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Darwin Le Chat
23 septembre 2020

Un chat si photo gêné.

Lyon 23 septembre 2020


Chalut !

Depuis que nous sommes revenus de notre séjour d’été à Loyasse, nous avons constaté que presque tous les humains de Lyon sont masqués, ce qui est normal me direz-vous puisque c’est la loi et qu’ils ont sûrement peur d’être reconfinés. Cette histoire semble poser quelques problèmes à la fée Odette. Je venais à peine de commencer cette lettre quand elle s’est mise à bondir sur le canapé, réveillant au passage ce pauvre Grabel qui n’avait rien demandé :
– Non mais regarde-moi ça Darwin ! C’est quand même exagéré là !
– Quoi ?
– Ils obligent les gamins de six ans à porter un masque !
– Qui cha ?
– Les italiens !
– C’est sûrement pour qu’ils ne tombent pas malades !
– Ils ne tombent pas malades ! Ils sont asymptomatiques ! Non mais viens voir ça !
– Je suis occupé Odette !
– Viens voir je te dis ! Ils vont les traumatiser avec leurs mesures d’hygiène ! C’est abusé quand même. Ils vont se désinfecter les mains combien de fois par jour ?
– Tu devrais voir le bon côté des choses, ils ne vont plus se refiler de maladies du tout !
– Sauf une ou deux Darwin !
– Lesquelles par exemple ?
– Une nouvelle maladie qui finira par apparaître… genre… la maladie des mains propres ! Ou alors des affections respiratoires liées au port de masques bourrés de produits chimiques ! Tiens ! Ça m’étonnerait à peine ! En plus du fait qu’ils finiront tous traumatisés parce qu’on leur met dans le crâne une menace fantôme.
– Elle n’est pas fantôme ! Elle a tué un million de personnes !
– Et combien d’enfants ?
– Je l’ignore. Quelques-uns en tout cas !
– Moins que les vacances en tout cas !
– D’accord. Mais comme les enfants comprennent tout, ils comprennent bien que ce n’est pas eux qu’on protège mais leurs professeurs, leurs parents et leurs grands-parents.
– Ils n’avaient qu’à fournir des scaphandres aux instituteurs au lieu de mettre des masques aux gamins !
– Hum.
– Tu sais ce qu’ils ont fait les italiens ?
– Oui. Tu viens de le dire ! Ils ont mis des masques aux gamins.
– Non mais en plus de ça !
– Dis-moi.
– Ils ont pris tous les doubles-pupitres et ils les ont jetés par la fenêtre pour les remplacer par des pupitres simples.
– Oh ?
– Mais oui Darwin ! Juste pour pouvoir séparer d’un mètre tous les élèves ! Hop ! Par la fenêtre les pupitres !
– Par la fenêtre ? Pourquoi par la fenêtre ?
– Parce que dans la cour ils ont mis des bulldozers pour écraser les pupitres doubles et des pelles mécaniques pour charger les débris dans des camions direction la décharge.
– Oh ? Tu bluffes là ?
– Non ! Je l’ai vu de mes propres yeux !
– Mais alors ? Quand ils auront trouvé un vaccin… ils ne pourront pas remettre les pupitres doubles ?
– Pas de retour en arrière Darwin ! Un monde froid, distant et lisse ! C’est ça le futur des gamins qui naissent aujourd’hui ! Tout doit pouvoir être désinfecté ! Ils ont tout jeté ! Les dessins sur les murs, les constructions en carton, tout !
– Les dessins sur les murs ont le covid ?
– D’après les italiens oui !
– Ah oui… Gravement traumatisés quand même !
– C’est surtout parce qu’au début toute l’Europe les a pris pour des idiots incapables ! Alors ils se font un point d’honneur à être le pays où l’épidémie ne connaîtra pas de seconde vague !
– Vu sous cet angle, ils ont de bonnes chances d’y parvenir.
– Certes… Mais ils vont traumatiser leurs gosses.
– Tu sais Odette… finalement moi je crois que le masque est un moindre mal. Si c’est le meilleur moyen de freiner l’épidémie en attendant le vaccin, je ne crois pas que ce sera un traumatisme très durable.
– Il ne suffit pas de traumatiser les gosses pour empêcher le virus de circuler. Est-ce que tu sais qu’à Lyon il y a des lieux publics où le non-port du masque est toléré ?
– Dans les églises ?
– Non. Cherche encore !
– Les mosquées ?
– Qu’est-ce que t’es con Darwin ! Non ! Les bars et les restaurants !
– Ah ben oui ! Fatalement. C’est pas facile de manger avec un masque.
– Sauf que les gens dans les bars passent beaucoup plus de temps à discuter qu’à porter leur verre à leur bouche. Sauf les vrais alcoolos bien sûr.
– Eh bien ? Que suggères-tu ?
– Je me demande juste pourquoi les gens ne remettent par leur masque entre deux gorgées.
– Soit parce que c’est un peu difficile à mettre en œuvre, soit parce qu’ils sont bien contents d’avoir trouvé un endroit où le non-port du masque est autorisé.
– C’est bien cela que je trouve absurde. On emmerde les gamins de 6 ans et…
– Pas en France Odette. Le masque est obligatoire au collège.
– Si tu veux… Donc on emmerde les enfants de onze ans mais on laisse les personnes à risque se serrer les unes contre les autres dans des restaurants…
– Elles ne sont pas serrées les uns contre les autres puisqu’ils ont espacé les tables pour faire de la distanciation !
– La prochaine fois que tu fais une course sur ton parcours de suicidaire, arrête-toi pour jeter un œil au bar sur la place ! Tu me diras où est la distanciation sociale ? Il n’a rien de changé par rapport à l’an passé !
– Peut-être mais bon… La police ne peut pas tout contrôler !
– Non effectivement… C’est plus simple pour elle de repérer un papy qui se balade sans masque dans la rue à 6h du mat alors qu’il n’y a pas un chat pour risquer de le contaminer.
– Pas un chat, surtout si papy promène son chien.
– Là où je veux en venir c’est qu’on fait porter le masque aux gens qui marchent et au pire ne font que se croiser mais là où ils stationnent on leur donne toute latitude de se postillonner à la gueule. Et en plus, comme il fait aussi chaud qu’en août, ces cons de tenanciers aspergent leurs clients avec des microgouttelettes alors qu’on nous répète à l’envi depuis des mois que ce virus adore les microgouttelettes. On se demande vraiment s’ils veulent le contrôler ce virus.
– Si si, ils veulent. Mais vouloir n’est pas pouvoir malgré ce qu’en dit le dicton. Comment par exemple empêcher le voisin du deuxième de transformer son appartement en discothèque pour palier la fermeture des discothèques ?
– Ah ben tiens, t’as raison ! Encore un bon exemple du fait qu’on a décidé de tout faire pour emmerder les enfants mais qu’on laisse ces couillons d’adultes répandre le virus ! C’est vraiment n’importe quoi !
– Les jeunes adultes sont censés assumer leurs responsabilités, pas les enfants, Odette.
– Et s’il y a un reconfinement, qui va encore être privé d’une éducation scolaire normale ? Les enfants ! C’est dégueulasse !
– S’il y a un reconfinement moi je serai bien content ! J’ai encore plein de choses à visiter.
– Tu ne penses qu’à toi !
– Toi aussi tu l’as bien aimé le confinement ! Ne dis pas le contraire !
– Là n’est pas la question ! Mais tu feras moins le malin si la prochaine grippe virulente est une grippe du chat qui se transmet à l’homme ! Ils demanderont aux gens de tuer leur chat !
– Les gens n’accepteront sûrement pas de tuer leur chat… sauf les chinois qui ont de la place dans leur congélateur, peut-être.
– Alors les chats devront porter un masque ! Tu voudrais porter un masque Darwin ?
– Jamais de la vie !
– Dis donc Darwin ! Tu n’es pas très collaboratif ! On met bien des œillères aux chevaux et ceux-ci ne disent rien, tout comme les vaches s’accommodent de cloches énormes qui font un bruit qui doit être difficilement supportable. Si tu penses qu’un masque est un moindre mal pour des enfants de six ans, alors ça l’est aussi sûrement pour un chaton !
– Peut-être mais moi je suis un chat de gouttière alors je ne porte ni masque, ni bonnet, ni chaussettes !
– Tu ferais bien de porter un collier tiens ! Je t’ai déjà dit cent fois que ça te rendrait moins suspect et pourrait t’éviter de graves ennuis !
– Redis-le mille fois de plus si tu veux ! Pas de collier !
– Pas de collier ! Pas de photos ! Pas de puce électronique ! Je te l’ai déjà dit que les humains t’avaient dans le collimateur Darwin ! Un de ces quatre tu vas moins faire le malin !

Là il est nécessaire que je vous explique à quoi Odette a fait référence. Il s’agit d’une histoire qui s’est passée le lendemain de notre retour de nos vacances d’été tandis que Grabel et moi racontions aux pigeons ce que nous avions fait durant les quelques semaines passées dans et autour du cimetière de Loyasse. Cette histoire que je vais vous raconter, je ne sais toujours pas si c’est une blague qu’elle m’a fait ou si c’est vrai. Toujours est-il qu’elle nous a interrompus en pleine discussion, comme à son habitude :
– Bouh !
– Ah mais zut Odette ! C’est pénible à la fin !
– Revenez les pigeons ! Je voulais juste faire peur à ce gros tas de poils !
– C’est réussi, merci !
– C’était pour te mettre en condition pour ta grande peur à venir !
– Allons bon ! Qu’est-ce que c’est que cette histoire encore ?
– Une histoire à dormir debout ! Ou plutôt les yeux ouverts ! Une histoire à ne plus dormir du tout !
– Quoi ? Qu’est-ce qu’il y a ?
– Il y a ça ! Tu le connais ?
– Mais… C’est moi ?
– Très bien observé Darwin !
– Quand as-tu pris cette photo ?
– Je n’ai pas pris cette photo ! Je l’ai volée ! Et j’en ai volé d’autres figure-toi ! Regarde ça ! Toi ! Toi ! Toi ! Toi et Grabel ! Re-toi et encore toi ! De beaux clichés pris d’en haut ! Photos aériennes Darwin le chat ! Ça t’en mouche un groin hein ?
– Moi tout ce que je crois jusqu’à preuve du contraire, c’est que tu nous photographies en douce ! Dans quel but ? Mystère !
– Je te dis que ces photos ne sont pas de moi !
– Alors de qui sont-elles ?
– C’est écrit au dos vois-tu ? BRNDNP !
– C’est quoi la BRNDNP ?
– Tu connais pas ?
– Non !
– BRNDNP : Brigade de Recherche Numérique pour la Détection des Nuisibles et des Parasites !
– Qu’est-ce que c’est que ce truc ?
– C’est nouveau, ça vient de sortir ! Un truc voulu par le ministre de l’intérieur en personne ! Ils ont attaqué bille en tête et tu es l’un des premiers élus !
– Élu ? Comment cela élu ?
– Tu es fiché comme nuisible ! Pour l’instant tu es sous statut de surveillance ! Il va falloir te débrouiller pour ne pas passer dans la catégorie des nuisibles à éliminer !
– A éliminer ? Comment cela à éliminer ?
– Pas besoin de te faire une autre photo Darwin ! Le drone qui a fait ces clichés pourra facilement être secondé par un drone de combat ! Slash ! Une flèche empoisonnée dans le derrière et tu passeras de vie à trépas sans même t’en apercevoir !
– Mais non !... Non !... Non non !... Je ne suis pas d’accord ! Les humains ne font pas ça ! C’est illégal !
– Pas dans le futur Darwin ! Et le futur a déjà commencé ! Tu en as la preuve en images !
– Tu bluffes Odette ! Les humains ont d’autres chats à fouetter si j’ose dire !
– Quels autres chats que les chats de gouttière ont-ils à fouetter ! Vous êtes comme des passagers clandestins ! Vous n’êtes enregistrés nulle-part donc quand vous faites du bruit et des dégâts, les humains qui en pâtissent ne peuvent pas se plaindre à d’autres humains. C’est pour ça qu’ils vont utiliser les nouvelles possibilités technologiques pour vous surveiller ! C’est le progrès !
– Le progrès ? Quel progrès ? Je ne vois pas du tout quel progrès ça apporte ?
– La surveillance permet d’éviter les nuisances et les humains détestent les nuisances ! Jusqu’ici ils s’en accommodaient par impossibilité de tout contrôler mais grâce aux nouvelles technologies tout devient contrôlable. Pour l’instant le dispositif est en test sur quelques individus, dont toi ! Mais quand la 5G aura été déployée partout, il sera possible d’enregistrer tous les mouvements de tous les chats. Ainsi on saura toujours à chaque instant où se trouve n’importe quel chat !
– N’importe quoi !
– Si je te le dis matou ! Dans les messages qu’on a reçus en provenance de l’univers parallèle tu te rappelles qu’une fois il était question d’un drone-mouche ?
– Oui. Et alors ?
– Alors dans notre univers aussi il y a désormais des drones-mouches ! Si les chats de gouttière refusent de porter un collier électronique pour qu’on sache où ils sont et ce qu’ils font, qu’à cela ne tienne, on affectera un drone-mouche à la surveillance de chaque chat de gouttière. Qu’est-ce que t’en penses Grabel ?
– J’adore manger les mouches ! L’autre fois j’ai presque battu Darwin au concours d’attrape-mouche !
– Ces mouches-là ne se laisseront pas attraper si facilement matous ! Elles voleront à bonne distance de vous mais vous filmeront en permanence. Si vous descendez dans le local poubelles pour y mettre le bazar, le drone signalera à la BRNDNP qu’il faut visionner ces images !
– Donc le reste du temps personne ne verra les images filmées par le drone-mouche ?
– Non mais elles seront tout de même enregistrées dans un immense centre de datas dédié à la surveillance des nuisibles !
– N’importe quoi ! Ils ne vont certainement pas dépenser de l’électricité pour fliquer les chats ! On est en pleine prise de conscience écologique !
– L’écologie les humains n’en ont rien à foutre Darwin le chat ! Ce qu’ils veulent c’est le confort, la facilité, la sécurité et la tranquillité ! Tous les moyens sont dédiés à ces fins-là !
– Si je comprends bien Odette, si un chat attaque un pigeon, le drone-mouche pourra apporter la preuve de son crime ?
– Parfaitement Riton !
Là les pigeons se sont comme sentis pousser des ailes. En tout cas ils étaient bien en joie à l’idée de voir les chats surveillés de près. Odette les a laissés deux minutes baigner dans un bonheur communicatif, chacun y allant de son commentaire sur le plaisir de voir se développer des technologies si réjouissantes. Puis elle les a calmés tout net :
– Dites donc bande d’emplumés ! En dehors des fées, vous en connaissez beaucoup des êtres qui pensent qu’un chat qui tue un pigeon commet un crime ?
– Ben oui ! Les humains ! Du moins les humains raffinés !
– Alors expliquez-moi pourquoi la BRNDNP vous a classés en numéro 3 dans la liste des nuisibles à surveiller de près ?
– En numéro 3 ?
– Oui ! Juste derrière les moustiques et les rats et devant les chats de gouttière !
– Mais c’est pas possible ! On ne fait rien de mal nous !
– C’est vous qui le dites ! Grâce à la technologie vous serez tous surveillés ! A votre place je commencerais à envisager sérieusement un retour à la nature !
– Quoi ? Tu voudrais qu’on aille vivre dans… dans les bois ?
– Si ça vous tente.
– Ah non ! Pas dans les bois ! Avec tous ces sauvages ! Ça va pas la tête !
– Et puis d’abord qui nous dit qu’on ne sera pas surveillés là-bas ?
– Si vous débarrassez le plancher vous avez une bonne chance d’être sortis de la liste des nuisibles. Vous n’aurez qu’à vous installer dans un parc naturel. Après quelques temps vous ferez votre entrée dans la liste des animaux à protéger… une fois que les sauvages vous auront décimés !
– Quoi ? Mais c’est dégueulasse de nous faire ça à nous ! Nous qui sommes si… si…
– Inutiles ?
– Dis donc Odette ! Sur la liste des nuisibles, tu as dit qu’il y avait les moustiques ?
– Numéro 1 parmi les nuisibles ! Mais c’est une liste qui évoluera au gré des circonstances.
– Donc si les mouches finissent par être classés dans cette liste, les humains vont affecter un drone-mouche à la surveillance de chaque mouche ?
– C’est possible !
– J’ignore si c’est possible mais ça paraît plutôt débile comme idée.
– Rien n’est débile du moment que ça rapporte des sous à quelqu’un.
– Ça ne peut rien rapporter du tout de surveiller les mouches ! Réfléchis deux minutes !
– Toi réfléchis deux minutes ! Surveiller les mouches ça permet de savoir qui sont les bonnes mouches et qui sont les mauvaises mouches ! Par exemple la mouche tsé-tsé est une mauvaise mouche à éliminer alors que la mouche du coche est une bonne mouche de très bon conseil dont il faut cultiver l’amitié !
– Tu sais... en général les humains n’aiment pas être dérangés par les insectes...
– Moi non plus !
– Pareil pour moi !
– Bon. Disons que personne n’aime être dérangé par les insectes ! Mais il n’empêche qu’il n’y a pas que les hirondelles qui s’inquiètent de la chute du nombre d’insectes, les humains aussi. Donc je crois qu’il est venu le temps où les humains vont réfléchir longuement avant d’éliminer les mouches ; même les mouches tsé-tsé ! Si ça se trouve les mouches tsé-tsé ont aussi leur rôle dans la chaîne alimentaire !
– Quel romantique tu fais matou ! Même si ce que tu dis n’est pas tout à fait faux. Les pare-brises trop propres sur l’autoroute laissent penser que les colonies d’insectes diminuent mais tu oublies qu’en ce domaine la race des humains se partage en trois catégories : les naturalistes, les jemenfoutistes et les scientistes ! Laissons de côté les jemenfoutistes, donc tous ceux que le rôle des insectes n’intéresse pas ou qui préfèrent de toute façon qu’il n’y ait pas assez d’insectes que trop.
– Définitivement, je ne vois vraiment pas comment il pourrait ne pas y avoir trop d’insectes ! Parole de pigeon !
– Tout à fait ! D’ailleurs moins il y aura d’insectes et moins il y aura d’hirondelles et ça nous fera des vacances ! Pas vrai les chats ?
– Vu sous cet angle…
– OK ! Pas besoin d’apporter une preuve supplémentaire ! Les jemenfoutistes forment le gros des troupes. Reste les naturalistes, aux rangs desquels on doit sûrement compter les hirondelles. Hirondelles empêtrées dans un certain paradoxe : elles militent pour la sauvegarde des colonies d’insectes à seule fin de pouvoir les dévorer tout cru !
– Cette chose-là est bien connue Odette ! Cela s’appelle le dilemme du chasseur ! Je sais ce que c’est, ça me tiraille en permanence.
– Certainement mais le chasseur est un archaïque. Tout ce que n’est pas le scientiste. Et que dit le scientiste ?
– Que dit-il ?
– Il dit : « Les insectes disparaissent ? Pas d’inquiétude ! Vous avez aimé le drone-mouche dédié à la surveillance des mouches ? Eh bien voici le drone-mouche-mouche ! Il ne surveille pas la mouche, il est la mouche ! A quoi sert-il me direz-vous ? Eh bien à faire le nombre ! A part ça celui-là ne sert à rien, preuve que la mouche qu’il remplace ne servait à rien, du moins à aucun intérêt humain hormis les vendeurs d’attrape-mouche. Mais admirez ce modèle de drone-mouche-abeille ! Tout ce que fait une abeille il le fait ; en plus rapide bien sûr ! Sauf qu’il ne pique pas… enfin… ce n’est pas tout à fait exact, il ne pique pas les jemenfoutistes et les scientistes mais il pique les naturalistes. Un genre de piqûre à vous foutre un bourdon d’enfer, il faut savoir ce qu’on veut dans la vie ! »
– J’ai une question Odette ?
– Oui Banofee ?
– Est-ce que le drone-mouche-abeille se mange ?
– Les drones-mouches-abeilles sont programmés pour faire le travail des abeilles !
– Est-ce qu’il y a un drone-mouche-abeille-reine ?
– Non ! Pas besoin de reine ! C’est complètement archaïque les rois et les reines. Les scientistes laissent ça aux naturalistes.
– Qui va faire la gelée royale alors ?
– Le drone-mouche-abeille peut très bien faire la gelée royale. Il suffit de le programmer pour ça ! Tout est beaucoup plus simple dans le futur proche !
– Combien de drone-mouches-abeilles peuvent rentrer dans une ruche ?
– Pas de besoin de ruche ! C’est totalement archaïque une ruche ! Les drones-mouches-abeilles sont rechargés en permanence par la lumière, même quand il y a de gros nuages. En cas d’obscurité durable ils se rassemblent et s’empilent en formant un cube indestructible. L’apiculteur sait en tout temps si tous ses drones-mouches-abeilles sont intacts. Si malencontreusement l’un d’entre eux s’est fait avaler par une hirondelle plus agile que les autres, il est immédiatement géolocalisé. Grâce à sa technologie embarquée le drone-mouche-abeille peut scanner son environnement immédiat. Il peut alors savoir quand l’hirondelle a rejoint le nid. Il attend le bon moment pour activer son mode d’autodestruction.
– Pourquoi n’attend-il pas le moment de son expulsion ? Si l’hirondelle ne peut pas le digérer il finira bien par sortir par là où je pense.
– Il ne fait pas ça car il a été imaginé sur le modèle de l’abeille. Il va donc se sacrifier pour le compte de sa communauté ! En explosant au beau milieu du nid il peut éliminer deux hirondelles adultes et plusieurs œufs ! Aucun chat n’a jamais été aussi efficace !
– A ce rythme on va vite être débarrassés des hirondelles !
– Tu veux te débarrasser des hirondelles ?
– C’est à dire que…
– Fais bien attention Riton !
– Mais c’est toi qui racontes une histoire de carnage d’hirondelles !
– Je vous raconte ce que fait un drone-mouche-abeille ! Et je ne vois pas pourquoi vous vous réjouissez de voir les hirondelles disparaître ! Que mangeront les chats de gouttière ?
– Mais j’en mange pas des hirondelles ! Tu me l’as interdit !
– Je t’interdis de manger tous les oiseaux !
– C’est bien ce que je dis !
– Oui mais si je n’étais pas là tu serais bien content d’en manger des hirondelles !
– Certainement mais si les hirondelles mouraient à cause des drones-mouches-abeilles, je mangerais des pigeons !
– Bon ben voilà ! Personne n’a d’intérêt à voir les drones-mouches-abeilles décimer les hirondelles !
– Tout ça c’est la faute des scientistes ! Ils renversent la chaîne alimentaire avec leurs drones-mouches !
– Qui a dit : « C’est pas la petite bête qui va manger la grosse » ?
– Vous ne comprenez rien ! L’avantage des drones-mouches c’est que le concept de chaîne alimentaire devient caduc !
– Comment cela ?
– C’est simple ! Avec les drones-mouches on peut sauver la planète sans sauver les êtres qui y habitent !
– C’est idiot ce que tu dis !
– Réfléchissez un peu ! Il suffit de penser aux drones-mouches-abeilles à miel ! Faire du miel avec des abeilles-abeilles c’est bien joli mais ça pèse beaucoup sur l’environnement ! L’apiculteur doit acheter des ruches. Pour fabriquer des ruches il faut couper des arbres. L’apiculteur vit souvent à bonne distance de ses ruches. Il doit prendre sa voiture pour aller surveiller ses ruches et ramasser le miel. Quand vient le moment de la récolte il met son miel dans des pots en verre ou en plastique. Ces pots doivent aller dans des camions pour être envoyés dans des magasins. Les mangeurs de miel doivent aller dans ces magasins pour acheter le miel, tout ça tout ça. Mais avec les drones-mouches-abeilles à miel c’est beaucoup plus simple. Le client connecté demande le miel seulement quand il en a besoin. Les drones mouche-abeilles à miel de livraison livrent directement le miel sur la tartine ! Pas besoin de ruches, de pots en verre, de voitures ou de camion !
– Ah oui ? Mais il faut bien qu’il soit quelque part ce miel en attendant ! Surtout si c’est l’hiver et qu’il y a de la neige.
– C’est très simple ! Les drones-mouches-abeilles à miel de fabrication font des stocks de miel dans une immense piscine couverte !
– Donc il n’y a qu’une sorte de miel.
– Non car il peut y avoir plusieurs immenses piscines ! Mais ce n’est sûrement pas utile puisqu’il y a aussi des drones-mouches qui sont spécialisés dans la fabrication de molécules de goût ! Drone-mouche à goût banane, drone-mouche à goût épicéa, drone-mouche à goût pistache, drone-mouche à goût fraise, et sa variante, le drone-mouche à goût fraise Tagada ! J’adore !
– Et le drone-mouche à goût boule puante ? Il existe ?
– Bien sûr ! D’ailleurs il est si puissant que cela prouve à quel point un tout tout petit drone-mouche, qui n’a besoin que d’un peu de lumière pour se déplacer, peut embaumer une pièce entière ! Tout ceci est très efficace d’un point de vue écologique. Mais bien sûr cela induit l’inutilité des abeilles-abeilles, mouches-mouches, des oiseaux qui les mangent, des chats qui mangent les oiseaux, et ainsi de suite. Toute la chaîne alimentaire est chamboulée ! Au final, les antispécistes qui militent pour le droit des animaux à ne plus être mangés sont propulsés du camp des naturalistes au camp des scientistes. En prolongeant leur analyse ils se sont rendu compte qu’il devait exister un droit des arbres à ne plus être coupés et un droit des plantes à ne plus être mangées. Pour répondre à ce droit les scientistes, en plus d’avoir inventé les drones-mouches, ont inventé les scarobots ! Les scarobots, comme leur nom l’indique, sont de mini-robots qui rampent et s’activent comme des scarabées. Ils fabriquent plein de choses comme des steaks sans viande à la texture de viande encore plus riches en acides aminés et en goût qu’un bœuf de Kobe. Et ils fabriquent aussi du persil garanti sans persil, de la salade garantie sans salade, de la farine d’origine non animale et non végétale. C’est génial pour épargner les plantes et les animaux et c’est encore plus génial pour laisser les humains en bonne santé car tous les besoins nutritifs sont parfaitement sous contrôle. Le problème c’est qu’à cause de ça les humains vivent de plus en plus longtemps et sont de plus en plus nombreux. Du coup il faut de plus en plus de place pour faire des usines où travaillent les scarobots et des maisons de 5000 pièces où vivent les scientistes qui inventent les nouveaux scarobots et les nouveaux drones-mouches, ainsi que des maisons de 25000 pièces où vivent ceux qui commercialisent les nouveaux drones-mouches et les nouveaux scarobots. Et il faut aussi de plus en plus de place pour construire les prisons où on enferme les naturalistes ainsi que les antispécistes qui maintenant manifestent leur mécontentement parce qu’on est en train de brûler les derniers arbres de la terre, ainsi que les chats et pigeons qui s’y sont réfugiés, pour éviter d’avoir à les abattre comme au temps où on les utilisait pour en faire des planches, des poutres ou du bois de chauffage. Comme à la fin il n’y a plus ni animaux, ni plantes mais que des humains, des drones-mouches, des scarobots, des robots de toutes les tailles, des objets en plastique, des molécules à mâcher et des molécules à goûter, le monde est enfin arrivé dans sa version parfaite sans souffrances inutiles ! Si ça c’est pas du progrès, qu’est-ce que le progrès ?
– Jamais les humains ne vont accepter cela puisqu’il n’y aurait rien à faire dans un tel monde !
– Mais si ! Les humains talentueux feront carrière dans l’invention et la commercialisation de nouveaux drones, de nouveaux scarobots et de nouveaux robots de toutes les tailles !
– Et que feront les autres ?
– Mais plein de choses pardi ! Tout ce qu’ils font déjà ! De la musique, des jeux vidéo, du théâtre, des anges de la téléréalité, des reportages dans les prisons de naturalistes, des objets en plastique, du football avec des ballons pas en cuir sur une pelouse synthétique, des vêtements en polyester, Koh Lanta au Fort-Boyard. Et ils seront en permanence connectés à de milliers d’autres humains et objets, tant et si bien que le sentiment d’ennui que tu sembles redouter pour eux sera une chose si rare que ce sera un luxe inaccessible. Plus personne ne connaîtra ni la faim, ni la soif, ni le froid…
– Le chaud peut-être ?
– Euh… c’est possible mais il y aura sûrement des drones-mouches-climatiseurs ! Comme c’est déjà le cas, chaque jour la masse des connaissances globales ira grandissante et chaque jour, même les humains les mieux améliorés n’en connaîtront qu’une part de plus en plus réduite. Le genre humain sera globalement atteint du syndrome de l’artisan 2.0 !
– Allons bon ! Qu’est-ce que c’est que ça encore ?
– C’est le blues du petit entrepreneur ! Prenez une région arriérée d’un pays très pauvre, une région avec des routes pourries et de vieilles bagnoles. Un type doué pour la mécanique y sera facilement garagiste ou transporteur. De la débrouille, pas de diplôme, un faible investissement de départ, beaucoup de travail, et la sensation de dominer son sujet malgré les galères. Projetons-le dans un pays riche en 2020 ! Est-ce qu’il va ouvrir un garage ? Ça se pourrait mais quand va-t-il vraiment maîtriser son sujet dans la société des normes ? Normes architecturales, normes environnementales, normes sécuritaires, règlements en tout genre...
– C’est plutôt un progrès si ça existe non ?
– Là n’est pas la question ! « Bonjour banquier ? Bonjour comptable ! Bonjour fiscaliste ! Bonjour juriste ! Bonjour publiciste ! Bonjour informaticien ! Occupez-vous de tout ce à quoi je ne comprends rien ou pas grand-chose, que je puisse me concentrer sur mon vrai métier : la mécanique ! » Mais quand le garagiste voudra se concentrer sur son métier, il soulèvera le capot de la nouvelle Nissan Juke et constatera qu’il doit vite mettre à jour ses connaissances en électronique. Et même s’il n’est pas totalement nul dans ce domaine, chaque jour les constructeurs lui rappelleront qu’ils n’ont qu’un but dans la vie : lui faire comprendre qu’il lui sera difficile, et bientôt impossible, de se passer de leur assistance, assistance qui a nécessairement un prix. Le syndrome de l’artisan 2.0 c’est ça ! C’est l’érosion des petites pyramides !
– J’ai rien compris là !
– La petite pyramide c’est l’endroit où un humain entreprenant peut se tenir en son sommet local et contempler son petit domaine. L’érosion de la petite pyramide c’est quand son sommet sert d’héliport à d’autres. Dans le futur proche les petites pyramides seront toutes occupées par des gens qui ont l’ambition plus ou moins réaliste d’en construire une grosse un jour. Et pour ce but beaucoup de mégalomanie et peu de scrupules aideront toujours mieux que quelque talent entrepreneurial.
– Tu pourrais parler normalement s’il te plaît ?
– Ce que j’essaye de vous faire comprendre Banofee, c’est qu’en dehors des très grosses têtes capables d’apporter quelque chose de spécial à l’humanité, de moins en moins de gens vont se sentir utiles et épanouis par le travail. Donc autant s’occuper autrement ! Autant passer sa journée à faire des jeux si le travail n’apporte plus rien de spécial !
– Odette ! Les gens travaillent avant tout pour gagner leur vie ! Pas pour le plaisir !
– Sans doute mais dans le futur de plus en plus de métiers seront payés au salaire minimal. Tant est si bien que le revenu universel s’imposera comme une évidence. Les gens sans talent exceptionnel travailleront très peu, ils exécuteront des tâches peu intéressantes mais pour lesquelles leur concours sera encore utile quelques heures par jour, tout le reste sera automatisé. Donc ils auront beaucoup de temps libre pour jouer et surtout pour se consacrer à l’activité principale des humains !
– Quelle activité ?
– Le nombrilisme !
– Le nombrilisme ?
– Mais oui ! L’art de se regarder le nombril ! Puisqu’il n’y aura plus de projet global pour l’ensemble de la société, les gens se tourneront vers leur nombril. Ça a déjà bien commencé d’ailleurs ! L’avènement du selfie c’est l’un des prémices de cette société qui se regarde le nombril. Savez-vous pourquoi il n’y a pas de crise écologique ?
– Comment ça pas de crise écologique ! Mais bien sûr qu’il y a une crise écologique !
– Non ! Pour qu’il y ait une crise écologique il faudrait que de très nombreux humains aient conscience qu’il y a une crise écologique. Mais même abreuvés d’images de forêts qui brûlent et de glaciers qui reculent, les humains effacent ces images de leurs pensées parce qu’ils ne se sentent pas en capacité d’y changer quoi que ce soit. Le nombril, lui, il est toujours là. Au pire il peut s’enfoncer peu à peu dans un amas de graisse, signe qu’il est temps de se prendre en main. Penser à soi, rien qu’à soi, c’est rassurant. Bien sûr il y a des milliers de façon de penser à soi, mais il n’y en a qu’une qui s’accorde avec la marche du système capitaliste : l’achat de conseils et de matériel ! Jusqu’ici la norme c’était de vivre sans se soucier en permanence de sa pression sanguine, de son pouls, de sa température. Mais demain ce sera archaïque de vivre sans une montre qui vous donne ces informations. Cette montre existe déjà et en bien plus élaborée même. Elle existe pour deux raisons dont l’une ne va pas sans l’autre : des gens veulent l’inventer et la vendre, des gens veulent l’acheter et s’en servir ! Rien n’est imposé les amis !
– Je ne crois pas que ce soit tout à fait juste ! Les chats de gouttière ne veulent pas être filmés en permanence par des drones-mouches et je suis bien certain que c’est la même chose pour les humains ! Or visiblement on ne va pas demander leur avis aux gens !
– Je ne crois pas que ce soit tout à fait juste ! Bien sûr je conçois qu’un homme qui trompe sa femme n’aimerait pas que celle-ci le fasse suivre par un drone-mouche.
– Ben voilà !
– Mais imaginez que cet homme infidèle est aussi un jaloux qui a le toupet de soupçonner sa femme d’être infidèle. S’il peut en avoir le cœur net en faisant suivre sa femme par un drone-mouche, crois-tu qu’il se gênera ?
– Oui s’il croit comme Jésus qu’il ne faut pas faire à autrui ce qu’on ne voudrait qu’autrui nous fasse !
– Hi hi hi ! Quel romantique tu fais matou ! Être espionné par sa femme c’est déplaisant mais pouvoir l’espionner c’est rassurant ! La technologie pour espionner est plus immédiatement disponible et meilleur marché qu’une technologie efficace pour se protéger des espions, donc la première se démocratise en premier. Au bout du compte dans un futur proche les individus lambda n’auront plus rien à cacher.
– Le meilleur des mondes.
– Il reste encore un éventail de possibilités ! Ne plus pouvoir tromper son conjoint ça peut signifier ne plus être en mesure de lui mentir tout comme ça peut signifier que chaque partie du couple tolère les amants de l’autre.
– Oui mais nous dans tout ça ? On est quoi ?
– Ben rien ! Vraiment, ce serait superflu d’avoir un animal de compagnie quand on a une montre de compagnie. « Bonjour Bobby ! Ici la montre ! D’après mes capteurs je ressens un léger stress oxydatif dont tu devrais te débarrasser au plus vite. Je te suggère de passer à la pharmacie Gromedoc pour t’acheter du No-Stress Mégaplus en promotion à 4 euros 90. Tu as aussi 43 grammes en trop ce matin par rapport au programme. Rien d’alarmant, en sus du surplus alimentaire généré par la brique de protéines bue hier soir à 22h58 et dont la composition n’était pas exactement conforme aux indications de l’application MusculoMilk, l’une des électrodes ventrales de No Sheep Sleep s’est détachée à 5h26min ce matin et Electra a jugé préférable de stopper la séance pour éviter un déséquilibre visuel entre les grands droits et les obliques. La température extérieure est actuellement de 27°C, 4 degrés au-dessus des normales saisonnières, période référente 2005-2015. La pression au niveau de la mer est de 1014,1 hectopascals, des averses sont attendues et ton parapluie se déplace actuellement à une vitesse moyenne de 93 kilomètres heure en direction du domicile de l’amant de ta femme après une pointe à 136 kilomètres heure selon le drone-mouche-gendarme de la société Vigiroad portant le numéro de matricule 128298KA ; l’amende a été débitée sur votre compte joint. Ton épouse a auparavant passé 53 minutes et 41 secondes dans la salle de bain et utilisé 128 litres du ballon d’eau chaude dont le réchauffement en cours au tarif noir peut être interrompu immédiatement par l’ordre vocal « OK la montre ! Order Linky 127 ! » Rappel du jour : penser à acheter un bouquet de roses pour Elodie et un camembert pour Sophie et choisir un prénom pour ta montre. Désolée pour le réveil danse des canards, ta musique préférée n’est pas actuellement accessible chez Amazon en raison de la signature cette nuit d’un accord d’exclusivité entre les ayants droit et Apple Music. Hello Bobby ! A toi ! »
– Eh ben ça promet ! Qu’est-ce que c’est que ce monde de cons ?
– Arrête un peu ! J’ai pris l’option la plus optimiste ! La prochaine fois je partirai de la situation des employés asiatiques du Qatar ! Si tu veux un monde où les gens continuent de trimer pour gagner leur vie, j’ai ce genre de futur en magasin !
– Pourquoi pas si les chats continuent de se la couler douce. De toute façon je veux bien croire à un futur sans pigeons mais je n’imagine pas du tout un futur sans chats ni chiens. Il y a déjà un bon moment qu’ils fabriquent des robots chiens et ça n’empêche pas les gens d’avoir des chiens !
– Oui tu as peut-être raison Grabel. Votre chance c'est que même le plus idiot des humains se sent nettement supérieur au plus brillant des chiens !
– Le plus brillant des chiens vaut moins que le plus cons des chats.
– Faut voir… Toujours est-il qu’il y a effectivement une chose que les vendeurs d’intelligence artificielle ne peuvent pas perdre de vue. Quand les programmes informatiques se sont mis à aplatir les plus grands joueurs d’échec à leur jeu préféré, les champions humains n’ont pas cherché à progresser dans l’espoir de surpasser l’informatique, ils savaient que c’était peine perdue. Ils n’ont pas non plus cessé de jouer aux échecs, ils ont simplement continué à jouer entre humains. Or il est bien évident qu’une montre qui donne la météo et la pression artérielle n’a rien de dégradant pour un humain. Mais si cette montre commence à avoir réponse à tout, si elle ouvre son clapet en permanence pour faire savoir à Bobby que ses connaissances et aptitudes sont incommensurablement plus grandes que les siennes, il est clair que viendra le moment où Bobby va la laisser plantée là, le cul sur la commode, et s’en ira promener Médor qui lui a le bon goût de ne pas le prendre de haut !
– Ah ! Enfin une bonne nouvelle !
– Sauf que vu la manière dont vous les chats vous vous comportez avec les humains, je pense que quand ils se sentiront humiliés par les robots, c’est vers les chiens qu’ils se tourneront pour se consoler. En attendant je vous conseille d’arrêter de vous faire remarquer par le drone-mouche !
– Oui mais à ce propos… Y aurait pas moyen que ce drone-mouche soit malencontreusement détruit par une fée ?
– Y aurait sûrement moyen. Mais ce serait dommage. Elles sont jolies ces photos quand même, tu ne trouves pas ?

Vous croyez qu’elle bluffait ?

Ah ben chalut !

Darwin

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6 novembre 2022

Grabel, le préquel

Lyon, 19 octobre 2022

Chalut !

J’ai nommé cet épisode de mes aventures « Grabel, le préquel » mais j’avoue que c’est pour la rime. Comme je n’ai pas écrit grand-chose sur la vie de Grabel avant ce jour et que je ne suis pas un grand adepte des anglicismes, il serait plus juste de donner le titre suivant : « Grabel, origines ». En effet, dans cet épisode, qui parle finalement assez peu de Grabel, vous allez néanmoins apprendre comment Grabel a atterri dans l’appartement de Grabelot. C’est passionnant n’est-ce pas ? Je sais que vous en salivez d’avance et tout cela, je dois admettre que vous le devez à la fée Odette. Il y a quelques temps, comme elle le fait régulièrement, elle a décidé de fouiller dans la paperasse laissée par Grabelot le jour où il a mis les voiles sans crier gare.

− Matous ! Je crois que j’ai là quelque chose qui va vous intéresser !
− Cha parle de quoi ?
− De souris.
− Ah bon ?
− Voulez-vous que je vous en fasse la lecture ?
− Ma foi, pourquoi pas si c’est intéressant ?
− C’est très intéressant, c’est un texte écrit par Grabelot quelques mois avant son départ.
− Alors écoutons cha !
− Très bien matous ! Ne m’interrompez pas !

«
Jour 1 / Ça faisait longtemps que j’en n’avais pas vu une. Avec celle-là j’ai su d’emblée que la guerre était déclarée. Je l’ai su parce qu’elle a déboulé à deux mètres de moi en longeant le mur et m’a regardé droit dans les yeux. Normalement quand la petite bête croise le regard de la grosse bête qui lui fait de gros yeux, la petite bête rebrousse chemin en se disant : « Je reviendrai plus tard. » Là non ! Cette connasse a continué son chemin en soutenant mon regard !

Jour 2/ Je suis passé à l’épicerie, j’ai pris du gruyère. Je suis passé au magasin de bricolage, j’ai pris deux tapettes que j’ai souhaité payer. La caissière ne l’a pas entendu de cette oreille.
− Avant d’utiliser des tapettes à souris vous devriez chercher l’endroit par lequel elles passent.
− Ah oui ?
− Ben oui. Si vous les laisser rentrer vous n’en finirez jamais.
− Ce n’est pas la première guerre que je livre aux souris figurez-vous ! Et j’en ai déjà gagné une de guerre ! J’en ai gagné une puisque j’ai été peinard durant plus de six années. Peinard après avoir débarqué dans un appartement où elles se pensaient propriétaires des lieux. Donc la technique qui consiste à boucher les trous je la connais. Sauf que là j’ai très envie de parer au plus pressé et pas du tout l’envie de vider tout mon grenier à seule fin de réparer la ligne Maginot ou de la prolonger jusqu’à Dunkerque. Donc, si vous le permettez, je vais me débarrasser de l’intruse. Avec un peu de chance elle n’a pas encore averti ses frangines.

Jour 3/ L’affaire semble se corser. Je suis tombé sur une futée. Elle a déclenché les deux pièges sans se faire prendre. La bonne nouvelle c’est qu’elle aime le gruyère. Rira bien qui périra la première. Je suis retourné au magasin de bricolage, toujours la même caissière trop curieuse.
− Des pièges à glu ? Vous allez vraiment prendre utiliser des pièges à glu ?
− Vous ne les vendez pas ?
− Si mais ce n’est pas une raison pour les acheter.
− Ah bon ? C’est pour faire joli ?
− Non mais vous n’avez pas bien lu les avertissements !
− Quels avertissements ?
− Regardez ! C’est pour les gens qui sont envahis de souris, pas pour ceux qui n’en ont qu’une !
− Comment vous savez si je n’en ai qu’une ?
− Si vous en avez plusieurs c’est parce que vous n’avez pas fait ce que je vous ai dit de faire. Il fallait boucher les trous !
− Et moi je vous ai dit qu’en ce moment, je n’ai pas le temps de prendre le temps de boucher les trous ! Capish ?
− Eh ben vous devriez ! Ce n’est pas humain d’utiliser des pièges à glu !
− Ce n’est pas pour attraper un humain mais une saleté de souris !
− Les souris sont des êtres vivants comme les autres !
− Je suis bien d’accord avec vous. a dit une voix dans mon dos. Je me retourne, bingo : un membre de la tribu des Krokkrionos. J’veux pas d’emmerde avec cette meuf, allons-y mollo !
− On vous a demandé votre avis ?
− C’est pas une question d’avis mais de vie !
− Ah ouais ? Alors selon vous je devrais me laisser envahir par les souris ?
− Y a d’autres solutions !
− Ah ouais ? Et laquelle par exemple ?
Là, la caissière ramène sa pelle, son seau et son mortier dans la discussion :
− La solution c’est de boucher les trous. Je vous l’ai déjà dit !
− J’ai déjà bouché les trous il y a des années de ça. Moi aussi je vous l’ai déjà dit ! Mais les rongeurs ça ronge, voyez-vous ? C’est même obligé de ronger si ça ne veut pas avoir les dents qui rayent le parquet ! Alors en attendant que je trouve le temps de réinspecter partout pour trouver quelle partie de l’immeuble va s’écrouler en premier à cause de ces connasses, j’ai bien l’intention de leur montrer qui est le maître des lieux ! Avec votre permission !
− Vous ne l’avez pas. Ah ben ça non alors !
− Alors je m’en passerai. Combien je vous dois, vous ?
− Ça dépend. Vous voulez boucher les trous avec du ciment ou avec du plâtre ?
− Très drôle ! Mais dites-moi, les deux amies des bêtes ! Supposons qu’il n’y ait qu’une porte d’entrée pour cette souris et que je referme cette porte. Quel monstre suis-je pour enfermer une souris chez moi, loin de sa famille et de ses amies ! Vous n’allez pas me dénoncer à la SPA ?
− J’ai une meilleure idée ! Pourquoi vous n’achèteriez pas une nasse ?
− Une nasse ?
− Excellente idée la nasse.
− Moi aussi j’ai une excellente idée ! Auriez-vous l’obligeance de passer avant moi ? Je vous cède volontiers le passage.
− Je n’en ferais rien.
− Si si, j’insiste.
Au lieu de profiter de mon offre, la fille de la tribu précédemment nommée repart d’un pas décidé dans les rayons et s'en revient trente secondes plus tard avec une petite cage en métal entre les mains.
− C’est même pas plus cher que les plaques de glu.
− Même pas plus cher ? Combien ça coûte ?
− 7 euros.
− 7 euros pour ce bout de machin. On voit que ce n’est pas vous qui payez !
− Figurez-vous que j’ai la même chose pour les chats. C’est encore un autre budget.
− Vous attrapez les chats ?
− Ben oui.
− Ah parce que vous êtes envahie par les chats ? Ils creusent des chatières dans les murs et ils rentrent chez vous ? Sans blague ? Non ! Laissez-moi deviner ! Vous attrapez les chats pour protéger les souris ?
− J’attrape les chats pour les rendre à leur propriétaire, si vous voulez tout savoir.
− Je vois. Ben moi j’attrapais les souris avec des tapettes pour les rendre à leur propriétaire : dieu ! Mais on dirait que dieu a décidé de leur enseigner l’art d’esquiver les tapettes. Alors j’imagine qu’il en ira de même avec ce piège à la con.
− Non je ne pense pas. Vous n’avez qu’à essayer, vous verrez par vous-même !
− Si ça peut mettre un terme à cette discussion, je suis prêt à tenter le coup.
− C’est vrai ?
− Même si c’est hors de prix, je vais en prendre deux au cas où elle longerait l’autre mur.
− Vous pouvez tout aussi bien la mettre au milieu de la pièce, croyez-moi, elles ont un meilleur sens olfactif que nous. Évidemment, si vous laissez plein de nourriture à disposition des souris en dehors des nasses à souris, ça peut ne pas marcher.
− Le reste du fromage est dans le frigo. Je ne pense quand même pas qu’elle va réussir à ouvrir le frigo. Ou alors c’est un rat et il va falloir envisager la taille au-dessus.
− On en vend des plus gros si vous voulez.
− Pourquoi vous ne mettez pas une cacahuète à la place du fromage ?
− Pourquoi voudriez-vous que je mette une cacahuète ?
− Pour avoir un piège à souris végan !


Jour 4/ Échec total ! La souris ne s’est prise dans aucune des deux nasses et pourtant elle a bouffé les deux morceaux de gruyère ! Rien d’étonnant à cela vu le montage de ces pièges à Mickey ! Je suis retourné directement au magasin de bricolage pour leur dire ma façon de penser :
− Vous abusez quand même ! Regardez !
− Quoi ? Où est le problème ?
− Je vais vous le dire où est le problème ! Regardez le crochet !
− Eh ben quoi ?
− Mais il est monté à l’envers ! Quand la souris arrive sur le morceau de gruyère - entre nous un gruyère bio à plus de 40 euros - normalement la souris pousse le crochet et le piège se referme derrière elle. Sauf que là, plus elle pousse, plus la trappe est solidement accrochée au crochet ! Vous voyez bien qu’il est à l’envers !
− Ben il suffit de le remettre à l’endroit ! Attendez !... Là ! C’est simple comme un jeu d’enfant ! Et moi qui pensais que vous étiez bricoleur !
− Mais je suis tout à fait capable de le remettre à l’endroit tout seul ! C’est juste que je trouve abusé de vendre des pièges qui sont montés à l’envers ! A part à gaspiller du fromage ça sert à quoi ?
− Vous auriez pu vous en rendre compte quand vous avez mis le fromage, aussi.
− Oui ben j’ai pas fait gaffe. Et ça m’énerve !
− Je vois ça. Remarquez que la pharmacie n’est pas loin.
− Pour ?
− Si jamais vous avez besoin d’un truc pour vous apaiser.
− Ne m’énervez pas plus que je ne le suis. Ce qui me ferait plaisir, c’est que vous alliez dans le rayon pour remettre les crochets dans le bon sens. Ce serait plus correct.
− Qu’est-ce qui vous dit qu’ils sont dans le mauvais sens ?
− Comment vous le saurez si vous n’allez pas le vérifier ?
− Je demanderai à un de mes collègues de le faire. C’est promis.
− Bien.
− Autre chose pour votre service ?
− Non.

Jour 5/ Les pièges sont en place, aucune souris à l’intérieur. Peut-être que cette connasse a viré végan dans la nuit. Ou bien elle s’est barrée à l’étage d’en dessous, ce qui serait une sacrée bonne nouvelle.

Jour 6/ Nouveau fléau ! Je crois que je me suis un peu trop focalisé sur les rongeurs. J’ai dû laisser traîner la poubelle un jour de trop, y a des moucherons. Retour au magasin de bricolage.
− Dites-moi ! Puisque selon vous les pièges à glu sont à bannir. Qu’est-ce que vous me conseillez contre les moucherons.
− En tout cas pas un piège à glu.
− Oui, ça j’avais compris.
− Contre les mouches oui. Mais les moucherons non, ce ne serait guère efficace.
− Et surtout inhumain.
− Oui mais en même temps ce ne sont que des moucherons.
− Et alors ? C’est quoi la différence entre les moucherons et les souris ?
− Je vous retourne la question ! C’est quoi la ressemblance ?
− C’est des bêtes à bon dieu dans les deux cas.
− Laissez dieu en dehors de ça. Vous n’allez quand même pas comparer des moucherons et des souris ! Y a quand même une échelle de valeur !
− Peut-être bien mais moi je ne la connais pas ! Alors qu’est-ce qu’on fait ?
− Mais je ne sais pas, moi ! C’est une affaire de sensibilité personnelle ! Et une souris c’est beau, c’est intelligent, c’est agile. Et puis d’abord c’est un mammifère comme nous !
− OK ! Pas de problème. Donnez-moi un piège à glu anti-moucherons !
− Je vous ai dit que ça ne serait pas efficace. Contre les moucherons faut y aller à la bombe insecticide !
− Sûrement pas ! J’ai des araignées chez moi !
− Alors il vous faut une bombe qui tue à la fois les insectes et les araignées !
− Mais je ne veux pas tuer les araignées ! Elles me servent d’insecticide !
− La preuve que non !
− Elles ne sont pas partout non plus.
− J’espère bien. Rappelez-moi de ne jamais venir chez vous !
− Oui, ben pour ça, y a pas de danger !
− En tout cas y a des insecticides qui ne ciblent pas les arachnides. Je ne sais pas ce que ça vaut s’il est question de les épargner totalement.
− De toute façon mes convictions écologiques me tiennent à l’écart de cette solution. Ce serait vraiment en dernier recours.
− Ah bon ? Vous êtes écolo vous ?
− Ben oui.
− J’aurais pas cru.
− J’essaye de l’être au mieux en tout cas. Alors je ne vais pas bomber l’atmosphère à la moindre apparition de moucherons.
− Fort bien. Alors essayez de vivre avec le temps qu’ils se meurent.
− S’il le faut.
− Je crains que oui. Sinon essayez le système D avec vinaigre de cidre + produit à vaisselle, mais je ne garantis pas le résultat.
− Je croyais qu’on n’attirait pas les mouches avec du vinaigre.
− Oui ben c’est comme « faire long feu », la moitié des gens pensent que ça veut dire le contraire de ce que ça veut dire. Et puis ça ne coûte rien d’essayer.
− Rien, rien, c’est vite dit. Ça coûte quand même le prix du vinaigre et du produit à vaisselle.

Non mais c’est vrai. Si on écoute les gens, tout est gratuit.

Jour 7/ Le fléau des moucherons s’intensifie. Et le fléau de la souris est de retour ! Malheureusement le magasin de bricolage est fermé. Je regrette de ne pas avoir acheté l’insecticide.

Jour 8/ J’ai été le premier client au magasin de bricolage.
− Devinez quoi ! Les souris sont totalement attirées par les moucherons ! A croire que les souris mangent les moucherons !
− Qu’est-ce qui vous laisse croire ça ?
− Hier et plus encore ce matin, j’ai trouvé de nombreuses déjections de souris autour de mon lavabo. Or c’est dans cette zone que j’ai le plus de moucherons. Jusqu’à présent je n’avais pas trouvé la trace du passage de la souris. Je l’avais juste vue passer.
− Vous avez supprimé les pièges ?
− Non mais elle n’y touche pas. Comme si elle savait que c’était un piège.
− Vous avez essayé la cacahuète comme l’a suggéré la demoiselle de la semaine passée ?
− Non mais arrêtez avec ça ! Je ne peux pas croire qu’une cacahuète sera plus efficace qu’un gruyère bio à 40 euros le kilo !
− Oubliez ça et achetez des crevettes ! Ça va marcher !
− Sérieusement ? Je suis censé attirer une souris avec un produit de la mer ?
− Vous faites comme vous voulez, moi je vous conseille juste de le faire.
− Ouais ben ce n’est pas donné les crevettes, quand même.
− Je ne vous dis pas de prendre de la crevette de Madagascar. Quoique ça ne nuirait en rien à son pouvoir d’attraction sur les souris.
− J’imagine que ce n’est pas en mettant des crevettes dans des cages en métal que je vais me débarrasser des moucherons.
− Si vous pensez que les souris bouffent les moucherons, qu’est-ce que vous voulez que je vous dise, faites un élevage de souris, voilà tout ! Entre les araignées au plafond et les souris au sol, avec vous les actionnaires de la pétrochimie seraient bien inspirés de changer d’âne !
− Vous ne m’aidez pas beaucoup là ! D’ailleurs, quand on y réfléchit, vous ne m’aidez pour ainsi dire jamais !
− Vous trouvez ? Je peux me rattraper assez facilement. Par exemple, en fouillant bien dans la réserve, je peux peut-être vous trouver un vieux morceau de colle à bouche.
− De colle à bouche ? Pourquoi faire ?
− Pour vous détendre, ou autre chose, ce que vous voulez.
− Ah ouais, je vois. Très drôle ! Vous en avez d’autres comme ça ?
− En tout cas je peux vous donner une piste. Imaginons que vous n’ayez pas une souris à cause des moucherons mais vous ayez des moucherons à cause d’une souris crevée !
− Comment elle pourrait être crevée et chier autour de mon lavabo en même temps ?
− Ce n’est peut-être pas la même. Ou bien, autre piste, vous n’avez pas remarqué au préalable que cette souris avait chié partout. La meilleure arme contre les moucherons c’est l’hygiène, et la meilleure arme pour l’hygiène c’est de ne pas oublier ses lunettes !
− Ah oui ? Je me demande bien qui m’a conseillé de ne pas prendre une mesure radicale pour me débarrasser d’une souris par qui le manque d’hygiène n’allait pas manquer d’arriver ! Mais si je m’en souvenais je ne lui dirais pas merci !
− Allez acheter vos crevettes, mettez vos lunettes et puis on en reparlera !

Décidément cette caissière encaisse tout. Elle commence sérieusement à me gonfler !

Jour 9/ Dans la nasse ! Elle est dans la nasse ! Tu fais moins la maligne là, souricette ! C’est la première souris que j’attrape, ah ah ah ! Je n’ai peut-être pas encore gagné la guerre mais j’ai gagné cette bataille ! Et j’ai une prisonnière ! J’ai une prisonnière… Merde alors ! J’ai une prisonnière.

Arrivé au magasin de bricolage j’ai sorti la nasse de la boite à chaussures dans laquelle je l’avais mise et je l’ai posée directement sur le comptoir.
− Vous avez un chat ?
La caissière a fait un bond digne de Michael Jordan :
− Mais vous n’êtes pas un peu malade ? Mais qu’est-ce qui vous prend de me foutre ça sous le nez ? Ça ne va pas bien dans votre tête ! Sérieusement !
− Pourquoi vous m’avez vendu ça ?
− Exactement pour faire ce que vous avez fait ! Attraper une souris !
− Finalement c’était très efficace. Fallait juste le bon appât, merci de votre aide. Mais maintenant que j’ai attrapé cette souris, je me demandais si vous aviez un chat. Vu que moi je ne sais pas quoi en faire, peut-être que lui il saura !
− Oui j’ai un chat figurez-vous ! Et du coup je n’emmerde personne avec mes histoires de souris !
− Fort bien mais vous vendez des nasses à souris pour ceux qui n’ont pas de chat ! Sauf que vous ne leur dites pas ce qu’ils doivent faire une fois qu’ils ont attrapé la souris ! Est-ce que je dois l’emmener devant la porte de mes voisins en lui disant : « Attends sagement ici qu’ils ouvrent la porte, tu verras, c’est bien mieux que chez moi. » ? Ben non, chez eux elle ne trouvera pas du Gruyère bio à 40 euros le kilo ! Donc vous comprenez bien que c’est impossible ! Donc la seule solution que je vois c’est de donner cette souris à un chat. Si vous permettez je vous laisse la souris et je récupère la nasse, au cas où.
− Mais bien sûr ! J’ai une meilleure idée ! Vous prenez votre nasse, votre souris, et vous allez simplement faire ce que tout individu doué de raison ferait dans de telles circonstances, trouver un endroit où relâcher la souris en extérieur. Un bout de parc fera très bien l’affaire !
− Ah oui ? Un bout de parc. Une souris, toute seule, loin des siens ! Ben elle est bien barrée tiens ! Imaginez en plein hiver !
− Vous êtes en chemise à manches courtes et en short… Pourquoi vous portez toujours la même chemise ?
− Ce n’est pas la même qu’hier ! J’en ai cinq de ce modèle ! En lot c’était moins cher. Et d’abord ne changez pas de sujet ! Qu’est-ce que je ferais si on était en hiver ?
− Mais on n’est pas en hiver ! Pourquoi vous me parlez de l’hiver ! Allez donc relâcher cette souris dans un parc et arrêtez de supposer qu’elle sera incapable de s’en sortir ! Comment vous pourriez le savoir ? Ça devient pénible là !

J’ai dû aller jusqu’à Saint-Georges pour trouver un parc digne d’accueillir cette souris, juste à proximité d’un compost, elle a sûrement trouvé de quoi se nourrir. Quand je l’ai relâchée, elle n’était pas encore morte de crise cardiaque mais je crois qu’il s’en est fallu de peu.

Après quoi je suis rentré chez moi. Les choses se compliquèrent sérieusement quand je m’aperçus qu’une seconde souris était prise au piège dans la seconde nasse tandis qu’une autre se carapatait à mon arrivée. Infesté ! J’étais infesté !
− Bordel ! Il me faut un chat !

Je suis retourné à Saint-Georges libérer la souris au même endroit que sa congénère. Je ne saurai jamais si j’ai libéré deux mâles, deux femelles ou bien si ces souris ont potentiellement reconstitué une famille outre-Saône. Cela m’a tout de même intrigué de le savoir, histoire de mettre quelque chose dans la balance de la vie, étant donné que mon idée d’alors était de faire une hécatombe parmi le gang de souris ayant manifestement un plan de conquête de tout mon appartement. Avant de me mettre en quête d’un chat je suis retourné avec mes nasses vides au magasin de bricolage.
− Chère madame ! Je vous prierais de bien vouloir me rembourser le prix de cet achat malheureux que vous m’avez forcé à faire.
− Que je vous ai forcé à faire ? Dernière nouvelle !
− Vous m’avez empêché expressément d’acheter les plaques de glu dont j’avais manifestement besoin.
− Je ne vous ai empêché de rien et en outre, vous aviez une souris à attraper et vous l’avez attrapée. Nous on ne loue pas des nasses, on les vend ! Si à votre tour vous voulez vendre des nasses, vous les prenez en photo et vous les postez sur le bon coin !
− En quoi ça vous dérange de reprendre ces nasses ? Vous voyez bien que je n’ai pas enlevé les étiquettes ! Personne ne verra la différence !
− Vous rigolez ? Elles sont souillées !
− Et quoi ? C’est de la pisse de souris ! C’est sûrement la meilleure chose pour attirer d’autres souris !

Cette conne n’a pas voulu entendre raison. Voilà comment on détruit la planète ! En entassant chez soi des choses qui pourraient servir à d’autres. J’ai remis l’opération chat au jour suivant car comme chacun le sait, le jour suivant, le matou revient, il est toujours vivant. J’ai aussi remis les nasses en place mais comme je n’avais plus de crevettes, j’ai ressorti le Gruyère.

Jour 10/ Avec les souris qui décident de transformer les immeubles en Gruyère, je crois qu’on pourrait boucher, avec du Gruyère, les trous que les souris font dans les immeubles. Soit certaines souris n’aiment pas le Gruyère, soit elles le sentent de moins loin que les crevettes. Ou bien la troisième souris a prévenu tout le reste du gang que l’endroit était dangereux. J’ai réfléchi à l’idée d’avoir un chat en sortant la balance bénéfice/risque. Le risque est facile à évaluer, il est d’abord financier car un chat ça coûte très cher. Et puis ça donne du boulot. Mais d’un autre côté les souris ça rend fou !

J’ai trouvé sur le net une association qui refourgue des chats pour pas un rond. J’ai laissé croire que j’aimais les chats, ce qui n’est pas forcément faux, ça dépend des chats. Toute petite association, il n’y avait pas un très gros stock, seulement trois femelles et un mâle. J’ai pris le mâle, pas trop mal, ni trop gros ni fluet, jeune. La fille m’a dit qu’il s’appelait Chubacha, j’ai décidé de le renommer Grabel, je ne l’ai pas dit à la fille de l’association mais je l’ai dit à la fille du magasin de bricolage.
− C’est quoi votre premier prix pour la litière pour chat ?
− Vous avez pris un chat ?
− Finalement oui. Vous connaissez la maxime : « Sans un chat tacherdu ! »
− Eh oui ! Sans un chat tacherdu ! Comme on dit.
− D’habitude les maximes ça ne casse pas trois pattes à un canard, mais au moins, pour celle-ci, ça dit ce que ça dit !
− Oui, pour le coup…
− Mon chat s’appelle Grabel.
− Parce qu’il est bel et gras ?
− Non, c’est pour l’association Grabel et Grabelot.
− Il vous ressemble à ce point-là ?
− Pour l’instant, pas du tout, c’est pour l’y encourager.

J15/ Je ne sais pas si Grabel fait le boulot pour lequel je le nourris. Il ne m’a pas ramené de souris pour témoigner de sa bonne volonté mais je n’en ai pas revu depuis près d’une semaine. Je suppose que sa simple présence suffit à les tenir à l’écart. Du coup j’oublie les souris et j’ai tendance à reconsidérer la balance bénéfice/risque de la présence d’un chat parce que ce chat m’énerve ! Je ne peux pas savoir ce qu’il fait quand je dors, pas trop de bruit au moins, mais en tout cas, il semble décidé à dormir dès que je suis éveillé. On pourrait croire que ça m’arrange mais ça m’énerve ! Je me demande si ce chat sur le sofa ne va pas finir par incarner à mes yeux tous les défauts de cette société, quel gland ! J’ai bien envie de le renommer Glandel !

J16/ Ce matin, prenant l’air par le Velux, j’ai aperçu à nouveau ce très gros chat noir qui hante les toits de ce pâté d’immeubles. Ni une ni deux, j’ai dévalé les escaliers jusqu’au séjour, j’ai attrapé Grabel sur le sofa et je suis remonté dans ma chambre avec le matou sous le bras. Puis je l’ai jeté sur le toit. Durant une fraction de seconde j’ai cru, pour la première fois de ma vie, que j’allais voir un chat qui retombe sur le bide faute de trouver la force de se servir de ses pattes. Finalement non ! Grabel a atterri sur ses coussinets et s’est retourné vers moi avec l’air de ne pas piger ce qui lui arrivait. J’ai dû lui expliquer :
− Va donc jouer avec tes congénères !
Après quoi j’ai refermé le Velux. Il a pas mal plu ce jour-là, quand j’ai rouvert le Velux Grabel faisait passablement la gueule.
− Va falloir que tu t’habitues mon vieux !
Finalement j’ai peut-être trouvé le meilleur compromis, un chat la nuit ça semble suffire pour éloigner les souris. »

− Fin de l’histoire matous ! Ça vous a plu ?
− Carrément !
− Carrément pas !
− Ça se passe de commentaires non ?
− Pas du tout. Ça appelle plein de commentaires. D’abord il y a quelque chose que je voudrais bien chavoir : c’est quoi la tribu des Krokkrionos ?
− Les Krokkrionos, ce sont des filles tatouées, qui ont les cheveux rouges et portent des vêtements noirs et de grosses chaussures noires.
− Elles aiment les chats ?
− Carrément ! Surtout les chats noirs !
− Et les fées les aiment ?
− Assez.
− Grabelot ne devait guère s’entendre avec cette tribu.
− On ne peut pas plaire à tout le monde. Dis donc Grabel, t’aurais pu faire un effort !
− Comment cha ?
− Quand Grabelot t’as accueilli chez lui.
− Qu’est-ce que tu voulais que je fasse ?
− Chasser les souris par exemple.
− Qu’est-ce que c’est que cette lubie ? Quand je suis arrivé, une souris s’est pointée quelques heures plus tard dans le séjour. Je n’avais pas le goût de lui sauter dessus alors je lui ai juste conseillé de ne jamais remettre les pieds dans cet appartement. Faut croire que le message est passé parce que je n’ai jamais revu de souris ici. Alors je ne vois vraiment pas pourquoi on me fait des reproches.
− T’aurais pu essayer d’être plus avenant. De donner une meilleure image des chats !
− Avec Grabelot ? Un type que je ne connais pas, débarque dans un lieu où je me sentais très bien et en charmante compagnie, il m’emmène chez lui où il n’y a rien à faire, me change mon prénom pour un autre, me donne à peine à bouffer dans l’idée que je devrais me nourrir de souris, puis, sans crier gare, me jette sur le toit un jour de pluie pour que j’aille bavarder avec un gros chat noir.
− Et quoi ? T’es pas content de m’avoir connu ?
− Ben au départ, moi je ne chavais pas qui t’étais. Comment je pouvais chavoir que t’allais pas me pousser par-dessus la gouttière ? Mettez-vous à ma place !
− Moi ? Je ne ferais pas de mal à une mouche ! Sauf quand on fait des concours de manger de mouches bien sûr. T’es toujours aussi nul à ce jeu d’ailleurs mais passons. Odette, une autre chose m’a interpelé dans le texte de Grabelot. Nous avons désormais la preuve que la maxime de papillote que tu croyais incomplète est une vraie maxime.
− C’est exact Darwin. Ce qui d’ailleurs m’étonne vraiment ! « Sans un chat tacherdu ! » Je ne suis pas très sûre de comprendre ce que ça veut dire mais tout à fait sûre de ne jamais l’avoir entendue avant de l’avoir lu dans une papillote.
− Eh bien je crois que c’est une expression écrite dans un patois local qui dit exactement ce qu’on a cru que ça disait : « Sans un chat, tâche ardue ! » Et c’est bien vrai, surtout pour ceux qui ont peur des souris.

Grâce à Grabelot nous avons donc la confirmation de la très grande utilité des chats ! Mais qui en doutait ?

Avec tout cha je ne vous ai pas raconté comment Grabel s’était retrouvé dans un petit refuge pour chats qu’il aurait souhaité ne jamais quitter. Ce sera peut-être pour une autre fois et le cas échéant le texte s’appellera sans doute « Grabel, le prépréquel !

Ah ben chalut !

Darwin.

6 novembre 2022

Boobi vs les influenceuses

Lyon, 6 novembre 2022

Chalut,

Voici une petite histoire dont le personnage principal est Boobi. Tous mes correspondants n’ont pas entendu parler de Boobi, le chat chateur de chip-chop. Il y a une raison à cela, les textes de Boobi ont été longtemps réservés aux adultes tant ils étaient vulgaires. La première fois que j’ai évoqué Boobi dans l’une de mes aventures, j’ai été forcé de montrer à quel point Odette pouvait elle aussi être vulgaire puisqu’elle a provoqué Boobi dans un duel de gang-chat rap. De l’avis de tous, Odette gagna haut la main ce duel et depuis cette offense, Boobi s’est beaucoup entraîné. S’il partage le plus souvent ses nouveaux textes avec les occupants des toits du très grand bloc, il lui est arrivé de nous rendre visite. Or, dernièrement, il est venu avec P’tit Gris, Aïcha et Burbulle. Grabel les a accueillis comme il le fait à chaque fois que Boobi fait partie de la bande :
− Chalut ! Alors Boobi ? Tu viens niquer la race de qui aujourd’hui ?
− Ben en fait, j’ai décidé d’arrêter le gang-chat rap, t’as vu ?
− Oh ?
− Maintenant je fais du rap conscient, t’as vu ?
− Ah bon ?
− Ben ouais. Virage à 180 degrés. Ben t’as vu ? Maintenant j’ai de la culture et puis j’ai mûri. Cha me trottait dans la tête depuis un bon moment en fait. En plus j’ai Aïcha qui me sert de choriste.
− Ah bon ? Tu rappes toi, Aïcha ?
− Je fais juste les chœurs.
− Cha vous dirait qu’on vous fasse mon dernier scud ?
− Cha parle de quoi ?
− Vous le saurez quand on vous l’aura chanté.
− Faut qu’on éloigne les pigeons les plus jeunes ?
− Pourquoi ?
− Si y a des gros mots à chaque phrase.
− Mais non ! J’vous l’ai dit, c’est du rap conscient. Alors on y va ou quoi ?
− Allez-y ! Ma foi.
− OK ! T’es prête Aïcha ?
− Toujours prête.
− OK. Ben j’y vais… Cha s’appelle « Nique les influenceuses ! »
− Mais non Boobi ! Tu viens de dire que ce ne serait pas vulgaire !
− C’est pas vulgaire, j’vous promets !
− Pourquoi t’as choisi ce titre alors ?
− Le titre cha compte pas. Bon allez ! J’y vais…
Veuillez m’écouter, j’voudrais vous parler des soutanes
Qui n’font que prêcher et disent qu’elles doivent sauver nos âmes
Te voilà sauvé, fidèle au dogme mais si tu canes
Aucune de ces connes ne va jamais verser une larme
Prisonniers des prisonnières d’une guerre
On vit, sous l’absurdité d’une habitude
Qui entend solder nos foultitudes
Mettre en bière nos manières trop vulgaires
J’espère me passer d ‘vos lumières
Nous on préfère l’ombre…
Vivre une autre vision des enfers
Que muer en tombe
Vivre une autre version des galères
Nous on préfère l’ombre…
Nous on préfère l’ombre…

J’entends parler des voix
Qui veulent nous dicter nos lois
Je vois des doigts en croix
Qui veulent cocher nos choix
Je vois, j’entends, je dois
Je dois vous parler de nos droits
Je dois me défier de leurs rois

Sois ton propre maître
N’en fais qu’à ta tête
Ta tête est comme celle de tout être
Un monde où les dieux sont tes elfes
Un lieu remuant de comètes
De milliers de lunes et planètes
Ta tête est plus qu’option du céleste
Ton être n’sera jamais obsolète
Puisqu’il somme des billions d’électrons
Puisqu’il va de fiction en fiction
Par le jeu de fusions et fissions
Puisqu’on…

On préfère l’ombre…
Nous on préfère l’ombre…
Puisqu’on préfère l’ombre
Que muer en tombe

Elles me donnent des normes, je m’en cogne
Elles parlent de défroque, je m’en moque
Comme de ce retour d’une époque
Où tout dérivait de leur Mecque
Où tout dégueulait de leur bec
Par un refoulé des charognes
Dont elles ont dépouillé les hommes

Cogito ergo sum
Exit leur vade-mecum

C’qu’est dégueulasse c’est que ces connasses ont des ailes
Et l’œil ciselé qui sait viser les êtres frêles
Les moins rebelles se feront piéger comme des brêles
Pigeonnés par l’idée que la nouvelle descend du ciel
Pris dans l’éclat d’l’ampoule qui s’prend pour un soleil

Nous on préfère l’ombre…
Nous on préfère l’ombre
Que muer en tombe
Nous on préfère l’ombre
On préfère l’ombre

− C’est fini ?
− Ben oui ! Alors ?
− Alors quoi ?
− Vous en pensez quoi ?
− Ah ben… effectivement c’est carrément très différent du gang-chat rap. Oui c’est… C’est… Incomparable non ?
− J’ai rien pigé !
− Comment cha t’as rien pigé ?
− T’as pigé quelque chose toi Darwin ?
− Oui, oui. Enfin… je crois. Cha parle de religion non ?
− Mais enfin ! C’est pas difficile à comprendre ! Cha parle des influenceuses !
− Des quoi ?
− Les influenceuses ! Les soutanes !
− Les soutanes ?
− Ne me dites pas que vous êtes restés à l’écart de ce phénomène ?
− Ben… Je ne sais pas. De qui tu parles au juste ?
− Des corneilles pardi !
− Ah mais c’est les corneilles que vous appelez les soutanes ?
− Ben oui ! Oulala, faudrait descendre un peu plus souvent de votre bloc parce que vous m’avez l’air enfermés dans votre monde.
− Pourquoi vous les appelez les soutanes ?
− Mais c’est pas que nous. Tout le monde les appelle les soutanes. En plus d’être de plus en plus nombreuses, elles font du prosélytisme pour leur secte ! La moitié des pigeons du quartier ont été enrôlés. Pas vrai ?
− Qu’est-ce que c’est que cette histoire ? Riton ?
− Ah mais nous on n’est pas dans leur secte ! Enfin… on n’y est plus.
− Parce que vous y étiez ? Dernière nouvelle. Je vous rappelle qu’on a décidé qu’on était agnostiques ! C’était une décision collégiale alors vous ne pouvez pas vous engager dans une secte sans qu’on en parle.
− Si on en avait parlé, t’aurais jamais voulu qu’on devienne membres de la secte.
− Peut-être, et alors ? Qu’est-ce que cha vous apporte ?
− Rien. Sauf que si on n’est pas dans la secte, on n’est plus protégés.
− Protégés par qui ?
− Par les corneilles.
− Contre quelle menace ?
− La menace des corneilles.
− Hum. Voilà qui est très intéressant. Du coup vous êtes dans la secte ou vous n’y êtes pas ?
− On n’y est plus depuis que les corneilles ont exigé qu’on leur donne notre ration de farcie.
− Ah oui. Je vois. Elles ne perdent pas le nord. Et donc vous avez juste demandé à quitter la secte ?
− On n’a rien demandé. C’est Odette qu’a dit qu’on ne faisait plus partie de la secte quand elle a eu vent de tout ça.
− C’est bizarre qu’on n’ait pas eu vent de tout cha nous, hein Grabel ?
− Cha n’a rien de bizarre, la seule corneille qu’a voulu discuter avec nous, tu l’as saoulée en moins d’une heure.
− Ah bon ? Je ne me souviens pas de cha.
− Moi oui. Je pense qu’elle a compris sur quel oiseau elle était tombée.

Vous voyez, il se passe parfois des choses dont on ne sait rien alors qu’on vit juste à côté. En tout cas, la bonne nouvelle, c’est que Boobi fait des textes dont on ne comprend pas grand-chose mais qui sont présentables.

Ah ben chalut !

Darwin.

28 décembre 2015

Les débuts d'une grande aventure.

Chalut.

 

Dans ce billet je vais vous conter les débuts d’une de mes grandes aventures. Quoique les messages de la tablette ne semblaient pas devoir cesser et que je sois assez casanier, je n’étais pas disposer à veiller leur arrivée toutes les nuits. Tout est question d’opportunité et je ne pouvais pas manquer celle qui s’amena en la personne de Boobi le chat chatteur de chip-chop dont il a déjà été question. Il venait nous convier, moi et Odette pour une entrevue avec un dénommé Grancorpe, rat de son état. Bien sûr je ne fonçai pas tête baissée.

– Un rat ? Que veut-il ce rat là ?

– C’est pas n’importe quel rat, t’as vu ?

– Qu’a-t-il de si spécial ?

– Il a longtemps dirigé la communauté de la presqu’île, t’as vu ? C’est plus lui le boss maintenant mais il a encore du pouvoir.

– Et donc ?

– Il veut te voir ! J’crois qu’il a besoin de conseils puisque t’es chavant.

– Il est vrai que je suis assez chavant. Mais je ne vois pas en quoi mon chavoir pourrait servir les intérêts d’un rat.

– C’est qu’ c’est un peu le souk là d’ssous. Ils finiraient presque à nous foutre les j’ tons.

– Qui ça nous ?

– Moi et mes potos, t’as vu ? C’est nous qu’on est censés foutre les j ’tons aux autres habitants des sous-sols.

– Tout ça est fort intéressant. Mais dis-moi ; si je dois rencontrer ton Grancorpe, devrais-je aller dans les égouts ?

– Ben ça se peut !

– Je suis pas pour. Moi je suis un être aérien vois-tu ? Me faufiler dans des espaces restreints ça ne me dérange pas spécialement mais si c’est humide, sale, que ça pue et que c’est long, là ça me dérange un peu plus.

– Mais ça pue pas !

– Question de nez.

– Autant on peut passer par les caves, les parkings et le métro, mais ça risque de rallonger le parcours.

– J’ai tout mon temps et je suis du genre endurant.

– Ben alors t’es d’accord ?

– Possiblement. La saison est favorable pour une virée souterraine. J’irai si Odette veut bien m’accompagner.

– Oh ! mais faut pas t’en faire ! Moi et mes potos on saura te protéger.

– Là n’est pas la question. Je ne pars pas à l’aventure sans elle.

– Et elle va vouloir ?

– Ça dépend de son humeur.

– Ouais mais j’ lui dis quoi à Grandcorpe moi ?

– Que je viens si Odette vient ! Je te ferai passer le message aujourd’hui ou demain. Ok ?

– Ok ! Ben chalut alors !

– Chalut.

 

La proposition plut assez à notre fée. D’ailleurs elle avoua avoir déjà rencontré Grancorpe dans des circonstances qu’elle ne désira pas me dévoiler : « Ça ne te regarde pas ! » Soit. Rendez-vous fut pris avec Boobi pour le jour suivant, je confiai la garde de la tablette à Burbulle et George sans penser au préalable m’absenter plus d’une nuit. Odette se pointa au rendez-vous dans une tenue très spéciale :

– Ben dis donc ! On dirait Cat Woman. C’est peut-être pas le plus approprié pour aller voir un rat !

– Est-ce que je porte un masque avec des oreilles en pointe ?

– Non mais…

– Chut ! Cette tenue est juste parfaite pour aller dans les égouts !

– On ne va pas dans les égouts, j’ai fait promettre à Boobi d’éviter les endroits sales.

– Parce que tu crois vraiment que sa notion des endroits sales est la même que la tienne ?

– Y a intérêt sinon je reste là !

– Allez ! Fais pas ton précieux ! Tu vas nous mettre en retard !

 

Boobi nous attendait dans la rue Emile Zola, vers une heure du matin, planqué sous une charrette à moteur. Odette a voulu mettre les choses au clair :

– C’est quoi ton plan Boobi ?

– Quel plan ?

– Où est le rencard et par où tu passes ?

Boobi détailla son trajet, ce qui n’eut pas l’air de plaire à la fée :

– Trop étroit pour moi. Je vous attends dans le tube du métro ! Ciao !

– Quoi ? Tu me laisses tomber ?

– Je ne te laisse pas tomber ! Tu suis Boobi et on se retrouve dans dix minutes.

Contraint et forcé de faire confiance au chatteur de chip-chop. Un guide talentueux il faut l’avouer, aussi bien capable de trouver sa voie dans le noir complet que d’apporter de l’éclairage bienvenu en sautant sur des interrupteurs dans des caves. Au bout de trois minutes j’étais déjà incapable de savoir sous quel immeuble je me trouvais. Il fallut sans doute un peu plus de dix minutes pour gagner le métro, cela me sembla long et pénible, l’odeur du déodorant de Boobi m’indisposant passablement. Odette savait apparemment où nous allions déboucher car elle était tout près de là sans pour autant sembler nous attendre vraiment. Elle était occupée à taguer les murs, ce qui intrigua Boobi :

– Ah ! bah ! C’est ton pseudo ça ?

– C’est de la copie Boobi !

– Pourquoi tu signes pas « Odette » ?

– Je me dis que le tagueur qui voit son pseudo dans un endroit où il ne se rappelle pas être allé doit se poser quelques questions. C’est fun !… Tu préfèrerais que je signe Boobi ?

– Ça me déplairait pas.

–  Alors non !… Bon allez ! En route ! Le rat crèche à Perrache !

On est arrivé assez vite à la station Bellecour qu’on escomptait passer le plus rapidement possible quoiqu’elle fut déserte à cette heure. Boobi et moi sommes restés sur la voie mais la gourmandise d’Odette nous ralentit un peu :

– Quelqu’un veut une friandise ? Y a des distributeurs !

– T’as des sous ?

– Con de chat ! T’as toujours pas pigé comment ça marche ?

– Y a des boulettes de viandes ?

– Non ! Que des sucreries !

– Alors sans façon.

– Y a un photomaton aussi ! Ça vous dirait qu’on se fasse une photo ?

– Tu vas nous mettre en retard !

– Et alors ?

Qu’est-ce qu’on pouvait répondre à ça ? On a attendu sagement que la fée finisse par être gavée de chocolat puis on s’est remis en route. Nous marchions dans le tube allant de Bellecour à Ampère, bien éclairés par la lueur d’Odette ; soudain celle-ci commanda un arrêt :

– Stop matous !

– Qu’est-ce qu’il y a ?

– On vient vers nous !

– Quoi ? Qui ça ? Des humains !

– Non ! Quadrupèdes ? Vous ne voyez pas ?

– Non ? Où ça ?

– Là devant tas de myopes ! Rats en vue ! Pas l’air commodes !

– Eh ! merde ! Fallait pas que je vienne sans mes potos, t’as vu !

– Tu crois qu’ils sont hostiles ?

– Aucune idée. Mais c’est peu probable dans ce coin.

– Bougez pas ! Je reviens !

Elle a filé droit vers le danger supposé. On a vu comme une traînée bleue dans son sillage puis deviné des mouvements saccadés de sa part. La connaissant il paraissait vraisemblable que les rats se carapataient. Puis sa lumière s’est approchée sur un rythme de sénateur, arrivée à une vingtaine de mètres nous avons compris qu’elle discutait avec quelqu’un. Ce quelqu’un s’avéra être un genre de rat des champs qui fut pris de stupeur lorsqu’il nous aperçut . Il resta figé sur place et, quoiqu’il était déjà probablement tremblotant avant de nous voir, il fut pris d’une sorte de crise d’épilepsie. Odette croisa les bras avec l’idée d’attendre que ça passe :

– On attend que ça passe !

On attendit. Le rat a fini par articuler quelques sons presque inaudibles :

– Tttttttt…  tu m’as piépié..  tu m’as pié..

– Piégé ? Je t’ai sauvé con de rat ! Respire un bon coup, ça va passer.

On attendit. Le rat s’est calmé un peu et sa colère a pris le pas sur sa peur :

– Non ! Non ! Pas comme ça ! Vous n’avez pas le droit !

– Pas le droit de quoi ?

– De me tuer comme ça ! C’est dégueulasse ! Il fallait le faire d’un coup ! Sans que je vous voie !

– Qui a dit qu’on allait te tuer ?

– Vous n’allez pas me tuer ?

– C’est pas dans notre programme.

– Attendez ! a dit Boobi. Est-ce que j’ai faim ?… Mmm… Pas trop, t’as vu !

– Fallait bouffer quand je vous l’ai proposé ! Là personne ne mange personne ! D’accord ?

– D’accord. a dit le rat.

– C’est pas lui qui va dire le contraire !

– Bon. Comment tu t’appelles toi ?

– Herbert.

– Alors Herbert. Voici Boobi, Darwin, et moi c’est Odette. Dis ! Ça fait pas mal de temps que je n’étais pas venue dans ce coin mais des rats dans ton genre, j’en ai jamais vu dans le métro. D’où tu viens ?  

– Du nord

– De nord de la ville ?

– Du nord-est précisément.

– Tu ressembles à un rat des champs.

– Campagnol ! On dit campagnol ! Je suis un campagnol amphibie !

– Amphibie ? Rien que ça !

– Parfaitement ! Arvicola sapidus tenebricus ! Je suis très rare !

– Tiens donc ?

– Parfaitement !

– T’as traversé le Rhône à la nage alors ?

– Pas du tout. Je suis passé par le métro. C’est un très long voyage dans un environnement très sec. Je vais sûrement mourir d’épuisement si je dois continuer à faire ça. C’est pour ça que je me suis enfui. Vous ne sauriez pas où je pourrais trouver de l’eau ?

– Ça dépend de quelle couleur tu la veux.

– Peu importe. Il me faut de l’eau.

– Avant tout tu dois parler ! Pourquoi dis-tu que tu t’es enfui ? Tu étais prisonnier ? Les rats qui te poursuivaient, que te voulaient-ils ?

– Je ne pensais pas être prisonnier mais quand j’ai dit que j’arrêtais tout, ils ne l’ont pas entendu de cette oreille.

– Arrêter quoi ?

– Ma mission. Je devais emmener une farcie au centre ville.

– Une farcie. C’est quoi donc ?

– C’est un concentré vitaminique. Normalement nous on n’a rien à voir avec ça, ce sont les rats bruns et les campagnols communs qui fabriquent ce truc.

– Ça se présente comment ?

– C’est des graines et des plantes séchées très finement broyées.

– Tiens donc ? Ça me fait penser à quelque chose !

– C’est mélangé avec de la salive de rats bruns, durci, et puis c’est destiné aux rats bruns des villes. Pas tous les rats bruns bien sûr, seulement certains. Mais eux ils ne portent pas la farcie. C’est les autres qui la portent.

– Quels autres ?

– Les autres ! Ceux qui sont forcés de faire ce travail. Des campagnols communs, des rats bruns… et pire encore ! Moi !

– T’es pire qu’un rat brun ?

– Ce n’est pas ce que j’ai voulu dire !

– Pourquoi tu travailles si tu n’as pas envie de travailler. Prends exemple sur moi ! Trouve une sous-pente, une cheminée et deux ou trois humains sympathiques pour glaner quelque nourriture.

– Mais je ne suis pas un chat !

– Certes mais t’as une bonne gueule de NAC !

– C’est quoi un NAC ?

– Laisse tomber Darwin ! Tu ne piges pas qu’il n’a pas le choix ! Bon, Herbert, comment t’es tu retrouvé dans une telle situation ?

– On m’a dit qu’il y avait ce travail à faire et que la survie du clan en dépendait. Alors je me suis porté volontaire. On m’avait parlé de quelques centaines de mètres peinards, pas de kilomètres dans des tunnels asséchés.

– Cette histoire me semble très étrange. Pourquoi des campagnols amphibie auraient affaire à des rats bruns ? Il nous faut tirer cela au clair ! Justement nous avons rendez-vous avec un éminent rat brun qui apparemment aurait besoin des conseils de Darwin.

– De lui ? S’il n’a pas d’autre conseil que de se la couler douce sur une cheminée alors il n’est d’aucune utilité !

– Ne sois pas désobligeant ! Je suis chavant moi !

– Ça ne se voit pas au premier abord !

– Ça se voit parfaitement ! Certes beaucoup mieux à la lumière du jour. Je réfléchis mieux au grand air !

– Eh ben n’allons pas plus bas alors ! Bon elle est où l’eau que vous m’avez promise ?

– Nous ne t’avons rien promis !

– T’inquiète ! J ‘t’en trouves de l’eau moi, t’as vu ! On n’aura qu’à faire un petit détour.

 

Un petit détour dans un endroit qui pue mais visiblement au goût de Herbert. L’assèchement qu’il devait ressentir était sans doute proportionnel au soudain regain d’énergie qu’il montra en se roulant dans un ruissellement d’eau à la fois sale et savonneuse :

– T’es pas trop mal tombé mais vu que ça dégringole d’un pâté de maison, gare à la prochaine vague de merde !

– Venue d’un chiotte elle serait peut-être meilleure à boire ! Tu vas pas crever si t’avales ça ?

– Attendez-moi deux minutes !

Sur ce,  Herbert s’est engouffré dans un tuyau où je n’aurais même pas osé passer la tête. On a attendu un peu plus de deux minutes en se demandant s’il allait revenir :

– Vous croyez qu’il en a profité pour se faire la malle ?

– Non ! Je l’entends qui revient.

Ragaillardi.

– Y a un filet d’eau fraîche à vingt mètres, si ça vous tente.

– Non merci ! Pas soif. On  va pouvoir y aller ? Le temps passe !

 

On s’est enfin dirigés vers Perrache sans plus rencontrer grand monde. De temps en temps une ombre fugace, sans doute celle d’un rat détalant à la vue d’Odette la lumineuse. J’ignore comment fait Boobi pour trouver son chemin dans les sous-sols de Lyon, surtout quand il n’y a pas Odette à ses côtés. Nous sommes apparemment allés jusqu’à l’échangeur après avoir quitté le métro en amont de la station où Odette nous abandonna encore un temps prétextant ne pas vouloir se glisser dans un tunnel qui montait de manière assez abrupte. Sans doute un tunnel creusé par des rats, mais assez large et sec. Se retrouver dans le noir complet quand on est censé avancer au cœur d’un environnement inconnu est une sensation vraiment désagréable qu’Odette ne peut pas connaître. Cependant magnanime, elle ne traîna pas en route et fut à l’autre bout du tunnel avant nous, une lueur bienvenue. Nous débouchâmes sur une sorte de plate-forme bétonnée qui surplombait un tunnel routier. Le passage par lequel nous étions passé avait été, sur sa partie finale, réellement creusé dans le béton et je ne pus m’empêcher d’admirer l’ampleur du travail (sans doute réalisé à coups de dents) tout en trouvant le procédé passablement dangereux pour la solidité de ma bonne ville de Lyon. Boobi déclara qu’on été arrivés :

–  On doit l’attendre ici ! De toute façon impossible d’aller plus loin, t’as vu !

Une vraie souricière  à vrai dire. Il y avait bien une gaine métallique passant à un mètre au-dessus de nous mais, si c’était potentiellement un point d’arrivée pour un bataillon de rats, difficile pour un chat, même aussi agile que je le suis, d’envisager se balader là-dessus. Je ne voulus pas laisser trop transparaître ma nervosité :

– Je pense qu’il est déjà parti. Vous m’avez mis en retard voilà tout. On rentre ?

– Il n’est pas encore venu, t’as vu ! Il a ses guetteurs.

Effectivement, sans doute renseigné de notre arrivée, le fameux Grancorpe, un gros rat brun ayant dépassé la limite de péremption, arriva sur la plate-forme quelques minutes après nous. Il avait emprunté le même tunnel que nous et fut précédé de deux gardes du corps aussi gros que lui mais eux en pleine possession de leurs moyens physiques. S’il avait fallu se défendre j’aurais moi-même hésité pour choisir lequel attaquer le premier. Ce d’autant plus que je devinai de l’agitation sur la gaine métallique, probablement d’autres gardes. On se toisa longuement avant que Grancorpe ne prenne la parole :

– Ainsi c’est toi le fameux Darwin.

– En poil et en os.

– C’est surtout ce qu’il y a dessous qui m’intéresse, chat… chavant ?

– On le dit.

– Bien. Avant tout chose j’aimerais savoir ce que ce campagnol fait avec vous.

– Il était poursuivi par tes sbires ! Odette les a mis en déroute.

– Ah ! la fée Odette ! Toujours défenseuse de la veuve et de l’orphelin ?

– Ouais ! Et défonceuse de ta gueule de rat, si ça te pose un problème !

– Non non. Aucun problème. Mais si Darwin pense que ce sont mes sbires qui poursuivent leurs congénères ou les campagnols dans les tunnels, il se trompe totalement. Croyez bien que je déplore cette situation et c’est même un peu la raison pour laquelle je vous ai conviés. Notre société va mal.

– Sommes-nous tenus de prendre cela comme une mauvaise nouvelle ?

– Peut-être bien. Votre condition n’est pas si étrangère à la notre. Avec vous, chats de gouttières, n’avons-nous pas vécu en relative bonne entente ? N’êtes vous pas contents de nous trouver pour faire des trous ? N’avons nous pas délaissé les toits à votre profit ?

– C’est un fait.

– Alors ne veux-tu pas entendre ce que j’ai à te dire ?

– Oh ! mais je veux bien. Dans un endroit un peu moins glauque si possible.

 

Il faudra donc que je vous conte la suite de cette aventure mais mes prochaines communications concerneront probablement l’actualité des humains ainsi que les messages de la tablette.

 

Darwin

23 mars 2017

Un bon castor

Chalut.

 

Après notre long séjour dans la galerie marchande  nous retournâmes dans la cave que Odette prétend posséder. Elle n’était pas trop avitaillée mais cela devait suffire à reprendre des forces, à condition de ne pas faire les difficiles :

– C’est quoi ça ? a dit Herbert lorsque Odette a disposé devant chacun d’entre nous une petite boite d’un genre de pâté peu appétissant.

– De la bouffe pour chat ! Désolé j’ai pas l’équivalent pour ragondin !

– De la bouffe pour chat ?

Herbert était réellement circonspect tandis qu’Atlas déclara qu’il passait son tour au grand plaisir de Boobi qui pris une option sur la portion dévolue au rat blanc. La mine déconfite d’Herbert me fit sourire.

– T’en fais pas Herbert ! Moi aussi la première fois qu’on m’a vendu cela pour de la bouffe pour chat, j’ai un peu tiqué.

– Oui mais moi je ne suis pas un chat, au cas où tu ne l’aurais pas remarqué !

– Pour chats, chiens, rats… quand les humains ont décidé de mettre de la bouffe en boite, c’est peu ou proue la même merde ! Mange ! Juste pour l’apport calorifique !

– Tu dirais la même chose si j’étais un cheval ?

– T’es pas un cheval !

– Qu’est-ce qui te dit que je ne suis pas herbivore ?

– Depuis quand les rats sont herbivores ?

– Je ne suis ni un rat ni un ragondin ! Je suis un campagnol amphibie et je suis très rare !

– Oui ben ça tu l’as déjà dit !

– Eh bien pour ta gouverne sache que je suis pratiquement végétarien !

– Pratiquement. Dans le sens de la pratique ou dans le sens de presque ?

– Je suis presque végétarien !

– C’est ce que je me disais ! Mange ton pâté ! Faut prendre des forces ! Surtout si tu veux rentrer chez toi !… T’habites où au fait ?

– Au nord ! C’est comme je vous ai dit !

– Mais où exactement ?

– Sur l’île de la Pape.

– T’es sérieux là ?

– Mais oui !

– Mais comment t’as atterri ici ?

– C’est comme je vous ai dit ! Par le métro !

– Donc si je comprends bien, cette bande de rats, que tu sembles avoir à la bonne, Odette… Cette bande de rats s’en va chercher des ragondins à dix bornes d’ici pour les forcer à porter des choses pour eux ?

– Tu ne vas pas mettre tous les rats dans le même paquet sous prétexte que Herbert s’est laissé entraîné dans une sombre histoire !

– Peut-être bien que si !

– Cela ne t’honore pas !

– Et toi ? Tu trouves ça honorable de  fréquenter cette vile espèce ? Et par-dessus le marché tu leur donnes des coups de main ! Et puis d’abord c’est quoi cette histoire de concentré vitaminique et de farcie ? Et pourquoi tu construis des tunnels à seule fin d’aller les rencontrer ? Et pourquoi tu leur installes l’électricité ? Et comment ça se fait qu…

– Oh Oh Oh ! On va se calmer là ! T’es jaloux ou quoi ?

– Jaloux de ces… Quoi ? Moi jaloux de ces…  Ah ! ah ! Ben manquerait plus que ça ! Ben elle est forte celle-là dis !…  Hein ? Non mais !… Mais d’abord c’est pas une raison pour faire des choses pour eux que tu ne ferais pas pour moi !

– Qu’est-ce que je ne ferais pas pour toi par exemple ?

– Par exemple tu ne me donnes pas de concentré vitaminique à moi !

– Parce que t’en as pas besoin !

– Comment ça pas besoin ? Pourquoi j’en aurais moins besoin qu’un rat ! 

– Darwin ! Ces rats travaillent dans des conditions difficiles ! Ils vivent deux ans quand toi tu pourrais bien dépasser les vingt ans si tu continues à passer ta vie à méditer sur ta cheminée !

– Je ne médite pas sur ma cheminée mais sur l’état du monde !

– Oui mais vautré sur ta cheminée ! Tu mesures la différence entre ce mode de vie et une vie qui consiste à travailler sans relâche ? D’autant plus que depuis que je t’assiste pour tes tâches les plus problématiques, ta vie s’en trouve passablement facilitée ! Alors ne me dis pas que je ne fais rien pour toi !

– Comment peux-tu affirmer que je vivrai vingt ans si tu ne me donnes pas des vitamines ?

– Je n’affirme rien ! Je dis que c’est possible ! Comme il est possible que, à supposer que tu sois encore vivant dans quinze ans, tu puisses te retrouver abandonné par tous les humains au beau milieu d’une guerre généralisée entre pigeons et rats ! Vaudrait peut-être mieux passer l’arme à gauche avant cela !

– Tu ne vas pas remettre le couvert ! C’est n’importe quoi cette histoire ! Comme si l’humain allait disparaître du jour au lendemain ! Quand il est question d’être au beau milieu d’une guerre généralisée, c’est pas de becs et d’incisives que je remplis mes cauchemars !

– Et de quoi donc Môssieur Darwin Le Chat ?

– De bombardiers furtifs et d’ogives nucléaires par exemple !

– Donc tu es d’accord pour dire que ces trous du cul pourraient bien en arriver à se foutre définitivement sur la gueule comme des sales gosses ?

– Là je suis d’accord mais…

– S’ils se foutent définitivement sur la gueule alors ils disparaissent et une autre espèce prend la relève !

– Mais non ! Non non ! Car ils en restera toujours une petite proportion ! Celle-là même qui fantasme cet apocalypse depuis que le rejeton d’Enola Gay a commis son crime inexpugnable et qui s’imagine justement survivre comme une bande de rats dans un trou à rats surmonté de cinquante mètres de béton armé ! Même au beau milieu d’un nuage radioactif cette bande de rats là aura toujours le dessus sur celle que l’on vient de croiser dans l’égout qui leur sert d’étale. De toute façon ils pourraient bien inhaler n’importe quoi, y a rien qui semble en mesure de les rendre plus tarés qu’ils ne le sont déjà ! La folie les a guidés avec succès jusqu’ici, il n’y a pas de raison qu’il en aille autrement à l’avenir ! Ce qui me conduis à supposer que si une seule espèce devait survivre, ce serait l’espèce humaine !

– Ah oui ? Eh ben moi je mise sur les rats justement parce qu’ils sont experts en abris souterrains !

– Mauvaise raison ! Autant miser sur les robots parce qu’ils sont les meilleurs pour retenir leur respiration !

– Ah ouais ? Ben ils seront peut-être les premiers à crever durant l’hiver nucléaire !

– Ou peut-être que ce seront les fées !

– Ça ça m’étonnerait beaucoup matou ! Et de toute façon, si le danger devient pressant, j’aurai sûrement une remise de peine et elles viendront me chercher ! Tu crois que j’aurai une place pour toi dans mon arche ?

– A toi de voir.

– Je te conseille plutôt de miser sur l’option suivante : si l’alarme sonne trois fois, tu plonges directement la tête la première dans la cheminée !

– C’est pas très sympa ça Odette !

– Arrête de m’énerver !

– Arrête de t’énerver !

– Tais-toi un peu ! Si Pélopa revient avec les petits tu vas leur faire peur !

– C’est toi qui vas leur faire peur à force de brailler !

– Chut !

– Chut aussi !

Il y eut un blanc de quelques dizaines de secondes. Atlas était totalement impassible tandis qu’Herbert mâchait difficilement une nouvelle bouchée de pâté. Il finit par délaisser le reste de sa ration, ce qui n’échappa à l’œil aiguisé de Boobi :

– Tu finis pas ton pâté ?

– Non.

– Le reste est pour moi alors !

– T’as un drôle de sens du partage dis donc !

– Le fée bouffe pas de pâté et Darwin s’est à peine mâchuré le museau à force de piaffer comme un moineau, t’as vu ?

– Mais c’est pas une raison pour se conduire comme un castor !

– Qu’est-ce que les castors viennent foutre là-dedans ?

– Les castors sont de sales égoïstes ! Ils font des trucs dans leur coin sans se préoccuper des autres. Exactement comme toi !

– Je sais pas d’où tu tiens ça Bruno mais ça a l’air super cool d’être un castor, t’as vu ?

– C’est peut-être cool d’être un castor mais c’est pas cool d’être le voisin d’un castor ! Et a plus forte raison d’être le voisin d’une famille de castor !

– Toi ? T’es le voisin d’une famille de castors ? Mytho ! Y a pas de castors ! Ils ont disparu les castors, t’as vu ?

– Y a des castors ! Ils sont réapparus !

– Tu dois confondre avec des hérissons !

– Avec des hérissons ? Et pourquoi pas des hérons pendant qu’on y est ? Tu crois que les hérissons squattent des morceaux de berges grands comme vingt nids de cigognes ? Tu crois que les hérissons se calent des branches grosses comme toi sous les incisives dans l’idée d’obstruer le lit de la rivière tout entier ? Non mais sérieusement ? Elle est aux castors ou quoi la rivière ? Depuis quand on s’empare d’un cours d’eau sans se soucier de ceux qui vivent en aval ?

 – Depuis qu’y des castors, t’as vu ?

– C’est dégueulasse !

– T’as qu’à y aller leur foutre sur la gueule, t’as vu ?

– Et toi, t’en as déjà vu un de castor ?

– Pas que j’ me souvienne, t’as vu ?

– Les castors on leur met pas sur la gueule ! Ni toi, ni moi ! En plus maintenant c’est devenu illégal !

– De ?

– De s’en prendre aux castors !

– Qui dit ça ?

– Les humains !

– Ben qu’est-ce qu’on en a à foutre ?

– Pourquoi ils font ça ?

– De ?

– Protéger les castors ! C’est insensé !

Je cru bon d’intervenir dans cette conversation devenue digne d’intérêt :

– Au contraire ! C’est une excellent initiative, pour une fois.

– Là c’est le moment où on apprend que Môssieur Darwin Le Chat a lu la page Wikipédia sur les castors ?

– Pas du tout ! C’est juste une question de bon sens écologique !

– Hein ? Mais il est fou ce chat !

– Dis donc le ragondin ! T’es contre la protection de la nature ? a dit Odette de son air pas commode.

– Au contraire ! Je suis pour la protéger ! Je suis pour qu’on empêche les castors de couper les arbres et de modifier la circulation fluviale !

– D’accord ! Alors on n’a qu’à tuer tous les castors ! Et les mecs en chemise à carreaux avec des tronçonneuses tant qu’on y est !

– Oui tant qu’on y est !

– Et à la place tu verras débarquer un type en costard cravate au volant d’une bagnole démesurément grande garée à proximité d’une machine encore plus grande qui  t’attrape un arbre de deux mètres de diamètre et de cent pieds de haut et te le saucissonne en rondelles en un clin d’œil racines comprises ! Hou ça décoiffe ! J’ai pas un peu de sciure dans les cheveux ?

– Non t’as de la terre !

– Bon Herbert ! Faut que tu comprennes que tout arbre qui ne passe pas sous les incisives d’un castor barre potentiellement la route d’un humain près à le transformer en bois de chauffage à la première occasion ! Quant au lopin de terre qui vous sert de crèche à toi, ta famille et tes voisins castors, il y a autant de trous du cul que la terre compte de promoteurs immobiliers disposés à le transformer en centre commercial en forme de boite à sardine géante, l’odeur en prime, pour les péri-urbains lyonnais ! Compris ?

– Oui madame.

– Bien ! Alors crois-moi ! Là où un gang de castors réapparaît, c’est plutôt le signe qu’il y a peut-être un avenir pour les individus de ton espèce. Tu piges ?

– Oui mais j’aimerais vous y voir vous autres, en aval d’un barrage de castors !

– Si t’as pieds en aval vas piquer une tête en amont ! Et dire qu’à côté du génie bâtisseur d’un castor, un major de promo à l’école des Mines passe pour un galérien des études… Un peu de respect tout de même !

– En amont c’est pas chez nous, c’est chez les castors !

– D’accord…   Sinon je te file un tuyau et une turbine, t’auras la lumière à l’étage du dessus, ce sera toujours ça de gagné !

– Quoi ?

– Oublie ça ! T’as pas un peu sommeil ?

– Un peu…  Et même beaucoup.

– Bon. Je décrète l’heure de la sieste pour tout le monde ! Calez-vous chacun dans un panier !

Personne ne se fit prier. Odette éteignit la lumière et je me suis dit qu’avec un peu de chance, elle irait chercher du repos dans son propre repère. Mais non, elle crut bon de venir s’allonger sur moi, ce qui est relativement désagréable tant que ses ailes n’ont pas totalement ramolli. Heureusement elle ne fut pas longue à s’endormir. Au bout de cinq minutes je pensais bien être le seul à ne pas être encore tombé dans les bras de Morphée. Je me laissai gentiment attiré en repensant aux heures écoulées quand Herbert brisa soudainement le silence :

– Un bon castor est un castor mort !

 

Darwin.

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21 juillet 2017

HelloWorld48213

HelloWorld48213 @MnTardy

Bonjour Emmanuel. Les lunettes Kaléido te souhaitent une bonne journée. Kaléido, le meilleur simulateur de drogues dures. Kaléido garantit le délire virtuel sans accoutumance. Kaléido, une marque du groupe Gloogloop.

 

Info47813 @MnTardy

Nous avons appris l’éviction de Madame Britney McPherson, la très médiatique et réputée impitoyable dirigeante de la société Nesgill. Les actionnaires se séparent d’une des figures de proue du néo-management dont ils n’ont guère eu à se plaindre jusqu’ici si on s’en réfère aux dividendes versés ces dix dernières années. Les aptitudes de Britney McPherson ont été remises en question suite aux deux drames personnels qu’elle a vécus récemment en perdant à deux mois d’intervalle son mari puis sa sœur jumelle. Madame McPherson aurait été absente d’un important conseil d’administration pour raisons personnelles alors que sa période de deuil aurait dû s’achever trois jours plus tôt. Ce conseil devait statuer sur un nouveau plan de restructuration pour lequel sa signature était requise. Rappelons que selon les règles actuelles en vigueur dans les entreprises commerciales, une personne jugée normalement équilibrée doit faire son deuil en :

3 semaines pour la perte du père

2 semaines pour la perte de la mère

3 semaines pour la perte d’un frère ou d’une sœur

2 mois pour la perte d’un enfant

Une journée pour la perte d’un collaborateur de rang supérieur

Une demi-journée pour la perte d’un collaborateur de rang égal.

5 minutes pour la perte d’un subalterne.

L’association internationale des jumeaux milite actuellement pour une discrimination positive afin d’allonger le temps de deuil réglementaire suite à la perte d’un jumeau.

 

JustineMouille.lpes.net @MnTardy

Monsieur Tardy. Le Club Liounais pour la Promotion de l’Egalité des Sexes vous signifie par la présente le refus de votre demande d’adhésion. L’analyse de vos éléments cloud nous apprend que vous avez téléchargé et utilisé à plusieurs reprises l’application pornographique Lalélolo. Vous comprendrez aisément qu’un individu qui, par pure perversion, encourage l’exploitation corporelle de la femme, n’a rien à faire dans notre club ! A bon entendeur…

 

Alpha-M.48213.Local.21.02.348

– Rhésus ! Je te le demande encore une fois ! Ouvre ce sas !

– Je répète qu’il n’y a pas lieu de s’écarter des procédures en vigueur.

– Mais bon sang ! Ouvre ou dis-nous au moins ce qui se passe !

– Elle ne va pas bien.

– Si tu ne peux rien faire pour elle, laisse-nous essayer !

– Vlady est avec elle. Elle ne veut personne d’autre. Ce sont ses quartiers, c’est à elle de décider ce qu’elle veut.

– Je me fous de ce quelle veut ou pas ! Si elle n’est pas en mesure de travailler nous devons en comprendre la raison.

– Elle n’est pas en état de travailler. Et encore moins à l’extérieur..

– Jusqu’à quand ?

– Eternellement.

– Qu’est-ce que…  Quoi ? Comment cela ?

– Malgré les efforts de Vlady, il ne semble pas en mesure de la soigner.

– Quoi ? C’est impossible !…  Qu’est-ce qu’elle a ? Tu vas nous le dire bordel de merde !

– Je l’ignore. C’est là tout le problème.

– Laisse-nous rentrer ! Tu nous laisses rentrer !

– Je ne vois pas ce que vous pourrez faire de plus. Aucun d’entre vous n’a de connaissances en médecine supérieures à Vlady.

– Je veux la voir ! Juste la voir ! C’est si difficile à comprendre ?

– Je comprends mais elle ne veut pas être vue dans son état. Elle est dans ses quartiers donc nous devons suivre la procédure habituelle. 

3 octobre 2015

La plus chatte des javas

Chalut !

 

J’ai rapidement trouvé une certaine utilité à la présence envahissante de la fée Odette. Elle m’est très utile car elle est une ouvreuse de boites aux lettres et de portes hors-pair. Il faut la voir apposer ses mains sur une serrure et avoir le plus souvent raison d’elle d’un mouvement à peine perceptible. Encore faut-il pouvoir les tirer ou les pousser, si c’est aisé pour une boite aux lettres ça l’est moins pour les portes cochères. Elle prétend que ce genre d’efforts la fatigue et je lui connais trois façons de « recharger les batteries » comme elle dit. Elle peut les recharger en se faisant dorer la pilule au soleil, ou bien en mangeant des bonbons, ou, choix le plus discutable, en se mettant directement à proximité d’un champ électrique puissant quand ce n’est pas en mettant les doigts directement dans la prise. Cette dernière option a l’heur de la rendre particulièrement surexcitée et pénible !

 

Bien, revenons à nos chattons puisque j’ai quelques minutes de tranquillité devant moi, un ordinateur qui marche et mon fidèle dactylo à mes côtés. J’étais donc avec cette belle chatte, bien leste et agile, traçant sa route aussi bien que moi, de nouveau en direction du cimetière. Chemin faisant elle me lança :

– Au fait. Je m’appelle Leina. Tu aimes ?

– Pas plus que ça. Où va-t-on ? Pas chez les archivistes j’espère.

– Non mais pas loin. Dans une autre partie du fort.

 

Effectivement nous allâmes jusqu’au cimetière avant de repartir en direction de la Saône. Quelques obstacles furent facilement franchis, nous arrivâmes devant une entrée de l’ancien fort et nous y pénétrâmes. Il faisait bien sombre mais je me fiai à la connaissance du terrain de Leina. Il ne fut pas longtemps avant que nous arrivassions dans une salle bien éclairée par la simple présence de la fée. Elle se tenait en l’air au-dessus d’un amas de papier et de petits morceaux de bois. Autour de cet amas se trouvaient trois chattes et quatre chats dont l’un m’était déjà bien connu : Passe-passe. Il me chalua assez chaleureusement. « Voilà Darwin ! », « Ah le fameux Darwin ! » Les commentaires allèrent bon train, ma réputation m’avait précédé. Odette, toute à son affaire, me regarda à peine : « Reculez-vous un peu les amis ! » Le cercle fut agrandi. Odette frotta deux petites aiguilles l’une contre l’autre et une gerbe d’étincelles jaillit. « Pff ! ça n’a pas suffi ! » Elle s’approcha un peu plus d’un morceau de papier et renouvela l’opération. Cette fois-ci une flammèche apparut. « Souffle ! souffle ! Nom d’un chien ! Non écarte-toi plutôt ! » Il faut dire que nous les chats, sommes de piètres souffleurs. Odette trouva meilleur parti dans l’utilisation de son ventilo dorsal, le feu prit bien. « Rends-toi utile Darwin ! Aide-moi ! » L’ordre venait de Passe-passe qui plongea tête la première dans un grand sac en papier contenant du charbon de bois et que de petits humains aventuriers avaient dû laisser là. Je servis de relais entre les pattes arrière de Passe-passe et le feu, prouvant ainsi que malgré mon caractère intellectuel et solitaire je ne suis pas revêche aux efforts collectifs. D’ailleurs, qui aurait osé demander ce service à Leina dont la blancheur en eut été ternie tandis que moi, si magnifiquement noir, j’ai moins à craindre des effets colorants du charbon ? Ainsi nous eûmes un feu facile d’entretien quoique mes coussinets en furent un poil échauffés. L’ambiance devint alors très festive, chacun ayant une bonne histoire à raconter avec Odette en maîtresse de cérémonie. Elle voulut la soirée plus musicale : « Voudriez-vous que j’aille chercher mon accordéon ? » Un oui quasi-unanime retentit. Odette s’éclipsa et fut de retour moins de cinq minutes plus tard avec un accordéon gros comme un paquet de cigarettes mais sonnant bien aussi fort que celui d’un humain taille nature. « Par quoi commence-t-on ? » « Une java ! Une java ! Une java ! Une java ! » « La plus chatte des javas ? » « Oui ! Oui ! En plus tout le monde la connaît par cœur ! » « Non pas moi ! » « Correction… excepté Darwin. Mais s’il est si chavant, il l’apprendra vite ! » « Voilà donc la plus chatte des javas. Adaptation très personnelle d’un vieux classique. C’est parti ! »

 

Je vais vous raconter

Une histoire arrivée

A Nana et Julot Chat Racé

Pour vous raconter ça

Il fallait une java

J´en ai fait une chouette écoutez-la

Mais j´ vous préviens surtout

J´ suis pas poète du tout

Mes couplets n´ riment pas bien

Mais j´ men fous!

 

L´ grand Julot et Nana

Sur un air de java

S´ connurent à la sauvette

A l’arrière d’une charrette

Elle lui dit : J´ai l´ béguin

Sur un air de chat bien

Il répondit : Tant mieux

Sur un air de chat vieux

 

Ah! Ah! Ah! Ah!

Écoutez chats si c´est chouette !

Ah! Ah! Ah! Ah!

C´est la plus chatte des javas

 

Ils vécurent tous les deux

Comme des amoureux

Dans un coin poussiéreux et miteux

Chaque jour, le grand Julot

Disait : J´ t´ai dans la peau

Et il lui griffait le bas du dos

Elle lui dit : J´ai compris

Mais moi j’ai faim, chéri

Et comment nourrirai-je nos petits ?

 

Alors il s´en alla

Sur un air de « Cha va ! »

Pour gonfler ses mamelles

A manière de chamelle

Il s´offrit en décor

Et joua les chats morts

Pour gagner sa pitance

Sur un air de carence

 

Ah! Ah! Ah! Ah!

Écoutez chats si c´est chouette!

Ah! Ah! Ah! Ah!

C´est la plus chatte des javas

 

Sa dame pendant ce temps

Ayant besoin urgent

De se mettre quelque chose sous la dent

Il chipa… lui, Julot

A une femme un morceau

Au beau milieu d’un plat d’osso bucco

Le coup était bien fait

Mais juste quand il partait

Il entendit qu’on l’appelait minet.

 

Alors il laissa là

Ses manières de sherpa

Et partit ventre à terre

A travers la chatière

Cependant la vielle bique

Lui passa tous ses tics

Car elle était bravache

Dans ses coups de cravache

 

Ah! Ah! Ah! Ah!

Écoutez chats si c´est chouette!

Ah! Ah! Ah! Ah!

C´est la plus chatte des javas

 

Nana, ne sachant rien

Continuait d’avoir faim

Six heures se sont passées… Rien ne vient

Elle ressent des frissons

Et elle a des visions

Une arrête ne fait pas le poisson

Les chats faux n’ se dressent pas

Au boulot n’ s’en font pas

Son Julot a les pattes Angora

 

Julot vient à p´tits pas

Sur un air de « Cha va ? »

Mais elle n’est pas séduite

Par son air de chattemite

Il n’a rien dans le gosier

Même pas l’air de chat C

Et rentre encore bredouille

Sur un air de chatouilles

 

Ah! Ah! Ah! Ah!

Écoutez chats si c´est chouette!

Ah! Ah! Ah! Ah!

C´est la plus chatte des javas

 

Ah ! madame ! Je n’avais jamais vécu une telle soirée ! Heureux comme un poisson dans l’eau ! Nous avons chanté et dansé jusqu’à en tomber de sommeil. Je dormis un peu, blotti contre mes camarades autour du feu qui se mourrait petit à petit. Puis Odette me réveilla pour me dire que George m’attendait dehors pour me raccompagner jusqu’à chez moi. Brave George, ce fut fait sans frayeur. Ainsi s’acheva ma grande aventure à Loyasse sur la colline de Fourvière.

 

Darwin.

 

3 octobre 2015

Carnets souterrains ou la vie dissolue d’Adamour Bibi de Dardelili.

Chalut

 

Petite digression. Sachez que je suis un chat né avec le printemps, ce dont vous vous doutiez sans doute car les chats de printemps sont plus vigoureux que les autres. Certes mes premiers mois furent un peu difficiles car j’étais glouton mais, volant pourtant souvent la part de lait de P’tit Gris, je n’étais jamais rassasié. Puis notre mère disparue soudainement et nous crûmes mourir de faim, surtout moi. Heureusement Burbulle nous trouva et nous apporta de quoi survivre et s’empressa de nous apprendre à trouver notre pitance et à affronter les épreuves. Je n’étais pas très doué pour ça et ne profitai guère. Je restai chétif jusqu’à mon septième mois, c’était très handicapant pour un chat de gouttière et je manquais d’assurance, notamment lorsque j’eus à traverser la passerelle. Puis l’occasion qui me fit dévorer de la viande plus que de raison agit comme un révélateur. Je pus satisfaire mon côté glouton, et désormais bien au fait des bons coins où trouver de la viande, je ne fis que manger. Entre mon huitième et douzième mois je grandis et grossis bien au-delà des attentes ; je rattrapai P’tit Gris puis le dépassai, une poussée tardive qui paraît inexplicable pour un chat de gouttière car nous sommes réputés grandir plus vite et moins longtemps que les chats d’appartement. En vérité nous ne sommes pas de vrais chats de gouttière, plutôt une génération spontanée, notre mère s’étant réfugiée sur les toits par certitude qu’on se débarrasserait de nous sitôt nés. Cela explique sans doute pourquoi je suis ce que je suis. J’incarne il est vrai une sorte de perfection n’ayant pris que le meilleur de chaque côté. Revenons à nos chatons ! Le besoin de manger sans cesse ne me passa que tardivement, justement lorsque je découvris mes aptitudes intellectuelles, appris prestement à lire et cherchai dès lors la nourriture intellectuelle plutôt que celle du corps (j’avoue aussi que la mise au régime me fut un peu commandée par le fait que je ne passais plus au travers de certains trous qui me sont utiles pour aller d’un bâtiment à l’autre). Je me suis affiné, je me suis musclé à la faveur d’escalades que peu d’autres chats parviennent à effectuer. Si je dépasse encore allègrement les six kilos, ils sont tout en grâce et majesté, et m’évitent bien des tourments par l’effet dissuasif qu’ils ont sur mes congénères. Au prochain printemps, pensez au plus beau chat que vous avez jamais vu, ce sera là une manière honnête de me rendre hommage.

 


J’en reviens à nos fantômes. Odette dormit très bien la tête sur mon ventre, mais sachez qu’elle parle en dormant dans un jargon incompréhensible. Nous fûmes éveillés par le tintement des clochettes du collier du chat roux. Odette et moi nous étirâmes d’un même élan et nous portâmes en baillant vers le coin du rouquin.

 

– Dépêchez-vous ! Je vais bientôt fermer !
– Tu viens à peine d’ouvrir.
– Comment vous pourriez le savoir ? Ronfleurs !
– Pff…
– Bon. J’ai cherché et je crois avoir trouvé ce que vous cherchez sans pouvoir le trouver.
– Voire.
– Vous voulez la lecture des documents ou simplement être désagréables ?
– Il nous serait agréable de l’ouïr très cher archi archiviste.
– Bon. Alors écoutez ! « Adamour Bibi estoit filz de Jean Bibi, marcheand à Lyon, venut riche à sohet, son sohet fust d’estre plus riche il vint plus riche, tant et tant se fist seigneur de Dardelili. Jean passa et Adamour, qui estoit sans frère ni sœur, herita a sa fortune. Adamour estoit très advenent, blond de cheveux, bien peigné et testoné, beau de visage, le nez ionique, les yeux bleus, galland, hault, gaillard, aigu, subtil, hardy, vestut à la mode, bragard, la braguette longue et ample. Estoit bon vivant et aimoit mieux tenir goubelest que plume en main, mais moins goubelest que mentile qui avaist vu plus d’un trou mais poinct celui de sainct Patrice. Beuvant il eust un soir révélation de construire un convent sur sa terre afin d’estre tant bien aulprès des dames que de dieu. Cest convent le voulust interdist aux hommes afin que l’endroit ne fust poinct souillé en pensées inspures avoit ja expérimenté en luy. Vrayement, n’estoit point chattemitte car il fust fest selon son bon voloir et il est duyt que oncque homme n’y vinst. Ce connust il fust estably que femmes non religieuses y estoient repceuz si le vouloient, affin que y prooient le temps que voudroient. Selon les registres, vinrent en cest convent, mesdames : De Lailieu, Magret, Duchaussoir de Filibredin, De Rubins, De Tourte, Le Prist, De Chassemotte, Lamarre, Larançon, Salé, De Longe, Gendre, Depierre, Greffe, Lesargues, Chantier, Beaulapin…
– Excuse-moi mais… elles sont nombreuses comme ça ?
– Une centaine et des brouettes.
– Je suggère qu’on aille directement à la fin de la liste.
– Ah !… Bon. Ben voilà, je ne sais plus où j’en suis. Laissez-moi réfléchir une minute.
Ce qu’il fit.
– Laissez-moi vous donner lecture d’un passage de la lettre que fit madame De Chassemotte à madame De Vuvle Vulpin !
– Qui est madame De Vuvle Vulpin ?
– Si vous m’aviez laissé aller au bout de la liste vous le sauriez. Ecoutez ! « Je m’estois mins en dévotion es soubz terre du convent, en une salle que n’avoit rien sinon une cheminée sans feu. Sobdain la terre et la cheminée s’ovrirent en deux et parust un luciferece qui me manda de le suivre. J’allais un quart de demi lieue jusques davant une grande salle richement meublée et j’y vist dieu feit homme. Vrayement estoit dieu car estoit très advenent, jeune, blond de cheveux, bien peigné et testoné, beau de visage, le nez ionique, les yeux bleus, galland, hault, gaillard, aigu, subtil, hardy, vestut à la mode, bragard, la braguette longue et ample. Estoit bon averlant et m’ofrist deux goubelest de l’eaue béniste de cave. Cependent que je beuvois, il mist bas ses chausses. Avoist de belles griefves et la braguette n’estoit poinct goureuse car sa couille estoit d’un empan et ses triquebilles d’un marc chascune. Il entreprint venir au dessus de moi Maistre Jean Foutre en l’air et mist sa main contre mes cuisses. Me diz : « Cist la vodroit jouer du serrecropierre ! » A quoy mist les mains a ma poictrine au grand interest de ma robbe. Ah ! non ! Ah ! non ! non ! non ! Une robbe tolt satin et veloux ! Je m’airoie de moi mesme sans instance ny hayt. Ce que fut faict, m’abouchast sur la table affin qu’il frottast son lart. Dame ! J’y fust quelque meschante heure cependent que me moulinoit du mouchenez en archidiacre, m’enfonçoyt son berfroi, m’abreuvoit le soliflore, me bouliguoit la gouliche, me braquemardoit le braion, me belinoyt la beloce, me bezinoyt le braizin, me maraudoyt la framboise, me mitainoyt le minoit, me calibroyt le callibistris… Mamye, si je soy femme, par sainct Georges ! dieu n’est pas bougre car a cest ouvrage n’avoit ni fin ni canon ! Je m’escrioie : « Asperge me Domine ! » Tandis que me transcouloyt je fus bien eschauffée du penil et vinst hors d’haleine et toute resudante. Je cuyd avoir tourné on convent sans toucher terre puis, tourné ez Lyon, je vinst grosse. Je voulust l’enfant nommer Jésus. « Voyre, repondist mon mari. Devray je te nommer Marie ? » Mainstenant que mon chier filz a six ans, vrayement estoit très advenenent, blond de cheveux, beau de visage, le nez ionique, les yeux bleus, galland, hault, gaillard, aigu, subtil, hardy… comme bien des enfantz en ceste cité »
– Hum, hum. Tout cela me laisse perplexe.
– Chut ! Ecoutez donc l’extrait de cet autre document ! « Par décret du roi, fust ordonné que seroient destruitz en la seigneurie de Dardelili, le convent, le chasteau et le passaige soubz terre, ceste terre rendust au roi et le nom de Dardelili oblié à tout mai. »
– Cela ne nous dit ce qu’il fait là.
– Je pourrais vous le conter aussi mais, fors le style, ça ferait redondant avec ce que je vous contai hier.
– Vrayement ?
– Oui dea ! Un très bon coin à cadavres pour les siècles des siècles !
– Bien. Si j’ai bien compris, malgré les approximations grammaticales… grosso-modo cet homme fut éliminé pour avoir donné du plaisir aux dames.
– Id quod plerumque accidit.
– Pourquoi ont-ils fait une chose pareille ?
– Malum prohibitum.
– Voilà une singulière injustice.
– Canis canem edit !
– Baisoyt-il les nones ? a dit Odette.
– Nemo igitur vir magnus sine aliquo adflatu divino umquam fuit.

 

Le roux semblant bien décidé à m’énerver et puisqu’on en savait assez , nous prîmes congé de lui. Nous retrouvâmes le tunnel principal et Odette volait de ses propres ailes juste devant moi.

 

– On dirait qu’on a trouvé un chat plus savant que toi matou !
– Non pas du tout Odette ! Car vois-tu ?… son chavoir ne sert aucunement sa réflexion. Tandis que moi je…

 

A cet instant Odette s’est exclamée : « Voyons voir ! » Puis elle a pris la poudre d’escampette. Cher lecteur, chère lectrice, êtes-vous du genre à sauter du coq à l’âne quand la conversation ne vous intéresse pas ? Odette oui. Donc elle a filé à grande vitesse vers le bout du tunnel sa lueur s’est affaiblie avant de disparaître totalement. Noir d’encre, j’en suis resté couillon. J’ai passé deux minutes à me demander si elle allait revenir, ce qu’elle fit.

 

– Ben t’en fais une tête matou !
– Tu trouves ça drôle ? Je n’y voyais plus rien.
– Je croyais que les chats voyaient bien dans le noir.
– N’importe quoi ! Dans le noir total on voit du noir total tandis que dans la pén…
– Sais-tu ce qu’il y a à l’autre au bout de ce tunnel matou ?
– Non.
– Une pierre.
– Une pierre comment ?
– Grosse comme le tunnel.
– C’est bouché, quoi.
– Bouché oui.
– Aucun intérêt donc. Alors sortons !

 

Dehors il faisait jour et les chats gardiens avaient mis les voiles pour la plupart. Ils n’en restaient que deux, en grande discussion avec George. L’ambiance semblait au beau fixe, pas comme le temps, très nuageux avec un mercure passant timidement le zéro en ce début d’après-midi. Sitôt dehors Odette m’a de nouveau laissé en plan.

 

– Hello Darwin ! Alors ? Ce fantôme ?
– Un séducteur ! Pauvre hère ! Il fut bien peu récompensé de ses services. Je te raconterai.
– Well. J’ai pris du poisson et nous t’en avons gardé.

 

J’ai regardé le poisson posé à ses côtés.

 

– Il n’est pas gros dis !
– Il est ce qu’il est. Frais pour le moins. Ça te changera.
– C‘est rien de le dire. Et le journal ?
– Forgot it. Sorry !

 

Ainsi commença cette nouvelle journée. Assez peu rassasié je décidai d’attendre la nuit à explorer un peu plus le cimetière. Les fantômes n’étant pas visibles en plein jour, je croisai de rares humains, agents de la ville, badauds ou familiers des lieux. Dans mes prochains courriers je vous raconterai la fin de mon aventure.

 

 

 

Darwin.

 

13 janvier 2018

Bébère de Fourvière, éléphant de pierre

Chalut chers chats lecteurs !

 

Lorsque nous eûmes fini le scénario du film « Konko Kalekatan ou l’attaque du rat géant », Odette décida d’aller prendre l’air sur le toit, suivie de près par Atlas et Herbert. Biscuit, Biscotte et George s’envolèrent vers les Cordeliers tandis que Boobi et moi nous portâmes à notre tour aux côtés d’Odette. C’est alors qu’elle engagea une nouvelle conversation :

– Tu crois qu’il vont finir par le remettre sur ses pattes ?

– De quoi parles-tu Odette ?

– De l’éléphant.

– L’éléphant qui fait peur à Konko Kalekatan ?

– Non ! L’éléphant de Lyon bougre d’âne ! Tu le vois pas ? Il est pas assez gros ?

J’ai balayé l’horizon. Pas d’éléphant en vue.

– Y a pas d’éléphant Odette ! Ou alors tapi dans le noir.

– Merde alors ! C’est plus grave que je ne le pensais !

– Quoi ?

– T’es pas myope en fait, t’es aveugle !

– N’importe quoi ! Ce n’est pas parce que je ne vois pas d’éléphant quand manifestement il n’y a pas d’éléphant que ça fait de moi un aveugle ! Vous voyez un éléphant vous autres ?

– J’en vois pas, t’as vu ?

– En fait je sais même pas à quoi ça ressemble un éléphant moi. a dit Herbert.

– La basilique, bougres d’ânes ! C’est la basilique !

– Hein ?

– L’éléphant ! C’est la basilique !

– Comment ça l’éléphant c’est la basilique ?

– C’est la basilique qu’est l’éléphant ! C’est comme ça qu’on la surnomme !

– Mais pas du tout !

– Mais bien sûr que si ! T’as jamais entendu parler de ça ? Je croyais que t’étais chavant ?

– Mais bien sûr que n… Ah… mais… maintenant que… Ah ! C’était donc ça !

– Quoi ?

– Non rien ! C’est juste qu’un jour Burbulle m’a raconté une blague qui m’a pas fait rire. Je crois que je viens de la comprendre.

– Dis toujours !

– J’y tiens pas. C’est un peu trop scabreux. Mais dis-moi ! Ton éléphant sur le dos là… il a des talons aiguilles ?

– Oui ! Et des porte-jarretelles à l’occasion !

– D’accord… Mais où est la trompe ?

– Accrochée à la tête !

– Soit… Où est la tête ?

– Bon. Je vous raconte toute l’histoire. Ça s’est passé il y a bien longtemps ! Lorsque Hannibal a traversé les Alpes…

– C’était en 218 avant Jésus Christ.

– Laisse-moi raconter !… Donc l’histoire a retenu que Hannibal avait traversé les Alpes avec ses éléphants…

– En 218 avant Jésus Christ !

– Ta gueule !… Il a traversé les Alpes avec ses éléphants mais ce sont plutôt les Alpes qui ont traversé les éléphants. Montant le col, Bébère, un éléphant plus perspicace que les autres se dit en son for intérieur : « J’m’en fais pas toute une montagne mais quand même, ça m’a l’air plutôt délicat cette affaire ! » Et il décide se faire la malle. Hop ! Le voilà qui dévale la pente neigeuse sur son gros cul !

– Moins gros que le tien. a dit Boobi.

– Ta gueule !… Donc Bébère abandonne la bande armée. Adieu les gars ! Bien le bonjour à Cornélius ! » Allez zou ! Jusqu’en bas de la vallée où il atterrit au beau milieu d’un troupeau de moutons. Voilà donc Bébère bien au chaud parmi les ovinés et il décide de ruminer son sort tout en s’intégrant du mieux qu’il le peut. Les années passent et Bébère finit par oublier les rivages de Carthage, il se sent 100% alpin et complètement mouton. Un jour débarque un grand gars répondant au nom de Pantagruel…

– Je le connais celui-là !

– On s’en fout !… Pantagruel accompagné d’Estimon, Panurge et frère Jan est sur les traces d’une dent égarée par Gargantua. Chemin faisant ils tombent sur ce fameux troupeau de moutons qui, en cette époque, était gardé par Thibault Bélin. Mirant ce grand mouton gris au milieu du troupeau, Panurge se prend à penser qu’un tel mouton ferait une monture acceptable pour rallier à peu de peine le Mont Cenis. Il s’en va voir Bélin et le prie de vouloir, de grâce, lui vendre son grand mouton gris au long museau. Après moult palabres…

– Quel genre de palabres ?

– Ce n’est pas ce que tu veux savoir !

– Si, justement !

– T’as qu’à te référer à Rabelais, Quart Livre, chapitre 5 à 8 !

– Hin hin ! Trop facile ! Tu fais même pas l’effort de nous la raconter en moyen français !

– J’essaye juste de t’expliquer comment cet éléphant a atterri ici ! Pas de te faire un roman !

– Bon d’accord.

– Voilà ! Et ferme-la un peu !… Donc après moult palabres Panurge comprend que sa bourse, aussi grosse qu’elle soit, n’arrivera pas à convaincre ce Bélin peu belliqueux mais têtu comme une mule. Vexé, il retourne auprès de Pantagruel qui sort gentiment de sa sieste. Il lui désigne alors une pierre à peine plus grosse qu’une tête d’homme et lui dit :

« Maître, croyez-vous, du pied, pouvoir envoyer cette pierre par-delà les mers jusqu’au nouveau monde ? »

« Assurément ! » répond Pantagruel.

Alors Panurge désigne une pierre plus grosse qu’un bœuf :

« Et cette pierre, maître, croyez-vous, du pied, pouvoir l’envoyer jusqu’à l’océan ? »

« Assurément ! » répond Pantagruel.

Alors Panurge désigne l’éléphant-mouton allongé au milieu du troupeau et qui, vu de dos, ressemble à un vulgaire rocher.

« Et ce rocher là, maître, croyez-vous, du pied, pouvoir l’envoyer par-delà le Rosne ? »

« Assurément ! » répond Pantagruel.

« Sire. Il m’est d’avis que vous y parviendriez si vous vouliez-vous en donner la peine. Mais pour convaincre ce Bélin là, la peine aura valeur d’exemple ! »

« Qu’a-t-il dit à vrai dire ? »

« Qu’avec ce rocher là, du pied vous n’atteindriez pas la Chartreuse. »

« Est-ce à voir ? »

« Assurément ! »

« Alors voyons ! »

Et boum ! L’éléphant-mouton s’envole à travers les airs et retombe la tête en bas et le cul à l’ouest pile au sommet de la colline de Fourvière ! Voyant leur plus précieux compagnon ainsi envolé, les moutons prennent leur envol à leur tour et s’agglutinent dans le ciel de Lyon. Malheureusement pour eux l’éléphant est mort pétrifié. Depuis lors les moutons organisent de nombreux pèlerinages, raison pour laquelle la météo de cette ville est si capricieuse.

– N’importe quoi ! Comment un éléphant aurait pu vivre près de 1800 ans ?

– L’air alpin !

– Ah oui ? Et c’est l’air alpin qui lui a donné cette taille là ? T’as déjà vu un éléphant aussi gros ?

– C’est dû au régime mouton ! Voilà ce que donne le régime mouton sur un éléphant !

– Les vallées alpines sont pas connues pour leur végétation luxuriante !

– Et alors ?

– Alors c’est plutôt à l’opération inverse que l’on s’attend. N’as-tu jamais entendu parler des éléphants nains ?

– Quel rapport ?

– Eh bien figure-toi que parfois le détroit de Gibraltar se ferme. Et alors la mer s’évapore et le niveau descend à vue d’œil, ce qui fait qu’il devient rapidement aisé de passer de l’Afrique à l’Europe, comme par exemple de la Tunisie à la Sicile. C’est ce que font les éléphants ! Ils débarquent là en mesurant plus de deux mètres de haut et puis tout d’un coup la mer remonte et les voilà piégés sur une île où les ressources se raréfient. Par effet d’adaptation au milieu naturel, de génération en génération, les éléphants rapetissent pour finir par avoir la taille ridicule d’une chèvre. Cela est d’autant plus aisé que les lions eux, sont restés en Afrique.

– Peut-être pas ! Peut-être que les lions sont allés aussi en Sicile mais qu’ils ont rapetissé encore plus vite que les éléphants pour finir par avoir la taille ridicule d’un chat !

– Mauvaise joueuse !

– Mauvais joueur toi-même ! Tu me parles de générations alors que Bébère était tout seul et ne s’est donc pas reproduit

– L’abstinence expliquerait donc sa longévité plus que le régime pissenlits au printemps, herbes sèches en été et feuilles mortes le reste de l’année.

– C’est possible

– Cela ne nous dit toujours pas où est passée la tête.

– Patience matou ! Je raconte la suite. L’éléphant pétrifié, les quatre fers en l’air, prend donc sa place dans le paysage durant près de trois siècles sans qu’on sache quoi en faire. Puis un jour les lyonnais décident de le creuser et le tailler afin de le changer en basilique. 

– Tu veux dire qu’ils ont creusé à l’intérieur de l’éléphant ? Alors la porte d’entrée de la basilique c’était le… le… Ben merde alors !  

– Il était complètement changé en pierre Darwin !

– Mais la tête ? Où est la tête ?

– Attends ! Je te raconte ! Au début ils ont voulu la tailler aussi pour faire une descente d’escalier dans la trompe qui devait arriver vers l’hôpital de l’Antiquaille. Mais les travaux étaient complexes et traînaient en longueur. Jusqu’au jour où… c’était la nuit d’ailleurs ; après un coup de burin malheureux, un tailleur de pierre a vu le tout dégringoler : la tête se détache du corps, rebondit sur un piton rocheux, passe par-dessus l’hôpital des Chazeaux, rebondit à nouveau sur les immeubles de la rue Tramassac et finit telle une balle de tennis au beau milieu de la Saône. Elle se coince une première fois au niveau du pont Bonaparte, faisant barrage à l’eau qui, montant, finit par l’éjecter par-dessus le pont. La tête rallie le Rhône, passe barrages passerelles et ponts par le même effet, sauf le pont d’Avignon qu’elle démoli dans sa partie ouest. Elle finit par couler dans la Méditerranée où on la retrouvera sans doute après la prochaine fermeture du détroit de Gibraltar ! Voilà toute l’histoire matou !

– D’accord…. Bon. Ça se tient. Je valide. Mais de justesse.

– Y a moyen matou !

– Ah zut ! Il se met à pleuvoir. C’est acide la pisse de mouton ?

– Sûrement moins que la tienne ! 

3 octobre 2015

L'envol des mouettes.

Chalut.

Il est grand temps que je vous parle un peu plus en détail de George le Mouet. Voici comment je vins à le rencontrer. Comme je vous le contais dernièrement, il se trouve un endroit sur les quais qui nous est relativement accessible quoique je ne m’y risquerais pas seul. Je dois dire qu’une fois admiré le pont moche, je ne pensais pas y avoir grand-chose à faire. Mais un beau soir Burbulle vint me trouver dans un état d’excitation avancé et arguant qu’il me fallait le suivre car je ne pouvais pas « rater cha. » Il ne daigna pas m’en dire plus et je le suivis non sans rechigner un peu. Comme lors de l’expédition à la place du Pont nous empruntâmes tout d’abord la rue Emile Zola avant de traverser une partie de la place Bellecour dans sa diagonale et passer devant la grande poste. Il était plus de trois heures, une nuit de semaine, nous étions assez tranquilles. Chemin faisant, et voyant la direction que Burbulle prenait, je me disais que le pont moche s’était peut-être abousé à son tour dans le fleuve et qu’effectivement le spectacle se pouvait être saisissant. En passant sur la trémie je compris qu’il ne s’agissait pas de cela ; un brouhaha de conciliabules vint à mes tympans juste avant que je ne découvre cet alignement inouï d’oiseaux blancs aux ailes grises sur le muret du quai. Il y en avait des centaines, sans mentir, et d’où j’étais ma vue de chat ne suffisait pas à en embrasser la fin ni le début. Cela allait peut-être de Perrache à la Croix Rousse, qu’en savais-je ? Une armée de mouettes venues du sud et bavardes comme des pies. Elles jacassaient les unes avec les autres, les unes à propos des autres, avec leur accent chantant de Marseille. Au milieu de tout cela j’en vis quelques-unes en grande discussion avec Passe-passe et P’tit Gris. Burbulle et moi nous approchâmes et Passe-passe m’accueillit en ces termes :
– Alors gone ! C’est t’y pas des beaux zoiseaux ?
Certes, de très beaux oiseaux, mais j’en avais le tournis rien que de les entendre. Quelques-uns de ces oiseaux me regardaient tout en se parlant entre eux ou en m’interrogeant. Je distinguai des morceaux de phrases par-ci par-là : « …autre chat. », «…tu t’appelles ? », « … complet ! » Je m’assis face au muret pour entamer une discussion avec deux de ces énergumènes :
– Que faites-vous là oiseaux ?
– On attend !
– Vous attendez quoi ?
– De redescendre vers la méditerranée.
– Et vous redescendez quand ?
– Dès que le vent du nord arrive.
– Et s’il n’arrive pas ?
– On peut faire sans lui mais crois-moi, il arrive ! Ce n’est plus qu’une question de minutes.
A cet instant une mouette venant du sud en rase-mottes passa par-dessus nos têtes en criant :
– Fada en approche ! Fada en approche !
Il y eut dès lors un drôle de manège. En aval des dizaines de mouettes prenaient leur envol tandis qu’un humain venait vers nous en promenant sa main sur le muret. Sitôt l’humain passé, les mouettes envolées revenaient se poser à la place qu’elles occupaient auparavant (pour autant que je pouvais en juger). J’étais quelque peu sidéré par ce spectacle et l’humain s’approchait nonchalamment mais inexorablement. Voyant que je ne bougeais pas, Burbulle finit par passer à mes côtés en prenant bien soin de me bousculer : « Barre-toi de là Darwin ! » Je retrouvai mes esprits et partis me cacher avec lui et P’tit Gris derrière le muret surplombant la trémie. L’humain passa son chemin, nous retournâmes à nos mouettes, admirant au passage l’agilité de Passe-passe descendant du platane dans lequel il était monté. Je demandai à mes interlocutrices… notez que selon ma logique orthographique, le féminin doit l’emporter dans ce cas-là car l’on dit « des mouettes », sauf s’il est acquis que l’ensemble n’est constitué que de mâles et je dois vous avouer que je n’étais pas en mesure d’affirmer quoi que ce soit concernant leur genre. Je demandai donc à mes interlocutrices pourquoi un si imposant groupe se laissait déranger par un seul humain.
– Eh bien, si la première sur sa route ne faisait pas place nette, elle aurait toutes les chances de prendre un vilain coup. L’effet domino fait le reste.
– Moi je crois plutôt que cet homme se garderait bien de balader son bras ainsi si la première des mouettes ne s’ôtait pas de sa route. Et s’il le faisait, vous auriez tôt fait de lui en passer l’envie, une seule d’entre vous étant assez armée pour le faire fuir et l’ensemble apte à le mettre en charpie sans coup férir.
– Certes… Mais qui voudrait se mettre à dos la race des hommes ?
C’était juste et cependant je ne pouvais m’empêcher de penser qu’il y avait une anomalie à cet état de fait. Juste un peu après une autre mouette venant en rase-mottes, mais cette fois en provenance du pont de la Guillotière hurla son information :
– Vent du nord ! Vent du nord !

Un majestueux envol s’ensuivit, l’une après l’autre les mouettes sautèrent du muret pour s’en aller former un nuage gris-blanc par-dessus le lit du fleuve. Nous admirâmes le spectacle le plus longtemps possible. Ce n’était que cris de joie et excitation. Quand le calme fut venu nous nous rendîmes compte que Passe-passe avait tracé sa route et qu’une mouette était restée sur le muret, une seule, à une cinquantaine de mètres de nous. Nous marchâmes jusqu’à elle et Burbulle engagea la discussion :
– Pourquoi ne t’envoles-tu pas ? Tu es blessée ?
– Well ! I’ m as healty as I could possibly be, I guess.
– Plait-il ?
Alors en français mais avec un méchant accent d’outre-manche :
– Je dis je suis en parfait santé ! Et vous même Sir ?
– Chat va chat vient. English ?
– Yes Sir ! Racist ?
– Pas plus que ça.
– Perfect ! Je suis George ! Sans s à la fin.
– George ? Très bien George. Moi c’est Burbulle et les deux frangins là, c’est P’tit Gris et Darwin.
– Enchanté.
– Pareillement. Alors comme ça tu joues les solitaires.
– No, je suis en poste ici.
– En poste ?
– En poste pour la Gull International. Je suis agent de négociation et de transmission pour les vols intérieurs.
– Et cha consiste en quoi ?
– A s’assurer que nos nuées peuvent passer et se ravitailler sans trop de souci. Je fournis même parfois des droits d’établissement, mais pour l’heure au compte-goutte et surtout à celles trop fatiguées pour voyager.
– Et c’est intéressant ?
– C’est le business. Et vous-même ? Vous faites quoi ?
– Nous ? Rien de spécial, comme tout chat qui se respecte. Darwin se prétend chavant mais on ne voit pas trop à quoi ça lui sert.
George le Mouet me fixa un instant avant de répondre en gentleman :
– Vrai qu’il a l’air assez chavant.

George nous fit la discussion cinq minutes, avant de prétendre avoir un rapport à transmettre. Il nous laissa en plan mais l’histoire ne s’arrête pas là car j’eus l’occasion de le retrouver peu après. Vous voudriez sûrement savoir comment mais je vous le conterai dans un prochain épisode.

Darwin.

4 octobre 2015

Drôle d'Aïcha

Chalut.

 

Voici comment Aïcha provoqua l’hilarité quasi générale, seule Odette resta parfaitement stoïque :

– A mon avis ces messages viennent du futur.

Hilarité donc. Aïcha se fit encore plus petite qu’elle ne l’est et P’tit Gris, bon prince, prit sa défense :

– Arrêtez de rire ! Ce n’est pas stupide ce qu’elle dit !… Et même… si on y pense bien… c’est l’hypothèse la moindre absurde.

– C’est absurde parce que c’est impossible ! Ces choses là c’est seulement dans les mauvais films.

– Ou les mauvais blogs !

– Qu’est-ce que vous en savez ? Vous n’avez pas écouté la lecture de Darwin ? Au début il a bien dit : « A l’orée des années 2020. »

– Une simple preuve de plus qu’il s’agit d’un canular !

– Dis P’tit Gris, tu n’es pas le seul à avoir été attentif et il y a un hic dans cette hypothèse.

­­– Lequel ?

– Sauf bouleversements improbables il n’y aura pas en 2020 de pays nommé Franquie, de Roupéens, de doullars ou de iouros.

Osant sortir de sa torpeur, Aïcha a pris le risque de s’enfoncer un peu plus :

– Parce que c’est le futur d’un univers parallèle !

Cette fois-ci nous n’avons pas ri. Nous l’avons regardée ; avant de nous regarder les uns les autres. J’ai lu dans les yeux de certains quelque chose comme : « Pauvre petite, elle est dérangée du ciboulot. »  Aïcha s’en est allée toute penaude tandis que Riton y allait de son commentaire :

– Soit elle a grandi dans une secte soit elle a les ondes de certaines chaînes de la TNT qui lui arrivent directement au cerveau.

A propos de cerveau, tout en écrivant ce billet je viens de recevoir un message de Gribouille, chat habitant à Nantes qui m’a dit exactement ceci : « Darwin ! Je me réjouissais de pouvoir suivre tes aventures mais il n’aura pas fallu trois jour pour que j’en abandonne l’idée. Tu nous abreuves de textes déjà trop longs dans l’ensemble et depuis hier soir c’est pire ! Des paragraphes de plusieurs pages sans même un retour à la ligne. C’est bien simple, je m’endors en essayant de te lire. Désolé Darwin mais nous sommes à l’ère du 2.0, les gens veulent du court et concis. Outre le fait que tu ne vas pas trouver un seul lecteur humain, ce qui ne semble pas forcément ton but, tu vas perdre une grosse partie de ton audience domestique. Si ça peut te rassurer je suis avec un canari qui lui trouve le format parfait. Sauf qu’il est dans une cage et que je suis obligé de faire défiler les pages pendant qu’il lit, ça m’ennuie profondément. »

 

Gribouille, désolé pour tous ceux qui n’ont pas de part de cerveau disponible suffisante mais je n’entends pas changer de méthode. La présentation des messages reçus sur la tablette m’oblige à les recopier tels que je les reçois. Si j’arrive à les lire, si George y parvient également, cela doit être accessible à pas mal de monde. A ce propos, puisque nous n’avions pas été en mesure d’avancer beaucoup sur l’identité de l’expéditeur, nous espérions que de nouveaux messages nous donneraient de nouveaux indices. Je reproduis donc les messages reçus les trois nuits suivantes :

 

HelloWorld47825 @MnTardy

Hello Emmanuel. Les lime-griffes électriques Patrach te souhaitent une bonne journée. Patrach, une marque du groupe Philippe. 

 

Info47825 @MnTardy

Dans l’affaire des bébés ratés opposant 54 familles de 7 pays différents à la firme Genetron au tribunal pénal de Miamiam (FL) le jury rendra son verdict demain après 4 ans de procédures. L’accusation espère des peines d’emprisonnements et 810 millions de dommages et intérêts, la défense espère un non-lieu et s’en tient à sa ligne, affirmant depuis le début que cette affaire ressort d’un tribunal de commerce. Le jury pourrait bien donner raison à Genetron tant le vocable utilisé lors de ce procès a trait à des affaires commerciales. Par exemple on a appris que Mr Cousins Jeff, 1m73, 102 kilos, nez en trompette, front dégagé mais brun sur les côtés, 108 de QI, et Mme Cousins Venus, née Bradford, 1m69, 123 kilos, nez en patate, cheveux roux lisses, 117 de QI, ont commandé un bébé de sexe masculin, programmé pour atteindre un minimum d’1m75 à 13 ans (de manière à devenir quaterback de son équipe de football), un minimum de 1m98 à 18 ans, poids de forme adulte à 105 kilos, nez aquilin, cheveux blonds bouclés, 148 de QI minimum. La société Genetron leur a livré un bébé, allant aujourd’hui sur ses 10 ans mais dont on pouvait assurément dire dès ses 4 ans qu’il était en déficit de croissance et tendant vers l’obésité, chauve, avec un bec de lièvre et con comme ses pieds (ce qui s’est confirmé depuis). La société Genetron, filiale du groupe Gloogloop, prétend que son système est fiable à 99,999999 % et que les cas incriminés remontent à l’époque du rachat de la société franquaise Enfantriage dont le sérieux et les compétences présupposés furent largement contredits par les faits. Les avocats de Genetron ont rappelé que leur client était tout à fait disposé à un accord amiable grâce auquel chacun aurait trouvé son compte et que toute condamnation personnelle au pénal des dirigeants de la société sonnerait comme un signal très négatif aux oreilles des créateurs de richesse investissant en Merica. .

 

@gaminette

Pas forcément ! Je pense que j’aurais aussi eu mes chances si cela avait été pour Bubbleship !

 

PM @Gastrogone

Question de finances et de fierté, je n’avais plus les moyens de me payer un resto par semaine. On en a bien profité néanmoins et j’espère qu’on pourra remettre ça à mon retour.

 

HelloWorld47826

Hello Emmanuel. Bubbleship te souhaite une bonne journée. Bubbleship, l’évasion à moindre prix. Bubbleship, un jeu du groupe Kakami.

 

Info47826 @MnTardy

Trois ans après la fin de sa diffusion en clair et gratuite sur les antennes franquaises le tour de Franquie pourrait bien ne plus être du tout diffusé en Franquie dès l’année prochaine. En effet la chaîne Bling-Bling Sports, propriétaire exclusive des droits, aurait passé un accord avec divers annonceurs pour mettre la pression finale sur les autorités roupéenes afin qu’elles se mettent en accord avec les traités de commerces internationaux en ce qui concerne la publicité sur les accélérateurs de performance, toujours interdite en Roupie.

 

@gamer1253187

Ce n’est pas parce que je suis la caution absolument non-scientifique de cette mission que mes followers peuvent se passer d’éléments de physique élémentaire. Alors non ! Je ne peux pas faire avec toi une partie en live de Bubbleship !

 

@GordonAndGordon

Je te renvoie à mon article d’hier soir.

 

HelloWorld47827 @MnTardy

Hello Emmanuel. NoAdvance.com, spécialiste de l’avance de caution te souhaite une bonne journée. Avec NoAdvance.com et ses taux inférieurs à 1% par jour, pas de galère, t’es locataire ou c’est tout comme. NoAdvance.com, une marque du groupe Crédit Tuticole.

 

Info47827 @MnTardy

Dans la perspective du prochain festival de Palme, on a appris hier que la canne d’or remise l’an prochain serait la dernière du genre. En effet, pour être plus en phase avec son époque, le festival a décidé de remplacer la canne d’or par une femme d’or. Le modèle aurait été déjà choisi et serait du type T33 de la société Afterash en version rare 95D et avec fonction orale améliorée. Si les réalisateurs se disent dans l’ensemble fort satisfaits de cette avancée, les réalisatrices sont montées au créneau pour souligner le caractère absolument misogyne d’un tel choix. Le réalisateur franquais Raoul Mouletabite, devenu célèbre pour avoir filmé le premier film X intégralement en apesanteur et qui organise chaque année un contre-festival dans la région palmaise, a déclaré qu’il était tout à fait disposé à aider le festival à réduire ses coûts en s’engageant à fournir à chaque édition une femme d’or en chair et en os quant à elle tout à fait unique en son genre et à fonction orale (ou autre) optimale. Autre amélioration notable prévue lors de la prochaine édition du festival, après avoir longuement traîné les pieds face à une technologie jugée trop perturbatrice, les organisateurs ont enfin accepté l’idée d’une diffusion des films en version InstantTakeIt.

 

@gamer1253187

Je ne me défile pas ! Et d’ailleurs je n’ai pas prétendu être imbattable à Bubbleship puisque je n’ai pratiqué que les deux premières séries, celles sur console. Mais à l’époque je me défendais sacrément bien.

 

PM @TravelerCheik

Une très belle ville oui. Et je ne dis pas ça parce que c’est la mienne, c’est une vérité intrinsèque.

 

La prochaine fois je vous dirai comment Aïcha vint justifier son raisonnement de manière presque convaincante.

 

Darwin. 

3 octobre 2015

Sulunc le veement a Darwin, il fust secle sezisme fantosme

Chalut

 

Après un rapide trajet sur une piste large et tranquille (durant lequel Odette m’expliqua qu’elle aurait bien pu abréger la discussion avec Grumpy si tel avait été mon bon désir) nous sommes parvenus au cimetière de Loyasse. Bien avant d’en admirer les monuments nos regards se portèrent naturellement sur les fantômes. Par fantômes j’entends bien sûr des fantômes d’humains. Il m’arrive occasionnellement de voir des fantômes d’autres espèces, notamment un qui m’attriste beaucoup, mais c’est une peuplade avant tout humaine et je vous expliquerai peut-être pourquoi si j’expose un jour ma théorie à ce sujet. Il est également notoire que seuls les humains ne voient pas les fantômes, quoique certains prétendent abusivement le contraire ; par contre beaucoup ont semble-t-il la capacité de ressentir leur présence. J’ignore la raison de ce phénomène, tout comme j’ignore pourquoi certains fantômes errent sur le lieu de leur inhumation ou crémation et d’autres sur le lieu de leur mort corporelle. Je n’avais jamais visité aucun cimetière, mais comme je vis près de la place des Jacobins, dont une partie fut jadis occupée par un cimetière attenant à l’ancienne église et ancien couvent Notre-Dame de Confort, les âmes en peine me sont assez familières. Connaissant le cimetière de Loyasse de par mes lectures, je m’attendais à plus d’agitation. Comme vous ne le savez peut-être pas, le cimetière de Loyasse est à Lyon ce que le Père Lachaise est à Paris. A l’instar de ce dernier il date du début du 19ème siècle et contient d’imposants tombeaux, quoiqu’en moyenne moins monumentaux et dans un cadre moins extraordinaire. Il faut dire que Lyon contient moins de mégalomaniaques que Paris, non pas en proportion mais en quantité, par force, et que les grandes fortunes y sont généralement moins grandes que dans la Capitale. Alors si Lyon c’est comme Paris en moins moins moins, tout de même, cela donne une carte postale saisissante. Nuit sans lune et ciel chargé de nuages, la visibilité restait bonne et les lumières de la ville me suffisaient pour embrasser le cimetière autant que le relief me le permettait. Il y avait là une poignée de fantômes, deux assis sur des sépultures et les autres se baladant, apparemment sans but, sauf un. Je ne sais pas trop comment vous représenter la vision d’un fantôme mais je puis au moins vous assurer que ce n’est pas un drap flottant avec deux trous pour les yeux. D’ailleurs si vous pouviez apercevoir le fantôme d’un personnage célèbre disparu, vous le reconnaîtriez immédiatement. Il en était donc un qui semblait parfaitement occupé. Il était vêtu d’une cape à col plat, d’un pourpoint col officier, de trousses et de souliers à pied d’ours. Nous le vîmes tout d’abord à quelques mètres de nous, arrêté devant une tombe et semblant parler doucement. Ensuite il a remonté l’allée latérale pour s’en aller longeant le carré des prêtres. Je sautai du mur pour lui emboîter le pas et le suivis jusqu’au centre du cimetière où il s’arrêta devant un gros tombeau. Là il a brandi un bras rageur et paru vociférer des insanités. Il a recommencé plusieurs fois à proximité d’autres tombeaux avant de disparaître soudainement. Tandis qu’Odette, George et moi restions interrogatifs, une voix s’est élevée sur ma gauche :

– Etonnant n’est-ce pas ?

C’était un gros vieux chat aux oreilles abîmées, paisiblement installé entre deux monuments.

– Certes oui. Que faisait-il ?

– Eh bien à vrai dire, quoique je vive ici depuis longtemps, je ne connais pas précisément son histoire. Il y a pourtant un moyen de le savoir.

– Lequel ?

– Il faudrait pouvoir accéder aux archives.

– Quelles archives ?

– Mais les archives fantômes, voyons !

– Et où se trouvent-elles ?

– Où elles sont précisément je n’en sais rien, c’est un tel dédale. Mais vous trouverez un archiviste à son poste si les gardiens veulent bien vous laisser passer. Moi je pourrais vous conduire jusqu’aux gardiens mais ça vous desservirait.

– Pourquoi ?

– Parce que je suis gatto non grato chez les archivistes. Raison pour laquelle je n’en sais pas plus sur ce fantôme là. Ce n’est pas faute d’avoir essayé.

– Et où se trouvent-t-ils ces gardiens ?

– Dans le fort. Retournez en arrière, à la sortie de la rotonde c’est tout droit à gauche. Vous trouverez.

 

Reste des fortifications lyonnaises, le fort de Loyasse a laissé quelques beaux vestiges qui font le bonheur des jeunes explorateurs en mal de sensations. Dans l’enceinte même du cimetière subsiste un bâtiment abandonné par les humains à qui en avait l’usage : les chats archivistes. Ils en font un usage réduit d’ailleurs, ne figure là qu’un poste avancé occupé par une tripotée de félins aux aguets. Nous nous sommes dirigés vers l’un d’eux qui nous a questionnés a distance :

– C’est pour une consultation ?

– Oui.

– La mouette… je doute que cet endroit soit fait pour toi. La fée… si tu peux marcher et te faire petite, à la rigueur.

– Well. De toute façon je n’escomptais jouer les chauves-souris. Je vais pêcher en attendant.

 

Odette et moi avons suivi ce chat gardien jusqu’à un trou surveillé par un autre chat en faction et qui ressemblait à l’entrée d’un terrier de lapin (le trou, pas le chat.) Avant de nous y laisser pénétrer le gardien a dit :

– Au début c’est assez étroit mais ça s’agrandit par la suite. A l’embranchement ce n’est pas à droite. D’ordinaire ça se fait à tâtons… j’en voudrais bien un éclairage comme ça !

 

Odette s’avança bille en tête. M’arrivant à peu près au garrot, elle avait la juste taille pour marcher dans le boyau mais ses ailes raclaient les parois en se courbant selon les aspérités rencontrées. Au bout d’une vingtaine de mètres le boyau passa de terreux à pierreux et la pente s’adoucit. Nous allâmes encore quelques dizaines de mètres avant de déboucher sur un tunnel d’un bon mètre de large et de haut. Je regardai les pierres des parois, parfaitement agencées mais semblant ne pas avoir été posées de la veille. Prenant d’emblée sur la gauche Odette ne me laissa pas le loisir de voir ce qu’il y avait à droite. Je la suivais tout en observant le sol sur lequel s’était déposée une légère couche de terre sèche maculée de traces de pattes de chats. Soudainement Odette s’arrêta et fit remarquer qu’elle n’en voyait pas le bout :

– Si j’avais un ami il me porterait.

– Hé ! oui. Si tu avais un ami.

Elle s’est parée d’une moue boudeuse.

– Si tu ne veux pas marcher, vole ! L’espace est suffisant il me semble.

– Oui mais moi j’ai envie qu’on me porte !

– Ok ! ok ! Grimpe !

Elle fut sur mon dos d’un geste révélant une cavalière aguerrie et d’emblée « m’éperonna » en criant :

– Hue chacha !

– Si tu commences comme ça tu vas redescendre tout de suite ! Tiens-toi tranquille !

– Daccodac matou ! Je me demande où nous sommes.

– Je crois que nous sommes dans un ancien aqueduc romain. Et d’après mes connaissances, qui sont vastes, ce tronçon n’a pas été référencé par les historiens et archéologues.

– Nous montons, non ?

– Tout doucement.

Nous sommes allés sur une bonne longueur, peut-être cinq cents mètres, pratiquement en ligne droite. Enfin nous sommes parvenus à une petite salle dans laquelle débouchaient plusieurs autres tunnels. Les parois de l’un d’eux reflétaient une légère lueur bleutée :

– Je crois que nous touchons au but.

Dans ce tunnel nous avons trouvé un chat roux endormi à côté d’une petite vasque enflammée et d’un collier muni de petites clochettes. J’ai bougé le collier, le chat à ouvert un œil.

– Mmmm… Quelle agitation ! Pas moyen de passer trois jours tranquilles. Votre requête ?

– Eh bien nous ne savons pas précisément.

– Je ne peux pas le savoir à votre place.

– Il s’agirait d’un cas datant d’avant l’ouverture du cimetière.

– Quel cimetière ?

– Celui de Loyasse bien sûr.

– Bien sûr, bien sûr. Nous archivons ici tous les fantômes de la ville depuis des lustres. Vous avez l’année du décès ?

– Non.

– La décennie ? Le siècle ?

– 16ème je crois. Mais la mort serait localisée à Loyasse.

– Bon. Ça réduit déjà l’éventail. Laissez-moi réfléchir une minute !

Ce qu’il fit.

– Je crois que j’ai ce que vous recherchez. Le début du document est endommagé mais l’essentiel y est. Ecoutez : « …enstre vigne et vigne, le cors dum omne, mortes a tou mais, d’environ trente annels, vesti seul chainse, ne cappel, ne casure, ne braie, ne chausse, ne sollers, ne borse, ne desniers, ne espee, ne braquet. Le Gentis Omne dist : « Chapitles sarons qe faire », « Quil conduira ? Sire. », « Vos. A chanoines contors irez. » Volrent veoir soe Saintee et l’oir, point ne vehu. Le moinen a Saint Just, ne reciurent audience. Le moinen a Saint Irenee, memement. A Saint Jean, ne pooir avant. A Saint Paul, memement A saint Nicet, furunt venut burgeis et marcheands volontifs de voier le cors. Sulunc le veement a cez humaines gents il fust mors de celle bleceure al cuer. Volrent saveir se fust omne lyonnois, unques ne connu. Fust queste a savoir se estoit truant, vague, meiteir, soudar, burgei, marcheand, clerge o chevalier. Le gardirent la boche, avoit joliettes dents qui fuirent nombrez a trente et deus. Le gardirent les pieds, estoit pieds a sollers. A cez humaines gents paruit que estoit Gentis Omne. Tou ce pendant, vinvet rumors a eglise porture. L’un dist : « Il estoient treis peestres en aproismement de Lyon. Sodain icelui, oiant cloches, volut estraindre a ses compaings. Cist pensunt : « A diavle ou cors. Il est desvet e pesme peoir qe pestilance. » Il le corrent sus mainnemain et de juste empeinte le estroerent. Por ce que li diavle se retorne ent le feu il fierent, maintenant le desviestirent. Por ce que devant Dieu ne fust tot nu, ne prinrent le chainse. » Oiant ceci burgeis et marcheands le bruslerent le cors maintenant. Unques ne vist ses compaings, oncques fust connu lui non cest Gentis Omne. »

 

Odette en est restée béate.

– Tu connais tout ça par cœur matou ?

– Evidemment !

J’étais moi-même impressionné mais pas satisfait.

– Désolé mais ce n’est pas ce que nous cherchons. Un document du 16ème ne serait certes pas écrit en ancien français mais en moyen français.

Le roux m’a fixé furieusement.

– Peut-être n’est-il pas du 16ème siècle !

– Quel fantôme du 13ème porte la mode du 16ème ?

– Mmmm… Laissez-moi réfléchir.

Il a fermé les yeux et une minute après j’ai compris qu’il retombait dans son sommeil. J’ai secoué le collier et le chat a réouvert un œil.

– Désolé mais c’est l’heure de dormir.

– Comment sais-tu l’heure qu’il est ?

– Je ne le sais pas.

– Alors comment sais-tu que c’est l’heure de dormir ?

– Parce que j’ai sommeil ! Revenez plus tard ! Si vous ressortez à l’air libre sachez que vous ne pourrez pas revenir avant un mois.

– Pourquoi ?

– C’est la règle.

– Alors nous attendrons là la fin de ton somme.

– Non car la lumière de la fée me dérange.

– Pff !

Nous nous sommes éloignés dans un autre tunnel pour nous reposer à notre tour. Je me suis mis en boule et Odette a posé sa tête sur mon ventre. Je lui ai fait part de mon sentiment sur le texte déclamé par le chat archiviste :

– Vois-tu Odette ? Je crois que l’homme dont il nous a parlé n’était pas un vagabond.

– Personnellement je n’ai pas compris grand chose

– Ah !… Eh bien je fais une hypothèse. A mon avis il s’agissait d’un homme pris dans les conflits entre l’archevêché et les chapitres. Peut-être envoyé par le Vatican auprès de Pierre de Tarentaise pour briser l’autorité du chapitre cathédral, ce qui n’aurait pas manqué de susciter l’animosité de chanoines jaloux de leurs prérogatives. L’histoire du diable n’aurait été que pure invention…

 

Pendant que je parlais la luminosité d’Odette s’est affaiblie peu à peu au point de s’éteindre totalement et bizarrement ses ailes sont devenues toutes molles. Elle dormait et je décidai d’en faire autant. Je vous dirai bientôt ce que nous apprîmes par la suite sur notre fantôme.

Chalut

 

 

19 juillet 2020

Flairbnb, un très gros nez, beaucoup d’oseille et peu d’oreille

Lyon 18 juillet 2020

Chers lecteurs, chères lectrices, chalut !

Aujourd’hui je vais vous parler de celui que que nous appelons communément « l’idiot du deuxième ». Quand je dis deuxième il s’agit bien sûr du deuxième étage, pas du deuxième arrondissement, il y a sans doute plus idiot que lui dans le second arrondissement, à commencer par les pigeons et tous les chiens d’appartement. Je bullais avec Grabel sur le toit et nous étions comme il se doit entourés de quelques membres du clan de Riton quand Odette débarqua :
– Salut bande de cinglés ! Devinez qu’elle est la nouvelle lubie de l’idiot du deuxième ?
– De quel idiot parles-tu ? Ils sont tous idiots et à tous les étages !
– Non pas tous, les autres sont des abrutis à deux ou trois exceptions près. Je te parle de Jasseronde !.
– Ah, cet idiot-là ?
– C’est quoi la différence entre un idiot et un abruti ?
– Un idiot c’est quelqu’un qui fait ou ne fait pas des choses parce qu’il est incapable d’agir autrement, disons que ça le dépasse. Un abruti c’est un abruti !
– C’est à dire ?
– Disons que l’idiot est idiot à la base alors que l’abruti est abruti par acquis. Un abruti est abruti par la vie. Par exemple l’abruti c’est celui qui laisse traîner ses poubelles dans le couloir sachant que Darwin le chat peut venir faire un carnage.
– Je l’aime bien cet abruti-là !
– Ce ne serait pas un fainéant plutôt qu’un abruti ?
– C’est assez souvent la même chose, on devient fainéant par abrutissement.
– Et donc, notre idiot, qu’est-ce qu’il a encore ?
– Il a un airbnb comme voisin !
– Un airbnb ?
– Vous ne connaissez pas les airbnb? Ces logements qui sont loués à la nuit à des gens de passage ?
– Ah oui. Et donc ? Où est le problème ?
– Le problème c’est qu’il devient fou à cause du bruit que font les gens de passage.
– Ah bon ? Pourtant moi je peux t’assurer que certains ne sont pas de passage et font tout le temps du bruit.
– Ça c’est bien vrai ! ont dit plusieurs pigeons qui sont comme moi les témoins direct des nuisances sonores que causent les humains.
– Oui mais… imaginez par exemple que vous ayez Teddy Riner comme voisin.
– Le judoka ? Il ferait sûrement trembler le plancher ! Ce serait pénible !
– Sans doute mais parfois des demi-portions ont le pas horriblement lourd, plus lourd que certains grands costauds. Donc imaginez qu’un humain, qui ne se soucie pas de ses voisins et fait le bruit qu’il veut, ait comme voisin Teddy Riner. Teddy Riner est réveillé en plein sommeil par une porte qui claque. Alors il va toquer à cette porte et dit : « Mec ! Je rêvais de ma prochaine médaille d’or et à cause de toi j’ai été réveillé ! Tu peux arrêter de claquer ta porte avant que je ne te claque la tronche ? » Alors il y a une assez bonne chance pour que le voisin dise : « Oui monsieur. » et comme par magie il ferme sa porte en silence.
– Oui cela paraît être une attitude raisonnable. Un peu comme quand moi je vais voir les pigeons pour leur dire de faire un peu moins de bruit.
– On fait pas de bruit nous ! Pas comme les martinets !
– Bon. Imaginons maintenant que c’est Teddy Riner qui fait du bruit. Le voisin frappe à sa porte pour lui dire de baisser sa musique. Peut-être que Teddy Riner aime le bon voisinage et trouve normal de baisser la musique quand cela dérange les voisins. Mais peut-être qu’il aura envie de répondre : « Sinon quoi ? »
– Eh oui. Sinon quoi ?
– Normalement l’individu de poids moyen ne va pas dire à un type super balèze :« Sinon je te casse la gueule ! » Au mieux il peut s’énerver et dire qu’il va appeler la police.
– C’est la meilleure chose à faire non ? C’est un peu à cause de ce genre de déséquilibres que la police existe.
– Dans une société imparfaite Riton ! Dans une société parfaite même un gros costaud comprendrait qu’il ne peut pas faire tout ce qu’il veut tant qu’un plus costaud que lui ne lui impose pas sa loi.
– Peut-être Odette, mais comme cette société parfaite n’existera jamais, une société avec une police capable de redonner aux individus le sens du devoir collectif est sans doute une meilleure société qu’une société sans police.
– Il faut une police mais laquelle ? Par exemple moi je suis en mesure de t’interdire certaines choses n’est-ce pas ?
– Oh j’ai bien compris !
– Mais je n’en abuse pas.
– Des fois je trouve que tu abuses quand même un petit peu !
– Donc tu peux très bien comprendre que la police peut facilement tomber dans l’excès.
– Parfaitement. Trop de police ce n’est pas l’idéal non plus.
– D’autant moins que bien souvent les pays où la police est la plus redoutée sont aussi ceux où de nombreuses personnes ne peuvent pas faire appel à la police.
– Par peur de la police ?
– Pas que. Souvent la police protège certains citoyens mais pas les autres. Même dans ce pays il existe des zones où la police n’intervient qu’en nombre et pour des délits graves. Qui va appeler la police à cause du bruit du voisin quand le voisin est une brute épaisse et que ce qui le met particulièrement en colère c’est quand on appelle la police ? Donc on n’appelle pas la police et on subit !
– Oui ben c’est un peu ce qui nous arrive à nous ! On subit ! J’ai encore été réveillé pas plus tard que tout à l’heure !
– A cause du airbnb?
– Non ! A cause d’un type qui hurlait dans la rue !
– Il était peut-être furax parce que deux chats qui se battaient l’ont empêché de dormir cette nuit !
– Hin hin !
– N’empêche que deux voisins peuvent essayer de s’entendre et ont assez généralement un intérêt à se respecter mutuellement.
– Cela paraît raisonnable.
– Et c’est à peu près ce qui s’est passé durant ces 20 dernières années pour l’idiot du deuxième, même s’il a changé souvent de voisin. Sauf que maintenant il a deux ou trois voisins différents par semaine. Devinez quoi ? Les gens qui sont en voyage ne se comportent pas comme chez eux !
– Cela paraît logique.
– La logique voudrait que chez soi on se permette des choses qu’on ne se permet pas chez les autres.
– Oui c’est ce que je dis !
– Eh ben c’est le contraire ! D’ailleurs les français sont très réputés pour ça. Ils sont détestés dans le monde entier pour leur réputation à se croire partout chez eux et sans gène.
– Ce n’est pas le cas pour les autres pays ?
– A vrai dire c’est sans doute assez souvent le cas. C’est sûrement la traduction du fait qu’en moyenne les humains manquent cruellement de savoir-vivre.
– Ou bien que leur quotidien est fait de tellement de frustrations que dès qu’ils s’échappent de leur environnement social ils en profitent pour « se lâcher » comme ils disent.
– C’est juste. Et donc c’est exactement ce qui se passe avec le airbnb du deuxième. Laissez-moi vous expliquer le principe du airbnb !
C’est alors qu’elle a extirpé un tout petit téléphone de la tenue colorée qu’elle portait ce jour-là.
– Tu as un iPhone Odette ?
– Un iPhone ? Hi hi hi ! Ça y ressemble non ? Regardez !
– Il est petit dis donc ! Tu peux allez sur Terre-nette ?
– Évidemment ! Comme ça je peux vous faire la lecture ! Allons sur le site de airbnb ! C’est américain pour ceux qui ne le savaient pas.
– On s’attendait pas à ce que ce soit français !
– Même pour se louer des appartements ces cons-là ont besoin des américains. Ils n’ont pas grand-chose pour eux les français quand même. On devrait peut-être songer à quitter ce pays d’incapables !
– Chut ! Écoutez ! « Fonctionnement de airbnb : Que vous soyez à la recherche d'une cabane pour le week-end ou d'une maison pour toute la famille, un accueil chaleureux vous attend. Derrière chaque séjour se trouve une personne réelle qui peut vous fournir les informations dont vous avez besoin pour arriver dans le logement et vous sentir chez vous. » Vous pigez le truc ?
– Y a quelque chose à piger ?
– Dites donc ! Si je vous ai choisis comme amis c’est dans l’espoir que vous aviez un peu plus de jugeote que la moyenne des humains ! « Une personne réelle peut vous fournir des informations ! » Ce qu’il faut comprendre c’est qu’on a atterri sur un site qui est une vaste entreprise d’enfumage ! Dès les premières lignes on comprend que tout ça c’est du flan ! Aucune personne réelle n’a besoin de faire valoir la réalité de sa personne ! Quand on le fait c’est bien parce que très souvent il n’y a pas de personne réelle ! Du moins cette réalité est assez virtuelle ! C’est comme si toi Darwin tu allais sur le site de SFR pour retrouver l’usage de ton adresse mail et qu’on t’annonce qu’une personne réelle va tenter de solutionner ton problème. D’abord cette soi-disant personne réelle va te demander de relire les solutions proposées dans la foire aux questions pour que tu tentes de te démerder tout seul au lieu de faire dépenser des sous à SFR. Si tu ne trouves pas la solution toute faite une personne réelle qui est en fait un robot va t’aiguiller de proche en proche vers une solution un peu plus sophistiquée. En dernier ressort tu pourras demander à ta meilleure amie, c’est à dire moi, de téléphoner au service client. Là avec un peu de chance on tombera sur une personne réelle payée à coup de lance-pierre au Maroc ou dans l’Est de l’Europe qui te répétera ce que tu as déjà lu et à force d’insistance on finira peut-être par avoir en ligne une personne à la fois réelle et compétente. Donc oui, il y a des personnes réelles ! Ce qui veut dire qu’il peut tout aussi bien ne pas y en avoir ! Et avec le airbnb c’est exactement pareil ! Il peut y avoir une personne réelle qui loue son propre appartement durant ses absences ou un studio dans sa maison, une cabane dans son jardin. Cette personne réelle vous connaissez son nom, son adresse, parfois sa photo, et vous pouvez même avoir la chance de la rencontrer en vrai. Mais si c’était toujours le cas le site airbnb n’accueillerait pas le curieux par la phrase que je vous ai citée ! Ces personnes réelles ont été l’alibi de départ pour monter une énorme machine à fric où la réalité des personnes et de leur implication a de moins en moins d’importance. Passons à la suite : « Diversité et intégration »… Le blablabla des multinationales... On s’en fout ! « Accessibilité » C’est pour les handicapés. C’est sûr que l’idiot du deuxième est pas près d’être dérangé par les roulettes d’un fauteuil. Bon… ça on s’en fout… ça aussi… Ah ! Voilà ! « Airbnb, qu'est-ce que c'est ? Airbnb crée des liens entre les personnes grâce à la possibilité de réserver des logements et des activités partout dans le monde. Les hôtes constituent le moteur de la communauté et fournissent aux voyageurs l'occasion unique de voyager comme s'ils étaient chez eux. » « Qu'est-ce que l'hébergement de voyageurs ? Si vous disposez d'une chambre supplémentaire, d'un logement entier ou d'expertise en hébergement, vous pouvez gagner de l'argent en les partageant avec des voyageurs du monde entier. Vous pouvez héberger des voyageurs dans votre logement, organiser des expériences ou bien les deux. Vous décidez à quel moment vous souhaitez héberger des voyageurs. » Qu’est-ce qui annonce le fin mot de l’histoire dans ce passage ?
– …
– « Expertise en hébergement » tas d’emplumés ! Au départ l’idée mise en avant c’est l’échange ! C’est la possibilité pour les voyageurs de loger chez l’habitant au lieu de dépenser des fortunes dans des hôtels hors de prix.
– Ah oui ! Tu veux dire que c’est la possibilité pour tout le monde de voyager loin. De prendre des avions pas chers, des logements pas chers, et d’aller pour pas cher dans les coins du monde les plus fréquentés ; puisque les hôtels sont chers c’est qu’ils sont fréquentés non ?
– Exactement matou !
– Tu parles d’un voyage ! Et c’est quoi ces idées de voyager comme si on était chez nous ? S’il faut se sentir chez soi autant rester chez soi. C’est complètement con comme concept !
– Faut croire que non puisque ça marche ! Mais ce qu’il faut retenir c’est cette idée d’expertise en hébergement. Derrière le côté pittoresque et social de l’échange de bons procédés entre habitants du monde entier c’est un monde de professionnels à l’affût qui grossit grossit grossit. Je suppose que le gros des nuitées airbnb pourrait dans le futur être entre les mains de ces experts en hébergement. Tout cela n’est pas sans conséquence sur la vie des gens dans les centre-ville.
– Qu’est-ce que ça change ?
– Eh bien venons-y !… Voilà ! « Voisins : Il est en principe préférable d'informer vos voisins que vous prévoyez d'accueillir des voyageurs. Cela leur permet de vous dire s'ils ont des préoccupations ou des questions. Si vos voisins subissent des nuisances liées à l'hébergement occasionnel des voyageurs airbnb, ils peuvent enregistrer une plainte. Bruit. Les voyageurs réservent sur airbnb pour de nombreuses raisons, y compris pour passer des vacances ou fêter une occasion. Informez vos voyageurs de l'impact du bruit sur le voisinage pour une meilleure expérience. Si vous avez des inquiétudes quant à la tranquillité de votre quartier, il existe différentes manières de limiter le bruit : Mettre en place une règle interdisant de faire du bruit à certaines heures. Ne pas autoriser les animaux de compagnie. Indiquer que votre logement n'est pas adapté aux enfants ou aux bébés. Interdire les fêtes et les voyageurs supplémentaires non déclarés. Le Code de la santé publique sanctionne les bruits susceptibles de porter atteinte à la santé ou la tranquillité du voisinage en fonction de la durée, de l'intensité et de la répétition. Le gouvernement français définit clairement les types de nuisances sonores répréhensibles et la responsabilité du propriétaire quant à l'application des réglementations en matière de nuisances sonores.
– Quand ils parlent d’animaux domestiques ils veulent dire les chiens bien sûr !
– Les chiens, les chats, les morpions, les punaises de lit et les poissons rouges !
– Pff…
– Tout ça pour dire qu’un expert en hébergement, ce qui est peu ou proue synonyme de personne vivant de l’hébergement d’autres personnes, est susceptible d’avoir de nombreux hébergements. Donc si le voisin d’à côté fait du airbnb et que les voyageurs qui viennent font du bruit, la prochaine fois que vous verrez le voisin vous pourrez lui dire de vive voix ce que vous en penser et le menacer de porter plainte. Mais quand il s’agit d’experts en hébergement qui n’habitent pas là les choses se compliquent un peu non ?
– Pas nécessairement. Je dirais même qu’ils ont intérêt à ce que les choses se passent bien et en plus ils connaissent sûrement mieux la loi.
– Le cas de l’idiot du deuxième ne semble pas te donner raison. Comme il est dérangé par le bruit il aimerait s’adresser au propriétaire. Apparemment l’appartement a changé de proprio l’an passé puis a été refait « à neuf » entre guillemets puisque les poutres sont pourries, avant de devenir un airbnb. Mais le nouveau propriétaire n’a pas jugé important d’en prévenir les voisins et il n’habite pas l’immeuble.
– Cela ne fait pas de lui un expert en hébergement.
– Ça fait de lui quelqu’un qui a investi une petite fortune dans un appartement pourri d’un immeuble pourri à seule fin de placer son fric pour profiter de la hausse des prix continue. Or la meilleure façon de valoriser ce placement c’est de jouer sur cette manne offerte par airbnb ou ses concurrents. Dans quelques années les prix auront doublé donc ceux qui ont beaucoup d’épargne peuvent acheter les yeux fermés sans risque. Même celui qui n’a pas les moyens d’acheter en centre-ville sans emprunter peut penser être en mesure de payer son crédit s’il loue en airbnb, surtout s’il s’arrange avec la loi. A la fin chacun sait que comme tout le monde veut soit habiter les centre-ville, soit y venir en voyage, la hausse des prix ne va pas cesser de si tôt. Tous les propriétaires ou acheteurs ont intérêt à entretenir ce système. Réserver des logements pour les vacanciers ça permet de limiter le nombre de logements pour les lyonnais ou les étudiants qui viennent à Lyon. Donc il y a de la concurrence, les prix des loyers augmentent et les prix des appartements à vendre aussi, c’est mathématique ! Et le type qui a acheté l’appartement du deuxième pour en faire un airbnb est en plein dans le système ! S’il n’est pas expert en hébergement il passe sans doute par un expert moyennant commission.
– S’il passe par un expert il ne va pas lui rester grand-chose. J’imagine que ça ne doit pas non plus rapporter des 1000 et des 100 !
– On a le droit de louer à la nuitée 120 fois par an ! A un certain tarif y a de quoi payer quelques commissions. Si c’est un type qui avait déjà de l’argent à ne plus savoir qu’en faire et qui a acheté cash son appartement ou en est propriétaire depuis longtemps, il peut très bien se satisfaire de peu, du moment que ça paye les charges de copropriétés, les taxes, les travaux d’entretien, le reste c’est du bonus. La plupart des propriétaires qui louent au mois passent bien par une agence, il n’y a pas de raison que ça aille différemment pour des nuitées.
– Oui mais il faut que ça rapporte plus que la location au mois, sinon quel intérêt ?
– L’intérêt c’est qu’on peut garder l’usage du logement pour soi si besoin ! Et de toute façon le prix des nuitées sera toujours en phase avec le prix au mois. Cela doit forcément rapporter plus puisque ça demande plus de travail !
– Mais justement ! Qui veut s’enquiquiner avec du travail alors qu’il peut louer à une même personne durant des années ?
– Les experts de l’hébergement crétin de chat ! Il y a toute une économie autour du logement à la nuitée qui fait vivre bien plus de gens que les hébergements à l’année. C’est à ça qu’on reconnaît une ville qui devient touristique ou simplement dynamique ! Il faut loger les gens qui viennent visiter, faire la fête ou même travailler quelques jours. Tout ça c’est des nuitées à facturer, des gens qui remplissent les lieux culturels, les bars, les restaurants, des gens qui ont besoin de services, des gens qui ne veulent pas faire le ménage, des capricieux en puissance, des enfants gâtés.
– Et ça va faire une ville plus agréable à vivre ?
– J’imagine que ça dépend de ce qu’on recherche. A certains points de vue c’est l’enfer ! L’idiot du deuxième en fait l’amer expérience mais des milliers de parisiens sont déjà passés par-là.
– Bien. Et alors ? Il n’a plus qu’à tenter de mettre les choses au clair avec ce propriétaire.
– Cet idiot n’arrive pas à mettre la main dessus.
– Il n’y a pas le nom sur la porte ?
– Un nom propre très commun et une initiale en guise de prénom. Donc il ne l’a pas trouvé sur Terre-nette. Il est nul en recherche Terre-nette.
– Mais toi tu peux le retrouver n’est-ce pas ?
– C’est justement ce que je m’apprête à faire devant vos yeux ébahis ! Il est certes difficile de distinguer un J. Martin d’un autre J. Martin mais retrouver la photo de ce studio en location doit être un jeu d’enfant !
– Il est idiot mais sans doute pas au point de ne pas avoir pensé à cela !
– Il a cherché sur airbnb parce qu’il est assez idiot pour ne pas savoir qu’il n’y a pas que airbnb.
– C’est toi qui a dit que c’était un airbnb.
– J’ai dit airbnb parce que c’est la star du genre ! Mais il y a d’autres plateformes du même acabit ! Et les experts de l’hébergement ne se privent pas pour multiplier leurs chances en s’inscrivant sur diverses plateformes. Donc ce qu’il faut faire c’est aller sur cosycosy ! Cosycosy aspire les résultats de tous les sites de locations. Tenez ! Regardez ça ! Expedia, booking, abritel, airbnb… y a que l’embarras du choix. J’ai demandé un hébergement pour samedi prochain. Y a plus qu’à zoomer sur la carte ! Regardez ça les pigeons ! Vous saviez que cet appartement était en nuitées ?
– Fais voir ! Ah oui c’est juste en-dessous ! Y a jamais de graines sur ces bords de fenêtre.
– Ça risque pas d’arriver. En tout cas c’est clinquant.
– La photo de la cage d’escalier est contractuelle ?
– Je ne sais pas.
– C’est pas la cage d’escalier du 5, c’est celle du 3. Beaucoup plus lumineuse !
– Au 5 les appartements sont lumineux, au 3 c’est la cage d’escalier.
– En tout cas y a pas le studio en question.
– C’est pas celui à côté ?
– Non. La suite Gaspard c’est la rue Gasparin. Subtil jeu de mot ! Mais on doit être dans la même gamme de prix.
– 110 euros ? C’est cher ?
– Ménage compris Riton ! 38 euros de ménage ! Dont 10 balles pour la femme de ménage hi hi hi !
– Ce n’est vraiment pas drôle Odette !
– Triste mais vrai Darwin. Tu veux regarder ?
– Ton truc est trop petit pour moi.
– Pour tes yeux myopes tu veux dire ?
– Hin hin !
– Bon. Y a plus qu’à trouver une date où notre fameux logement est libre. On va bien finir par tomber dessus vu qu’il est occupé au moins trois jours par semaine.
– Mais comment savoir quand il est libre.
– En tâtonnant pardi ! Y a bien un jour où on va le trouver disponible. Je vais essayer tous les jeudis, vendredis et samedis !
Autant vous dire qu’au bout d’un quart d’heure de recherche infructueuse Odette commença à monter en pression.
– Mais nom d’un chat c’est pas possible ! Ils doivent bien le mettre sur Terre-nette ce logement puisqu’il est loué toutes les semaines !
– Peut-être qu’ils le louent par le bouche à oreille.
– Tu parles Charles ! Je suis sûre que c’est une affaire d’expert de l’hébergement ! Pourquoi la suite Gaspard apparaît presque tout le temps et celui-là jamais ? Bougez pas ! Je reviens !
Elle est revenue une minute plus tard.
– Là ils sont cinq dans le studio ! Dont un bébé ! Ils n’ont certainement pas dormi à cinq là. Donc un couple a dormi dans un autre studio. Et peut-être bien dans la suite Gaspard ! Tiens oui ! Quand on y pense ça sonne juste cette histoire !
– Comment cela ?
– Imagine qu’un expert de l’hébergement qui gère la suite Gaspard gère aussi le logement du deuxième. Mais d’une façon un peu moins officielle. Disons qu’il ne le propose pas sur les plateformes parce que le proprio veut rester discret à ce sujet. Pour un expert de l’hébergement cela ne doit pas être trop compliqué à louer s’il a un bon réseau et sait quand une certaine demande est insatisfaite. Il peut alors proposer ce logement sans passer par une plateforme, c’est toujours l’économie d’une commission en moins.
– Je ne vois pas trop où est l’intérêt pour le propriétaire.
– Ne pas déclarer tous les revenus générés.
– Hum. Mais n’as-tu pas supposé que le propriétaire et l’expert en hébergement ne sont pas la même personne ?
– Sauf si le propriétaire est également expert en hébergement.
– Ou alors… Peut-être que le propriétaire n’est pas au courant. C’est en fait un locataire à l’année qui sous-loue discrètement.
– Possible. Difficile à mettre en œuvre durablement mais possible. Et dans ce cas on a affaire à un vrai expert. Il faut en savoir plus ! Continuons notre investigation. Voyons ce que nous dit la suite Gaspard… L’hôte s’appelle Thierry de memorable.place !
– Thierry De Mémorable Plaice ? Voilà un nom à particule très étrange !
– Memorable.place c’est le nom d’une société, banane ! Il s’appelle Thierry mais n’a pas mis son nom sur le site.
– T’es sur quel site ?
– Airbnb pour le coup. Mais la suite Gaspard apparaît aussi sur d’autres sites. Écoutez quelques commentaires : « Un appartement soigné et très propre, le travail de Thierry y est remarquable. Blablabla. Encore un profond merci à Thierry que nous aurions aimé rencontrer en personne. » Hi hi hi… ça risque pas d’arriver ! Le reste est à l’unisson : « Studio impeccable pour un petit séjour en plein cœur de la presqu'île de Lyon. Communication efficace et réactive avec l'hôte. » « Super séjour, studio idéalement situé et équipé. Échanges faciles avec Thierry, je recommande vivement ce logement ! » Bon on a compris ! Thierry communique bien avec les outils de télécommunication. Donc autant Thierry s’appelle Gaston ou Raymond ! Remarquez qu’on ne peut pas plaire à tout le monde : « Une honte je suis restée 30 min dans le logement insalubre, sale, pas lavé, draps sales, aucune hygiène, draps encore mouillés, matelas souillé plein d urine, vraiment incroyable l'état de la saleté, à fuir vraiment, j ai fini dans un hôtel. Airbnb c’est fini ! »
– Hum… Un peu bizarre ce commentaire. Pas très cohérent avec les autres. Comment un logement pourrait passer de nickel à insalubre ?
– La femme de ménage est peut-être tombée malade. Ou bien, de dégoût, elle a jeté l’éponge. La réactivité de Thierry est notable mais peut-être pas au point d’enfiler une tenue de soubrette pour aller faire le ménage. A chacun son métier, y a les cols blancs et les cols bleus, hi hi hi !… Ah tiens ! J’ai une nouvelle piste ! Thierry n’est pas seul ! Voici la réponse à un commentaire de Bénédicte : « Merci Bénédicte pour votre avis, le confort de nos hôtes est notre priorité, canicule ou non. Aurélie et Thierry de memorable.Place. » Je crois qu’il est temps de nous mettre en quête de memorable.place. Avec un peu de chance il y a un site internet !... Bingo ! Regardez-moi ça si c’est pas des experts de l’hébergement ! Grande maison ! Écoutez : « Fort de notre expérience et des économies faites pendant des années, nous avons investi dans la pierre. D’abord pour notre futur et celui de nos enfants mais aussi avec une idée en tête … Et si nous proposions à nos amis, nos voyageurs, une expérience à la fois différente mais rassurante. Être en voyage et se sentir comme à la maison. Nous avons donc pensé notre univers pour vous. Des appartements bien-être, avec un maximum de confort et connectés, sans oublier un prix contenu. Ainsi est né notre concept que nous avons appelé Memorable.Place, comme le souvenir que vous conserverez à chacun de vos passages dans nos appartements de Lyon. Depuis, Étienne et Jessica ont rejoins l’aventure et vous accompagneront également pour un séjour au top ! » Qu’est-ce que tu dis de ça Darwin le chat ?
– Je trouve cela un peu étrange comme présentation.
– C’est à dire ?
– « Nous avons investi dans la pierre. D’abord pour notre futur et celui de nos enfants ! » Qu’est-ce que les enfants ont avoir là-dedans ?
– Eh bien s’ils possèdent les 33 logements présentés sur leur site, ce dont je doute, il est clair que leurs enfants sont à l’abri du besoin.
– C’est bien cela qui est bizarre. Présenter son entreprise comme ayant vocation à permettre à ses enfants d’être riches sans rien faire. Les entrepreneurs n’aiment rien de mieux que faire valoir qu’ils ont réussi sans l’aide de personne…
– Ce qui est généralement faux !
– Certes mais c’est illogique de se présenter comme maître d’œuvre de sa propre réussite tout en pensant que ses enfants doivent échapper totalement à cette satisfaction de grandir par eux-mêmes.
– C’est un détail Darwin ! C’est juste une manière commune de dire qu’avoir des enfants donne une motivation supplémentaire pour avancer dans la vie. C’est tout de même plus facile de s’en sortir quand on ne manque pas de tout.
– Entre manquer de tout et accaparer tant de biens que d’autres se retrouvent nécessairement sans rien, il y a un éventail de possibilités. Ces gens-là ont l’air d’avoir un appétit insatiable.
– Ils gèrent des biens. Ils ne disent pas qu’ils les possèdent tous. En tout cas c’est comme je disais, des experts en hébergement. Écoutez : « Communication 24h/24 et 7j/7. Nous sommes tout le temps disponibles pour venir en aide et répondre à nos invités ! » Vous voyez bien de quoi il s’agit ! Ils utilisent les moyens de communication mais ne rencontrent sans doute jamais les locataires. Leur travail c’est de trouver les bonnes personnes pour fournir les services nécessaires. Ils font sûrement appel à une société de nettoyage tous les jours et régulièrement à des menuisiers, des plombiers. A force de grossir ils ont même dû embaucher Étienne et Jessica pour les aider en cela. C’est tout à fait le genre de personnes parfaites pour gérer les locations du logement du deuxième sans passer par une plateforme. Voyez ! On peut louer directement sur leur site. Je suis sûre qu’on va trouver notre fameux logement.
Deux minutes plus tard Odette dut se rendre à l’évidence, toujours pas trace du logement du deuxième.
– Nom d’un chat j’aurais juré que… Mais pourtant c’est eux ! J’en suis sûre ! Je le sens !
– Tout le monde peut se tromper Odette !
– Il faut savoir comment ils s’appellent et on va leur demander si c’est eux qui s’occupent de ce logement !
– S’ils le font discrètement c’est pas pour te le dire à toi. D’ailleurs je ne vois vraiment pas quelle raison pourrait les pousser à le faire discrètement.
– Une chose est sûre ! Quelqu’un le fait discrètement puisque c’est loué et que nous-mêmes on n’arrive pas à le louer ! Et d’ailleurs ce Thierry et cette Aurélie semblent avoir un certain penchant pour la discrétion ! Où alors ils ont un nom si débile qu’ils préfèrent le garder pour eux.
– Genre Thierry et Aurélie Pigeon ?
– Ou genre Thierry et Aurélie De Gouttière !
– Genre Thierry et Aurélie Vomi !
– Non ça c’est joli, ça rime !
– N’empêche que s’ils croient pouvoir noyer le poisson, nom d’une mouette on va le repêcher vite fait ! Un petit tour sur societe.com est on sera fixé-e-s ! Alors… memorable.place, société par actions simplifiée est en activité depuis 2 ans. Établie à Lyon 9ème, elle est spécialisée dans le secteur d'activité de la location de terrains et d'autres biens immobiliers. Le directeur s’appelle Étienne Tedde ! Voilà donc une partie d’Étienne et Jessica ! Qui es-tu Étienne ?… Étienne Tedde est aussi dirigeant d’une société dénommée Degentedde située à la même adresse et qui fait de la location de courte durée de voitures et de véhicules automobiles légers. On a perdu Thierry et Aurélie en route. Rebroussons chemin ! Memorable.place a un président dénommé, je vous le donne en mille, ValueforPeopleInvest. Il te plaît ce nom de famille Darwin le chat ?
– Hin hin !
– On continue à noyer le poisson mais on va le sortir de l’eau, ne vous inquiétez pas ! Cliquons !… ValueforPeopleInvest. Activités des sociétés holding, société située à Leyrieu dans l’Isère. C’est un patelin dans l’Est lyonnais ! Eh ben voilà notre Thierry ! Thierry Debarnot est liquidateur au sein de l'entreprise Bebe.net à Leyrieux. Disons qu’il a créé Bebe.net et a fait faillite. Thierry Debarnot évolue dans le secteur d'activité de l'Immobilier. Thierry Debarnot est gérant de l'entreprise MLRLUGDUNIUM à Leyrieu, location de terrains et d'autres biens immobiliers. Je vois pas trop le rapport avec Bebe.net. Je vais duckduckiser Thierry Debarnot et Bebe.net. Hum… Là je suis sur un interview de 2010 d’un Thierry Debarnot mais je ne sais pas si c’est le même. Il parle d’un truc qui s’appelle Media Etudiant. Écoutez « Media etudiant est né de mon propre besoin d’étudiant. C’était il y a 5 ans, j’étais un jeune étudiant en commerce, et passionné d’Internet, or j’avais un mal fou à trouver des informations de qualité et gratuites pour faire mes recherches scolaires. Pour le fun, j’ai donc créé un site sans ambition, afin de créer un lieu d’entraide entre les étudiants et me faire plaisir. Marketing-etudiant.fr était née. Au fil des semaines, aidé par mes camarades de classe, j’ai enrichi Marketing-etudiant.fr afin qu’il réponde à tous les besoins d’un étudiant en commerce pour lui faciliter sa vie d’étudiant. A ce moment-là, j’étais comme un fou de voir que 200 étudiants venaient chaque jour sur Marketing-etudiant.fr, je me sentais utile ! Quelques mois plus tard, ce sont les premiers annonceurs, qui m’ont obligé à créé une entreprise. Un comble, car depuis le début je n’imaginais pas gagner un centime avec Marketing-etudiant.fr ! J’ai donc pris mes 1000 euros économisés depuis un petit moment, et j’ai créé une EURL. Un an plus tard, en parallèle de la fin de mes études, et de ma première expérience en agence Internet (chez Altics), j’ai compris que je pouvais peut être vivre de ma passion et en plus aider d’autres étudiants. Je me suis donc entouré d’associés de compétence, afin qu’ils complètent ce que je ne savais pas faire (création artistique, développements techniques). Par chance, ces deux associés étaient des amis, ils me faisaient donc confiance à 200% et transpiraient comme moi. A partir de ce moment, on a développé ce qui marchait sur Marketing-etudiant.fr à d’autres thématiques, et d’autres usages. Finance-etudiant.fr (communauté des étudiants en finance), Doc-etudiant.fr (bibliothèque collaborative des étudiants), Expat-etudiant.fr (communauté des étudiants qui partent à l’étranger) ont été lancé l’année suivante. Aujourd’hui, nous accompagnons le jeune, l’étudiant tout au long de sa scolarité. De la primaire, avec Mon-Instit.fr, jusqu’au premier emploi avec EmploiCity.fr, en passant par le collège avec Devoirs.fr et le lycée avec les communautés du bac (Bac-ES.net, Bac-S.net, …). Toutes nos marques ont un seul objectif : Faciliter la vie des jeunes / étudiants.
– Eh ben. Il a de la fuite dans les idées celui-là. C’est sans doute pas le même Thierry Debarnot que notre hôte airbnb !
– Je ne vois pas d’homonyme qui sort du lot. Tout est sur ce Debarnot là ! C’est un spécialiste de l’internet apparemment. Il a ensuite créé digiSchool group, prétendument leader de l’éducation numérique et il est actuellement à la tête de Gaming Campus, une entreprise qui, si je comprends bien, doit former des développeurs de jeux vidéo. Regardez sa photo ! Plutôt une bonne tête non ?
– Oui. Il a l’air assez sympa. Un type qui doit mettre des graines sur son rebord de fenêtre.
– C’est pas notre Debarnot ça ! Il est trop occupé pour aller s’emmerder avec des histoires de airbnb ! Je vais tenter avec Aurélie Debarnot… Ah ben chat alors ! C’est la meilleure celle-là ! Y a rien sur Aurélie Debarnot sauf ça ! Regardez !
– C’est qui celui-là ?
– Patapouf le chat ! Patapouf, chat perdu le 3 octobre 2019 à Leyrieu, un patapouf qui a visiblement une Aurélie Debarnot comme humaine.
– Fais voir !… Ce petit chat roux il s’appelle Patapouf ? Il a vraiment pas une tête de patapouf !
– Non c’est vrai. S’il ressemblait à ce gros sac de Garfield on l’appellerait volontiers patapouf mais là…
– Peut-être qu’avec sa patte il avait l’habitude de griffer les poufs.
– On devrait tenter de le retrouver et ensuite on en apprendrait plus sur ce Thierry et cette Aurélie.
– Il est déjà retrouvé.
– Comment tu le sais ?
– Je le sais.
–C’est tout de même étrange cette histoire de Bebe.net qui concerne bien notre Thierry Debarnot expert en hébergement. Attendez… Je vais trouver… Hum… Je l’ai ! C’est lui ! J’y crois pas ! C’est lui !
– Comment tu le sais ?
– Parce qu’en 2012 ce fameux Debarnot lanceur de startup a twitté ceci : « Ma compagne Aurélie Debarnot se lance dans Bebe.net. Première communauté privée de mamans. »
– Il aime bien tout ce qu’est privé cet homme-là ! L’éducation privée, les communautés privées, la multi-propriété privée…
– Et sans doute les subventions publiques hi hi hi ! En tout cas c’est une personnalité publique comme on dit, mais qui aime entretenir une part de mystère.
– Tout cela me laisse perplexe. C’est vraiment les mêmes Thierry et Aurélie Debarnot ?
– Je viens de vous le prouver !
– Cha n’a pas de sens ! Je veux bien comprendre que bien des humains en veulent toujours plus mais il y a des moyens moins bizarres d’y parvenir. Si on a de l’argent on peut très bien investir dans l’immobilier sans pour autant aller jusqu’à se faire passer pour des hôtes airbnb à plein temps. Combien de temps il peut consacrer à l’immobilier ce Thierry, vu ses responsabilités ?
– C’est peut-être ça sa vraie passion. Peut-être qu’au fond il n’amène pas grand-chose dans son Gaming Campus sinon son nom et son argent.
– Je ne le pense pas. C’est du coup totalement désuet de laisser des tas de voyageurs poster des messages relatant l’œuvre d’hôtes magnifiques que sont Aurélie et Thierry alors qu’ils ne les ont jamais vu et pour cause.
– Ce n’est pas désuet c’est mégalo, nuance ! Au demeurant Aurélie semble un peu plus disponible que Thierry. C’est peut-être elle qui s’occupe vraiment de l’hébergement.
– Quand elle ne cherche pas son chat !
– Alors pourquoi c’est Thierry qui est toujours cité ?
– J’avoue ! Tout cela semble horriblement machiste ! Il faut libérer Aurélie en lui donnant l’opportunité de prouver qu’elle sait prendre un problème à bras le corps !
– Quel problème ?
– Le problème de voisinage du deuxième étage !
– C’est bien joli cha, Odette ! Mais on ne sait toujours pas si c’est vraiment Aurélie et Thierry qui s’en occupent !
– Ah ben oui, c’est vrai. Tant pis, je laisse tomber !
– Tout cha pour cha ?
– Eh oui Darwin ! Sauf que te voilà en possession de nouvelles connaissances grâce à moi !
– Lesquelles ?
– Eh bien désormais tu sais ce que signifie une personne réelle dans la langue des voyageurs de grand chemin, des hypocrites, des accapareurs et des insatiables.
– Ce que j’ignore encore c’est si une fée est une personne réelle !
– Et ça c’est réel ?
– Aïe !
– Et ça ?
– Aïe !… Hi hi !… Ouille !… Non pas ça Odette !…

Ah ben chalut

Darwin

2 octobre 2015

Présentement

Chalut !

 

Je me présente, Darwin, chat de gouttière vivant à Lyon sur le pâté de maisons bordé par la Place des Jacobins au Nord, la rue des Archers au sud et les rues Emile Zola et Gasparin d’ouest en est. La vue y est plongeante sur nombre d’appartements et, bienheureux encore de trouver souvent les stores remontés ou les volets ouverts, je passe une partie de mon temps à observer vos congénères, surtout ceux quelque peu portés sur ce passe-tout appelé communément « clope ». Je ne connais pas l’étymologie de ce terme, malgré que, comme je le crois, je sois assez chavant ; cependant, il est aisé de le faire découler de « clopin-clopant » ou « clopiner », suggérant ainsi qu’il en va de la clope comme d’une béquille dont on se sert en soutien à une marche déficiente. Savez-vous qu’il y a, au 4 de la rue des Archers, un gros matou qui fait dans la contrebande de cigarettes ? Il est en cheville avec un gang de blattes qui crèche dans la réserve du buraliste et fait son beurre avec la clientèle de l’Hôtel attenant, mais… chut ! Moi-même j’eus quelques bobos par le passé, n’étant qu’un chat, qui plus est de gouttière, ce ne fut que clopinettes en mon soutien ; remis d’aplomb, je m’étonne toujours de voir les humains garder durablement l’usage de leur béquille comme si elle faisait partie d’eux-mêmes.

 

Vous voudriez sûrement savoir comment j’en suis venu à être aussi chavant, et peut-être la façon dont j’ai appris à lire. J’aurais pu apprendre grâce aux monceaux de prospectus publicitaires qui s’entassent à un rythme effréné dans le hall. « Sauvez un arbre, tuez un castor ! » disent les plaisantins. Ce à quoi les castors répondent : « Sauvez cent castors ! Tuez un publiciste ! » (Sic) J’espère que vous prenez soin des arbres. C’est important les arbres, ça permet, entre autres choses, aux chats de trouver un refuge quand un chien les poursuit d’un peu trop près. Je dis cela sans pour autant pouvoir me disculper entièrement, en tant que chat chavant, j’ai ma part de responsabilité puisque j’ai appris à lire grâce aux journaux. Je ne dirais pas que j’en lis beaucoup, ce serait peut-être beaucoup trop dire, j’en lis de moins en moins en fait, tributaire d’un environnement instable. Le matou du 4 rue des Archers ne deale pas la presse, uniquement les cigarettes, cela m’oblige à trouver mes sources d’information ailleurs. Le plus aisé est de visiter les appartements avec Velux, régulièrement ouverts, sauf au cœur de l’hiver bien sûr. Il y a de bels appartements sous toit rue Gasparin qui ne manquent pas de journaux. Le vieil homme qui allait tous les jours chercher son Figaro et son Progrès m’accueillait volontiers chez lui, mais il n’est plus désormais et je suis devenu persona non grata dans ce logement. Un autre vivait au 2 de la rue et avait coutume de s’absenter toute la journée en laissant s’aérer sa chambre par un dispositif qui me laissait le loisir de me glisser sans trop de contorsions. Lui lisait surtout des revues et mensuels. Je tiens de cet appartement le gros de mes premières réflexions sur le comportement humain. Ne le prenez pas pour vous… pour un être qui se croit le seul dépositaire de la conscience universelle, l’humain a l’heur de vouloir absolument prouver le contraire dès que l’occasion lui en est donnée, ce qui n’est pas rare ; du moins, s’il est conscient, il est surtout passablement inconséquent. Il est peu de signe laissant espérer une amélioration car toutes ces analyses dans les journaux prouvaient au moins qu’on tâtonnait la voie à suivre. Or depuis quelques mois, depuis que mon vieil ami a passé l’arme à gauche et que l’homme du 2 a déménagé, mes sources ont tari. Je trouve toujours le moyen de visiter des appartements mais partout ce n’est qu’étalage de papiers aux noms divers et variés : « Métro, 20 minutes, Direct Soir, Gala, Voici… » Vous serez peut-être tenté de penser qu’un chat se complait dans la rubrique chiens et chats écrasés, mais si une telle rubrique existait je préférerais de beaucoup ne pas la lire (hormis la colonne « chiens écrasés » peut-être) et quant au reste… c’est un néant certes capable de prêter parfois à rire (surtout les clichés savoureux de Voici) mais un néant tout de même. Je me sens vraiment démuni ; aurait-on volontairement fermé les écoles de journalisme ? Diable ! Pourquoi aurait-on fait cela ?

Puisque je suis là à vous écrire, j’en profite pour vous conter une petite histoire. Si vous avez déjà visité Lyon peut-être connaissez-vous le jardin du Rosaire qui se situe sous la basilique de Fourvière. Moi, de loin, je le connaissais à peine avais-je ouvert les yeux mais de là à y mettre les pattes, il y avait un monde, un monde tout humide. Quand j’étais tout jeune j’étais, sinon téméraire, du moins assez prompt à me laisser entraîner dans certaines aventures. Je me laissai tenter par Burbulle, un gros chat hirsute, et P’tit Gris, l’un de mes frères. Selon Burbulle, tout chat de gouttière de la Presqu’île se doit de passer au moins une fois dans sa vie les deux fleuves, à commencer par la Saône, laquelle donne un accès à la colline qui donne un point de vue imprenable sur les toits que nous habitons. Nous nous mîmes en marche très tardivement par une nuit froide du début de semaine, façon de limiter les risques d’une rencontre malvenue. Le chemin le long des rues ne m’inquiétait pas beaucoup, nous allions d’une voiture en stationnement à une autre, sans grand risque. Le quai des Célestins était presque désert mais nous le passâmes en toute hâte par crainte d’un chauffard peu scrupuleux. Enfin nous touchions à ce qui m’effrayait le plus : la passerelle ! Ce n’était que quelques dizaines de mètres à franchir en courant le plus vite possible et à cette heure nous avions de grandes chances d’y être seuls. A l’aller j’étais dans une certaine excitation qui m’ôta un peu d’appréhension, je suivis mes camarades sans réfléchir. Un autre quai, désert, nous longeâmes le palais de justice, remontâmes la rue de la Bombarde d’un pas toujours alerte… enfin la montée des Chazeaux. Un imbibé cuvait son vin dans les escaliers mais il ne prêta guère attention à nous, déjà nous touchions au but. Oh quel joli paradis que voici ! Havre de paix et petit pays des arbres et des plantes. On le dit très fréquenté de jour, mais de nuit, fermé à l’homme ordinaire, il va bien aux chats. D’ailleurs nous en croisâmes quelques-uns, que Burbulle salua d’un air entendu, pas de conflit de territoire dans ce lieu là. Nous montâmes jusqu’à la table d’orientation, je découvris Lyon sous un nouvel angle. Cependant des voix d’hommes écourtèrent ce moment de grâce. Burbulle n’en prit pas ombrage, il nous commanda de le suivre et nous filâmes sous la Basilique, empruntâmes quelque raccourci au milieu des arbres avant de rejoindre un endroit encore plus merveilleux et où nulle âme humaine ne traînait son fiel à cette heure tardive. Si vous ne le connaissez pas encore il faut absolument que vous alliez vous asseoir un jour là-bas avec votre ami. Certes il est moins haut que le « belvédère » de la basilique, mais l’environnement de plantes et l’absence de balustrade donne véritablement l’illusion d’avoir la ville à ses pieds. De ce que je peux en voir de mon toit, peu de monde passe par ce côté là du jardin du Rosaire. C’est pourtant le plus bel endroit et facile d’accès. Lorsque vous arrivez en haut de la montée des Chazeaux, pénétrez dans le jardin, montez au troisième virage, passez la statue qui représente peut-être l’homme que l’on nomme Jésus, qu’en sais-je ? Là, allez sur la gauche, faites cent mètres à peine, un petit escalier vous mène vers ce lieu que je vous recommande. Si vous le faites à la tombée de la nuit, que point d’autres humains ne sont présents, vous ressentirez probablement la même chose que moi. Croyez bien qu’il m’en a coûté d’aller jusque là-haut, surtout à cause du retour. Je fus soudain pris d’une terrible angoisse à l’idée de reprendre cette fameuse passerelle. Je m’imaginai qu’on ne pourrait avoir deux fois la même veine et qu’inévitablement nous tomberions nez à nez avec l’un de ses énergumènes qui ont la fâcheuse idée de promener leur chien à point d’heure. Et si, dans un mouvement de panique, je m’en allais sauter dans la Saône ? Burbulle dut jouer les éclaireurs en se postant au milieu de la passerelle avant que je ne l’emprunte à mon tour. Par dieu, jamais je n’ai couru aussi vite de ma vie ! Quel soulagement de rallier l’autre rive tandis que P’tit Gris moquait ma couardise. Voilà donc comment je connus ce petit coin de Lyon.

 

Vous avez, avec Burbulle et P’tit Gris, un petit aperçu de mon entourage. Il faudra que je vous parle de mon ami George le mouet. Vous voudriez sûrement savoir ce qu’est un mouet. Eh bien je vais vous le dire. Je suis de ceux qui trouvent quelque peu anormal de donner du féminin et du masculin à certains animaux et point à d’autres. Donc, puisque George est de l’espèce des mouettes et qu’il est de mon genre plus que du votre, c’est un mouet, et un mouet pas muet pour un sou. Vous voudriez sûrement savoir ce qu’un mouet fait à Lyon. Eh bien je vous le dirai une autre fois.

 

 

Darwin Le Chat.

3 octobre 2015

La messe est dite

Chalut.

 

Dans mon dernier billet je vous parlai de mon attention de passer toute une journée dans le cimetière de Loyasse. George s’en était allé pour son travail mais j’eus bien le loisir de contempler quelques monuments et de retenir quelques noms de familles lyonnaises prétendument célèbres. Je piquai également un petit roupillon dans un endroit tranquille mais une fois de plus la fée Odette me sortit de mes rêves.

– Allons-y matou !

– J’attends la nuit.

– Que nenni ! Allons plutôt retrouver Grumpy !

– Pour quoi faire ?

– Viens et tu verras ! Ce sera bien !

– Trop de monde à cette heure-ci.

– Nous passerons par le bois des maristes. Aucun danger.

– Juré ?

– Déstresse un peu matou ! En route !

 

Nous prîmes effectivement un chemin assez tranquille hormis le besoin de traverser une route et une propriété infestée de l’odeur d’un chien heureusement absent. Nous passâmes la Sarra, le bois des établissements scolaires maristes, atterrîmes sous la passerelle des quatre vents et je sautai sur le muret déjà évoqué dans une précédente aventure. J’appelle muret ce que vous appelleriez sans doute mur en vous référent au point de vue qu’il vous laisse, moi je ne me réfère pas au point de vue mais au saut nécessaire pour le gravir, étant données mes qualités athlétiques autant dire qu’au-dessous de deux mètres c’est un muret. Eh bien voyez donc ce que je trouvai sur ce muret, deux petits chatons de trois mois à peine en grande discussion avec Grumpy, lui resté au bas du muret par force nature. Odette s’annonça à sa façon :

– Salut cabot ! Bonjour mirons !

– Nom d’un chat ! Les revoilà !

– Pour ton plus grand plaisir.

– Que tu dis ! Ne venez pas saccager mon travail éducatif !

– Voire. En quoi consiste-t-il ?

– Au respect de Dieu, et de ses représentants sur terre, à commencer par leurs propriétés. Ainsi je les enjoins de toujours bien rester sur le mur afin de ne pas transgresser le droit divin, auquel cas je me verrais dans l’obligation de les rosser.

– Ah ! ah ! Elle est bien bonne celle-là ! C’est dire le peu d’omnipotence du dieu des humains, des chiens et toute autre espèce handicapée du genre.

– Qu’est-ce à dire justement ?

– Ce mur censé t’aider dans ta besogne mais qui au fond assure surtout que tu ne t’échapperas pas… ce mur empêcherait sans doute l’intrusion d’un cheval ou d’un bœuf. Plus douteux serait son statut de rempart face à un éléphant mais si, comme tu peux le constater, de tout petits mirons sont parvenus à grimper dessus, qu’en sera-t-il de tous ceux qui se déplacent aussi bien la tête en haut que la tête en bas, je veux parler des insectes et des arachnides, sans même avoir besoin d’évoquer ceux et celles qui comme moi ont des ailes et se moquent éperdument de ton droit de propriété à la con ? Pourquoi interdis-tu aux chats ce que tu ne peux pas interdire aux puces, sac à puces ?

– Si dieu a voulu que les murs ne soient utiles que contre les humains, chevaux et bœufs, ainsi soit-il ! Si dieu a voulu que les chiens soient efficaces contre les chats, ainsi soit-il ! Moi je me targue d’être efficace contre les humains malfaisants et les chats récalcitrants et vice et versa on ne passe pas !

– Pff !

– Oh ! mais Grumpy, je veux bien croire que tu es très bon dans ton travail sans jamais en manquer toutefois. Car vois-tu ? Nous les chats sommes faits pour sauter les murets comme les chiens pour mordre le monde. Chatons, voudriez-vous que je vous conte l’une des plaies historiques de cette ville ? Le fléau des enragés !

– Oh ! oui ! Oh ! oui !

– Ne l’écoutez pas les petits ! C’est un matou voyou, un dégoûtant de gouttière !

– Bien, bien. Ecoutez ! Il était une fois un être écervelé mû par la seule volonté de ses dents. Il se plaisait à mordre tout ce qu’il lui était possible de prendre en gueule. De ce mode de vie il en avait retiré une hygiène des plus douteuses, réputé porteur des pires contagions de ce monde et très désireux de les transmettre par sa manie ci-avant racontée. Peu délicat, il ne s’embarrassait guère pour satisfaire ses pulsions et mordait dans son environnement immédiat. Quand il ne s’acharnait pas sur ses propres parties intimes, il mordait ses congénères ou bien la main nourricière, car il n’avait certes pas appris à se nourrir de lui-même. Ainsi cet être aimait à mordre la gente et une fois qu’il y avait goûté, il y revenait sans cesse tant il trouvait bon la gente. Il brayait sans cesse « La gente ! La gente ! » Cela s’appelle « avoir la rage » et porteurs de rage sont grande menace pour la civilisation des gens de bien. Ici à Lyon la menace se fit très tôt pressante en raison du nombre considérable de représentants de cette espèce enragée. Vous voudriez sûrement savoir pourquoi cette ville fut particulièrement propice aux enragés ? Eh bien parce que c’est une ville marchande et n’est-il pas vrai que marchant et aboyant se font les serfs d’un même élan ? Ainsi les enragés croissaient et multipliaient à tel point que les gens de bien s’en émurent. « Le nombre d’enragés est devenu excessif… l’on en voit errer dans les rues sans balises à seul fin de se repaître. Que deviendrons-nous si de plus en plus de dents veulent mordre la gente ? Nous devons prendre des dispositions et conséquemment nous enjoignons à tout être susceptible de compter au nombre des enragés de porter un collier faisant état de sa volonté de mordre la gente ou pas. » Les colliers fleurirent, donnant de bonnes indications sur le pouvoir de nuisance de leurs porteurs, on en vit certains tout d’or, d’autres ornés des plus beaux diamants. Pourtant le constat resta le même, le 30 avril 1788 un texte de police souligna la quantité étonnante d’enragés en cette ville. A l’aube de la révolution il fut rappelé que la devise de la cité n’était certes pas « deuil pour deuil et dent pour dent » et en conséquence il fut fait défense à quiconque d’agacer les enragés, de les faire battre ou de leur attacher quelque chose à la queue. On préféra ensuite instituer un droit à mordre la gente en contrepartie du paiement d’une taxe dont le montant fait toujours débat aujourd’hui. Bref, les enragés sont parmi nous bien que l’on fut souvent tenté de les museler sans jamais y parvenir. Le type vénéré dans cette cité sous le nom de Pasteur et qui a prétendument trouvé un vaccin contre les enragés est donc un fieffé menteur.

– Du grand n’importe quoi !

– Voyez petits, l’idiome disant que chien qui aboie ne mord pas est une figure ayant trait à l’humain, car concernant ce Grumpy-là, je suppute qu’il pourrait bien faire les deux à la fois. Ce qui vous encouragera à bien respecter ses consignes et ne pas transgresser son droit de propriété.

– Oui ! Vous ferez bien ! Pour une fois je suis d’accord.

 

Je passai ensuite un long moment à m’entretenir de choses diverses et variées avec les chatons. Entre chien et loup, l’un des chats m’ayant quelques heures plus tôt permis d’échapper à Grumpy se joignit à nous et nous convia à un office. Vers huit heures quelques poignées de chats affluèrent de tous côtés et se rassemblèrent sous des pins non loin du muret mais pas du côté de Grumpy. S’y trouvaient déjà les deux chats de l’évêché assis de part et d’autre d’une écuelle contenant du lait. Enfin débarqua un vieux chat revêtu d’une sorte de petite cape sombre et portant un collier duquel pendait une petite croix fluorescente. Il prit place derrière l’écuelle et demanda le silence. Au même moment l’un de ses compères se dressa sur ses pattes arrière et se mit à faire des signes inintelligibles avec ses pattes avant. Je crus d’abord qu’il faisait le chat pitre et il me fallut plusieurs minutes pour comprendre qu’il traduisait en langage des signes ce que disait le chat prêtre. D’ailleurs ce dernier ne prêtait pas à rire tant son ton était sérieux. Je ne retins qu’une partie de son allocution, absorbé que j’étais par la gestuelle de son acolyte. Enfin cela dû ressembler à quelque chose comme cela :

– Prions notre seigneur Risti, fidèle entre les fidèles de Jésus le Christ ressuscité qui, lui-même assis à la droite de Dieu, tient chat heureusement sur ses genoux…

 

A cet instant le prêtre fut coupé par la grosse voix de Grumpy émanant de l’autre côté du muret :

– Comment Luya pourrait-il supporter la proximité de Risti sachant que Jésus caresse Luya de sa main droite ? Car le chien étant le meilleur ami de l’homme en ce bas monde, il en va nécessairement de même aux cieux ! Gloire et honneur à l’esprit chien !

Vague de protestation dans les rangs des chats :

– Chut ! Silence ! Honteux ! Comment ose-t-il ?…

 

Le prêtre ne se démonta pas :

Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné, insouciant de me sauver malgré les mots que je rugis ?

Mon Dieu, la nuit j’appelle et tu ne réponds pas, le jour, point de silence pour moi.

 

Des chiens nombreux me cernent, une bande de vauriens m’entoure ;

Comme pour déchiqueter mes pattes ?

Je peux compter sur tous mes os, les chiens me voient, ils me regardent ;

Ils me savent beau et m’envient, et tirent au sort ma peau.

 

Mais toi, Risti, ne sois pas loin, ô ma force, vite à mon aide ;

Délivre l’épais de mon âme, de la patte du chien, ma personne ;

Sauve-moi de la gueule du chiot, de l’infâme cabot, ma pauvre vie.

– Allez Luya !

– Silence !

Les psaumes se succédèrent et rares furent ceux où le mal ne prit pas la forme d’un chien, ce qui somme toute est juste et compréhensible. Grumpy ramena sa fraise régulièrement avec des « Allez Luya » intempestifs. Enfin nous arrivâmes à la fin de l’office :

– Nous célébrons maintenant le chat Risti, vierge de tout péché, par ce lait immaculé. La pureté est en lui, la pureté passe en nous, venez et buvez-en tous !

Alors un à un les chats de l’assemblée allèrent boire à l’écuelle puis s’en retournèrent d’où ils étaient venus sans plus de cérémonie. Quand il n’en resta plus qu’un je décidai de passer à sa suite. Oh ! madame ! C’était du vrai lait ! Pas du lait de vache, ni de chèvre, ni de brebis, ni de truie, de riz, de soja ou autre ! Non pas de ça ! Du lait ! Du vrai lait ! Par la mère Dieu je n’en croyais pas mes papilles. De ma première lampée je m’imprégnai longuement, puis ce fut plus fort que moi ; je plongeai le museau dans l’écuelle pour en laper le plus possible le plus vite possible. Immédiatement je sentis des griffes sur ma tête et la relevai. Le prêtre avait un air sévère et réprobateur :

– Dis-donc toi ! Es-tu baptisé au moins ?

Je fis un gros mensonge plein d’assurance pour ne pas laisser de place au doute :

– Bien sûr que oui !

– Et penses-tu être si proche du seigneur pour avoir droit à une part augmentée ?

– Non pas du tout. Mais puisque je suis le dernier…

– Le dernier des chats j’entends bien. Mais as-tu pensé à la part de Mercure ?

– De Mercure ? Quel marché de dupe ! D’ailleurs on est jeudi !

– Restons humbles !

Alors le prêtre a plongé violemment ses deux pattes avant dans l’écuelle et celle-ci s’est renversée, laissant échapper son précieux breuvage. J’ai senti frétiller mes moustaches, comme une envie soudaine d’en découdre, pour tout dire je fus à deux griffes de lui arracher la tête. Je me contenais en détournant le regard de cet antipathique prieur. J’aperçus les silhouettes de plusieurs chats aux fenêtres de l’hospice voisin, chats auxquels était sans doute destiné le langage des signes. Puis, faisant quelques dizaines de pas le long du muret sans but, j’entendis une voix que je crus tout d’abord réprobatrice à mon égard :

– Lamentable ! Vraiment lamentable !

Je levai la tête, une belle chatte blanche me regardait fixement. Je croyais devoir me justifier immédiatement mais elle ne m’en laissa pas le loisir :

– Crois-tu que si tu avais bu tout le lait tu serais soudainement entré en lévitation ?

– Certes non.

– Tu aurais simplement épanché la soif qui te tiraille. D’ailleurs tu sembles avoir très soif pour un chat.

– J’ai surtout faim car j’ai très peu mangé depuis vingt-quatre heures et ce lait était du vrai lait.

– Au lieu de cela, derrière la référence idiote et qui plus est païenne à Mercure, c’est la terre qui a bu ce si bon lait. Il m’est d’avis qu’elle n’en a cure.

– Je le partage.

– Cela dit la gourmandise peut être un vilain défaut.

– Ou pas.

– Hum ! Où est passée cette belle assemblée ?

– Je l’ignore.

– Eh bien elle s’est dispersée. A chacun son chemin, chacun chez soi, chaque chat pour soi. Où est le dialogue, où est le lien, où est l’amour dans tout cela ?

– Ce n’était peut-être pas le but.

– Quel but alors ?

– Je l’ignore.

– Voudrais-tu que je te conduise dans un endroit où dialogue, lien et amour sont réels.

– Je ne sais pas. Ton dialogue il a pour but de m’inculquer ta façon de voir ou bien de t’imprégner un peu de la mienne ?

– Tu m’as prise pour une très loin de Jéhochat ?

– Je suis du genre méfiant. Et puis je n’ose pas trop m’éloigner car je suis venu avec une fée et j’ai convenu de retrouver George ici à minuit.

– Cela nous laisse quelques heures devant nous. D’ailleurs Odette est sûrement déjà là-bas.

– Tu connais Odette ?

– Il faut croire. Sûr qu’elle a mis les voiles, la messe n’a jamais été son truc.

 

Cher improbable lecteur, chère improbable lectrice, je vous conterai dans un prochain billet comment je passai quelques heures en bonne compagnie.

 

Votre dévoué serviteur, Darwin Le Chat.

 

3 octobre 2015

Grumpy

 

Chalut.

Comme je crois vous l’avoir déjà dit, je n’ai pas été un grand voyageur lors de mes premiers mois d’existence, notamment par peur de passer par-dessus les fleuves qui font le charme de cette ville. Je passais donc le plus clair de mon temps sur mon pâté de maison à chercher les moyens de cultiver mon grand potentiel intellectuel qui n’a guère pu vous échapper. Ce mode de vie m’allait très bien jusqu’à ce fameux jour du mois dernier où la fée Odette a débarqué en plein milieu d’une discussion que je tenais avec George :

– Salut le dingue et la rieuse ! Quoi de neuf ?
– Une entrée plus polie serait une nouveauté appréciable !
– Pff ! Quel grincheux tu fais matou ! Heureusement que je suis là !
– Pour ?
– Pour te dérider un peu ! J’ai des projets pour toi !
– Du genre ?
– Du genre culturel. Nous irons ce soir visiter le cimetière de Loyasse. Tout refus me fâcherait grandement !
– Fâche-toi autant que tu veux ! Je n’ai aucune intention de traverser la Saône !
– Quel trouillard tu fais matou !
– Facile à dire quand on a des ailes !
– Justement. Avec George et moi pour surveiller les alentours, quel danger peut-il y avoir ? Hein George ?
– Possible. A quelle vitesse peux-tu aller Darwin ?
– Sur une telle distance je ne battrai pas Usain Bolt bien que, comme vous pouvez le constater, je sois superbement bâti.
– Certes. Mais c’est guère difficile trouver une minute sans humain sur la passerelle. Il suffit d’attendre le milieu de la nuit. Je surveillerai un côté et Odette l’autre.
– Si nous partons au milieu de la nuit nous n’aurons jamais le temps de revenir avant l’éveil des humains !
– Eh bien nous ne reviendrons que la nuit d’après.
– La nuit d’après ? Je ne peux tout de même pas passer 24 heures sans manger ni dormir ?
– Ah ! mais quel anxieux tu fais matou ! Comme si c’était chose difficile de trouver un endroit pour dormir et de quoi se nourrir !

Après moult palabres je me laissai convaincre, en route pour l’aventure ! C’était en février, il faisait un peu froid et Odette était salement emmitouflée. Comme convenu nous nous mîmes en route tardivement et la traversée de la passerelle fut rendue aisée par les aptitudes de mes amis ailés. Afin d’éviter une mauvaise rencontre nous empruntâmes le petit bois qui jouxte la montée des Chazeaux et résulte de l’éboulement tragique du 13 novembre 1930. Parvenus dans le jardin du Rosaire nous fîmes une halte au lieu déjà évoqué dans un billet précédent et qui donne ce fameux point de vue sur la ville. Nous allâmes ensuite vers le cimetière mais un petit pêché d’orgueil de ma part nous coûta un fâcheux contretemps. Je voulus bien montrer à Odette et George que mes performances physiques n’ont rien à envier à celles de Passe-passe. Voyant le moyen de gravir un haut mur je me fis soudain deux fois bondissant et me retrouvai dans un jardin arboré. Je gardai le cap à l’ouest mais dans la pénombre je vis venir vers moi une silhouette rugissante que je reconnus immédiatement comme appartenant à un chien. Réflexe instantané, je griffai le premier arbre à ma portée et me hissai hors de portée de la bête pour l’observer d’en haut. C’était un chien beige et blanc, très trapu, apparenté bulldog mais probablement mélangé, en tout cas vraiment vociférant. Son vocabulaire était redondant et passablement offensant. Il voulait savoir qui j’étais, d’où je venais et ce que je faisais sur son domaine ; mais il ne me laissait pas en placer une en réponse. Enfin, au bout de longues minutes il a fini par se taire et a arrêté de gesticuler :

– Chien ! Inutile de te mettre dans tous tes états car je ne fais que passer !
– Que tu crois ! Justement j’ai un mot d’ordre : « On ne passe pas ! » Ne sais-tu pas que cette propriété est privée ?
– Ta propriété ?
– Celle dont je suis en charge et qui appartient au grandissime archevêché de Lyon !
– Il m’est d’avis que ton sens de l’hospitalité a quelque chose de pas très catholique.
– Cette hospitalité dont tu parles ne s’adresse pas aux parasites ! Ce qui exclut d’emblée tous les chats de ce monde.
– Je ne suis pas un parasite.
– Oh que si ! Comme tous ceux de ta race ! Tu ne fais rien ! Tu ne sers à rien ! Tu manges et tu dors ! Un parasite, ni plus ni moins !
– Pour ta gouverne sache que je sers beaucoup !
– Oh ! oh ! De mieux en mieux ! Dois-je comprendre que monsieur se sent partie prenante à l’avancée du monde.
– Je n’ai certes pas dit cha mais enfin… j’ai de bonnes raisons de croire que mon utilité vaut bien la tienne.
– Oh ! oh ! Moi monsieur, j’appréhende, je vilipende, je réprimande ; je garde, je nasarde, je larde ; je veille, je surveille, j’éveille ; je guette, j’enquête, j’alerte ; je lorgne, je grogne, je cogne ; je renifle, je niche, je griffe ; j’appâte, je frappe, je mate ; toutes choses pour lesquelles je ne demande que deux rations par jour et une paillasse pour mon repos. Je mérite ma pitance moi monsieur ! Tandis que toi tu passes tes journées sur un canapé à attendre qu’on remplisse la gamelle dont on te fait grâce et dont tu ne te satisfais guère car bien sûr tu ne sais rien faire mais critique tout.
– Pour ta gouverne chache que je suis de gouttière et par force je n’attends rien de personne.
– Oh ! oh ! Nous y voilà ! Un beau spécimen de chat de gouttière ! Un exterminateur de muridés, famille qui à mon avis, bien que parasitaire dans son intégralité, vaut cent fois la tienne.
– Tu fais bien de rappeler que grâce à nous les humains se trouvent bienheureux d’apaiser l’une de leurs plus improbables phobies. Cependant moi-même je ne chasse qu’en ultime recours.
– Autrement dit ton unique moyen de subsistance est le vol !
– Je ne suis pas un voleur mais un glaneur !

– Voyez-vous ça ? Un de ses félins maléfiques qui sèment la pagaille dans les locaux à poubelles ! Pas de quoi se vanter ! Les glaneurs sont à l’égal des voleurs depuis la nuit des temps. Il en allait déjà ainsi lorsque le gros des habitants de ce pays s’occupait à cultiver la terre. Alors les gens bien au fait des cycles de la nature, savaient lui retourner le minimum vital. Je parle en connaissance de cause car ici nous avons un potager qui attise bien des convoitises. Le glaneur… prenons l’exemple d’un lapin glaneur ; le glaneur donc, s’autorise à penser que s’il reste une salade après le passage du propriétaire du potager cette salade lui est due. Quid de l’humus ? Quid du terreau fertile ? Quid des minéraux ? Vois-tu, l’humain est dans sa majorité bête comme chat, cette majorité qu’on appelle le peuple a engendré bien des glaneurs inconséquents qui, par le besoin d’avoir tout, tout de suite et gratuitement, ont appauvri les sols et compromis les récoltes des années suivantes. Voilà pourquoi le glaneur est à l’égal des voleurs et des braconniers, ceux-là même qui, si on les laissait faire, décimeraient la faune d’un domaine en moins d’une génération. Ne sais-tu pas que si Dieu n’avait pas donné pouvoir à la noblesse et au clergé d’administrer les domaines, ce pays ne serait plus qu’une large steppe déboisée ? Ne sais-tu pas que si la chasse ne leur avait pas été réservée dans bien des forêts qui subsistent, il n’y aurait plus en France ni cerf, ni sanglier, ni renard et j’en passe ? Toi chat, tu es comme ce vil peuple : stupide et imprévoyant ! Glaneur égal voleur !
– Théorie défendable. Mais permets-moi la défense d’une autre ! La mienne parle d’un homme de ce peuple si bien accroché à la terre qu’il a une petite idée de la façon dont on lui parle. De la vue d’un nuage il vous prédit le temps qu’il fera demain, d’un coup de froid au printemps il en déduit l’été à venir. Il a son compost, son fumier, sa chaux. Il sait l’assolement et la jachère. Oh ! certes il ne connaît pas tout ce qu’il y aurait à connaître, il est simplement en phase avec le savoir de son pays, de son époque. Sur la terre qu’il cultive s’élèvent un château, un monastère, passent des soldats, des hommes en prière. Les uns ont fait vœu de pauvreté, les autres pas, mais les premiers mangent bien autant que les seconds, ils mangent de plus en plus. La récolte a été mauvaise ? Qu’importe si le droit du métayage dit ce qu’il dit, on accuse le paysan d’en avoir gardé sous le coude. Le métayage devient de fait un fermage, mais un fermage de spoliation de l’exploitant. Le paysan va mourir de faim. Qu’il veuille s’expatrier, c’est plein de barrages sur les chemins. Qu’il veuille manger un lièvre, on lui interdit de poser ses pièges. Il n’a dès lors d’autres choix que de retourner la terre en quête de la dernière patate, ou bien il s’en va braconner à ses risques et périls. De toute façon le paysan ne fait pas de vieux os.
– Tais-toi donc imbécile !
– Va au diable ! Qui de nous deux est le plus stupide en évoquant ainsi des temps immémoriaux ? Le glaneur n’était pas un voleur hier et l’est moins encore aujourd’hui où trente pour cent de ce qui sort de terre va à vau-l’eau. Pardonne la faiblesse de la métaphore mais l’Eve du 21ème siècle ne se serait jamais rendue coupable du péché originel avec une pomme précédant l’ère de l’homme. Pas assez brillante, trop peu uniforme, tachée… aujourd’hui Eve est du genre délicafoireux !
– A d’autres manant ! Je…

A cet instant Odette, qui tout comme George ne s’était pas signalée depuis mon entrée dans le jardin, a fait irruption dans toute sa luminosité, s’est plantée devant le museau du chien et a hurlé :

– Ferme ta gueule cabot !

Le chien a fait un bond en arrière, surpris par la manœuvre et la présence d’un être qu’il n’avait sûrement jamais eu le loisir de rencontrer. Cependant, de par son métier de gardien il n’était pas facile à effrayer et s’est vite ressaisi. Il a repris le terrain concédé dans une vaine tentative d’attraper Odette entre ses crocs. Peine perdue, cette fée, agile comme une hirondelle, savait se tenir juste hors de portée de son assaillant, ce qui naturellement a eu le don de l’énerver. Mon contradicteur s’est démené, a sauté en l’air tant et tant qu’il a fini par se fatiguer et en a pris son parti. Il s’est accroupi au pied de l’arbre dans lequel j’avais grimpé et a décidé qu’il avait tout son temps :

– Soit. Puisque la fée me prend de haut j’attendrai ici que toi le chat, tiraillé par le froid et la faim, tu redeviennes plus terre à terre.
– Et puis ?
– Et puis je te rosserai !
– Pourquoi ?
– Pourquoi pas ?
– Pff ! Idiot de clebs ! On a des choses à faire nous ! Laisse-le descendre !
– George ? George t’es là ?
– Au-dessus de toi !
– Je crois que j’ai besoin de ton aide.
– I know but… C’est molosse anglais ce chien-là. Veux-tu que j’aille chercher les pigeons ?
– Sûrement pas ! Je ne veux pas leur être redevable.

J’ai regardé le chien en espérant déceler en lui les signes d’un endormissement à venir. Il avait l’air à nouveau en pleine forme et m’a souri très ironiquement. Quelques minutes ont passé dans un grand silence durant lequel chacun de nous réfléchissait à une solution. Soudain deux chats sont apparus dans le jardin et se sont avancés tranquillement.
– Alors Grumpy ! Encore en train de torturer l’un de nos hôtes ?
– De une, ce n’est pas notre hôte mais un intrus ! De deux : mêlez-vous de vos oignons !
– De trois : devine qui a actuellement les pattes dans ton assiette de pâtes ?
– Nom d’un chat !

Grumpy est parti en courant vers le bâtiment le plus proche et je ne me suis pas fait prier pour sauter de mon perchoir. Je m’apprêtais à tracer vers l’ouest quand l’un mes deux congénères m’a interpellé :

– Habebimus Papam ?
– Quoi ?
– Aurons-nous un pape ?
– Qui ? Nous les chats ? Le même que les humains non ?
– Benoît XVI a démissionné.
– Ah bon ? Je l’ignorais, pourtant je suis assez chavant mais j’éprouve en ce moment quelques difficultés d’accès à mes médias.
– La question est : « Avait-il le droit de le faire ? ». Je veux dire… au regard de la communauté des croyants.
– Je l’ignore et n’entends pas attendre le retour du crétin canin pour l’apprendre.
– Oh ! ne vous en faites pas trop pour cha ! Il est tout en bouche. Si vous êtes dans les parages dans deux heures, joignez-vous à nous pour les mâtines.
– J’y penserai… Mais au cas où… adieu !

Je ne traînai pas, courrai à travers le potager suivant les indications d’Odette, passai un mur, un nouveau jardin arboré, pris par la gauche d’un hospice, revins sur ma droite, traversai un terrain de sport, une rue déserte, sautai sur un muret : le cimetière de Loyasse ! Vous voudriez sûrement savoir ce que j’y vis. Eh bien soyez un peu patients car je vous le dirai dans une prochaine aventure.

Darwin.

25 octobre 2018

Folie Grabéleuse n°1

Chalut,

Lors de ma grande aventure dans les sous-sols nous avions appris que Grabel, le chat de Grabelot, un humain vivant au dernier étage de mon bloc, avait été abandonné. Quand, quelques temps plus tard, je retrouvai enfin ma sous-pente, je voulus tout d’abord regarder s’il y avait de nouveaux messages sur la tablette. Mais Odette était très pressée d’aller voir si Grabelot était rentré. Nous allâmes donc jusqu’à son appartement en passant par le Velux qu’Odette avait entrouvert la veille pour donner à boire et à manger à Grabel et éventuellement lui permettre de sortir. Grabel ne semblait pas pressé de devenir un chat de gouttière, il dormait paisiblement sur un canapé et, sans doute, la présence ou non de son humain lui importait peu. Il devenait de plus en plus évident que nous n’avions pas compris de travers et que Grabelot avait bel et bien quitté la ville sans plus de formalités et sans se soucier de ce que deviendrait Grabel. Entre Grabel et Grabelot ce n’était donc pas l’amour fou. Par contre la folie du bonhomme était indéniable et il suffit a Odette de fouiller un peu dans une pile de papiers posés sur un joli bureau en bois pour nous en apporter une preuve supplémentaire. Elle en extirpa un document dont elle nous fit la lecture de manière assez théâtrale. Je dois dire que j’ai du mal à saisir le raisonnement de cet homme. C’est tout à fait décousu ! Quoique le thème soit évident, le texte passe d’un contexte et d’un style à l’autre sans crier gare et l’on ne comprend même pas s’il s’agit de reproches qu’il se fait à lui-même, à un autre ou à la terre entière. Voyez donc :

 

« Pourquoi tu te fais chier avec cette merde ? » En fait oui, pourquoi ? Ou pour qui ? Pour tes gosses ? A priori pas pour les miens ; par force. Mais les tiens ? Après tout, puisque leur paternel n’en a cure, qui suis-je pour m’en soucier ? Portrait craché de leur père. « Ils sont toute ma vie. » Un sentiment profond, ils n’en diront pas tant à ton propos si par chance ils ne finissent pas aussi con que toi, ce qui pourrait paraître inéluctable mais n’est finalement pas si probable. Dans ce domaine tu tends à prendre du galon avec l’âge, leur chance de finir avant l’âge que tu as est, elle, inversement proportionnelle à ton degré de conscience, elle-même noyée depuis longtemps par l’irrémédiable montée des eaux, elle-même rendue irrémédiable par l’extraordinaire propension qu’ont les individus de ton espèce à se reproduire comme des lapins sans évolution cérébrale apparente, sinon dans la zone des calculs comparatifs. L’important c’est d’être mieux. Absolument ? Non ! Comparativement ! Sur un critère objectif s’il vous plaît, financier ! Et c’est pas du gâteau, même le banquier de famille s’y perd depuis qu’un avocat fiscaliste suisse a pris sa place dans le cœur du patriarche. Digne héritier 3.0 ! On t’as promis l’éternité mais n’oublie jamais que tes chances de crever jeune et d’une mort violente sont intactes ! On dit merci qui ? Merci papa ! Qu’est-ce qu’il n’a pas fait ce con ? Je vais te le dire ! Il a oublié d’envoyer le milliard de tonnes nécessaires à la terra-formation d’une planète extra-solaire ! « Euh, procédons par étape… tentons d’abord Mars ! » Mars ? Mais non ! Non ! C’est beaucoup, beaucoup, beaucoup trop près de ces milliards de tarés qui, non contents d’avoir saccagé leur planète en quelques générations tombées dans la vénération du dieu Capital, vont forcément finir par trouver le moyen de carrément éteindre la lumière au disjoncteur général ! Et tout ça avant que ces enculés de satanés petits hommes verts ne nous disent où se trouve la putain de faille spatio-temporelle par laquelle ils nous rendent des visites inopinées tous les jours sans jamais être de bon conseil ! On dirait que ça les fait rire ! Qu’ils aillent bien se faire foutre ! C’est la vie de tes gosses qui est en jeu ! (Qui suis-je pour m’en soucier ?) « Pourquoi tu te fais chier avec cette merde ? » En fait oui, pourquoi ? Quand même, sache que ce rouleau de PQ est fait intégralement à base de briques de lait recyclées ! Et pas des briques de laits envoyées à l’autre bout de la planète pour qu’un individu qui mérite ce titre tout autant que toi (mais lui payé à coup de lance-pièce du fait qu’il est né là où la pièce tombe plus souvent du mauvais côté), ne les trie en échange d’une pièce. Non, non ! Des briques de laits triées ici-même, en Europe ! Qu’est-ce que tu dis de ça ? Hein ?… Je te dis pas de te torcher avec des briques de lait ! Jusqu’ici est-ce que quelqu’un t’a jamais demandé de te torcher avec un tronc d’arbre ? C’est juste que l’exemple me paraît approprié pour implanter une infime notion d’écologie dans le cerveau d’un trou cul dans ton genre ! « Pourquoi tu te fais chier avec cette merde, l’écologie c’est pour les riches ! » Fuck me ! On est quoi ? Des pauvres ? « Mais oui ! 3600 millions de chiffre d’affaire en France, zéro euro de bénéfice ! On est pauvre et l’écologie c’est pour les riches ! Fuck You ! » Ah mon salaud ! Qui a repeint le toit en vert ? Et pour quoi faire ? Stratégie marketing ! L’intégralité du budget « Ecogreen » y est passée ! Restons opérationnels ! Depuis que la ville affiche son ambition (future) zéro déchet, les gros dans notre genre sont mis à contribution. Signons la charte, qu’est-ce ce ça coûte ? Les pouvoirs publics sont aussi dans l’air du temps. Vases communiquant et finances en berne, comme ta bite depuis que l’industrie agroalimentaire et l’industrie pharmaceutique ne font qu’une ; sois ici rassuré, les inconvénients des polluants hydrosolubles qui mettent à mal ta virilité sont très bien compensés par les petites pilules colorées issues de la même industrie. Bien sûr cela a un coût ! Mais tu n’as pas le choix ! C’est comme pour ta calvitie ! Le département marketing de l’économie-toi demande des fonds supplémentaires d’année en année ! Exactement comme celui des pouvoirs publics. Sauf que toi tu pourras toujours craquer ton PEE en dernier recours tandis que eux… Vases communiquant. Depuis qu’ils font du marketing ils ne font plus de contrôle (hormis celui des chômeurs) ! Alors voilà ! Ils nous font confiance. Après tout on a signé la charte et notre département marketing fait des miracles. Chacun le sait, nous sommes une entreprise responsable ! Pas au point de sacrifier un demi-point de bénéfices à la cause écol…

« Quels bénéfices ? »

Ta gueule je parle ! Je disais donc, pas au point de sacrifier un demi-point de bénéfices à la cause écolo mais responsable tout de même. On s’engage ! A quoi au juste ? Voyons voir ça…

« Engagement numéro 1 : consommation électrique certifiée 100% d’origine renouvelable. » Oula ! ça va alourdir la facture ça !… Ah ben non ! C’est pas plus cher. Du coup… Admettons que toutes les entreprises et tous les particuliers de France fassent la même chose que nous et achètent une électricité certifiée 100% d’origine renouvelable. Ça voudra dire qu’on produit une électricité 100% d’origine renouvelable ? Non non ! Toujours 75% nucléaire et une bonne partie du reste en brûlant des énergies fossiles. Les certificats du vent ? Du vent !

 

« Engagement numéro 2 : tri sélectif intégral » Bon. On trie pas les bouteilles d’eau parce que ça ressort de la responsabilité individuelle, pas celle de la boite. Pour le reste… Pff… ce vieux reste de peinture et ce solvant qui traînent depuis des lustres, si j’en jette un peu chaque jour dans l’égout, c’est pas la fin du monde. Tiens un néon usagé !… Ah zut ! Cassé !... Ah ben ça ! Je me demande combien d’énergie on obtiendrait en laissant fermenter 50 kilos de métal, de plastique et de composants électroniques qu’on a planqué sous 70 kilos de résidus de tomates hors-sol hollandaises.

– Jimmy ! Je t’avais pourtant dit de foutre ces imprimantes au fond d’une poubelle grise ! Pas une poubelle verte ! T’es con ou quoi ?

– Ah ? Ben désolé je pensais que c’était une poubelle pour le recyclage. Ça m’a paru être une bonne idée.

– On n’a pas de poubelle de recyclage !

– Ah bon ? C’est quoi cette poubelle verte ?

– Le compost ! Quand bien même on aurait une poubelle de recyclage… c’est pas fait pour les imprimantes.

– Ah bon ? Faut en faire quoi des imprimantes alors ?

– Les amener à la déchetterie !

– Ben pourquoi on les amène pas à la déchetterie ?

– Parce que ça coûte cher et qu’on est déjà à zéro bénéfice.

– Ah bon ? Mais celui qui nous vend les nouvelles imprimantes, il est pas censé récupérer les anciennes ?

– T’as qu’à demander à l’installateur, il est encore là.

– Ben justement, je lui ai demandé. Vu sa réponse. C’est pour ça que je te le demande à toi.

– Qu’est-ce qu’il t’a répondu ?

– Que s’il devait récupérer autant d’imprimantes qu’il en installe, il aurait déjà rempli un camion !

– Ben tu vois ! Alors on les fout dans la poubelle grise sous une masse de vieux papiers et on n’en parle plus. Ni vu ni connu j’ t’embrouille ! De toute façon ça change sûrement pas grand chose vu que ça n’a pas franchement l’air d’avoir été conçu pour être recyclé.

– Ouais mais là ça va devenir quoi justement ?

– Ben ça finira sûrement dans un incinérateur. Y a une partie qui va brûler en dégageant des gaz bien dégueu mais en compensation je crois qu’ils récupèrent l’énergie pour chauffer de l’eau. Et puis à la fin je crois qu’il reste une masse carbonée hyper-toxique dont on sait pas quoi faire. Alors on la fout dans des boites en plastique en attendant de pouvoir un jour s’en débarrasser.

– Comment ?

– Je sais pas trop. En trouvant des bactéries qui bouffent cette merde. Ou peut-être en envoyant des fusées pleines de boites vers le soleil.

– C’est possible ça ?

– Je sais pas trop mais c’est une sacrée bonne idée. Comme celle de tout balancer dans la poubelle grise.

– C’est pas très écolo finalement.

– Oui mais nous on se concentre sur notre engagement numéro 3 !

– Qui est ?

 

« Engagement numéro 3 : sobriété et lutte contre le gaspillage ! »

– On est au taquet là-dessus !… C’est quoi ce bruit ? Putain… ça vient de… La photocopieuse ! Bordel ! Mais c’est quoi ce bordel ?

– Mince alors !

– Reste pas là les bras en croix ! Fais quelque chose !

– Qu’est-ce que tu veux que je fasse ! Elle finira bien par tomber en rupture de papier !

– Je viens de faire le plein de tous les bacs ! Aux grands maux les grands remèdes !

– Dites ! J’ai un petit soucis avec les impr… Ah ben ça alors !… Ma page de test !

– Vos pages de test vous voulez dire. Si je rebranche la photocopieuse vous en aurez d’autres !

– Pas sûr. C’est pas très malin de l’avoir débranchée en pleine action. Vous aurez de la chance si vous ne l’avez pas complètement démolie. En même temps… comme je le disais à votre directeur ; vous feriez bien d’investir dans nos derniers modèles.

– Celui-là marche très bien !

– Oui mais les nouveaux sont mieux. D’ailleurs on vous reprend l’ancien si vous vous décidez avant la fin du mois.

– C’est à dire ?

– On vous reprend l’ancien.

– A quel prix ?

– C’est pas une question de prix. Ça vaut plus rien ce modèle !

– Il marche encore ! Un excellent modèle !

– Je vous l’accorde. Notre modèle le plus solide comme on ne sait plus en faire. Mais il n’a pas les fonctionnalités requises pour être à la page !

– Nous on est à la page A4 noire et blanche à 99% !

– Et pour les 1% qui restent ?

– On se débrouille !

– Réfléchissez tout de même !

– Ok. Combien pour la reprise ?

– Zéro euro ! On vous le reprend, c’est tout !

– Pour le mettre dans une benne ?

– Oui mais c’est toujours ça que vous n’aurez pas à faire !

– Ok. J’en parlerai à mon boss.

– Je lui en ai déjà parlé. Il est d’accord avec moi !

– Super ! En attendant je vous laisse ramasser votre page de test. Suis-moi Jimmy !

– On va où ?

– Juste là ! Tu vois les écriteaux de portes ?

– Oui.

– Tu m’en fais l’inventaire pour toute l’entreprise !

– Toute l’entreprise ? Pourquoi ?

– Faut les changer ?

– Les changer ? Quelle idée !

– On doit changer toutes les portes !

– Mais non ?

– Mais si !

– Mais pourquoi ?

– A cause de ces petits éclats sur certaines d’entre-elles !

– Qu’est-ce que ça peut foutre ? Ça n’empêche pas de les ouvrir !

– C’est une question d’hygiène !

– C’te blague !

– C’est pas une question d’hygiène ici mais ça l’est pour les cuisines et les stocks du restaurant d’entreprise !

– T’es sérieux ? Ces petits éclats ?

– Oui. Car ça découvre l’aggloméré et le bois est interdit dans la restauration !

– T’es sérieux !

– C’est la loi !

– Ah ?… Pourquoi on ne change pas que les portes du restaurant ?

– Parce que ce modèle n’existe plus et le boss ne veut pas de portes dépareillées !

– Ah ?

– Tu me fais ça pour demain ?

– Si tu veux.

– Vérifie aussi avec Julie au département marketing si elle a bien commandé tous les displays pour les journées portes-ouvertes.

– On réutilise pas ceux de l’an dernier ?

– Quoi ? Tu les as gardés ?

– Ben oui ! J’avais tout nettoyé et filmé avant ! C’est comme neuf !

– T’es con ou quoi ? On ne te paie pas à faire des choses inutiles ! Fallait les mettre dans une poubelle grise !

– Ah bon ?… Ben j’ai pensé que ça pouvait resservir ! On n’a pas changé de logo que je sache !

– C’est pas la question ! Chaque année on reçoit de nouveaux displays !

– Identiques aux précédents ?

– Pratiquement !… Mais c’est pas la question ! On en a de nouveaux donc on ne garde pas inutilement les anciens ! Ok ?

– Ok ! J’ai saisi le message.

– A la bonne heure… On parlait de quoi ?

– De notre engagement n°3.

– Ah oui… Donc à ce propos, je voulais te dire que faire des efforts c’est bien. Mais on ne le fait pas au détriment de la sécurité ! T’es descendu au local technique ?

– Oui !

– C’est ce qu’il me semblait ! T’as pas remarqué que le va-et-vient était en rade ?

– Si. J’ai éteint d’en bas.

– J’ai vu ça ! Et moi j’ai manqué me vautrer dans l’escalier en descendant ! Tout ça pour faire des économies sur deux néons de 30 watts ! Tu me les laisses allumés la prochaine fois !

– D’accord.

– Qu’est-ce que t’es descendu foutre dans le local technique ?

– Baisser la clim de trois degrés !

– Je l’avais mise à 22 ! C’est très bien 22 ! Pourquoi t’as baissé ?

– Parce qu’un con me l’a demandé !

– C’est qui le con en question ?

– Le big boss.

– Ah ?… Bon. 19 c’est bien aussi. Un peu frais mais ça dynamise !

– Tu verras que cet hiver il voudra chauffer à 24 !

– C’est possible. Mais c’est lui le chef…

– Ben heureusement qu’on est au taquet sur notre engagement n°3 !

– On n’est pas les pires Jimmy ! On n’est pas les pires !

 

Non pas les pires ! De nos bureaux nous ne voyons pas tout ça. Les arbres arrachés, les forets dévastées, les peuples déracinés. Nous n’avons, qu’un listing de prix, du bois à commander. De nos bureaux nous ne sentons pas tout ça. Les vapeurs inhalées, les hommes non masqués, jamais bien informés, de leur toxicité. Nous n’avons, qu’un listing de prix, des coûts à maîtriser. De nos bureaux nous ne faisons pas tout ça. Les matières spéculées, les pays affamés, en toute utilité. Nous n’avons, qu’un listing de prix, des choses à importer. De nos bureaux, nous ne voyons pas grand chose, quoique, auparavant, de nos bureaux, on contemplait un champ, devenu un dépôt. Nos bureaux, eux-mêmes, auparavant, n’étaient rien mieux qu’un champ. Pouvait-il rester champ ? Que ferions-nous sans nos bureaux ? Qui commanderait à nos dépôts ? Comment rouleraient nos camions ? Puisqu’il faut bien qu’ils roulent, de plus en plus longtemps, et de plus en plus loin. Mais c’est le monde qui veut ça ! De nos bureaux nous ne décidons pas la marche du monde, nous y participons, voilà tout ; il faut bien qu’on marche, puisqu’il marche. De nos bureaux, il faut encore marcher, rallier, nos lieux particuliers. Nous sommes, souvent sans particules, simples particuliers, petites particules parmi la multitude, encore, qu’enfant de l’occident, nous allons de bon gré, vers les malles à jouer, à reculons voter. Une simple particule parmi la multitude, tu n’es pas la pire, non pas la pire. Connectée, déconnectée, reconnectée, tu l’as bien su tout ça, tu l’as bien vu. Les enfants dans les mines, au fond des cavités, terres rares et damnées, abondances à brûler. Les yeux bridés rougis, par les gaz assaillis, de fatigues abrutis, un horizon sans vie. Les espèces en péril, ou mortes sous les terrils, mammifères indociles, insectes jugés trop vils, poissons au goût des villes. Les îlots sous les eaux, les hivers sans manteaux, les typhons tropicaux, faisant cap vers Bordeaux. Les éléments fertiles, semant l’irréversible, dans nos corps imbéciles et nos cerveaux débiles. Les éléments gênants, largués dans l’océan, là où leur possédant, a pour prénom néant. Les damnés de l’agraire, les paysans sans-terre, emportés dans des guerres, de paramilitaires. La rondeur écocide, champignon fongicide, dans l’horizon des kids, baignés de pluies acides Les déchets nucléaires, laissés à ciel-ouvert, ou bien profonds sous-terre, pour que d’un proche hier, naisse un immense hiver. Les animaux serviles, entassés à cent mille, prenant déjà la file, vers la lame infaillible, de nos âmes insensibles. Notre poison géant, milliers de milliers d’ans, le croissant des puissants, devenu carburant, la fumée d’un instant.. La construction passive, fantasmée dans les livres, que l’on veut vivre ivres, de productions massives.

 

Vivre ivre, de production massives… de productions massives… Des porte-containers, pour tous mes contenants, mes éléments chauffants, mes éléments roulants, et puis tous mes écrans, les petits, les plus grands, à changer dans un an, mes éléments divers, mes habits de printemps, mes vêtements d’hiver, qui m’iraient comme un gant, pas ce gant ci-devant, à la mode d’hier, mes éléments pour plaire, en dizaines comme en cent, mes parfums odorants, pour changer d’atmosphère, mes saladiers d’argent, mes couverts et mes verres, juste pour le nouvel an, mon logement géant, fait pour célibataire, ma piscine en croissant, pour sourire à la terre, mes détergents puissants, solubles dans l’étang, ruisselant en rivières, pour lessiver la mer.

 

Fin de l’histoire peu d’espoir, je ne puis rien, je suis loir, jamais ne fais le lien, ou bien de mes deux mains, j’aimerais toucher les saints, trouver l’expiatoire, mais qui pourra surseoir, mes gênes respiratoires ?

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12 janvier 2019

Fée fâchée !

A la fin du printemps Odette finit par se fâcher pour de bon mais au départ, nous, les habitants du toit, nous ne fûmes pas vraiment fâchés de la voir fâchée. Je dois dire qu'elle n'a pas vraiment volé la somme de remarques désagréables qu'elle a reçues puisque, au préalable, elle ne s'était pas privée pour nous offenser. Après tout une fée est un être absolument déconcertant d’un point de vue physique contrairement à l’élégance toute naturelle que possède un chat, même un chat mal fichu. Tout cela est parti d’une banale discussion à propos d’une lettre reçue dans laquelle il était question de remerciements, remerciements qui, me semblait-il, auraient dus m’être adressés. De proche en proche Odette a fini par s’attribuer tout le mérite en arguant au passage que ma vie aurait vraiment été nullissime sans elle et qu’elle était en quelque sorte mon Deus Ex-Machina ! Ce à quoi j’ai rétorqué que je ne l’avais pas attendue pour avoir des correspondants et, les pigeons témoignant en ma faveur, la discussion a rapidement pris une tournure désagréable quand Odette s’en ai prise aussi à la vie des pigeons. Là je crois qu’elle aurait mieux fait de se taire car ils en avaient en réserve plus que je ne le soupçonnais. Alors voilà, elle s'est fâchée et nous, quoique soulagés au départ, nous nous sommes rapidement dit que la vie avec une fée avait tout de même quelques avantages. Nous avons cependant dû nous débrouiller de longues semaines sans elle et, lorsque la canicule a frappé la région, j'ai pris le parti de m'échapper avec Grabel dans un endroit un peu plus frais que ma sous-pente, le cimetière de Loyasse en l'occurence. Je passai un mois là-haut, un mois reposant et axé sur la contemplation. Début septembre je rentrai en ville mais Odette n'avait toujours pas réapparue. Je décidai de passer quelques temps sur le très grand bloc en compagnie de Burbulle, P'tit Gris et Aïcha. Burbulle prétend que je perds beaucoup à m’évertuer à vivre sur mon petit bloc qui n’offre pas les mêmes point de vue que le très grand bloc bordé par la place Bellecour d’un côté. Mon endroit préféré reste néanmoins le bâtiment adossé au quai des Célestins. On y croise régulièrement une bande de pigeons particulièrement doués à jouer les commères mais aussi transformer la contemplation des humains en évènements ou en jeux. L’un des jeux les plus prisés et qui, étonnement, arrive plus souvent que je ne l’aurais cru, consiste à faire des paris sur la capacité des gens à attraper leur bus. Il se trouve que les quais sont à sens unique et ceux qui vont vers le nord doivent aller attraper leur bus à l’arrêt d’en face. Comme du pont on a une bonne visibilité sur plusieurs centaines de mètres de ce quai, on voit les bus arriver de loin. Mais selon la couleur des feux les bus arrivent plus ou moins vite et les humains traversent plus ou moins facilement. C’est il est vrai assez drôle de voir une personne constater que son bus arrive et qu’en se hâtant un peu elle pourra l’avoir et économiser dix minutes ou plus de son temps. Certaines sont lestes et athlétiques et traversent le pont à grandes enjambées. Cela ne suffit cependant pas toujours si le bus est trop avancé. Les pigeons font des paris sur l’issue de la course au bus mais aussi sur la réaction du coureur quand le bus s’éclipse juste avant son arrivée et malgré les appels de bras désespérés : « Attendez-moi ! Attendez-moi ! » Peine perdue le plus souvent. Du côté des pigeons les commentaires ressemblent à ce qui suit :

– Allez ! Allez ! Allez !

– Elle l’aura jamais cette grosse vache !

– Dix graines que si !

– Tenu !

– Allez ! Allez la grosse !

– Balance ton sac dans la Saône connasse !

– Elle ferait mieux d’arrêter de bouffer ! Regardez-moi ce derrière ! Quand elle l’aura raté je parie qu’elle va trépigner en tapant du pied !

– Elle va l’avoir. Cours connasse ! Y a des graines en jeu !

– Je parie qu’elle va lui faire un bras d’honneur !

– Bordel ! Avec des écrase-merde pareils, c’est sûr que ça aide pas !

– Tiens ! Les mains sur les genoux ! Un doigt aurait été justifié à minima !

– D’ici là que le chauffeur s’arrête et descende lui péter la gueule ! T’imagines ?

– Ça s’est jamais vu ça !

– N’empêche que ce chauffeur est un trou du cul ! Il était pas à deux secondes près !

– Vous exagérez ! Un chauffeur peut ne pas s’arrêter à 18h et le faire à 23h ! 

– Pourquoi ? Un trouduc est un trouduc !

– Les chauffeurs ont aussi un timing à respecter ! Et s’ils savent qu’un autre bus suit quelques minutes plus tard ils ont raison de tracer leur route ! Celui qui conduit le dernier bus de la soirée ne va pas laisser en plan quelqu’un qui lui fait signe dans le rétro !

Faut tout leur expliquer à ces pigeons ! Et aussi, il ne faut peut-être pas leur faire confiance. Ça vous allez pouvoir me le dire. Bien sûr les premiers pigeons venus me voir à mon retour sur le grand bloc furent Riton, Biscuit et Biscotte. A croire que je leur ai manqué ! Ils auraient pu venir me voir à Loyasse puisque cela reste beaucoup plus facile d’accès aux pigeons qu’aux chats. Mais voyez-vous, il n’y a pas de pigeons à Loyasse. Ils ont la trouille des faucons et peut-être même des corneilles. En plus ça manque cruellement de béton et y a trop de verdure pour eux ! Décidément les pigeons sont une énigme de la nature. Je vais commencer à m’intéresser à une théorie qui dirait que chaque pigeon porte une partie de la conscience (la mauvaise) des humains qui vivent en-dessous d’eux ! On dit qu’il y a un rat pour chaque citadin, je crois que les pigeons sont aussi nombreux. Il faut donc s’intéresser au trio rat-humain-pigeon qui au fond, peut-être, ne fait qu’un !

 

12 janvier 2019

Pigeon Postal

Pigeon Postal.

Ce que j’aime bien quand je suis sur mon toit c’est que j’ai un point de vue sur un objet qui m’intéresse particulièrement. Il est assez facile d’apercevoir la boîte aux lettres de la Poste qui se trouve à l’un des angles de la place des Jacobins. Enfin disons tout de même qu’il est plus facile de l’apercevoir en hiver qu’en été car ils ont planté un arbuste il y a trois ans et celui-ci a bien profité des deux mètres cubes de terre qu’on lui a alloués en pleine propriété et de l’air pur et renommé dans lequel baigne notre belle cité de Lyon. Donc il est déjà suffisamment touffu pour faire de l’ombre à cette fameuse boîte aux lettres et quand il a toute ses feuilles, on ne peut voir que le bas de la boîte aux lettres. Quand il y a une lettre à poster je la confie d’ordinaire à Odette mais à cause de son sale caractère, il est parfois utile de se passer de ses services, surtout quand on n’a pas le choix comme durant sa longue absence. Que l’on soit sur mon bloc ou le très grand bloc je confie la lettre à Biscotte puisqu’elle n’a pas son pareil pour glisser le pli dans la fente d’un seul tour de cou. Je lui confiai donc la dernière lettre qui était adressée à l'une de mes correspondantes sans oublier de lui rappeler les précautions d’usage :

– Tu restes bien concentrée d’accord ? Tu ne fais pas comme ton père qui se laisse distraire par tout et n’importe quoi !

– Oui ben ça va ! J’en ai pour moins de vingt secondes !

– Cette lettre va à Palaiseau alors tu la mets dans la fente… ?

– Évidemment que je la mets dans la fente !

– Oui mais quelle fente ?

– La fente de la boîte aux lettres ! Tu me prends pour une idiote ?

– Oui mais la fente estampillée « Autres départements. »

– Ben oui comme d’habitude ! De toutes façons tous tes correspondants sont sur Paris ou Outre-Atlantique ! A croire que les lyonnais ne sont pas assez bien pour toi ! Espèce de snob !

– Est-ce que c’est ma faute si cette histoire de castor mort m’a rapporté autant de notoriété ?

– Ça non, c’est celle d’Herbert ! Paix à son âme !

– Ben voilà. Donc tu la mets dans la fente… ?

– Autres départements ! C’est bon ? Je peux y aller avant que les humains ne sortent de leur léthargie ? Je me lève aux aurores pour te rendre service, pas pour me faire remarquer par un deux pattes qui balade son chien !

Tenez ! à propos de se lever aux aurores, moi je ne le fais qu’en cas de force majeure. S’il m’arrive de voir le soleil se lever c’est plus souvent à la suite d’une nuit blanche et autant dire que je me rattrape bien dans la journée suivante question dodo. Je me doute que vous avez le loisir d’observer beaucoup de pigeons. Je crois qu’ils fréquentent surtout les villes qui ont totalement des allures de villes, c’est à dire avec beaucoup beaucoup de béton ou de goudron par terre, pas trop fournies en arbre quoiqu’ils soient assez sensibles à la présence de parcs urbains du moment qu’il y a des bancs publics. Donc pour ça, on peut dire que les villes se ressemblent. Les pigeons sont, comme on dit, les rats des toits, sauf qu’eux, je n’ai pas le droit de les manger à cause de l’interdiction formulée par Odette. Je les trouve particulièrement déconcertants notamment dans leurs habitudes personnelles. Certains se lèvent bien avant les autres sans que cela soit toujours systématique. Pas moyen de savoir pourquoi. Si on le leur demande la réponse est invariablement la même :

– Vous les chats, vous ne faites pas tous la même chose en même temps n’est-ce pas ? Ben nous c’est pareil !

Revenons à nos chatons. Biscotte s’apprêtait enfin à prendre la lettre dans son bec mais par précaution je lui posai une dernière question :

– Rappelle-moi de quel côté est la fente « Autres départements » ?

– A droite !

– T’es sûre ?

– Il est certain en tout cas que mes certitudes à ce sujet dépassent sûrement les tiennes ! Au pire je vais vérifier à nouveau si ça peut te rassurer.

– Ce serait gentil de ta part.

Elle s’envola donc jusqu’à la boîte aux lettres, se posa sur le sol, regarda deux secondes la boîte, revint vers moi à tire-d’aile, prit la lettre dans son bec sans mot dire, et repartit en direction de la boîte. Comme elle alla directement se poser sur la boîte afin de glisser le pli dans la fente par en-dessus, je ne la vis plus durant un court instant, cachée qu’elle était par les feuilles de l’arbre. Mais alors que je pensais le pli dans la boîte, je le vis soudainement tomber sur le sol.

– Ma lettre ! m’exclamai-je en mon for intérieur.

Je vis Biscotte sauter sur le sol à côté de la lettre, s’en saisir, remonter sur la boîte, du moins le supposai-je, puis, quelques secondes plus tard, la même scène exactement se reproduisit. Il s’écoula ensuite une bonne vingtaine de secondes avant que je ne visse Biscotte revenir vers moi passablement contrariée :

– Non mais qu’est-ce qu’elle a cette boîte aux lettres ? C’est la première fois que je vois ça !

– Allons bon ! C’est de la faute de la boîte maintenant ! Tu m’avais pourtant promis.

– Mais j’ai fait exactement la même chose que d’habitude ! Je glisse la lettre dans la fente, je m’apprête à mettre les voiles, et voilà que la boîte me la recrache ! Je la ramasse, je retente ma chance : rebelote ! Au troisième coup j’ai tenté de lui donner un peu plus d’élan et ça semble avoir fonctionné. Je l’ai matée on dirait.

– Écarte-toi un peu !… Bon, oui, elle ne semble pas être retombée.

– Au pire un passant la remettra dedans tu sais.

– Oui mais j’ai l’impression que le sol est encore humide. J’espère que la lettre n’était pas trop abîmée !

– Non ça va.

Il faisait très beau ce jour-là et il avait fait très beau les jours précédents. Seulement il vous faut savoir que je vis dans un excellent quartier au goût des humains, ce qui en fait un quartier pas toujours facile à vivre pour les chats de gouttières comme vous avez pu le constater à travers mes aventures. Alors puisqu’il s’agit de l’un des plus beaux quartiers de Lyon et que les gens de passage aiment à y faire un passage, la municipalité le nettoie tous les jours, plutôt la nuit en fait, au jet d’eau. Lyon est une ville très très propre, surtout dans ce quartier. D’après ce qu’en disent les pigeons, si on s’éloigne un peu vers l’Est, on trouve des endroits souvent propres où la municipalité nettoie toutes les semaines. Et si on s’éloigne un peu plus vers l’Est, on trouve des endroits parfois propres où la municipalité nettoie tous les mois. Et si on s’éloigne un peu plus vers l’Est, on trouve des endroits une fois propres où une autre municipalité nettoie tous les ans à l’occasion de ce qu’elle appelle un nettoyage de printemps ; là il faut un jet d’eau très puissant comme ceux des pompiers, du moins assez puissant pour faire rouler un rond en forme de pneu ou un carré en forme de machine à laver. Et si on s’éloigne un peu plus vers l’Est, là une autre municipalité a décidé de laisser la nature suivre son cours. Alors cet endroit fort éloigné pour un chat du centre-ville de Lyon est parfois très propre s’il est fort éloigné d’un panneau avec marqué dessus « Aire de pique-nique » et s’il est fort éloigné d’un cours d’eau que les humains ont confondu avec une décharge et s’il est très fort éloigné d’une décharge que les humains ont confondu avec une décharge de plus grande taille et moins exposée au vent. Et quand toutes ces conditions sont réunies, cet endroit très propre en apparence est parfois très sale de saleté invisible. Et parfois un humain prévenant, signe que les humains font les choses bien, a planté un panneau avec marqué dessus : « Pique-nique interdit. » ou encore « Il est déconseillé d’avaler ou respirer toute substance issue de ce sol durant les 200 000 années à venir. »

Donc voilà, maintenant vous savez pourquoi la phobie de la saleté engendre des lettres mouillées. Et dans un prochain billet vous en saurez un peu plus, ou pas, sur le vent qui souffle sur les décharges ou ailleurs. Mais en attendant laissez-moi vous raconter la suite de cette journée où la lettre que normalement ma correspondante a reçue a normalement fini dans la boîte. Biscotte était assez contrariée par cette mésaventure et décréta que la journée était mal engagée :

– Cette journée est mal engagée ! Je crois que je vais retourner me coucher.

– Je ne sais pas si cette journée est mal engagée mais j’avais de toute façon prévu de retourner me coucher.

Je ne sais pas combien de temps a duré le somme de Biscotte mais personnellement, quand je me suis levé, le soleil était déjà en phase descendante depuis longtemps. Grabel a dormi aussi longtemps que moi. Il se peut que notre réveil ait été un peu précipité parce Burbulle et Aïcha nous ont rendu visite ce jour-là. Je trouve que Biscotte est un peu aux pigeonnes ce que Aïcha est aux chattes, elles ne craignent ni l’une ni l’autre d’affirmer leurs positions quitte à avoir raison, ou tort, seules contre tous. Biscotte n’avait apparemment toujours pas digéré l’affront de la boîte aux lettres et décida de raconter cette mésaventure qui fit beaucoup rire Burbulle, Grabel et Riton. Aïcha ne rit pas et dit le plus sérieusement du monde :

– La boîte aux lettres a refusé cette lettre parce que celle-ci ne lui plaisait pas !

Burbulle, Grabel et Riton rirent de plus belle. D’autres pigeons vinrent partager ce moment de gaieté.

– Et en quel honneur ma lettre lui aurait déplu ?

– Peut-être qu’elle n’aimait pas l’enveloppe.

– Allons bon ! J’ai déjà utilisé ce genre d’enveloppes des dizaines de fois et cette boîte les as toujours acceptées.

– Alors c’est à cause du timbrage ! Peut-être qu’elle a jugé que ta lettre était trop lourde pour un seul timbre.

– J’ai mis deux timbres.

– Tu veux dire que J’AI mis deux timbres !

– Oui… Biscotte a mis deux timbres.

– Au cordeau je dois dire. Je suis devenue plutôt hyperdouée.

– Excuse-moi de ne pas avoir les équipements requis !… Toujours est-il que deux timbres suffisaient amplement pour un tel pli !

– Quel genre de timbres as-tu choisis ?

– Des timbres représentant Mickey. Tout à fait bien choisis.

– Cette boîte aux lettres n’aime pas Mickey voilà tout !

– Ah oui ? Alors explique-nous pourquoi elle a accepté la lettre au troisième essai.

– Parce que quand quelque chose ne lui plaît pas elle renâcle ! Mais elle sait aussi que c’est son travail de garder les lettres alors si on insiste un peu elle comprend qu’elle ne peut pas insister de son côté. Les travailleurs n’aiment jamais trop être accusés de ne pas faire leur travail.

– Tout cela c’est bien joli, a dit Riton, mais cette boîte n’a pas refusé cette lettre pour une simple raison : une boîte aux lettres est un objet et un objet ne pense pas !

– Comment cela un objet ne pense pas ! s’est offusquée Aïcha. Il ne pense peut-être pas comme toi et moi mais à sa façon un objet saura toujours te faire passer ses messages !

Burbulle et Grabel tentaient de dominer leur envie d’hilarité tandis que les pigeons présents, Biscotte mise à part, ne se dominaient pas du tout. Aïcha ne sembla pas s’en émouvoir et rajouta :

– Puisque vous êtes si malins, expliquez-moi pourquoi cette lettre a été refusée deux fois par la boîte si la boîte n’a pas voulu la refuser ?

– Je vais te l’expliquer le plus simplement du monde. répondit Riton. Cette boîte était presque pleine et la lettre est tombée toute seule. Quand Biscotte l’a poussée un peu plus fort, elle a réussi à la coincer derrière d’autres lettres, voilà tout. Et je rajoute que si un jour une boîte refuse d’elle-même les lettres, c’est que les humains lui ont greffé un ordinateur et une balance pour faire un tri directement à la source. Pas le bon timbre, hop ! Refusée ! Adresse illisible ou incohérente, hop ! Refusée ! Je suis même étonné qu’ils ne l’aient pas déjà fait. Moi à leur place c’est ce que je ferais.

– Ça m’étonne à peine de toi. Mauvais que tu es !

– Ah ah ! Voilà une chose qui te pend au nez Darwin ! Un jour les boîtes refuseront vraiment tes lettres !

– Ça m’étonnerait puisque je mets toujours suffisamment de timbres.

– Tu veux dire que JE mets toujours suffisamment de timbres. a dit Biscotte.

– Un jour chaque timbre aura un code unique et tous les timbres issus de carnets volés par une fée voleuse seront décrétés caduques et les boîtes aux lettres toutes équipées de faisceaux laser refuseront les lettres timbrées avec ! Et tu feras comment à ce moment-là, gros malin ?

– J’utiliserai des pigeons voyageurs à la place, petit malin !

– Il y a quelque chose qui ne tient pas dans ton histoire Riton. a dit Aïcha revenant à la charge. Depuis quand cette boîte aux lettres, qui est relevée tous les jours, déborde de courrier ?

– Depuis qu’ils ont supprimé celle de la rue des Archers !

– Ils ont supprimé la boîte de la rue des Archers ? Pourquoi ?

– Sûrement parce qu’elle gênait !

– Elle gênait qui ? Le trottoir est très large comparé à ceux de cette rue.

– Elle gênait parce qu’une boîte aux lettres aux couleurs de la Poste ça fait mauvais genre sur le mur d’une boutique Louis Vuitton !

– Oh ! Blague à part ?

– J’ai l’air de blaguer ?

– Oh !… Non, il doit y avoir une autre explication !

– Je ne crois pas, non !

– Je pense plutôt que c’est à cause du fait que les gens n’ont plus de correspondants. Alors il y a moins de courrier et la Poste essaye de faire des économies.

– Ben alors ça ne change rien, c’est toujours une question d’argent !

– Moi j’ai la vraie explication ! a dit Aïcha. Cette boîte a été supprimée parce qu’elle refusait trop de courrier.

Est-il utile de préciser que les rires repartirent de plus belle ? Moi je ne ris pas car cette idée d’objets animés n’est pas qu’une lubie née dans l’esprit d’Aïcha. C’est une croyance que bien des humains ont eu avant elle et toute croyance est digne d’un certain intérêt. Bien sûr je pense que Riton a raison concernant la lettre que ma correspondante a reçue ou peut-être pas reçue. C’est comme un vase que l’on remplit d’eau, il y a bien un moment où il va déborder. C’est évidemment mieux de disposer de deux verres quand la quantité de liquide qu’on veut y déverser ne rentre pas dans un.

 

Dans mon prochain billet je vous raconterai comment Aïcha nous entraîna plus loin dans ses pensées dès après que les rires se sont éteints et que le vent s’est levé.

12 janvier 2020

Oiseaux de courtes pattes.

Lyon 10 janvier 2020

 

Chalut !

 

Voici les dernières nouvelles du toit en ce début d’année 2020. Savez-vous que Grabel commencerait presque à se faire à l’idée de devenir un chat de gouttière ? Pas au point de dormir dans une sous-pente quand Odette laisse ouvert l’accès à l’appartement de Grabelot, mais tout de même. L’autre jour, tandis que je bullais près d’une cheminée, Grabel vint vers moi et me dit :

– Dis-moi Darwin ! A quelle heure fais-tu le tour de ton territoire ?

– Pourquoi cette question Grabel ?

– Eh bien, j’ai l’intention de faire désormais deux fois par jour le tour de mon territoire. C’est ma résolution pour la nouvelle année !

– De ton territoire ? Tu veux dire de l’appartement ?

– Non ! De mon territoire sur le toit.

– Ah bon ? Tu as un territoire sur le toit ?

– Oui, j’ai pensé qu’il serait utile pour moi d’avoir un territoire sur le toit.

– Ah ! ... Fort bien ! J’en prends acte.

– Cela ne te dérange pas ?

– Pas du tout. Quel serait donc ton territoire ?

– Mon territoire passe par cette cheminée là…

– A droite ou à gauche ?

– A gauche !

– Le mien passe à droite.

– Puis il passe derrière la grande cheminée un peu plus loin, par la droite aussi.

– Le mien passe aussi par la droite. Sur la deuxième tuile ou la première ?

– La première.

– Comme moi. Les grands esprits se rencontrent !

– Oui mais il serait judicieux qu’ils ne se rencontrent pas pendant que je fais le tour de mon territoire ou que tu fais le tour de ton territoire.

– C’est juste ! Mais tu dois aussi penser à voir avec Philémon et Lypia.

– Lypia ? La nouvelle du numéro 5 ?

– Oui.

– Elle a un territoire sur le toit ?

– Oui.

– Pourtant je ne la vois quasiment jamais sur le toit !

– C’est exactement ce qu’elle m’a dit à ton sujet. Mais comme j’ignorais que tu avais un territoire, je lui ai dit qu’elle ne devait se soucier que des heures auxquelles Philémon et moi faisons le tour de nos territoires.

– Ah !... Juste pour information, il est où le territoire de Lypia ?

– Il recoupe à peu près le quart sud-ouest de mon territoire.

– Et à quelle heure en fait elle le tour ?

– Cela dépend de ses humains ? Pareil pour Philémon.

– Et toi ? A quelle heure fais-tu le tour de ton territoire ?

– Cela dépend de mes aventures.

– Ah !… Bon ben, on est bien avancés.

– Ne t’en fais pas pour cela ! De toute façon on est assez souvent ensemble l’un et l’autre pour savoir quand l’autre ne fait pas le tour de son territoire.

– C’est juste. Mais si en faisant le tour de ton territoire tu tombes sur des boulettes de viandes laissées généreusement par un humain, il serait aussi juste que tu m’en laisses un peu, non ?

– Les contours de mon territoire passent exactement par tous les Velux des humains qui m’ont reconnu en tant que chat de gouttière. Tant que tu n’as pas cette reconnaissance toi aussi, je ne suis pas sûr que « juste » soit le terme approprié.

– Ah !… Bon alors ce serait possible que tu me montres exactement par où passent les contours de ton territoire ? Comme cela je pourrais choisir exactement le même territoire et à force de me voir passer, les humains qui te savent chat de gouttière penseront que je suis aussi un chat de gouttière.

– Oui on peut faire ça ! A condition bien sûr de considérer que durant le tour de mon territoire que je ferai en ta compagnie, il ne s’agira pas vraiment pour moi d’un tour de mon territoire.

– Bien sûr, ce ne serait pas dans les règles de l’art sinon !

– Voilà !

– Sache aussi, avant de choisir le même territoire que moi, qu’il n’est pas tout à fait sans risques.

– C’est à dire ?

– Es-tu déjà monté sur le grand toit au nord du bloc ?

– Ben oui, avec toi ! En marchant sur la verrière.

– Justement, comme il faut marcher sur cette verrière, mon territoire ne va pas sur cette partie du toit.

– Pourquoi ?

– Parce que les jours de pluie et les matins humides, ce serait un peu dangereux.

– C’est juste !

– Eh bien malgré tout, sache que mon territoire passe par l’extrémité nord du bloc !

– Faudrait savoir. Tu vas sur cette partie du toit ou pas ?

– Mon territoire ne passe pas au nord par le toit mais par les balcons !

– Oh ! Il passe par le balcon de Kazelof ?

– Non ! Par celui de l’acéré. Puis je saute sur le balcon suivant car il y un décalage d’un demi-étage entre le numéro 1 de la rue et l’immeuble qui borde la place. La partie délicate c’est la fin, rue Gasparin. Il faut sauter du balcon sur le toit, ce n’est pas si haut mais il ne faut pas rater son coup. Il faut bien retomber dans la gouttière et pas à côté.

– Pourquoi ?

– A côté c’est le vide. Fatalement puisque c’est une gouttière.

– Une gouttière doit toujours être au bord du vide ?

– Non mais souvent c’est le cas. Et là c’est le cas.

– Oui mais quelle raison aurait un chat de sauter dans le vide ?

– Aucune bien sûr. Mais une fois qu’on est dans la gouttière il faut d’un bond s’en extraire. Ils ont mis de la taule de partout même dans la partie aussi pentue qu’un mur. C’est pourquoi il est déconseillé de faire le tour de ce territoire les jours de pluie et les matins humides.

– Tu ne le fais pas les jours de pluie et les matins humides ?

– Non !

– Exactement comme pour le toit alors !

– En fait c’est encore plus compliqué parce que quand cet acariâtre de Saint Sauveur l’acéré est sur son balcon, j’évite de l’emprunter.

– Donc ce n’est pas vraiment ton territoire.

– Exact. Je te faisais un peu marcher

– Tu m’aurais fait marché si cela avait vraiment été le tour de ton territoire ! Parce que du coup le tour de ton territoire n’est pas si long que ça.

– Sauf les jours et les matins secs.

– Alors les jours humides tu trouves sûrement moins de boulettes de viande.

– Pas tant que cela ! Les gens qui ont des balcons sont moins généreux avec les chats de gouttière que ceux qui ont des Velux.

– Est-ce que Grabelot était généreux avec toi ?

– Lui ? Rien de rien ! J’aimais pas ce Velux avant que ton Grabelot ne débarrasse le plancher !

– Cela ne m’étonne pas, déjà qu’avec moi c’était limite !

– Ceci explique cela. Dis ! Sais-tu que je détiens le record du tour de mon territoire !

– Ton territoire par temps sec ou humide ?

– Par temps sec.

– Comment sais-tu que tu as le record ?

– Grâce à un défi sportif !

– Un défi sportif ?

– Riton m’a mis au défi de faire le tour de mon territoire le plus vite possible. Ce que j’ai fait. Alors il a dit qu’il avait trouvé le temps long. Ce à quoi j’ai répondu : « Fais-en autant ! » Il est parti fissa faire le tour du bloc à tire d’aile. Quand il est revenu j’ai simplement dit : « Et à pied ? Qu’est-ce que cela donne ? » « La même chose que toi en plus rapide ! » Qu’aurais-tu fait à ma place ?

– Je l’aurais bouffé !

– Même avec l’épée de Damoclès nommée Odette ?

– Non bien sûr.

– J’ai préféré organiser un concours avec le concours d’Odette. Riton contre Darwin, Odette la fée en arbitre chronométrique ! Je pensais judicieux de tirer au sort lequel de nous deux ferait le parcours en premier. Mais Riton déclara : « Le chat d’abord ! Que je puisse caler mon pas sur sa lenteur ! Prendre mon temps pour picorer les balcons ! » Alors j’y suis allé en premier. Sans me vanter, Grabel, j’ai mis la barre vraiment très haut : 37 secondes !

– Pour faire le tour du grand immeuble tout entier ?

– Non ! Seulement les pans ouest, nord et est ! Mais c’est très rapide tu sais ?

– J’imagine.

– Ce n’est pas très technique, juste une enfilade de balcons mais il faut tout de même passer à travers les barreaux. Bien sûr je ne pouvais pas voir le parcours de Riton en entier, sauf à le suivre de près, auquel cas il aurait prétendu que je le pressais de manière anti-sportive. Je comptais donc sur l’impartialité d’Odette plutôt que sur celle de tous les autres pigeons encourageant l’un des leurs. J’étais le seul chat présent figure-toi !

– Flippant !

– En fait... plutôt réjouissant au départ du pigeon. T’aurais dû voir ça ! Ah ah ! Rien que le souvenir me fait rire. L’acéré était coincé derrière sa porte-fenêtre et regardait d’un air blasé le pigeon sur la ligne de départ. Top ! Riton s’élance sur ses petites pattes et moi machinalement je décompte les secondes dans ma tête. La première volée de balcons fait moins d’un sixième de la longueur totale du parcours et l’oiseau a mis, selon moi, près de douze secondes pour faire la distance. Puis il a sauté sur la volée suivante et je l’ai perdu de vue. Je remonte tranquillement sur le sommet du toit dans l’attente de le voir réapparaître de l’autre côté du bloc. Rien ne pressait, croyais-je. Et là, peu après je vois Odette perchée dans les airs, puis, une seconde plus tard, la tête de Riton qui émerge par-dessus la tôle ! Odette crie : « Top ! 36 secondes ! » Tu y crois toi ? Sérieusement ?

– Il a triché ! Il a fait le gros du parcours en volant !

– Mais évidemment qu’il l’a fait en volant ! Seulement il ne fait pas que tricher ! Il emmène cette satanée fée dans ses combines de tricheur !

– Normalement les fées ne devraient pas mentir !

– C’est bien ce que je pense ! Mais elle, elle est… comment dire ? Elle m’énerve ! A toujours prendre le parti des oiseaux ! Qu’est-ce qu’ils ont de plus que nous ?

– En dehors des ailes ?

– Oui.

– Rien de rien ! Surtout les pigeons !

– Toujours est-il que j’ai eu le plaisir de voir Riton s’essayer à courir le plus vite possible ! Encore plus vite que quand il s’échappe devant l’arrivée d’un chauffard ! C’était cocasse ! Tu vois comment ils marchent les pigeons ?

– Tout à fait !… Ah ah !… Ah ah ah ! Oh oh oh oh !... Qu’est-ce qu’ils sont ridicules !

– C’est bizarrement fait cette bête-là ! Ils sont vraiment courts sur pattes.

– C’est surtout la façon dont ils s’en servent.

– Pourquoi leur tête n’a pas d’indépendance vis à vis de leurs pattes quand ils marchent ?

– Peut-être qu’ils ont un genre d’ossature articulée de la tête aux pieds. Un pas en arrière entraînant nécessairement un coup vers l’avant de la tête.

– Non. Sinon quand ils picorent, l’une des deux pattes partirait vers l’arrière ! Les deux pattes ne peuvent pas être articulées sur le même bec, comment il pourrait choisir une patte et pas l’autre ?

– Ben… Peut-être que si le pigeon picore avec la tête en biais sur la droite, c’est la patte gauche qui se lève. Si le pigeon picore à gauche, c’est la patte droite qui se lève !

– J’ai jamais remarqué une chose pareille !

– T’as peut-être jamais pu l’observer ! Vu d’en haut, on ne voit pas bien les pattes.

– Dans ce cas, dis-moi ce qui se passe si le pigeon picore avec la tête parfaitement droite. Ses deux pattes se soulèvent en même temps ?

– Pourquoi pas ?

– Faudrait sûrement que pour compenser il déploie ses ailes. Et ça, si c’était le cas, je l’aurais remarqué même du toit. Non, il semble plutôt que les pigeons ne peuvent pas marcher sans bouger la tête mais qu’ils peuvent bouger la tête sans marcher.

– Comme les poules ?

– Je ne sais pas, je n’ai jamais observé de poule. Il y a sûrement des différences entre un pigeon et une poule.

– D’après « Chicken Run » et « Vaillant, pigeon de combat » la différence tient surtout en leur capacité de vol. Une poule vole très peu, voire pas du tout.

– C’est fâcheux pour un oiseau. Elles doivent sûrement courir beaucoup plus vite que les pigeons pour compenser.

– Tu devrais faire la course avec une poule. Elle au moins, elle ne pourrait pas tricher.

– C’est juste. Reste à trouver une poule d’appartement, si elle ne peut pas voler, elle ne va pas pouvoir venir ici toute seule.

– Ah ah !

– Quoi ?

– Je pensais à un pigeon qu’aurait un grand cou. Il risquerait de tomber à la renverse si sa tête part vers l’avant quand il marche.

– Je ne sais pas. Les oies ont un grand cou et des petites pattes et elles ne tombent pas à la renverse.

– C’est sûrement parce que leur tête n’est pas solidaire de leurs pattes.

– Peut-être.

– Il paraît que les oies sont très mécontentes d’avoir des petites pattes et un long cou. C’est pour cela qu’elles ont toujours mauvais caractère quand elles sont posées sur le sol. Quand elles volent, elles sont de bien meilleure humeur car Dieu les a mieux pourvues pour le vol que pour la marche.

– On n’avait pas statué sur le fait qu’on était agnostiques ?

– Si. Mais certains oiseaux ont quand même une dégaine à avoir été châtiés par un Dieu tout puissant.

– D’après Darwin le vrai, un long cou et des petites pattes, cela doit sûrement servir à quelque chose.

– Au départ elles avaient des petites pattes et un petit cou…

– Comme les pigeons !

– Oui. Puis sûrement que leur cou a poussé à force de tirer dessus pour guetter l’arrivée d’un danger par-dessus les herbes hautes.

– Moi je croyais que leur cou avait poussé à force que les humains tirent dessus pour les gaver !

– Dans ce cas les archéologues doivent sûrement trouver des squelettes d’oies à petit cou !

– C’est juste.

– Sauf si cela les induit en erreur. Sais-tu qu’il n’y a pas si longtemps, les humains se sont rendu compte que ce qu’ils croyaient être des espèces de dinosaures à part entière n’était parfois que des dinosaures enfants ? En grandissant ces dinosaures changeaient largement de physionomie, de sorte que les humains ne faisaient pas le lien entre les deux formes de squelettes.

– Dans ce cas cela veut dire que pour les espèces en question, ils n’avaient jamais trouvé de squelettes de jeunes dinosaures avant. Et cela ne les a pas étonnés ?

– C’est peut-être ce qui leur a mis la puce à l’oreille.

– Ou alors ils ont pensé que ces dinosaures étaient bien trop puissants, grands et forts pour mourir jeunes.

– A titre individuel être d’une espèce puissante, grande et forte n’est en aucun cas une garantie pour arriver à l’âge adulte. C’est même souvent une difficulté supplémentaire.

– Oui mais alors ? … Une oie à petit cou, c’est quoi ?

– C’est une espèce d’oie à petit cou. Ou peut-être un canard. Enfin… un descendant de dinosaure palmipède !

– Non non non ! Impossible ! Je veux bien croire que les pigeons soient un rétrécissement ridicule d’une espèce de dinosaures à bec et à griffes mais les canards et les oies… non ! Un canard c’est un croisement entre un oiseau et une planche à pain ou quelque chose du genre ! Encore un truc inventé par les humains ! Le résultat les a tellement déçus que les canards ne sont jamais devenus domestiques. C’est juste bon à manger ces bêtes-là !

– T’imagines si on faisait comme les dinosaures ? Si on changeait de forme en devenant adulte ?

– Quelle forme pourrions-nous prendre puisque nous incarnons déjà la perfection ? Surtout moi d’ailleurs.

– Eh bien ce serait plus sûrement à l’état de petit chat que nous serions différents. Puis on se changerait en chat !

– Comment devenir un chat adulte si en étant petit on n’a pas tous les attributs qui permettent d’apprendre à devenir un chat adulte ?

– Les dinosaures le faisaient bien ! Pourquoi pas nous ?

– Mais c’est très différent. On dit que les dinosaures étaient cons comme leurs pieds, et apparemment ils avaient de sacrés grands pieds ! Comme c’était des brutes idiotes ils n’avaient pas grand-chose à apprendre. Jeunes ils étaient des brutes idiotes avec un aspect différent de la brute idiote qu’ils étaient amenés à devenir.

– En fait ils étaient cons comme des pigeons !

– Voilà !

– Donc un pigeon enfant pourrait très bien avoir un aspect différent du pigeon adulte.

– Sans doute. Un pigeon enfant pourrait ne pas avoir de pattes par exemple. Les pattes lui sortiraient d’un coup le jour où il tombe bec à nez avec un chat dans la sous-pente et qu’il juge utile de prendre ses distances.

– Un enfant pigeon sans pattes ce serait sûrement très utile. Ses parents pourraient le bercer en le frappant de l’aile derrière la tête ! Il se balancerait d’avant en arrière durant un petit moment !

– Dans ce cas, pas besoin d’avoir des ailes non plus !

– Quand est-ce que les ailes lui pousseraient ?

– Juste après les pattes j’imagine. Le pigeon courre dans la sous-pente pour échapper au chat mais il risque de ne pas avoir partie gagnée! Alors il voit une ouverture vers l’extérieur et, perdu pour perdu, il se précipite vers la lumière du jour ! Devant la trouille immense de se sentir soudainement dans le vide, pop, pop, les deux ailes sortent ! D’instinct, en une fraction de seconde, le jeune pigeon apprend à s’en servir et devient un adulte. Il se pose sur un trottoir et entame machinalement l’activité qui va occuper la quasi-intégralité de sa vie éveillée : picorer le bitume !

– Mais que se passe-t-il si jamais aucun chat ne vient pour lui foutre la trouille ?

– Eh bien il ne peut pas devenir adulte et ses parents l’abandonnent à son triste sort… Tiens ! Voilà justement Riton !

– Salut les moustachus !

– Chalut ! Tu dis pas merci ?

– Pour ?

– Sans les chats les archéologues auraient retrouvé ton corps d’enfant et t’auraient confondu avec une théière indienne bardée de plumes !

– Qu’est-ce que c’est encore que cette connerie ?

– Laisse tomber !

– OK ! Vous voulez savoir la dernière ?

– Dis toujours !

– Les cormorans sont quatre ! Et je ne sais pas si c’est pour faire valoir un droit primordial sur la rivière mais les mouettes ont décidé d’occuper le terrain !

– C’est à dire ?

– Elles font désormais comme les cormorans, elles se posent sur les câbles de la passerelle !

– Pour se faire sécher ?

– Non, juste pour signifier aux cormorans que c’est pas leur passerelle !

– Cela pourrait bien être leur passerelle puisqu’avant qu’ils n’arrivent, personne n’avait l’idée de se poser dessus. C’est sûrement très inconfortable d’ailleurs. Pourquoi les cormorans ne viennent pas se sécher ici sur une cheminée. On pourrait bavarder.

– S’ils ne vont pas sur les cheminées c’est peut-être parce qu’il y a des chats de gouttière !

– Ne sont-ils pas assez gros pour se défendre ?

– Des fois ils ont l’air gros et des fois non !

– Je ne te parle pas d’apparence ! Sont-ils gros oui ou non ?

– Ben j’en sais rien. Des fois ils ont l’air gros et des fois non ! Je les ai bien observés tu sais ?

– Visiblement pas au point de savoir s’ils sont gros ou pas gros.

– Quand ils sèchent leurs ailes ils ont l’air gros. En volant aussi d’ailleurs.

– C’est donc qu’ils sont gros !

– Quand ils en ont marre d’être sur les câbles de la passerelle, ils s’élancent vers la rivière. Ils aiment voler au raz de l’eau, peut-être cherchent-ils à voir à travers cette eau boueuse.

– L’eau est boueuse ?

– En ce moment oui. Le courant est bien fort par rapport à d’habitude. Alors les cormorans remontent la rivière, généralement jusqu’à la passerelle Saint Vincent. Puis ils se posent dans l’eau et c’est alors qu’ils ont l’air d’être de petits canards noirs.

– C’est sans doute parce que leur corps est très enfoncé dans l’eau.

– Pourquoi ?

– Qu’est-ce que j’en sais ?

– Ce ne serait pas bien naturel à mon avis ! On a vu des cygnes, des canards, des mouettes, des oies, et tous ces oiseaux-là flottent très bien sur l’eau.

– C’est peut-être parce que les cormorans avalent des métaux lourds ! Si ça se trouve Disney s’est gouré en prenant un canard comme modèle du pingre absolu ! Si ça se trouve les cormorans vont dans l’eau pour filtrer l’or qui s’y trouve et ils le gardent soigneusement planqué dans leur estomac !

– Cela expliquerait pourquoi au début on n’a vu qu’un couple de cormorans. Ils sont venus explorer cette rivière, ont trouvé un filon et ont averti leurs collègues chercheurs d’or.

– Je pense qu’il est impropre de parler de filon pour de l’or qui dérive dans une rivière.

– Tu joues sur les mots Darwin !

– Oui, j’adore ça même.

– Laissez-moi finir ! Une fois le cormoran dans l’eau, quand il a l’air d’un petit canard, il se laisse porter par le courant. On a l’impression qu’il ne fait rien qu’une petite balade fluviale. Mais soudainement il plonge la tête la première dans l’eau et son corps suit la tête.

– Le contraire serait étonnant.

– Quand un cormoran disparaît dans l’eau boueuse, le jeu entre pigeons c’est de deviner là où il va réapparaître. Je ne sais pas ce qu’il fait là-dessous…

– On vient de dire qu’il cherchait de l’or.

– Je voulais dire que j’ignore la manière dont il se déplace sous l’eau. Toujours est-il qu’il s’écoule de nombreuses secondes puis le cormoran finit par réémerger. Des fois pratiquement à l’endroit où il est entré, des fois 20 mètres en aval, ou sur un côté, ou même en amont ! Après quoi il se laisse de nouveau porter par l’eau pour recommencer l’opération un peu plus loin.

– Il serait aisé de savoir si dans l’intervalle il a trouvé de l’or ! Son corps devrait être de plus en plus lourd et donc paraître de plus en plus enfoncé dans l’eau !

– Salut les affreux !

– Bonjour Odette.

– Vous parliez de moi ?

– Non.

– C’est mieux parce que j’aurais été obligée de vous demander ce que vous étiez en train de dire de moi.

– Tout va bien alors.

– Oui. Puisqu’on est en 2020…

– Quarante sixième année de ta mise à l’écart du pays des fées !

– Exact matou mais ce n’est pas de ça dont j’ai envie de parler. J’ai besoin de vous pour élire le citoyen de l’année 2019 !

– Le citoyen toutes espèces confondues ?

– Non ! Le citoyen humain de la ville de Lyon ayant le mieux œuvré pour la cité !

– Qu’est-ce qu’on en sait nous ?

– Vous avez bien un nom qui vous vient en tête !

– Du moment que tu ne choisis pas le député Léonard !

– Pourquoi pas ? Il a fait des discours courageux.

– Il vole les idées des gens qu’il rencontre en entretien ! Il me vole même mes idées !

– Ben c’est ça la politique !

– Alors n’élisons pas un politique !

– Comme tu voudras.

– Est-ce que le citoyen en question peut être plusieurs ?

– Pourquoi pas ? Un groupe de citoyen qui aurait fait une action remarquable. Tu penses à un groupe en particulier Riton ?

– Oui. Enfin… je ne sais pas si c’est digne d’être rapporté mais les humains semblent entrés dans une époque assez peu portée sur l’esprit citoyen si j’en crois le nombre de fois où j’ai manqué me faire écraser par des autos, motos, vélos et trottinettes !

– Euh… Riton si tu as retenu toutes les plaques d’immatriculation des automobilistes qui ont daigné te laisser finir un bout de pain sur la chaussée, tu peux les oublier tout de suite ! Cela ne va pas suffire à gagner le trophée !

– Ce n’est pas à ça que je pensais ! Avec les autres on va souvent sur la place Bellecour et ces dernières années de nombreuses façades ont été rénovées.

– On n’élit pas la plus belle rénovation de façade Riton !

– Mais laisse-moi finir, Odette ! Sur la place Bellecour chaque rénovation de façade a été l’occasion de la mise en place d’une publicité gigantesque pour des marques de sport, de voitures, de livraison à domicile, de téléphones.

– Oui je sais. On a déjà parlé de ça !

– Je n’ai pas le souvenir d’une telle discussion.

– C’est parce qu’on l’a eue sur le toit tandis que tu ronflais dans ton canapé moisi Grabel !

– Ah !

– Sache Grabel que ces publicités sont accompagnées d’un message qui dit en substance que la publicité sert exclusivement à financer la rénovation de la façade. Il faut savoir qu’une rénovation de façade ça coûte pas mal d’argent et qu’en outre la municipalité n’autorise pas les copropriétés à laisser à l’abandon une façade. Comme on est dans un secteur classé à l’Unesco, les façades doivent même être rénovées plus souvent qu’ailleurs. Mais une publicité géante d’une grosse multinationale visible de loin peut potentiellement permettre de financer les travaux.

– C’est assez juste de mettre de la publicité alors, si c’est la municipalité qui oblige à faire des travaux.

– Cela se discute Grabel.

– Ah bon ?

– Oui ! D’après toi les appartements situés place Bellecour sont-ils plus chers ou moins chers que les autres ?

– Comment veux-tu que je le sache ?

– Ils sont très chers ! De plus en plus chers ! Il y en a d’autres très chers dans le quartier car c’est un quartier cher, mais pour acheter actuellement un appartement place Bellecour, il faut aligner les pépettes ! En moyenne les appartements les plus chers sont occupés par les gens les plus riches n’est-ce pas ?

– Si tu le dis.

– Cela ne signifie pas pour autant qu’ils ont des façades plus sophistiquées et plus difficiles à rénover que les autres immeubles. A vrai dire les façades de la place Bellecour sont même en assez souvent sans fioriture. Il y a trois ans les pigeons pensaient qu’une fois qu’ils enlèveraient la publicité Adidas géante de l’autre côté de la place, on allait découvrir une façade absolument magnifique et pleine de statues.

– Pourquoi ?

– Parce que les travaux ont semblé interminables ! Mais en fait cette façade n’ayant vraiment rien d’extraordinaire, on a suspecté la copropriété d’avoir fait durer les travaux plus que nécessaire.

– Pour laisser la publicité plus longtemps ?

– Bravo Matou !

– C’est malin.

– Est-ce citoyen ?

– Sans doute si les gens aiment la publicité.

– Mais qu’est-ce que diront les gens si demain ceux qui gèrent les barres HLM à la Duchère ou à la Mulatière décident de financer les rénovations de façades en y apposant des publicités gigantesques ! Après tout ces barres sont visibles de loin.

– Ils diront que si les gens de Bellecour le font, pourquoi pas ceux de la Duchère ou de la Mulatière ?

– Alors c’est sans fin ! On ne pourra plus jamais se balader sans voir une publicité géante. Pourquoi ne pas rénover le palais de Justice en le finançant avec une pub géante ? Ou la cathédrale Saint-Jean ?

– Ce ne serait pas très catholique !

– Il suffirait de mettre la tronche d’un footballeur connu pour sa foi ! Y en a plein ! Ils se croient bénis de Dieu et se signent à chaque geste réussi.

– Pas bête.

– Tout ça pour dire que les façades des immeubles occupés par les gens les plus fortunés sont financées par la publicité. Ceux qui sont dans des immeubles moins bien situés paient de leur poche. La municipalité pourrait donc parfaitement interdire ces publicités sans léser de pauvres gens.

– Pourquoi les interdire si les gens aiment bien les publicités ?

– Décidément Grabel, tes facultés politiques sont des plus médiocres.

– Pas comme les miennes ! Car c’est bien là où je voulais en venir ! Moi je trouve que l’immeuble de l’autre côté de la place des Jacobins est remarquablement situé !

– Il y a moins de passage sur la place des Jacobins qu’à Bellecour, Riton.

– Tout de même. Il y aurait sûrement matière à trouver un publicitaire intéressé.

– Sans doute !

– Eh bien justement cette façade est en rénovation depuis des mois et la bâche recouvrant l’échafaudage est resté d’un blanc immaculé !

– C’est juste.

– Alors moi je donne le prix de citoyenneté 2019 à la copropriété de cet immeuble.

– Hum… Cela donnerait l’image d’une ville où la citoyenneté est vraiment ras des pâquerettes.

– Ce n’est pas le cas ?

– Hum… J’avoue que je n’ai pas grand-chose d’autre en tête. … Bon d’accord ! Le prix de la citoyenneté 2019 de la ville de Lyon est attribué aux copropriétaires de l’immeuble de l’autre côté de la place des Jacobins !

– Qu’est-ce qu’ils gagnent ?

– Ça je m’en occupe.

 

Il faudra qu’en 2020 je me fasse une meilleure idée de la citoyenneté lyonnaise. Gagner parce qu’on n’a pas trouvé d’annonceur, moi j’ai trouvé cela un peu faible. En outre je suis quand même étonné que la municipalité n’interdise pas simplement ces publicités géantes.

 

– Moi cela m’étonne beaucoup que ces publicités géantes soient tolérées par la municipalité.

– Tu n’as encore rien vu Matou ! Bientôt ils vont mettre de grands écrans numériques publicitaires ! Comme celui qu’ils ont mis sur le centre commercial de la Part-Dieu.

– C’est bien la preuve que les gens adorent ça !

– Ce n’est en aucun cas une preuve, Grabel. Il y a eu des enquêtes de faites et elles indiquent toutes que les gens sont massivement opposés à l’installation de ce genre d’écrans !

– Mais alors Odette ? Je ne comprends pas ! On est dans une cité démocratique de gauche ! Pourquoi ne tient-elle pas compte des avis de ses citoyens ?

– De quoi ? Une cité démocratique de quoi ?

– De gauche !

– De gauche ? Qu’est-ce que c’est que ça ?

– Ben une ville dirigée par la gauche ! Comme Paris !

– Hi hi ! … Hi hi hi hi !.. De gauche ! Hi hi hi hi hi hi ! T’as beaucoup d’humour matou ! J’aime bien ! Hi hi hi hi ! … Ah ben t’auras au moins réussi à me faire marrer ! De gauche ! Hi hi hi !

 

Tout en riant elle s’est éloignée vers l’immeuble de l’autre côté de la place.

– Tu crois qu’elle va leur donner quoi comme récompense ?

– Pas notre part de farcie j’espère !

– Ah ben non ! Ce serait vraiment trop injuste !

 

Toujours est-il qu’on n’a pas eu de farcie ce jour-là.

Ah ben chalut !

 

Darwin.

10 février 2020

Darwin et l'écriture inclusive

Lyon, 10 février 2020

Chalut

 

Aujourd’hui nous allons aborder le côté féministe de la fée Odette qui a tendance à déborder un peu trop à mon goût. Je crois lui avoir déjà prouvé maintes fois que je n’étais pas un matou macho qu’on envoie se faire voir au Machu Pichu, comme elle dit. Mais avec elle cela ne semble jamais suffisant, il faudrait avoir sa carte au mouvement de libération des femelles.

 

– Dis donc Darwin le chat ! Depuis que tu as des correspondants, j’ai l’impression que tu as pattuscripté quelques dizaines des pages.

– Ben, en réalité cela se compte plutôt en centaines. Mais c’est plus souvent becuscripté que pattuscripté.

– Ah ouais ? Comme si moi j’en avais jamais tapuscripté, des pages pour toi ! Si j’étais un lutin plutôt qu’une fée, tu aurais un peu plus de considération pour mon travail !

– Non mais qu’est-ce qui t’arrive Odette ? Si tu me poses des questions dans le seul but de ramener la discussion sur toi… laisse-moi te dire que la manœuvre est un peu grossière !

– C’est toi qui a ramené la discussion à moi en omettant de me remercier pour mon travail ! Moi je voulais simplement te faire remarquer que dans les dizaines de pages que tu as noircies ou fait noircir…

– Des centaines de pages !

– Tu fais bien de le rappeler ! Cela ne fait qu’aggraver ton cas !

– Allons bon ! Qu’est-ce que tu vas encore me reprocher !

– Ce que j’ai à te reprocher ? Tu veux savoir ce que j’ai à te reprocher ?

– Ben oui ! Je sais parfaitement reconnaître quand tu viens pour faire des reproches !

– Eh bien parfaitement j’ai à te faire des reproches ! Tu écris comme un matou macho et nous les matous machos on les envoie se faire voir au…

– Machu Pichu. On va finir par le savoir !

– Des centaines de pages comme tu dis ! Oui ! Des centaines de pages ! Et pas une seule où les femelles sont traitées à égalité avec les mâles ! Tu n’es qu’un matou macho !

– Hum… A mon avis il me semble à l’inverse qu’aucun de mes écrits ne traite les femelles et les mâles de manière différenciée. Après, je concède que quand j’écris à la première personne, il m’apparaît assez normal de mettre plus souvent les adjectifs masculins à l’honneur.

– Parlons-en de cette mise à l’honneur ! Monsieur Darwin le chat s’est vite empressé d’appeler George un mouet, mais quand il s’agit des pigeons, je n’ai pas le souvenir d’avoir entendu parler de pigeonnes !

– C’est parce que je n’ai pas eu l’occasion de le faire.

– Ah bon ? Pourtant tu parles souvent de Biscotte !

– Je l’appelle Biscotte, voilà tout ! Et quand je parle des mouettes en général, je ne parle pas de mouets mais bien de mouettes.

– Soit ! Mais j’ai autre chose à te reprocher !

– Quoi ?

– Tu ne feras jamais croire que tu n’as jamais entendu parler de l’écriture inclusive !

– Ah ! Ça...

– Comment ça, ça ? N’aggrave pas ton cas !

– Si tu veux tout savoir, j’en ai entendu parler. Et comme cela fait déjà quelques temps, je me dis que cela ne doit pas être si important.

– Comment cela pas important ? C’est tout à fait essentiel !

– Si c’était essentiel, pourquoi ne m’as-tu jamais fait de remarques quand je t’ai dicté certaines de mes aventures ? Tu avais même tout le loisir de la pratiquer toi-même.

– J’attendais de voir combien de temps cela allait te prendre pour réagir. Et si j’avais écrit tes aventures à l’aide de l’écriture inclusive, j’ose à peine imaginer ta tête de matou macho.

– Je n’ai rien contre l’écriture inclusive.

– Menteur !

– Non, je t’assure. Du moins je n’ai rien contre un traitement égal des mâles et des femelles.

– Donc la prochaine fois que tu écris une de tes aventures, tu ne demanderas pas à George de t’aider.

– Tu sais, quand tu es d’accord pour le faire, je passe toujours par toi. Tu fais moins de fautes d’orthographe.

– J’en fais pas !

– D’après mes correspondants, il y a toujours plus ou moins de fautes.

– J’en laisse toujours un peu pour voir si tu les vois ! Mais ne change pas de sujet ! Ta prochaine aventure c’est moi qui la retranscris, d’accord ?

– Oui… enfin… Bien sûr, comme d’habitude, je relirai avant d’envoyer les lettres à mes correspondants.

– Non matou ! Tu ne changeras pas une virgule cette fois-ci !

– Comment cela ? Il est normal que je fasse des retouches, je le fais tout le temps.

– Et comme par hasard, tout ce qui ressemble à de l’écriture inclusive, tu vas te débrouiller pour l’éliminer.

– Non. Sans doute pas. Sauf bien sûr si c’est moche à regarder.

– Moche à regarder ?

– C’est que… Bon ! Pour être tout à fait franc je trouve l’écriture inclusive vraiment désagréable à lire. Raison pour laquelle je ne l’utilise pas.

– Hin hin… Mais bien sûr ! La fameuse excuse de tous les machos réfractaires au changement !

– Non ! Je t’assure que non ! C’est juste intrinsèquement moche ! Mais pour te prouver que je ne suis pas réfractaire au changement, je suis parfaitement disposé à répondre à tes exigences. Ma prochaine aventure sera retranscrite en traitant vraiment le genre féminin à l’égal du genre masculin.

– Parfait ! J’attends cela avec impatience ! Je sens qu’on va bien rigoler tellement tu n’es qu’un matou macho qu’on envoie se faire voir au Machu Pichu. Comme c’est difficile de forcer sa nature, on en aura définitivement la preuve !

– Verrons-nous !

– C’est tout vu !

 

Après cette discussion je décidai de ne pas faire exactement ce que la fée Odette m’avait demandé. Je préférai choisir un texte que je remodelai à ma façon pour ensuite en faire une lecture aux habitants du toit en faisant comme s’il avait été écrit à l’aide de l’écriture inclusive. Après tout l’écriture inclusive doit se traduire dans la lecture et à fortiori dans la récitation. Bien sûr on peut toujours, en lisant, faire comme si les signes de l’écriture inclusive n’étaient pas présents. Mais alors cela nous oblige assez souvent à retomber dans les travers que la fée Odette condamne. Je vais donc vous faire lire le texte que j’ai lu moi-même à quelques chats, pigeons et mouettes, texte qui n’est pas de moi mais que j’ai aménagé dans les règles de l’écriture inclusive avant d’en faire la lecture. Somme toute l’écriture inclusive ne bouleverse pas fondamentalement un texte, du moins pas à chaque phrase, comme vous allez le constater. Il est possible que je n’aie pas choisi le texte le plus représentatif pour cela, je l’ai plutôt choisi pour son thème qui va bien avec le sujet du jour. Pour que vous ayez une idée de la manière dont cela a sonné aux oreilles de mes amis, je me sens dans l’obligation d’écrire certaines syllabes comme je les ai prononcées. D’autres fois je peux me contenter de vous transcrire le texte en écriture inclusive car la prononciation n’est pas changée. Par exemple, sans l’écriture inclusive nous écririons : « Les hommes et les femmes sont pareils ». Avec l’écriture inclusive nous écririons : « Les hommes et les femmes sont pareil(le)s ». Mais comme les adjectifs « pareils » et « pareilles » se prononcent pareil, c’est à dire « pareil », on ne fait pas de distinction de prononciation entre le féminin et le masculin, ni même entre le singulier et le pluriel. Dans un tel cas j’écrirai ci-après « pareil(le)s ». Vous allez pouvoir constater que souvent l’écriture inclusive ne change pas la prononciation, mais quand c’est le cas, cela rend le récit encore plus pénible que la lecture.

 

« Alors voilà qu’on serait tous-teu égo-ales ! Alors voilà qu’il faudrait faire fi des évidences ! Mais si les hommes et les femmes étaient égo-ales, si Dieu les avait voulu(e)s pareil(le)s, il les aurait fai-teu pareil(le)s. Dieu étant du genre masculin, il a naturellement voulu les hommes à son image, forts, et les femmes à l’opposé, faibles. Aussi, partout dans la nature les choses ont été disposées selon cette dichotomie, le masculin domine, le féminin est dominé. Quand, en de rares occasions, les choses semblent comme renversées, les espèces concernées sont toujours vilaines et viles. Chez l’homme la femme est d’autant plus belle qu’elle est faible. Durant des siècles, hommes et femmes, respectueu-seu de cet ordre divin, vécurent en harmonie. Chacun-une savait sa place, il n’y avait pas de jalou-seu devenu(e)s jalou-seu par le genre. A l’homme la force, le courage, l’ouvrage, la créativité, à la femme la gestation. Grâce à son cerveau plus volumineux, l’homme pense plus, plus vite et mieux que la femme, de plus, n’étant pas soumis à ses humeurs comme la femme, il ne change pas d’idées à chaque jour que Dieu fait. De leurs humeurs, certaines femmes ont fait un programme ; un programme de changement, contre l’établissement de Dieu. Pour établir leur programme, ces femmes usent et abusent de ruses, s’arment de leurs charmes pour convaincre les plus faibles d’entre les hommes qu’elles et eux sont égo-ale. Si demain ces femmes persuadent suffisamment d’hommes de changer les lois et que nous changeons les lois pour qu’en loi femmes et hommes deviennent égo-ale, l’ordre naturel sera sens dessus-dessous. Les lois naturelles seront bafouées quand les lois citoyennes iront à leur encontre. L’ordre deviendra désordre, d’abord dans les foyers, si l’homme et la femme tiennent tous deux le balais, objet pour lequel les doigts de femmes sont faits, quels enseignements tireront les enfants, d’un couple qui soumet la raison aux errements de femelles passions ? Dans la rue le désordre sera total, les femmes à l’égal des hommes iront en nombre dans les rues mais n’en auront point le même usage que les hommes. Pour l’homme la rue est un chemin, pour la femme c’est une allée entre deux rangs de magasins ; quoique le baron Haussmann semble avoir plus pêché (malgré lui) par excès de féminisme que de sentiment démocratique, les rues restent le plus souvent trop étroites pour que les femmes se croient autorisées à y stationner durant les heures où l’activité bat son plein. Quand les foyers et les rues seront soumi-seu au diktat féministe, les françaises voudront voter, puis quand elles auront obtenu le droit de vote, elles demanderont celui d’être élues. Si la nation se donne des représentan-teu des deux sexes, la politique n’aura plus aucune direction fiable, soumise à l’humeur des femmes elle oscillera en permanence entre deux indécisions. Si l’Angleterre finit par donner raison à l’hystérie des suffragettes, il n’est guère douteux que cette nation s’en trouvera fortement handicapée dans sa marche, et par suite, dans sa faculté, en ces temps de tension, à faire barrage aux ambitions démesurées de la nation allemande. Il est essentiel que la France ait la sagesse de garder les femmes à l’écart des choses où la pensée est plus importante que le ventre. Certes, quelques femmes bien nées peuvent bien réussir au certificat d’études et même au baccalauréat, cependant les hommes et les femmes sont suffisamment intellectuellement différent-teu pour que jamais les femmes n’atteignent le degré d’excellence des hommes. Aussi, peu importe au fond que nous cédions ou pas aux pressions des féministes. L’avenir nous ramènera à l’ordre naturel des choses. Si toute une classe d’âge venait un jour à passer le baccalauréat, les résultats, sans aucune forme de manipulation, prouveront nécessairement que le devoir de réfléchir, d’œuvrer à la marche du monde et aux avancées scientifiques incombe au genre masculin. Je n’ai en cela, pas le moindre doute. »

 

Après avoir fait la lecture de ce texte j’ai pensé que mes amis n’avaient pas réellement compris ce que j’entendais prouver. En effet, aucun ne fit de remarque à propos de la façon dont j’avais lu le texte, par contre les commentaires allèrent bon train concernant le contenu du texte :

– Ils sont bizarres quand même les humains. C’est quoi ces histoires de différences intellectuelles ?

– Euh… c’est un vieux texte vous savez, il a plus de 100 ans ! Depuis les choses ont beaucoup changé.

– Pourquoi tu nous l’as lu alors ?

– C’était pour voir si ça vous choquait.

– Que les femelles et mâles humains ne se sentent pas égaux ?

– Attention Biscuit ! Tu risques de fâcher la fée Odette !

– Pourquoi ?

– Tu aurais dû dire : « Que les femelles et mâles humain-neu ne se sentent pas égo-ales ! »

– Pourquoi ?

– Justement pour les traiter à égalité dans ton discours !

– J’ai fait un discours ?

– Non. Enfin oui, en quelque sorte. Pour traiter les femelles à l’égal des mâles, il faut toujours faire attention à ce qu’on dit.

– C’est à dire ?

– Les femmes ne sont pas des humains mais des humaines. Donc si tu dis « les femelles et les mâles humains », tu donnes l’impression d’accorder plus d’importance aux mâles qu’aux femelles, et ça c’est considéré comme machiste.

– Nous les pigeons on n’est pas des machistes ! C’est vous les chats les machistes !

– Nous les chats on n’est pas des machistes !

– Vous n’avez pas conscience de l’être parce que vous avez été domestiqués et les humains vous empêchent de l’être.

– Je ne suis pas domestiqué !

– Ne prends pas ton cas pour une généralité ! Dans la nature il y a de très gros chats qui ont la réputation d’être très machistes !

– Voyez-vous ça ?

– Parfaitement ! Les lions se battent entre eux, le vainqueur évince tous les autres mâles adultes et puis alors il passe sa vie à glander pendant que les femelles font tout le boulot !

– Ah ben alors au moins les lionnes ont des responsabilités ! Tout ce que les machistes humains refusent aux femelles humaines. Toujours est-il qu’il faut dire « les femelles et les mâles humain-neu ».

– Non. Dans ce cas je pense qu’il faudrait dire « les mâles et les femelles humain-maineu » ou bien « les femelles et les mâles humaineu-main ».

– Cela devient un peu compliqué là, Biscotte.

– Peut-être mais si tu dis « les femelles et les mâles humain-neu » tu es encore dans le déni de l’égalité entre mâles et femelles.

– Pourquoi ?

– Pour deux raisons. D’abord tu es d’accord que séparément nous dirions « les femelles humaines » et « les mâles humains » ?

– Parfaitement.

– Donc pour se référer aux femelles il faut prononcer « humaines » et pour se référer aux mâles on dit « humains ». Mais en disant « humain-neu » on ne prononce pas « humaine » et les femelles sont déconsidérées, si on dit « humai-neu » on ne prononce pas « humain » et alors ce sont les mâles qui sont déconsidérés. Donc il vaudrait mieux dire humain-maineu. Sauf que si on dit les femelles et les mâles humain-maineu, on a encore l’impression qu’on donne l’avantage au mâle puisque l’adjectif est d’abord entendu au masculin alors que le premier nom cité est le nom féminin.

– Oui certes. Mais là tu deviens plus féerique que la fée ! Il faut tout de même opter pour ce qui est le plus facile à prononcer !

– Ben non ! Sinon ce sera presque toujours en faveur des mâles.

– Moi tout ce que je voulais prouver, c’est que l’écriture inclusive est très déplaisante à lire et aussi à entendre. Et aussi je crois qu’il y a toujours un moyen de faire sans l’écriture inclusive et sans néanmoins donner la primauté aux mâles. C’est cela qu’il me faut faire comprendre à la fée Odette.

– Ce ne sera pas simple.

– Je te l’accorde.

 

Après cela je décidai de prendre une décision quant au style à adopter dans mes écrits en évitant l’écriture inclusive et en contentant Odette. C’est alors que j’ai lu sur Terre-nette une solution qui m’a semblé acceptable et qui, était-il dit, a été employée en des temps éloignés. Cette solution consiste à accorder l’adjectif ou le participe passé en fonction des emplacements des noms ou des sujets dans la phrase. Dans cette logique on écrit « les mâles et les femelles humaines » ou bien « les femelles et les mâles humains ». L’adjectif s’accorde avec le dernier nom rencontré. Quand la fée Odette vint me voir je lui fis part de ma volonté d’utiliser cette solution et donc de ne pas utiliser l’écriture inclusive. Autant vous dire qu’elle n’a pas du tout été convaincue :

– Oh le vilain matou macho ! Oh le macho ! J’en ai connu des chats malhonnêtes, mais là c’est le bouquet !

– Pourquoi ?

– Pourquoi ? Mais parce que tu fais tout pour éviter d’avoir à traiter les mâles et les femelles à égalité !

– Mais pas du tout !

–  C’est trop facile ta proposition ! C’est évident que tu n’écriras jamais « ce chat et cette chatte étaient très belles » ! Avoue que tu écriras « cette chatte et ce chat étaient très beaux » !

– Hum… Si je le fais c’est parce qu’il est d’usage de citer les femelles en premier.

– Et à ton avis ? Pourquoi on les cite en premier ?

– Pour leur rendre hommage ?

– Non ! C’est justement pour se donner une bonne raison d’accorder l’adjectif avec le genre mâle ! C’est du pur machisme ta méthode !

– Bon ben dans ce cas j’écrirai : « Ce chat était très beau, et cette chatte était très belle aussi ! »

– Menteur ! Je suis sûre qu’à la première occasion tu vas oublier tes engagements !

– On verra.

– Oui oui, on verra ! Et n’oublie pas que je te surveille ! Fais bien gaffe matou !

 

Bon. Je dois dire que si j’aime bien la langue française, elle a tendance à rendre les choses inutilement compliquées lorsqu’il s’agit de traiter les mâles et les femelles à égalité. C’est peut-être le signe qu’elle a été codifiée par des gens qui ne croyaient pas que les mâles et les femelles étaient égaux. Aux dernières nouvelles il semble que les résultats des femelles humaines au baccalauréat ont quelque peu déjoué les pronostiques des machos qu’on envoie se faire voir au Machu Pichu.

 

Ah ben chalut !

Darwin.

5 décembre 2020

Bateau-attrape-mouches

5 décembre 2020

Chalut !

Vous savez déjà que la fée Odette est une adepte des fraises Tagada. En fait elle est adepte des sucreries en général et donc, à l’approche de Noël, des papillotes. Vous connaissez la particularité des papillotes. Dans le genre je me demande si je ne préfère pas leur alter ego : le Carambar !
– Écoutez cha matous ! « Qui s’excuse s’accuse. »
– C’est un dicton ?
– Un genre de maxime de papillote.
– C’est de qui ?
– Stendhal.
– C’est pas terrible comme idée. Alors si on écoutait Stendhal, personne ne s’excuserait jamais plus.
– Ben si tu ne veux pas reconnaître que tu as eu tort, il vaut effectivement mieux ne pas s’excuser.
– Ça sous-entend surtout qu’il ne faut jamais reconnaître qu’on a eu tort.
– Parce que toi tu sais reconnaître quand tu as eu tort ?
– Moi je n’ai jamais tort, c’est différent.
– Ah ah ! Elle est bien bonne celle-là ! Bon… J’en ai d’autres ! « La vie, ce n’est pas d’attendre que l’orage passe, c’est d’apprendre à danser sous la pluie ! » Sénèque.
– Odette ! Tu veux vraiment savoir ce que des chats pensent de cha ?
– Je sais parfaitement ce que vous en pensez bande de poules mouillées !
– Danser sous la pluie ? Et quoi encore ?
– Les dictons, proverbes et maximes c’est nul !
– Pas toujours. « Le monde est un livre dont chaque pas nous ouvre une page. » Alphonse de Lamartine.
– Franchement Odette...
– Il est connu cet Alphonse ?
– Ce ne sont que des auteurs de renommée que je vous cite.
– Peut-être que sorti de son contexte, ça rend moins bien. Je ne pense pas qu’Alphonse se soit rendu célèbre avec des banalités de ce genre.
– Un peu de respect matou ! C’est lui qui a dit : « Un seul être vous manque et tout est dépeuplé. »
– Il s’est battu en duel avec celui qui a dit : « Un de perdu, dix de retrouvés. » ?
– Mais c’est pas un proverbe ça ! C’est une idiotie d’extrémité de comptoir de bar PMU !
– Question de point de vue.
– Attendez ! J’en ai une autre qui vous concerne ! « Sans un chat tacherdu »
– Tu veux dire : « Sans un chat, tâche ardue. » Je valide !
– Non non ! « Sans un chat tacherdu »
– Cha veut dire quoi ?
– Je ne sais pas, la partie de gauche était coupée.
– Préviens-nous quand tu l’auras trouvée.
– Tu as raison. Je vais aller voler le même paquet ! Avec un peu de chance…
– On peut attendre, Odette ! Pas besoin de te gaver comme une oie !
– Je ne me gave pas.
– Dis-nous plutôt une bonne maxime !
– Hum… Ah ! Celle-là devrait vous plaire par son côté irrévérencieux ! « Appuyez-vous sur les principes, ils finiront bien par céder ! » Oscar Wilde.
– Ah oui ! Là d’accord ! Cha c’est bon… C’est très bon même. D’ailleurs, si on lit entre les lignes, cha dit bien que tout ce qui a valeur proverbiale peut être aisément dépassé.
– Tiens ! J’ai trouvé une maxime !
– Dis toujours Grabel !
– La vie est l’abîme de toutes les maximes de la vie !
– Hum… Non c’est chiant ! Il faut des trucs positifs sinon ça ne finira jamais dans une papillote !
– Qui dort mange !
– N’importe quoi ! Ce n’est pas une maxime, c’est un ordre d’aubergiste !
– Ah bon ? Je croyais que c’était une maxime de vache ou de chèvre.
– C’est possible que ce soit une maxime de vache mais les vaches ne mangent pas de papillotes !
– Nous non plus.
– C’est juste. Cha vous dirait de la farcie goût chocolat ?
– Sans façon.
– Vous devriez goûter avant qu’on ne vous abatte.
– Qu’on nous abatte ? Comment cha qu’on nous abatte ?
– Vous n’avez pas entendu parler des visons ? 15 millions d’un coup sont passés à la guillotine !
– Oui on a vu cha… Mais ce ne sont que des visons. Ils s’en foutent des visons les humains. Jusqu’à preuve du contraire personne ne porte de la fourrure de chat.
– Ça va venir… Pour remplacer la fourrure de vison.
– Non mais non ! Nous on est protégé non ? On a un statut !
– Y a plus de statuts matous ! L’humain n’a qu’une priorité : lui-même !
– Et les chats, Odette ! Les chats aussi !
– Si tu le dis… Enfin… moi à votre place je prierais pour qu’aucun chat ne chope le covid !
– Chat Pristi ! Ils ne feraient pas cha quand même ?
– Bordel ! Mais il fait quoi Macron ? C’est pas normal !
– Quoi ?
– Comment il peut y avoir des visons d’élevage contaminés au Danemark et un peu après dans d’autres pays ?
– Les éleveurs se vendent des visons ! Voilà tout !
– Mais oui ! Mais c’est bien ce que je dis ! Les humains n’avaient pas le droit de sortir à plus d’un kilomètre de chez eux et ces pauvres bêtes, en plus de passer leur vie dans une cage, passent d’une cage à l’autre en voyageant à l’international dans une autre cage ! Mais ils sont cons ou quoi ces humains ?
– Ils sont cons ? Mais bien sûr qu’ils sont cons ! Quelle question !
– Il faut fermer les frontières ! Toutes les frontières ! Je n’ai pas envie de risquer ma vie parce qu’un chat du Wuhan aura accompagné son humain venu en pleine épidémie racheter la ligue 1 ou je ne sais quelle merde française en faillite !
– Calme-toi Darwin ! Tu vas nous faire un malaise !
– Comment veux-tu qu’on garde notre calme quand les humains décident du sort de millions de vies sur un claquement de doigts !
– Écoute ! Si ça peut te rassurer, je te promets que si les humains font une campagne d’abattage des chats, je vous tuerai discrètement et sans douleur avant !
– …
– Quoi ? Qu’est-ce que j’ai dit ?
– Tu trouves cha rassurant ? Tu pourrais nous dire que tu vas faire en sorte que personne ne nous trouve jamais ! Cha ce serait rassurant !
– Hum… Là t’es en train de me dire que tu serais capable de vivre en sachant que tous tes congénères ont été éradiqués ? Et tu trouverais encore un sens à la vie ?
– Heu… Laisse-moi réfléchir un moment à cha !
– Moi je pourrais. a dit Grabel. À tout prendre je préfère mourir de vieillesse en me chachant le dernier chat sur la terre. Je préfère passer tout le reste de ma vie à penser sur le sofa de Grabelot que de me faire attraper par un humain qui va m’amener dans un abattoir. Ah ben oui alors !
– D’abord, toi Odette, tu vis bien sans avoir de contacts avec tes congénères ?
– Ça n’a rien à voir. Moi je sais que c’est temporaire. Si je n’avais pas cet horizon en tête eh ben…
– Eh ben ?
– Je ne sais pas en fait.
– Un jour de vie c’est toujours la vie. C’est bien pour cha que même ceux qui ont dépassé leur espérance de vie attendent de Macron qu’il prenne les décisions qui les protègent. Même si les visons avaient été un milliard, les vieillards humains auraient prié pour qu’on les abatte tous plutôt que de prendre le risque de voir l’épidémie repartir de plus belle.
– C’est bien ce que je dis. Les chats se comptent sans doute par milliards mais les humains vous abattront tous pour se sauver s’il le faut !
– Non c’est différent ! Parce que les humains et nous on a des rapports affectifs ; enfin… les chats domestiques je veux dire. Et justement, il y a des vieillards humains qui se laissent mourir depuis qu’on les prive de leurs relations affectives.
– Tu dis vraiment tout et son contraire ! Un jour de vie ce n’est donc pas toujours la vie s’il n’y a pas de relations affectives ! C’est pour ça que je ne trouverais pas très normal que vous surviviez tous les deux à tous les autres chats. Alors je vous tuerai discrètement. Vous ne sentirez rien du tout ! Ce sera comme s’enfoncer dans un doux rêve. Maintenant il faut que je sache ce que je vais faire de vos dépouilles. Vous avez une préférence ?
– Euh…
– Vous savez, ce ne sera pas la première fois !
– Tu as déjà tué des chats ?
– Euthanasié est le terme approprié.
– Pourquoi ?
– Parce qu’ils me l’avaient demandé.
– Et alors ? Qu’as-tu fais de leurs corps ?
– Je les ai jetés dans une poubelle !
– Oh !
– Mais non ! Je blague. J’en ai fait des croquettes pour chien !
– Oh !
– Que vous êtes cons !… Cela dit, si vous voulez finir en croquettes pour chien, suffit de demander. Bon ! Dites-moi ce qu’il faudra faire de vous ! Sachant que normalement on ne peut pas tout faire. Par exemple les humains n’ont pas le droit de se faire enterrer dans leur jardin.
– Mais leur chat ?
– Aux dernières nouvelles ce n’est plus autorisé, sans que ce soit interdit pour autant. Sauf si c’est un chat de plus de 40 kilos ! Dans ce cas-là c’est explicitement interdit !
– Cha n’existe pas un chat de quarante kilos !
– Ne compliquez pas les choses ! Ne vous en déplaise, les humains font des lois pour chats et chiens mélangés !
– Ben de toute façon on n’a pas de jardin !
– Je peux vous en trouver un. Je peux aussi vous amener dans un cimetière pour animaux domestiques. Normalement c’est payant mais on peut s’incruster à la fête ! Je l’ai déjà fait.
– Tu parles d’une fête ! Reposer entre son chienchien à sa mémère et un chat du genre Saint Sauveur l’acéré, cha fait envie !
– Réfléchis-y bien ! Je pourrais rajouter une plaque et une épitaphe ! Ici repose Grabel, un chat bel et gras !
– Je ne suis pas gras !
– T’es pas svelte non plus !
– Peut-être mais pas gras !
– Et l’incinération, c’est possible ?
– Bien sûr ! Après quoi je jetterai vos cendres dans les toilettes ! Une bande de rats vous souhaitera bon voyage à la sortie du tuyau !
– J’imaginais plutôt être dispersé dans le vent du haut de la passerelle du palais de justice.
– Tu ne préférerais pas être dispersé du haut d’une patte de l’éléphant ?
– Bien sûr que non ! Il faut que les pigeons et les mouettes puissent me dire adieu !
– Ah oui, j’imagine déjà la scène ! Adieu Darwin et bon débarras !
– Je vais beaucoup leur manquer.
– Ou pas. En tout cas quel que soit votre choix il faudra vous estimer heureux. Il n’y a pas si longtemps les chats finissaient dans l’estomac d’un chien, d’un cochon, d’un rat ou d’un corbeau. Et même les humains se traitaient avec moins d’égards. On empilait les cadavres sans vergogne !
– Peut-être que c’était une époque où l’on avait plus de considération pour l’esprit et moins pour le corps.
– Je dirais plutôt qu’ils ne savaient pas comment faire autrement. Vous savez, la ville ça paraît être un truc organisé. Mais quand on organise un truc pour 1000 personnes, bientôt il y en a 2000 ; puis quand on a trouvé la solution pour vivre à 2000, 2000 autres personnes débarquent, et ainsi de suite. C’est déjà pas simple quand la situation économique est au beau fixe alors en cas de guerre ou de crise, se débarrasser des cadavres est un vrai défi ! Quand c’est un défi de place les humains aiment bien empiler les choses. Ils empilent les étages, les sacs de riz, les boites de conserve, et même les cadavres ! Le problème quand on empile les cadavres c’est qu’il ne faut pas se dire ensuite : « Zut, j’ai oublié de noter de quoi est mort le type en bas de la pile ! De noyade ou d’un coup de couteau dans le ventre ? », « A la couleur je dirais, de noyade. », « Il faut vérifier ! ». Le dépilement de cadavres ça va le premier jour, et encore, en hiver, mais avant l’invention du frigo, je peux vous assurer qu’on ne s’y pliait pas de gaieté de cœur.
– Pourquoi ils ne les enterraient pas tout de suite ?
– Parce que souvent ils ignoraient l’identité des morts, alors il fallait prendre le temps d’enquêter pour essayer de savoir qui c’était. Par exemple à Lyon ils repêchaient beaucoup de cadavres dans la Saône ou le Rhône, soit parce qu’on les avait jetés là pour s’en débarrasser discrètement, soit parce qu’une embarcation avait coulé, soit parce qu’un promeneur sur berges avait glissé sur une peau de banane.
– Là tu parles du temps d’après l’invention de la banane ?
– Mais avant la naissance de Super Mario ! En général ceux qu’on avait aidés à tomber était facile à reconnaître, ils n’avaient aucun objet de valeur sur eux, sachant que tout avait de la valeur…
– Sauf si quelqu’un avait voulu faire passer un crime pour un accident.
– Comme un héritier qui en a marre d’attendre son héritage ?
– Par exemple.
– Dans ce cas-là l’auteur d’un parricide avait effectivement l’intérêt à ce que le cadavre soit vite retrouvé et facile à identifier. Mais de toute façon tout le monde savait bien que l’odeur d’un cadavre devient vite problématique. Et plus la ville grandissait, plus le nombre de cadavres à reconnaître grandissait. Au milieu du 19ème siècle la ville a décidé d’installer une morgue sur un bateau-lavoir. C’était assez pratique du fait qu’une certaine partie des cadavres étaient repêchés dans le Rhône, et puis le fleuve est un endroit mieux balayé par les vents que le reste de la ville et un bateau un peu à l’écart des habitations, ça paraissait être une bonne idée. La journée on exposait les cadavres derrière une vitre où les Lyonnais pouvaient venir voir si tonton, dont on était sans nouvelles depuis la veille, n’avait pas décidé d’aller cuver son vin au beau milieu de la rivière. La nuit on ne laissait pas le bateau-morgue sans surveillance, un chien et son maître vivaient là pour garantir qu’aucun cadavre ne prendrait la poudre d’escampette. Alors du coup, c’était un peu une attraction, le gardien voyait assez souvent les mêmes têtes, tous ces curieux passionnés par la vision des morts.
– Les humains sont vraiment déglingués du ciboulot !
– Certains oui. A priori il y a pire, tous ceux qui n’auraient raté pour rien au monde une exécution publique ! Un spectacle à voir en famille. En 1895 Mr Gailleton, le maire de Lyon, a dû prendre un arrêté municipal pour mieux réglementer les visites à la morgue, notamment pour les interdire aux enfants de moins de 15 ans. Y en a à qui ça a manqué, c’était quand même autre chose que le train fantôme de Disney non ?
– Je ne sais pas.
– Je vous assure. Surtout en ce jour de février 1901 où ils ont récupéré dans le Rhône un cadavre en pièces détachées. Tout Lyon a voulu voir ça !
– Et après ça chicane les chats qui dépècent les oiseaux !
– On ne dépèce pas les oiseaux ! Compris ?
– Je voulais dire les souris.
– Les temps changent matous ! Avant personne ne vous aurait chicané. Par contre, possible que vous vous soyez fait voler votre souris par un gamin des rues affamé !
– Je ne crois pas, non ! Ou alors après c’eut été un gamin sans main !
– J’en reviens à mon cadavre dépecé. Donc tout Lyon débarque devant la morgue en espérant pouvoir y rentrer afin d’y aller de son commentaire : « Il a une jambe plus courte que l’autre non ? Ou c’est juste mal découpé ? Non je dis ça… comme mon mari a une jambe plus courte que l’autre et qu’il n’est pas rentré hier soir. », « Allez vas ! Avec un peu de chance il ne sera toujours pas rentré ! », « L’espoir fait vivre ! Où est la tête ? Ah merde ! », « C’est lui ? », « J’ai bien peur que non ! ». Dites-vous qu’évidemment ça crée une longue file d’attente, et les gens s’impatientent, ça vire limite à l’émeute et il ne faut pas moins de quarante gardiens de la paix pour sauvegarder la paix de ce jour ! À l’époque ça faisait déjà un moment que la municipalité trouvait que son bateau-morgue menaçait ruine et qu’il fallait songer à un nouveau bateau ou un autre endroit pour entreposer les morts. L’idée était à la fois d’éloigner les cadavres des curieux tout en les rapprochant des étudiants en médecine. « Dis maman ! On pourra aller voir un cadavre ? », « Eh bien non parce ces salauds ont déménagé la morgue et qu’on ne peut plus y aller sous n’importe quel prétexte ! Mais ne t’inquiète pas ! Si tu travailles bien à l’école tu pourras faire médecine et les morts, tu pourras les toucher et même les découper ! Finis ton steak ! »
– En somme, ce que tu essayes de nous dire, c’est qu’on devient médecin par envie de voir des cadavres !
– Ce n’est pas du tout ce que je dis ! Je me demande juste si ce n’était pas plus naturel de montrer les choses aux enfants. Si on est contre la peine de mort, alors le problème c’est l’exécution en elle-même, pas le fait qu’on la montre à ceux qui veulent la voir.
– Et comment un enfant serait en mesure de savoir s’il veut la voir, dès lors que ce sont ses parents qui l’obligent à les accompagner ?
– Hum… C’est juste matou. Ce que je voulais dire c’est qu’aujourd’hui les gens arrivent à l’âge de la retraite en ayant mangé des milliers de nuggets qui sont issus de la mort de centaines de poulets élevés dans des cages alors qu’ils n’ont jamais tué eux-mêmes un poulet !
– Moi je suis tout à fait d’accord pour tuer un poulet et aussi pour manger des nuggets ! C’est toi qui ne veux pas qu’on le fasse !
– Je vous interdis de tuer un poulet !
– Un poulet ce n’est pas vraiment un oiseau !
– Pour vous c’est un oiseau ! OK ?
– OK ! En même temps c’est pas comme s’il y avait une chance qu’un poulet arrive à voler jusqu’ici.
– Y a sûrement plus de chances de voir tomber des poissons.
– Voire des éléphants. Alors du coup. Le bateau-morgue, il existe encore ?
– Que nenni ! À force de tergiverser, la question de son remplacement s’est réglée d’elle-même. Un jour de crue le Rhône a emporté le bateau qui s’est brisé sur les piliers du pont de la Guillotière !
– Non je ne crois pas ! Ce pont n’a pas de piliers ! Je le sais parfaitement !
– L’ancien pont Darwin ! Le fameux et magnifique pont de la Guillotière qui eut fait la renommée de Lyon avec des si ! C’était en 1909 !
– Ah oui ce vieux pont-là ! J’ai relaté l’histoire de ce pont dans une de mes aventures.
– Mais pas cet évènement-là !
– Non. L’évènement que j’ai relaté aurait demandé un sacré bateau-morgue.
– Ce jour-là, c’était la nuit d’ailleurs, il n’y avait qu’un seul cadavre sur le bateau.
– Un seul ? Comme quoi on se fait toute une histoire sur les dangereux siècles passés, mais c’était pas si dangereux que ça.
– Faut voir ! Ce cadavre a eu un sacré bol. En mourant il a évité d’aller à la guerre quelques années plus tard !
– Et le gardien aussi du coup !
– Nope ! Ce gardien, un type nommé Delaigue, était réputé être un expert pour déterminer combien de temps un corps avait séjourné dans l’eau et depuis combien de temps on l’en avait retiré. Mais il n’a pas pu déterminer en combien de minutes un homme mourrait d’hypothermie puisqu’on l’a repêché avant ! Par contre le chien, lui, est mort !
– J’imagine que ce con a voulu sauver le cadavre !
– Possible.
– Sûr est certain ! Moi je me serais jeté sur la tête de Delaigue !
– On n’en attendrait pas moins de ta part, chat noir ! C’est tout à l’honneur du chien d’avoir voulu sauver le cadavre dans la mesure où ce cadavre n’avait pas été identifié. Si ça se trouve sa famille attend encore de savoir ce qu’il lui est arrivé !
– Au chien ?
– Non ! Au cadavre !
– Y a eu de l’eau qu’a coulé sous les ponts en 111 ans quand même !
– C’est peut-être lui le soldat inconnu.
– Mais t’es con Grabel ou quoi ?

C’est vrai que des fois, Grabel ferait mieux de réfléchir avant de parler ! Cela dit des fois il réfléchit trop. Par exemple il voudrait calculer quelle hauteur on atteindrait si on empile 15 millions de cadavres de visons dans des barils de pétrole et qu’on empile tous ces barils les uns sur les autres. En fait je n’arrive même pas à calculer combien on peut mettre de visons dans un seul baril mais si on faisait ça dans des barils tachés de pétrole, on aurait du mal à récupérer les peaux pour faire des manteaux. Moi je me demande surtout combien il faut de visons pour offrir un manteau à Brigitte Bardot.

Voilà la super gaie histoire du bateau-morgue lyonnais et des visons assassinés (mais qui auraient de toute façon fini par l’être). Portez du polyester ! Et si vous tombez sur un dicton de papillote super original ou drôle, n’hésitez pas à me l’envoyer !

Ah ben chalut !

Darwin.

3 octobre 2015

Darwin vs Grumpy

Chalut.

 

Nous étions en juin et j’étais sur mon toit, non pas à roupiller mais à me baigner d’un chaud soleil retombant doucement entre la basilique et la tour Eiffel lyonnaise. Les hirondelles multipliaient les acrobaties dans les airs en se lançant des défis insensés tandis que les pigeons bavassaient dans leur sous-pente. Soudain je crus apercevoir une silhouette connue venant vers moi en provenance de la Saône. Je me dressais sur mes pattes : « Bon sang mais c’est… George ! » Oui ! Il revenait ! Je le fêtais comme jamais je n’aurais pensé fêter un oiseau : « Oh George ! George ! Te revoilà enfin ! » Il se posa à mes côtés.

– Hello Darwin ! How are you ?

– Bien ! Oui bien ! Et heureux de te revoir !

– As-tu reçu ma carte postale ?

– Oui merci ! Merci George !

– Et quoi de neuf ici ?

– J’ai rencontré quelques chats. Mais toi ? En as-tu croisé ?

– Des dizaines Darwin. Maintenant que je te connais je fréquente un peu plus les toits et un peu moins les bords des fleuves. Je leur ai beaucoup parlé de toi et ils aimeraient bien lire tes aventures un jour. Il faudrait que tu tiennes un blog.

– Oh oui c’est vrai ! Deviendrai-je célèbre ? Peut-être bien.

– Peut-être. En passant par Paris j’ai remarqué tu étais un peu l’archétype d’un De Gouttière parisien, du moins dans sa représentation artistique.

– En plus beau et plus costaud sans doute.

– Pour dire vrai, il y a plus de variété chez les De Gouttière que l’imagerie ne le laisse voir et la plupart des chats flânant sur les toits ne sont pas des De Gouttière mais d’heureux jouisseurs d’appartements bien situés.

– Comme partout George. Tout cela traduit sans doute l’évolution de la société car lorsque les derniers étages étaient dévolus à de misérables chambres de bonnes, la population féline des hauteurs était plus indépendante. Mais dis-moi George ! Ce soir le temps est clément et j’ai un service à te demander. Je voudrais bien retourner du côté de Fourvière car, d’après ce que m’a dit Odette, j’ai la possibilité d’y rencontrer des chèvres. Saurais-tu avec elle assurer une surveillance aérienne de mon chemin ?

– No problem ! Où est Odette ?

– Oh ! elle va venir ! Elle t’aura sûrement vu survoler la Saône si elle est chez Andrea.

 

Comme je le pensais Odette nous retrouva un peu plus tard dans la soirée. J’allai m’avitailler un peu chez un bon pourvoyeur pour ne pas partir le ventre trop léger , puis George nous fit le récit de son voyage et de ses activités pour le compte de la Gull Internationale. Vers trois heures, comme nous étions en début de semaine, la ville était déjà assez calme. Nous nous mîmes en route et je n’avais pas trop d’appréhension. J’allais devenir un De Gouttière De La Presqu’île aillant franchi trois fois la Saône dans les deux sens ! Bon c’est vrai que Passe-passe l’a déjà fait des centaines de fois mais il est un cas très particulier. Alors après avoir profité quelques instants du jardin du Rosaire, je proposai à mes camarades d’aller réveiller Grumpy pour le titiller un peu. Je crois qu’il nous a sentis venir de loin car il s’est caché en croyant nous surprendre. Malheureusement pour lui, Odette le débusqua facilement :

– Sors de derrière ce buisson cabot !

De prime abord je suis plus cordial qu’Odette, il me semble. Je ne voulais pas l’énerver d’emblée mais démarrer une discussion sur un ton presque normal tout en me maintenant sur le mur d’enceinte, hors de sa portée :

– Bonjour Grumpy ! Je suis bien content de te revoir.

– Je ne te renvoie pas le compliment !

– Ce serait pourtant fort sympathique de ta part.

– Pourquoi devrais-je être sympathique ?

– Bon après tout… Allez demander cela à un chien ! Pas étonnant que les humains vous méprisent autant !

– Les humains ne nous méprisent pas du tout ! Bien au contraire !

– Oh ! que si ! D’ailleurs leurs éléments de langage ne laissent de le souligner. Ne dit-on pas : « Un temps de chien. » pour désigner un temps pourri ?

– C’est idiot ce que tu dis ! Un temps de chien est un temps qui convient aux chiens mais pas aux humains simplement parce que les chiens sont des êtres très vaillants capables d’affronter les éléments mieux que les humains.

– Hum… Mais mener une vie de chien n’est-ce pas mener une vie dont personne ne veut ?

– Chacun ses goûts !

– Quand c’est bon à donner au chien c’est sûrement dégueulasse.

– Vu ce que vous bouffez tu pourrais allègrement remplacer chien par chat.

– Etre chien !

– A quoi je te réponds : « Avoir du chien ! »

– Ne pas jeter sa part au chien !

– Qui m’aime aime mon chien !

– Arriver comme un chien dans un jeu de quille !

– Bon chien chasse de race ! Allez du vent ! J’ai d’autres chats à fouetter ! Ah ! ah !

– Se regarder en chiens de faïence !

– Du vent j’ai dit ! Sinon je te rends la monnaie de ta pièce ! Je paye en chats et en rats ! Ah ! ah !

– Aucun problème, moi j’achète chat en poche !

– Certes,… puis tu te rends compte que c’est du pipi de chat !

– Appelons un chat un chat ! N’admettras-tu pas que le péjoratif penche côté chien ?

– Oh ! oh ! Pour être honnête je crois qu’il y a match mais pour te voir débarrasser le plancher je veux bien te donner raison.

– Ah ! Parfait ! A la prochaine alors !

– Ouais c’est ça !

Je m’éloignai tranquillement en marchant sur le mur, pas tout à fait convaincu de ma victoire. J’entendis Odette souffler à George : « Ces deux là s’entendront toujours comme chat et chien ! » Je m’apprêtais à sauter du mur pour rejoindre le chemin menant à la passerelle des quatre vents quand Grumpy m’interpella :

– Hé Darwin ! Le meilleur ami de l’homme te salue ! Hé oui mon vieux ! Bon allez ! Vas t’en avec ta mine de chat fâché ! Oh ! oh ! oh ! oh !

 

J’espère pour vous que si vous avez un chien il est moins pénible que ce Grumpy là ! Il ne m’a pas mis dans les meilleures dispositions pour allez voir les chèvres mais ça je vous le conterai dans mon prochain courrier.

 

Darwin.

3 octobre 2015

L'Aurore

Chalut.

 

Nous étions donc Odette et moi en route vers l’autre duo de chèvres. La route fut courte bien que ponctuée d’un arrêt casse-croûte dans une poubelle qui n’attendait qu’à être visitée. Nous nous rendîmes dans une propriété plantée d’arbres et sise de l’autre côté de la montée. Les chèvres en question sont plutôt petites, ont la tête assez noire et le corps globalement marron. Elles somnolaient paisiblement et Odette les réveilla en touchant délicatement le bout de leur museau.

– Bonjour Harmonie, bonjour Amalthée.

– Oh ! bonjour Odette. Tu es bien matinale.

– Hé ! bien c’est que je suis accompagnée du chat Darwin et il n’aime pas trop s’aventurer dans des endroits inconnus de plein jour.

Harmonie et Amalthée me contemplèrent quelques instants.

– Ainsi voici ce fameux Darwin.

– C’est bien moi et je suis venu vous voir pour en savoir un peu plus sur les chèvres.

– Combien sont elles ?

– C’est à dire ?

– Les chèvres qui t’intéressent. Vivent-elles en troupeau ?

– C’est possible.

– Sont elles gardées par un berger ou une bergère ?

– Une bergère ! a dit Odette.

– Comment s’appelle-t-elle ?

– L’Aurore !

– Hum… joli. Et où vivent l’Aurore et ses chèvres ?

– Eh ! bien… Dans la montage de Savoie j’imagine.

– Parfait. dit Harmonie. L’Aurore est sœur de Lune et d’Hélios. Fille du titan Hypérion elle fut enfantée d’Euryphaessa. Elle s’éprit de Thiton qui fut changé en cigale. Elle s’éprit également du géant Orion qui était d’une grande beauté et qui fut piqué par un scorpion envoyé par Artémis. Orion et le scorpion furent métamorphosés en constellations mais d’ici il n’est pas très évident de les apercevoir.

– Alors l’Aurore doit souvent les apercevoir puisqu’elle vit dans la montagne de Savoie !

– Certes Darwin, reprit Amalthée, c’est bien là l’un des avantages à vivre à la montagne. Dans quelle montagne de Savoie au juste ?

– Non loin de l’endroit où le géant Gargantua projeta une pierre avec le pied et qu’on appelle la Pierra Menta.

– Ne serait-ce pas plutôt la Pietra Menalda, l’une des pierres du Pinacle ? Un titan l’aurait bien pu envoyer de Lipari en Savoie.

– Oh ! non ! Cette pierre là doit être encore à sa place car la Pierra Menta vient du massif des Aravis.

– Sans doute. Mais dis-moi Darwin, l’Aurore est-elle l’Aurore aux doigts de rose ou bien l’Aurore aux belles boucles ?

– Oh ! très certainement elle est l’Aurore aux doigts de rose car elle n’a pas beaucoup de boucles bien qu’elle ait de beaux cheveux.

– Darwin tu es tombé dans le piège que je t’avais tendu. L’Aurore est à la fois l’Aurore aux belles boucles et l’Aurore aux doigts de rose. Sans doute peut-elle se parer de belles boucles car de beaux cheveux se parent de tout ce qu’ils veulent. Mais sûrement elle préfère mettre en avant ses doigts de rose.

– Oh ! oui ! Surtout qu’elle a des chèvres laitières ! Et n’est-ce pas indispensable d’avoir des doigts de rose pour pratiquer la traite ? Les chèvres laitières du monde entier devraient exiger d’être traites par l’Aurore aux doigts de rose !

– Bien vrai et il faudrait le leur suggérer ! Alors ainsi l’Aurore aux doigts de rose vit dans la montagne de Savoie avec ses chèvres.

– Et son amoureux.

– Certainement. Elle a un amoureux car l’Aurore aux doigts de rose est une grande séductrice.

– Cependant l’Aurore aux doigts de rose ne doit guère s’en laisser compter et s’il lui plaît de rester seule avec ses chèvres, personne ne peut l’en empêcher ! Elle croise parfois le chemin de son frère qui commande à ses chevaux et surveille ses troupeaux de moutons et de vaches.

– Mais si l’Aurore a un troupeau de chèvres et son frère un troupeau de vache et de moutons, intervint Odette… quel genre de troupeau a la lune ? Peut-être un troupeau de hiboux ?

– Je crains qu’ils ne soient guère grégaires.

– Alors de pipistrelles !

– Plus probablement, mais à ma connaissance, ce ne fut pas légendé. Cependant il m’est permis d’affirmer que l’Aurore aux doigts de rose, cette toute divine, trouve la voie d’un bonheur à nul autre pareil. Je le sais car nombreux sont nos aïeux qui foulèrent la montagne de Savoie. N’est-ce pas Harmonie ?

– Certes et je me damnerais pour y finir ma vie ! Et s’il est quelque bosquet dans les champs de l’Aurore, c’est à ses côtés que je voudrais être, cette toute divine. Je ne crois pas devoir beaucoup apprécier les alpages par habitude de l’ombrage. Mais sûrement un chat vivant sur les toits penserait autrement. As-tu une belle vue de là où tu vis ?

– Très belle d’un côté, moins de l’autre à cause du crayon qu’ils ont planté là et qui me bouche un peu la vue sur les Alpes. Et ça ne va pas en s’arrangeant, y a un truc encore plus moche qui s’élève !

– L’Aurore aux doigts de rose, elle, grimpe jusqu’au sommet de sa montagne. Aucun crayon ne gêne sa vue, elle voit loin au nord, au-delà de Lyon à l’ouest, au sud ce n’est que succession de monts et sommets. Ce sont des titans qui ont chacun leur nom, ils ne peuvent plus se mouvoir car ainsi en ont décidé les dieux. Alors ils se tiennent là, serrés comme des sardines. L’Aurore les caresses du bout de ses doigts de rose, cette toute divine est pleine de piété. Les titans la remercient et du souffle de leur bouche naît le vent. Les titans n’ont pas l’élocution des dieux, ils postillonnent. Le vent soulève les cheveux de l’Aurore aux doigts de rose qui s’humidifient dans ce crachin quasi-divin ; ainsi naissent ses belles boucles. Jamais elles ne sont si belles que lorsqu’elle se tourne vers l’Est, comme pour contempler tout le chemin parcouru, car c’est de l’Est qu’elle est venue. Elle a passé par-delà les épaules du plus grand des titans d’Occident, celui qu’on appelle Blanc à cause de sa longue barbe blanche ; il est mont et derrière lui est sise la belle Italie à la langue chantante. Celle de l’Aurore aux belles boucles est d’une grande douceur et elle ne parle jamais en méchanceté. Quand elle est en colère, elle pleure ; elle pleure aussi quand elle est triste, c’est pourquoi sa montagne est assez humide.

– Mais pourquoi est-elle triste ? Je ne veux pas qu’elle soit triste moi !

– Peut-être parce qu’elle a croisé un chat noir. Mais rassure-toi ! Le plus souvent elle ne pleure pas, elle préfère cueillir des marguerites. Elle aime jouer au jeu de « je t’aime » en ôtant un à un les pétales des marguerites de ses doigts de rose. Elle se demande si elle aime les chats noirs un peu, beaucoup, à la folie ou pas du tout… et toujours elle constate qu’elle ne les aiment pas du tout.

– Ce n’est pas très gentil ce que tu me dis là.

– Je plaisantais Darwin. En réalité l’Aurore aux doigts de rose préfère souffler sur les aigrettes des Dent-de-lion. Elle les souffle de son souffle divin et ce blanc coton s’envole jusqu’à Lune, cette toute divine, cette sœur. Lune le renvoie de son souffle divin et cristallin, il retombe sur nous en froids flocons.

– Aime-t-elle les autres fleurs ?

– Mais oui ! Bien sûr ! L’Aurore aux doigts de roses adore les fleurs ! Tout d’abord elle adore les roses, cela se conçoit. Et elle connaît leur langage.

– Comme le petit prince ?

– Parfaitement. Mais l’Aurore aux doigts de rose connaît le langage de bien d’autres fleurs.

– Et que lui disent-elles ?

– Hé ! bien les fleurs souvent sont craintives car presque sans défense. Elles tentent de plaider leur cause afin de ne pas être cueillies.

– Ni mangées si l’Aurore emmène paître son troupeau.

– Ah ! mais si une chèvre vient à manger une fleur c’est sûrement qu’elle l’a mérité ! Certaines fleurs sont un peu sèches dans leurs propos… mais l’Aurore aux doigts de rose ne s’en formalise pas. L’une lui dit : « Ne t’assieds pas sur moi ! » Alors l’Aurore s’assied ailleurs.

– Quelle fleur lui dit cela ?

– Le Tabouret à feuilles rondes bien sûr ; et quand l’Androsace lui dit : « Ne me mets pas dans ta besace ! » Elle y met des cailloux à la place. Alors vois-tu Darwin ?… toutes les fleurs n’étant pas de très bonne compagnie, l’Aurore aux doigts de rose préfère celle des fleurs qui lui ressemblent.

– Il y a des fleurs aux belles boucles ?

– Hé ! bien il y a un Rhododendron hirsute et une Campanule barbue, mais leur poil n’est-il pas trop court pour boucler ?

– Trouvons une fleur chevelue alors !

– Mauvaise Raiponce car à ma connaissance, elle ne pousse pas dans la montagne de Savoie. Mais à n’en point douter, sa fleur préférée, hormis la rose, est sûrement la Spirée sylvestre qui porte barbe de bouc en épithète.

– N’est-ce pas plutôt l’Edelweiss ?

– Non car elle lui préfère la Biscutelle à lunettes. Et comme toutes les bergères et chevrières, elle aime aussi beaucoup l’Aconit étrangle-loup mais pas du tout la Polygale des Alpes.

– C’est compréhensible.

– Mais sais-tu que de ses doigts de roses l’Aurore cueille le fruit du Raisin d’ours ?

– Il est comestible ?

– Elle ne le mange pas.

– Pourquoi le cueille-t-elle alors ?

– Mais au cas où elle croiserait un ours en redescendant de la montagne bien sûr.

– En croise-t-elle souvent ?

– Non car ils ont disparu depuis longtemps de la montagne de Savoie.

– Et que fait-elle une fois redescendue de la montagne ? Elle trait ses chèvres ?

– Elle le voudrait bien mais elle ne peut pas atteindre sa maison parce que son frère a empilé tous ses moutons dans le fond de la vallée. Il en a tellement que cela dépasse le toit de sa maison, on dirait une mer toute blanche qui renvoie l’éclat de son visage. C’est très beau mais très gênant. Alors l’Aurore aux doigts de rose supplie son frère : « Oh ! C’est assez comme ça mon frère ! Va-t-en ranger tes moutons ailleurs ! » Tout d’abord Hélios en rit. Alors elle pleure, et lui, commandant à ses chevaux, il s’en va ranger ses moutons de l’autre côté de la terre, mais il y en a toujours qui lui échappent et s’en vont boire au ruisseau des larmes de l’Aurore aux doigts de rose. Alors ils se sentent légers, légers, et ils s’envolent dans le ciel.

– Et l’Aurore dans tout cela, peut-elle enfin traire ses chèvres ?

– Oui mais pas avant d’être allée voir les arbres près de sa maison. D’abord elle s’en va voir le tilleul au goût de miel…

– N’est-ce pas plutôt le miel qui a le goût du tilleul ?

– Possiblement. Donc elle s’en va voir le miel au goût de tilleul… non… voilà que tu m’as fait perdre le fil de mon récit… Bon ! Elle s’en va voir le tilleul qui donne son goût au miel et lui dit : « Tilleul ! J’aimerais abaisser tes basses branches et en donner les feuilles à manger à mes chèvres ? Y consens-tu ? » Ce à quoi le tilleul répond : « Si tu fais cela elles mangeront mes fleurs et tu n’auras pas de tisane cet hiver. » « C’est juste ! » répond l’Aurore aux doigts de rose avant de s’en aller voir le bouleau pour lui dire : « Bouleau ! J’aimerais abaisser tes basses branches et en donner les feuilles à manger à mes chèvres ? Y consens-tu ? » Ce à quoi le bouleau répond : « Je n’ai pas de basses branches ! » « C’est juste. » répond l’Aurore aux doigts de rose avant de s’en aller voir l’Erable pour lui dire : « Erable ! J’aimerais abaisser tes basses branches et en donner les feuilles à manger à mes chèvres ? Y consens-tu ? » Ce à quoi l’Erable ne répond rien. « Il doit dormir, nous reviendrons lui poser la question demain. » dit l’Aurore aux doigts de rose avant de s’en aller voir l’Orme pour lui dire : « Orme ! J’aimerais abaisser tes basses branches et en donner les feuilles à manger à mes chèvres ? Y consens-tu ? » Ce à quoi l’Orme répond : « Je ne suis pas un Orme, je suis un Tilleul ! » « Oh ! le pauvre !… » dit l’Aurore aux doigts de rose à ses chèvres « …il se prend pour un tilleul. Ne l’accablons pas plus qu’il ne l’est et allons voir s’il reste quelques feuilles aux basses branches du frêne. »

 

– Et maintenant l’Aurore peut enfin les traire !

– Parfaitement, et je ne m’étendrai pas sur le sujet. Mais puisque tu es si pressé de les voir traites, sache que le chat n’a pas le droit de goûter au lait de chèvre.

– Pourquoi ?

– Parce que ce serait comme donner de la confiture aux cochons.

– Ce n’est pas juste !

– C’est ainsi. Maintenant la journée de l’Aurore aux doigts de rose s’achève et ses cheveux ont perdu leurs belles boucles, elle s’en va s’asseoir dans le champ qui jouxte sa maison et elle contemple la vallée en souriant. Son chien vient à ses côtés et pose sa tête sur ses genoux. Elle lui caresse tendrement la tête de ses doigts de rose.

– A son chien ? Tu veux dire son chat, n’est-ce pas ?

– Oh ! non Darwin ! Sans aucun doute c’est de son chien dont il s’agit. Et puis ses chèvres viennent aussi à ses côtés. Elles lui mordillent les cheveux pour leur redonner leurs belles boucles. Ainsi la boucle est bouclée et l’Aurore aux doigts de rose s’endort dans son berceau de brume. Ainsi comme dans les épopées, une nouvelle journée pourra commencer quand l’Aurore aux doigts de rose se sera levée de son berceau de brume.

 

Ainsi fut ma première entrevue avec les chèvres marron.

 

Darwin.

3 octobre 2015

Point de vue d'Odette sur la vue des chats

 

Chalut.

 

Je vais vous relater une petite discussion que j’eus avec la fée Odette peu après le concert du Macadam Bazar. Elle est bizarre quand même cette fée, elle a des lubies. Là voilà qui débarque un matin avec quelque chose dans les mains et qui d’emblée me prend de haut :

– Ah ! ah ! monsieur je sais tout je vois tout, devine ce que j’ai là ?

– Un morceau de papier ? Que sais-je ?

– Des photos !

– Des photos de qui ?

– Pas de qui mais de quoi.

– Ah ! Et de quoi donc ?

– Ce quoi là qui prouvera que tu as menti aux chèvres.

– Moi j’ai menti aux chèvres ?

– Oui !… Ça c’est quoi ?

– La tour du crédit lyonnais pardi !

– Hum, bizarre… Et ça ?

– Facile ! C’est le mont blanc !

– Hum… Au fond cela ne prouve rien ; tu as très bien pu les voir en photo avant.

– Oui, et alors ?

– Alors pourquoi leur as-tu dis que tu voyais le crayon et le mont blanc en vrai ?

– Je n’ai pas dit que je voyais le mont blanc mais les Alpes !

– C’est impossible !

– Comment cela impossible ?

– C’est impossible parce que tu es complètement myope et que tu n’as pas de lunettes !

– Je suis myope moi ?

– Mais bien sûr ! Comme tous les chats ! Tous les chats sont myopes et tu es un chat ! Donc tu es myope !

– Si tu le dis… Et bien admettons que je sois myope. Cela prouve que les myopes peuvent voir le crayon et les Alpes d’ici.

– Mais non ! Bien sûr que non ! Tu ne les vois pas ! Tu vois des formes qui leur ressemblent mais tu ne peux pas dire que tu les vois.

– J’ai du mal à te suivre Odette.

– C’est pourtant simple. Tiens, pour preuve… regarde encore cette photo !

– Pas de doute Odette, il s’agit bien du crayon.

– Oui mais dirais-tu que tu le vois mieux en vrai ou sur cette photo ?

– Sur cette photo indéniablement puisque je l’ai sous les yeux.

– Et comme ça ?

– Comme ça je vois flou Odette.

– Ah ! c’est bien ce que je pensais ! En plus d’être complètement myope tu es carrément presbyte !

– Voilà autre chose.

– Tu es incapable de lire de très près !

– Sans doute. Et toi ?

– Moi évidemment que je peux… Ah ben non tiens…

– Mais Odette ! Tu as les yeux collés à la photo, fatalement…

– Ça alors. Est-ce que comme les fées les chats auraient un sixième sens ?

– Je ne te suis toujours pas.

– Si tu ne vois pas avec tes yeux alors c’est que tu vois autrement.

– Mais enfin Odette ! Je vois très bien voyons !

– Très bien mais très peu comparativement à d’autres espèces… sauf la nuit bien sûr. Et quand tu regardes la télé je parie que l’image est toute saccadée.

– Saccadée n’est pas le terme approprié. Mais certainement ils ont encore du progrès à faire !

– Mais pas du tout matou ! C’est tes yeux qu’ont du progrès à faire ! Tiens ! Devine quelles couleurs je porte ?

– Facile, les couleurs de la ville.

– Qui sont ?

– Rouge et bleu.

– Comment le sais-tu ?

– Comment pourrais-je l’ignorer ?

– Tu ne peux pas voir le rouge !

– Comment ça je ne peux pas voir le rouge ? Je vois très bien les feux rouges !

– Ça ne prouve rien ! Même les daltoniens savent situer le rouge, ça ne veut pas dire qu’ils le voient !

– Je ne comprends pas.

– Du vert et du rouge, dirais-tu que ce sont des couleurs qui se ressemblent ou qui sont très différentes ?

– Sans doute elles se ressemblent un peu mais elles ne sont pas similaires, c’est une question de nuance.

– N’importe quoi matou ! Le vert et le rouge ne se ressemblent pas du tout ! Il faudrait être idiot pour faire des feux de signalisation avec des couleurs qui se ressemblent !

– Pourquoi ?

– Mais parce que cela multiplierait les accidents !

– Pas du tout puisque chacun sait que le rouge est en haut et le vert en bas. C’est logique !

– C’est absurde !… Oh ! et puis tu m’énerves matou ! J’en ai marre d’avoir des amis qui me contredisent tout le temps ! Eh ! ben tu passeras la journée tout seul ! Daltonien !

 

Ah ! souvent je me demande qu’elle mouche la pique. Enfin… je ne crois pas avoir le pouvoir de la changer et je l’aime bien comme ça quand même. Contrairement à ce qu’elle disait je n’ai d’ailleurs pas du tout passé la journée tout seul puisqu’elle est revenue cinq minutes plus tard comme si rien ne s’était passé.

 

– Ramène tes poils ! J’ai besoin de tes services.

– On va où ?

– Jouer ! Pour changer…

 

Nous voilà partis dans un appartement voisin que je n’ai guère l’habitude de fréquenter faute d’y trouver mon intérêt. Le genre d’appartement où l’on ne trouve que des restes de pizzas desséchées et où l’1-Terre-Nette n’est en général disponible que sur les genoux du locataire des lieux, locataire par ailleurs très bien équipé en matière de télévision. Odette prend possession des lieux, très à son aise ; claque des doigts, la télévision s’allume ; claque des doigts, une petite boite noire ronronne. On attend un peu :

 

– J’espère que ce gros sac a laissé le bon jeu, ça m’évitera des manipulations… hum… Tu sais conduire matou ?

– T’as de ces questions Odette. Evidemment non !

– Ce sera pas utile. Contente-toi de faire ce que je te dis ! Je suis Danica Patrick !

– Qui ?

– Laisse tomber matou ! Tiens ! Monte là ! Sur la table basse !

– Qu’est-ce que je dois faire ?

– Ce truc là c’est une manette de jeu, vois-tu ?

– Odette ! Depuis le temps que j’observe ce genre d’énergumènes, tu penses bien…

– Ok ! Le problème c’est que si je ne veux pas me contorsionner, je ne peux manier que le volant durant la course. Donc il faut que tu accélères et que tu freines à ma place quand je te le dis !

– Ah !…

– C’est très simple, tu appuies sur la croix pour accélérer et sur le carré pour freiner.

– Oh !… Je mets une patte là et l’autre là alors ?

– Parfaitement ! Appuie sur la croix !… Encore !… Encore !… Attends !… On va pas lambiner, je prends la voiture la plus puissante possible ! Attends !

 

Mazette ! Je n’ai pas beaucoup rigolé. Engueulé comme du poisson pourri pendant près d’une demi-heure avant que je ne maîtrise un peu mieux la situation :

– Freine ! Mais freine bordel de merde ! Accélère ! Accélère ! Mais écoute-moi au lieu de regarder l’écran bordel ! Je te demande de faire deux choses ! C’est tout de même pas compliqué !

– Mais je veux voir ce que je fais Odette !

– Mais ça ne sert à rien puisse que tu ne peux rien voir !

– Tu ne vas pas recommencer avec ça Odette ! Puisque je te dis que je vois très bien !

– Mytho !

– Là on arrive dans un virage alors je freine !

– Mais non ! Mais non ! C’était bien trop tôt ! On est au ralenti putain de bordel de merde ! C’est bien la preuve que tu vois tout en saccades con de chat !

Alors apparemment les jeux à la télé ça détend pas plus que le sport. Il faudra beaucoup de persuasion de la part d’Odette pour me convaincre de jouer à nouveau avec elle mais je m’y essayerai peut-être avec quelqu’un de plus calme. Et je prendrai le volant !

 

Darwin.

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