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Darwin Le Chat
darwin le chat
4 octobre 2015

Une fée pas si effacée.

Chalut.

 

De nouveaux messages de la part de chats (et quelques chiens) lecteurs me parviennent. Après les remarques de Gribouille dont j’ai fait fi, je crois que le nombre aura eu raison de ma volonté première. On me demande si je vais refaire un jour des billets qui concernent uniquement mes aventures et non pas cette sombre histoire de tablette à laquelle personne ne comprend rien. La réponse est oui ! Cependant il me paraît important de divulguer les informations reçues sur la tablette. A la demande générale j’ai donc décidé de créer deux catégories de blog qui permettront de faire un tri rapide. Celui qui ne veut lire que les billets concernant mes aventures cliqueront sur la catégorie « vie et aventures. » Une autre catégorie concernera plus spécifiquement les messages de la tablette. De plus, à l’intérieur de cette catégorie, j’essayerai désormais d’isoler les messages proprement dits. Cependant il arrivera que certains billets devraient appartenir aux deux catégories, à commencer par celui-ci car, s'il parle des messages, on y apprend aussi des choses importantes sur Odette. Je l'ai classé dans la catégorie "Vie et aventures."

 

Au début nous reçûmes des messages quotidiennement et pour plus de tranquillité je décidai d’en faire une lecture regroupée, environ une fois par semaine. La deuxième lecture se passa sans Aïcha, c’est du moins ce que je croyais car elle s’était cachée à proximité de ma sous-pente. Elle fit son apparition quand j’eus fini ma lecture et, un peu gênée mais sans se démonter, ce qui dénote un caractère que je ne lui soupçonnais pas, elle réaffirma sa position :

– Vous ne me croyez toujours pas ?

– Il n’y a pas de raison Aïcha. C’est vraisemblablement un canular.

– Peut-être mais au sujet de l’hypothèse d’un univers parallèle…

– Pure science fiction !

– Et alors ? ça ne veut pas dire que ça ne peut pas exister.

– Il est vrai que j’ai moi-même déjà vu des reportages parlant d’univers, sinon parallèles, du moins multiples. Il y avait même une fois un scientifique qui, à partir de l’hypothèse d’univers se reproduisant à l’infini, supposait qu’on pouvait supposer qu’il appartenait lui-même à de multiples univers et que dans chacun des univers auxquels il appartenait sa vie prenait une voie différente, ce que à priori on peut associer à l’idée d’univers parallèles. J’ai trouvé ce raisonnement un peu poussé dans la mesure où même s’il y avait une infinité d’univers, il y aurait vraisemblablement une infinité encore plus grande de chemins possibles de la naissance de l’univers à sa mort et qu’il n’y a aucune raison de penser que ce chemin puisse passer, à un instant T, par une forme d’individu spécifique qui aurait la même apparence physique qu’un autre dans un autre univers.

– Bon Darwin, tu nous embrouilles là ! Où tu veux en venir ?

– Je dis simplement que l’idée d’univers parallèle n’est pas qu’une lubie de frappadingue.

– Je ne suis pas frappadingue !

– C’est bien ce que je dis !

– Ah !… Enfin moi, ce que je voulais dire surtout, c’était que ça ne sert à rien de se moquer de ceux qui font des hypothèses juste parce ces hypothèses vous paraissent farfelues. Parce qu’il y a bien au moins un cas où des milliards d’individus, je parle là des humains, jugeraient sûrement une hypothèse farfelue alors que nous avons la preuve qu’elle n’est pas farfelue !

– De quelle hypothèse parles-tu ?

– De l’hypothèse de l’existence des fées !

– Ce n’est pas une hypothèse !

– Ben si ! Les humains qui n’ont jamais vu de fée ne croient sans doute pas aux fées, du moins pour la majorité d’entre eux.

– Qu’en penses-tu Odette ?

– Qu’elle a raison !

– Pourquoi c’est comme ça ?

– Comme ça quoi ?

– Pourquoi vous ne vous montrez pas à tous les humains ?

– Parce qu’il doit y avoir justification à l’apparition d’une fée. Une fée ne se rend pas visible sans raison et a ses raisons d’être invisible.

– Y a-t-il une raison au fait que tu sois la seule fée qu’on connaisse ?

– Il doit y en avoir une mais je ne la connais pas.

– Tu devrais demander aux autres fées.

– Quelles autres fées ?

On en est restés bouche bée. Après un instant de sidération je repris la parole :

– Tu ne vas tout de même pas nous dire que tu es la seule fée.

– Non, ce n’est pas ce que j’ai dit.

– Alors où sont les autres ?

– Aucune idée.

– Tu veux dire que tu n’en as jamais vu d’autres ?

– Si. J’en ai croisé quelques-unes, probablement des punies comme moi. Ça s’est plutôt mal passé ; que des pestes ! J’en vois aussi à l’occasion qui passent au loin mais elles me fuient.

– Ah bon ! Mais pourquoi ?

– Si vous voulez tout savoir…

– Evidemment qu’on veut tout savoir !

– Eh ! bien j’ignore depuis quand je suis sur terre car mes anciens souvenirs ont été effacés.

– C’est pas vrai !

– En fait il semblerait que je sois actuellement mise à l’isolement et si j’en crois la fée Sophie cela devrait durer 100 ans.

– Qui est la fée Sophie ?

– La fée que j’ai vue après qu’on m’ait effacé la mémoire. C’était en 1974.

– Qu’est-ce qu’elle t’a dit ?

– Pas grand chose en fait. Elle m’a expliqué que trop c’était trop et qu’on avait été obligé d’en arriver à cette extrémité ; que j’étais punie pour cent ans et que je devais refaire mes preuves avant d’être de nouveau acceptée parmi mes congénères. Elle m’a conseillé d’essayer de rester zen en privilégiant la compagnie des animaux sans négliger cependant mon devoir vis-à-vis d’un humain. Puis, avant de s’éclipser elle a ajouté : « Pour le reste tes capacités sont intactes alors tu trouveras bien à te débrouiller pendant cette courte période ! »

­– Courte période ? 100 ans ! On dirait le système pénal américain !

– Tout est relatif.

– Alors tu n’as jamais vu le pays des fées ?

– Pas que je me souvienne.

– C’est triste.

– Je mentirais si je vous disais que ça me manque. Je sais pas du tout à quoi ça ressemble.

– Tu ne regardes pas les Walt Disney ?

– Si. Mais je suis pas sûre que ce soit très représentatif.

– Pourquoi pas ? C’est sûrement écrit par des scénaristes qui ont des fées.

– Si c’est le cas alors il doit y avoir plusieurs pays des fées. 

– S’il y a plusieurs pays des fées alors il peut bien y avoir plusieurs univers dont un parallèle au notre.

– Là Aïcha ça vire vraiment à la lubie. En plus il ne suffirait pas qu’il soit parallèle mais aussi légèrement en avance sur le notre.

– Cela peut s’expliquer par une infime différence de vitesse.

– Pas faux. Moi je soutiens Aïcha. Cette hypothèse ne devrait pas être écartée du revers de la patte.

– D’accord… Aucun problème. C’est une hypothèse aussi vraisemblable de notre point de vue que l’existence des fées du point de vue de celui qui n’en a jamais vu.

 

Voilà donc comment nous nous sommes accordés sur l’hypothèse de messages venus d’un univers parallèle en avance sur nous. Mais surtout cette conversation là nous a appris pas mal de choses sur Odette qui n’a jamais été très loquace à son sujet. J’avoue être un peu déçu d’apprendre qu’elle ne connaît pas le pays des fées car j’aurais vraiment aimé pouvoir vous en parler. Pour finir j’ai trouvé, je crois, la façon de nommer efficacement les billets qui concernent les messages de la tablette. Vous verrez.

 

Darwin. 

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4 octobre 2015

Drôle d'Aïcha

Chalut.

 

Voici comment Aïcha provoqua l’hilarité quasi générale, seule Odette resta parfaitement stoïque :

– A mon avis ces messages viennent du futur.

Hilarité donc. Aïcha se fit encore plus petite qu’elle ne l’est et P’tit Gris, bon prince, prit sa défense :

– Arrêtez de rire ! Ce n’est pas stupide ce qu’elle dit !… Et même… si on y pense bien… c’est l’hypothèse la moindre absurde.

– C’est absurde parce que c’est impossible ! Ces choses là c’est seulement dans les mauvais films.

– Ou les mauvais blogs !

– Qu’est-ce que vous en savez ? Vous n’avez pas écouté la lecture de Darwin ? Au début il a bien dit : « A l’orée des années 2020. »

– Une simple preuve de plus qu’il s’agit d’un canular !

– Dis P’tit Gris, tu n’es pas le seul à avoir été attentif et il y a un hic dans cette hypothèse.

­­– Lequel ?

– Sauf bouleversements improbables il n’y aura pas en 2020 de pays nommé Franquie, de Roupéens, de doullars ou de iouros.

Osant sortir de sa torpeur, Aïcha a pris le risque de s’enfoncer un peu plus :

– Parce que c’est le futur d’un univers parallèle !

Cette fois-ci nous n’avons pas ri. Nous l’avons regardée ; avant de nous regarder les uns les autres. J’ai lu dans les yeux de certains quelque chose comme : « Pauvre petite, elle est dérangée du ciboulot. »  Aïcha s’en est allée toute penaude tandis que Riton y allait de son commentaire :

– Soit elle a grandi dans une secte soit elle a les ondes de certaines chaînes de la TNT qui lui arrivent directement au cerveau.

A propos de cerveau, tout en écrivant ce billet je viens de recevoir un message de Gribouille, chat habitant à Nantes qui m’a dit exactement ceci : « Darwin ! Je me réjouissais de pouvoir suivre tes aventures mais il n’aura pas fallu trois jour pour que j’en abandonne l’idée. Tu nous abreuves de textes déjà trop longs dans l’ensemble et depuis hier soir c’est pire ! Des paragraphes de plusieurs pages sans même un retour à la ligne. C’est bien simple, je m’endors en essayant de te lire. Désolé Darwin mais nous sommes à l’ère du 2.0, les gens veulent du court et concis. Outre le fait que tu ne vas pas trouver un seul lecteur humain, ce qui ne semble pas forcément ton but, tu vas perdre une grosse partie de ton audience domestique. Si ça peut te rassurer je suis avec un canari qui lui trouve le format parfait. Sauf qu’il est dans une cage et que je suis obligé de faire défiler les pages pendant qu’il lit, ça m’ennuie profondément. »

 

Gribouille, désolé pour tous ceux qui n’ont pas de part de cerveau disponible suffisante mais je n’entends pas changer de méthode. La présentation des messages reçus sur la tablette m’oblige à les recopier tels que je les reçois. Si j’arrive à les lire, si George y parvient également, cela doit être accessible à pas mal de monde. A ce propos, puisque nous n’avions pas été en mesure d’avancer beaucoup sur l’identité de l’expéditeur, nous espérions que de nouveaux messages nous donneraient de nouveaux indices. Je reproduis donc les messages reçus les trois nuits suivantes :

 

HelloWorld47825 @MnTardy

Hello Emmanuel. Les lime-griffes électriques Patrach te souhaitent une bonne journée. Patrach, une marque du groupe Philippe. 

 

Info47825 @MnTardy

Dans l’affaire des bébés ratés opposant 54 familles de 7 pays différents à la firme Genetron au tribunal pénal de Miamiam (FL) le jury rendra son verdict demain après 4 ans de procédures. L’accusation espère des peines d’emprisonnements et 810 millions de dommages et intérêts, la défense espère un non-lieu et s’en tient à sa ligne, affirmant depuis le début que cette affaire ressort d’un tribunal de commerce. Le jury pourrait bien donner raison à Genetron tant le vocable utilisé lors de ce procès a trait à des affaires commerciales. Par exemple on a appris que Mr Cousins Jeff, 1m73, 102 kilos, nez en trompette, front dégagé mais brun sur les côtés, 108 de QI, et Mme Cousins Venus, née Bradford, 1m69, 123 kilos, nez en patate, cheveux roux lisses, 117 de QI, ont commandé un bébé de sexe masculin, programmé pour atteindre un minimum d’1m75 à 13 ans (de manière à devenir quaterback de son équipe de football), un minimum de 1m98 à 18 ans, poids de forme adulte à 105 kilos, nez aquilin, cheveux blonds bouclés, 148 de QI minimum. La société Genetron leur a livré un bébé, allant aujourd’hui sur ses 10 ans mais dont on pouvait assurément dire dès ses 4 ans qu’il était en déficit de croissance et tendant vers l’obésité, chauve, avec un bec de lièvre et con comme ses pieds (ce qui s’est confirmé depuis). La société Genetron, filiale du groupe Gloogloop, prétend que son système est fiable à 99,999999 % et que les cas incriminés remontent à l’époque du rachat de la société franquaise Enfantriage dont le sérieux et les compétences présupposés furent largement contredits par les faits. Les avocats de Genetron ont rappelé que leur client était tout à fait disposé à un accord amiable grâce auquel chacun aurait trouvé son compte et que toute condamnation personnelle au pénal des dirigeants de la société sonnerait comme un signal très négatif aux oreilles des créateurs de richesse investissant en Merica. .

 

@gaminette

Pas forcément ! Je pense que j’aurais aussi eu mes chances si cela avait été pour Bubbleship !

 

PM @Gastrogone

Question de finances et de fierté, je n’avais plus les moyens de me payer un resto par semaine. On en a bien profité néanmoins et j’espère qu’on pourra remettre ça à mon retour.

 

HelloWorld47826

Hello Emmanuel. Bubbleship te souhaite une bonne journée. Bubbleship, l’évasion à moindre prix. Bubbleship, un jeu du groupe Kakami.

 

Info47826 @MnTardy

Trois ans après la fin de sa diffusion en clair et gratuite sur les antennes franquaises le tour de Franquie pourrait bien ne plus être du tout diffusé en Franquie dès l’année prochaine. En effet la chaîne Bling-Bling Sports, propriétaire exclusive des droits, aurait passé un accord avec divers annonceurs pour mettre la pression finale sur les autorités roupéenes afin qu’elles se mettent en accord avec les traités de commerces internationaux en ce qui concerne la publicité sur les accélérateurs de performance, toujours interdite en Roupie.

 

@gamer1253187

Ce n’est pas parce que je suis la caution absolument non-scientifique de cette mission que mes followers peuvent se passer d’éléments de physique élémentaire. Alors non ! Je ne peux pas faire avec toi une partie en live de Bubbleship !

 

@GordonAndGordon

Je te renvoie à mon article d’hier soir.

 

HelloWorld47827 @MnTardy

Hello Emmanuel. NoAdvance.com, spécialiste de l’avance de caution te souhaite une bonne journée. Avec NoAdvance.com et ses taux inférieurs à 1% par jour, pas de galère, t’es locataire ou c’est tout comme. NoAdvance.com, une marque du groupe Crédit Tuticole.

 

Info47827 @MnTardy

Dans la perspective du prochain festival de Palme, on a appris hier que la canne d’or remise l’an prochain serait la dernière du genre. En effet, pour être plus en phase avec son époque, le festival a décidé de remplacer la canne d’or par une femme d’or. Le modèle aurait été déjà choisi et serait du type T33 de la société Afterash en version rare 95D et avec fonction orale améliorée. Si les réalisateurs se disent dans l’ensemble fort satisfaits de cette avancée, les réalisatrices sont montées au créneau pour souligner le caractère absolument misogyne d’un tel choix. Le réalisateur franquais Raoul Mouletabite, devenu célèbre pour avoir filmé le premier film X intégralement en apesanteur et qui organise chaque année un contre-festival dans la région palmaise, a déclaré qu’il était tout à fait disposé à aider le festival à réduire ses coûts en s’engageant à fournir à chaque édition une femme d’or en chair et en os quant à elle tout à fait unique en son genre et à fonction orale (ou autre) optimale. Autre amélioration notable prévue lors de la prochaine édition du festival, après avoir longuement traîné les pieds face à une technologie jugée trop perturbatrice, les organisateurs ont enfin accepté l’idée d’une diffusion des films en version InstantTakeIt.

 

@gamer1253187

Je ne me défile pas ! Et d’ailleurs je n’ai pas prétendu être imbattable à Bubbleship puisque je n’ai pratiqué que les deux premières séries, celles sur console. Mais à l’époque je me défendais sacrément bien.

 

PM @TravelerCheik

Une très belle ville oui. Et je ne dis pas ça parce que c’est la mienne, c’est une vérité intrinsèque.

 

La prochaine fois je vous dirai comment Aïcha vint justifier son raisonnement de manière presque convaincante.

 

Darwin. 

4 octobre 2015

Des hypothèses.

Chalut.

 

Je dois vous dire par avance que le premier message reçu sur la tablette date de plusieurs mois et nous ne sommes toujours pas en mesure d’en comprendre la teneur malgré l’accumulation d’informations qui s’ensuivit ; informations dont je vous ferai part peu à peu. Toujours est-il que cette histoire fit rapidement le tour de quartier (à l’exclusion des humains) et que chacun y alla de son hypothèse. La troisième nuit George suggéra de couvrir la tablette d’un épais journal pour éviter d’être réveillés si elle devait s’allumer. C’est ce que nous fîmes et l’on dormit tranquillement. Au petit matin nous trouvâmes un fichier qui nous délivra le message suivant :

 

HelloWorld47823 @MnTardy

Hello Emmanuel. Brother & Brother te souhaite une bonne journée. Brother & Brother, le cabinet juridique référant en matière de litiges commerciaux. Brother & Brother, en tout lieu, à toute heure.

 

 

 

Info47823 @MnTardy

Suite des remises de prix économiques. Le grand prix de l’Espérance est attribué à la Frique du sud. Il et a été remis à son président par l’intermédiaire de Rutger Celcius directeur de la Dearnod Bank. Déçu de ne pas obtenir le prix, le président du Kari a fait montre d’un certain manque de fairplay en ne reconnaissant pas sa défaite. Il a déclaré que les statistiques étaient tronquées car ne prenant pas assez en compte l’économie informelle ; économie qui, selon lui est favorable aux riches dans son pays (en raison du commerce illégal d’hydrocarbures) tandis qu’elle serait surtout le fait des pauvres en Frique du Sud. Pour rappel le grand prix de l’Espérance est attribué en fonction de certains critères mais dont le principal est le calcul de l’écart de revenu entre les 1 % les plus riches et les 80 % les plus pauvres. Plus l’écart est important mieux le pays est classé. Il s’agit donc bien d’une espérance statistique même si la formule n’est pas formellement juste.

 

 

 

HelenaRackel.bmds.org @MnTardy

Bonjour Emmanuel. Dans le cadre de notre accord commercial je te rappelle que tu es tenu de respecter scrupuleusement les termes du contrat. Toute mention de la marque doit être accompagnée de son slogan et nul terme ne saurait être omis. Tu as manqué hier à cette obligation entrant ainsi sous régime de pénalité. Selon l’échelle logarithmique qui s’applique contractuellement à deux manquements consécutifs, la somme de 100000 dollars sera défalquée de tes émoluments.

 

@Petfriend14

 Je ne m’occupe pas du chat ! Vois ça avec Olga !

 

La nuit suivante le fichier reçu était carrément plus volumineux et je décidai d’organiser une lecture pour les chats et oiseaux du bloc :

 

 

 

HelloWorld47824 @MnTardy

Hello Emmanuel. Les vêtements pour chat Laurencin te souhaitent une bonne journée. Laurencin habille votre compagnon préféré de la tête aux pieds. Laurencin, une marque du groupe Laglar.

 

Info47824 @MnTardy

Suite des remises de prix économiques. Prix régional notable, le prix roupien décennal Micron pour l’élimination des archaïsmes sociaux, a été remis à la commission roupienne pour l’ensemble de son œuvre depuis sa création. Dans un autre registre, le prix décennal Taxinov revient à Tarie, capitale de la Franquie. Quoique n’ayant pas été l’initiatrice des péages urbains intra-muros, c’est à Tarie que revient le mérite d’avoir développé à grande échelle le principe de l’usage-péage. Il est intéressant de revenir sur l’historique de l’usage-péage tant il a modelé le paysage roupien depuis sa diffusion. A l’orée des années 2020 le modèle franquais apparaissait à bout de souffle et son incapacité à tenir ses engagements roupiens était chronique. En état de quasi-faillite et faisant face à une lente hémorragie de capitaux trouvant meilleurs rendements ailleurs, sa capacité à lever l’impôt dans une volonté redistributive au profit des pauvres oisifs n’était plus qu’un lointain souvenir. A travers le redécoupage territorial, l’idée d’un large transfert de compétence au profit de structures sous-étatiques avait fait son chemin. Plus efficientes ? Voire… les régions chargées de trouver leur propre voie de financement devant des besoins accrus se trouvaient rapidement confrontées aux mêmes problèmes que l’état . Dans une note destinée à Alain Dupé et tenue secrète durant de longues années, un comité de douze sages experts en économie et proches de LVP (Les Vrais Publicains) dirigé par Elie Hélicon et Jean-Marie Quatremaird entendait donner des pistes aux pouvoirs publics en quête d’argent. Nous reproduisons ci-après cette note. « Notre grand pays, certes toujours fort de certains atouts, n’en subit pas moins une lente érosion de son pouvoir de séduction vis-à-vis des milieux d’affaires. Le manque d’entretien de nombreuses infrastructures finit par donner une image dégradée de la nation toute entière. Dans les zones dynamiques le foncier est déjà bien bâti et notre rhétorique des décennies passées nous pose aujourd’hui quelques soucis tant la multitude des propriétaires tenant à leurs biens immobiliers comme à la prunelle de leurs yeux rend hors de prix toute expropriation visant à des projets de grande envergure. Si les collectivités locales peuvent faciliter les projets privés par les amitiés heureusement entretenues entre les milieux d’affaires et les cercles politiques, quand ceux-ci aboutissent elles n’en retirent guère les bénéfices. Dans l’optique de réduction des dépenses inutiles nous avons un peu trop longtemps regardé les déficits publics d’un œil bienveillant ; il est temps de changer notre fusil d’épaule. Dans un environnement ultra-concurrentiel mais en manque de croissance notre confiance en la vertu du secteur privé a été quelque peu érodée. Nous avons encouragé des transferts massifs de services du public vers le privé mais l’appétit des actionnaires (nourri par des ententes de salons, nous le savons car nous y étions) a contredit les baisses de prix attendues par la chute des bas salaires et les progrès technologiques. Prendre la mesure du monde d’aujourd’hui c’est se souvenir que, lorsqu’il est dans de bonnes mains, l’état n’est pas l’ennemi du capital mais son allier principal pour ne pas dire la condition sine qua non de son existence. Redonner des capacités d’agir à l’état et aux collectivités locales c’est redonner confiance au capital en lui apportant la garantie que nous jouons un jeu gagnant-gagnant. Pour y parvenir il nous faut pénétrer le domaine de la psychologie individuelle élémentaire. Prétendre que les riches refusent systématiquement l’impôt est une idée reçue, les riches ne refusent pas l’impôt, ils refusent l’impôt injuste, l’impôt injuste étant celui qui leur prend leur argent sans donner quoi que ce soit en retour. C’est avoir une vision typiquement franquaise des riches, une vision basse et déformée, de croire qu’ils aspirent tous à avoir une piscine olympique dans leur jardin pour y nager seuls. Les riches sont sociables, sans doute infiniment plus que les pauvres, sinon comment expliquerait-on leur réussite ? Les riches ne refusent pas le contact d’autrui, ils le refusent si autrui leur cause du désagrément, ce qui ne manque jamais d’arriver si autrui n’a pas reçu la même éducation et n’a pas la même finesse d’esprit qu’eux. Les riches veulent-ils avoir un parking privatif partout où ils sont susceptibles de se rendre ? Même s’ils le désiraient ils ne le pourraient pas, ce qu’ils veulent c’est la garantie qu’ils pourront se garer là où ils sont susceptibles de se rendre. Si les pouvoirs publics ne peuvent pas leur apporter de telles garanties alors ils se tournent vers le privé. Construisez une belle piscine municipale et imposez un tarif d’entrée la rendant financièrement inaccessible au tout venant, les riches viendront s’y baigner, joyeux de retrouver ceux qui partagent leur sens des valeurs. Ainsi, tout comme il y a des stations de ski pour les riches, qui ne sont pas privées pour autant, et des stations de ski pour les budgets plus modestes, nous devons construire des piscines pour les riches et des piscines pour les pauvres. Dès lors la chose publique est et demeure. Pour d’autres choses l’affaire s’avèrera plus compliquée. Comment garantir une place de parking à tout créateur de valeur dès lors qu’il a besoin de se déplacer dans le cadre de ses affaires, lui qui a constamment le souci de ses affaires, ne s’accorde que peu de répit et n’a pas de temps à perdre ? La meilleure façon d’agir pour le bien de la communauté n’est-elle pas d’accorder une forme de privilège à ceux qui créent de la richesse pour tous ? Une privatisation informelle d’espace public par une taxe qui ne dit pas son nom selon le concept de l’usage-péage prétend y participer : qui a les moyens de payer a l’usage de l’espace, qui n’a pas les moyens n’a pas l’usage de l’espace bien qu’il reste un espace ouvert au public. Disons-le, pour un pays archaïque telle la Franquie, le concept, quoique éprouvé depuis longtemps sur les autoroutes, devient, lorsque appliqué à grande échelle, révolutionnaire. Cela ne manquera pas de susciter des protestations, il nous faudra tenir le cap. Les technologies modernes nous laissent entrevoir de multiples possibilités quant au contrôle des masses, les Moïsiens, grands précurseurs en la matière dans les territoires occupés, doivent nous servir d’exemple et d’encouragement. Nous devons avancer sans complexes et ne jamais perdre à l’esprit que nous agissons toujours pour la justice selon le sens que nous lui donnons. L’ingratitude et la mauvaise foi des masses paresseuses est manifeste. N’oublions jamais que la critique de l’attitude des riches devant l’impôt émane d’une plèbe hypocrite qui s’est comportée exactement de la même manière bien qu’elle se savait être la réelle bénéficiaire d’un système exagérément redistributif. Nous devons savoir gré aux gauchistes de tous poils d’avoir poussé le bouchon un peu loin. Dans le contexte très particulier et chaotique du mitant du siècle dernier, ils trouvèrent les conditions pour la mise en œuvre d’une politique inique et, par telle, vouée à l’échec. Grandes furent les leçons tirées d’un égalitarisme forcené que nous avons heureusement laissé derrière nous. Ainsi, de l’idée saugrenue que riches et pauvres devaient recevoir le même enseignement scolaire naquit le constat éclatant de la vanité d’un tel concept. Si nous-même ne doutions pas du résultat, son incarnation dans la réalité eut à terme un impact électoral absolument satisfaisant. C’est un fait établi que les enfants de bonne famille sont en moyenne plus réceptifs, plus intelligents et plus compétents que ceux de basse extraction, voilà pourquoi ils réussissent mieux à l’école et pourquoi l’ordre naturel qui prévalait avant la gauchisation de notre société prévaut encore. On a dit beaucoup de choses sur l’héritage et la transmission des fortunes, on a trop vite oublié que l’héritage, le vrai, était génétique et culturel. Ne soyons pas ingrats, l’école publique aura eu du bon, une instruction minimale étant nécessaire à l’émergence d’une classe moyenne consciente de sa place, de ses limites et devoirs, et par là bénéfique au fonctionnement d’une économie capitaliste moderne. Mais le désastre, oui le désastre, c’est cette irrésistible tentation de tout niveler par le bas en demandant sans cesse à celui qui a les moyens d’aller vite d’attendre celui qui va lentement. Voilà pourquoi la Franquie s’est retrouvée à la traîne des autres nations tandis que nos enfants n’étaient pas moins brillants que ceux de nos voisins. Par le principe de l’usage-péage nous entendons libérer les ambitions et la création de richesse sur la base d’un calcul absolument rationnel. Donnons le coup de pouce supplémentaire à ceux qui ont statistiquement les meilleures chances de réussite ! Certains objecterons que d’éminents personnages se sont extirpés des bas-fonds par l’entremise de l’école publique et qu’ils comptent aujourd’hui au nombre des plus grands créateurs de richesse. Nous disons qu’il n’est ni question de le nier ni de s’en soucier. Il arrive effectivement que sur un tas de fumier pousse une fleur éclatante mais statistiquement on a plus de chance de trouver des roses dans une roseraie que dans un champ d’orties. Celui qui a le talent et la volonté de pousser sa chance le fera quelles que soient les conditions. Ainsi, lorsque, béni des dieux, un pauvre est destiné à devenir riche, il le devient sans aucun doute. Le fait qu’il y parvienne par l’entremise de sa seule volonté est de plus absolument bénéfique à l’intégration psychique de son mérite, ce qui le rend imperméable à toutes les idées subversives et révolutionnaires des derniers gauchistes indécrottables. Par le principe de l’usage-péage nous opérerons une subtile inversion de paradigme. Formons-nous l’élite de la droite niou-libérale dont le mot d’ordre serait « Laissez passer ! Laissez faire ! » ? Sans doute ; mais pour le besoin de la cause nous nous changeons en niou-niou-libéraux. Avons-nous dit : « Moins d’état ! » ?  Contentons-nous de convaincre chacun, à commencer par nous-même, que nous avons toujours pensé « Mieux d’état. » Vouloir mieux d’état c’est d’abord constater qu’aujourd’hui, le seul impôt marqué du sceau de la justice, et donc ne souffrant guère de contestation, s’appelle Taxe sur la Valeur Achetée. Voilà une taxe sur quelque chose que l’on n’a pas encore et que l’on convoite, bien dosée son acceptation est inhérente à la nature humaine. Cependant, dans l’état actuel des choses, on gagnerait à écarter le mot « taxe » de notre vocabulaire, quant au mot « impôt » il faut le bannir à jamais du dictionnaire tant il traîne derrière lui toutes les casseroles de la mauvaise tambouille d’économistes à la petite semaine. Mais dans quel esprit malade est née l’idée d’imposer le revenu ? Quel crasseux ignorant du moteur des grandes œuvres humaines peut croire que l’on devrait imposer la fortune ? A celui qui, comme toute fortune, n’a qu’un chien, lui réclamera-t-on la queue en guise de paiement de l’impôt ? Exigerons-nous l’enlèvement du toit à celui qui n’a qu’une maison, dût-elle mesurer cent mètres de long et autant de large ? Cela ne se peut pas. Il s’ensuit que tout ce qui est possession légitime ne peut pas être séparé de soi-même et, partant, ne peut servir de base à un quelconque calcul de l’impôt. Qu’ont fait les égalitaristes de cette loi naturelle ? Ils l’ont foulée aux pieds ! Pour eux la base de l’impôt est le monde tout entier ! De barèmes en exceptions aux barèmes, ces oiseaux là nous ont pondu une véritable identité culturelle qui, à défaut de rendre notre pays attractif, a au moins le mérite d’être si labyrinthique qu’une chienne n’y retrouverait pas ses petits. Armé d’une solide volonté et la certitude que le labyrinthe a toujours un minimum de deux sorties, aidé d’un plan précis vous indiquant les culs de sac, oubliettes, haies infranchissables, puits sans fond, chausse-trappe et passages secrets, la fortune vous sourira peut-être. Alors vous finirez par vous trouver devant un écriteau marqué « Ici c’est la Suite ! (autrement appelée Confédération Hérétique) » ou « Crocodiles à gauche, Caïmans à droite. » Les moins chanceux seront condamnés à tourner en rond au milieu du labyrinthe, sans aucune possibilité d’en sortir et assez certains de devenir fou à force de passer devant un panneau indiquant « Contribution Super Géniale payable ici ! » puis un autre dix mètres plus loin « CSG sur la CSG payable ici ! » On exagère ? A peine, car de toute leur délirante ingéniosité, la plus grande invention de ces psychopathes est bien celle-ci : l’impôt sur l’impôt ! De l’inefficacité de tels procédés, quelle leçon en ont-ils tirée ? Aucune ! Alors nous disons stop ! Le changement, c’est maintenant ! Mais un changement tout en subtilité pour ne pas réveiller la bêtise des masses populaires apte à s’incarner dans des mouvements insurrectionnels et alcoolisés du type « les Gros Nez Rouges » L’usage-péage deviendra l’axe central de notre politique fiscale par une mutation progressive de la collecte. Toute instauration d’une forme de péage, le plus souvent passant par de subtiles et répétées hausses des tarifs de services existants et déjà payants, sera compensée par une amélioration très ciblée de ces mêmes services au profit des créateurs de richesse et par l’annonce, à grand renfort de communication, de la baisse progressive des taxes et impôts dont le niveau dépend directement des revenus ou du capital et ce jusqu’à leur disparition totale. A cette fin, tenez-vous bien, nous sommes même favorables au retour dans le giron direct de l’état de la gestion des sociétés d’autoroutes (bien sûr à condition que les actionnaires, au nombre desquels nous comptons, puissent faire le deuil de ce capital par une généreuse gratification de leurs incommensurables efforts passés.) Les expériences tentées dans d’autres pays roupiens sont concluantes et prouvent que les entreprises fonctionnent comme des individus et que l’attrait de territoires où certains prix pourraient être poussés à la hausse n’est jamais menacé si l’on met dans la balance tous les services et faveurs qu’elles réclament justement. De plus les obstacles en provenance de la commission n’ont rien d’insurmontables, nous pensons même que les traités et règlements nous donnent de larges marges de manœuvre dans la mesure où les autorités publiques agiront exactement comme toute entité privée avec l’ambition affichée de faire du profit en utilisant les moyens de leur propriété et toute leur capacité à pressurer les sous-traitants. Nous ne vous cacherons pas qu’après avoir reçu tout notre soutien dans ses réformes de politiques publiques, la commission nous semble désormais avoir une tendance exagérée à l’enflure bureaucratique qui heurte nos convictions libérales. Sa mission est globalement accomplie et il est grand temps de dégraisser le mammouth avant de nous retrouver confrontés aux mêmes travers que les régimes communistes. Il n’est plus rare aujourd’hui, lorsque vous voulez simplement faire votre travail honnête de lobbyiste, de devoir demander audience plusieurs semaines à l’avance auprès de petits scribouillards montés en grade que nous avions pourtant installés là à seule fin de confier la défense de nos intérêts à des mains dociles. Au train où vont les choses, bientôt un chef d’unité demandera à être mieux rétribué que le plus riche d’entre nous, nous qui cumulons, à nous douze, plus de 300 postes de haute compétence dans divers conseils d’administrations. Par le sentiment patriotique que suscitera notre démarche nous ne doutons guère de récupérer un bon nombre de nos brebis égarées dans le pré carré du Front Nataliste, quant au Parti des Sots Salis il tombera naturellement dans le piège qui lui sera tendu en votant massivement pour les mesures proposées mais dont le mérite nous reviendra seuls. »

  

@MillyTheCat89

Ok je ne suis guère à mon avantage sur cette vidéo mais si j’ai ainsi sursauté c’est que j’étais en plein rêve. Je ne me souviens pas du rêve mais les griffes de la chatte se sont greffées sur lui en élément franchement flippant.

 

 

 

PM @Gastrogone

 

Je me disais aussi que seul ce bon vieux David pouvait connaître ce détail. ça fait un bail dis donc ! Qu’est-ce que tu deviens ? 

 

A peine eus-je terminé la lecture que les commentaires allèrent bon train. On s’accordait globalement sur le fait qu’il s’agissait d’un canular et que Odette n’en était pas l’instigatrice. On suggéra que le canular ne nous était pas destiné, raison pour laquelle nous n’y entendions rien. Peut-être fallait-il rendre la tablette à son propriétaire ?

– Vous l’avez volée où ?

– Pas bien loin. Mais je ne pense pas que ce canular puisse être destiné aux propriétaires originaux. Famille bourgeoise tout ce qu’il y a d’insipide.

– Qu’est-ce que ça prouve ?

– Crois-moi ! Il y a plus de chance que tu sois le vrai destinataire de ces messages que n’importe quel habitant de cette ville.

– Pourquoi ?

– Parce que c’est sans queue ni tête et que ça te convient parfaitement.

– J’ai une queue et une tête ! Et du genre haut de gamme !

– Justement.

– Moi je dis qu’il faut changer la tablette !

– Et moi je te dis que ça ne changera rien si on la change !

– On ne le saura jamais si on n’essaye pas ! 

– Ben change-la !

– Tu sais très bien que je ne peux pas le faire sans toi !

– Oui mais moi j’ai pas envie ! Elle est très bien celle là !

– C’est sûrement la preuve que tu as trafiqué cette tablette là et que ces messages viennent de toi !

– C’est la preuve de rien du tout ! Si je voulais t’envoyer de tels messages je pourrais le faire sur n’importe quelle tablette !

– C’est un aveux ?

– Ta gueule matou ! Tu me gonfles ! Ça ne vient pas de moi ! Pigé ?

– D’accord. Pas la peine de crier !

– Puisque t’es si chavant tu devrais te pencher un peu sur le contenu des messages. Tu trouveras peut-être un indice.

– Pour l’instant je ne trouve rien.

– Il y a néanmoins une référence locale, a dit George.

– Laquelle ?

– Tu as parlé d’un Gastrogone. » Or les Gastrogones sont des supporters de l’OL.

– C’est juste.

– On a une piste.

– Il a été aussi question d'une chatte et de vêtements pour chats. Quelqu’un a déjà entendu parlé de ça ?

– Des vêtements pour chats ? En tant que De Gouttière ça peut nous paraître ridicule mais les bourgeois ont déjà prouvé maintes fois qu’ils avaient un sens du ridicule assez affirmé. Ce qui pourrait nous ramener à cette famille à laquelle nous avons volé la tablette.

– Sauf qu’elle n’a pas de chat mais un misérable cabot vociférant…  avait devrais-je dire car j’ai un peu forcé la dose.

– Est-ce que je peux donner mon avis ? a dit Aïcha de sa voix fluette.

 

Dans mon prochain billet je vous révélerai ce que Aïcha pensait devoir nous révéler.

 

Darwin. 

3 octobre 2015

Point de vue d'Odette sur la vue des chats

 

Chalut.

 

Je vais vous relater une petite discussion que j’eus avec la fée Odette peu après le concert du Macadam Bazar. Elle est bizarre quand même cette fée, elle a des lubies. Là voilà qui débarque un matin avec quelque chose dans les mains et qui d’emblée me prend de haut :

– Ah ! ah ! monsieur je sais tout je vois tout, devine ce que j’ai là ?

– Un morceau de papier ? Que sais-je ?

– Des photos !

– Des photos de qui ?

– Pas de qui mais de quoi.

– Ah ! Et de quoi donc ?

– Ce quoi là qui prouvera que tu as menti aux chèvres.

– Moi j’ai menti aux chèvres ?

– Oui !… Ça c’est quoi ?

– La tour du crédit lyonnais pardi !

– Hum, bizarre… Et ça ?

– Facile ! C’est le mont blanc !

– Hum… Au fond cela ne prouve rien ; tu as très bien pu les voir en photo avant.

– Oui, et alors ?

– Alors pourquoi leur as-tu dis que tu voyais le crayon et le mont blanc en vrai ?

– Je n’ai pas dit que je voyais le mont blanc mais les Alpes !

– C’est impossible !

– Comment cela impossible ?

– C’est impossible parce que tu es complètement myope et que tu n’as pas de lunettes !

– Je suis myope moi ?

– Mais bien sûr ! Comme tous les chats ! Tous les chats sont myopes et tu es un chat ! Donc tu es myope !

– Si tu le dis… Et bien admettons que je sois myope. Cela prouve que les myopes peuvent voir le crayon et les Alpes d’ici.

– Mais non ! Bien sûr que non ! Tu ne les vois pas ! Tu vois des formes qui leur ressemblent mais tu ne peux pas dire que tu les vois.

– J’ai du mal à te suivre Odette.

– C’est pourtant simple. Tiens, pour preuve… regarde encore cette photo !

– Pas de doute Odette, il s’agit bien du crayon.

– Oui mais dirais-tu que tu le vois mieux en vrai ou sur cette photo ?

– Sur cette photo indéniablement puisque je l’ai sous les yeux.

– Et comme ça ?

– Comme ça je vois flou Odette.

– Ah ! c’est bien ce que je pensais ! En plus d’être complètement myope tu es carrément presbyte !

– Voilà autre chose.

– Tu es incapable de lire de très près !

– Sans doute. Et toi ?

– Moi évidemment que je peux… Ah ben non tiens…

– Mais Odette ! Tu as les yeux collés à la photo, fatalement…

– Ça alors. Est-ce que comme les fées les chats auraient un sixième sens ?

– Je ne te suis toujours pas.

– Si tu ne vois pas avec tes yeux alors c’est que tu vois autrement.

– Mais enfin Odette ! Je vois très bien voyons !

– Très bien mais très peu comparativement à d’autres espèces… sauf la nuit bien sûr. Et quand tu regardes la télé je parie que l’image est toute saccadée.

– Saccadée n’est pas le terme approprié. Mais certainement ils ont encore du progrès à faire !

– Mais pas du tout matou ! C’est tes yeux qu’ont du progrès à faire ! Tiens ! Devine quelles couleurs je porte ?

– Facile, les couleurs de la ville.

– Qui sont ?

– Rouge et bleu.

– Comment le sais-tu ?

– Comment pourrais-je l’ignorer ?

– Tu ne peux pas voir le rouge !

– Comment ça je ne peux pas voir le rouge ? Je vois très bien les feux rouges !

– Ça ne prouve rien ! Même les daltoniens savent situer le rouge, ça ne veut pas dire qu’ils le voient !

– Je ne comprends pas.

– Du vert et du rouge, dirais-tu que ce sont des couleurs qui se ressemblent ou qui sont très différentes ?

– Sans doute elles se ressemblent un peu mais elles ne sont pas similaires, c’est une question de nuance.

– N’importe quoi matou ! Le vert et le rouge ne se ressemblent pas du tout ! Il faudrait être idiot pour faire des feux de signalisation avec des couleurs qui se ressemblent !

– Pourquoi ?

– Mais parce que cela multiplierait les accidents !

– Pas du tout puisque chacun sait que le rouge est en haut et le vert en bas. C’est logique !

– C’est absurde !… Oh ! et puis tu m’énerves matou ! J’en ai marre d’avoir des amis qui me contredisent tout le temps ! Eh ! ben tu passeras la journée tout seul ! Daltonien !

 

Ah ! souvent je me demande qu’elle mouche la pique. Enfin… je ne crois pas avoir le pouvoir de la changer et je l’aime bien comme ça quand même. Contrairement à ce qu’elle disait je n’ai d’ailleurs pas du tout passé la journée tout seul puisqu’elle est revenue cinq minutes plus tard comme si rien ne s’était passé.

 

– Ramène tes poils ! J’ai besoin de tes services.

– On va où ?

– Jouer ! Pour changer…

 

Nous voilà partis dans un appartement voisin que je n’ai guère l’habitude de fréquenter faute d’y trouver mon intérêt. Le genre d’appartement où l’on ne trouve que des restes de pizzas desséchées et où l’1-Terre-Nette n’est en général disponible que sur les genoux du locataire des lieux, locataire par ailleurs très bien équipé en matière de télévision. Odette prend possession des lieux, très à son aise ; claque des doigts, la télévision s’allume ; claque des doigts, une petite boite noire ronronne. On attend un peu :

 

– J’espère que ce gros sac a laissé le bon jeu, ça m’évitera des manipulations… hum… Tu sais conduire matou ?

– T’as de ces questions Odette. Evidemment non !

– Ce sera pas utile. Contente-toi de faire ce que je te dis ! Je suis Danica Patrick !

– Qui ?

– Laisse tomber matou ! Tiens ! Monte là ! Sur la table basse !

– Qu’est-ce que je dois faire ?

– Ce truc là c’est une manette de jeu, vois-tu ?

– Odette ! Depuis le temps que j’observe ce genre d’énergumènes, tu penses bien…

– Ok ! Le problème c’est que si je ne veux pas me contorsionner, je ne peux manier que le volant durant la course. Donc il faut que tu accélères et que tu freines à ma place quand je te le dis !

– Ah !…

– C’est très simple, tu appuies sur la croix pour accélérer et sur le carré pour freiner.

– Oh !… Je mets une patte là et l’autre là alors ?

– Parfaitement ! Appuie sur la croix !… Encore !… Encore !… Attends !… On va pas lambiner, je prends la voiture la plus puissante possible ! Attends !

 

Mazette ! Je n’ai pas beaucoup rigolé. Engueulé comme du poisson pourri pendant près d’une demi-heure avant que je ne maîtrise un peu mieux la situation :

– Freine ! Mais freine bordel de merde ! Accélère ! Accélère ! Mais écoute-moi au lieu de regarder l’écran bordel ! Je te demande de faire deux choses ! C’est tout de même pas compliqué !

– Mais je veux voir ce que je fais Odette !

– Mais ça ne sert à rien puisse que tu ne peux rien voir !

– Tu ne vas pas recommencer avec ça Odette ! Puisque je te dis que je vois très bien !

– Mytho !

– Là on arrive dans un virage alors je freine !

– Mais non ! Mais non ! C’était bien trop tôt ! On est au ralenti putain de bordel de merde ! C’est bien la preuve que tu vois tout en saccades con de chat !

Alors apparemment les jeux à la télé ça détend pas plus que le sport. Il faudra beaucoup de persuasion de la part d’Odette pour me convaincre de jouer à nouveau avec elle mais je m’y essayerai peut-être avec quelqu’un de plus calme. Et je prendrai le volant !

 

Darwin.

3 octobre 2015

Macadam, quel bazar !

Chalut.

 

Aujourd’hui je vais vous conter une soirée de la fête nationale qui fut tout à fait mémorable. D’ordinaire je me contente de regarder le feu d’artifice de mon toit mais il advint un petit événement vers le 10 juillet 2013 : mon frère me rendit une visite inattendue alors qu’en général c’est plutôt moi qui les retrouve, lui et son inséparable Burbulle, sur le très grand bloc. Il ne fit pas le déplacement sans raison mais pour m’annoncer une grande nouvelle :

– Darwin ! Mon frère ! J’ai une grande nouvelle à t’annoncer !

– Dis-moi P’tit Gris ?

– Devine qui vient à Lyon le 14 juillet ?

– Je ne sais pas ? Le président de la République ?

– Et qu’est-ce que j’en aurais à foutre de cette rose en plastique fanée ? Non ! Cherche un truc qui nous intéresse vraiment !

– Dis-moi ! Ce sera plus rapide !

– Ok ! Si tu veux. Eh  bien sache que le Macadam Bazar vient jouer dans notre quartier !

– Non ! C’est bien vrai ? Mais où ? Où mon frère ?

– Juste à côté. Sur les quais, en face des hospices civils.

– C’est bien vrai ?

– Mais oui ! C’est dans le programme !

– Oh ! mais en voilà une grande nouvelle ! On ne peut pas rater ça ! Il nous faut les voir !… Oui mais… comment ferons-nous ? Il n’y aura peut-être pas de voitures sous lesquelles se cacher à proximité et les toits sont difficiles d’accès.

– Hé ! bien je pensais que tu pourrais venir sur notre bloc, on entendra assez bien de l’extrémité nord-ouest.

– Mais avec les arbres on ne verra pas du tout la scène ! Oh ! ce serait trop dommage ! Il nous faut monter sur le toit des hospices.

– On n’est jamais allés là Darwin. Ce bloc est un casse-tête pour les De Gouttière.

– Pas si Odette nous trouve un accès au toit et nous ouvre les portes.

– Hé ! bien, si Odette est d’accord, je te suivrai volontiers.

 

Je ne sais pas si vous connaissez le Macadam Bazar très cher lecteur, très chère lectrice, ce n’est certes pas un groupe qu’on entend souvent à la radio mais si les humains avaient les mêmes goûts que moi et mon frère, il serait en tête des ventes. Notre passion pour leur musique notre prime jeunesse, après avoir été recueillis par Burbulle. Nous l’entendîmes pour la première fois en provenance d’un petit appartement du dernier étage du très grand bloc qui était alors occupé par un jeune homme sympathique. Dès les premières notes captées nous nous sommes arrêtés pour écouter, nous sommes regardés d’un air entendu, c’était du son pour nous ! Et puisque le jeune homme en question semblait aussi fan que nous, nous eûmes le loisir d’écouter souvent les morceaux et aussi de créer nos propres danses sur certains d’entre eux. Dès lors vous comprendrez aisément pourquoi je ne pouvais pas manquer cette occasion unique de voir en chair et en os des artistes humains dignes de notre intérêt. J’en parlai à la fée Odette dès que je le pus et elle ne me fit qu’un chantage de courte durée histoire de me faire enrager. Après quelques supplications elle fut d’accord pour exécuter mon plan et partit en éclaireuse avant de revenir une heure plus tard :

– C’est bon matou ! Je crois que j’ai un accès par le cœur du bloc. Porte électrique en bas, ce qui facilite les choses. Mais par contre, puisque je ne vous imagine guère vous promener dans les rues un soir de 14 juillet, cela suppose de passer toute la journée sur le toit.

– Oh ! ce n’est pas un problème. Une sieste de six ou sept heures fera passer le temps.

 

Voilà comment nous nous sommes retrouvés à grimper sur le bloc des hospices civils dans la nuit du 13 au 14 juillet. Nous sommes montés le plus naturellement du monde par un escalier et nous avons sauté d’une fenêtre sur un toit. La plaie des chats de gouttières lyonnais est la succession fréquente d’immeubles de tailles très différentes. C’est aussi le cas sur ce bloc mais, comme souvent sur les gros blocs, il y a des passages et nous n’eûmes même pas besoin de faire valoir nos qualités athlétiques. D’ailleurs nous n’étions pas que deux car je vis arriver P’tit Gris à notre lieu de rendez-vous accompagné de Burbulle, Passe-passe et d’une petite minette qui m’était inconnue et répondant au nom de Aïcha. Elle est marante celle-là, toute menue et bariolée, et surtout avec une toute petite voix fluette. Odette nous a menés vers un toit en terrasse où elle nous assura qu’on serait tranquilles, sans personne pour nous observer et avec potentiellement de l’ombre toute la journée. Alors, pour le coup, on n’a pas fait grand chose d’autre que pioncer jusqu’à l’heure H. Peu avant l’entrée des artistes Passe-passe tenta de grimper sur une cheminée démesurément grande afin d’avoir le meilleur point de vue. Il fut à deux doigts de réussir lors de son troisième essai et j’avoue qu’il m’impressionne par sa détente, surtout sachant qu’il n’est plus tout jeune. Odette, Riton et George, qui nous avaient rejoints, l’encouragèrent à réessayer mais c’était peine perdue. Heureusement il y avait une petite plate-forme bien située et sur laquelle P’tit Gris et moi allions pouvoir montrer nos danses, surtout notre danse du Hibou sur la chanson Ounichlibou mais qui ressemble d’avantage sans doute à une danse de kangourou.

 

Passons sur le feu d’artifice qui fut pas mal mais qualitativement un poil en dessous de l’année précédente. Au fond cela importait peu car le véritable feu d’artifice fut la prestation de haut vol du Macadam Bazar. Mazette ! Quel Bazar ! Exactement le genre de groupe qui donne sa pleine mesure en concert ! Et il faut savoir qu’ils chantent tous, sauf Julian le batteur mais qui est par ailleurs un excellent musicien. Il fit un solo tonitruant qui marqua les esprits. J’ai bien cru comprendre que certaines chansons étaient en langue tsigane, quoique j’ignore tout de la langue tsigane, mais pour ce qui est du français, vous entendrez aisément pourquoi nous avons des félinités particulières avec ce groupe. Quand vint le moment d’Ounichlibou, mon frère et moi fûmes le clou du spectacle, du moins du côté du toit vers lequel bien sûr aucun humain ne regardait : « Si j’avais su, j’aurais pas venu, maintenant qu ‘t’es là, mangeons avec les doigts ! … » Nous étions très excités et l’effet contagieux gagna Odette qui passa la plupart des chansons à danser sur les gens dans la foule, allant d’une tête à l’autre, légère comme une mouche, ou bien s’envolant soudainement telle une hirondelle. Entre les morceaux elle revenait s’asseoir entre George et Riton, passait ses bras par-dessus leur cou, eux impassibles, tout en intériorité. De tout le concert George se contenta de ce commentaire à la fin de notre chanson préférée qui n’est certes pas la plus dansante mais dont la métaphore nous passe par tous les pores : « Avez-vous entendu ? C’est une réussite à mettre pigeons voyageurs et chats de gouttière dans même phrase. » Ah quel concert ! Lors d’une chanson un peu calme, j’avoue qu’une folie me traversa l’esprit. Je pensai soudain à la vie du Macadam Bazar sur la route, à l’esprit de la liberté qu’il souffle. Je me suis dit : « Et si j’en étais ? » Sûrement que si je me présentais à eux à la fin du concert, ils se diraient : « Oh ! le superbe chat ! » Et moi, insistant un peu à tourner autour de leur camion, je saurais bien leur faire comprendre mon envie de partir. Alors j’aurais la vie bohème ! Oui mais il faudrait dire adieu aux toits de Lyon, qui sont presque tout pour moi, et aussi à mon frère, mes amis, et à la fée Odette sûrement car elle ne pourrait pas trop s’éloigner d’Andrea qui peut encore avoir besoin d’elle. Et puis aussi mettre fin à mes désirs d’écrire. Ainsi je sortais rapidement de ce rêve éveillé. Aussi les meilleures choses ont une fin. Minuit vingt, l’heure du couvre-feu municipal approchait même si le groupe en avait encore sous le coude. Tout d’un coup je m’exclamai : « Odette ! Il me faut le disque ! »

– Pourquoi faire ?

– Mais pour l’écouter bien sûr !

– T’as pas de mange-disque !

– Moi non mais je vais souvent chez des gens qui en ont. Si j’utilise leur Terre-Nette je peux bien utiliser leur mange-disque.

– Certes. Mais alors tu me demandes de voler ton groupe fétiche. Ce n’est pas très correct, surtout qu’ils n’ont pas l’air de rouler sur l’or.

– Ce n’est pas comme si j’avais le choix ! Ou alors… J’ai une idée !

– Dis toujours !

– Tu piques un billet dans le portefeuille d’un type qu’est pas sans le sous… ou alors dans la caisse de la buvette. Et tu le laisses en échange du disque.

– Bon… si ça peut te faire plaisir.

 

Voilà la fée partie direct à la buvette. Nous la perdîmes de vue mais elle réapparut dix minutes plus tard en semblant faire rouler deux lunes argentées dans le creux de ses mains, très satisfaite de son petit effet.

– Ils ont deux albums, vois-tu matou ?

– Ah ! Tant mieux. Mais les pochettes ?

– C’est plus léger comme ça ! Tu crois que je peux faire voler indéfiniment des poids sans me fatiguer ?

– Tu ne peux pas ?

– Pas sans recharger mes batteries, si je puis dire… Et puis comme on n’en a pas besoin, j’ai jeté les pochettes dans la Saône !

– Oh !

– Bon d’ailleurs je vais aller mettre les disques dans ta sous-pente.

 

Odette partit tandis que le Macadam Bazar remballait ses instruments. Riton et George s’envolèrent d’un même élan en direction de la Croix Rousse, preuve s’il en faut que ses deux là ont des affaires en commun. De notre félin côté nous n’étions pas tout à fait calmés et, hilares, on chantait à tue-tête la fin de « Ça serait bien – C’est vrai qu’au fond ch’uis qu’un salaud, si j’étais un chat monsieur… si j’étais un chat… j’ boufferais des oiseaux ! » Sur ces entrefaites la fée fait retour, nous entend et pique une colère magnifique :

– Non ! Non ! J’ai dit non ! On ne bouffe pas des oiseaux ! C’est compris ? Toi Passe-passe ! T’en bouffes des oiseaux ?

– Pas trop.

– Non ! Non ! C’est pas pas trop ! C’est jamais ! Jamais on bouffe des oiseaux ! C’est compris ? Toi Aïcha ! T’en bouffes des oiseaux ?

– Non madame, répondit Aïcha de sa petite voix fluette et en baissant la tête.

– Je ne veux pas qu’on bouffe des oiseaux ! Jamais ! Jamais ! Jamais !

– Mais enfin Odette ! Calme-toi ! Tu sais bien que nous on est surtout des glaneurs. Les oiseaux c’est vraiment exceptionnel. Et que des qu’on connaît pas !

– J ’m’en fous ! Je ne veux pas d’exception ! Sinon je vous laisse sur ce toit et c’est la fourrière qui viendra vous récupérer !

– Tu ferais pas ça Odette. Dis Odette ?

– Je vais m ‘gêner !

La voilà qui nous tourne le dos, suspendue dans sa position préférentielle pour bouder.

– Oh ! aller Odette ! Fais pas la tête ! Dis-nous Ounichlibou ? Ounichlibou Odette ? Ounichlibou ?

– Dans ton cul !

– Rôôôôôô… Allez Odette ! Ounichlibou quoi ?

 

Odette a parfois mauvais caractère mais toujours bon fond. Elle sembla oublier l’affaire du chant d’oiseaux quelques minutes plus tard. Puis la France laissa derrière elle sa fête nationale, assez rapidement car les gens rechignent à se coucher tard le dimanche, ce qui nous arrangea bien. A deux heures du matin la voie était sûre, autant dans les immeubles que sur le macadam. Nous redescendîmes de ce toit et nous nous séparâmes dans la rue Emile Zola. En quittant Passe-passe et Aïcha, j’entendis cette dernière murmurer de sa petite voix fluette : « Et des chauves-souris ? On a le droit d’en manger des chauves-souris ? »

 

Retrouvant Odette le jour suivant je voulus savoir si nous avions récompensé les artistes à leur juste valeur :

– Au fait Odette ? Combien as-tu payé les disques ?

– Payé les disques ? Ne m’avais-tu pas dit de les voler ?

– Non, nous avions convenu que tu prendrais des sous dans la caisse de la buvette.

– Ah ! oui ? Et bien justement… une fois arrivée à la buvette je me suis retrouvée à proximité d’un bac de glace à la fraise de chez Nardone. Alors je crois bien que j’ai oublié pourquoi j’étais allée à la buvette. Mais la glace étant délicieuse, vraiment, je n’ai pas fait le déplacement pour rien.

 

Bon vous voyez, nous devons quelques euros au Macadam Bazar mais j’ignore si nous pourrons un jour payer notre dette.

 

Darwin.

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3 octobre 2015

L'Aurore

Chalut.

 

Nous étions donc Odette et moi en route vers l’autre duo de chèvres. La route fut courte bien que ponctuée d’un arrêt casse-croûte dans une poubelle qui n’attendait qu’à être visitée. Nous nous rendîmes dans une propriété plantée d’arbres et sise de l’autre côté de la montée. Les chèvres en question sont plutôt petites, ont la tête assez noire et le corps globalement marron. Elles somnolaient paisiblement et Odette les réveilla en touchant délicatement le bout de leur museau.

– Bonjour Harmonie, bonjour Amalthée.

– Oh ! bonjour Odette. Tu es bien matinale.

– Hé ! bien c’est que je suis accompagnée du chat Darwin et il n’aime pas trop s’aventurer dans des endroits inconnus de plein jour.

Harmonie et Amalthée me contemplèrent quelques instants.

– Ainsi voici ce fameux Darwin.

– C’est bien moi et je suis venu vous voir pour en savoir un peu plus sur les chèvres.

– Combien sont elles ?

– C’est à dire ?

– Les chèvres qui t’intéressent. Vivent-elles en troupeau ?

– C’est possible.

– Sont elles gardées par un berger ou une bergère ?

– Une bergère ! a dit Odette.

– Comment s’appelle-t-elle ?

– L’Aurore !

– Hum… joli. Et où vivent l’Aurore et ses chèvres ?

– Eh ! bien… Dans la montage de Savoie j’imagine.

– Parfait. dit Harmonie. L’Aurore est sœur de Lune et d’Hélios. Fille du titan Hypérion elle fut enfantée d’Euryphaessa. Elle s’éprit de Thiton qui fut changé en cigale. Elle s’éprit également du géant Orion qui était d’une grande beauté et qui fut piqué par un scorpion envoyé par Artémis. Orion et le scorpion furent métamorphosés en constellations mais d’ici il n’est pas très évident de les apercevoir.

– Alors l’Aurore doit souvent les apercevoir puisqu’elle vit dans la montagne de Savoie !

– Certes Darwin, reprit Amalthée, c’est bien là l’un des avantages à vivre à la montagne. Dans quelle montagne de Savoie au juste ?

– Non loin de l’endroit où le géant Gargantua projeta une pierre avec le pied et qu’on appelle la Pierra Menta.

– Ne serait-ce pas plutôt la Pietra Menalda, l’une des pierres du Pinacle ? Un titan l’aurait bien pu envoyer de Lipari en Savoie.

– Oh ! non ! Cette pierre là doit être encore à sa place car la Pierra Menta vient du massif des Aravis.

– Sans doute. Mais dis-moi Darwin, l’Aurore est-elle l’Aurore aux doigts de rose ou bien l’Aurore aux belles boucles ?

– Oh ! très certainement elle est l’Aurore aux doigts de rose car elle n’a pas beaucoup de boucles bien qu’elle ait de beaux cheveux.

– Darwin tu es tombé dans le piège que je t’avais tendu. L’Aurore est à la fois l’Aurore aux belles boucles et l’Aurore aux doigts de rose. Sans doute peut-elle se parer de belles boucles car de beaux cheveux se parent de tout ce qu’ils veulent. Mais sûrement elle préfère mettre en avant ses doigts de rose.

– Oh ! oui ! Surtout qu’elle a des chèvres laitières ! Et n’est-ce pas indispensable d’avoir des doigts de rose pour pratiquer la traite ? Les chèvres laitières du monde entier devraient exiger d’être traites par l’Aurore aux doigts de rose !

– Bien vrai et il faudrait le leur suggérer ! Alors ainsi l’Aurore aux doigts de rose vit dans la montagne de Savoie avec ses chèvres.

– Et son amoureux.

– Certainement. Elle a un amoureux car l’Aurore aux doigts de rose est une grande séductrice.

– Cependant l’Aurore aux doigts de rose ne doit guère s’en laisser compter et s’il lui plaît de rester seule avec ses chèvres, personne ne peut l’en empêcher ! Elle croise parfois le chemin de son frère qui commande à ses chevaux et surveille ses troupeaux de moutons et de vaches.

– Mais si l’Aurore a un troupeau de chèvres et son frère un troupeau de vache et de moutons, intervint Odette… quel genre de troupeau a la lune ? Peut-être un troupeau de hiboux ?

– Je crains qu’ils ne soient guère grégaires.

– Alors de pipistrelles !

– Plus probablement, mais à ma connaissance, ce ne fut pas légendé. Cependant il m’est permis d’affirmer que l’Aurore aux doigts de rose, cette toute divine, trouve la voie d’un bonheur à nul autre pareil. Je le sais car nombreux sont nos aïeux qui foulèrent la montagne de Savoie. N’est-ce pas Harmonie ?

– Certes et je me damnerais pour y finir ma vie ! Et s’il est quelque bosquet dans les champs de l’Aurore, c’est à ses côtés que je voudrais être, cette toute divine. Je ne crois pas devoir beaucoup apprécier les alpages par habitude de l’ombrage. Mais sûrement un chat vivant sur les toits penserait autrement. As-tu une belle vue de là où tu vis ?

– Très belle d’un côté, moins de l’autre à cause du crayon qu’ils ont planté là et qui me bouche un peu la vue sur les Alpes. Et ça ne va pas en s’arrangeant, y a un truc encore plus moche qui s’élève !

– L’Aurore aux doigts de rose, elle, grimpe jusqu’au sommet de sa montagne. Aucun crayon ne gêne sa vue, elle voit loin au nord, au-delà de Lyon à l’ouest, au sud ce n’est que succession de monts et sommets. Ce sont des titans qui ont chacun leur nom, ils ne peuvent plus se mouvoir car ainsi en ont décidé les dieux. Alors ils se tiennent là, serrés comme des sardines. L’Aurore les caresses du bout de ses doigts de rose, cette toute divine est pleine de piété. Les titans la remercient et du souffle de leur bouche naît le vent. Les titans n’ont pas l’élocution des dieux, ils postillonnent. Le vent soulève les cheveux de l’Aurore aux doigts de rose qui s’humidifient dans ce crachin quasi-divin ; ainsi naissent ses belles boucles. Jamais elles ne sont si belles que lorsqu’elle se tourne vers l’Est, comme pour contempler tout le chemin parcouru, car c’est de l’Est qu’elle est venue. Elle a passé par-delà les épaules du plus grand des titans d’Occident, celui qu’on appelle Blanc à cause de sa longue barbe blanche ; il est mont et derrière lui est sise la belle Italie à la langue chantante. Celle de l’Aurore aux belles boucles est d’une grande douceur et elle ne parle jamais en méchanceté. Quand elle est en colère, elle pleure ; elle pleure aussi quand elle est triste, c’est pourquoi sa montagne est assez humide.

– Mais pourquoi est-elle triste ? Je ne veux pas qu’elle soit triste moi !

– Peut-être parce qu’elle a croisé un chat noir. Mais rassure-toi ! Le plus souvent elle ne pleure pas, elle préfère cueillir des marguerites. Elle aime jouer au jeu de « je t’aime » en ôtant un à un les pétales des marguerites de ses doigts de rose. Elle se demande si elle aime les chats noirs un peu, beaucoup, à la folie ou pas du tout… et toujours elle constate qu’elle ne les aiment pas du tout.

– Ce n’est pas très gentil ce que tu me dis là.

– Je plaisantais Darwin. En réalité l’Aurore aux doigts de rose préfère souffler sur les aigrettes des Dent-de-lion. Elle les souffle de son souffle divin et ce blanc coton s’envole jusqu’à Lune, cette toute divine, cette sœur. Lune le renvoie de son souffle divin et cristallin, il retombe sur nous en froids flocons.

– Aime-t-elle les autres fleurs ?

– Mais oui ! Bien sûr ! L’Aurore aux doigts de roses adore les fleurs ! Tout d’abord elle adore les roses, cela se conçoit. Et elle connaît leur langage.

– Comme le petit prince ?

– Parfaitement. Mais l’Aurore aux doigts de rose connaît le langage de bien d’autres fleurs.

– Et que lui disent-elles ?

– Hé ! bien les fleurs souvent sont craintives car presque sans défense. Elles tentent de plaider leur cause afin de ne pas être cueillies.

– Ni mangées si l’Aurore emmène paître son troupeau.

– Ah ! mais si une chèvre vient à manger une fleur c’est sûrement qu’elle l’a mérité ! Certaines fleurs sont un peu sèches dans leurs propos… mais l’Aurore aux doigts de rose ne s’en formalise pas. L’une lui dit : « Ne t’assieds pas sur moi ! » Alors l’Aurore s’assied ailleurs.

– Quelle fleur lui dit cela ?

– Le Tabouret à feuilles rondes bien sûr ; et quand l’Androsace lui dit : « Ne me mets pas dans ta besace ! » Elle y met des cailloux à la place. Alors vois-tu Darwin ?… toutes les fleurs n’étant pas de très bonne compagnie, l’Aurore aux doigts de rose préfère celle des fleurs qui lui ressemblent.

– Il y a des fleurs aux belles boucles ?

– Hé ! bien il y a un Rhododendron hirsute et une Campanule barbue, mais leur poil n’est-il pas trop court pour boucler ?

– Trouvons une fleur chevelue alors !

– Mauvaise Raiponce car à ma connaissance, elle ne pousse pas dans la montagne de Savoie. Mais à n’en point douter, sa fleur préférée, hormis la rose, est sûrement la Spirée sylvestre qui porte barbe de bouc en épithète.

– N’est-ce pas plutôt l’Edelweiss ?

– Non car elle lui préfère la Biscutelle à lunettes. Et comme toutes les bergères et chevrières, elle aime aussi beaucoup l’Aconit étrangle-loup mais pas du tout la Polygale des Alpes.

– C’est compréhensible.

– Mais sais-tu que de ses doigts de roses l’Aurore cueille le fruit du Raisin d’ours ?

– Il est comestible ?

– Elle ne le mange pas.

– Pourquoi le cueille-t-elle alors ?

– Mais au cas où elle croiserait un ours en redescendant de la montagne bien sûr.

– En croise-t-elle souvent ?

– Non car ils ont disparu depuis longtemps de la montagne de Savoie.

– Et que fait-elle une fois redescendue de la montagne ? Elle trait ses chèvres ?

– Elle le voudrait bien mais elle ne peut pas atteindre sa maison parce que son frère a empilé tous ses moutons dans le fond de la vallée. Il en a tellement que cela dépasse le toit de sa maison, on dirait une mer toute blanche qui renvoie l’éclat de son visage. C’est très beau mais très gênant. Alors l’Aurore aux doigts de rose supplie son frère : « Oh ! C’est assez comme ça mon frère ! Va-t-en ranger tes moutons ailleurs ! » Tout d’abord Hélios en rit. Alors elle pleure, et lui, commandant à ses chevaux, il s’en va ranger ses moutons de l’autre côté de la terre, mais il y en a toujours qui lui échappent et s’en vont boire au ruisseau des larmes de l’Aurore aux doigts de rose. Alors ils se sentent légers, légers, et ils s’envolent dans le ciel.

– Et l’Aurore dans tout cela, peut-elle enfin traire ses chèvres ?

– Oui mais pas avant d’être allée voir les arbres près de sa maison. D’abord elle s’en va voir le tilleul au goût de miel…

– N’est-ce pas plutôt le miel qui a le goût du tilleul ?

– Possiblement. Donc elle s’en va voir le miel au goût de tilleul… non… voilà que tu m’as fait perdre le fil de mon récit… Bon ! Elle s’en va voir le tilleul qui donne son goût au miel et lui dit : « Tilleul ! J’aimerais abaisser tes basses branches et en donner les feuilles à manger à mes chèvres ? Y consens-tu ? » Ce à quoi le tilleul répond : « Si tu fais cela elles mangeront mes fleurs et tu n’auras pas de tisane cet hiver. » « C’est juste ! » répond l’Aurore aux doigts de rose avant de s’en aller voir le bouleau pour lui dire : « Bouleau ! J’aimerais abaisser tes basses branches et en donner les feuilles à manger à mes chèvres ? Y consens-tu ? » Ce à quoi le bouleau répond : « Je n’ai pas de basses branches ! » « C’est juste. » répond l’Aurore aux doigts de rose avant de s’en aller voir l’Erable pour lui dire : « Erable ! J’aimerais abaisser tes basses branches et en donner les feuilles à manger à mes chèvres ? Y consens-tu ? » Ce à quoi l’Erable ne répond rien. « Il doit dormir, nous reviendrons lui poser la question demain. » dit l’Aurore aux doigts de rose avant de s’en aller voir l’Orme pour lui dire : « Orme ! J’aimerais abaisser tes basses branches et en donner les feuilles à manger à mes chèvres ? Y consens-tu ? » Ce à quoi l’Orme répond : « Je ne suis pas un Orme, je suis un Tilleul ! » « Oh ! le pauvre !… » dit l’Aurore aux doigts de rose à ses chèvres « …il se prend pour un tilleul. Ne l’accablons pas plus qu’il ne l’est et allons voir s’il reste quelques feuilles aux basses branches du frêne. »

 

– Et maintenant l’Aurore peut enfin les traire !

– Parfaitement, et je ne m’étendrai pas sur le sujet. Mais puisque tu es si pressé de les voir traites, sache que le chat n’a pas le droit de goûter au lait de chèvre.

– Pourquoi ?

– Parce que ce serait comme donner de la confiture aux cochons.

– Ce n’est pas juste !

– C’est ainsi. Maintenant la journée de l’Aurore aux doigts de rose s’achève et ses cheveux ont perdu leurs belles boucles, elle s’en va s’asseoir dans le champ qui jouxte sa maison et elle contemple la vallée en souriant. Son chien vient à ses côtés et pose sa tête sur ses genoux. Elle lui caresse tendrement la tête de ses doigts de rose.

– A son chien ? Tu veux dire son chat, n’est-ce pas ?

– Oh ! non Darwin ! Sans aucun doute c’est de son chien dont il s’agit. Et puis ses chèvres viennent aussi à ses côtés. Elles lui mordillent les cheveux pour leur redonner leurs belles boucles. Ainsi la boucle est bouclée et l’Aurore aux doigts de rose s’endort dans son berceau de brume. Ainsi comme dans les épopées, une nouvelle journée pourra commencer quand l’Aurore aux doigts de rose se sera levée de son berceau de brume.

 

Ainsi fut ma première entrevue avec les chèvres marron.

 

Darwin.

3 octobre 2015

Matière agricole.

Chalut.

 

Ayant quitté Grumpy je suivis Odette, mon guide. George vola à ses occupations. Nous allâmes jusqu’au cimetière de Loyasse sans pour autant y pénétrer, puis nous descendîmes les escaliers de la montée de la Sarra. C’est dans une propriété séparée de ces escaliers par un haut mur que nous trouvâmes les chèvres quelques moments avant l’aurore. Deux chèvres blanches parquées dans un petit enclos sis lui-même dans quelques centaines de mètres carrés parsemés d’arbres et visiblement déjà bien soumis aux dents voraces de ces jardiniers particuliers. Elles virent arriver Odette avec satisfaction et s’empressèrent de solliciter ses services :

– Ah ! Odette ! Te voilà ! Ouvre-nous vite, il va bientôt faire jour !

Odette ouvrit rapidement l’enclos avec la dextérité d’une habituée des lieux. Puis elle ouvrit la porte du parc et les chèvres se précipitèrent dans un petit bois étalant sa verdure un peu plus haut. Voilà les caprins très occupés à se remplir la panse et ne prêtant guère attention à moi, certes peu visible dans la pénombre. Mais quand Odette vint à mes côtés l’une des chèvres s’intéressa enfin à savoir qui j’étais :

– Qui est ce chat à tes côtés Odette ?

– C’est Darwin Le Chat De Gouttière. Je vous ai déjà parlé de lui.

– Ah ! Peut-être bien !… Et que fait-il là ?

– Il est venu pour vous voir ?

– Ah ! bon ? Et que nous vaut l’honneur de cette visite ?

– Eh bien il se trouve que j’aimerai en savoir plus sur la vie des chèvres.

– Ça se comprend.

– Ce afin d’enrichir ma connaissance.

– Ah ! Mais rends-toi compte que globalement les chèvres n’ont pas grand chose à voir avec nous. Nous sommes des chèvres paysagistes et accompagnatrices vois-tu ? Et que font les chèvres en général ?

– Du lait.

– Bonne réponse ! Elles sont du type fromager, section du domaine plus général qu’est l’agriculture. C’est ton jour de chance !

– Pourquoi ?

– Parce que nous sommes de grandes connaisseuses de l’agriculture grâce aux livres que nous a donnés Odette.

– Odette vous a donné des livres ?

– Odette nous a donné des livres.

– Odette ! Tu leur as donné des livres ?

– Ben oui.

– Comment as-tu fait pour porter des livres ?

– Je ne les ai pas portés.

– Comment les as-tu amenés alors ?

– Je les ai fait voler, pardi !

– Tu peux faire voler des livres ?

– Evidemment !

– Pourquoi ne m’as-tu pas dit que tu savais faire voler des livres ?

– Parce que tu ne m’as pas demandé si je savais faire voler des livres.

– Comment pouvais-je savoir que tu sais faire voler des livres ?

– J’ouvre bien des portes… c’est basé sur le même principe.

– Hum ! Pas faux. Et donc tu leur as donné des livres d’agriculture ?

– J’en sais rien, je ne les ai pas lus moi-même.

– Mais parfaitement. Nous connaissons beaucoup de choses sur l’agriculture. N’est-ce pas ma très chèvre amie ?

– Parfaitement très chèvre amie.

– Hé ! bien vous seriez fort aimables de partager un peu votre savoir avec moi.

– Rien de plus simple, nous avons dévoré tous ces livres avec délectation. Autant dire que nous les connaissons par cœur.

Je cite le premier d’entre eux : « Placez sur les hauteurs des gens avec des fourches pendant la moisson. Lorsque la pluie emmènera tous ses remèdes placez deux olives de Campanie au fond d’un trou avec des balais. Jetez-y quatre livres de gramens et de mauvaises herbes. Il faut écarter les rigoles d’un demi-travers de doigt quelque part avec vos pieds. Procédez de même avec le chou et les cyprès, arrosez doucement avec les voies urinaires au point que la terre s’infiltre dans l’eau. Il faut arroser chaque fois que le besoin s’en fait sentir, cela relâche le ventre si vous avez l’épigastre embarrassé. Pendant l’hiver ou l’automne il faut se débarrasser des moutons, ficelez-les au milieu des futailles et laissez sur le feu. Quand il pleuvra sur la ferme, fermez votre cuve à vin, boire largement de l’eau dans une coupe en terre de la contenance d’un culleus. Débarrassez-vous du repas qui s’oppose à son écoulement. Faire une élévation des champs. Vous aplanirez la surface avec une planche afin d’avoir des terres arables pendant l’hiver. Vous retournerez le sol, vous incorporerez l’engrais avec un bâton. On sème au printemps. Passer par le crible la semaille. Distribuer sur le terrain des plantes adventices, un grain de lentille, du cumin, les blés et les choux. Il faut détourner l’appétit de l’acheteur de chèvre, surtout à l’entrée de tous les bâtiments. Manière commode : percez la terre d’un trou avec le bident ou des sarcloirs, disposez un paillis ou des ramilles sèches prises sur un orme. Vous ménagerez un sentier. Mettez ensuite les acheteurs dans une marmite pleine d’eau et d’une espèce de chou et fermée par un robinet. Dès que les acheteurs commencent à germer, retirez-les, pilez-les et faire macérer dans du vinaigre pendant les trente jours qui suivent. Remplissez le pressoir et exprimez-en le suc. Il se digère à merveille, et c’est dans tous les cas une nourriture saine. Vous recouvrirez le gros sel d’une bonne couche de fumier. Manière de mesurer les mains à la méthode de Manlius et Memius… » Tiens c’est joliment dit cela, n’est-ce pas ce que l’on nomme une amplification ma très chèvre amie ?

– Non ma chèvre ! C’est tout au plus une allitération, mais faiblarde au demeurant.

– Faiblarde ? Taratata ! Si tu t’avances sur ce versant verbeux terreux aussitôt je t’arrête, espèce d’étiquetée entêtée tarée!

– Oh ! oh ! oh ! Garde ton calme ! Chèvre, qui de chaque mouche se pique ! Chèvre, nul chic à monter sur tes grands chevaux ! Chèvre, ou bien carne munie de l’esprit d’un chevreau !

– Tu crois avoir fait une allitération là ?

– Pas du tout ! C’est une anaphore.

– Bizarre, je ne ressens aucunement l’envie d’en découdre.

– C’est de l’ironie ? Moi je n’ai rien contre.

– Alors ta vie sera brève ma chèvre ! Voudrais-tu savoir ce qu’il se passera ?

– Je suis tout ouïe !

– Je me recule de cinq pas, feins le désintérêt, concentre ma raison, réserve mes vertèbres, mobilise ma devise. Puis d’un coup, d’un geste, je jaillis, je bondis, je touche, mouche. Ma très chèvre amie aura vécu !

– J’aimerais bien voir cela en pratique.

– Vraiment ?

– J’en meurs d’envie !

 

Croyez-moi si vous voulez mais elle a sauté les premières étapes de sa figure de style et lui est rentré dans le lard de la manière la plus directe possible. A cet instant commença un vilain combat tête contre tête dont nous ne vîmes pas la fin tant il semblait parti pour durer. Je m’en désintéressai rapidement pour repenser à ce livre d’agriculture.

– Dis-moi Odette. L’agriculture à l’air d’être quelque chose d’un peu compliqué. Il me semble que le passage récité était un poil obscur.

– Hé ! bien c’est sans doute parce qu’il n’est tout à fait dans le bon ordre. Quand je leur amène un livre ces deux là se précipitent dessus et chaque fois que l’une veut manger une page, l’autre veut la même. Elles finissent par la déchiqueter, ce qui naturellement les conduit à avaler des pages incomplètes.

– Tu veux dire qu’elles dévorent littéralement les livres ?

– Mais bien sûr ! C’est ainsi que les chèvres apprennent. Mais le problème c’est qu’elles doivent analyser les passages lors de la rumination. Cela laisse beaucoup de place à l’imagination.

– Oh ! mais alors il faudrait que je lise moi-même ce livre. Te rappelles-tu duquel il s’agit ?

– Pas vraiment. Sûrement l’un de ces vieux livres d’auteurs grecs ou romains que je prends dans la grande bibliothèque.

– Tu donnes de vieux livres à manger aux chèvres ?

– Elles disent que le papier est plus digeste.

– Oh !… Ma foi…

– A mon avis tu n’apprendras pas grand chose de ces chèvres là mais celles d’à côté sont plus sages et plus douées pour la littérature.

– Il y a d’autres chèvres à-côté ?

– Oui, deux autres.

 

Ainsi nous laissâmes les deux chèvres blanches à leur combat épique pour aller voir les chèvres d’à-côté. La rencontre fut plus digne d’intérêt et je vous la conterai bientôt.

 

Darwin.

3 octobre 2015

Darwin vs Grumpy

Chalut.

 

Nous étions en juin et j’étais sur mon toit, non pas à roupiller mais à me baigner d’un chaud soleil retombant doucement entre la basilique et la tour Eiffel lyonnaise. Les hirondelles multipliaient les acrobaties dans les airs en se lançant des défis insensés tandis que les pigeons bavassaient dans leur sous-pente. Soudain je crus apercevoir une silhouette connue venant vers moi en provenance de la Saône. Je me dressais sur mes pattes : « Bon sang mais c’est… George ! » Oui ! Il revenait ! Je le fêtais comme jamais je n’aurais pensé fêter un oiseau : « Oh George ! George ! Te revoilà enfin ! » Il se posa à mes côtés.

– Hello Darwin ! How are you ?

– Bien ! Oui bien ! Et heureux de te revoir !

– As-tu reçu ma carte postale ?

– Oui merci ! Merci George !

– Et quoi de neuf ici ?

– J’ai rencontré quelques chats. Mais toi ? En as-tu croisé ?

– Des dizaines Darwin. Maintenant que je te connais je fréquente un peu plus les toits et un peu moins les bords des fleuves. Je leur ai beaucoup parlé de toi et ils aimeraient bien lire tes aventures un jour. Il faudrait que tu tiennes un blog.

– Oh oui c’est vrai ! Deviendrai-je célèbre ? Peut-être bien.

– Peut-être. En passant par Paris j’ai remarqué tu étais un peu l’archétype d’un De Gouttière parisien, du moins dans sa représentation artistique.

– En plus beau et plus costaud sans doute.

– Pour dire vrai, il y a plus de variété chez les De Gouttière que l’imagerie ne le laisse voir et la plupart des chats flânant sur les toits ne sont pas des De Gouttière mais d’heureux jouisseurs d’appartements bien situés.

– Comme partout George. Tout cela traduit sans doute l’évolution de la société car lorsque les derniers étages étaient dévolus à de misérables chambres de bonnes, la population féline des hauteurs était plus indépendante. Mais dis-moi George ! Ce soir le temps est clément et j’ai un service à te demander. Je voudrais bien retourner du côté de Fourvière car, d’après ce que m’a dit Odette, j’ai la possibilité d’y rencontrer des chèvres. Saurais-tu avec elle assurer une surveillance aérienne de mon chemin ?

– No problem ! Où est Odette ?

– Oh ! elle va venir ! Elle t’aura sûrement vu survoler la Saône si elle est chez Andrea.

 

Comme je le pensais Odette nous retrouva un peu plus tard dans la soirée. J’allai m’avitailler un peu chez un bon pourvoyeur pour ne pas partir le ventre trop léger , puis George nous fit le récit de son voyage et de ses activités pour le compte de la Gull Internationale. Vers trois heures, comme nous étions en début de semaine, la ville était déjà assez calme. Nous nous mîmes en route et je n’avais pas trop d’appréhension. J’allais devenir un De Gouttière De La Presqu’île aillant franchi trois fois la Saône dans les deux sens ! Bon c’est vrai que Passe-passe l’a déjà fait des centaines de fois mais il est un cas très particulier. Alors après avoir profité quelques instants du jardin du Rosaire, je proposai à mes camarades d’aller réveiller Grumpy pour le titiller un peu. Je crois qu’il nous a sentis venir de loin car il s’est caché en croyant nous surprendre. Malheureusement pour lui, Odette le débusqua facilement :

– Sors de derrière ce buisson cabot !

De prime abord je suis plus cordial qu’Odette, il me semble. Je ne voulais pas l’énerver d’emblée mais démarrer une discussion sur un ton presque normal tout en me maintenant sur le mur d’enceinte, hors de sa portée :

– Bonjour Grumpy ! Je suis bien content de te revoir.

– Je ne te renvoie pas le compliment !

– Ce serait pourtant fort sympathique de ta part.

– Pourquoi devrais-je être sympathique ?

– Bon après tout… Allez demander cela à un chien ! Pas étonnant que les humains vous méprisent autant !

– Les humains ne nous méprisent pas du tout ! Bien au contraire !

– Oh ! que si ! D’ailleurs leurs éléments de langage ne laissent de le souligner. Ne dit-on pas : « Un temps de chien. » pour désigner un temps pourri ?

– C’est idiot ce que tu dis ! Un temps de chien est un temps qui convient aux chiens mais pas aux humains simplement parce que les chiens sont des êtres très vaillants capables d’affronter les éléments mieux que les humains.

– Hum… Mais mener une vie de chien n’est-ce pas mener une vie dont personne ne veut ?

– Chacun ses goûts !

– Quand c’est bon à donner au chien c’est sûrement dégueulasse.

– Vu ce que vous bouffez tu pourrais allègrement remplacer chien par chat.

– Etre chien !

– A quoi je te réponds : « Avoir du chien ! »

– Ne pas jeter sa part au chien !

– Qui m’aime aime mon chien !

– Arriver comme un chien dans un jeu de quille !

– Bon chien chasse de race ! Allez du vent ! J’ai d’autres chats à fouetter ! Ah ! ah !

– Se regarder en chiens de faïence !

– Du vent j’ai dit ! Sinon je te rends la monnaie de ta pièce ! Je paye en chats et en rats ! Ah ! ah !

– Aucun problème, moi j’achète chat en poche !

– Certes,… puis tu te rends compte que c’est du pipi de chat !

– Appelons un chat un chat ! N’admettras-tu pas que le péjoratif penche côté chien ?

– Oh ! oh ! Pour être honnête je crois qu’il y a match mais pour te voir débarrasser le plancher je veux bien te donner raison.

– Ah ! Parfait ! A la prochaine alors !

– Ouais c’est ça !

Je m’éloignai tranquillement en marchant sur le mur, pas tout à fait convaincu de ma victoire. J’entendis Odette souffler à George : « Ces deux là s’entendront toujours comme chat et chien ! » Je m’apprêtais à sauter du mur pour rejoindre le chemin menant à la passerelle des quatre vents quand Grumpy m’interpella :

– Hé Darwin ! Le meilleur ami de l’homme te salue ! Hé oui mon vieux ! Bon allez ! Vas t’en avec ta mine de chat fâché ! Oh ! oh ! oh ! oh !

 

J’espère pour vous que si vous avez un chien il est moins pénible que ce Grumpy là ! Il ne m’a pas mis dans les meilleures dispositions pour allez voir les chèvres mais ça je vous le conterai dans mon prochain courrier.

 

Darwin.

3 octobre 2015

Avanti Roploplos !

Chalut.

 

Parfois George s’en va longuement pour son travail et à chaque fois nous lui demandons de nous envoyer une carte postale qu’il adresse à un habitant du bloc qu’on appelle Petit Bonhomme et qui se trouve être le biographe d’Andrea, la fille de qui Odette est la fée attitrée, ce qui explique sans doute pourquoi elle traînait souvent dans le quartier avant de se manifester à moi. On se connaît aussi un peu lui et moi parce que j’ai passé pas mal de temps à l’observer par sa fenêtre à distance raisonnable. Il se trouve qu’un jour je l’ai croisé dans l’escalier. Il était minuit et je descendais dans l’idée de rejoindre Burbulle et P’tit Gris sur le très très gros bloc. Là je tombe nez à nez avec lui. Je rase le mur, passe à ses côtés tandis qu’il me regarde l’air incrédule. J’accélère le pas mais lui m’interpelle : « Hé ! Monsieur Darwin Félix ! Je sors tout juste du cinéma ! Je viens de voir Gasby le Magnifique. Tu sais quoi ? C’est l’histoire d’un type qui a attendu cinq ans l’amour de sa vie et qui en fait tout un plat ! Ah ! ah ! Cinq ans… Petit joueur !… Passons ! J’ai deux mots à te dire Félix ! Toi et la fée arrêtez de mettre le bordel dans ma boite aux lettres !… Sa boite aux lettres, nous étions bien obligés de la fouiller pour intercepter la carte postale de George !

 

J’ignore si la voix de mes zéro lectrices humaines à quelque ressemblance avec celle d’Odette mais si c’est le cas, cela doit être assez pince-oreille pour leurs amoureux. Je ne dirais pas qu’elle chante mal, mais certainement elle chante trop. Quoique son sens de l’improvisation soit louable, son sens de la parodie tourne un peu à l’obsession. Remarquez qu’étant moi-même rarement au fait des versions originales, je ne peux pas toujours juger de sa réussite artistique. Mais alors quand elle est lancée… Elle venait de se réconcilier avec Boobi, du moins je le crois, et revint vers moi avec une idée en tête :

– Tout cela m’a bien chauffé la voix. Tu veux que je te chante une chanson ?

– Ça dépend.

– De quoi ?

– Du style de la chanson.

– Tu connais les Bérurier Noir ?

– Non. Mais je connais bien le dernier album de Rihanna parce qu’il y a une jeune fille sous ma sous-pente qui l’écoute souvent.

– C’est nul ! Mieux vaut que je te chante les Bérus… Disons plutôt ma version de l’Empereur Tomato-Ketchup.

– Qui est-il ?

– On s’en fout ! Ma version s’appelle « Avanti Roploplos ! » et c’est une chanson féministe ! T’as quelque chose contre les féministes ?

– Pas vraiment.

– Tant mieux parce que nous les matous machos on les envoie se faire foutre au Machu Picchu.

– Ah ! oui, le Machu Picchu que l’Empereur Pachacutec fit…

– Silence le chat ! Ni Ketchup ni Pachacutec ! Rois Roploplos ! Attention j’y vais !… Un, deux.

 

Avis à la Population !

Au pays des erreurs du macho « Kès T’as ? »

Les filles sont reines et voici leur règne

Tournicoti, tournicoton…

C’est l’année zéro de la rébellion

L’heure de la révolte a enfin sonné…

L’action féminine est partout enclenchée

Palampalam… Pam Palam Pam Palampalam

Pam Palam Pam Palampalam

Pa palam Pam Pam

 

Les travaux forcés pour les prédicateurs

Qui ont des avis de braquemards en fleur

Dans la capitale une action générale

On est en mission contre tous ces crotales

Un jour les machos qui se croyaient si beaux

S ‘ront ceux qui racolent dans le caniveau

Partout dans les villes, les nanas poursuivent

Les garçons qui bourrent comme des lapins débiles !

 

Palampalam… Pam Palam Pam Palampalam

Pam Palam Pam Palampalam

Pa palam Pam Pam

La chorale des Mômes

 

Et tous ces cochons n ‘pourront plus disposer

De plusieurs femmes pour se faire aimer

Mais toutes les filles pourront se marier

A qui leur plaira et pourront même divorcer

Les garçons violeurs seront pendus par les couilles !

Les zizis-flingueurs seront réduits en nouille !

Aux grands cavaleurs la bite en vadrouille !

Le drapeau en berne devant la patrouille !

 

Palampalam… Pam Palam Pam Palampalam

Pam Palam Pam Palampalam

Pa palam Pam Pam

Les chœurs de la Sagesse des Belles

 

Alors les garçons il faut bien vous tenir

La colère des filles est vraiment terrible

Alors les garçons, il faudra être sages

Si vous voulez pas vous r ‘trouver en cage

Mais combien y a-t-il de filles ligotées ?

Le scotch sur la bouche et les mains liées ?

Mais combien y a-t-il de filles enfermées ?

Et dans les placards, elles crient dans le noir !

 

Palampalam… Pam Palam Pam Palampalam

Pam Palam Pam Palampalam

Pa palam Pam Pam

Les chœurs des Nanas-Soldats

 

Les filles sont armées et sont bien décidées

A zigouiller tous ces glands patentés

A couper l ‘zizi du satyre du lycée

A faire ce qu’elles veulent d ‘leur sexualité

Et à se faire ouvrir toutes les portes du plaisir

Des tas de chatouilles, des cures de désir

En courant toutes nues dans toutes les rues

Drapeau Rose au vent en criant « En avant »

 

Palampalam… Pam Palam Pam Palampalam

Pam Palam Pam Palampalam

Pa palam Pam Pam

La chorale des filles en mission

 

Viva la Révolucion !

Avanti Roploplos !

Hasta la Vittoria !

Las chicas unidas jamas serán vencidas !

Hay, viva las nanas !

Hay viva mes nibards !

Haribo gros lolos, hasta la Vittoria !

Géniale Marie Brizard, quando se bebe aqui ?

Como sé pastis aussi ?

Olé ! Olé ! Olé !

 

Imaginez bien qu’elle ne s’est pas contentée de chanter, elle a beaucoup virevolté aussi sans jamais perdre le contrôle de sa voix, avantage des fées sans doute. Alors vous serez tout de même d’accord pour dire que cette fée là est un peu trop paillarde et je m’excuse pour elle si elle vous choque.

– Ça t’as plu ?

– Un peu.

– Comment ça un peu ? Dis-moi oui ou dis-moi merde ! Hypocrite !

– C’est, comment dire ? Energique !

– Hum… Forcément, tu peux pas comprendre toi ! T’es un garçon ! Je l’ai chantée aux chèvres l’autre jour et je peux te dire qu’elles ont trouvé ça génial !

– Aux chèvres ? Quelles chèvres ?

– Ben les chèvres ! Celles qui vivent pas loin de chez Andrea.

– Il y a des chèvres pas loin de chez Andrea ? Mais pourquoi ne me l’as-tu pas dit ?

– Pourquoi ne m’as-tu pas demandé s’il y avait des chèvres pas loin de chez Andrea ?

– Mais parce que j’ignorais qu’il y avait des chèvres pas loin de chez Andrea !

– Et pis ça fait quoi d’abord ?

– Mais Odette ! Voyons ! En tant que citadin tu comprends bien qu’il me paraisse très intéressant de rencontrer des chèvres !

– Si tu le dis.

– Il faut que j’aille les voir ! Allons les voir dis ?

– Si tu veux… Mais crois-tu pouvoir traverser la Saône sans George ?

– Ah ! oui c’est vrai… George n’est pas là.

– D’autant plus que la Saône est encore très haute en ce moment et… TERRIFIANTE pour les peureux dans ton genre !

– Je ne suis pas peureux ! C’est juste que les fleuves… Si on me noyait !

– Pourquoi on te noierait ?

– On noie les chats Odette ! C’est connu !

– Pas les chats adultes !

– T’es sûre ?

– Evidemment ! Pourquoi noyer les chats quand on peut les manger ?

– ….

– Je blague matou. Vous vous en sortez pas mal, crois-moi !

– Bon… De toute façon George ne devrait pas tarder maintenant.

– Je pense aussi.

– Alors attendons.

– Oui voilà… Tu permets que j’aille m’occuper en attendant ? A moins que je tu veuilles une autre chanson ?

– Oui. Enfin non ! Je veux dire… Occupe-toi si tu veux.

 

La prochaine fois je vous raconterai cette aventure qui me conduisit vers les chèvres.

 

Darwin.

3 octobre 2015

Odette clashe Boobi le chat chatteur de chip-chop

Aventure n°13 / Odette clashe Boobi le chat chatteur de chip-chop.
Chalut.
Cha va ? Moi oui, bien, merci. Dans cette aventure je vais vous raconter ma rencontre avec Boobi. J’étais avec Odette et l’on bavardait de tout et de rien quand soudain vint un jeune chat bizarrement arrangé. Il était noir avec un peu de blanc aux pattes et sur les oreilles, jusque-là rien d’anormal. Sauf qu’il avait aussi des tâches de peintures blanches et rouges sur le dos, arrivées là de manière accidentelle pensais-je avant de connaître le gus. De plus il avait un collier fait d’une chaîne métallique dont les deux bouts étaient reliés par un petit cadenas et à laquelle pendouillait une montre imitation or aux aiguilles cassées. Il marchait au sommet du toit en se dandinant exagérément de gauche à droite. A un moment il s’est arrêté, a pissé de manière ostentatoire puis s’est remis en route pour s’arrêter deux mètres plus loin. Là il s’est couché sur le dos et, tout en se maintenant en équilibre, a fait un tour sur lui-même en jetant deux fois ses pattes vers le ciel. Il s’est relevé et est venu tout près de la cheminée toujours en se dandinant. Je pus constater qu’il avait le poil très rêche et qu’il ne sentait pas la rose mais un mélange de déodorant pour homme et d’eaux usées. Il s’est présenté :

– Chalut ! J ‘m’appelle Boobi.
– Chalut ! D’où t’arrives ?
– D’en bas. Là où j ‘vis quoi !
– Des caves ?
– Des caves et d’ailleurs. Rues, parkings, métro ; égouts surtout.
– Ah ! Alors à part pisser sur mon toit, qu’est-ce qui t’amène Boobi ?
– C’est toi Darwin ?
– Présentement. Et elle c’est la fée Odette.
– Ouais chalut ! Alors c’est ça une fée ? Je voyais pas ça comme cha ?
– Hé matou ! Tourne sept fois ta langue dans ta bouche avant de dire une connerie ça vaudra mieux. J ‘suis pas d’humeur !
– Bon Boobi. T’as pas répondu à ma question. Qu’est-ce qui t’amène ?
– Paraît que t’as un blog de chat.
– Ça se pourrait.
– Alors je me suis dit que tu pourrais parler de moi.
– Ah ! Et en quel honneur ?
– Ben… Chuis un artiste. Chuis chatteur, j ‘fais du chip-chop quoi !
– Ah ! du chip-chop ! Je vois, je vois, je vois…
– Moi je vois pas. Je connais le hip-hop mais le chip-chop…
– Ben c’est pareil mais pour les chats quoi !
– Et t’es doué ?
– Ben ouais quoi ! Ben le meilleur au moins ! Vous voulez que je vous chante un truc ?
– Non !
– Mais si Odette ! Hein ? Ce jeune chat est monté jusqu’ici… Ecoutons-le voyons !
– Ben ouais, cool quoi ! Alors j’y vais quoi !… One ! Two !
Chuis chat noir à toute heure, tu sais j ‘porte pas bonheur
Dis-toi bien qu’ j’ai pas peur, est-ce que j’ai l’air d’un chien en laisse ?
Dessous j ‘fais mon beurre, dessous j fais mon beurre
Beurre, passion du beurre, j’ mets ma tête dans ta plaquette
Passe-moi du lait, casse-moi pas les couilles !
J’ kiffe la langue de bœuf tu me connais, y a pas d’ dégoût
Catman dans ces putains d’égouts, pas ceux d’ Paname
Fuck les félins d’ Paris, 69 gravé sur la dalle
Drague, luttes et vigueur, fuck le félin siffleur
Ramolli comme un fruit confit, moi j’ai niqué sa sœur
La Rue j ‘la connais par cœur
C’est crache ou crève, retiens ta chienne et ferme ta gueule
Mister Retriever, ici personne n’a peur des loups loosers
Un gato + dos gatos : deux chats en trop à mon compteur
Yoda m’a dit « Tu m’as fait peur »
Comme depuis j ‘suis devenu chatteur
Chat d’ici ou d’ailleurs, le bitume a l ‘goût d ‘ma sueur

On mord jeunes, on se mord les lèvres
Trop la dalle, les ascaris
Longs comme des spaghettis
Plus jamais on perd ses vers
J ‘tiens ces putes en laisse
J’reviens d ‘loin, j ‘vis sous terre
L’égout tout ce qu’il me reste
Je vis dans l’égout tout ce qu’il me reste

Couplet d ‘gato, la fée peut pas piger !
Bréék ! bréék
Chop ! Chop ! Yo ! Chip ! Chop !
Cy chicha crrr cy chaco chet
Frrruuu fruu cy frrrrii cha
Fruck a crri frou ffrrr frrrr
Aaaahh chachachachachacha Aaaahh
Aahmi Aahmi Aahmimimiouaouaouuuu !
Aaaahh cha ! Aaaahh cha ! Aaaahh chachachachachacha !
Frrrr frrr frrr !
Bréék bréék
Chop ! Chop ! Yo ! Chip ! Chop !
Chip ! Chop ! Yo ! Yo !

– J’ai très bien pigé ducon ! Si jeune et si mal poli !
– Elle parle le chat ? Tu pouvais pas m’ le dire ?
– Elle bluffe.
– Pas du tout ! Entre autres choses aimables il a dit que les fées étaient toutes des putes.
– Ah ! Bon c’est vrai que t’as l’insulte un peu facile tout de même ! Mais tu chantes pas mal.
– Ne t ‘fais pas d’illusion Bibou ! Darwin est un rien hypocrite ! Je peux te clasher ?
– Me clasher ? Moi ? Tu peux pas test la fée !
– Bien ! Alors toi ! Clashe-moi !
– Ok ! T’as un mouchoir ?
– J’ai tout ce qu’il faut ! T’inquiète !
– Yo ! Chip ! Chop ! Yo ! Yo !
Hé ! La fée ! Ton prénom c’est Odette ?
Aussi moche que ta tête !
Je vais t ‘mettre les ailes en miettes !
Après j ‘vais te faire ta fête !
Chuis chatteur de compète !
Faut qu’ t’arrêtes de t ‘la pète !
Tu crois qu ‘tu peux d t’ permettre ?
De défier un esthète,
Dans l’art de la conquête.
Ta défaite s ’ra complète
Délestée d ’tes pépettes
T’auras plus qu’à t ‘faire mettre
Pour rembourser tes dettes !
– Hum… Intéressant. Monorime ? Voyons voir… Alors Bibou…
– Boobi !
– Boobi… Ah ! Boobi Boobi ! Bi bop, bi bap boup…
Six phrasés sous l’caillou, ça veut donner des coups ?
Tout doux, mon minou, laisse-moi tourner l’écrou
Maigre comme un clou, le chien Milou, aurait niqué ton crew
Tu rappes, en voyou, faudrait s ‘mettre à genoux ?
T’es pas fou ? Tes miaou, ça fait gueuler les loups
Boobi ou Bibou, on n’entend que des Bouhhhhh !
Car ton art, entre nous, me déroute à l’écoute
Des relents, dans la toux, du trente-sixième dessous
Ton talent, fut soufflé, par un coup de grisou
Sans bagout, chat-minou, t’as trop bouffé du mou
Après tout, on s’en fout, tu dégages, allez zou !
Le matou et ses poux, s’en retournent à l’égout.

– Akkrrr Akkrrr frrrr frrrr. Achachachachachacha… pfrrrr… Ah…
– T’es pas très gentille Odette !
– Il va s’en remettre.
– Akkrrr… Quoi ? Tu crois qu’ tu m’as clashé là ? Attends ! Yo !
Hé ! Oh ! Yo ! Chip ! Chop ! Hé !
Yo la fée ! Yo !
Tu t’appelles fée Odette ?
En fait que dalle !
Retourne vite dans ta malle !
Ton rap est féodal !
Décédé d ‘puis un bail
Appelle le FBI !
Avant de crier « Aïe ! »
Quand j ‘t’aurais mise à mal
Tu seras la fée des râles !
Ou bien est-ce la fée selles ?
Car ton flow s’ fait la belle
Du côté du trou de balle
Ôte-moi vite ce futal !
Une fois déculottée
On t’appellera fée C !
Oh ! Oh ! Arfff ! Arfff ! Pfrrr ! Pfrrr ! Arfff ! Arfff !…

Boobi était parti dans un méchant fou-rire et Odette le regardait l’air consternée. Je me suis contenu, son rire étant contagieux, je ne voulais pas me fâcher avec Odette. Elle l’a laissé reprendre ses esprits avant d’en remettre une couche :

– Bibou, Bibou… Mon petit Bibou
Tu vises aux disques d’or
Quand tu rappes, j’ m’endors
Ni or ni platine, toi tu côtoies l’abîme
Bling-bling sans standing car dans tes chimères
On n’a vu que la pierre de ta mise en bière
Ta rime est vulgaire mais surtout d’hier
T’as fourbi tes armes, y a rien qui t’alarme ?
Tout ce que tu balances, des couteaux sans lame
Ca sent la carrière éclair à la Diam’s
Chut !...
J’ l’entends déjà qui rend l’âme
Mâche du vent, aucun relent d’IAM !
Vraiment…
T’es chat noir à toute heure, es-tu noir sur le cœur ?
Tes yeux montrent ta pâleur
T’as une montre mais pas l’heure
Une breloque dont tout le monde se moque
Même le mac avec qui t’as fait du troc
Qui se pique d’un tas de bestioles en stock
Tiques et toc sont les Chakras du chat crade
L’époque pathétique est au pire en pratique
Le chic est au moche et sans rire a ses rites
Des shoots aux médocs et du peint sur la poche
Les neurones en loques à trop chopper des loches
Chip-chop pas de potes mais ça poque et se poke
Pour des pitchs indécis et des speechs imbéciles
Plus rien n ‘me choque…
Psssit ! Viens par ici que j ‘t’explique !
Pssshit m’a fait le rap gangchat
J’fais pas la queue des petites chattes qui prennent bas
Celles qui triquent à l’Amérique Bullshit
Nommées « Ronger Rabbit » à trop sucer des bites
Là, tu vois, j’en ai autant pour toi
Tu rappes mais c’est pas ça
Désolée si j ‘bande pas !

Boobi a ouvert de grands yeux furieux, s’est retourné et s’en est allé, toujours en se dandinant et pissant ça et là au gré de sa marche, ce qui fit brailler Odette :
– Et les gouttières ? C’est pour les chiens ?
Boobi a tracé sa route.
– Odette, Ce n’était pas la peine d’être aussi cruelle !
– Qu’est-ce qu’on s’en fout ? C’est une caille-rat ! Beaucoup plus rat que caille, j ‘te l’accorde ; ça vole pas haut !
– Tu te trompes Odette. Il est juste un peu perdu. Et s’il est vrai qu’il vit dans les égouts, alors il a bien du courage.
– C’est bien ce que je dis, c’est un rat. N’y vois aucun jugement de valeur !
– Non c’est un chat. Mais qui s’en sort dans un milieu hostile. Il n’est pas très poli, c’est vrai, mais il ne faut pas prendre les paroles du chip-chop pour argent comptant. C’est un mode d’expression avec ses excès de langage. Il ne pense pas tout ce qu’il dit.
– Moi non plus je ne pensais pas tout ce que je disais.
– Eh bien tu devrais aller le lui dire et t’excuser.
– En quel honneur ?
– Mais pour qu’il ne se sente pas rejeté pardi ! Comment veux-tu qu’on évolue si chacun rumine dans son coin ?
– C’est pas mon problème !
– Que tu crois ! Aller… va donc lui demander pardon !
– Tu devrais savoir que je déteste faire ce qu’on me dit !
– Ah !… Alors reste là et ne demande surtout pas pardon !
– C’est exactement ce que je comptais faire. Ravie de te l’entendre dire.
Elle est restée bras croisés, suspendue dans les airs un bon moment, triomphante. Enfin elle est partie en disant :
– Aller, j ‘te charrie ! M’en vais te le remettre sur les bons rails ce Bibou !

Je ne sais pas ce qu’elle lui a dit mais je l’ai revu ensuite et les choses étaient arrangées.

Darwin.

3 octobre 2015

Khan, chat persan

Chalut.

 

Un jour j’ai repéré une famille de chats sur le bloc sis de l’autre côté de la rue des Archers… pas le très gros bloc, le moyen gros bloc. Trois chats, deux adultes et un encore très jeune, très proches physiquement, de race persane si je puis utiliser une catégorisation trop humaine à mon goût. Hélas il faut bien l’admettre, la variété actuelle du monde du chat est largement due à l’intervention humaine mais nous ne nous interdirons guère de remettre tout cela à plat lorsque vous aurez disparu de la surface de la terre. Pour votre information sachez que je me considère d’ailleurs issu d’une race réputée naturelle, le chat européen, bien qu’ayant vraisemblablement aussi un autre lignage dont j’ai nécessairement tiré le meilleur. Il faut le dire, je suis d’une très grande beauté et ma robe noir de jais est absolument splendide. Au fait, je me suis pesé dernièrement sur une balance électronique lors d’une petite exploration d’appartement et si elle est fiable, ce que je crois, il semblerait que je pèse actuellement 6 kilos et 200 grammes. Donc si je fais 6,2 kilos, cela fait pas mal de kilos de grammes pour un européen. Revenons à nos chatons. Donc les persans d’en face sortent parfois sur le toit par un Velux. Les deux adultes ne restent jamais trop longtemps, le jeune semble plus intéressé par l’extérieur bien que manifestant un profond ennui si j’en crois ses mimiques. Un certain mardi le temps ne se prêtait guère à un petit roupillon sur une cheminée, je décidai de passer en face pour bavarder un peu avec ce jeune dépressif. Ce fut fait, non sans difficultés. Une fois sur le toit, je m’avançai vers lui en feignant de passer tranquillement par-là. Il m’a regardé venir avec un peu d’inquiétude dans le regard mais n’a pas bougé.

– Chalut !

– Chalut !

– Je m’appelle Darwin. Du toit d’en face.

– Oui oui. Je vous ai reconnu. Moi c’est Khan.

– Depuis quand vis-tu là ?

– Septembre dernier. Mais, un chat là, on ne restera pas longtemps, un chat là !

– C’est un appartement très bien situé… et avec Velux, que demander de mieux ?

– Que demander de mieux ? Mais monsieur ! Mes parents sont du pays du soleil. Un chat là, on y retournera bientôt, un chat là !

– Oui c’est vrai que le soleil se fait souvent désirer. Mais ce n’est pas tous les ans comme ça. Cependant, l’an dernier, ce mardi-là il pleuvait aussi.

– Ah ! vous voyez !

– Oui mais le samedi suivant il faisait 28 degrés !

– Vous vous rappelez de la météo de chaque jour ?

– Oui bien sûr.

– Eh bien je vous parie qu’il pleuvra samedi. Un chat là !

– Soit ! Et donc ? Est-ce une raison pour être morose ?

– Oui.

– Tu es vraiment baromatique. Pourtant il y a plein de choses à faire quand il pleut. Voudrais-tu me suivre pour te balader ?

– Non car j’ai froid.

– Quoi ? Avec tous les poils que tu as. Si tu as froid c’est parce que tu restes là tout recroquevillé.

– De toute façon je ne peux guère m’éloigner car les autres chats de ce toit ne m’aiment pas. Ils se moquent de moi !

– Ça m’étonne beaucoup ce que tu me dis là.

– Mais si monsieur ! Ils me traitent d’étranger à face plate !

– Oh !

– Vous trouvez que j’ai la face plate ?

– C’est à dire que… je…

– J’en étais sûr ! Les chats d’ici sont racistes !

– Mais pas du tout ! Ça n’a rien à voir ! C’est juste affaire de goût.

– Dites que je suis moche pendant que vous y êtes !

– Ce n’est pas ce que j’ai dit. Et je serais curieux de savoir qui t’a traité d’étranger.

– Le deux européens du troisième Velux vers le sud. L’un est tigré et l’autre noir et blanc.

– Je vois. Voudrais-tu qu’on aille leur dire notre façon de penser ?

– Non.

– Pourquoi ?

– Parce que quand vous serez parti ce sera pire.

– C’est mal connaître le pouvoir de persuasion des chats de gouttière. Et puis tu ne dois laisser quiconque te traiter d’étranger ! N’es-tu pas né ici ?

– Si.

– Et n’as-tu jamais entendu parler du droit du sol ?

– N’essayez pas de me faire avaler des couleuvres, monsieur ! Ah ! vivement que nos humains s’en retournent au pays !

– Que font-ils vos humains ?

– L’homme est diplomate et sa femme le suit là où il va. Un chat là, il y aura de nouveaux bouleversements politiques et il sera rappelé au pays. Un chat là !

– Au fond, toi tu n’as jamais été plus loin que le troisième Velux.

– Par force.

– Mais peut-être que si tes humains s’en retournent au pays, il n’y aura pas même un toit sur lequel sortir.

– Il y aura beaucoup mieux ! Nous avons une grande maison avec un grand jardin ! Et de grands arbres ! Et le soleil brille plus de trois cents jours par an ! Un chat là, je le verrai le pays du soleil, un chat là !

– Alors c’est tout le mal que je te souhaite. Mais tu sais… peut-être que cela n’arrivera pas de sitôt et tu ne peux pas passer tes plus belles années à te morfondre. Tu ne peux pas laisser les autres te traiter d’étranger et t’empêcher de te promener sur le bloc ! Ne laisse jamais personne, mais vraiment personne, te traiter d’étranger !

– Facile à dire ! Déjà qu’on me traite de face plate, si en plus je me fais raboter le portrait.

– C’est un risque à courir. Mais s’il ne s’agit que de faire ton chemin sur ce bloc de chats embourgeoisés, dis-toi que le risque est minime… tant que tu ne cours pas après les minettes bien sûr.

– Oh ! cela n’est pas près d’arriver.

– Pourquoi ?

– Parce qu’à ma connaissance il n’y a pas de persane ici.

– Mais si ! Il y a Dentelle. Elle vit au fond du bloc.

– Dentelle ? Oui je vois. Mais elle est mélangée.

– Oh ! Pourtant elle te ressemble beaucoup.

– Vous n’êtes peut-être pas capable de reconnaître une pure persane mais moi oui !

– Et qu’est-ce que ça change ? Dentelle est très belle et sympathique et elle ne te traitera jamais d’étranger.

– Je vous l’accorde. Elle est venue une fois nous amener du foie.

– Eh bien voilà ! Tu as donc une amie.

– Non car mes parents l’ont chassée.

– Et pourquoi donc ?

– Mais monsieur ! Chez nous nous ne mangeons pas de foie !

– Vous ne savez pas ce que vous perdez mais après tout, c’est votre problème. Lève-toi et suis-moi ! Qu’on te voie en balade avec un De Gouttière sera déjà un gage de tranquillité pour toi. Les De Gouttière sont une famille respectée… sinon par les humains du moins par les chats.

– J’aimerais mieux pas car vous m’avez l’air un peu casse-cou. D’ailleurs, comment avez-vous fait pour monter jusqu’ici ?

– J’ai pris par un trou de rats, puis par les égouts, puis par un trou de rats, puis par une gaine, puis par un escalier, puis une gaine de nouveau. Ah ! il est vrai que c’est de plus en plus compliqué, fors les échafaudages qui sont aux chats ce que l’ascenseur est aux humains, toutes ces réfections d’immeubles nous ferment beaucoup de chemins d’accès. Heureusement nous vivons une époque de gens pressés. Ils veulent de beaux immeubles mais ils veulent du vite fait bien fait. Le fait est que c’est souvent bien fait en apparence. Qui se soucie vraiment de l’intérieur d’une gaine que personne ne voit jamais sinon des techniciens de télécommunication ? Alors assez souvent je me huche dans une gaine, ce qui demande néanmoins quelque aptitude physique.

– Et comment rentrez-vous dans la gaine ?

– Eh bien désormais j’ai une fée qui m’aide beaucoup en ce sens. Sinon je fais comme tous les chats, je fais appelle au service des rats.

– Des rats !

– Oui car ils savent creuser des trous… surtout dans les matériaux faussement solides. Vive le placoplâtre et le contreplaqué !

– Et ils demandent quoi en échange ?

– La paix.

– Vous croyez que je saurais me hucher dans une gaine moi ?

– Sans doute… mais de toute façon, pour un chat d’appartement, les escaliers sont souvent plus faciles d’accès. Veux-tu que je te montre comment on se huche sur cette cheminée de briques ?

– Je veux bien.

– Il faut s’aider avec l’antenne… regarde !

Je lui fis l’étalage de mes talents de grimpeur.

– Tu devrais monter, on voit mieux d’ici.

– Je ne crois pas que je saurai faire ça.

– Simple question d’entraînement. Pour autant je n’arrive pas à monter partout.

Je redescendis vers lui d’un bond.

– Alors ? Viens-tu ?

– Non car ma mère ne veut pas.

– Elle ne veut pas quoi ?

– Que je traîne avec des étrangers.

 

Croyez-moi ! J’en suis resté couillon.

 

Darwin.

 

3 octobre 2015

La plus chatte des javas

Chalut !

 

J’ai rapidement trouvé une certaine utilité à la présence envahissante de la fée Odette. Elle m’est très utile car elle est une ouvreuse de boites aux lettres et de portes hors-pair. Il faut la voir apposer ses mains sur une serrure et avoir le plus souvent raison d’elle d’un mouvement à peine perceptible. Encore faut-il pouvoir les tirer ou les pousser, si c’est aisé pour une boite aux lettres ça l’est moins pour les portes cochères. Elle prétend que ce genre d’efforts la fatigue et je lui connais trois façons de « recharger les batteries » comme elle dit. Elle peut les recharger en se faisant dorer la pilule au soleil, ou bien en mangeant des bonbons, ou, choix le plus discutable, en se mettant directement à proximité d’un champ électrique puissant quand ce n’est pas en mettant les doigts directement dans la prise. Cette dernière option a l’heur de la rendre particulièrement surexcitée et pénible !

 

Bien, revenons à nos chattons puisque j’ai quelques minutes de tranquillité devant moi, un ordinateur qui marche et mon fidèle dactylo à mes côtés. J’étais donc avec cette belle chatte, bien leste et agile, traçant sa route aussi bien que moi, de nouveau en direction du cimetière. Chemin faisant elle me lança :

– Au fait. Je m’appelle Leina. Tu aimes ?

– Pas plus que ça. Où va-t-on ? Pas chez les archivistes j’espère.

– Non mais pas loin. Dans une autre partie du fort.

 

Effectivement nous allâmes jusqu’au cimetière avant de repartir en direction de la Saône. Quelques obstacles furent facilement franchis, nous arrivâmes devant une entrée de l’ancien fort et nous y pénétrâmes. Il faisait bien sombre mais je me fiai à la connaissance du terrain de Leina. Il ne fut pas longtemps avant que nous arrivassions dans une salle bien éclairée par la simple présence de la fée. Elle se tenait en l’air au-dessus d’un amas de papier et de petits morceaux de bois. Autour de cet amas se trouvaient trois chattes et quatre chats dont l’un m’était déjà bien connu : Passe-passe. Il me chalua assez chaleureusement. « Voilà Darwin ! », « Ah le fameux Darwin ! » Les commentaires allèrent bon train, ma réputation m’avait précédé. Odette, toute à son affaire, me regarda à peine : « Reculez-vous un peu les amis ! » Le cercle fut agrandi. Odette frotta deux petites aiguilles l’une contre l’autre et une gerbe d’étincelles jaillit. « Pff ! ça n’a pas suffi ! » Elle s’approcha un peu plus d’un morceau de papier et renouvela l’opération. Cette fois-ci une flammèche apparut. « Souffle ! souffle ! Nom d’un chien ! Non écarte-toi plutôt ! » Il faut dire que nous les chats, sommes de piètres souffleurs. Odette trouva meilleur parti dans l’utilisation de son ventilo dorsal, le feu prit bien. « Rends-toi utile Darwin ! Aide-moi ! » L’ordre venait de Passe-passe qui plongea tête la première dans un grand sac en papier contenant du charbon de bois et que de petits humains aventuriers avaient dû laisser là. Je servis de relais entre les pattes arrière de Passe-passe et le feu, prouvant ainsi que malgré mon caractère intellectuel et solitaire je ne suis pas revêche aux efforts collectifs. D’ailleurs, qui aurait osé demander ce service à Leina dont la blancheur en eut été ternie tandis que moi, si magnifiquement noir, j’ai moins à craindre des effets colorants du charbon ? Ainsi nous eûmes un feu facile d’entretien quoique mes coussinets en furent un poil échauffés. L’ambiance devint alors très festive, chacun ayant une bonne histoire à raconter avec Odette en maîtresse de cérémonie. Elle voulut la soirée plus musicale : « Voudriez-vous que j’aille chercher mon accordéon ? » Un oui quasi-unanime retentit. Odette s’éclipsa et fut de retour moins de cinq minutes plus tard avec un accordéon gros comme un paquet de cigarettes mais sonnant bien aussi fort que celui d’un humain taille nature. « Par quoi commence-t-on ? » « Une java ! Une java ! Une java ! Une java ! » « La plus chatte des javas ? » « Oui ! Oui ! En plus tout le monde la connaît par cœur ! » « Non pas moi ! » « Correction… excepté Darwin. Mais s’il est si chavant, il l’apprendra vite ! » « Voilà donc la plus chatte des javas. Adaptation très personnelle d’un vieux classique. C’est parti ! »

 

Je vais vous raconter

Une histoire arrivée

A Nana et Julot Chat Racé

Pour vous raconter ça

Il fallait une java

J´en ai fait une chouette écoutez-la

Mais j´ vous préviens surtout

J´ suis pas poète du tout

Mes couplets n´ riment pas bien

Mais j´ men fous!

 

L´ grand Julot et Nana

Sur un air de java

S´ connurent à la sauvette

A l’arrière d’une charrette

Elle lui dit : J´ai l´ béguin

Sur un air de chat bien

Il répondit : Tant mieux

Sur un air de chat vieux

 

Ah! Ah! Ah! Ah!

Écoutez chats si c´est chouette !

Ah! Ah! Ah! Ah!

C´est la plus chatte des javas

 

Ils vécurent tous les deux

Comme des amoureux

Dans un coin poussiéreux et miteux

Chaque jour, le grand Julot

Disait : J´ t´ai dans la peau

Et il lui griffait le bas du dos

Elle lui dit : J´ai compris

Mais moi j’ai faim, chéri

Et comment nourrirai-je nos petits ?

 

Alors il s´en alla

Sur un air de « Cha va ! »

Pour gonfler ses mamelles

A manière de chamelle

Il s´offrit en décor

Et joua les chats morts

Pour gagner sa pitance

Sur un air de carence

 

Ah! Ah! Ah! Ah!

Écoutez chats si c´est chouette!

Ah! Ah! Ah! Ah!

C´est la plus chatte des javas

 

Sa dame pendant ce temps

Ayant besoin urgent

De se mettre quelque chose sous la dent

Il chipa… lui, Julot

A une femme un morceau

Au beau milieu d’un plat d’osso bucco

Le coup était bien fait

Mais juste quand il partait

Il entendit qu’on l’appelait minet.

 

Alors il laissa là

Ses manières de sherpa

Et partit ventre à terre

A travers la chatière

Cependant la vielle bique

Lui passa tous ses tics

Car elle était bravache

Dans ses coups de cravache

 

Ah! Ah! Ah! Ah!

Écoutez chats si c´est chouette!

Ah! Ah! Ah! Ah!

C´est la plus chatte des javas

 

Nana, ne sachant rien

Continuait d’avoir faim

Six heures se sont passées… Rien ne vient

Elle ressent des frissons

Et elle a des visions

Une arrête ne fait pas le poisson

Les chats faux n’ se dressent pas

Au boulot n’ s’en font pas

Son Julot a les pattes Angora

 

Julot vient à p´tits pas

Sur un air de « Cha va ? »

Mais elle n’est pas séduite

Par son air de chattemite

Il n’a rien dans le gosier

Même pas l’air de chat C

Et rentre encore bredouille

Sur un air de chatouilles

 

Ah! Ah! Ah! Ah!

Écoutez chats si c´est chouette!

Ah! Ah! Ah! Ah!

C´est la plus chatte des javas

 

Ah ! madame ! Je n’avais jamais vécu une telle soirée ! Heureux comme un poisson dans l’eau ! Nous avons chanté et dansé jusqu’à en tomber de sommeil. Je dormis un peu, blotti contre mes camarades autour du feu qui se mourrait petit à petit. Puis Odette me réveilla pour me dire que George m’attendait dehors pour me raccompagner jusqu’à chez moi. Brave George, ce fut fait sans frayeur. Ainsi s’acheva ma grande aventure à Loyasse sur la colline de Fourvière.

 

Darwin.

 

3 octobre 2015

La messe est dite

Chalut.

 

Dans mon dernier billet je vous parlai de mon attention de passer toute une journée dans le cimetière de Loyasse. George s’en était allé pour son travail mais j’eus bien le loisir de contempler quelques monuments et de retenir quelques noms de familles lyonnaises prétendument célèbres. Je piquai également un petit roupillon dans un endroit tranquille mais une fois de plus la fée Odette me sortit de mes rêves.

– Allons-y matou !

– J’attends la nuit.

– Que nenni ! Allons plutôt retrouver Grumpy !

– Pour quoi faire ?

– Viens et tu verras ! Ce sera bien !

– Trop de monde à cette heure-ci.

– Nous passerons par le bois des maristes. Aucun danger.

– Juré ?

– Déstresse un peu matou ! En route !

 

Nous prîmes effectivement un chemin assez tranquille hormis le besoin de traverser une route et une propriété infestée de l’odeur d’un chien heureusement absent. Nous passâmes la Sarra, le bois des établissements scolaires maristes, atterrîmes sous la passerelle des quatre vents et je sautai sur le muret déjà évoqué dans une précédente aventure. J’appelle muret ce que vous appelleriez sans doute mur en vous référent au point de vue qu’il vous laisse, moi je ne me réfère pas au point de vue mais au saut nécessaire pour le gravir, étant données mes qualités athlétiques autant dire qu’au-dessous de deux mètres c’est un muret. Eh bien voyez donc ce que je trouvai sur ce muret, deux petits chatons de trois mois à peine en grande discussion avec Grumpy, lui resté au bas du muret par force nature. Odette s’annonça à sa façon :

– Salut cabot ! Bonjour mirons !

– Nom d’un chat ! Les revoilà !

– Pour ton plus grand plaisir.

– Que tu dis ! Ne venez pas saccager mon travail éducatif !

– Voire. En quoi consiste-t-il ?

– Au respect de Dieu, et de ses représentants sur terre, à commencer par leurs propriétés. Ainsi je les enjoins de toujours bien rester sur le mur afin de ne pas transgresser le droit divin, auquel cas je me verrais dans l’obligation de les rosser.

– Ah ! ah ! Elle est bien bonne celle-là ! C’est dire le peu d’omnipotence du dieu des humains, des chiens et toute autre espèce handicapée du genre.

– Qu’est-ce à dire justement ?

– Ce mur censé t’aider dans ta besogne mais qui au fond assure surtout que tu ne t’échapperas pas… ce mur empêcherait sans doute l’intrusion d’un cheval ou d’un bœuf. Plus douteux serait son statut de rempart face à un éléphant mais si, comme tu peux le constater, de tout petits mirons sont parvenus à grimper dessus, qu’en sera-t-il de tous ceux qui se déplacent aussi bien la tête en haut que la tête en bas, je veux parler des insectes et des arachnides, sans même avoir besoin d’évoquer ceux et celles qui comme moi ont des ailes et se moquent éperdument de ton droit de propriété à la con ? Pourquoi interdis-tu aux chats ce que tu ne peux pas interdire aux puces, sac à puces ?

– Si dieu a voulu que les murs ne soient utiles que contre les humains, chevaux et bœufs, ainsi soit-il ! Si dieu a voulu que les chiens soient efficaces contre les chats, ainsi soit-il ! Moi je me targue d’être efficace contre les humains malfaisants et les chats récalcitrants et vice et versa on ne passe pas !

– Pff !

– Oh ! mais Grumpy, je veux bien croire que tu es très bon dans ton travail sans jamais en manquer toutefois. Car vois-tu ? Nous les chats sommes faits pour sauter les murets comme les chiens pour mordre le monde. Chatons, voudriez-vous que je vous conte l’une des plaies historiques de cette ville ? Le fléau des enragés !

– Oh ! oui ! Oh ! oui !

– Ne l’écoutez pas les petits ! C’est un matou voyou, un dégoûtant de gouttière !

– Bien, bien. Ecoutez ! Il était une fois un être écervelé mû par la seule volonté de ses dents. Il se plaisait à mordre tout ce qu’il lui était possible de prendre en gueule. De ce mode de vie il en avait retiré une hygiène des plus douteuses, réputé porteur des pires contagions de ce monde et très désireux de les transmettre par sa manie ci-avant racontée. Peu délicat, il ne s’embarrassait guère pour satisfaire ses pulsions et mordait dans son environnement immédiat. Quand il ne s’acharnait pas sur ses propres parties intimes, il mordait ses congénères ou bien la main nourricière, car il n’avait certes pas appris à se nourrir de lui-même. Ainsi cet être aimait à mordre la gente et une fois qu’il y avait goûté, il y revenait sans cesse tant il trouvait bon la gente. Il brayait sans cesse « La gente ! La gente ! » Cela s’appelle « avoir la rage » et porteurs de rage sont grande menace pour la civilisation des gens de bien. Ici à Lyon la menace se fit très tôt pressante en raison du nombre considérable de représentants de cette espèce enragée. Vous voudriez sûrement savoir pourquoi cette ville fut particulièrement propice aux enragés ? Eh bien parce que c’est une ville marchande et n’est-il pas vrai que marchant et aboyant se font les serfs d’un même élan ? Ainsi les enragés croissaient et multipliaient à tel point que les gens de bien s’en émurent. « Le nombre d’enragés est devenu excessif… l’on en voit errer dans les rues sans balises à seul fin de se repaître. Que deviendrons-nous si de plus en plus de dents veulent mordre la gente ? Nous devons prendre des dispositions et conséquemment nous enjoignons à tout être susceptible de compter au nombre des enragés de porter un collier faisant état de sa volonté de mordre la gente ou pas. » Les colliers fleurirent, donnant de bonnes indications sur le pouvoir de nuisance de leurs porteurs, on en vit certains tout d’or, d’autres ornés des plus beaux diamants. Pourtant le constat resta le même, le 30 avril 1788 un texte de police souligna la quantité étonnante d’enragés en cette ville. A l’aube de la révolution il fut rappelé que la devise de la cité n’était certes pas « deuil pour deuil et dent pour dent » et en conséquence il fut fait défense à quiconque d’agacer les enragés, de les faire battre ou de leur attacher quelque chose à la queue. On préféra ensuite instituer un droit à mordre la gente en contrepartie du paiement d’une taxe dont le montant fait toujours débat aujourd’hui. Bref, les enragés sont parmi nous bien que l’on fut souvent tenté de les museler sans jamais y parvenir. Le type vénéré dans cette cité sous le nom de Pasteur et qui a prétendument trouvé un vaccin contre les enragés est donc un fieffé menteur.

– Du grand n’importe quoi !

– Voyez petits, l’idiome disant que chien qui aboie ne mord pas est une figure ayant trait à l’humain, car concernant ce Grumpy-là, je suppute qu’il pourrait bien faire les deux à la fois. Ce qui vous encouragera à bien respecter ses consignes et ne pas transgresser son droit de propriété.

– Oui ! Vous ferez bien ! Pour une fois je suis d’accord.

 

Je passai ensuite un long moment à m’entretenir de choses diverses et variées avec les chatons. Entre chien et loup, l’un des chats m’ayant quelques heures plus tôt permis d’échapper à Grumpy se joignit à nous et nous convia à un office. Vers huit heures quelques poignées de chats affluèrent de tous côtés et se rassemblèrent sous des pins non loin du muret mais pas du côté de Grumpy. S’y trouvaient déjà les deux chats de l’évêché assis de part et d’autre d’une écuelle contenant du lait. Enfin débarqua un vieux chat revêtu d’une sorte de petite cape sombre et portant un collier duquel pendait une petite croix fluorescente. Il prit place derrière l’écuelle et demanda le silence. Au même moment l’un de ses compères se dressa sur ses pattes arrière et se mit à faire des signes inintelligibles avec ses pattes avant. Je crus d’abord qu’il faisait le chat pitre et il me fallut plusieurs minutes pour comprendre qu’il traduisait en langage des signes ce que disait le chat prêtre. D’ailleurs ce dernier ne prêtait pas à rire tant son ton était sérieux. Je ne retins qu’une partie de son allocution, absorbé que j’étais par la gestuelle de son acolyte. Enfin cela dû ressembler à quelque chose comme cela :

– Prions notre seigneur Risti, fidèle entre les fidèles de Jésus le Christ ressuscité qui, lui-même assis à la droite de Dieu, tient chat heureusement sur ses genoux…

 

A cet instant le prêtre fut coupé par la grosse voix de Grumpy émanant de l’autre côté du muret :

– Comment Luya pourrait-il supporter la proximité de Risti sachant que Jésus caresse Luya de sa main droite ? Car le chien étant le meilleur ami de l’homme en ce bas monde, il en va nécessairement de même aux cieux ! Gloire et honneur à l’esprit chien !

Vague de protestation dans les rangs des chats :

– Chut ! Silence ! Honteux ! Comment ose-t-il ?…

 

Le prêtre ne se démonta pas :

Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné, insouciant de me sauver malgré les mots que je rugis ?

Mon Dieu, la nuit j’appelle et tu ne réponds pas, le jour, point de silence pour moi.

 

Des chiens nombreux me cernent, une bande de vauriens m’entoure ;

Comme pour déchiqueter mes pattes ?

Je peux compter sur tous mes os, les chiens me voient, ils me regardent ;

Ils me savent beau et m’envient, et tirent au sort ma peau.

 

Mais toi, Risti, ne sois pas loin, ô ma force, vite à mon aide ;

Délivre l’épais de mon âme, de la patte du chien, ma personne ;

Sauve-moi de la gueule du chiot, de l’infâme cabot, ma pauvre vie.

– Allez Luya !

– Silence !

Les psaumes se succédèrent et rares furent ceux où le mal ne prit pas la forme d’un chien, ce qui somme toute est juste et compréhensible. Grumpy ramena sa fraise régulièrement avec des « Allez Luya » intempestifs. Enfin nous arrivâmes à la fin de l’office :

– Nous célébrons maintenant le chat Risti, vierge de tout péché, par ce lait immaculé. La pureté est en lui, la pureté passe en nous, venez et buvez-en tous !

Alors un à un les chats de l’assemblée allèrent boire à l’écuelle puis s’en retournèrent d’où ils étaient venus sans plus de cérémonie. Quand il n’en resta plus qu’un je décidai de passer à sa suite. Oh ! madame ! C’était du vrai lait ! Pas du lait de vache, ni de chèvre, ni de brebis, ni de truie, de riz, de soja ou autre ! Non pas de ça ! Du lait ! Du vrai lait ! Par la mère Dieu je n’en croyais pas mes papilles. De ma première lampée je m’imprégnai longuement, puis ce fut plus fort que moi ; je plongeai le museau dans l’écuelle pour en laper le plus possible le plus vite possible. Immédiatement je sentis des griffes sur ma tête et la relevai. Le prêtre avait un air sévère et réprobateur :

– Dis-donc toi ! Es-tu baptisé au moins ?

Je fis un gros mensonge plein d’assurance pour ne pas laisser de place au doute :

– Bien sûr que oui !

– Et penses-tu être si proche du seigneur pour avoir droit à une part augmentée ?

– Non pas du tout. Mais puisque je suis le dernier…

– Le dernier des chats j’entends bien. Mais as-tu pensé à la part de Mercure ?

– De Mercure ? Quel marché de dupe ! D’ailleurs on est jeudi !

– Restons humbles !

Alors le prêtre a plongé violemment ses deux pattes avant dans l’écuelle et celle-ci s’est renversée, laissant échapper son précieux breuvage. J’ai senti frétiller mes moustaches, comme une envie soudaine d’en découdre, pour tout dire je fus à deux griffes de lui arracher la tête. Je me contenais en détournant le regard de cet antipathique prieur. J’aperçus les silhouettes de plusieurs chats aux fenêtres de l’hospice voisin, chats auxquels était sans doute destiné le langage des signes. Puis, faisant quelques dizaines de pas le long du muret sans but, j’entendis une voix que je crus tout d’abord réprobatrice à mon égard :

– Lamentable ! Vraiment lamentable !

Je levai la tête, une belle chatte blanche me regardait fixement. Je croyais devoir me justifier immédiatement mais elle ne m’en laissa pas le loisir :

– Crois-tu que si tu avais bu tout le lait tu serais soudainement entré en lévitation ?

– Certes non.

– Tu aurais simplement épanché la soif qui te tiraille. D’ailleurs tu sembles avoir très soif pour un chat.

– J’ai surtout faim car j’ai très peu mangé depuis vingt-quatre heures et ce lait était du vrai lait.

– Au lieu de cela, derrière la référence idiote et qui plus est païenne à Mercure, c’est la terre qui a bu ce si bon lait. Il m’est d’avis qu’elle n’en a cure.

– Je le partage.

– Cela dit la gourmandise peut être un vilain défaut.

– Ou pas.

– Hum ! Où est passée cette belle assemblée ?

– Je l’ignore.

– Eh bien elle s’est dispersée. A chacun son chemin, chacun chez soi, chaque chat pour soi. Où est le dialogue, où est le lien, où est l’amour dans tout cela ?

– Ce n’était peut-être pas le but.

– Quel but alors ?

– Je l’ignore.

– Voudrais-tu que je te conduise dans un endroit où dialogue, lien et amour sont réels.

– Je ne sais pas. Ton dialogue il a pour but de m’inculquer ta façon de voir ou bien de t’imprégner un peu de la mienne ?

– Tu m’as prise pour une très loin de Jéhochat ?

– Je suis du genre méfiant. Et puis je n’ose pas trop m’éloigner car je suis venu avec une fée et j’ai convenu de retrouver George ici à minuit.

– Cela nous laisse quelques heures devant nous. D’ailleurs Odette est sûrement déjà là-bas.

– Tu connais Odette ?

– Il faut croire. Sûr qu’elle a mis les voiles, la messe n’a jamais été son truc.

 

Cher improbable lecteur, chère improbable lectrice, je vous conterai dans un prochain billet comment je passai quelques heures en bonne compagnie.

 

Votre dévoué serviteur, Darwin Le Chat.

 

3 octobre 2015

Carnets souterrains ou la vie dissolue d’Adamour Bibi de Dardelili.

Chalut

 

Petite digression. Sachez que je suis un chat né avec le printemps, ce dont vous vous doutiez sans doute car les chats de printemps sont plus vigoureux que les autres. Certes mes premiers mois furent un peu difficiles car j’étais glouton mais, volant pourtant souvent la part de lait de P’tit Gris, je n’étais jamais rassasié. Puis notre mère disparue soudainement et nous crûmes mourir de faim, surtout moi. Heureusement Burbulle nous trouva et nous apporta de quoi survivre et s’empressa de nous apprendre à trouver notre pitance et à affronter les épreuves. Je n’étais pas très doué pour ça et ne profitai guère. Je restai chétif jusqu’à mon septième mois, c’était très handicapant pour un chat de gouttière et je manquais d’assurance, notamment lorsque j’eus à traverser la passerelle. Puis l’occasion qui me fit dévorer de la viande plus que de raison agit comme un révélateur. Je pus satisfaire mon côté glouton, et désormais bien au fait des bons coins où trouver de la viande, je ne fis que manger. Entre mon huitième et douzième mois je grandis et grossis bien au-delà des attentes ; je rattrapai P’tit Gris puis le dépassai, une poussée tardive qui paraît inexplicable pour un chat de gouttière car nous sommes réputés grandir plus vite et moins longtemps que les chats d’appartement. En vérité nous ne sommes pas de vrais chats de gouttière, plutôt une génération spontanée, notre mère s’étant réfugiée sur les toits par certitude qu’on se débarrasserait de nous sitôt nés. Cela explique sans doute pourquoi je suis ce que je suis. J’incarne il est vrai une sorte de perfection n’ayant pris que le meilleur de chaque côté. Revenons à nos chatons ! Le besoin de manger sans cesse ne me passa que tardivement, justement lorsque je découvris mes aptitudes intellectuelles, appris prestement à lire et cherchai dès lors la nourriture intellectuelle plutôt que celle du corps (j’avoue aussi que la mise au régime me fut un peu commandée par le fait que je ne passais plus au travers de certains trous qui me sont utiles pour aller d’un bâtiment à l’autre). Je me suis affiné, je me suis musclé à la faveur d’escalades que peu d’autres chats parviennent à effectuer. Si je dépasse encore allègrement les six kilos, ils sont tout en grâce et majesté, et m’évitent bien des tourments par l’effet dissuasif qu’ils ont sur mes congénères. Au prochain printemps, pensez au plus beau chat que vous avez jamais vu, ce sera là une manière honnête de me rendre hommage.

 


J’en reviens à nos fantômes. Odette dormit très bien la tête sur mon ventre, mais sachez qu’elle parle en dormant dans un jargon incompréhensible. Nous fûmes éveillés par le tintement des clochettes du collier du chat roux. Odette et moi nous étirâmes d’un même élan et nous portâmes en baillant vers le coin du rouquin.

 

– Dépêchez-vous ! Je vais bientôt fermer !
– Tu viens à peine d’ouvrir.
– Comment vous pourriez le savoir ? Ronfleurs !
– Pff…
– Bon. J’ai cherché et je crois avoir trouvé ce que vous cherchez sans pouvoir le trouver.
– Voire.
– Vous voulez la lecture des documents ou simplement être désagréables ?
– Il nous serait agréable de l’ouïr très cher archi archiviste.
– Bon. Alors écoutez ! « Adamour Bibi estoit filz de Jean Bibi, marcheand à Lyon, venut riche à sohet, son sohet fust d’estre plus riche il vint plus riche, tant et tant se fist seigneur de Dardelili. Jean passa et Adamour, qui estoit sans frère ni sœur, herita a sa fortune. Adamour estoit très advenent, blond de cheveux, bien peigné et testoné, beau de visage, le nez ionique, les yeux bleus, galland, hault, gaillard, aigu, subtil, hardy, vestut à la mode, bragard, la braguette longue et ample. Estoit bon vivant et aimoit mieux tenir goubelest que plume en main, mais moins goubelest que mentile qui avaist vu plus d’un trou mais poinct celui de sainct Patrice. Beuvant il eust un soir révélation de construire un convent sur sa terre afin d’estre tant bien aulprès des dames que de dieu. Cest convent le voulust interdist aux hommes afin que l’endroit ne fust poinct souillé en pensées inspures avoit ja expérimenté en luy. Vrayement, n’estoit point chattemitte car il fust fest selon son bon voloir et il est duyt que oncque homme n’y vinst. Ce connust il fust estably que femmes non religieuses y estoient repceuz si le vouloient, affin que y prooient le temps que voudroient. Selon les registres, vinrent en cest convent, mesdames : De Lailieu, Magret, Duchaussoir de Filibredin, De Rubins, De Tourte, Le Prist, De Chassemotte, Lamarre, Larançon, Salé, De Longe, Gendre, Depierre, Greffe, Lesargues, Chantier, Beaulapin…
– Excuse-moi mais… elles sont nombreuses comme ça ?
– Une centaine et des brouettes.
– Je suggère qu’on aille directement à la fin de la liste.
– Ah !… Bon. Ben voilà, je ne sais plus où j’en suis. Laissez-moi réfléchir une minute.
Ce qu’il fit.
– Laissez-moi vous donner lecture d’un passage de la lettre que fit madame De Chassemotte à madame De Vuvle Vulpin !
– Qui est madame De Vuvle Vulpin ?
– Si vous m’aviez laissé aller au bout de la liste vous le sauriez. Ecoutez ! « Je m’estois mins en dévotion es soubz terre du convent, en une salle que n’avoit rien sinon une cheminée sans feu. Sobdain la terre et la cheminée s’ovrirent en deux et parust un luciferece qui me manda de le suivre. J’allais un quart de demi lieue jusques davant une grande salle richement meublée et j’y vist dieu feit homme. Vrayement estoit dieu car estoit très advenent, jeune, blond de cheveux, bien peigné et testoné, beau de visage, le nez ionique, les yeux bleus, galland, hault, gaillard, aigu, subtil, hardy, vestut à la mode, bragard, la braguette longue et ample. Estoit bon averlant et m’ofrist deux goubelest de l’eaue béniste de cave. Cependent que je beuvois, il mist bas ses chausses. Avoist de belles griefves et la braguette n’estoit poinct goureuse car sa couille estoit d’un empan et ses triquebilles d’un marc chascune. Il entreprint venir au dessus de moi Maistre Jean Foutre en l’air et mist sa main contre mes cuisses. Me diz : « Cist la vodroit jouer du serrecropierre ! » A quoy mist les mains a ma poictrine au grand interest de ma robbe. Ah ! non ! Ah ! non ! non ! non ! Une robbe tolt satin et veloux ! Je m’airoie de moi mesme sans instance ny hayt. Ce que fut faict, m’abouchast sur la table affin qu’il frottast son lart. Dame ! J’y fust quelque meschante heure cependent que me moulinoit du mouchenez en archidiacre, m’enfonçoyt son berfroi, m’abreuvoit le soliflore, me bouliguoit la gouliche, me braquemardoit le braion, me belinoyt la beloce, me bezinoyt le braizin, me maraudoyt la framboise, me mitainoyt le minoit, me calibroyt le callibistris… Mamye, si je soy femme, par sainct Georges ! dieu n’est pas bougre car a cest ouvrage n’avoit ni fin ni canon ! Je m’escrioie : « Asperge me Domine ! » Tandis que me transcouloyt je fus bien eschauffée du penil et vinst hors d’haleine et toute resudante. Je cuyd avoir tourné on convent sans toucher terre puis, tourné ez Lyon, je vinst grosse. Je voulust l’enfant nommer Jésus. « Voyre, repondist mon mari. Devray je te nommer Marie ? » Mainstenant que mon chier filz a six ans, vrayement estoit très advenenent, blond de cheveux, beau de visage, le nez ionique, les yeux bleus, galland, hault, gaillard, aigu, subtil, hardy… comme bien des enfantz en ceste cité »
– Hum, hum. Tout cela me laisse perplexe.
– Chut ! Ecoutez donc l’extrait de cet autre document ! « Par décret du roi, fust ordonné que seroient destruitz en la seigneurie de Dardelili, le convent, le chasteau et le passaige soubz terre, ceste terre rendust au roi et le nom de Dardelili oblié à tout mai. »
– Cela ne nous dit ce qu’il fait là.
– Je pourrais vous le conter aussi mais, fors le style, ça ferait redondant avec ce que je vous contai hier.
– Vrayement ?
– Oui dea ! Un très bon coin à cadavres pour les siècles des siècles !
– Bien. Si j’ai bien compris, malgré les approximations grammaticales… grosso-modo cet homme fut éliminé pour avoir donné du plaisir aux dames.
– Id quod plerumque accidit.
– Pourquoi ont-ils fait une chose pareille ?
– Malum prohibitum.
– Voilà une singulière injustice.
– Canis canem edit !
– Baisoyt-il les nones ? a dit Odette.
– Nemo igitur vir magnus sine aliquo adflatu divino umquam fuit.

 

Le roux semblant bien décidé à m’énerver et puisqu’on en savait assez , nous prîmes congé de lui. Nous retrouvâmes le tunnel principal et Odette volait de ses propres ailes juste devant moi.

 

– On dirait qu’on a trouvé un chat plus savant que toi matou !
– Non pas du tout Odette ! Car vois-tu ?… son chavoir ne sert aucunement sa réflexion. Tandis que moi je…

 

A cet instant Odette s’est exclamée : « Voyons voir ! » Puis elle a pris la poudre d’escampette. Cher lecteur, chère lectrice, êtes-vous du genre à sauter du coq à l’âne quand la conversation ne vous intéresse pas ? Odette oui. Donc elle a filé à grande vitesse vers le bout du tunnel sa lueur s’est affaiblie avant de disparaître totalement. Noir d’encre, j’en suis resté couillon. J’ai passé deux minutes à me demander si elle allait revenir, ce qu’elle fit.

 

– Ben t’en fais une tête matou !
– Tu trouves ça drôle ? Je n’y voyais plus rien.
– Je croyais que les chats voyaient bien dans le noir.
– N’importe quoi ! Dans le noir total on voit du noir total tandis que dans la pén…
– Sais-tu ce qu’il y a à l’autre au bout de ce tunnel matou ?
– Non.
– Une pierre.
– Une pierre comment ?
– Grosse comme le tunnel.
– C’est bouché, quoi.
– Bouché oui.
– Aucun intérêt donc. Alors sortons !

 

Dehors il faisait jour et les chats gardiens avaient mis les voiles pour la plupart. Ils n’en restaient que deux, en grande discussion avec George. L’ambiance semblait au beau fixe, pas comme le temps, très nuageux avec un mercure passant timidement le zéro en ce début d’après-midi. Sitôt dehors Odette m’a de nouveau laissé en plan.

 

– Hello Darwin ! Alors ? Ce fantôme ?
– Un séducteur ! Pauvre hère ! Il fut bien peu récompensé de ses services. Je te raconterai.
– Well. J’ai pris du poisson et nous t’en avons gardé.

 

J’ai regardé le poisson posé à ses côtés.

 

– Il n’est pas gros dis !
– Il est ce qu’il est. Frais pour le moins. Ça te changera.
– C‘est rien de le dire. Et le journal ?
– Forgot it. Sorry !

 

Ainsi commença cette nouvelle journée. Assez peu rassasié je décidai d’attendre la nuit à explorer un peu plus le cimetière. Les fantômes n’étant pas visibles en plein jour, je croisai de rares humains, agents de la ville, badauds ou familiers des lieux. Dans mes prochains courriers je vous raconterai la fin de mon aventure.

 

 

 

Darwin.

 

3 octobre 2015

Sulunc le veement a Darwin, il fust secle sezisme fantosme

Chalut

 

Après un rapide trajet sur une piste large et tranquille (durant lequel Odette m’expliqua qu’elle aurait bien pu abréger la discussion avec Grumpy si tel avait été mon bon désir) nous sommes parvenus au cimetière de Loyasse. Bien avant d’en admirer les monuments nos regards se portèrent naturellement sur les fantômes. Par fantômes j’entends bien sûr des fantômes d’humains. Il m’arrive occasionnellement de voir des fantômes d’autres espèces, notamment un qui m’attriste beaucoup, mais c’est une peuplade avant tout humaine et je vous expliquerai peut-être pourquoi si j’expose un jour ma théorie à ce sujet. Il est également notoire que seuls les humains ne voient pas les fantômes, quoique certains prétendent abusivement le contraire ; par contre beaucoup ont semble-t-il la capacité de ressentir leur présence. J’ignore la raison de ce phénomène, tout comme j’ignore pourquoi certains fantômes errent sur le lieu de leur inhumation ou crémation et d’autres sur le lieu de leur mort corporelle. Je n’avais jamais visité aucun cimetière, mais comme je vis près de la place des Jacobins, dont une partie fut jadis occupée par un cimetière attenant à l’ancienne église et ancien couvent Notre-Dame de Confort, les âmes en peine me sont assez familières. Connaissant le cimetière de Loyasse de par mes lectures, je m’attendais à plus d’agitation. Comme vous ne le savez peut-être pas, le cimetière de Loyasse est à Lyon ce que le Père Lachaise est à Paris. A l’instar de ce dernier il date du début du 19ème siècle et contient d’imposants tombeaux, quoiqu’en moyenne moins monumentaux et dans un cadre moins extraordinaire. Il faut dire que Lyon contient moins de mégalomaniaques que Paris, non pas en proportion mais en quantité, par force, et que les grandes fortunes y sont généralement moins grandes que dans la Capitale. Alors si Lyon c’est comme Paris en moins moins moins, tout de même, cela donne une carte postale saisissante. Nuit sans lune et ciel chargé de nuages, la visibilité restait bonne et les lumières de la ville me suffisaient pour embrasser le cimetière autant que le relief me le permettait. Il y avait là une poignée de fantômes, deux assis sur des sépultures et les autres se baladant, apparemment sans but, sauf un. Je ne sais pas trop comment vous représenter la vision d’un fantôme mais je puis au moins vous assurer que ce n’est pas un drap flottant avec deux trous pour les yeux. D’ailleurs si vous pouviez apercevoir le fantôme d’un personnage célèbre disparu, vous le reconnaîtriez immédiatement. Il en était donc un qui semblait parfaitement occupé. Il était vêtu d’une cape à col plat, d’un pourpoint col officier, de trousses et de souliers à pied d’ours. Nous le vîmes tout d’abord à quelques mètres de nous, arrêté devant une tombe et semblant parler doucement. Ensuite il a remonté l’allée latérale pour s’en aller longeant le carré des prêtres. Je sautai du mur pour lui emboîter le pas et le suivis jusqu’au centre du cimetière où il s’arrêta devant un gros tombeau. Là il a brandi un bras rageur et paru vociférer des insanités. Il a recommencé plusieurs fois à proximité d’autres tombeaux avant de disparaître soudainement. Tandis qu’Odette, George et moi restions interrogatifs, une voix s’est élevée sur ma gauche :

– Etonnant n’est-ce pas ?

C’était un gros vieux chat aux oreilles abîmées, paisiblement installé entre deux monuments.

– Certes oui. Que faisait-il ?

– Eh bien à vrai dire, quoique je vive ici depuis longtemps, je ne connais pas précisément son histoire. Il y a pourtant un moyen de le savoir.

– Lequel ?

– Il faudrait pouvoir accéder aux archives.

– Quelles archives ?

– Mais les archives fantômes, voyons !

– Et où se trouvent-elles ?

– Où elles sont précisément je n’en sais rien, c’est un tel dédale. Mais vous trouverez un archiviste à son poste si les gardiens veulent bien vous laisser passer. Moi je pourrais vous conduire jusqu’aux gardiens mais ça vous desservirait.

– Pourquoi ?

– Parce que je suis gatto non grato chez les archivistes. Raison pour laquelle je n’en sais pas plus sur ce fantôme là. Ce n’est pas faute d’avoir essayé.

– Et où se trouvent-t-ils ces gardiens ?

– Dans le fort. Retournez en arrière, à la sortie de la rotonde c’est tout droit à gauche. Vous trouverez.

 

Reste des fortifications lyonnaises, le fort de Loyasse a laissé quelques beaux vestiges qui font le bonheur des jeunes explorateurs en mal de sensations. Dans l’enceinte même du cimetière subsiste un bâtiment abandonné par les humains à qui en avait l’usage : les chats archivistes. Ils en font un usage réduit d’ailleurs, ne figure là qu’un poste avancé occupé par une tripotée de félins aux aguets. Nous nous sommes dirigés vers l’un d’eux qui nous a questionnés a distance :

– C’est pour une consultation ?

– Oui.

– La mouette… je doute que cet endroit soit fait pour toi. La fée… si tu peux marcher et te faire petite, à la rigueur.

– Well. De toute façon je n’escomptais jouer les chauves-souris. Je vais pêcher en attendant.

 

Odette et moi avons suivi ce chat gardien jusqu’à un trou surveillé par un autre chat en faction et qui ressemblait à l’entrée d’un terrier de lapin (le trou, pas le chat.) Avant de nous y laisser pénétrer le gardien a dit :

– Au début c’est assez étroit mais ça s’agrandit par la suite. A l’embranchement ce n’est pas à droite. D’ordinaire ça se fait à tâtons… j’en voudrais bien un éclairage comme ça !

 

Odette s’avança bille en tête. M’arrivant à peu près au garrot, elle avait la juste taille pour marcher dans le boyau mais ses ailes raclaient les parois en se courbant selon les aspérités rencontrées. Au bout d’une vingtaine de mètres le boyau passa de terreux à pierreux et la pente s’adoucit. Nous allâmes encore quelques dizaines de mètres avant de déboucher sur un tunnel d’un bon mètre de large et de haut. Je regardai les pierres des parois, parfaitement agencées mais semblant ne pas avoir été posées de la veille. Prenant d’emblée sur la gauche Odette ne me laissa pas le loisir de voir ce qu’il y avait à droite. Je la suivais tout en observant le sol sur lequel s’était déposée une légère couche de terre sèche maculée de traces de pattes de chats. Soudainement Odette s’arrêta et fit remarquer qu’elle n’en voyait pas le bout :

– Si j’avais un ami il me porterait.

– Hé ! oui. Si tu avais un ami.

Elle s’est parée d’une moue boudeuse.

– Si tu ne veux pas marcher, vole ! L’espace est suffisant il me semble.

– Oui mais moi j’ai envie qu’on me porte !

– Ok ! ok ! Grimpe !

Elle fut sur mon dos d’un geste révélant une cavalière aguerrie et d’emblée « m’éperonna » en criant :

– Hue chacha !

– Si tu commences comme ça tu vas redescendre tout de suite ! Tiens-toi tranquille !

– Daccodac matou ! Je me demande où nous sommes.

– Je crois que nous sommes dans un ancien aqueduc romain. Et d’après mes connaissances, qui sont vastes, ce tronçon n’a pas été référencé par les historiens et archéologues.

– Nous montons, non ?

– Tout doucement.

Nous sommes allés sur une bonne longueur, peut-être cinq cents mètres, pratiquement en ligne droite. Enfin nous sommes parvenus à une petite salle dans laquelle débouchaient plusieurs autres tunnels. Les parois de l’un d’eux reflétaient une légère lueur bleutée :

– Je crois que nous touchons au but.

Dans ce tunnel nous avons trouvé un chat roux endormi à côté d’une petite vasque enflammée et d’un collier muni de petites clochettes. J’ai bougé le collier, le chat à ouvert un œil.

– Mmmm… Quelle agitation ! Pas moyen de passer trois jours tranquilles. Votre requête ?

– Eh bien nous ne savons pas précisément.

– Je ne peux pas le savoir à votre place.

– Il s’agirait d’un cas datant d’avant l’ouverture du cimetière.

– Quel cimetière ?

– Celui de Loyasse bien sûr.

– Bien sûr, bien sûr. Nous archivons ici tous les fantômes de la ville depuis des lustres. Vous avez l’année du décès ?

– Non.

– La décennie ? Le siècle ?

– 16ème je crois. Mais la mort serait localisée à Loyasse.

– Bon. Ça réduit déjà l’éventail. Laissez-moi réfléchir une minute !

Ce qu’il fit.

– Je crois que j’ai ce que vous recherchez. Le début du document est endommagé mais l’essentiel y est. Ecoutez : « …enstre vigne et vigne, le cors dum omne, mortes a tou mais, d’environ trente annels, vesti seul chainse, ne cappel, ne casure, ne braie, ne chausse, ne sollers, ne borse, ne desniers, ne espee, ne braquet. Le Gentis Omne dist : « Chapitles sarons qe faire », « Quil conduira ? Sire. », « Vos. A chanoines contors irez. » Volrent veoir soe Saintee et l’oir, point ne vehu. Le moinen a Saint Just, ne reciurent audience. Le moinen a Saint Irenee, memement. A Saint Jean, ne pooir avant. A Saint Paul, memement A saint Nicet, furunt venut burgeis et marcheands volontifs de voier le cors. Sulunc le veement a cez humaines gents il fust mors de celle bleceure al cuer. Volrent saveir se fust omne lyonnois, unques ne connu. Fust queste a savoir se estoit truant, vague, meiteir, soudar, burgei, marcheand, clerge o chevalier. Le gardirent la boche, avoit joliettes dents qui fuirent nombrez a trente et deus. Le gardirent les pieds, estoit pieds a sollers. A cez humaines gents paruit que estoit Gentis Omne. Tou ce pendant, vinvet rumors a eglise porture. L’un dist : « Il estoient treis peestres en aproismement de Lyon. Sodain icelui, oiant cloches, volut estraindre a ses compaings. Cist pensunt : « A diavle ou cors. Il est desvet e pesme peoir qe pestilance. » Il le corrent sus mainnemain et de juste empeinte le estroerent. Por ce que li diavle se retorne ent le feu il fierent, maintenant le desviestirent. Por ce que devant Dieu ne fust tot nu, ne prinrent le chainse. » Oiant ceci burgeis et marcheands le bruslerent le cors maintenant. Unques ne vist ses compaings, oncques fust connu lui non cest Gentis Omne. »

 

Odette en est restée béate.

– Tu connais tout ça par cœur matou ?

– Evidemment !

J’étais moi-même impressionné mais pas satisfait.

– Désolé mais ce n’est pas ce que nous cherchons. Un document du 16ème ne serait certes pas écrit en ancien français mais en moyen français.

Le roux m’a fixé furieusement.

– Peut-être n’est-il pas du 16ème siècle !

– Quel fantôme du 13ème porte la mode du 16ème ?

– Mmmm… Laissez-moi réfléchir.

Il a fermé les yeux et une minute après j’ai compris qu’il retombait dans son sommeil. J’ai secoué le collier et le chat a réouvert un œil.

– Désolé mais c’est l’heure de dormir.

– Comment sais-tu l’heure qu’il est ?

– Je ne le sais pas.

– Alors comment sais-tu que c’est l’heure de dormir ?

– Parce que j’ai sommeil ! Revenez plus tard ! Si vous ressortez à l’air libre sachez que vous ne pourrez pas revenir avant un mois.

– Pourquoi ?

– C’est la règle.

– Alors nous attendrons là la fin de ton somme.

– Non car la lumière de la fée me dérange.

– Pff !

Nous nous sommes éloignés dans un autre tunnel pour nous reposer à notre tour. Je me suis mis en boule et Odette a posé sa tête sur mon ventre. Je lui ai fait part de mon sentiment sur le texte déclamé par le chat archiviste :

– Vois-tu Odette ? Je crois que l’homme dont il nous a parlé n’était pas un vagabond.

– Personnellement je n’ai pas compris grand chose

– Ah !… Eh bien je fais une hypothèse. A mon avis il s’agissait d’un homme pris dans les conflits entre l’archevêché et les chapitres. Peut-être envoyé par le Vatican auprès de Pierre de Tarentaise pour briser l’autorité du chapitre cathédral, ce qui n’aurait pas manqué de susciter l’animosité de chanoines jaloux de leurs prérogatives. L’histoire du diable n’aurait été que pure invention…

 

Pendant que je parlais la luminosité d’Odette s’est affaiblie peu à peu au point de s’éteindre totalement et bizarrement ses ailes sont devenues toutes molles. Elle dormait et je décidai d’en faire autant. Je vous dirai bientôt ce que nous apprîmes par la suite sur notre fantôme.

Chalut

 

 

3 octobre 2015

Grumpy

 

Chalut.

Comme je crois vous l’avoir déjà dit, je n’ai pas été un grand voyageur lors de mes premiers mois d’existence, notamment par peur de passer par-dessus les fleuves qui font le charme de cette ville. Je passais donc le plus clair de mon temps sur mon pâté de maison à chercher les moyens de cultiver mon grand potentiel intellectuel qui n’a guère pu vous échapper. Ce mode de vie m’allait très bien jusqu’à ce fameux jour du mois dernier où la fée Odette a débarqué en plein milieu d’une discussion que je tenais avec George :

– Salut le dingue et la rieuse ! Quoi de neuf ?
– Une entrée plus polie serait une nouveauté appréciable !
– Pff ! Quel grincheux tu fais matou ! Heureusement que je suis là !
– Pour ?
– Pour te dérider un peu ! J’ai des projets pour toi !
– Du genre ?
– Du genre culturel. Nous irons ce soir visiter le cimetière de Loyasse. Tout refus me fâcherait grandement !
– Fâche-toi autant que tu veux ! Je n’ai aucune intention de traverser la Saône !
– Quel trouillard tu fais matou !
– Facile à dire quand on a des ailes !
– Justement. Avec George et moi pour surveiller les alentours, quel danger peut-il y avoir ? Hein George ?
– Possible. A quelle vitesse peux-tu aller Darwin ?
– Sur une telle distance je ne battrai pas Usain Bolt bien que, comme vous pouvez le constater, je sois superbement bâti.
– Certes. Mais c’est guère difficile trouver une minute sans humain sur la passerelle. Il suffit d’attendre le milieu de la nuit. Je surveillerai un côté et Odette l’autre.
– Si nous partons au milieu de la nuit nous n’aurons jamais le temps de revenir avant l’éveil des humains !
– Eh bien nous ne reviendrons que la nuit d’après.
– La nuit d’après ? Je ne peux tout de même pas passer 24 heures sans manger ni dormir ?
– Ah ! mais quel anxieux tu fais matou ! Comme si c’était chose difficile de trouver un endroit pour dormir et de quoi se nourrir !

Après moult palabres je me laissai convaincre, en route pour l’aventure ! C’était en février, il faisait un peu froid et Odette était salement emmitouflée. Comme convenu nous nous mîmes en route tardivement et la traversée de la passerelle fut rendue aisée par les aptitudes de mes amis ailés. Afin d’éviter une mauvaise rencontre nous empruntâmes le petit bois qui jouxte la montée des Chazeaux et résulte de l’éboulement tragique du 13 novembre 1930. Parvenus dans le jardin du Rosaire nous fîmes une halte au lieu déjà évoqué dans un billet précédent et qui donne ce fameux point de vue sur la ville. Nous allâmes ensuite vers le cimetière mais un petit pêché d’orgueil de ma part nous coûta un fâcheux contretemps. Je voulus bien montrer à Odette et George que mes performances physiques n’ont rien à envier à celles de Passe-passe. Voyant le moyen de gravir un haut mur je me fis soudain deux fois bondissant et me retrouvai dans un jardin arboré. Je gardai le cap à l’ouest mais dans la pénombre je vis venir vers moi une silhouette rugissante que je reconnus immédiatement comme appartenant à un chien. Réflexe instantané, je griffai le premier arbre à ma portée et me hissai hors de portée de la bête pour l’observer d’en haut. C’était un chien beige et blanc, très trapu, apparenté bulldog mais probablement mélangé, en tout cas vraiment vociférant. Son vocabulaire était redondant et passablement offensant. Il voulait savoir qui j’étais, d’où je venais et ce que je faisais sur son domaine ; mais il ne me laissait pas en placer une en réponse. Enfin, au bout de longues minutes il a fini par se taire et a arrêté de gesticuler :

– Chien ! Inutile de te mettre dans tous tes états car je ne fais que passer !
– Que tu crois ! Justement j’ai un mot d’ordre : « On ne passe pas ! » Ne sais-tu pas que cette propriété est privée ?
– Ta propriété ?
– Celle dont je suis en charge et qui appartient au grandissime archevêché de Lyon !
– Il m’est d’avis que ton sens de l’hospitalité a quelque chose de pas très catholique.
– Cette hospitalité dont tu parles ne s’adresse pas aux parasites ! Ce qui exclut d’emblée tous les chats de ce monde.
– Je ne suis pas un parasite.
– Oh que si ! Comme tous ceux de ta race ! Tu ne fais rien ! Tu ne sers à rien ! Tu manges et tu dors ! Un parasite, ni plus ni moins !
– Pour ta gouverne sache que je sers beaucoup !
– Oh ! oh ! De mieux en mieux ! Dois-je comprendre que monsieur se sent partie prenante à l’avancée du monde.
– Je n’ai certes pas dit cha mais enfin… j’ai de bonnes raisons de croire que mon utilité vaut bien la tienne.
– Oh ! oh ! Moi monsieur, j’appréhende, je vilipende, je réprimande ; je garde, je nasarde, je larde ; je veille, je surveille, j’éveille ; je guette, j’enquête, j’alerte ; je lorgne, je grogne, je cogne ; je renifle, je niche, je griffe ; j’appâte, je frappe, je mate ; toutes choses pour lesquelles je ne demande que deux rations par jour et une paillasse pour mon repos. Je mérite ma pitance moi monsieur ! Tandis que toi tu passes tes journées sur un canapé à attendre qu’on remplisse la gamelle dont on te fait grâce et dont tu ne te satisfais guère car bien sûr tu ne sais rien faire mais critique tout.
– Pour ta gouverne chache que je suis de gouttière et par force je n’attends rien de personne.
– Oh ! oh ! Nous y voilà ! Un beau spécimen de chat de gouttière ! Un exterminateur de muridés, famille qui à mon avis, bien que parasitaire dans son intégralité, vaut cent fois la tienne.
– Tu fais bien de rappeler que grâce à nous les humains se trouvent bienheureux d’apaiser l’une de leurs plus improbables phobies. Cependant moi-même je ne chasse qu’en ultime recours.
– Autrement dit ton unique moyen de subsistance est le vol !
– Je ne suis pas un voleur mais un glaneur !

– Voyez-vous ça ? Un de ses félins maléfiques qui sèment la pagaille dans les locaux à poubelles ! Pas de quoi se vanter ! Les glaneurs sont à l’égal des voleurs depuis la nuit des temps. Il en allait déjà ainsi lorsque le gros des habitants de ce pays s’occupait à cultiver la terre. Alors les gens bien au fait des cycles de la nature, savaient lui retourner le minimum vital. Je parle en connaissance de cause car ici nous avons un potager qui attise bien des convoitises. Le glaneur… prenons l’exemple d’un lapin glaneur ; le glaneur donc, s’autorise à penser que s’il reste une salade après le passage du propriétaire du potager cette salade lui est due. Quid de l’humus ? Quid du terreau fertile ? Quid des minéraux ? Vois-tu, l’humain est dans sa majorité bête comme chat, cette majorité qu’on appelle le peuple a engendré bien des glaneurs inconséquents qui, par le besoin d’avoir tout, tout de suite et gratuitement, ont appauvri les sols et compromis les récoltes des années suivantes. Voilà pourquoi le glaneur est à l’égal des voleurs et des braconniers, ceux-là même qui, si on les laissait faire, décimeraient la faune d’un domaine en moins d’une génération. Ne sais-tu pas que si Dieu n’avait pas donné pouvoir à la noblesse et au clergé d’administrer les domaines, ce pays ne serait plus qu’une large steppe déboisée ? Ne sais-tu pas que si la chasse ne leur avait pas été réservée dans bien des forêts qui subsistent, il n’y aurait plus en France ni cerf, ni sanglier, ni renard et j’en passe ? Toi chat, tu es comme ce vil peuple : stupide et imprévoyant ! Glaneur égal voleur !
– Théorie défendable. Mais permets-moi la défense d’une autre ! La mienne parle d’un homme de ce peuple si bien accroché à la terre qu’il a une petite idée de la façon dont on lui parle. De la vue d’un nuage il vous prédit le temps qu’il fera demain, d’un coup de froid au printemps il en déduit l’été à venir. Il a son compost, son fumier, sa chaux. Il sait l’assolement et la jachère. Oh ! certes il ne connaît pas tout ce qu’il y aurait à connaître, il est simplement en phase avec le savoir de son pays, de son époque. Sur la terre qu’il cultive s’élèvent un château, un monastère, passent des soldats, des hommes en prière. Les uns ont fait vœu de pauvreté, les autres pas, mais les premiers mangent bien autant que les seconds, ils mangent de plus en plus. La récolte a été mauvaise ? Qu’importe si le droit du métayage dit ce qu’il dit, on accuse le paysan d’en avoir gardé sous le coude. Le métayage devient de fait un fermage, mais un fermage de spoliation de l’exploitant. Le paysan va mourir de faim. Qu’il veuille s’expatrier, c’est plein de barrages sur les chemins. Qu’il veuille manger un lièvre, on lui interdit de poser ses pièges. Il n’a dès lors d’autres choix que de retourner la terre en quête de la dernière patate, ou bien il s’en va braconner à ses risques et périls. De toute façon le paysan ne fait pas de vieux os.
– Tais-toi donc imbécile !
– Va au diable ! Qui de nous deux est le plus stupide en évoquant ainsi des temps immémoriaux ? Le glaneur n’était pas un voleur hier et l’est moins encore aujourd’hui où trente pour cent de ce qui sort de terre va à vau-l’eau. Pardonne la faiblesse de la métaphore mais l’Eve du 21ème siècle ne se serait jamais rendue coupable du péché originel avec une pomme précédant l’ère de l’homme. Pas assez brillante, trop peu uniforme, tachée… aujourd’hui Eve est du genre délicafoireux !
– A d’autres manant ! Je…

A cet instant Odette, qui tout comme George ne s’était pas signalée depuis mon entrée dans le jardin, a fait irruption dans toute sa luminosité, s’est plantée devant le museau du chien et a hurlé :

– Ferme ta gueule cabot !

Le chien a fait un bond en arrière, surpris par la manœuvre et la présence d’un être qu’il n’avait sûrement jamais eu le loisir de rencontrer. Cependant, de par son métier de gardien il n’était pas facile à effrayer et s’est vite ressaisi. Il a repris le terrain concédé dans une vaine tentative d’attraper Odette entre ses crocs. Peine perdue, cette fée, agile comme une hirondelle, savait se tenir juste hors de portée de son assaillant, ce qui naturellement a eu le don de l’énerver. Mon contradicteur s’est démené, a sauté en l’air tant et tant qu’il a fini par se fatiguer et en a pris son parti. Il s’est accroupi au pied de l’arbre dans lequel j’avais grimpé et a décidé qu’il avait tout son temps :

– Soit. Puisque la fée me prend de haut j’attendrai ici que toi le chat, tiraillé par le froid et la faim, tu redeviennes plus terre à terre.
– Et puis ?
– Et puis je te rosserai !
– Pourquoi ?
– Pourquoi pas ?
– Pff ! Idiot de clebs ! On a des choses à faire nous ! Laisse-le descendre !
– George ? George t’es là ?
– Au-dessus de toi !
– Je crois que j’ai besoin de ton aide.
– I know but… C’est molosse anglais ce chien-là. Veux-tu que j’aille chercher les pigeons ?
– Sûrement pas ! Je ne veux pas leur être redevable.

J’ai regardé le chien en espérant déceler en lui les signes d’un endormissement à venir. Il avait l’air à nouveau en pleine forme et m’a souri très ironiquement. Quelques minutes ont passé dans un grand silence durant lequel chacun de nous réfléchissait à une solution. Soudain deux chats sont apparus dans le jardin et se sont avancés tranquillement.
– Alors Grumpy ! Encore en train de torturer l’un de nos hôtes ?
– De une, ce n’est pas notre hôte mais un intrus ! De deux : mêlez-vous de vos oignons !
– De trois : devine qui a actuellement les pattes dans ton assiette de pâtes ?
– Nom d’un chat !

Grumpy est parti en courant vers le bâtiment le plus proche et je ne me suis pas fait prier pour sauter de mon perchoir. Je m’apprêtais à tracer vers l’ouest quand l’un mes deux congénères m’a interpellé :

– Habebimus Papam ?
– Quoi ?
– Aurons-nous un pape ?
– Qui ? Nous les chats ? Le même que les humains non ?
– Benoît XVI a démissionné.
– Ah bon ? Je l’ignorais, pourtant je suis assez chavant mais j’éprouve en ce moment quelques difficultés d’accès à mes médias.
– La question est : « Avait-il le droit de le faire ? ». Je veux dire… au regard de la communauté des croyants.
– Je l’ignore et n’entends pas attendre le retour du crétin canin pour l’apprendre.
– Oh ! ne vous en faites pas trop pour cha ! Il est tout en bouche. Si vous êtes dans les parages dans deux heures, joignez-vous à nous pour les mâtines.
– J’y penserai… Mais au cas où… adieu !

Je ne traînai pas, courrai à travers le potager suivant les indications d’Odette, passai un mur, un nouveau jardin arboré, pris par la gauche d’un hospice, revins sur ma droite, traversai un terrain de sport, une rue déserte, sautai sur un muret : le cimetière de Loyasse ! Vous voudriez sûrement savoir ce que j’y vis. Eh bien soyez un peu patients car je vous le dirai dans une prochaine aventure.

Darwin.

3 octobre 2015

Odette

Chalut.

Vous avez sûrement l’impression que je vous abreuve de messages. Cependant n’en prenez pas trop l’habitude, j’aurai des périodes moins fastes. Puisque je vous ai déjà présenté certaines de mes connaissances, il est temps de vous parler un peu de quelqu’un (si je puis dire) qui est entré dans ma vie et semble décidé à y prendre une certaine place quand bien même je ne voudrais la lui concéder. Vous vous dites peut-être que c’est exactement ce qui se passe entre vous et moi mais ce n’est pas très honnête de votre part dans la mesure où vous restez libre de ne pas lire mon blog. J’aime bien les êtres honnêtes alors tenez-le vous pour dit !

Il était Noël et comme il faisait anormalement chaud, je décidai de piquer un petit roupillon de trois ou quatre heures sur une cheminée du toit. J’étais serein et m’endormais d’un bienheureux sommeil. Je croyais m’éveiller de moi-même, à la manière dont j’aime pouvoir le faire, en sortant doucement du sommeil et en prenant tout mon temps avant d’ouvrir les yeux. Mais dans le flou d’un esprit passant du rêve à la réalité, de prime abord je ne me rendis pas compte du caractère forcé de cet éveil. Mes moustaches avaient frémi, un vent fort y suffit parfois, je ne m’inquiétai pas. Soudain je sentis une présence, puis un léger choc derrière mon oreille droite, j’ouvrai l’œil gauche, puis le droit, regardai tout autour de moi, rien. Je décidai de rêvasser encore un peu et refermai les yeux. Il ne s’écoula pas deux minutes avant qu’on ne me frappe légèrement le museau.

– Debout matou !

Elle était là ! Juste devant moi ! La fée Odette ! La fée d’Andrea, exactement comme la décrite petit bonhomme (dans le livre que vous n’avez pas lu) hormis dans ses attributs vestimentaires et ailés. Elle n’était pas en turquoise et crème mais aux couleurs de Lyon, portant un léger pull raz du cou blanc, des bottines à l’unisson, un bermuda bleu par-dessus collants rouges. Ses ailes étaient nervurées rouges et bleues autour de cellules blanches également. Je la regardai très étonné tandis qu’elle me fixait avec un petit sourire malicieux.

– Quel dormeur tu fais matou !

Je ne répondis pas.

– Qu’est-ce qui a des bottes, une moustache et ne sait pas dire non ?
– Oublie cha ! Je la connais déjà.
– Eh bien il fallait faire semblant de ne pas la connaître !
– Pourquoi ?
– Par politesse gros tas de poils !
– Ce n’est pas cha la politesse.
– Qu’en sais-tu l’impoli ?
– Je ne suis pas impoli.
– Bien sûr que si monsieur sans gêne ! Monsieur je visite tous les appartements même quand on ne m’a pas invité !
– Je ne les visite pas tous.
– Pas tous c’est déjà trop ! Alors comme ça tu es un chat chavant ?
– Parfaitement.
– Pfff. T’es chavant autant que moi je suis féeline ! Ecrire ne fait pas de toi un érudit.
– Tu m’espionnes ?
– Possiblement matou !

Durant ce petit dialogue elle s’était tenue suspendue devant moi. A cet instant elle m’a tourné brusquement le dos, a cessé de battre des ailes pour sauter sur le sommet du toit, a tiré un ruban bleu et un ruban rouge des poches de son bermuda, et s’en est allée en les agitant de part et d’autre tout en se maintenant en équilibre sur le faîte et en entonnant sa chanson avec un accent gonesque prononcé :

Avant, Avant… Avant
Bougeon bon vivant
Sa dent dîne et ça s’entend
Dans les bouchons de Saint Jean

Avant, Allant… Allant
Lyon militant
Fibre rouge et fil blanc
Mais sur les nappes seulement

Allant, Allons… Allons
Mâchons sur le pont
Grattons la couâne au caillon
Fêtons Noël au cardon

Allons, Ami… Ami
Fais-toi pas souci
Des catolles aux jalousies
La bachole est ben cafie

Ami, A moi… A moi
Les éclats de voix
Les liens tissés dans la joie
La foi dans un verre à soi
A boire, A boire… A boire
Entre Saône et Loire
Tout le sang de ce terroir
Gamay noir boule au trottoir
A boire ! A boire ! A boire !

Ah ! elle avait l’air d’avoir son caractère et j’étais assez satisfait de la voir partir. Cependant, comme je vous l’ai dit, elle n’entendait pas me laisser tranquille et s’évertue depuis à débarquer sans crier gare. La seconde fois que je l’ai vue j’étais avec George et il en fut très étonné car si nous côtoyons souvent les fantômes, c’est bien la première fée qui nous apparaît. Cette nouvelle apparition fut toute en délicatesse comme vous pourrez en juger :

– Salut la rieuse et le dingue ! Tudjuuuu !
– Voilà autre chose !
– Relax Max ! C’est juste qu’avec vos gueules vous me faites penser à Gaston !
– Gaston ?
– Gaston !… Gaston Lagaffe duo d’idiots ! Ne me dites pas que vous ne connaissez pas Gaston Lagaffe !
– Ben non !
– Jamais entendu ce nom-là.
– Pfff ! Et ça se prétend chavant !

J’ai depuis eu un petit aperçu de ce Gaston sur l’1 Terre-nette. Voyez le niveau culturel dans lequel on s’embarque.

Darwin.

3 octobre 2015

George Le Mouet

Chalut.

Quand George vint me voir j'étais en train de prendre un petit bain de soleil sur le toit. George se posa de manière à ce que son ombre couvre mon visage, ce qui naturellement me poussa à ouvrir l'œil. Notez que l'expression me convient assez bien car, hormis lorsqu'un danger manifeste se manifeste et étant d'avis que tout effort superflu est superflu, j'ouvre rarement les deux yeux en même temps au sortir d'une somnolence. J'ouvris l'œil donc, le gauche, et je vis George le Mouet, l'air rieur :

– Il paraît que tu veux me parler Darwin. C'est bien Darwin, isn't it ?

Je refermai l'œil gauche tout en lui répondant :

– Rien ne presse.

Je me rendormais presque aussitôt. J'ignore s'il s'écoula une minute, ou dix, ou bien même vingt secondes, la mesure de la patience de George m'échappant totalement sur le coup. Quoi qu'il en fut, je sentis une pression au niveau de ma colonne vertébrale tandis que George faisait valoir son droit à audience :
– Hey ! Wake up !

Je me redressai lentement sur mes pattes, m'étirai de tout mon long, bâillai à m'en décrocher la mâchoire, j'avais enfin les yeux en face des trous.

– Vilaine entrée en matière George.
– Chat ! Mon temps n'est pas si précieux que le tien mais ce n'est peut-être qu'une question d'unité de mesure.
– Remballe tes pouces et tes yards George ! Et ne viens surtout pas me dire que les chats ont plus d'une vie !
– Autant ne pas la passer à dormir.
– Autant la passer à faire ce qu'on aime.
– Certes. Que veux-tu ?
– Rien de spécial. Je crois simplement que nous sommes faits pour nous entendre.
– Hum... Possible. Si tu es aussi chavant que tu le prétends, il se pourrait que nous saurons être utile l'un pour l'autre.
– Il se pourrait que je te sois plus utile que Riton.
– Rien n'est moins sûr. En tout cas pas par le même registre.
– Je me demande bien à quoi il peut t'être utile.
– Là je suis déçu de toi Darwin. C'est un pigeon et je suis ici en poste pour la Gull International. L'as-tu déjà oublié ?
– Absolument pas. Cependant je ne vois pas le rapport.
– C'est un pigeon. Un pigeon de patte longue. De toi à moi, le meilleur intermédiaire jamais eu. Si tu crois que la mouette peut facilement sortir des voyageurs du giron des humains...
– Ah je vois ! Oublie les voyageurs ! J'ai tous les mots de passe de petit bonhomme, et bien d'autres encore, pour accéder à l'1-Terre-nette.
– Qui est petit bonhomme ?
– Peu t'importe. Grâce à lui il te suffit de trouver d'autres chats comme moi à proximité de tes correspondants. Ainsi tu pourras supprimer tous tes pigeons intermédiaires.
– Pourquoi voudrais-je faire cela ?
– Par souci d'efficacité.
– Nous sommes bien assez efficaces. Au profit de qui faudrait-il être plus efficace ?
– Au profit du temps libre.
– Et les pigeons ? Que deviennent-ils dans cela ?
– Ils auront du temps libre aussi.
– Darwin, tu es peut-être chavant mais pas très psychologue. Ce qu'aime le pigeon voyageur c'est être voyageur. Et pigeon voyageur ne voyage pas sans but.
– Oh si tu savais comme les pigeons sont ingrats, tu y réfléchirais à deux fois.
– Ah je vois... Ils sont ingrats... Mais pas les chats... Donc, admettons que nous sommes en affaire ; admettons que je trouve d'autres chats comme toi aux quatre coins du monde et ainsi, n'ayant plus recours aux pigeons voyageurs, la Gull International perd tout contact avec ce réseau-là. Que se passera-t-il le jour où les chats diront qu'ils ne veulent plus transmettre nos messages ?
– Pourquoi les chats feraient cela ?
– Parce que les pigeons disent que les chats sont ingrats. Et d'ailleurs pas que les pigeons disent cela, les chiens aussi.
– Les chiens ? Ben voyons.
– Bon, disons que les chiens comptent pas. Mais que dis-tu de cela ? Les humains pensent que les chats sont ingrats.
– Les humains pensent cela ?
– C'est notoriété publique.
– Tu dis peut-être vrai mais tu oublies une chose, c'est qu'il y a plusieurs sortes de chats ; les chats d'appartement, les chats de maison, les chats de ferme, les chats sauvages, les chats de gouttière... Si les chats d'appartements sont ingrats alors les chats de gouttière, qui sont tout leur inverse, ne le sont pas ! Et toc !
– Hum... ça se tient. Cependant je n'entends pas oublier mes pigeons voyageurs. Je n'ai guère besoin de toi pour mon travail mais... c'est grand comment dans ta sous-pente ? J'aimerais rassembler mes affaires dans un coin sec et sûr.
– Pour sûr c'est sec et sûr. Et ça doit bien faire six yards de long pour douze pieds de large.

Je me demandais tout de même ce qu'il entendait par « mes affaires ». En réalité un fatras de bout de crayons et de morceaux de papiers qu'il ramena de je ne sais où en plusieurs voyages. Ainsi commença notre cohabitation et bien que les allers et venues de George perturbent parfois mon sommeil, je dois admettre que j'y ai trouvé mon compte. Il m'est très utile pour l'écriture. J'ai moi-même une incapacité chronique à utiliser un stylo bien que je puisse tracer des semblants de lettres en tenant un petit crayon en bouche. Je m'en sors mieux avec les ordinateurs, surtout avec celui du maître d'un chat domestique avec lequel je suis en affaire et dont je vous parlerai peut-être un jour. Toujours est-il que j'ai un accès par une chatière à un appartement et ses outils bureautiques. Vous voudriez sûrement savoir comment on appelle un texte imprimé par un chat. Ce n'est donc point un manuscrit, serait-ce un tapuscrit ? Que nenni, c'est un pattuscrit ! Cependant, depuis que George a réussi à me rejoindre dans l'appartement en passant par une fenêtre ouverte, je me suis rendu compte que j'étais d'une lenteur affligeante par rapport à lui. Je chavais que certains oiseaux avaient une certaine dextérité dans l'usage de leur tête, mais croyez-moi, ce Mouet-là dépasse l'entendement.

Darwin.

3 octobre 2015

Evasive invasion

Chalut.

 

Vous voudriez sûrement savoir ce qu’il advint après ma première rencontre avec George le Mouet ; je m’empresse donc de vous le conter. Je rentrai dans ma sous-pente (je dors assez souvent sous le toit) et il vous faut savoir qu’il y a une fine cloison qui me sépare d’une autre sous-pente où niche quelques pigeons que je fréquente à l’occasion et dont aucune discussion ne m’échappe. Je dois dire que j’avais un peu la flemme et que j’aurais bien pu garder les yeux fermés une quinzaine d’heures si je ne m’étais trouvé éveillé par un bruyant conciliabule peu avant midi. Je tendis l’oreille et compris rapidement que les pigeons n’étaient pas seuls. Le sujet de la discussion ne m’échappa pas non plus très longtemps, il était question du passage des mouettes et celui-ci semblait avoir semé un peu le trouble chez les oiseaux du cru. Quelques voix m’étaient connues mais je vous fais simplement part de la discussion telle que je l’entendis :

– Moi je dis qu’on ne peut pas laisser faire ça ! Voilà ce que je dis !

– Ne cédons pas à la panique ! Après tout elles n’ont fait que stationner quelques heures durant !

– Mais elles stationnent toujours quelques heures durant ! Le problème n’est pas là ! Le problème c’est que la première fois elles étaient vingt et que petit à petit, l’air de rien, elles ont dépassé allègrement le millier et dieu seul sait où ça va s’arrêter.

– Moi je dis qu’un jour elles ne feront pas qu’y passer à Lyon ! Voilà ce que je dis !

– Scandaleux !

– Oui ! Elles finiront par nous voler le grain sous le bec !

– N’exagérons rien ! Pour l’instant elles ne font que se nourrir de poissons saturés en PCB et des déchets des humains !

– Eh ben nous aussi on s’en nourrit des déchets des humains ! Et s’il n’y en avait plus assez pour tous ?

– Sérieusement ? Tu t’inquiètes vraiment pour ton estomac ? Toi ? Un moineau ? Vous bouffez à toutes les mangeoires, vous survivrez à tous.

– Et alors ? S’il leur prend l’envie de faire la manche devant le fast-food, je peux y dire adieu à ma ration de frites quotidienne !

– Ne crions pas à l’aigle avant d’avoir vu l’aigle !

– Mais si ! Crions ! Crions avant qu’il ne soit trop tard !

– Moi je dis qu’il faut occuper en nombre les abords des fleuves ! Voilà ce que je dis !

– Quand vous aurez poireauté trois jours dans l’attente d’un passage hypothétique, vous retournerez vite fait à vos occupations.

– Y suffit d’avoir quelques guetteurs qui se relayent en amont et en aval pour donner l’alerte. Pour ça il nous faudrait un escadron rapide. On pourrait demander aux faucons de nous aider.

– Soit… Allez donc le leur demander ! De préférences après leur déjeuner.

 

A cet instant il y eut un blanc d’une trentaine de secondes puis une petite voix aigüe relança la mécanique :

– Déjà qu’avec le réchauffement climatique, rien ne dit que les hirondelles ne finiront pas par passer l’hiver ici.

– Et alors ? En quoi elles te dérangent les hirondelles ? Elles ont un régime alimentaire qui leur est propre.

– Parle pour toi !

– Oui.., enfin tu me comprends. Le jour où elles passeront toute l’année ici c’est que tu pourras gober des mouches toute l’année. L’un dans l’autre ce sera pas plus mal ; t’auras pas l’air de tripler de volume à l’arrivée des mauvais jours. T’as l’air Fat comme ça !

– T’occupes pas de quoi j’ai l’air !

– Vous savez quoi ? Y paraît qu’une escadrille d’oies sauvages a squatté le lac du parc durant deux semaines cet automne ! Où va-t-on ?

– Scandaleux ! Absolument scandaleux !

– Allez donc ! C’est une légende urbaine ton histoire ! Quelle escadrille viendrait se serrer la panse au parc alors qu’il est à vol d’oiseau des milles étang de la Dombes ?

– Et pourquoi qu’elles y vont pas dans les Dombes les mouettes ?

– Qu’est-ce qui te dit qu’elles y vont pas ?

– Oh ! mais là-bas, elles y trouvent à qui parler, c’est sûr ! Y s’y laissent pas envahir les campagnards ! Mais nous, bien sûr, on n’est pas unis !

 

Bien ; vous aurez compris que ce remue-ménage aurait pu durer des heures. Je décidai d’intervenir histoire de retrouver un peu de quiétude, j’allais donc dans l’antre des pigeons. Ces derniers réagirent à peine à mon arrivée, au contraire de la poignée de moineaux qui se trouvaient là et, pris de panique, gagnèrent tant bien que mal la sortie. Un couple de tourterelles rieuses, une pie bavarde, deux geais des chênes et autant de merles noirs me fixèrent un instant avec hostilité avant de sortir un à un par l’ouverture la plus large. Je restai avec cinq pigeons et leur montrait ma mine des mauvais jours :

– Mettez-là un peu en veilleuse ! Je dors !

Ils se jetèrent des petits coups d’œil entendus, je savais bien ce qu’ils pensaient. J’avais d’ailleurs à peine tourné le dos que l’un ne put retenir sa langue :

– Il dort tout le temps de toute façon.

Je revins sur mes pas, non pas tant pour le plaisir de faire comprendre que j’avais très bien entendu mais parce que j’avais quelque chose à dire à celui que je considère un peu comme le chef de la bande :

– Dis donc Riton ! Faudra que je te parle !

– Aucun problème. Reviens quand tu veux.

Je retournai à mon précieux sommeil. Quelques heures plus tard j’étais ragaillardi et traçai direct chez les pigeons. Riton ne s’y trouvait pas mais l’un des siens jabota trois fois et Riton rappliqua peu après. Je l’entraînai sur le toit histoire d’avoir une conversation plus personnelle :

– Alors Riton, te voilà devenu avocat d’une bande de mouettes ?

– Bah…, tu sais comment certains ont tendance à paniquer pour rien.

– Oui je sais, je sais… Mais surtout je te connais un peu trop bien pour croire que tout cela est tout à fait désintéressé.

– Où veux-tu en venir ?

– T’as des billes chez les mouettes ?

– Pas précisément.

– George le Mouet, cha te dit quelque chose ?

– George ça me dit. Le Mouet j’imagine que c’est une invention de ta part.

– Bien ! C’est tout ce que je voulais savoir. Trouve-le et dis-lui que j’aimerais le voir !

 

Riton n’ayant eu aucun mal à transmettre mon message, la prochaine fois je vous parlerai donc de l’entretien que j’eus avec George.

 

Darwin.

3 octobre 2015

L'envol des mouettes.

Chalut.

Il est grand temps que je vous parle un peu plus en détail de George le Mouet. Voici comment je vins à le rencontrer. Comme je vous le contais dernièrement, il se trouve un endroit sur les quais qui nous est relativement accessible quoique je ne m’y risquerais pas seul. Je dois dire qu’une fois admiré le pont moche, je ne pensais pas y avoir grand-chose à faire. Mais un beau soir Burbulle vint me trouver dans un état d’excitation avancé et arguant qu’il me fallait le suivre car je ne pouvais pas « rater cha. » Il ne daigna pas m’en dire plus et je le suivis non sans rechigner un peu. Comme lors de l’expédition à la place du Pont nous empruntâmes tout d’abord la rue Emile Zola avant de traverser une partie de la place Bellecour dans sa diagonale et passer devant la grande poste. Il était plus de trois heures, une nuit de semaine, nous étions assez tranquilles. Chemin faisant, et voyant la direction que Burbulle prenait, je me disais que le pont moche s’était peut-être abousé à son tour dans le fleuve et qu’effectivement le spectacle se pouvait être saisissant. En passant sur la trémie je compris qu’il ne s’agissait pas de cela ; un brouhaha de conciliabules vint à mes tympans juste avant que je ne découvre cet alignement inouï d’oiseaux blancs aux ailes grises sur le muret du quai. Il y en avait des centaines, sans mentir, et d’où j’étais ma vue de chat ne suffisait pas à en embrasser la fin ni le début. Cela allait peut-être de Perrache à la Croix Rousse, qu’en savais-je ? Une armée de mouettes venues du sud et bavardes comme des pies. Elles jacassaient les unes avec les autres, les unes à propos des autres, avec leur accent chantant de Marseille. Au milieu de tout cela j’en vis quelques-unes en grande discussion avec Passe-passe et P’tit Gris. Burbulle et moi nous approchâmes et Passe-passe m’accueillit en ces termes :
– Alors gone ! C’est t’y pas des beaux zoiseaux ?
Certes, de très beaux oiseaux, mais j’en avais le tournis rien que de les entendre. Quelques-uns de ces oiseaux me regardaient tout en se parlant entre eux ou en m’interrogeant. Je distinguai des morceaux de phrases par-ci par-là : « …autre chat. », «…tu t’appelles ? », « … complet ! » Je m’assis face au muret pour entamer une discussion avec deux de ces énergumènes :
– Que faites-vous là oiseaux ?
– On attend !
– Vous attendez quoi ?
– De redescendre vers la méditerranée.
– Et vous redescendez quand ?
– Dès que le vent du nord arrive.
– Et s’il n’arrive pas ?
– On peut faire sans lui mais crois-moi, il arrive ! Ce n’est plus qu’une question de minutes.
A cet instant une mouette venant du sud en rase-mottes passa par-dessus nos têtes en criant :
– Fada en approche ! Fada en approche !
Il y eut dès lors un drôle de manège. En aval des dizaines de mouettes prenaient leur envol tandis qu’un humain venait vers nous en promenant sa main sur le muret. Sitôt l’humain passé, les mouettes envolées revenaient se poser à la place qu’elles occupaient auparavant (pour autant que je pouvais en juger). J’étais quelque peu sidéré par ce spectacle et l’humain s’approchait nonchalamment mais inexorablement. Voyant que je ne bougeais pas, Burbulle finit par passer à mes côtés en prenant bien soin de me bousculer : « Barre-toi de là Darwin ! » Je retrouvai mes esprits et partis me cacher avec lui et P’tit Gris derrière le muret surplombant la trémie. L’humain passa son chemin, nous retournâmes à nos mouettes, admirant au passage l’agilité de Passe-passe descendant du platane dans lequel il était monté. Je demandai à mes interlocutrices… notez que selon ma logique orthographique, le féminin doit l’emporter dans ce cas-là car l’on dit « des mouettes », sauf s’il est acquis que l’ensemble n’est constitué que de mâles et je dois vous avouer que je n’étais pas en mesure d’affirmer quoi que ce soit concernant leur genre. Je demandai donc à mes interlocutrices pourquoi un si imposant groupe se laissait déranger par un seul humain.
– Eh bien, si la première sur sa route ne faisait pas place nette, elle aurait toutes les chances de prendre un vilain coup. L’effet domino fait le reste.
– Moi je crois plutôt que cet homme se garderait bien de balader son bras ainsi si la première des mouettes ne s’ôtait pas de sa route. Et s’il le faisait, vous auriez tôt fait de lui en passer l’envie, une seule d’entre vous étant assez armée pour le faire fuir et l’ensemble apte à le mettre en charpie sans coup férir.
– Certes… Mais qui voudrait se mettre à dos la race des hommes ?
C’était juste et cependant je ne pouvais m’empêcher de penser qu’il y avait une anomalie à cet état de fait. Juste un peu après une autre mouette venant en rase-mottes, mais cette fois en provenance du pont de la Guillotière hurla son information :
– Vent du nord ! Vent du nord !

Un majestueux envol s’ensuivit, l’une après l’autre les mouettes sautèrent du muret pour s’en aller former un nuage gris-blanc par-dessus le lit du fleuve. Nous admirâmes le spectacle le plus longtemps possible. Ce n’était que cris de joie et excitation. Quand le calme fut venu nous nous rendîmes compte que Passe-passe avait tracé sa route et qu’une mouette était restée sur le muret, une seule, à une cinquantaine de mètres de nous. Nous marchâmes jusqu’à elle et Burbulle engagea la discussion :
– Pourquoi ne t’envoles-tu pas ? Tu es blessée ?
– Well ! I’ m as healty as I could possibly be, I guess.
– Plait-il ?
Alors en français mais avec un méchant accent d’outre-manche :
– Je dis je suis en parfait santé ! Et vous même Sir ?
– Chat va chat vient. English ?
– Yes Sir ! Racist ?
– Pas plus que ça.
– Perfect ! Je suis George ! Sans s à la fin.
– George ? Très bien George. Moi c’est Burbulle et les deux frangins là, c’est P’tit Gris et Darwin.
– Enchanté.
– Pareillement. Alors comme ça tu joues les solitaires.
– No, je suis en poste ici.
– En poste ?
– En poste pour la Gull International. Je suis agent de négociation et de transmission pour les vols intérieurs.
– Et cha consiste en quoi ?
– A s’assurer que nos nuées peuvent passer et se ravitailler sans trop de souci. Je fournis même parfois des droits d’établissement, mais pour l’heure au compte-goutte et surtout à celles trop fatiguées pour voyager.
– Et c’est intéressant ?
– C’est le business. Et vous-même ? Vous faites quoi ?
– Nous ? Rien de spécial, comme tout chat qui se respecte. Darwin se prétend chavant mais on ne voit pas trop à quoi ça lui sert.
George le Mouet me fixa un instant avant de répondre en gentleman :
– Vrai qu’il a l’air assez chavant.

George nous fit la discussion cinq minutes, avant de prétendre avoir un rapport à transmettre. Il nous laissa en plan mais l’histoire ne s’arrête pas là car j’eus l’occasion de le retrouver peu après. Vous voudriez sûrement savoir comment mais je vous le conterai dans un prochain épisode.

Darwin.

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Darwin Le Chat
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