide ! Même les nazis ont pas réussi à le mettre à plat. Z’ont sûrement manqué de temps parce que les gones l’ont abousé d’eux-mêmes avec plus de succès après-guerre… au bénéfice de la France moche et au grand damne des poètes. » Tandis que Passe-passe nous contait cette histoire à sa manière, l’un de nous s’écria : « Là ! Un fantôme ! » Nous le vîmes tous, un fantôme qui jaillit des flots, vint vers nous en semblant crier son désespoir par une bouche immensément éplorée avant d’être de nouveau happé par le fleuve. Passe-passe sauta du muret. « Triste sort ; je vous déconseille vivement de venir ici un 17 octobre ! »

 

J’ai eu plus tard un aperçu de ce pont dans la forme qu’il avait au début du siècle dernier. Il n’était déjà plus dans sa splendeur d’origine, raccourci à huit arches alors qu’il en comptait vingt, débarrassé de sa tonnelle et de sa chapelle, sans doute renforcé, élargi grâce à l’apport de parties métalliques… mais tout de même beaucoup plus beau que celui d’aujourd’hui. Nombreux sont ceux qui disent que le détruire fut une énorme bêtise, sans doute ne convenait-il guère à la navigation de gros tonnages ou aux nouvelles ambitions de l’automobile.

 

Darwin.

2 octobre 2015

Présentement

Chalut !

 

Je me présente, Darwin, chat de gouttière vivant à Lyon sur le pâté de maisons bordé par la Place des Jacobins au Nord, la rue des Archers au sud et les rues Emile Zola et Gasparin d’ouest en est. La vue y est plongeante sur nombre d’appartements et, bienheureux encore de trouver souvent les stores remontés ou les volets ouverts, je passe une partie de mon temps à observer vos congénères, surtout ceux quelque peu portés sur ce passe-tout appelé communément « clope ». Je ne connais pas l’étymologie de ce terme, malgré que, comme je le crois, je sois assez chavant ; cependant, il est aisé de le faire découler de « clopin-clopant » ou « clopiner », suggérant ainsi qu’il en va de la clope comme d’une béquille dont on se sert en soutien à une marche déficiente. Savez-vous qu’il y a, au 4 de la rue des Archers, un gros matou qui fait dans la contrebande de cigarettes ? Il est en cheville avec un gang de blattes qui crèche dans la réserve du buraliste et fait son beurre avec la clientèle de l’Hôtel attenant, mais… chut ! Moi-même j’eus quelques bobos par le passé, n’étant qu’un chat, qui plus est de gouttière, ce ne fut que clopinettes en mon soutien ; remis d’aplomb, je m’étonne toujours de voir les humains garder durablement l’usage de leur béquille comme si elle faisait partie d’eux-mêmes.

 

Vous voudriez sûrement savoir comment j’en suis venu à être aussi chavant, et peut-être la façon dont j’ai appris à lire. J’aurais pu apprendre grâce aux monceaux de prospectus publicitaires qui s’entassent à un rythme effréné dans le hall. « Sauvez un arbre, tuez un castor ! » disent les plaisantins. Ce à quoi les castors répondent : « Sauvez cent castors ! Tuez un publiciste ! » (Sic) J’espère que vous prenez soin des arbres. C’est important les arbres, ça permet, entre autres choses, aux chats de trouver un refuge quand un chien les poursuit d’un peu trop près. Je dis cela sans pour autant pouvoir me disculper entièrement, en tant que chat chavant, j’ai ma part de responsabilité puisque j’ai appris à lire grâce aux journaux. Je ne dirais pas que j’en lis beaucoup, ce serait peut-être beaucoup trop dire, j’en lis de moins en moins en fait, tributaire d’un environnement instable. Le matou du 4 rue des Archers ne deale pas la presse, uniquement les cigarettes, cela m’oblige à trouver mes sources d’information ailleurs. Le plus aisé est de visiter les appartements avec Velux, régulièrement ouverts, sauf au cœur de l’hiver bien sûr. Il y a de bels appartements sous toit rue Gasparin qui ne manquent pas de journaux. Le vieil homme qui allait tous les jours chercher son Figaro et son Progrès m’accueillait volontiers chez lui, mais il n’est plus désormais et je suis devenu persona non grata dans ce logement. Un autre vivait au 2 de la rue et avait coutume de s’absenter toute la journée en laissant s’aérer sa chambre par un dispositif qui me laissait le loisir de me glisser sans trop de contorsions. Lui lisait surtout des revues et mensuels. Je tiens de cet appartement le gros de mes premières réflexions sur le comportement humain. Ne le prenez pas pour vous… pour un être qui se croit le seul dépositaire de la conscience universelle, l’humain a l’heur de vouloir absolument prouver le contraire dès que l’occasion lui en est donnée, ce qui n’est pas rare ; du moins, s’il est conscient, il est surtout passablement inconséquent. Il est peu de signe laissant espérer une amélioration car toutes ces analyses dans les journaux prouvaient au moins qu’on tâtonnait la voie à suivre. Or depuis quelques mois, depuis que mon vieil ami a passé l’arme à gauche et que l’homme du 2 a déménagé, mes sources ont tari. Je trouve toujours le moyen de visiter des appartements mais partout ce n’est qu’étalage de papiers aux noms divers et variés : « Métro, 20 minutes, Direct Soir, Gala, Voici… » Vous serez peut-être tenté de penser qu’un chat se complait dans la rubrique chiens et chats écrasés, mais si une telle rubrique existait je préférerais de beaucoup ne pas la lire (hormis la colonne « chiens écrasés » peut-être) et quant au reste… c’est un néant certes capable de prêter parfois à rire (surtout les clichés savoureux de Voici) mais un néant tout de même. Je me sens vraiment démuni ; aurait-on volontairement fermé les écoles de journalisme ? Diable ! Pourquoi aurait-on fait cela ?

Puisque je suis là à vous écrire, j’en profite pour vous conter une petite histoire. Si vous avez déjà visité Lyon peut-être connaissez-vous le jardin du Rosaire qui se situe sous la basilique de Fourvière. Moi, de loin, je le connaissais à peine avais-je ouvert les yeux mais de là à y mettre les pattes, il y avait un monde, un monde tout humide. Quand j’étais tout jeune j’étais, sinon téméraire, du moins assez prompt à me laisser entraîner dans certaines aventures. Je me laissai tenter par Burbulle, un gros chat hirsute, et P’tit Gris, l’un de mes frères. Selon Burbulle, tout chat de gouttière de la Presqu’île se doit de passer au moins une fois dans sa vie les deux fleuves, à commencer par la Saône, laquelle donne un accès à la colline qui donne un point de vue imprenable sur les toits que nous habitons. Nous nous mîmes en marche très tardivement par une nuit froide du début de semaine, façon de limiter les risques d’une rencontre malvenue. Le chemin le long des rues ne m’inquiétait pas beaucoup, nous allions d’une voiture en stationnement à une autre, sans grand risque. Le quai des Célestins était presque désert mais nous le passâmes en toute hâte par crainte d’un chauffard peu scrupuleux. Enfin nous touchions à ce qui m’effrayait le plus : la passerelle ! Ce n’était que quelques dizaines de mètres à franchir en courant le plus vite possible et à cette heure nous avions de grandes chances d’y être seuls. A l’aller j’étais dans une certaine excitation qui m’ôta un peu d’appréhension, je suivis mes camarades sans réfléchir. Un autre quai, désert, nous longeâmes le palais de justice, remontâmes la rue de la Bombarde d’un pas toujours alerte… enfin la montée des Chazeaux. Un imbibé cuvait son vin dans les escaliers mais il ne prêta guère attention à nous, déjà nous touchions au but. Oh quel joli paradis que voici ! Havre de paix et petit pays des arbres et des plantes. On le dit très fréquenté de jour, mais de nuit, fermé à l’homme ordinaire, il va bien aux chats. D’ailleurs nous en croisâmes quelques-uns, que Burbulle salua d’un air entendu, pas de conflit de territoire dans ce lieu là. Nous montâmes jusqu’à la table d’orientation, je découvris Lyon sous un nouvel angle. Cependant des voix d’hommes écourtèrent ce moment de grâce. Burbulle n’en prit pas ombrage, il nous commanda de le suivre et nous filâmes sous la Basilique, empruntâmes quelque raccourci au milieu des arbres avant de rejoindre un endroit encore plus merveilleux et où nulle âme humaine ne traînait son fiel à cette heure tardive. Si vous ne le connaissez pas encore il faut absolument que vous alliez vous asseoir un jour là-bas avec votre ami. Certes il est moins haut que le « belvédère » de la basilique, mais l’environnement de plantes et l’absence de balustrade donne véritablement l’illusion d’avoir la ville à ses pieds. De ce que je peux en voir de mon toit, peu de monde passe par ce côté là du jardin du Rosaire. C’est pourtant le plus bel endroit et facile d’accès. Lorsque vous arrivez en haut de la montée des Chazeaux, pénétrez dans le jardin, montez au troisième virage, passez la statue qui représente peut-être l’homme que l’on nomme Jésus, qu’en sais-je ? Là, allez sur la gauche, faites cent mètres à peine, un petit escalier vous mène vers ce lieu que je vous recommande. Si vous le faites à la tombée de la nuit, que point d’autres humains ne sont présents, vous ressentirez probablement la même chose que moi. Croyez bien qu’il m’en a coûté d’aller jusque là-haut, surtout à cause du retour. Je fus soudain pris d’une terrible angoisse à l’idée de reprendre cette fameuse passerelle. Je m’imaginai qu’on ne pourrait avoir deux fois la même veine et qu’inévitablement nous tomberions nez à nez avec l’un de ses énergumènes qui ont la fâcheuse idée de promener leur chien à point d’heure. Et si, dans un mouvement de panique, je m’en allais sauter dans la Saône ? Burbulle dut jouer les éclaireurs en se postant au milieu de la passerelle avant que je ne l’emprunte à mon tour. Par dieu, jamais je n’ai couru aussi vite de ma vie ! Quel soulagement de rallier l’autre rive tandis que P’tit Gris moquait ma couardise. Voilà donc comment je connus ce petit coin de Lyon.

 

Vous avez, avec Burbulle et P’tit Gris, un petit aperçu de mon entourage. Il faudra que je vous parle de mon ami George le mouet. Vous voudriez sûrement savoir ce qu’est un mouet. Eh bien je vais vous le dire. Je suis de ceux qui trouvent quelque peu anormal de donner du féminin et du masculin à certains animaux et point à d’autres. Donc, puisque George est de l’espèce des mouettes et qu’il est de mon genre plus que du votre, c’est un mouet, et un mouet pas muet pour un sou. Vous voudriez sûrement savoir ce qu’un mouet fait à Lyon. Eh bien je vous le dirai une autre fois.

 

 

Darwin Le Chat.

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